TPICE, 2e ch., 6 octobre 1994, n° T-83/91
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Tetra Pak International (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Juges :
MM. Briët, Kalogeropoulos, Saggio, Biancarelli
Avocats :
Mes Bellamy, Swift, Waelbroeck, Vandencasteele, Thompson, Rose, Morris
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),
Faits et procédure
1 Par décision 92-163-CEE, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV/31.043 Tetra Pak II, JO 1992, L 72, p. 1, ci-après "décision"), la Commission a constaté que Tetra Pak International SA (ci-après Tetra Pak") occupait une position dominante sur les marchés des machines et des cartons aseptiques destinés au conditionnement des liquides alimentaires dans la Communauté économique européenne (ci-après "Communauté"), et qu'elle a abusé de cette position, au sens de l'article 86 du traité CEE, depuis 1976 au moins, jusqu'en 1991, tant sur ces marchés aseptiques que sur les marchés des machines et des cartons non-aseptiques. La Commission a infligé à cette entreprise une amende de 75 millions d'écus et lui a ordonné de mettre fin aux infractions constatées.
2 Tetra Pak, dont le siège social se trouve en Suisse, coordonne la politique d'un groupe de sociétés, originellement suédois, qui a acquis une dimension mondiale. Le groupe Tetra Pak est spécialisé dans les équipements utilisés pour le conditionnement dans des emballages en carton de produits alimentaires liquides et semi-liquides, principalement le lait. Ses activités s'exercent tant dans le secteur du conditionnement aseptique que dans celui du conditionnement non-aseptique. Elles consistent essentiellement à produire des emballages en carton et à fabriquer, selon une technologie propre au groupe, des machines de remplissage.
3 Il ressort des indications fournies dans la décision que le chiffre d'affaires consolidé du groupe Tetra Pak s'élevait à 2,4 milliards d'écus en 1987 et à 3,6 milliards en 1990. 90 % environ de ce chiffre d'affaires est réalisé sur les marchés des cartons et les 10 % restants sur ceux des machines d'emballages et des activités connexes. La part de ce chiffre d'affaires réalisée sur le territoire de la Communauté s'élève à un peu plus de 50 %. Dans la Communauté, l'Italie est l'un des pays, sinon le pays, où l'implantation de Tetra Pak est la plus forte. Le chiffre d'affaires consolidé des sept sociétés italiennes du groupe s'élevait, en 1987, à 204 millions d'écus.
4 La décision s'inscrit dans une série de trois décisions concernant Tetra Pak. La première est la décision 88-501-CEE, du 26 juillet 1988, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CEE [IV-31.043 Tetra Pak I (licence BTG), JO L. 272, p. 27, ci-après "décision Tetra Pak I"], par laquelle la Commission a constaté que, en acquérant, par le biais du rachat du groupe Liquipak, l'exclusivité d'une licence de brevet sur un nouveau procédé, dit "ultra-haute température" (ci-après "UHT"), de conditionnement aseptique du lait, Tetra Pak avait enfreint l'article 86 du traité depuis la date de cette acquisition jusqu'à la date à laquelle cette exclusivité a pris fin. Cette décision a fait l'objet d'un recours juridictionnel qui a été rejeté par le Tribunal par son arrêt du 10 juillet 1990, Tetra Pak Rausing/Commission (T-51-89, Rec. p. II-309). La deuxième décision est la décision 91-535-CEE, du 19 juillet 1991, déclarant la compatibilité avec le Marché commun d'une concentration (affaire n° IV-M068 Tetra Pak/Alfa-Laval, JO L. 290, p. 35), par laquelle la Commission a, sur le fondement de l'article 8, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (version révisée publiée au JO 1990, L. 257, p. 13), déclaré compatible avec le Marché commun l'acquisition, par Tetra Pak, de Alpha-Laval AB.
5 En ce qui concerne les produits en cause dans la présente espèce, il ressort des chiffres mentionnés dans la décision (point 6) que les emballages en carton ont été utilisés, en 1983, à raison de 90 % pour l'emballage du lait et des autres produits laitiers liquides. Selon la même source, en 1987, cette part se serait élevée approximativement à 79 %, dont 72 % pour le conditionnement du lait. Environ 16 % des cartons servaient alors au conditionnement des jus de fruits. Les autres produits (vins, eaux minérales, produits à base de tomate, soupes, sauces et aliments pour bébés) ne représentaient que 5 % de l'utilisation des cartons.
6 Pour ce qui est du conditionnement du lait, il est à noter que celui-ci est essentiellement vendu sous forme pasteurisée (lait frais) ou après un traitement à ultra-haute température sous conditions aseptiques qui permet de parvenir à une période de conservation de plusieurs mois en milieu non réfrigéré (lait UHT). Quant au lait "stérilisé", il ressort de la décision qu'il n'occupe plus qu'une partie relativement marginale du marché dans la Communauté.
7 Dans le secteur aseptique, Tetra Pak produit le système dit "Tetra Brik", destiné au conditionnement notamment du lait UHT. D'après les informations fournies par la requérante, cet équipement a été lancé sur le marché en 1968 en Allemagne et à partir de 1970 dans les autres pays européens. Selon ce procédé, les cartons sont livrés à l'utilisateur sous forme de rouleaux, lesquels sont aseptisés dans la machine de remplissage même par trempage dans un bain de peroxyde d'hydrogène et viennent ensuite envelopper le liquide tandis que celui-ci coule dans un environnement aseptique. Dans le même secteur, un seul concurrent de Tetra Pak, la société PKL, contrôlée par la société suisse SIG (Société industrielle générale), produit également un système de conditionnement aseptique dans des cartons de format "Brik", les "Combiblocs". A la différence du procédé d'emballage en continu de Tetra Pak, ceux-ci sont préformés au moment de l'emballage. Pour des raisons techniques et parce qu'en pratique les fabricants de machines aseptiques fournissent également les cartons à utiliser sur leurs propres machines, la détention d'une technique de remplissage aseptique constitue la clé d'accès tant au marché des machines qu'à celui des cartons aseptiques.
8 En revanche, le conditionnement non-aseptique, notamment du lait frais pasteurisé, ne nécessite pas un tel degré de stérilité et fait, par conséquent, appel à un équipement moins sophistiqué. Sur le marché des cartons non-aseptiques, Tetra Pak utilisait initialement et utilise encore des cartons de format Brik, mais son principal produit sur ce marché est maintenant un carton de format "Gable Top", en forme de pignon, le "Tetra Rex". Ce carton est un concurrent direct du carton "Pure-Pak" produit par le groupe norvégien Elopak (ci-après "Elopak").
9 Tetra Pak fabrique ses propres machines de conditionnement non-aseptique. En outre, comme Elopak et PKL, elle distribue également, pour sa part, de manière occasionnelle, des machines produites par une dizaine de petits producteurs, dont les principaux sont Nimco, Cherry Burrel et Shikoku.
10 Il ressort des pièces du dossier que Tetra Pak a fait breveter la technologie de base qu'elle a mise au point en matière de machines, de cartons et de procédés, ainsi que les modifications apportées ultérieurement à ces produits et certaines particularités techniques, telle que la forme de pliage du carton. Les derniers brevets protégeant les cartons Tetra Brik aseptiques, mis au point dans les années soixante, viendront à expiration au début des années deux mille (point 22 de la décision). D'après les indications concordantes fournies par les parties, Tetra Pak n'a accordé aucune licence de fabrication pour ses cartons, dans la Communauté.
11 Il ressort également de la décision que, dans la Communauté, à l'exception des distributeurs travaillant pour Liquipak, reprise par Tetra Pak, la distribution des machines et des cartons Tetra Pak est entièrement assurée par le réseau des filiales de Tetra Pak (point 21).
12 Au cours de la période de référence, divers contrats types de vente et de location de machines ainsi que d'approvisionnement en cartons étaient en vigueur entre Tetra Pak et ses clients dans les différents États membres de la Communauté. Le contenu des clauses, insérées dans ces contrats, exerçant une incidence sur la concurrence, a été résumé comme suit aux points 24 à 45 de la décision:
" 2.1. Les conditions de vente du matériel Tetra Pak (annexe 2.1)
(24) Des contrats types de vente existent dans les cinq pays suivants: Grèce, Irlande, Italie, Espagne, Royaume-Uni. Pour chaque clause contractuelle examinée, il est indiqué entre parenthèses quels sont les ou le pays concerné(s).
2.1.1. La configuration du matériel
(25) Tetra Pak se réserve, en Italie, un droit de regard absolu sur la configuration du matériel vendu en interdisant à l'acheteur:
(i) d'ajouter des appareils accessoires à la machine;
(ii) de modifier la machine, d'y ajouter ou d'en retrancher des éléments ;
(iii) de déplacer la machine.
2.1.2. Le fonctionnement et l'entretien du matériel
(26) Cinq clauses contractuelles relatives au fonctionnement et à l'entretien du matériel tendent à assurer à Tetra Pak exclusivité et droit de contrôle en la matière:
(iv) exclusivité pour l'entretien et les réparations (tous pays sauf Espagne);
(v) exclusivité pour la fourniture des pièces de rechange (tous pays sauf Espagne);
(vi) droit d'effectuer gratuitement des prestations d'assistance, de formation, de maintenance et de mise à jour technique non demandées par le client (Italie);
(vii) tarification dégressive (jusqu'à moins 40 % d'une redevance mensuelle de base) d'une partie des frais d'assistance, d'entretien et de mise à jour technique en fonction du nombre de cartons utilisés sur toutes les machines Tetra Pak de même type (Italie);
(viii) obligation d'informer Tetra Pak de tout perfectionnement ou modification technique apporté au matériel et de lui en réserver la propriété (Italie).
2.1.3. Les cartons
(27) Quatre clauses contractuelles relatives aux cartons visent également à assurer à Tetra Pak exclusivité et droit de contrôle de Tetra Pak sur ce produit:
(ix) obligation d'utiliser uniquement des cartons Tetra Pak sur les machines (tous pays);
(x) obligation d'approvisionnement exclusif en cartons auprès de Tetra Pak ou d'un fournisseur désigné par lui (tous pays);
(xi) obligation d'informer Tetra Pak de tout perfectionnement ou modification technique apporté aux cartons et de lui en réserver la propriété (Italie);
(xii) droit de regard sur le libellé à apposer sur les cartons (Italie).
2.1.4. Contrôles
(28) Deux clauses ont plus spécifiquement pour objet le contrôle de l'observation par l'acheteur des obligations contractuelles:
(xiii) obligation pour l'acheteur de remettre un rapport mensuel (Italie);
(xiv) droit d'inspection - sans préavis - réservé à Tetra Pak (Italie).
2.1.5. Le transfert de propriété du matériel ou la cession de l'usage
(29) Deux clauses contractuelles limitent le droit de revente ou de cession:
(xv) obligation d'obtenir l'accord de Tetra Pak pour la revente ou la cession de l'usage du matériel (Italie), revente conditionnelle (Espagne) et droit de rachat à un prix forfaitaire fixé d'avance réservé à Tetra Pak (tous pays). L'inobservation de cette clause peut donner lieu à une pénalité spécifique (Grèce, Irlande, Royaume-Uni);
(xvi) obligation d'obtenir du tiers acquéreur la reprise des obligations du premier acheteur (Italie, Espagne).
2.1.6. La garantie
(30) (xvii) La garantie sur le matériel vendu est subordonnée à l'observation de toutes les clauses contractuelles (Italie) ou, à tout le moins, à l'utilisation exclusive de cartons Tetra Pak (autres pays).
2.2. Les conditions de location du matériel Tetra Pak (annexe 2.2)
(31) Des contrats types de location existent dans tous les pays de la Communauté à l'exception de la Grèce et de l'Espagne.
Mutatis mutandis, on retrouve dans les contrats de location la majorité des clauses rencontrées dans les contrats de vente. D'autres conditions sont spécifiques à la location, mais elles vont toujours dans le même sens qui est celui d'un renforcement maximal des liens entre Tetra Pak et son client.
2.2.1. La configuration du matériel
(32) On retrouve les clauses (i), (ii) et (iii) [Italie pour la clause (i); tous pays pour la clause (ii); France, Irlande, Italie, Portugal, Royaume-Uni pour la clause (iii)].
(xviii) Une clause supplémentaire oblige, par ailleurs, le locataire à faire usage exclusivement de caisses, suremballages, et/ou de conteneurs de transport pour cartons Tetra Pak (Allemagne, Belgique, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) ou à s'approvisionner de préférence, à conditions égales, auprès de Tetra Pak (Danemark, France).
2.2.2. Le fonctionnement et l'entretien du matériel
(33) On retrouve les clauses (iv) et (v) (tous pays) relatives à l'exclusivité.
De même, on retrouve encore la clause (viii) réservant à Tetra Pak la propriété sur les perfectionnements qui seraient réalisés par l'utilisateur (Belgique, Allemagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) ou, à tout le moins, obligeant le locataire à concéder une licence d'exploitation à Tetra Pak (Danemark, France, Irlande, Portugal, Royaume-Uni).
2.2.3. Les cartons
(34) On retrouve les mêmes clauses (ix) (tous pays) et (x) (Italie) relatives à l'exclusivité d'approvisionnement, la clause (xi) donnant à Tetra Pak la propriété sur les perfectionnements (Danemark, Italie) ou, à tout le moins, une licence d'exploitation en sa faveur (France, Irlande, Portugal, Royaume-Uni) et la clause (xii) lui réservant un droit de regard sur le libellé ou les noms de marque que le client veut apposer sur les cartons (Allemagne, Espagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni).
2.2.4. Les contrôles
(35) Comme dans les cas de vente, le locataire doit remettre un rapport mensuel [clause (xiii)- tous pays] sous peine de facturation forfaitaire (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) et permettre l'inspection des lieux où est installé le matériel [clause (xiv)- tous pays] et ce, sans préavis (tous pays, sauf Danemark, Allemagne, Irlande, Portugal et Royaume-Uni).
(xix) Une autre clause permet l'examen à tout moment (Danemark, France) des comptes de l'entreprise locataire (tous pays) et (selon les pays) de ses factures, de sa correspondance ou de tout autre document nécessaire à la vérification du nombre de cartons utilisés.
2.2.5. Le transfert du bail, la sous-location, la cession de l'usage ou l'usage pour compte de tiers
(36) Dans les cas de la vente, tout transfert ultérieur de propriété ne peut se réaliser qu'à des conditions très restrictives.
(xx) Les dispositions des contrats de location excluent pareillement la cession de bail, la sous-location (tous pays) ou même le simple trav ail à façon pour compte de tiers (Italie).
2.2.6. La garantie
(37) Les libellés sont ici moins précis que dans les contrats de vente: ils lient la garantie au respect des "instructions" données par Tetra Pak au sujet de "l'entretien" et du "bon maniement" de la machine (tous pays). Les termes "instructions", "entretien" et "bon maniement" sont toutefois suffisamment larges pour qu'il faille les interpréter comme recouvrant au moins l'utilisation exclusive de pièces de rechange, des services de réparation et d'entretien et de matériaux d'emballage Tetra Pak. Cette interprétation s'est trouvée confirmée par les réponses écrite et orale de Tetra Pak à la communication des griefs.
2.2.7. La fixation du loyer et les conditions de paiement
(38) Le loyer comprend les éléments suivants (tous pays):
a) (xxi) un droit de location "initial", à verser au moment de la mise à disposition de la machine. Le montant de ce droit n'est pas nécessairement inférieur au prix de vente des mêmes machines et s'élève, en fait, à la quasi-totalité de tous les loyers présents et futurs (plus de 98 % dans certains cas);
b) un loyer annuel, payable anticipativement par trimestre;
c) (xxii) une redevance mensuelle à la production dont le montant est dégressif en fonction du nombre de cartons utilisés sur toutes les machines Tetra Pak de même type. Cette redevance remplace la tarification dégressive - de valeur assimilable - d'une partie des frais d'entretien prévue en cas de vente [voir la clause (vii)]. Dans certains pays (Allemagne, France, Portugal), une pénalité spécifique est prévue en cas de non-paiement dans les délais fixés de cette redevance.
2.2.8. La durée du bail
(39) La durée et les modalités de cessation du bail sont variables d'un État membre à l'autre.
(xxiii) La durée minimale du bail s'étend de trois ans (Danemark, Irlande, Portugal, Royaume-Uni) à neuf ans (Italie).
2.2.9. La clause de pénalité
(40) (xxiv) Indépendamment des dommages et intérêts usuels, Tetra Pak se réserve le droit d'imposer une pénalité au locataire qui enfreindrait une quelconque des obligations contractuelles, le montant de cette pénalité étant, dans la limite d'un seuil maximal, fixé discrétionnairement par Tetra Pak en fonction de la gravité du cas (Italie).
2.3. Les conditions de fourniture des cartons (annexe 2.3)
(41) Des contrats types de fourniture existent en Grèce, en Irlande, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni: ils sont obligatoires dès lors que le client procède non à la location mais à l'achat d'une machine.
2.3.1. L'exclusivité d'approvisionnement
(42) (xxv) L'acheteur s'engage à s'approvisionner exclusivement auprès de Tetra Pak pour tous les matériaux d'emballage qui seront utilisés sur une ou sur des machines Tetra Pak donnée(s) (tous pays) et sur toute autre machine Tetra Pak qui serait acquise ultérieurement (Italie).
2.3.2. La durée du contrat
(43) (xxvi) Le contrat est signé pour une première période de neuf ans, renouvelable pour une nouvelle période de cinq ans (Italie) ou pour la période pendant laquelle l'acquéreur restera en possession de la machine (Grèce, Irlande, Espagne, Royaume-Uni).
2.3.3. La fixation des prix
(44) (xxvii) Les cartons seront livrés aux prix en vigueur au moment de la commande. Aucun système de péréquation ou d'indexation n'est prévu (tous pays).
2.3.4. Le libellé
(45) On retrouve ici encore le droit de regard [clause (xii)] de Tetra Pak sur le libellé ou les noms de marque que le client veut apposer sur les cartons."
13 En ce qui concerne, plus précisément, la structure de l'offre existant dans le secteur des systèmes de conditionnement aseptique des liquides alimentaires dans des cartons, dans la Communauté, il ressort de la décision que celle-ci est quasi monopolistique, Tetra Pak occupant 90 à 95 % de ce secteur, à la date de la décision (point 12). En 1985, Tetra Pak détenait environ 89 % du marché des cartons et 92 % de celui des machines aseptiques sur le même territoire (annexes 1.1 et 1.2 à la décision). Son seul concurrent réel sur ce marché, PKL, détenait la quasi-totalité des parts de marché restantes, soit 5 à 10 %.
14 La structure du secteur non-aseptique est plus ouverte mais reste oligopolistique. Au moment de l'adoption de la décision, Tetra Pak occupait 50 à 55 % du secteur dans la Communauté (point 13 de la décision). En 1985, elle détenait environ 48 % du marché des cartons et 52 % de celui des machines non-aseptiques sur le territoire des douze États membres actuels (annexes 1.1 et 1.2 à la décision). Pour sa part, Elopak détenait, en 1985, 27 % environ du marché des machines et des cartons non-aseptiques, suivie de PKL, qui occupait environ 11 % de ce marché. Elopak était uniquement distributeur sur le marché des machines aseptiques, avant de racheter la division "machines d'emballage" d'Ex-Cell-O, en 1987. Les 12 % restants du marché des cartons non-aseptiques étaient alors partagés entre trois sociétés, dont le marché restait concentré dans un ou quelques pays, Schouw Packing (Danemark, +/- 7 %, détenue à 50 % par Elopak), Mono-Emballage/Scalpak (France/Pays-Bas, +/- 2,5 %) et Van Mierlo (Belgique, +/- 0,5 %). Ces sociétés fabriquaient leurs propres cartons généralement sous licence (Ex-Cell-O reprise par Elopak en 1987, Nimco, Sealright, etc.). Sur le marché des machines, elles n'agissaient qu'en tant que distributeurs. Les quelque 13 % du marché des machines non-aseptiques laissés dans la Communauté par Tetra Pak, Elopak et PKL étaient partagés entre une dizaine de petits producteurs, dont les principaux étaient Nimco (États-Unis, +/- 4 %), Cherry Burrel (États-Unis, +/- 2,5 %) et Shikoku (Japon,+/- 1 %).
15 Dans le secteur du conditionnement en cartons des liquides alimentaires frais, Elopak est donc le principal concurrent de Tetra Pak. Ses activités ne s'étendent pas, jusqu'à présent, au secteur aseptique. Il ressort de la décision (point 3) que le rapport des chiffres d'affaires de Tetra Pak et d'Elopak pouvait être estimé, en 1987, de 7,5 à 1. Elopak opère en Italie par l'intermédiaire d'une filiale, Elopak Italia (Milan). D'après la décision, cette filiale ne produit pas sur place mais importe ses cartons d'autres filiales du groupe.
16 Le 27 septembre 1983, Elopak Italia a déposé une plainte auprès de la Commission contre Tetra Pak Italiana et ses sociétés associées en Italie. Le groupe estimait que, durant les années écoulées, Tetra Pak avait cherché à réduire la capacité concurrentielle d'Elopak en Italie en poursuivant des pratiques commerciales constitutives d'un abus au sens de l'article 86. Ces pratiques résidaient essentiellement, selon Elopak, dans la vente des cartons Tetra Rex à des prix prédatoires, l'imposition de conditions déloyales à la fourniture de machines de remplissage de ces cartons et, dans certains cas, la vente de ce matériel à des prix également prédatoires. Elopak dénonçait enfin des manœuvres visant à l'exclure de certains supports publicitaires.
17 Le 16 décembre 1988, la Commission a décidé d'engager la procédure dans cette affaire. Une communication des griefs a été adressée à Tetra Pak, par lettre du 20 décembre 1988. Une audition s'est déroulée les 21 et 22 septembre 1989.
18 A la suite de discussions avec la Commission sur les points restés litigieux après l'audition, Tetra Pak a pris l'engagement de renoncer à son système de ventes liées exclusives et de modifier en conséquence ses contrats types, dans une lettre adressée à la Commission le 1er février 1991 (annexe 7 à la décision), à laquelle étaient annexés de nouveaux contrats types (annexe 3 à la requête). La Commission a accepté ces engagements et a estimé, au point 180 de la décision, qu'ils concernaient la mise en œuvre des injonctions prévues aux points 1, 4 et 5 du troisième alinéa de l'article 3 de la décision, cité au point 21, ci-après.
19 La Commission a constaté, à l'article 1er de la décision, ce qui suit: "Tirant parti de sa position dominante sur les marchés - ainsi dénommés - "aseptiques" des machines et des cartons destinés au conditionnement des liquides alimentaires, Tetra Pak a, depuis 1976 au moins, enfreint les dispositions de l'article 86 du traité CEE, tant sur ces marchés "aseptiques" que sur ceux voisins et connexes des machines et des cartons "non-aseptiques, par une série diversifiée de pratiques visant à l'élimination de la concurrence et/ou à la maximisation au détriment des utilisateurs des bénéfices qui pouvaient être retirés des positions acquises."
20 Les éléments essentiels de ces infractions ont été résumés de la façon suivante dans la décision:
"1) poursuite d'une politique de commercialisation ayant abouti à une restriction sensible de l'offre et à un cloisonnement des marchés nationaux à l'intérieur de la CEE;
2) imposition aux utilisateurs des produits Tetra Pak, dans tous les États membres, de nombreuses clauses contractuelles telles que répertoriées sous les numéros (i) à (xxvii) dont l'objet essentiel est de lier indûment ces utilisateurs à Tetra Pak et d'écarter artificiellement le jeu de la concurrence potentielle;
3) pratiques de prix sur les cartons qui se sont révélées discriminatoires entre utilisateurs d'États membres différents et, en Italie au moins, éliminatoires à l'égard des concurrents;
4) pratiques de prix sur les machines qui se sont révélées:
- discriminatoires entre utilisateurs d'États membres différents,
- discriminatoires également, en Italie au moins, entre utilisateurs d'un même pays,
et
- en Italie et au Royaume-Uni au moins, éliminatoires à l'égard des concurrents;
5) pratiques ponctuelles diverses visant à l'élimination, en Italie au moins, de concurrents et/ou de leur technologie de certains marchés."
21 La Commission a ordonné à la requérante, à l'article 3 de la décision, de mettre fin aux infractions constatées, pour autant qu'elle ne l'avait pas déjà fait, en adoptant, en particulier, les mesures suivantes:
1) Tetra Pak modifie ou, selon les cas, supprime les clauses répertoriées sous les numéros (i) à (xxvii) de ses contrats de vente et de location de machines et de ses contrats de fourniture de cartons de façon à en éliminer les aspects abusifs mis en évidence par la Commission. Ces nouveaux contrats devront être communiqués à la Commission;
2) Tetra Pak élimine les différences entre les prix qu'elle pratique sur ses produits dans les différents États membres et qui ne résultent pas des conditions spécifiques des marchés. Tout client doit pouvoir s'approvisionner, dans la Communauté, auprès de la filiale de Tetra Pak de son choix et aux prix pratiqués par celle-ci;
3) Tetra Pak ne pratique ni prix éliminatoires ni prix discriminatoires et il n'accorde à aucun client, sous quelque forme que ce soit, des remises sur ses produits ou des conditions plus favorables de paiement qui ne sont pas justifiées par une contrepartie objective. Ainsi pour les cartons, les remises ne doivent concerner que des remises de quantité à la commande, non cumulables pour des cartons de types différents;
4) Tetra Pak ne peut refuser de répondre, aux conditions de prix en vigueur, aux offres d'achat émanant d'entreprises au motif qu'elles ne sont pas des utilisateurs finaux des produits Tetra Pak;
5) Tetra Pak communique au client acheteur ou locataire d'une machine les spécifications auxquelles doivent répondre les cartons d'emballage pour pouvoir être utilisés sur ses machines."
22 C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 novembre 1991, Tetra Pak a demandé l'annulation de la décision. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale, sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, prévues à l'article 64 du règlement de procédure, les parties ont été invitées à produire certains documents et à répondre par écrit à un certain nombre de questions, avant la date de l'audience. La procédure orale s'est déroulée le 22 mars 1994.
Conclusions des parties
23 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision de la Commission du 24 juillet 1991;
- annuler en toute hypothèse en tout ou partie l'article premier et/ou l'article 2 et/ou l'article 3 et/ou l'article 4 de ladite décision;
- en toute hypothèse annuler ou réduire l'amende infligée à l'article 2;
- condamner la Commission aux dépens;
- ordonner le remboursement à Tetra Pak de toutes dépenses exposées pour la constitution de la garantie de paiement de l'amende.
La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme non fondé;
- condamner la partie requérante aux dépens.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision
24 A l'appui de ses conclusions en annulation, la requérante invoque quatre moyens, tirés respectivement de la méconnaissance du principe de bonne administration, de l'absence de communication du procès-verbal de l'audition, de l'absence de violation de l'article 86 du traité par la requérante et, enfin, de l'abus, par la Commission, de son pouvoir d'injonction.
Sur le premier moyen, tiré de la méconnaissance du principe de bonne administration
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
25 La requérante soutient que, au cours de la procédure administrative, la Commission a agi de manière inadéquate et incohérente. Elle fait valoir que, si l'objet d'une procédure administrative est de préparer une décision de constatation dans une affaire d'infraction, cette procédure doit également offrir "l'occasion, pour les entreprises concernées, d'adapter les pratiques incriminées aux règles du traité" (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369, point 15).
26 En l'espèce, la requérante allègue qu'elle a fait preuve, tout au long de la procédure administrative, de sa volonté de se conformer, à l'avenir, aux règles de concurrence du traité. La Commission aurait manqué à son obligation de l'assister dans ces efforts. Elle aurait continuellement modifié sa position quant à la base de recherche d'une solution, en soulevant sans cesse des points nouveaux et en revenant sur des problèmes déjà résolus, retardant ainsi indéfiniment la conclusion d'un accord. Or, à la lumière du comportement de la Commission, la requérante se serait légitimement attendue à ce que, si elle se pliait aux exigences de la Commission, il serait possible, avant l'adoption de la décision, de parvenir à un accord.
27 Dans ces conditions, la requérante soutient que la Commission a déçu ses espérances légitimes et méconnu les droits de la défense, en refusant de reconnaître qu'elle avait mis fin, de son plein gré, aux infractions et en lui adressant des injonctions allant bien au-delà de ce qui avait été convenu au cours des négociations. Elle conclut que la Commission a ainsi violé le principe de bonne administration et que la décision doit être annulée ou, subsidiairement, que les mesures destinées à mettre fin à l'infraction, imposées dans la décision, doivent être annulées ou réduites.
28 La Commission estime qu'elle n'a pas contrevenu au principe de bonne administration. Elle relève que, si la requérante avait réellement souhaité modifier volontairement les pratiques incriminées, elle n'aurait pas attendu, pour le faire, que s'écoulent six années d'instruction préliminaire et deux années et demie de procédure administrative.
29 Quant aux attentes légitimes de la requérante, la Commission observe que nul ne peut légitimement s'attendre à échapper aux conséquences d'actions passées en modifiant simplement sa conduite pour l'avenir. En toute hypothèse, la Commission n'aurait jamais fourni d'indications autorisant la requérante à le penser, ce qui ne serait d'ailleurs pas contesté par cette dernière.
Appréciation du Tribunal
30 Il convient de relever, tout d'abord, que la longueur de l'instruction de l'affaire par la Commission, depuis le dépôt d'une plainte, en 1983, jusqu'à l'engagement de la procédure et la communication des griefs, en 1988, ne saurait constituer, en l'espèce, une violation du principe de bonne administration, dans la mesure où elle s'explique par l'ampleur et la difficulté d'une enquête portant sur l'ensemble de la politique commerciale de Tetra Pak durant un laps de temps particulièrement étendu.
31 En outre, il y a lieu de constater que, alors qu'une plainte avait été déposée dès 1983, que la procédure avait été engagée le 9 décembre 1988 et que la communication des griefs lui avait été adressée par lettre du 20 décembre 1988, Tetra Pak n'a pris l'engagement de renoncer à son système de ventes liées exclusives qu'au début de l'année 1991, dans sa lettre du 1er février 1991 à la Commission (annexe 7 à la décision), à laquelle étaient annexés les nouveaux contrats types (annexe 3 à la requête). Dans ces conditions, le Tribunal estime que la requérante ne saurait faire grief à la Commission d'avoir méconnu le principe de bonne administration.
32 Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.
Sur le deuxième moyen, tiré de l'absence de communication du procès-verbal de l'audition
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
33 La requérante soutient que le projet de procès-verbal de l'audition qui a été soumis au comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes (ci-après "comité consultatif") était si incomplet et défectueux que ce comité n'a pu exprimer son avis en pleine connaissance de cause. En effet, bien que la requérante ait proposé une liste de corrections, celles-ci n'auraient concerné que des points mineurs et la requérante n'aurait pas eu la possibilité de combler des lacunes importantes de ce projet.
34 La requérante allègue plus spécialement que la déclaration de M. Severi, administrateur délégué de Tetra Pak Italiana, relative à l'effet qu'aurait sur sa société la proposition visant à obliger toutes les sociétés du groupe Tetra Pak à publier des listes de prix auxquelles elles seraient tenues de se conformer, n'a pas été consignée au procès-verbal. Il s'agirait d'une omission grave, dans la mesure où elle concernerait les principaux problèmes soulevés par les injonctions formulées dans la décision en vue de faire cesser l'infraction.
35 La Commission estime, pour sa part, que la transmission d'un projet de procès-verbal in extenso de l'audition a permis au comité consultatif de se prononcer en pleine connaissance de cause. Elle conteste en particulier que M. Severi soit intervenu en ce qui concerne l'obligation de publier des listes de prix. En outre, l'argument attribué à M. Severi aurait été exprimé plusieurs fois au cours de la procédure administrative et figurerait dans le projet de procès- verbal de l'audition.
Appréciation du Tribunal
36 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que le règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268), prévoit, en son article 1er, que la Commission procède à une audition de l'entreprise concernée avant de consulter le Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes. En outre, en ce qui concerne la phase orale de l'audition, l'article 9, paragraphe 4, de ce même règlement dispose que les déclarations essentielles de chaque partie sont consignées dans un procès-verbal, qui est approuvé par elle après lecture.
37 L'établissement d'un procès-verbal exhaustif de l'audition constitue une formalité substantielle lorsque, dans une espèce donnée, il s'avère nécessaire pour permettre au Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes de rendre son avis et à la Commission d'arrêter sa décision en pleine connaissance de cause, c'est-à-dire sans être induits en erreur sur un point essentiel par des inexactitudes ou des omissions. Tel ne saurait être le cas si le procès-verbal de l'audition omet uniquement de consigner certaines déclarations d'un représentant de l'entreprise en cause, qui ne contiennent pas d'éléments importants nouveaux par rapport à d'autres observations formulées par des représentants de cette entreprise au cours de l'audition et consignées au procès-verbal. En effet, dans une hypothèse de ce type, l'omission ne porte pas atteinte aux droits de la défense de l'entreprise concernée et ne peut exercer aucune incidence sur l'issue de la procédure de la consultation et sur le contenu de la décision finale. Elle n'est donc pas susceptible de vicier l'ensemble de la procédure administrative et de mettre ainsi en cause la légalité de la décision finale.
38 Dans la présente espèce, il est à noter que les seules lacunes, dans le procès-verbal de l'audition, qui aient été spécifiées par la requérante et que la Commission conteste, se rapportent à une déclaration de l'un de ses représentants, concernant, en substance, une proposition de la Commission visant à obliger chacune des filiales nationales de Tetra Pak à publier une liste de prix, tant pour les machines que pour les cartons. Or, l'examen du procès-verbal de l'audition permet de constater, à cet égard, que l'argumentation de la requérante relative à ces listes de prix a, en tout état de cause, été amplement développée par l'un des conseils de la requérante et consignée au procès-verbal.
39 Il s'ensuit que l'omission alléguée par la requérante n'a en aucun cas porté atteinte à ses droits de la défense et ne saurait, dès lors, vicier la procédure administrative.
40 Le deuxième moyen doit donc être rejeté comme non fondé.
Sur le troisième moyen, tiré de l'absence de violation, par la partie requérante, de l'article 86 du traité
41 Ce moyen s'articule en deux branches. La requérante fait valoir, d'abord, qu'elle n'occupe pas de position dominante sur le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci. Elle soutient, ensuite, que le comportement incriminé dans la décision ne présentait pas un caractère abusif, au sens de l'article 86 du traité.
I - En ce qui concerne l'existence d'une position dominante
42 La requérante estime qu'elle ne détient pas de position dominante au sens de l'article 86 du traité. Elle rejette, en premier lieu, la définition du marché des produits retenue dans la décision (A). Elle dénonce, en second lieu, la définition du marché géographique (B). Elle affirme, en troisième lieu, qu'elle ne détient pas de position dominante sur les marchés aseptiques et conteste, en toute hypothèse, l'application de l'article 86 sur les marchés non-aseptiques, voisins des marchés prétendument dominés (C).
A - Quant au marché de produits
43 La décision définit quatre marchés des produits en cause: le marché des machines de conditionnement aseptique des liquides alimentaires dans des cartons et le marché correspondant des cartons (ci-après "marchés aseptiques"), ainsi que le marché des machines de conditionnement non-aseptique des liquides alimentaires dans des cartons et le marché correspondant des cartons (ci-après "marchés non-aseptiques"; points 9, 11 et 92 à 97, intégrant par référence les points 29 à 39 de la décision Tetra Pak I). La requérante estime, pour sa part, que le marché concerné est un marché "complexe" englobant l'ensemble des systèmes de conditionnement des produits alimentaires liquides.
44 Il convient, dès lors, de vérifier si les marchés aseptiques, d'une part, et les marchés non-aseptiques, d'autre part, constituent des marchés distincts, aussi bien entre eux que par rapport aux systèmes de conditionnement utilisant d'autres matériaux (1). En outre, il y a lieu de contrôler si les machines et les cartons représentent des marchés distincts, ce que la requérante conteste (2).
1. Les marchés aseptiques, d'une part, et les marchés non-aseptiques, d'autre part, utilisant le carton, ne constitueraient pas des marchés distincts
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
45 La requérante relève, liminairement, que les systèmes de conditionnement aseptique des produits non traités UHT ne sont pas couverts par la décision. La Commission aurait assimilé de manière erronée la situation de la concurrence, d'une part, dans le secteur des systèmes aseptiques utilisés pour le conditionnement des produits non traités selon le procédé UHT, comme les jus de fruits pour lesquels il existerait de nombreux systèmes d'emballage substituables aux cartons aseptiques, et, d'autre part, dans le secteur des systèmes aseptiques utilisés pour le conditionnement du lait longue conservation, qui nécessite un traitement par UHT. Cette erreur trouverait son origine au point 14 de la décision Tetra Pak I, énonçant que, "dans la CEE, les jus de fruits de longue conservation sont pour la plupart également traités par UHT et conditionnés sous conditions aseptiques". Les marchés aseptiques auraient de ce fait été définis, au point 11 de la décision, comme les marchés des machines et des cartons destinés à l'emballage de "liquides alimentaires traités selon le procédé UHT".
46 Pour réfuter la définition des marchés des produits concernés retenue dans la décision, la requérante soutient que la Commission aurait dû vérifier de manière spécifique si les divers systèmes de conditionnement disponibles sur le marché sont suffisamment interchangeables, pour chaque catégorie de liquides alimentaires, caractérisée par des besoins de conditionnement particuliers.
47 Elle en déduit que, tant dans le secteur aseptique que dans le secteur non-aseptique, la définition des marchés concernés retenue dans la décision est trop extensive, en ce qu'elle inclut les machines et les cartons utilisés pour conditionner les produits alimentaires liquides autres que le lait, sans analyser suffisamment le marché des systèmes de conditionnement dans ce domaine de produits. En effet, la Commission se serait limitée à transposer, dans ce domaine, les conclusions qu'elle avait dégagées en ce qui concerne le conditionnement du lait.
48 La requérante en déduit également que la définition des quatre marchés concernés, susvisés, est, par ailleurs, trop restrictive, en ce qu'elle isole les marchés des systèmes de conditionnement aseptique par rapport aux marchés des systèmes non-aseptiques et les marchés des systèmes utilisant le carton par rapport aux marchés des systèmes utilisant d'autres matériaux. La requérante allègue qu'il existe, à l'intérieur du marché des systèmes de conditionnement des aliments liquides, des marchés différenciés selon la catégorie de produits à conditionner. Ces marchés seraient plus larges que les marchés définis dans la décision.
49 Sous cet aspect, la requérante fait grief à la Commission d'avoir appliqué le critère de "l'interchangeabilité" parfaite, à court terme, au stade de la consommation finale, au lieu de celui de l'interchangeabilité suffisante, à long terme, au stade du conditionnement.
50 La requérante souligne, en particulier, que la Commission a déterminé les marchés en cause exclusivement par référence à la demande des consommateurs. Or, la demande ne serait pas induite par les consommateurs, mais par les détaillants et les conditionneurs, tant en ce qui concerne le contenu, à savoir le produit soit frais soit longue conservation, que le contenant. Dans ces circonstances, de faibles différences de prix sur les produits offerts par Tetra Pak pourraient être décisives, dans la mesure où le choix de l'emballage constitue, pour le conditionneur, le principal élément de ses coûts contrôlables. A cet égard, la Commission se serait abstenue, en l'espèce, d'effectuer une enquête auprès des clients de Tetra Pak sur le degré d'interchangeabilité des diverses formes de conditionnement, contrairement à la pratique qu'elle a suivie notamment dans l'affaire Tetra Pak/Alfa-Laval, précitée.
51 D'après la requérante, l'application correcte du critère de la "substituabilité" suffisante permet de constater, en premier lieu, que les divers systèmes aseptiques ou non-aseptiques, utilisant le carton ou d'autres matériaux, sont suffisamment interchangeables pour le conditionnement des liquides alimentaires autres que le lait. Dans ces conditions, aucun des trois principaux arguments invoqués par la Commission en ce qui concerne le secteur du lait, à savoir 1) le fait que seul le conditionnement en cartons aseptiques convient au lait UHT, 2) que le lait UHT présente des qualités particulières de goût et de conservation et est associé à un certain type d'emballage et 3) que les consommateurs ne considèrent pas comme totalement interchangeables les différents types de lait et les emballages qui y sont associés, ne serait transposable au secteur des jus de fruits et des autres produits non laitiers.
52 En second lieu, il existerait également une interchangeabilité suffisante de divers systèmes de conditionnement, pour l'emballage des produits laitiers liquides autres que le lait. Pour certains de ces produits, comme la crème, le consommateur ne ferait pas de distinction entre le produit frais, le produit longue conservation et le produit stérilisé. En troisième lieu, dans le secteur du lait pasteurisé, les cartons non-aseptiques seraient suffisamment interchangeables avec les bouteilles en verre ou en plastique et les sachets en plastique.
53 En quatrième lieu, dans le secteur général du lait, les cartons aseptiques seraient suffisamment interchangeables avec les autres formes de conditionnement, tant aseptiques que non-aseptiques. Cette interchangeabilité serait accentuée par la prise de conscience, par les consommateurs, de l'impact de l'emballage sur l'environnement et par une réglementation tendant à privilégier les emballages consignés. De plus, le marché du conditionnement serait devenu un marché d'acheteurs. Dans ce contexte, contrairement aux allégations de la Commission, l'absence de substituabilité parfaite du lait pasteurisé et du lait UHT au niveau des consommateurs ne signifierait pas que le prétendu monopoleur proposant un système de conditionnement aseptique puisse avantageusement majorer le prix consenti à ses clients, sans courir le risque que ceux-ci se tournent, pour le conditionnement du lait, vers un système non-aseptique bien installé sur le marché. En outre, de nouveaux systèmes de conditionnement aseptique dans des bouteilles en plastique ou en verre représenteraient de réelles menaces de substitution. En France, par exemple, les principaux clients de Tetra Pak, Candia et Lactel, auraient installé des chaînes de conditionnement de lait UHT dans des bouteilles en plastique et conquis ainsi plus de 5 % du marché après 1987. Depuis, le Tetra Brik aseptique aurait perdu 30 % du marché français du lait semi-écrémé (représentant 10 % du total du lait UHT). En Allemagne, le système de conditionnement aseptique dans des bouteilles en verre consignées, proposé par Bosch et SEN, se serait vendu récemment en grand nombre. Des sachets aseptiques en plastique auraient été commercialisés avec succès en Espagne, et on vendrait du lait UHT conditionné en boîtes métalliques au Royaume-Uni.
54 Après avoir examiné la question de l'interchangeabilité au niveau de la demande, Tetra Pak traite aussi, brièvement, du critère complémentaire de l'interchangeabilité au niveau de l'offre. Elle fait observer qu'une entreprise opérant sur des marchés adjacents, qui n'est pas actuellement productrice de systèmes de conditionnement aseptique en cartons, pourrait aisément accéder aux marchés aseptiques.
55 La Commission conteste l'ensemble de l'argumentation de la requérante relative à la définition du marché de produits. Elle précise, au préalable, que la définition des marchés aseptiques, au point 11 de la décision, couvre également les systèmes servant à l'emballage des jus de fruits, dans la mesure où elle se réfère à la technologie caractérisant les systèmes propres au conditionnement des produits traités par UHT et ne prend pas en compte leur utilisation. Cette définition ne serait pas remise en cause par la référence, au point 14 de la décision Tetra Pak I, aux jus de fruits "traités par UHT", dont la Commission reconnaît l'inexactitude.
56 La Commission rejette le grief selon lequel la définition des marchés aseptiques serait trop extensive, en ce qu'elle inclut les systèmes destinés à l'emballage des produits non laitiers. Elle soutient en substance que, sur le plan économique, il n'était pas utile de procéder à une analyse distincte de ce secteur, dans la mesure où le lait représente le secteur prédominant.
57 En outre, la Commission estime que les quatre marchés définis dans la décision constituaient bien des marchés séparés. Elle rappelle d'abord que l'élasticité croisée de la demande émanant des conditionneurs par rapport aux prix, qui permet de délimiter les marchés des systèmes de conditionnement, dépend de l'élasticité croisée par rapport aux prix sur les marchés des produits finals.
58 Dans ces conditions, la Commission fait essentiellement valoir que, pour les conditionneurs, les cartons aseptiques n'étaient pas suffisamment interchangeables avec les emballages non-aseptiques, en raison de l'absence d'interchangeabilité parfaite entre le lait UHT et le lait pasteurisé, au stade de la consommation finale. De plus, elle allègue qu'il n'existait pas de systèmes de conditionnement aseptique utilisant d'autres matériaux, suffisamment interchangeables avec les systèmes de conditionnement aseptique en cartons, durant la période de référence, eu égard aux caractéristiques de ces produits pour les utilisateurs et au fait que les cartons aseptiques étaient, en pratique, le seul type de conditionnement utilisé pour le lait UHT, de 1976 à 1987.
59 En outre, tant dans le secteur du lait pasteurisé que dans celui du lait UHT, les déplacements récemment constatés de la demande des consommateurs finals d'une forme de conditionnement à une autre, manifesteraient des "tendances structurelles" liées à des facteurs extérieurs, comme l'évolution des préférences des consommateurs en fonction des facteurs environnementaux. La demande ne serait donc pas sensible à des variations faibles mais significatives des prix respectifs des diverses formes de conditionnement.
Appréciation du Tribunal
60 Avant de vérifier le bien-fondé de la définition des quatre marchés aseptiques et non-aseptiques, retenue dans la décision, il y a lieu de préciser le contenu exact de cette définition dans le secteur aseptique.
61 Contrairement aux allégations de la requérante, la décision entend englober dans les deux marchés aseptiques, susvisés, l'ensemble des machines et des cartons aseptiques, qu'ils soient utilisés pour le conditionnement du lait UHT ou pour celui, sous conditions aseptiques, des liquides alimentaires ne nécessitant pas de traitement UHT, comme les jus de fruits. En effet, les marchés aseptiques sont explicitement définis, au point 11 de la décision, comme a) le marché des machines incorporant une technologie de stérilisation des cartons et permettant le conditionnement dans ces cartons, sous conditions aseptiques, de liquides alimentaires traités selon le procédé UHT et b) le marché correspondant des cartons d'emballage". Il en résulte clairement que ces marchés sont exclusivement déterminés à partir des caractéristiques technologiques des machines et des cartons propres au conditionnement des produits traités selon le procédé UHT, étant entendu que les machines et les cartons présentant ces caractéristiques sont également utilisés pour le conditionnement aseptique des produits non traités selon ce procédé. Cette interprétation est confirmée par l'article 1er de la décision, qui se limite à constater l'existence d'une position dominante sur les "marchés - ainsi dénommés - "aseptiques" des machines et des cartons destinés au conditionnement des liquides alimentaires", sans se référer d'aucune manière à l'utilisation de ces équipements.
62 Il appartient, dès lors, au Tribunal de rechercher si les quatre marchés ainsi délimités par la décision constituaient bien des marchés distincts d'autres secteurs du marché général des systèmes de conditionnement destinés à l'emballage des produits alimentaires liquides.
63 A cette fin, il convient de rappeler, liminairement, que, selon une jurisprudence bien établie, le marché des produits concernés doit être défini en tenant compte de l'ensemble du contexte économique, de manière à pouvoir apprécier la puissance économique effective de l'entreprise en cause. En effet, en vue d'évaluer si une entreprise a la possibilité de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs, il importe de définir au préalable quels sont les produits qui, sans être substituables à d'autres produits, sont suffisamment interchangeables avec les produits qu'elle propose, en fonction non seulement des caractéristiques objectives de ces produits, en vertu desquelles ils sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants, mais également en fonction des conditions de concurrence ainsi que de la structure de la demande et de l'offre sur le marché(voir l'arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 37).
64 En l'occurrence, "l'interchangeabilité" des systèmes aseptiques de conditionnement avec les systèmes non-aseptiques et des systèmes utilisant le carton avec ceux utilisant d'autres matériaux doit être évaluée en prenant en considération l'ensemble des conditions de concurrence sur le marché général des systèmes de conditionnement destinés aux produits alimentaires liquides. Il en résulte que, dans le contexte spécifique de l'espèce, la thèse de la requérante, consistant à scinder ce marché général en sous-marchés différenciés, selon que les systèmes de conditionnement sont utilisés pour l'emballage du lait, des produits laitiers autres que le lait ou des produits non laitiers, en raison des caractéristiques propres au conditionnement de ces différentes catégories de produits, se traduisant par l'existence éventuelle d'équipements de substitution divers, conduirait à une parcellisation du marché ne reflétant pas la réalité économique. En effet, les machines et les cartons tant aseptiques que non-aseptiques se caractérisent par une structure de l'offre et de la demande comparable, quelle que soit leur utilisation, dès lors que tous appartiennent à un même domaine d'activité, celui de l'emballage des produits alimentaires liquides. En effet, qu'ils servent à l'emballage du lait ou à celui d'autres produits, les machines et les cartons aseptiques et non-aseptiques non seulement présentent respectivement les mêmes caractéristiques de production, mais répondent également à des besoins économiques identiques. De plus, une proportion non négligeable des clients de Tetra Pak opère tout à la fois dans le secteur du lait et dans celui des jus de fruits, comme l'a admis la requérante. Sous ces divers aspects, le présent litige se distingue donc de l'hypothèse envisagée dans l'arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85-76, Rec. p. 461), invoqué par la requérante, dans lequel la Cour s'était d'abord interrogée sur la possibilité de constater l'existence de deux marchés séparés pour un même produit, qui, à la différence du cas présent, faisait l'objet de deux séries d'utilisations dans des branches d'activités entièrement distinctes, l'une "bionutritive" et l'autre "technologique" (points 28 et 29). En outre, il importe de relever que, selon les observations concordantes des deux parties, les machines et les cartons du même type produits par Tetra Pak étaient soumis à un régime de prix uniforme, qu'ils fussent destinés au conditionnement du lait ou à celui d'autres produits, ce qui confirme leur appartenance respective à un marché de produits unique. Il n'y a donc pas lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, de constater l'existence de sous-marchés différenciés, pour des systèmes de conditionnement du même type, selon qu'ils sont utilisés pour l'emballage de telle ou telle catégorie de produits.
65 Dans ces conditions, pour vérifier si les quatre marchés délimités dans la décision constituaient bien, durant la période de référence, des marchés distincts, il convient, comme le soutient la Commission, de déterminer plus spécialement quels étaient les produits suffisamment interchangeables avec les machines et les cartons aseptiques et non-aseptiques dans le secteur prédominant du lait. En effet, dans la mesure où les systèmes de conditionnement dans des cartons étaient principalement utilisés pour l'emballage du lait, la détention éventuelle d'une position dominante dans ce domaine suffisait à établir, le cas échéant, l'existence d'une position dominante sur l'ensemble du marché. Cette position dominante éventuelle ne pouvait être remise en cause par l'existence d'équipements de substitution, alléguée par la requérante, dans le secteur du conditionnement des produits autres que le lait, dès lors que ceux-ci ne représentaient qu'une part très limitée de l'ensemble des produits conditionnés dans des cartons durant la période couverte par la décision. A cet égard, la prédominance du secteur du conditionnement du lait résulte très nettement des indications fournies dans la décision (point 6) et non contestées par la requérante, selon lesquelles, en 1987, 7 % des systèmes utilisant le carton étaient employés pour le conditionnement du lait, 7 % seulement pour celui des autres produits laitiers. D'après les mêmes sources, en 1983, 90 % de ces systèmes étaient utilisés pour le conditionnement du lait et des autres produits laitiers. Cette prédominance était encore accentuée en ce qui concerne plus spécialement les systèmes commercialisés par Tetra Pak. Il ressort des tableaux produits par cette dernière, en réponse à une question écrite du Tribunal, que, dans la Communauté, 96 % de sa production de systèmes aseptiques était destinée au conditionnement du lait en 1976, 81 % en 1981, 70 % en 1987 et 67 % en 1991. Ces chiffres montrent que, malgré une décroissance, la majeure partie des cartons aseptiques de Tetra Pak servait au conditionnement du lait, durant la période de référence. Quant aux cartons non-aseptiques, ils ont été utilisés à 100 % pour le conditionnement du lait jusqu'en 1980 et à 99 % ensuite, selon les mêmes sources. Pour l'ensemble de ces raisons, la Commission a pu estimer à bon droit qu'il n'était pas utile de procéder à une analyse distincte du secteur du conditionnement des produits autres que le lait.
66 Dans le domaine du conditionnement du lait, il y a lieu de relever que la Commission s'est, à juste titre, fondée, en l'espèce, sur le critère de la substituabilité suffisante des divers systèmes destinés au conditionnement des liquides alimentaires, tel qu'il a été consacré par la Cour (voir notamment les arrêts du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6-72, Rec. p. 215, point 32, et Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 28, troisième alinéa). C'est également en conformité avec la jurisprudence (voir l'arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223, points 19 à 22), que la Commission a appliqué le critère de la substituabilité suffisante des produits au stade des systèmes de conditionnement eux-mêmes, qui constituent le marché des produits intermédiaires sur lequel la position de Tetra Pak doit être appréciée, et non au stade des produits finals, en l'occurrence les produits liquides alimentaires conditionnés.
67 Pour apprécier l'interchangeabilité des systèmes de conditionnement au stade des conditionneurs, la Commission a nécessairement dû tenir compte des répercussions de la demande émanant des consommateurs finals sur la demande intermédiaire émanant des conditionneurs. Elle a constaté que les conditionneurs ne pouvaient influencer les habitudes des consommateurs dans le choix du mode de conditionnement du produit que par des actions promotionnelles et publicitaires conduites dans le cadre d'un processus long et coûteux, s'étendant sur plusieurs années, comme Tetra Pak l'avait expressément reconnu dans sa réponse à la communication des griefs. Dans ces conditions, les divers types de conditionnement ne pouvaient être considérés comme "suffisamment" interchangeables au stade des conditionneurs, quelle que soit par ailleurs la capacité de négociation de ces derniers, alléguée par la requérante.
68 C'est donc exclusivement pour apprécier l'incidence de la demande finale sur la demande intermédiaire des conditionneurs que la Commission s'est référée à l'absence de substituabilité parfaite, laquelle visait uniquement les produits conditionnés et non les systèmes de conditionnement. En particulier, la Commission a estimé à juste titre que, en raison de la faible part du prix de vente du lait représentée par le coût de son conditionnement, "des variations faibles mais significatives du prix relatif des différents conditionnements ne seraient pas suffisantes pour déclencher des substitutions entre les différents types de lait auxquels ils sont associés, étant donné que ceux-ci ne sont pas parfaitement interchangeables" (décision Tetra Pak I, point 32, in fine). Il s'ensuit que les griefs de la requérante, selon lesquels la Commission se serait fondée sur l'hypothèse de la concurrence parfaite et aurait déterminé les marchés en cause exclusivement par référence à la demande des consommateurs, doivent être écartés.
69 Dans ces circonstances, le Tribunal constate, en premier lieu, que la Commission a établi à bon droit qu'il n'existait pas, durant la période de référence, d'interchangeabilité suffisante entre les machines de conditionnement aseptique dans des cartons et les machines de conditionnement non-aseptique, quel que soit le matériau utilisé. En effet, au niveau de la demande, les systèmes aseptiques s'individualisaient par leurs caractéristiques propres, répondant à des besoins et des préférences spécifiques des consommateurs en ce qui concerne la durée et la qualité de conservation, ainsi que le goût. De plus, le passage du conditionnement du lait UHT à celui du lait frais nécessitait la mise en place d'un système de distribution garantissant le maintien en permanence dans un milieu réfrigéré. En outre, au niveau de l'offre, la production de machines permettant le conditionnement du lait UHT dans des cartons sous conditions aseptiques nécessitait la détention d'une technologie complexe, que seuls Tetra Pak et son concurrent PKL étaient parvenus à développer et à rendre opérationnelle durant la période examinée dans la décision. Il s'ensuit que les producteurs de machines non-aseptiques utilisant le carton, qui opéraient sur le marché le plus proche du marché des machines aseptiques en cause, n'étaient pas en mesure d'accéder à ce dernier, au moyen de certaines adaptations de leurs machines au marché des machines aseptiques.
70 Quant aux cartons aseptiques, ils constituaient également un marché distinct de celui des emballages non-aseptiques. Au stade de la demande intermédiaire émanant des conditionneurs, les cartons aseptiques n'étaient pas suffisamment interchangeables avec les emballages non-aseptiques, y compris les cartons, pour des motifs identiques à ceux déjà exposés au point précédent en ce qui concerne les machines. Au stade de l'offre, il ressort du dossier que, malgré l'absence d'obstacles techniques insurmontables, les producteurs de cartons non-aseptiques n'étaient pas en mesure, dans les circonstances de l'espèce, de s'adapter à la fabrication de cartons aseptiques. A cet égard, la présence sur ce marché d'un seul concurrent de Tetra Pak, PKL, détenant, durant la période de référence, 10 % seulement du marché des cartons aseptiques, démontre que les conditions de concurrence étaient telles qu'il n'existait pas, en pratique, de possibilité pour les producteurs de cartons non-aseptiques d'accéder au marché des cartons aseptiques, notamment en l'absence de machines de remplissage aseptique.
71 En second lieu, le Tribunal constate que, durant la période de référence, les machines et les cartons aseptiques n'étaient pas suffisamment interchangeables avec des systèmes de conditionnement aseptique utilisant d'autres matériaux. D'après les données figurant au dossier, et non contestées par la requérante, il n'existait pas de tels équipements de substitution, si l'on excepte l'arrivée sur le marché, vers la fin de la période considérée, des systèmes de conditionnement aseptique dans des bouteilles en plastique, des bouteilles en verre consignées et des sachets, respectivement en France, en Allemagne et en Espagne. Toutefois, chacun de ces produits nouveaux a été introduit dans un seul pays et n'y a, en outre, occupé qu'une part marginale du marché du conditionnement du lait UHT. Selon les informations fournies par la requérante, cette part n'aurait atteint que 5 % du marché, en France, depuis 1987. Dans l'ensemble de la Communauté, en 1976, l'intégralité du lait UHT était conditionnée dans des cartons. Il ressort des observations présentées par la requérante en réponse à la communication des griefs que, en 1987, environ 97,7 % du lait UHT était conditionné dans des cartons. A la fin de la période de référence, c'est-à-dire en 1991, les cartons représentaient encore 97 % du marché du conditionnement du lait UHT, les 3 % restants étant occupés par des emballages en plastique, comme l'a indiqué la requérante en réponse à une question écrite du Tribunal. La part de marché marginale ainsi occupée par les emballages aseptiques utilisant d'autres matériaux suffit à établir que ces emballages ne pouvaient être considérés, même durant les dernières années de la période couverte par la décision, comme des produits suffisamment interchangeables avec les systèmes aseptiques utilisant le carton (voir l'arrêt Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, précité, point 15).
72 En troisième lieu, le Tribunal estime que les machines et les cartons non-aseptiques constituaient des marchés distincts de ceux des systèmes de conditionnement non-aseptique utilisant d'autres matériaux que le carton. A cet égard, il a déjà été établi (voir ci-dessus points 67 et 68), que, en raison de la part marginale du coût du conditionnement dans le prix du lait, seule une substituabilité quasiment parfaite de la demande des consommateurs finals aurait conduit les conditionneurs à considérer que des équipements d'emballage - en l'occurrence les cartons, les bouteilles en verre ou en plastique et les sachets non-aseptiques - étaient facilement interchangeables. Or, compte tenu de leurs caractéristiques physiques très différentes et du système de distribution à domicile du lait pasteurisé en bouteilles en verre au Royaume-Uni, cette forme de conditionnement n'était pas interchangeable avec un conditionnement en cartons, pour les consommateurs. De plus, les facteurs environnementaux incitant une partie des consommateurs à accorder la préférence à certains types d'emballage, comme les bouteilles en verre consignées, n'avaient pas pour effet de favoriser la substituabilité de ces emballages avec les cartons. Les consommateurs sensibilisés à ces facteurs ne considéraient pas que ces emballages étaient interchangeables avec les cartons. Il en est de même des consommateurs attachés, à l'inverse, à une certaine commodité d'utilisation des produits conditionnés dans les cartons. Quant aux bouteilles en plastique et aux sachets en plastique, il y a lieu de relever qu'ils étaient uniquement présents sur le marché dans les pays où les consommateurs acceptaient ce type de conditionnement, notamment, d'après les indications fournies dans la décision et non contestées par la requérante, l'Allemagne et la France. En outre, selon les mêmes sources, ces emballages n'étaient utilisés que pour environ un tiers du lait pasteurisé en France et 20 % en Allemagne. Il en résulte que ces produits n'étaient pas, en pratique, suffisamment interchangeables avec les emballages non-aseptiques en carton, dans l'ensemble de la Communauté, durant la période couverte par la décision.
73 L'analyse des marchés dans le secteur du conditionnement du lait fait ainsi apparaître que les quatre marchés concernés, délimités dans la décision, constituaient bien des marchés distincts.
74 Au surplus et en tout état de cause, le Tribunal constate que l'examen de la substituabilité des divers systèmes de conditionnement dans le secteur des jus de fruits, qui constituent la part la plus importante des liquides alimentaires autres que le lait, montre que, dans ce secteur également, il n'y avait d'interchangeabilité suffisante ni entre les systèmes aseptiques et les systèmes non-aseptiques ni entre les systèmes utilisant le carton et ceux utilisant d'autres matériaux.
75 A cet égard, il convient d'abord de relever que le marché du conditionnement des jus de fruits dans des cartons était principalement occupé par les systèmes aseptiques, durant la période de référence. En 1987, 91 % des cartons utilisés pour le conditionnement des jus de fruits étaient aseptiques. Cette répartition est restée stable jusqu'en 1991, la part des cartons aseptiques s'élevant alors à 93 % de l'ensemble des cartons, ainsi qu'il ressort de la réponse de Tetra Pak à une question écrite du Tribunal. La part marginale des cartons non-aseptiques utilisés pour le conditionnement des jus de fruits, qui se vérifie ainsi sur plusieurs années, montre qu'en pratique ceux-ci étaient très peu interchangeables avec les cartons aseptiques.
76 Par ailleurs, les machines et les cartons aseptiques n'étaient pas non plus suffisamment interchangeables avec des équipements utilisant d'autres matériaux, pour le conditionnement des jus de fruits. A cet égard, il y a lieu de noter que les tableaux produits par Tetra Pak, en réponse à une question écrite du Tribunal, font apparaître que, durant la période de référence, les deux grands types d'emballages en concurrence dans le domaine des jus de fruits étaient les bouteilles en verre et les cartons. Il ressort en particulier de ces tableaux qu'en 1976 plus de 76 % du jus de fruits (en volume) était conditionné dans des bouteilles en verre, 9 % dans des cartons et 6 % dans des bouteilles en plastique, dans la Communauté. La part des cartons a atteint 50 % du marché environ en 1987 et 46 % en 1991. Celle des bouteilles en verre a augmenté de 30 à 39 % entre ces deux dates et la part des bouteilles en plastique est restée négligeable, passant de 13 % environ à 11 %.
77 Or, compte tenu de leurs caractéristiques très différentes, tant en ce qui concerne la présentation, le poids et la forme de stockage, qu'en ce qui concerne le prix, les cartons et les bouteilles en verre ne pouvaient être considérés comme suffisamment interchangeables. S'agissant, en particulier, de la comparaison des prix, il résulte des réponses concordantes des deux parties à une question écrite du Tribunal que le coût global du conditionnement des jus de fruits, dans des bouteilles en verre jetables, est très nettement supérieur de l'ordre de 75 %, pour le conditionneur, à celui du conditionnement dans des cartons aseptiques.
78 Il découle de l'ensemble des considérations qui précèdent que la Commission a établi à suffisance de droit que les marchés des machines et des cartons aseptiques, ainsi que ceux des machines et des cartons non-aseptiques, constituaient des marchés isolés du marché général des systèmes destinés au conditionnement des liquides alimentaires.
2. Les marchés des machines et les marchés des cartons seraient indissociables
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
79 La requérante affirme que le marché en cause doit être défini comme le marché intégré des systèmes de conditionnement, englobant les machines destinées au conditionnement des liquides alimentaires et les emballages eux-mêmes. Elle allègue qu'il existe, entre les machines et les cartons, un lien naturel et commercial, du type de celui évoqué à l'article 86, sous d), du traité. En particulier, la dissociation des machines de remplissage et des cartons aseptiques pourrait entraîner des risques sérieux pour la santé publique et des conséquences graves pour les clients de Tetra Pak.
80 A cet égard, la Commission n'aurait tenu aucun compte des déclarations des concurrents de Tetra Pak, qui corroboreraient les arguments développés par la requérante, et n'aurait fourni aucune preuve de ce que la fourniture séparée des machines et des cartons répondait soit aux souhaits des conditionneurs de disposer de fournisseurs de cartons indépendants, soit aux souhaits des fournisseurs de cartons eux-mêmes.
81 La Commission conteste, pour sa part, le lien allégué par la requérante entre les machines et les cartons. Elle fait valoir que l'article 86 du traité s'oppose à ce que le fabricant d'un produit complexe fasse obstacle à la production, par des tiers, de produits consommables, destinés à être utilisés dans ses appareils.
Appréciation du Tribunal
82 Il y a lieu de relever, tout d'abord, que, contrairement aux allégations de la requérante, l'examen des usages commerciaux ne permet pas de conclure au caractère indissociable des machines destinées au conditionnement d'un produit, d'une part, et des cartons d'autre part. Il existe, en effet, de longue date, des producteurs indépendants, spécialisés dans la fabrication de cartons non-aseptiques destinés à être utilisés dans des machines produites par d'autres entreprises et ne produisant pas eux-mêmes de machines. Il ressort en particulier de la décision (point 16), non contestée par la requérante, que, jusqu'en 1987, Elopak, qui a été créé en 1957, produisait exclusivement des cartons et du matériel accessoire, notamment de manutention. De plus, selon les mêmes sources (point 13) non contestées par la requérante, environ 12 % du secteur des cartons non-aseptiques était partagé, en 1985, entre trois sociétés fabricant leurs propres cartons, généralement sous licence et n'agissant, pour les machines, qu'en tant que distributeurs. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de considérer que la vente liée des machines et des cartons était conforme aux usages commerciaux, alors qu'elle n'était pas de règle générale dans le secteur non-aseptique et qu'il n'existait, dans le secteur aseptique, que deux producteurs, Tetra Pak et PKL.
83 Par ailleurs, l'argumentation de la requérante relative aux exigences de la protection de la santé publique et de ses intérêts ainsi que de ceux de ses clients ne saurait être accueillie. En effet, il n'appartient pas aux producteurs d'équipements complets de décider que, pour satisfaire à des impératifs d'intérêt général, des produits consommables, tels que les cartons, constituent, avec les machines avec lesquelles ils sont destinés à être utilisés, un système intégré indissociable. Selon une jurisprudence bien établie, en l'absence de normes et de règles générales contraignantes, tout producteur indépendant est parfaitement libre, au regard du droit communautaire de la concurrence, de fabriquer des produits consommables destinés à être utilisés dans des appareils fabriqués par d'autres à moins que, ce faisant, il ne porte atteinte à un droit de propriété intellectuelle détenu par un concurrent (voir l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439, point 68, ainsi que l'arrêt de la Cour du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53-92 P, Rec. p. I-667, points 11 à 16).
84 Dans ces conditions, quelle que soit, en l'espèce, la complexité des procédés de remplissage aseptique, la protection de la santé publique peut être assurée par d'autres moyens, notamment par la communication aux utilisateurs de machines des caractéristiques techniques que doivent présenter les cartons pour être compatibles avec ces machines, sans pour autant que cela porte atteinte aux droits de propriété industrielle et commerciale des fabricants. En outre, à supposer même, ainsi que l'a soutenu la requérante, que des machines et des cartons d'origine diverse ne puissent être utilisés ensemble sans que les caractéristiques du système s'en trouvent influencées, le remède devrait être recherché dans l'adoption de dispositions législatives ou réglementaires appropriées, et non dans des normes adoptées unilatéralement par les producteurs, lesquelles reviendraient à interdire aux producteurs indépendants l'essentiel de leur activité.
85 Il s'ensuit que la thèse de la requérante, selon laquelle les marchés des machines destinées au conditionnement d'un produit, et ceux des cartons d'emballage sont indissociables, ne saurait être accueillie.
B - Quant au marché géographique concerné
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
86 La requérante conteste que le marché géographique concerné recouvre l'ensemble du territoire de la Communauté. Elle suggère que les divers États membres représentent, pour les produits en cause, des marchés séparés, parce que les conditions objectives de concurrence ne seraient pas similaires pour tous les opérateurs économiques, dans l'ensemble de la Communauté.
87 Elle fait valoir qu'il existe, dans chaque État membre, des marchés locaux où opèrent des filiales autonomes tant de Tetra Pak que des autres producteurs. En outre, la demande des consommateurs de liquides alimentaires conditionnés présenterait des variations entre les divers États membres. En particulier, les marchés de l'Europe du Nord-Ouest, regroupant le Danemark, l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, auraient dû être examinés séparément, dans la mesure où la consommation de lait UHT y est marginale. Par ailleurs, la requérante allègue que les variations de prix des machines et des cartons entre les États membres montrent que la Communauté ne constitue pas le marché géographique concerné.
88 De plus, la requérante affirme que les territoires de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal doivent être exclus du marché géographique concerné pour la période antérieure à leur adhésion aux Communautés européennes. Postérieurement à l'adhésion de l'Espagne, ce pays devrait être exclu du marché en cause, en raison des barrières tarifaires restées en vigueur durant une période transitoire.
89 La Commission estime, pour sa part, que le marché géographique englobe l'ensemble de la Communauté. Elle allègue, en substance, que tous les types de cartons et de machines en cause se rencontrent, dans une mesure significative, dans chaque État membre, et que les frais de transport tant des machines que des cartons sont négligeables. En outre, elle estime que les différences de prix entre les États membres, alléguées par la requérante, s'expliquent par l'existence d'une situation de type monopolistique ou un cloisonnement des marchés.
90 La Commission précise que le territoire des États membres ayant adhéré aux Communautés européennes durant la période de référence est exclu du marché géographique et de toute constatation d'infraction avant la date de leur adhésion. Quant aux obstacles tarifaires à l'importation, restés en vigueur en Espagne après son adhésion, ils ne créeraient pas de "discrimination" entre les producteurs de machines et de cartons, puisqu'aucun d'entre eux n'était établi en Espagne.
Appréciation du Tribunal
91 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que, dans l'économie de l'article 86 du traité, le marché géographique doit être délimité en vue de déterminer si l'entreprise en cause détient une position dominante dans la Communauté ou dans une partie substantielle de celle-ci. La définition du marché géographique relève donc, tout comme celle du marché des produits, d'une appréciation économique. Le marché géographique peut ainsi être défini comme le territoire sur lequel tous les opérateurs économiques se trouvent dans des conditions de concurrence similaires, en ce qui concerne, précisément, les produits concernés.A cet égard, la Commission relève, à juste titre, qu'il n'est nullement nécessaire que les conditions objectives de concurrence entre les opérateurs économiques soient parfaitement homogènes. Il suffit qu'elles soient "similaires" ou "suffisamment homogènes" (arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207, point 44, voir également les points 11 et 53).
92 Il convient, dès lors, de vérifier si les différents facteurs invoqués par la requérante créent, dans la Communauté, des conditions objectives de concurrence hétérogènes. A cet égard,le Tribunal estime que l'implantation des grands producteurs de systèmes de conditionnement dans chaque État membre, par l'intermédiaire de filiales nationales, de même que l'usage des laiteries de s'approvisionner au niveau local, ne suffisent pas, contrairement à la thèse de la requérante, à établir la spécificité des conditions de concurrence sur le territoire de chacun de ces États. S'agissant, en particulier, de la politique définie par Tetra Pak, le contexte de la présente espèce permet, au contraire, de présumer que les circonstances qui viennent d'être décrites s'expliquent davantage par la stratégie de cloisonnement des marchés, mise en place par l'intéressée, que par l'existence de marchés locaux caractérisés par des conditions de concurrence objectivement différentes. En effet, même si les divers contrats liant Tetra Pak à ses clients se différenciaient par l'insertion d'un nombre considérable de clauses accessoires, variables selon les États, il n'en demeure pas moins que la politique commerciale des différentes filiales du groupe s'inscrivait dans une stratégie commerciale coordonnée par la société-mère, comme en témoigne notamment la présence, dans l'ensemble des États membres, ce que la requérante ne conteste pas, de la clause (ix), relative à la vente liée, et d'une clause d'approvisionnement exclusif auprès de la filiale locale de Tetra Pak, dans les contrats conclus avec les laiteries. En outre, certains éléments de preuve matériels, comme les lettres et les télex échangés entre le groupe Tetra Pak et Tetra Pak Italiana, mentionnés dans la décision (points 71 à 83) et versés au dossier, confirment que la politique commerciale de Tetra Pak était définie au niveau du groupe.
93 Sous cet aspect, la présente espèce se distingue donc des faits en cause dans l'affaire Michelin/Commission, invoquée par la requérante, dans laquelle la Cour a jugé que l'adoption de politiques commerciales autonomes adaptées aux conditions spécifiques de chaque marché national, par les filiales néerlandaises des groupes d'envergure mondiale fabricant des pneus neufs, permettait de conclure à l'existence d'un marché national dans lequel les conditions de concurrence étaient suffisamment similaires (point 26 de l'arrêt).
94 En l'occurrence, la Commission a délimité à bon droit un marché géographique unique recouvrant l'ensemble de la Communauté, pour trois raisons principales. Premièrement, comme le souligne cette institution sans être contredite par la requérante, il existait une demande stable et non négligeable - même si elle variait en intensité entre les divers États membres - pour tous les produits en cause, sur l'ensemble du territoire de la Communauté, au cours de la période couverte par la décision. Deuxièmement, d'après les mêmes sources, les clients avaient, du point de vue technique, la possibilité de s'approvisionner en machines ou en cartons dans d'autres États membres, la présence d'unités de distribution locales étant uniquement nécessaire pour assurer l'installation, l'entretien et la réparation des machines. Troisièmement, le très faible coût du transport des cartons et des machines permettait des échanges aisés et rapides entre les États, ce que ne conteste pas la requérante. En particulier, l'absence d'obstacles économiques à l'importation des machines, grâce au caractère négligeable des coûts de transport, est corroborée par la commercialisation, dans la Communauté, de machines produites aux États-Unis par Nimco ou Cherry Burrel et au Japon par Shikoku, ainsi qu'il ressort de la décision.
95 Dans ce contexte, certaines habitudes de consommation ne sauraient justifier, à elles seules, l'existence d'un marché géographique distinct qui serait constitué, selon la requérante, par les États de l'Europe du Nord-Ouest. En effet, les différences alléguées, tenant aux goûts des consommateurs en ce qui concerne le type de lait ou la forme d'emballage, se reflétaient uniquement sur la dimension totale des marchés des produits concernés dans chaque État membre et n'avaient pas d'incidence sur les conditions de concurrence, à l'intérieur desdits marchés, entre les fabricants de ces produits spécifiques, qui étaient soumis entre eux à des conditions de concurrence similaires pour tous dans l'ensemble de la Communauté.
96 En outre, les différences de prix entre les États membres, également invoquées par la requérante, ne sauraient constituer l'indice de conditions objectives de concurrence non homogènes, alors que, dans les circonstances décrites aux points précédents, elles constituent davantage l'indice d'un cloisonnement artificiel des marchés.
97 Par ailleurs, pour ce qui est des États ayant adhéré aux Communautés européennes durant la période de référence, il est clair qu'ils ne pouvaient relever du marché géographique concerné qu'à partir de la date de leur adhésion, ainsi qu'il ressort logiquement de la décision elle-même et que la Commission l'a confirmé devant le Tribunal. De plus, c'est à juste titre que la défenderesse a estimé que le maintien de barrières tarifaires à l'importation durant la période transitoire, en Espagne, ne créait pas de conditions de concurrence non homogènes pour les divers producteurs de systèmes de conditionnement dans la Communauté, dans la mesure où, selon les indications fournies par la Commission et non contestées par la requérante, aucun d'entre eux n'était établi en Espagne et placé ainsi, sur le territoire de cet État membre, du fait de ces droits, dans une situation exceptionnellement favorable par rapport à ses concurrents établis dans les autres États membres.
98 Il en résulte que le marché géographique concerné couvre, en l'espèce, l'ensemble de la Communauté. Il s'étendait donc aux neuf États membres jusqu'au 31 décembre 1980, aux dix jusqu'au 31 décembre 1985 et aux douze à partir du 1er janvier 1986.
99 Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que la définition des marchés concernés retenue par la Commission n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation, qu'il s'agisse des marchés de produits ou du marché géographique.
C - Quant à la position de Tetra Pak sur les marchés concernés et à l'application de l'article 86 du traité
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
100 La requérante soutient qu'elle ne détient pas de position dominante. Par ailleurs, elle estime que, même si elle occupait une telle position sur les marchés aseptiques, l'article 86 ne serait pas applicable à des pratiques mises en œuvre sur les marchés non-aseptiques, voisins mais distincts des marchés aseptiques prétendument dominés.
101 La requérante reproche tout d'abord à la Commission d'avoir accordé un poids excessif aux parts de marché, sans prendre en considération la "puissance compensatrice" de ses principaux clients et la concurrence par l'innovation, lors de l'appréciation de sa position sur les marchés aseptiques. Elle invoque à cet égard l'arrêt United Brands/Commission (points 109 et 110), dans lequel la Cour a jugé qu'une part de marché de 40 % ne permettait pas à elle seule de conclure automatiquement à l'existence d'une position dominante sur le marché des produits en cause.
102 La requérante souligne également qu'elle occupe une place importante, et non une position dominante, sur les marchés non-aseptiques, comme l'aurait d'ailleurs admis la Commission dans la décision. Elle conteste de ce fait l'application de l'article 86 dans le secteur non-aseptique. Elle fait valoir que la thèse de la Commission, selon laquelle un abus, au sens de cet article, peut être commis, dans certaines conditions, sur des marchés distincts mais voisins de ceux sur lesquels une position dominante a été établie, est en contradiction avec le fondement même de la responsabilité particulière incombant à une entreprise en position dominante, laquelle se justifie par la structure concurrentielle affaiblie sur le marché dominé. La Cour aurait d'ailleurs confirmé dans l'arrêt Michelin/Commission, précité, qu'une entreprise n'occupant pas de position dominante sur un marché donné ne saurait commettre un abus sur ce marché.
103 En l'occurrence, la requérante relève que les pratiques incriminées sur les marchés non-aseptiques n'ont ni été mises en œuvre ni produit d'effets anticoncurrentiels sur les marchés aseptiques prétendument dominés, contrairement à la situation examinée par la Cour dans ses arrêts Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, précité, du 3 octobre 1985, CBEM (311-84, Rec. p. 3261), et du 3 juillet 1991, Akzo/Commission (C-62-86, Rec. p. I-3359), invoqués dans la décision. A la différence de la présente espèce, les abus constatés dans les affaires précitées auraient toujours été commis sur le marché dominé, même s'ils produisaient leurs effets anticoncurrentiels sur des marchés annexes, comme dans les affaires Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission et CBEM, précitées.
104 En outre, la Commission n'aurait pas établi, en l'espèce, l'existence d'un lien de causalité entre les abus prétendument commis dans le secteur non-aseptique et la position dominante de Tetra Pak dans le secteur aseptique. La requérante rejette notamment l'allégation de la Commission, selon laquelle les bénéfices réalisés dans le secteur aseptique lui auraient permis de pratiquer des prix prédatoires ou discriminatoires pour les machines et les cartons non-aseptiques. Elle conteste également tout lien entre sa position dominante dans le secteur aseptique et les conditions contractuelles prétendument inéquitables qu'elle aurait imposées dans le secteur non-aseptique. Ces conditions se justifieraient par la nécessité d'assurer le bon fonctionnement des systèmes de conditionnement et auraient figuré dans les contrats de fourniture de machines non-aseptiques bien avant la mise au point des équipements aseptiques.
105 La Commission estime, pour sa part, que la détention par la requérante de 90 % au moins des marchés des machines et des cartons aseptiques fournit incontestablement la preuve de l'existence d'une position dominante sur les marchés aseptiques.
106 Sur les marchés non-aseptiques, la décision s'abstient de constater l'existence d'une position dominante, comme la Commission l'a confirmé lors de l'audience. Elle souligne néanmoins, au point 104, deuxième alinéa, que les parts de marché détenues par Tetra Pak dans le secteur non-aseptique auraient suffi à établir l'existence d'une position dominante sur ces marchés non-aseptiques considérés séparément. Toutefois, compte tenu de la position dominante de Tetra Pak sur les marchés aseptiques et des liens de connexité entre ces derniers et les marchés non-aseptiques, la Commission est d'avis que les actes commis dans le secteur non-aseptique relèvent également de l'article 86 et qu'"il n'y a donc pas lieu de procéder à une démonstration indépendante de l'existence d'une position dominante de Tetra Pak sur les marchés non-aseptiques pris isolément" (point 104, quatrième alinéa, de la décision).
107 La Commission fait valoir que ni la lettre ni la finalité de l'article 86 du traité ne permettent de considérer qu'il s'oppose uniquement aux abus commis sur le marché concerné qui a servi à définir la position dominante, autorisant ainsi l'entreprise en cause à se livrer à des pratiques abusives sur d'autres marchés, en particulier lorsque ceux-ci sont étroitement liés au marché concerné.
108 Dans la présente espèce, la Commission allègue que la requérante "a utilisé la connexité existant entre les quatre marchés considérés pour commettre des abus sur les marchés des produits non-aseptiques, abus qui n'auraient pu être commis en l'absence d'une position dominante sur les marchés aseptiques" (point 104 de la décision, avant-dernier alinéa. Il serait impensable que la requérante se soit engagée dans une campagne de prix prédatoires contre Elopak, en Italie et plus généralement dans la Communauté, si elle n'avait su que 90 % environ de ses bénéfices résultaient du secteur aseptique. De même, la requérante aurait uniquement été en mesure d'imposer des conditions contractuelles inéquitables sur les marchés non-aseptiques grâce au fait que 56 % de ses clients dans ce secteur exerçaient également des activités dans le secteur aseptique.
Appréciation du Tribunal
109 S'agissant, en premier lieu, du secteur aseptique, il résulte des indications concordantes fournies par les parties que Tetra Pak détenait environ 90 % des marchés aseptiques tant des machines que des cartons, dans l'ensemble de la Communauté, durant toute la période de référence. Il est manifeste que la détention de telles parts de marché plaçait la requérante dans une position sur le marché qui faisait d'elle un partenaire obligatoire pour les conditionneurs et lui assurait l'indépendance de comportement caractéristique d'une position dominante. C'est donc à juste titre que la Commission a estimé que de telles parts de marché constituaient, en elles-mêmes, et en l'absence de circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante (voir les arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, précité, points 41, 60 et 66, Akzo/Commission, précité, point 60, ainsi que l'arrêt du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, précité, points 91 et 92).
110 En outre, comme l'a relevé la Commission, la présence, sur les marchés des machines et des cartons aseptiques, d'un seul concurrent de Tetra Pak, PKL, détenant les parts de marché restantes, soit environ 10 % de ces marchés, ainsi que l'existence de barrières technologiques et de nombreux brevets faisant obstacle à l'arrivée de nouveaux concurrents sur le marché des machines aseptiques, contribuaient à maintenir et à renforcer la position dominante de Tetra Pak tant sur le marché des machines que sur celui des cartons aseptiques. En effet, même si, comme l'admettent les deux parties, l'entrée de concurrents sur le marché des cartons aseptiques était techniquement possible, l'absence de machines aseptiques disponibles, en raison notamment de la politique de vente liée mise en œuvre par Tetra Pak, représentait, en pratique, un obstacle sérieux à l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché.
111 Au vu de l'ensemble de ces considérations, les arguments que la requérante tire de la capacité de négociation de ses clients et de la concurrence par l'innovation ne sauraient être accueillis et sa position dominante sur les deux marchés aseptiques en cause doit être considérée comme suffisamment établie.
112 Dans ces circonstances, il convient, en second lieu, de vérifier si, comme le soutient la Commission, les conditions d'application de l'article 86 sont également réunies sur les deux marchés non-aseptiques, en raison des liens de connexité unissant ces deux derniers marchés aux deux marchés aseptiques.
113 A cet égard, le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que l'article 86 du traité interdit le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Il se limite ainsi à préciser ses conditions d'application relatives à l'étendue du marché géographique concerné. Il ne comporte aucune indication explicite en ce qui concerne les exigences afférentes à la localisation de l'abus sur le marché des produits.
114 Pour déterminer ces conditions, il y a lieu, dès lors, d'interpréter l'article 86 du traité en se fondant sur son objet et sa finalité, tels qu'ils ont été précisés par la Cour, qui a jugé, dans son arrêt Michelin/Commission, précité (point 57), que cet article faisait peser sur une entreprise en position dominante, indépendamment des causes d'une telle position, la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le Marché commun, conformément à l'objectif général défini à l'article 3, sous f), du traité dans sa rédaction alors en vigueur. Relève ainsi de l'article 86 tout comportement d'une entreprise en position dominante de nature à faire obstacle au maintien ou au développement du degré de concurrence existant encore sur un marché où, à la suite précisément de la présence de cette entreprise, la concurrence est déjà affaiblie (voir l'arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 91).
115 Le champs d'application matériel de la responsabilité particulière pesant sur une entreprise en position dominante doit donc être apprécié au regard des circonstances spécifiques de chaque espèce, traduisant une situation concurrentielle affaiblie, comme le confirme l'analyse de la jurisprudence. A cet égard, la Cour a notamment jugé, dans ses arrêts Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, précité (points 21 et 22), et CBEM, précité (points 25 à 27), que relevait de l'article 86 du traité le fait, pour une entreprise détenant une position dominante sur un marché donné, de se réserver, sans nécessité objective, une activité auxiliaire ou dérivée sur un marché voisin, mais distinct, où elle n'occupait pas de position dominante, au risque d'éliminer toute concurrence sur ce marché. En outre, dans son arrêt Akzo/Commission, précité (points 39 à 45), la Cour a expressément admis que relevaient de l'article 86 des réductions de prix accordées sur un "marché distinct" du marché des produits en cause dont il constituait un sous-marché. Par ailleurs, dans son arrêt du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission (T-65-89, Rec. p. II-389, points 92 et 93), le Tribunal a admis l'application de l'article 86 à un avantage que l'entreprise en cause, qui occupait une position dominante sur le marché des plaques de plâtres, accordait, sur un marché distinct, celui du plâtre, aux seuls clients s'approvisionnant exclusivement auprès d'elle sur le marché des plaques de plâtre. En l'occurrence, le Tribunal s'est fondé sur les circonstances propres à l'espèce, dans laquelle des clients de l'entreprise en cause opéraient sur les deux marchés et se trouvaient, sur celui du plâtre, en situation de dépendance à l'égard de leur fournisseur.
116 Il apparaît ainsi que les allégations de la requérante, selon lesquelles le juge communautaire aurait exclu toute possibilité d'appliquer l'article 86 à un acte commis par une entreprise en position dominante sur un marché distinct du marché dominé, doivent être écartées. En particulier, il est à noter que, contrairement à l'interprétation défendue par la requérante, l'arrêt Michelin/Commission, précité, n'est pas pertinent, dans la mesure où il n'a pas abordé la question de l'application de l'article 86 du traité à des faits commis sur un marché voisin distinct du marché dominé. Dans cette affaire, la Cour était uniquement appelée à vérifier le bien-fondé de la décision de la Commission, constatant qu'une ristourne supplémentaire liée à des objectifs de vente sur le marché des pneus pour véhicules de tourisme s'apparentait, en réalité, à une ristourne sur les ventes de pneus pour poids lourds et constituait une prestation liée au sens de l'article 86, sous d), du traité. La Commission estimait que, par cette ristourne, l'entreprise en cause subordonnait l'obtention d'un avantage sur le marché des pneus pour poids lourds, où elle occupait une position dominante, à la réalisation d'un objectif de vente sur le marché distinct des pneus pour voitures de tourisme. La Cour a annulé la décision sur ce point, au motif que la ristourne litigieuse était accordée en fonction d'un objectif de vente sur le seul marché des pneus pour voitures de tourisme et qu'elle n'établissait donc aucun lien entre l'achat de pneus pour camions et celui de pneus pour voitures de tourisme.
117 Indépendamment, à ce stade de l'examen de l'affaire, de toute appréciation de ces comportements, il appartient, dès lors, au Tribunal de contrôler si, dans les conditions particulières de la présente espèce, l'article 86 du traité peut s'appliquer à des comportements mis en œuvre par Tetra Pak sur les marchés non-aseptiques.
118 A cet égard, il y a lieu de relever que la Commission a motivé, dans la décision, l'application de l'article 86 du traité dans le secteur non-aseptique, en se fondant, tout à la fois, sur la prééminence de Tetra Pak dans ce secteur et sur les liens de connexité unissant les marchés non-aseptiques aux marchés aseptiques, où l'entreprise en cause occupait une position dominante. Elle a estimé que l'existence de tels liens lui permettait de s'abstenir de "procéder à une démonstration indépendante de l'existence d'une position dominante de Tetra Pak sur les marchés non-aseptiques pris isolément". En effet, après avoir souligné que, dans le secteur non-aseptique, Tetra Pak était moins soumise aux forces du marché que n'importe lequel de ses concurrents, la décision indique que, en raison du lien entres les secteurs aseptique et non-aseptique, "il n'est cependant pas nécessaire d'établir, dans le cadre de la présente procédure, si le pouvoir de marché qui procure à Tetra Pak sa position de leader sur ces marchés non-aseptiques devait être assimilé à l'occupation directe d'une position dominante au sens de l'article 86" (point 101). D'après la Commission, les abus commis sur les marchés non-aseptiques sont "établis, même au cas où la position dominante de Tetra Pak ne serait pas admise indépendamment de sa position sur les marchés aseptiques" (point 104, dernier alinéa, de la décision). De plus, la décision souligne que Tetra Pak détenait 78 % de l'ensemble du marché des conditionnements en cartons tant aseptiques que non-aseptiques, soit sept fois plus que son concurrent le plus proche, et "garderait sans conteste une position dominante", même sur ce marché plus large (point 103, quatrième alinéa).
119 S'agissant, tout d'abord, des parts de marché détenues par Tetra Pak dans le secteur non-aseptique, le Tribunal constate que cette entreprise occupait, en 1985, environ 48 % du marché des cartons et 52 % de celui des machines non-aseptiques, selon les données concordantes fournies par les parties. Cette part était déjà supérieure à 40 % en 1976 et n'a cessé de croître pour atteindre environ 55 % en 1987. En outre, comme le relève la Commission, la part de marché détenue par Tetra Pak devançait, à elle seule, de 10 à 15 % les parts réunies de ses deux principaux concurrents, dont le premier était environ deux fois moins important et le second cinq fois moins important que la requérante. Il en résulte que la Commission a pu souligner à bon droit, dans la décision (point 99), que de telles parts de marché auraient pu être considérées à elles seules comme constitutives d'une position dominante.
120 S'agissant, ensuite, des liens de connexité allégués entre les marchés concernés, il est constant qu'ils résultent de l'identité des produits-clés au conditionnement desquels servent les cartons tant aseptiques que non-aseptiques, ainsi que du comportement des producteurs et des utilisateurs. En effet, les machines et les cartons tant aseptiques que non-aseptiques, en cause en l'espèce, sont utilisés pour le conditionnement des mêmes produits liquides destinés à l'alimentation humaine, principalement les produits laitiers et les jus de fruits. En outre, une grande partie des clients de Tetra Pak opère à la fois dans le secteur aseptique et dans le secteur non-aseptique. Dans ses observations écrites formulées en réponse à la communication des griefs, confirmées dans ses observations écrites devant le Tribunal, la requérante a ainsi précisé qu'en 1987 environ 35 % de ses clients s'étaient portés acquéreurs à la fois de systèmes aseptiques et de systèmes non-aseptiques. Par ailleurs, la Commission a relevé, à juste titre, que le comportement des principaux producteurs de systèmes de conditionnement dans des cartons confirmait le lien existant entre les marchés aseptiques et non-aseptiques, dans la mesure où deux d'entre eux, Tetra Pak et PKL, sont déjà présents sur les quatre marchés et le troisième, Elopak, qui est bien implanté dans le secteur non-aseptique, tente depuis longtemps d'accéder aux marchés aseptiques.
121 Il s'ensuit que la Commission a constaté à bon droit que les liens susvisés entre les deux marchés aseptiques et les deux marchés non-aseptiques renforçaient la puissance économique de Tetra Pak sur ces derniers. En effet, la détention par Tetra Pak de près de 90 % des marchés dans le secteur aseptique faisait d'elle, pour les entreprises produisant à la fois des liquides alimentaires frais et longue conservation, non seulement un fournisseur obligé de systèmes aseptiques, mais également un fournisseur privilégié de systèmes non-aseptiques. En outre, grâce à son avance technologique et à son quasi-monopole dans le secteur aseptique, Tetra Pak était en mesure de concentrer ses efforts, en matière de concurrence, sur les marchés voisins non-aseptiques, où elle était déjà bien implantée, sans craindre de ripostes dans le secteur aseptique, ce qui lui permettait de bénéficier d'une indépendance de comportement à l'égard des autres opérateurs économiques également sur les marchés non-aseptiques.
122 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que, dans le contexte de la présente espèce, les pratiques mises en œuvre par Tetra Pak sur les marchés non-aseptiques sont susceptibles de relever de l'article 86 du traité, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'une position dominante sur ces marchés pris isolément, dans la mesure où la prééminence de cette entreprise sur les marchés non-aseptiques, combinée avec les liens de connexité étroits entre ces marchés et les marchés aseptiques, conférait à Tetra Pak une indépendance de comportement par rapport aux autres opérateurs économiques présents sur les marchés non-aseptiques, de nature à justifier sa responsabilité particulière, au titre de l'article 86, dans le maintien d'une concurrence effective et non faussée sur ces marchés.
123 Il résulte de tout ce qui précède que la première branche du troisième moyen invoqué par la requérante doit être rejetée.
II - En ce qui concerne les abus
124 La requérante soutient que les contrats conclus avec ses clients ne contenaient pas de clauses abusives (A). Elle rejette également l'allégation selon laquelle elle aurait pratiqué des prix éliminatoires sur les cartons Tetra Rex en Italie (B). Par ailleurs, elle n'aurait pas vendu ses machines et ses cartons à des prix discriminatoires à l'égard des utilisateurs établis dans des États membres différents (C). En outre, elle n'aurait pas vendu ses machines à des prix éliminatoires au Royaume-Uni (D). Enfin, les prix de ses machines et les pratiques ponctuelles incriminés en Italie n'auraient pas présenté de caractère abusif (E).
A - Les clauses d'exclusivité et les autres clauses contractuelles litigieuses
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
125 La requérante soutient que ni l'obligation d'utiliser uniquement des cartons Tetra Pak sur ses machines [clause (ix)] ni l'obligation d'approvisionnement exclusif en cartons auprès de Tetra Pak [clauses (x) et (xxv)] ne pouvaient être considérées comme des ventes liées constitutives d'un abus. Tant par leur nature que selon les usages commerciaux, au sens de l'article 86, sous d), du traité, les équipements de conditionnement commercialisés par Tetra Pak seraient des systèmes complets et indissociables, incluant la machine, le matériau d'emballage, la formation et le service après-vente.
126 La requérante fait valoir que la commercialisation de systèmes de conditionnement complets était objectivement justifiée par le souci de protéger la santé publique et, ce faisant, sa réputation, grâce à la maîtrise exclusive de la totalité du processus de conditionnement. En effet, les cartons seraient des emballages beaucoup plus sophistiqués que les emballages traditionnels, tels que les bouteilles, ce qui impliquerait un risque important d'erreurs techniques susceptibles de provoquer des troubles graves dans les milieux vulnérables de la population. C'est la raison pour laquelle les clauses litigieuses auraient été justifiées, même pour les machines non-aseptiques acquises par Tetra Pak auprès de Nimco et Cherry Burrel, qui devaient être adaptées aux normes de Tetra Pak.
127 La requérante allègue que l'ensemble des producteurs de systèmes de conditionnement en carton au sein de la Communauté fournissaient des systèmes de conditionnement complets. Elopak, à l'origine de la plainte adressée en l'espèce à la Commission, aurait d'ailleurs confirmé devant la Commission qu'il convenait de conclure à un marché unique des machines et des cartons, car ce serait là le mode de concurrence le plus efficace. Cette thèse aurait été admise par la Commission elle-même, au point 24 de la décision Tetra Pak I. En outre, en estimant, au point 180 de la décision, qu'une vente liée était justifiée dans certaines circonstances, la défenderesse aurait reconnu qu'une telle vente n'est pas illicite en soi.
128 Dans ces conditions, la requérante fait grief à la Commission d'avoir condamné les clauses d'approvisionnement exclusif en tant que telles, sans examiner si elles ont eu des effets réels sur la concurrence. En particulier, rien ne prouverait qu'un client aurait souhaité acquérir des cartons aseptiques chez un concurrent de Tetra Pak. Ceci serait confirmé par la situation aux États-Unis d'Amérique, où aucune clause de vente liée ne serait stipulée dans les contrats de Tetra Pak et où la réglementation assurerait la protection de la santé. Or, dans ce pays, les conditionneurs n'auraient jamais utilisé, pour les machines de remplissage Tetra Pak, des emballages fournis par des tiers.
129 Plus généralement, la requérante soutient qu'aucune des 27 clauses mentionnées dans la décision ne présentait de caractère abusif. Elle fait valoir que, contrairement aux allégations de la Commission, ces clauses ne s'inscrivaient pas dans une stratégie commerciale anticoncurrentielle systématique et délibérée, dans l'ensemble de la Communauté. Sous cet aspect, la requérante souligne que son système de production et de distribution autonome constitue un mode d'organisation légitime et ne permet pas de présumer une stratégie de cloisonnement des marchés. De même, les critiques de la Commission à l'égard de sa politique de brevets seraient dénuées de fondement.
130 Parmi les clauses identifiées par la Commission, seules deux, les clauses (iv), relative à l'exclusivité pour l'entretien et les réparations, et (ix), susvisée, auraient figuré dans les contrats standards dans chacun des douze États membres. L'ensemble des 27 clauses n'aurait figuré dans tous les contrats que dans un seul pays, l'Italie. En outre, il résulterait clairement des points 25 à 45 de la décision, énumérant les clauses en question, que celles-ci présentaient un certain nombre de différences, dans leur formulation, selon les États membres. Par ailleurs, seules les douze clauses examinées ci-dessous seraient apparues dans au moins dix États membres, y compris les quatre États offrant le marché géographique le plus étendu.
131 A cet égard, la requérante fait valoir que les clauses par lesquelles elle s'assurait l'exclusivité en matière de modification, d'entretien et de remplacement des pièces détachées et se réservait les droits de propriété intellectuelle sur tous perfectionnements ou modifications techniques apportés au matériel, comme les clauses (ii), (iv), (v) et (viii), se justifiaient pour des raisons de sécurité et d'efficacité. Quant aux clauses (xiii), (xiv) et (xix), permettant à Tetra Pak de contrôler les opérations commerciales des locataires ou acquéreurs de ses machines, elles exprimeraient le souci, normal et raisonnable pour un commerçant, de veiller au fonctionnement efficace de son entreprise. La clause (xx), figurant seulement dans les contrats de location et excluant la cession de bail et la sous-location, serait une clause normale dans les contrats de ce type. Les clauses (xxi) et (xxii), prévoyant la facturation d'un "loyer de base" et de charges locatives mensuelles dont le montant variait en fonction du nombre de cartons utilisés, n'auraient pas fait obstacle à l'acquisition, auprès d'autres fournisseurs, de cartons destinés à être utilisés sur d'autres machines que celles de Tetra Pak. Enfin, pour ce qui est de la durée du bail, la requérante relève que les griefs de la Commission s'appliquent uniquement au marché italien. Elle fait observer que, même en Italie, bien que la durée normale du bail eût été de neuf ans, le preneur avait la faculté d'y mettre fin à tout moment, moyennant un préavis d'un an.
132 La Commission soutient, pour sa part, que la vente liée de machines et de cartons constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86, sous d), du traité. En effet, il existerait des preuves évidentes que les cartons non-aseptiques pouvaient être utilisés sur des machines de marque différente. Dans le secteur aseptique, les obstacles techniques à l'accès au marché des cartons, résultant de certaines différences techniques entre les procédés de conditionnement aseptique et non-aseptique, n'auraient pas été insurmontables, compte tenu de l'existence de certaines similitudes entre ces procédés. Dans ces conditions, les justifications invoquées par la requérante ne permettraient pas de reconnaître un caractère légitime aux clauses de vente liée incriminées. Quant aux autres clauses contractuelles, elles auraient visé, une fois réalisée l'opération de vente, à rendre les clients totalement dépendants de Tetra Pak pendant toute la durée de vie de la machine, ce qui aurait exclu toute possibilité de concurrence au niveau des cartons et des produits annexes.
133 Dans ces conditions, la concurrence était uniquement susceptible de jouer réellement au moment de la vente des machines. La requérante aurait ainsi limité artificiellement la concurrence au terrain sur lequel son avance technologique est la plus grande et où les barrières à l'entrée sont, de ce fait, plus élevées. En outre, sa politique contractuelle lui aurait permis de réaliser la quasi-totalité de ses bénéfices sous la forme de rentes résultant de la vente des cartons.
Appréciation du Tribunal
134 En ce qui concerne les clauses standard imposant d'utiliser uniquement des cartons Tetra Pak sur les machines vendues par cette entreprise [clause (ix)] et de s'approvisionner en cartons exclusivement auprès de Tetra Pak ou d'un fournisseur désigné par elle [clauses (x) et (xxv)], le Tribunal relève, d'abord, que la requérante ne conteste pas la matérialité des faits incriminés. Elle reconnaît, en particulier, que la clause (ix) a été insérée, durant la période de référence, dans l'ensemble des contrats de vente ou de location de machines conclus avec les utilisateurs de ses systèmes de conditionnement. Quant à la clause (x), il ressort de la réponse de la requérante à une question écrite du Tribunal qu'elle figurait dans tous ses contrats de vente de machines. Dans les six États membres où Tetra Pak vendait des machines, une telle clause d'approvisionnement exclusive était également insérée dans les contrats de fourniture des cartons, selon les pièces du dossier. En outre, la Commission a indiqué, en réponse à une question écrite du Tribunal, sans être contredite par la requérante, que les contrats de location de machines contenaient une clause de fourniture exclusive de cartons auprès de la filiale locale de Tetra Pak.
135 Par ailleurs, le Tribunal estime que la Commission a constaté, à juste titre, dans la décision, que les 24 autres clauses contractuelles litigieuses [clauses (i) à (viii), (xi) à (xxiv), (xxvi) et (xxvii)] concouraient à une stratégie globale visant à rendre, une fois réalisée l'opération de vente ou de location des machines, le client totalement dépendant de Tetra Pak pendant toute la durée de vie de ces machines, excluant ainsi notamment toute possibilité de concurrence au niveau tant des cartons que des produits annexes. Leur impact sur la concurrence doit donc être examiné en liaison avec les clauses (ix), (x) et (xxv), susvisées, qui étaient destinées à rendre le marché des cartons entièrement captif de celui des machines et dont elles renforçaient et complétaient l'effet d'éviction. En outre, il y a lieu de relever que ces autres clauses pourraient être considérées comme abusives en elles-mêmes, dans la mesure où elles avaient notamment pour objet, selon le cas, de subordonner la vente des machines et des cartons à l'acceptation de prestations supplémentaires de nature différente, comme les services d'entretien et de réparation et la fourniture des pièces de rechange; d'accorder des remises, notamment sur les frais d'assistance, d'entretien et de mise à jour des machines, ou sur une partie du loyer, en fonction du nombre de cartons utilisés, de manière à inciter les clients à s'approvisionner en cartons auprès de Tetra Pak; et, enfin, d'instituer un contrôle de Tetra Pak sur l'activité de ses clients et de lui réserver la propriété exclusive de tous les perfectionnements ou modifications techniques apportés aux cartons par leurs utilisateurs.
136 Après avoir établi que les clauses incriminées concouraient toutes à la réalisation du même objectif, il convient de vérifier si, comme le soutient la requérante, le système de vente liée qui en résultait était objectivement justifié, au regard des usages commerciaux et de la "nature" même des produits en cause, au sens de l'article 86, sous d), du traité.
137 Cette argumentation de la requérante ne saurait être accueillie. En effet, pour les motifs déjà exposés par le Tribunal (voir, ci-dessus, point 82), il n'y a pas lieu de considérer que la vente liée des machines de remplissage et des cartons est conforme aux usages commerciaux. En outre et en toute hypothèse, à supposer même qu'un tel usage soit établi, il ne suffirait pas à justifier le recours au système de vente liée par une entreprise en position dominante. Un usage même acceptable en situation normale, sur un marché concurrentiel, ne saurait être admis dans le cas d'un marché où la concurrence est déjà restreinte. A cet égard, la Cour a notamment jugé que, pour une entreprise occupant une position dominante, le fait de lier directement ou indirectement ses clients par une obligation d'approvisionnement exclusif constitue un abus dans la mesure où elle prive le client du choix de ses sources d'approvisionnement et barre l'accès du marché aux autres producteurs (voir les arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, précité, points 89 et 90, Akzo/Commission, précité, point 149, et BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, point 68).
138 Quant à la justification essentielle invoquée par Tetra Pak, relative à la nature intégrée et indissociable de ses systèmes de conditionnement, du point de vue économique, le Tribunal a également déjà constaté, dans le cadre de ses développements relatifs à la définition des marchés concernés (voir, ci-dessus, points 83 et 84), qu'elle ne résistait pas à l'examen. En effet, les considérations d'ordre technique, de responsabilité au niveau des produits, de protection de la santé publique et de protection de sa réputation, avancées par Tetra Pak, doivent être appréciées à la lumière des principes consacrés dans l'arrêt du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, précité, (point 118), dans lequel, le Tribunal a jugé qu'"il n'(appartenait) manifestement pas à une entreprise en position dominante de prendre, de sa propre initiative, des mesures destinées à éliminer des produits qu'elle considère, à tort ou à raison, comme dangereux, ou à tout le moins d'une qualité inférieure à ses propres produits".
139 Dans la présente espèce, la fiabilité de l'équipement de conditionnement pour les laiteries et autres utilisateurs et le respect des normes sanitaires à l'égard du consommateur final pouvaient être assurés par la divulgation, auprès des utilisateurs de machines Tetra Pak, de l'ensemble des spécifications techniques relatives aux cartons à utiliser sur ces équipements, sans qu'il soit porté atteinte aux droit de propriété industrielle et commerciale de la requérante. A cet égard, il y a d'ailleurs lieu de relever que, dans le cadre des mesures qui lui sont imposées dans la décision pour faire cesser l'infraction, la Commission ordonne à Tetra Pak de communiquer à ses clients acheteurs ou locataires d'une machine les spécifications auxquelles doivent répondre les cartons d'emballage pour pouvoir être utilisés sur ses machines. En outre et en tout état de cause, à supposer même que l'utilisation de cartons d'une autre marque sur des machines Tetra Pak ait représenté un danger, il incombait à la requérante d'utiliser les possibilités que lui offrait la législation nationale pertinente dans les divers États membres.
140 Dans ces conditions, il apparaît clairement que les clauses de vente liée et les autres clauses visées dans la décision dépassaient l'objectif affiché et avaient pour objet de renforcer la position dominante de Tetra Pak en accentuant la dépendance économique de ses clients à son égard. Ces clauses étaient donc dépourvues de tout caractère raisonnable dans le cadre de la protection de la santé publique, et excédaient également le droit reconnu à une entreprise en position dominante de protéger ses intérêts commerciaux (voir, pour ce qui est du second aspect, l'arrêt United Brands/Commission, précité, point 189). Considérées isolément ou dans leur ensemble, elles présentaient un caractère inéquitable.
141 Il en résulte que la Commission a établi à suffisance de droit que l'ensemble des clauses susvisées présentait un caractère abusif.
B - Les prix des cartons Tetra Rex prétendument éliminatoires en Italie
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
142 La requérante soutient que les prix qu'elle a pratiqués de 1976 à 1982, en Italie, sur ses cartons non-aseptiques Tetra Rex, ne présentaient pas de caractère éliminatoire à l'égard des concurrents. Ces prix se seraient justifiés par les conditions de la concurrence prévalant sur le marché italien et, en particulier, par la lutte commerciale acharnée entre Tetra Pak et Elopak, lors du lancement des cartons Tetra Rex, destinés à concurrencer les cartons Pure-Pak, produits par Elopak et déjà bien implantés sur le marché.
143 A cet égard, la requérante conteste que la fixation de prix largement au-dessous non seulement de leur prix de revient, mais également de leur coût variable direct moyen, s'opposait à toute rationalité économique autre que celle s'inscrivant dans une stratégie d'éviction. Elle fait valoir que l'arrêt Akzo/Commission, précité (point 71), ne saurait être interprété comme interdisant à une entreprise en position dominante de pratiquer des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables. Il incomberait à la Commission de prouver, en premier lieu, l'existence d'une intention éliminatoire. En second lieu, comme l'a précisé la requérante lors de l'audience, en se fondant sur l'arrêt de la Supreme Court des États-Unis du 21 juin 1993, Brooke Group v. Brown & Williamson Tobacco (n 92-466), des ventes à perte ne seraient susceptibles de présenter un caractère éliminatoire que lorsque l'entreprise en cause peut raisonnablement espérer récupérer, par la suite, les pertes ainsi consenties.
144 En l'espèce, la requérante estime qu'aucune des deux conditions susvisées n'était réunie. Contrairement aux allégations de la Commission, les rapports du conseil d'administration de Tetra Pak Italiana pour 1979 et 1980 ne révéleraient aucune intention éliminatoire. En outre, la requérante a fait valoir, au cours de l'audience, que, le marché des cartons non-aseptiques étant un marché concurrentiel, elle ne pouvait raisonnablement espérer récupérer, à long terme, les pertes consenties sur la vente de ses cartons Tetra Rex.
145 De surcroît, la requérante allègue que ses pratiques en matière de prix des cartons Tetra Rex, en Italie, n'ont pas produit d'effet éliminatoire. Ces pratiques n'auraient pas entraîné d'augmentation significative de sa part de marché globale. A l'inverse, durant la période considérée, Elopak a plus que doublé sa part de marché.
146 La Commission soutient, pour sa part, que Tetra Pak a fixé les prix des cartons Tetra Rex en Italie à un niveau destiné à évincer ses concurrents, en recourant au financement croisé de ses produits, grâce à la position dominante qu'elle détenait sur le marché aseptique. Elle allègue que, selon le raisonnement suivi par la Cour dans l'arrêt Akzo/Commission, précité, l'existence de marges brutes largement négatives de 1976 à 1982 suscite au moins une présomption d'intention éliminatoire. Cette stratégie d'éviction visant à conquérir le marché italien du conditionnement non-aseptique serait confirmée par toute une série d'éléments, tels que les différences de prix entre, d'une part, les cartons Tetra Rex vendus en Italie et dans les autres pays de la Communauté et, d'autre part, les cartons Tetra Rex et les cartons d'Elopak, lesquelles seraient passées de quelques pour cent en 1976 à 30 % et plus en 1980/1981, alors que les pertes enregistrées sur les cartons Tetra Rex augmentaient. Cette stratégie ressortirait également des rapports du conseil d'administration de Tetra Pak Italiana en 1979 et en 1980. Elle aurait entraîné, dans un premier temps, un ralentissement de la croissance, puis une chute des ventes d'Elopak.
Appréciation du Tribunal
147 Il y a lieu de rappeler, liminairement, que, si l'on peut admettre qu'une entreprise en position dominante pratique des ventes à perte dans certaines conditions, tel ne saurait manifestement être le cas lorsque ces ventes présentent un caractère éliminatoire. En effet, alors que le droit communautaire de la concurrence reconnaît dans une mesure raisonnable le droit d'une entreprise en position dominante de préserver ses intérêts commerciaux, il n'admet pas qu'elle accomplisse des actes ayant précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser (arrêt United Brands/Commission, précité, point 189). En particulier, l'article 86 du traité interdit à une entreprise en position dominante d'éliminer un concurrent en pratiquant une concurrence par les prix qui ne relève pas d'une concurrence par les mérites (arrêt Akzo/Commission, précité, point 70).
148 Au regard de ces principes, l'existence de marges brutes ou de marges semi-brutes - obtenues en soustrayant du prix de vente les coûts variables directs ou les coûts variables moyens, entendus comme les coûts afférents à l'unité produite - négatives permet de présumer le caractère éliminatoire d'une pratique de prix. En effet, comme l'a jugé la Cour dans l'arrêt Akzo/Commission, précité (point 71), une entreprise en position dominante n'a aucun intérêt à pratiquer des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire de ceux qui varient en fonction des quantités produites), si ce n'est celui d'éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique, puisque chaque vente entraîne pour elle une perte s'élevant à la totalité des coûts fixes (c'est-à-dire de ceux qui restent constants quelles que soient les quantités produites) et une partie, au moins, des coûts variables afférents à l'unité produite.
149 En outre, la Cour a jugé, dans l'arrêt Akzo/Commission, que, si la marge nette est négative et la marge brute positive, c'est-à-dire si les prix sont inférieurs à la moyenne des coûts totaux (comprenant les coûts fixes et les coûts variables), mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, ces prix doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent. La durée de telles pratiques de prix dans le cadre d'un plan ayant pour but de nuire à un concurrent constitue alors un élément à prendre en considération (points 72, 140 et 146).
150 Dans la présente espèce, l'examen de la comptabilité analytique de Tetra Pak en ce qui concerne les cartons Tetra Rex, en Italie, révèle une marge nette très largement négative (variant de - 11,4 % à - 34,4 %) de 1976 à 1982 et une marge brute très largement négative (variant de - 9,8 % à - 33,8 %) de 1976 à 1981. La vente des cartons Tetra Rex constamment en-deçà non seulement de leur prix de revient, mais également de leur coût variable direct démontre à suffisance de droit que la requérante a appliqué une politique d'éviction, de 1976 à 1981. En effet, par leur ampleur et leur nature même, de telles pertes, qui ne sauraient obéir à aucune rationalité économique autre que celle d'évincer Elopak, avaient incontestablement pour objet de renforcer la position de Tetra Pak sur les marchés des cartons non-aseptiques, où elle occupait déjà une position prééminente, ainsi qu'il a déjà été jugé (voir ci-dessus, points 118 à 121), affaiblissant ainsi la concurrence sur ces marchés. Contrairement aux allégations de la requérante, de tels comportements présentaient, dès lors, un caractère abusif au sens de l'article 86 du traité, conformément à une jurisprudence bien établie (voir ci-dessus, point 114), sans qu'il soit nécessaire d'établir, de manière spécifique, que l'entreprise en cause pouvait raisonnablement escompter récupérer les pertes ainsi consenties.
151 Il en est de même en ce qui concerne l'année 1982, au cours de laquelle la marge nette a été de - 11,4 %. En effet, toute une série d'indices sérieux et concordants permet d'établir l'existence d'une intention éliminatoire. Cette intention d'éviction ressort en particulier de la durée, de la constance et de l'ampleur des ventes à perte opérées au cours de l'ensemble de la période s'étendant de 1976 à 1982. De plus, l'existence d'un plan ayant pour but d'éliminer Elopak, en Italie, est attestée par les données comptables faisant apparaître que la requérante, qui ne produisait pas de cartons Tetra Rex en Italie de 1976 à 1980, les a importés pour les revendre dans ce pays à des prix inférieurs de 10 à 34 % de leur prix d'achat. Sous cet aspect, la Commission a, en particulier constaté, comme en attestent certains documents relatifs à des commandes, sans être démentie sur ce point par la requérante, que cette dernière revendait, en Italie, à des prix inférieurs de 17 à 29 % à leur prix d'achat, des cartons Rex importés de Suède. Plus généralement, il y a également lieu de tenir compte de ce que les prix des cartons Tetra Rex, vendus en Italie, étaient inférieurs de 20 % au moins et souvent de 50 % aux prix pratiqués dans les autres États membres, ce que ne conteste pas la requérante. De surcroît, la présomption selon laquelle il existait une intention éliminatoire est cohérente avec les rapports du conseil d'administration de Tetra Pak Italiana de 1979 à 1980, évoquant la nécessité de consentir des sacrifices financiers importants en matière de prix et de conditions de fourniture pour lutter contre la concurrence, en particulier celle du Pure-Pak. A cet égard, il convient de relever que l'analyse des différences de prix entre les cartons Tetra Rex et les cartons Pure-Pak, concurrents sur le marché italien, montre que, contrairement à ses affirmations, Tetra Pak n'a jamais suivi les prix appliqués par Elopak, mais a, à l'inverse, accru l'écart des prix face aux majorations pratiquées par Elopak. Comme le souligne la Commission, cet écart est passé de quelques pour cent dans les années 1976 à 1978 à 30 % et plus en 1980/1981, alors même que les pertes enregistrée sur les cartons Tetra Rex augmentaient. Enfin, la mise en œuvre d'une stratégie éliminatoire est également confirmée par l'augmentation des ventes de cartons Tetra Rex en Italie et le ralentissement corrélatif de la croissance des ventes de cartons d'Elopak, durant une période d'expansion du marché, puis leur déclin, à partir de 1981.
152 Il en résulte que la Commission a établi, à suffisance de droit, que les prix des cartons Tetra Rex vendus en Italie, de 1976 à 1982, présentaient un caractère éliminatoire.
C - Les prix des machines et des cartons prétendument discriminatoires entre les différents États membres
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
153 La requérante soutient que les grandes disparités de prix des machines, de 1984 à 1986, ainsi que des cartons, de 1978 à 1984, entre les États membres, ne présentaient pas un caractère discriminatoire. A cet égard, l'approche de la Commission, qui a procédé à l'examen séparé du prix des machines et de celui des cartons, serait inexacte, dans son principe. Il existerait une certaine corrélation entre le prix de la machine et celui des cartons, liée à la concurrence sur le marché local, de sorte que le critère déterminant serait le coût du système dans son ensemble. L'équilibre entre les prix des machines et des cartons varierait selon les États membres.
154 En tout état de cause, même en admettant l'examen séparé du prix des machines et des cartons, la Commission n'aurait pas apporté la preuve de discriminations illicites par les prix entre les divers États membres. La seule conclusion valable se dégageant des données produites par la Commission, tant pour les machines que pour les cartons, serait que les prix étaient toujours plus bas dans un État membre, à savoir l'Italie, qui se serait située en dehors de la tendance générale de la politique des prix suivie par Tetra Pak. Dans les autres États membres, il n'existerait aucune règle discernable.
155 En ce qui concerne plus spécialement le prix des machines tant aseptiques que non-aseptiques, la requérante soutient qu'il est difficile de comparer des barèmes et des prix moyens de vente et de location, comme le fait la Commission. Par ailleurs, cette comparaison serait d'un intérêt faible ou nul puisqu'il serait de pratique courante dans l'industrie d'accorder des rabais sur les machines. En outre, les comparaisons effectuées par la Commission entre les prix pratiqués en Italie, où la consommation de lait UHT est la plus importante, et ceux pratiqués dans des pays où l'on ne vend pratiquement pas de lait UHT, comme la Grèce et l'Irlande, ne permettraient pas d'aboutir à des conclusions valables. De surcroît et en toute hypothèse, les écarts entre le prix des machines dans les divers États membres s'expliqueraient par les différences historiques caractérisant les marchés locaux.
156 Pour ce qui est du prix des cartons aseptiques, la requérante fait valoir que les barèmes de prix sur lesquels se fonde la Commission ne fournissent que des indications très approximatives sur les prix réels, en raison du mélange des divers types de cartons Brik aseptiques et de l'utilisation du prix moyen de ces divers produits dans chaque pays. La requérante estime cependant que ce tableau d'ensemble est assez exact lorsqu'il révèle une convergence de prix en 1984, ceux pratiqués en Italie restant légèrement inférieurs.
157 De plus, la requérante explique que les divers écarts de prix des cartons Tetra Brik aseptiques résultent de l'interaction complexe de facteurs historiques, des conditions des marchés locaux qui varient substantiellement d'un État à l'autre, des structures de l'industrie laitière, des considérations de coûts locales, ainsi que de la politique de Tetra Pak, consistant à accorder une autonomie maximale à ses filiales locales.
158 La Commission soutient, pour sa part, que des discriminations en matière de prix des machines (de 1984 à 1986 au moins) et des cartons (de 1978 à 1984 au moins), entre les États membres, ont été observées dans l'ensemble de la Communauté, même si elles étaient particulièrement remarquables entre l'Italie et les autres États membres.
159 Pour ce qui est de l'évaluation du prix des machines, la Commission rejette la critique afférente à l'absence de prise en compte des rabais sur le prix des machines, lors de la comparaison des prix tirés des tarifs et des prix moyens. Quant au prix des cartons Tetra Brik aseptiques, la Commission estime que les écarts constatés sont trop grands pour qu'ils puissent s'expliquer par les différences matérielles objectives entre les produits invoquées par la requérante. Enfin, les divers facteurs objectifs qui expliqueraient, d'après la requérante, les écarts de prix entre les divers États membres, tant en ce qui concerne les machines que les cartons, auraient été exposés en termes extrêmement généraux, sans être identifiés et sans que leurs effets soient précisés.
Appréciation du Tribunal
160 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que la pratique, par une entreprise en position dominante, de prix discriminatoires à l'égard des utilisateurs établis dans des États membres différents est interdite par l'article 86, sous c), du traité, qui vise les pratiques abusives consistant à "appliquer à l'égard des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence". Dans son arrêt United Brands/Commission, précité, la Cour a précisé quel'article 86 ne s'opposait pas à ce qu'une entreprise en position dominante fixe des prix différents dans les divers États membres, notamment lorsque les écarts de prix se justifient par des variations dans les conditions de la commercialisation et l'intensité de la concurrence. Toutefois, l'entreprise dominante ne se voit reconnaître, dans une mesure raisonnable, que le droit de défendre de la sorte ses intérêts commerciaux. En particulier, elle ne saurait pratiquer des différences artificielles de prix dans les divers États membres, de nature à entraîner un désavantage pour ses clients et à fausser la concurrence, dans le contexte d'un cloisonnement artificiel des marchés nationaux (points 189, 228, 229 et 233).
161 Au vu de ces principes, il convient de vérifier si, dans la présente espèce, la Commission a établi à suffisance de droit les faits sur lesquels elle se fonde pour constater des pratiques de prix discriminatoires entre les États membres.
162 A cette fin, le Tribunal constate, au préalable, que la Commission a comparé, à juste titre, de manière séparée les prix des machines et des cartons, qui relèvent de marchés distincts et doivent être commercialisés séparément, ainsi qu'il a déjà été établi (voir ci-dessus, points 137 à 140). En outre et en toute hypothèse, la requérante ne soutient pas et ne fournit aucun indice permettant de supposer que la comparaison des prix des systèmes complets aurait conduit à un résultat différent de celui obtenu à partir de l'examen séparé du prix des machines et des cartons.
163 En ce qui concerne les trois principaux types de cartons produits par Tetra Pak, la décision indique que la comparaison des prix moyens révèle que "les disparités de prix entre les États membres sont considérables" et qu'"elles sont importantes surtout entre l'Italie et les autres États membres, atteignant facilement 50 % avec un minimum d'environ 20 à 25 % (à quelques exceptions près)". Il convient donc de contrôler, sur la base des données versées au dossier, relatives aux prix moyens des divers types de cartons dans six États membres, à savoir, la Belgique, le Danemark, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, de 1981 à 1984, si les différences de prix étaient d'une ampleur telle qu'elles permettaient d'établir, dans les circonstances de l'espèce, leur caractère discriminatoire.
164 A cet égard, le Tribunal constate que, sauf pour le Danemark, où les prix dépassaient ceux pratiqués en Italie d'environ 14 %, en moyenne, de 1981 à 1984, les différences de prix moyens les plus fréquentes pour les cartons Tetra Brik aseptiques s'échelonnaient de 40 à 60 %, voire à 70 %. Pour les cartons Tetra Rex, les écarts dépassaient le plus souvent 20 à 25 % et atteignaient dans certains cas 50 % du prix moyen. Quant aux cartons Tetra Brik non-aseptiques, ils étaient vendus dans quatre des autres États membres susvisés, à des prix moyens de 20 à 30 % supérieurs à ceux pratiqués en Italie et, aux Pays-Bas, de 20 % inférieurs en 1984. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de conclure que, contrairement aux allégations de la requérante, des écarts entre les prix moyens s'échelonnant, en 1984, de 20 à 37 % pour les divers types de cartons, ne sauraient être l'expression d'une convergence. La Commission a donc considéré, à bon droit, que des écarts de prix moyens d'une telle ampleur, de 1984 à 1986, ne pouvaient s'expliquer par des différences matérielles entre les différentes tailles de cartons d'un même type ou par l'absence d'uniformité des quantités moyennes à la commande.
165 De plus, l'existence d'écarts de prix importants dans les divers États membres, de 1978 à 1984, est attestée par les chiffres tirés des listes de prix des cartons Tetra Rex et Tetra Brik non-aseptiques, indiqués en annexe à la décision et non contestés par la requérante. Dans ces conditions, eu égard au caractère marginal des coûts de transport et à la stabilité des cours mondiaux des matières premières, en l'occurrence le carton, intervenant pour plus de 70 % dans le prix de revient des cartons, le Tribunal estime que les différences de prix constatées ne pouvaient se justifier par des facteurs économiques objectifs et qu'elles présentaient, dès lors, un caractère discriminatoire.
166 En ce qui concerne les machines, il convient de comparer les prix de vente et les prix de "location" pratiqués dans les divers États membres. A cette fin, il est à noter, liminairement, que, d'après les éléments du dossier, il est possible d'apprécier le niveau des prix de "location" sur la base des seuls droits initiaux de location, dans la mesure où la somme des loyers actuels et futurs ne représente qu'une part marginale de ces droits initiaux, ce que la requérante ne conteste pas. En outre, les tableaux annexés à la décision, relatifs, d'une part, aux prix de vente des machines dans quatre États membres, à savoir la Grèce, l'Espagne, l'Irlande et l'Italie, et, d'autre part, aux prix de "location" dans sept autres États membres ainsi qu'en Irlande, confirment d'ailleurs, en ce qui concerne le seul État où ont été indiqués aussi bien les prix de vente que de "location", que ceux-ci sont très proches.
167 Au vu des constatations de fait établies au point précédent, il y a lieu de vérifier, d'abord, si, pour les principaux types de machines commercialisées par Tetra Pak, les prix de vente et les droits initiaux de location présentaient, de 1984 à 1986, des variations importantes d'un État membre à l'autre, et de rechercher, dans un second temps, si les éventuelles disparités constatées étaient justifiées par les conditions objectives du marché.
168 Premièrement, la comparaison des prix, sur la base des prix moyens et des prix provenant de listes de prix, mentionnés en annexe à la décision et non contestés par la requérante, fait apparaître des écarts importants pour les machines Tetra Brik aseptiques, s'échelonnant de 40 % à 100 %, voire plus, pour six modèles de machines Tetra Brik aseptiques sur sept. Les disparités de prix étaient encore plus accentuées en ce qui concerne les machines Tetra Rex et Tetra Brik non-aseptiques, pour lesquelles les prix variaient, de 1984 à 1986, pour un même modèle, du simple au double, voire plus, selon les pays, les écarts de prix atteignant même plus de 400 %, en 1986, pour certaines machines Tetra Rex.
169 Il s'ensuit que la Commission a suffisamment prouvé l'existence de variations de prix considérables, entre les États membres, pour les machines tant aseptiques que non-aseptiques, durant une période d'une ou plusieurs années, variable selon les types de machines, de 1984 à 1986.
170 Deuxièmement, le Tribunal constate que les disparités de prix ainsi relevées ne pouvaient s'expliquer par les conditions objectives du marché. Dans la présente espèce, les différences sensibles de prix des machines et des cartons constatées sont intervenues dans le cadre d'un cloisonnement des marchés nationaux par les clauses contractuelles de vente liée, renforcé par le système de production et de distribution autonome de Tetra Pak, ainsi que par le quasi-monopole du groupe sur les marchés aseptiques dans la Communauté. Dans ces conditions, il est manifeste que ces différences de prix ne pouvaient résulter du jeu normal de la concurrence et étaient pratiquées au détriment des conditionneurs. A cet égard, les justifications invoquées par la requérante sont privées de toute vraisemblance. En particulier, l'argument relatif à la spécificité des conditions des marchés locaux est démenti, comme le souligne la Commission, par la détermination d'un marché géographique unique englobant l'ensemble de la Communauté, du fait, notamment, du caractère marginal des coûts de transport.
171 Quant à la politique de commercialisation autonome des filiales alléguée par la requérante, à supposer qu'elle soit réelle, elle s'inscrit néanmoins dans le cadre d'une stratégie d'ensemble de cloisonnement des marchés. Une telle stratégie peut être déduite des politiques mises en œuvre par Tetra Pak notamment en matière contractuelle, dans l'ensemble de la Communauté. En outre, l'existence d'un plan d'ensemble résulte également de divers documents produits par la Commission à la demande du Tribunal et qui ont été échangés entre le groupe Tetra Pak et sa filiale Tetra Pak Italiana. Ces documents sont mentionnés aux points 77 à 83 de la décision.
172 Enfin, l'argument de Tetra Pak, qui ne conteste pas les chiffres mentionnés aux annexes susvisées, selon lequel l'examen du prix des systèmes de conditionnement dans leur ensemble, comprenant les machines et les cartons, aurait abouti à des résultats différents, ne saurait être accueilli, dans la mesure où il n'est pas étayé par des éléments de preuve permettant de combattre utilement les conclusions auxquelles est parvenue la Commission. De même, contrairement aux allégations de la requérante, il n'y a pas lieu de considérer que l'absence de prise en compte des rabais, accordés sur le prix des machines était susceptible de fausser la comparaison des prix opérée par la Commission, dans la mesure où la requérante ne conteste pas que de tels rabais ont été accordés dans l'ensemble des États membres, y compris dans ceux, comme l'Italie, où les prix étaient déjà particulièrement bas.
173Il découle de l'ensemble de ces considérations que la Commission a établi, à suffisance de droit, la pratique de prix discriminatoires au sens de l'article 86, sous c), du traité, entre les États membres, de 1984 à 1986 en ce qui concerne les machines tant aseptiques que non-aseptiques et les cartons aseptiques, et de 1978 à 1984 au moins en ce qui concerne les cartons non-aseptiques.
D - Les prix des machines prétendument éliminatoires au Royaume-Uni
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
174 La requérante conteste le caractère abusif de sa politique relative aux prix de vente et de location des machines, au Royaume-Uni, de 1981 à 1984. Elle rappelle, au préalable, que, en raison de la consommation insignifiante de lait UHT, il ne saurait être question de financements croisés entre ce secteur et celui du lait pasteurisé, représentant plus de 90 % du très important marché du lait au Royaume-Uni. De plus, et en toute hypothèse, une subvention croisée n'aurait pas constitué, en soi, une infraction à l'article 86, du traité. Elle se serait justifiée, en l'espèce, par l'intensité de la concurrence en matière de prix sur les marchés non-aseptiques, où le lait serait traditionnellement livré à domicile dans des bouteilles en verre.
175 Pour démontrer qu'elle n'a pas pratiqué de prix prédatoires, la requérante soutient que la relation entre ses coûts et ses prix ne permet pas d'établir l'existence d'une intention éliminatoire et qu'aucun effet éliminatoire n'a été constaté.
176 La requérante fait valoir, en premier lieu, que les constatations relatives à la rentabilité de ses machines, effectuées par la Commission sur la base de sa comptabilité, ne permettent pas d'établir la pratique de prix éliminatoires. Elle réitère, d'abord, l'argument selon lequel le niveau de prix des machines ne saurait être évalué séparément de celui des cartons. En outre, les chiffres relatifs aux prix des machines, sur lesquels s'appuie la Commission, seraient privés de pertinence. En effet, ils incluraient principalement les données relatives aux machines aseptiques destinées au conditionnement des jus de fruits, lesquels constituent, au Royaume-Uni, la part la plus importante des machines aseptiques, mais n'entrent pas, d'après la requérante, dans la définition des marchés des produits concernés.
177 De plus, la requérante soutient que, pour établir l'existence d'un abus, lorsque les prix sont inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, il incombe à la Commission de prouver une pratique systématique et prolongée de prix inférieurs aux coûts.
178 Dans la présente espèce, la requérante fait valoir que les niveaux des marges semi-brutes, sur lesquelles se fonde la décision (points 56 et 157 et annexe 3.4) ne permettent pas de présumer, à elles seules, l'existence d'un abus. Elle allègue qu'en 1981 et en 1982 les prix pratiqués par Tetra Pak étaient supérieurs, en moyenne, à la fois aux coûts variables directs et aux coûts variables indirects. En 1983 et en 1984, le niveau du déficit en termes de marge semi-brute au Royaume-Uni aurait été insuffisant pour distinguer la situation britannique de celle des Pays-Bas en 1984 et de la France en 1982, où des marges brutes négatives ont été enregistrées et où la Commission a constaté que l'on ne saurait tirer de conclusions définitives pour ces deux pays. Il n'existerait pas non plus de différence sensible entre le niveau des marges nettes au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en France et en Allemagne.
179 En outre, la Commission n'aurait pas procédé à une analyse systématique de toutes les offres, comme dans l'affaire Akzo/Commission, précitée. Elle se serait limitée à constater des ventes à perte "presque systématiques", en se fondant sur l'analyse de marges globales. Au vu de l'ensemble de ces circonstances, la requérante estime que la Commission n'a pas apporté la preuve d'une stratégie éliminatoire, laquelle ne saurait, à son avis, être induite à partir des statistiques, susvisées, portant sur la marge annuelle, et du simple caractère délibéré de sa politique de prix, dans un contexte concurrentiel.
180 En second lieu, la requérante soutient que la Commission n'a pas établi que ses pratiques de prix avaient produit un effet éliminatoire. Elle fait remarquer que non seulement il n'y a pas eu élimination des autres producteurs de systèmes de conditionnement, mais que PKL a accru sa part de marché même dans le secteur UHT. Sur le marché du lait pasteurisé, le rythme de croissance de Tetra Pak aurait été inférieur à celui des cartons en général. L'augmentation, proportionnellement plus forte, des ventes de machines au Royaume-Uni, de 1981 à 1984, serait principalement due à l'augmentation de la consommation des jus de fruits et à la croissance de Tetra Pak dans le secteur pasteurisé. Cette croissance se serait réalisée aux dépens des producteurs de bouteilles en verre et non pas aux dépens des autres fabricants de systèmes de conditionnement du lait pasteurisé dans des cartons, qui auraient accru leurs ventes dans ce secteur dans une proportion encore plus importante. Ces parts de marché seraient restées approximativement les mêmes jusqu'en 1987.
181 Pour sa part, la Commission rejette l'argumentation de la requérante, en ce qui concerne aussi bien le lien entre sa position dans le secteur du lait UHT au Royaume-Uni et ses pratiques en matière de prix des machines, que l'administration de la preuve du caractère éliminatoire desdites pratiques.
182 Pour établir le caractère abusif des pratiques de prix incriminées, la Commission se fonde sur le critère des coûts et de la stratégie de l'entreprise en position dominante, consacré par la Cour dans l'arrêt Akzo/Commission, précité. A cet égard, la Commission rejette l'argument de la requérante selon lequel la pratique d'un système de réduction des prix ne peut être constatée que par référence aux prix spécifiques accordés à des clients précis.
183 Dans la présente espèce, la Commission souligne d'abord que le niveau des marges réalisées par Tetra Pak sur ses ventes de machines, au Royaume-Uni, était, contrairement aux allégations de cette entreprise, sensiblement plus médiocre que dans les autres États membres, où aucun abus n'a été constaté. La Commission relève en particulier que les marges semi-brutes - obtenues en soustrayant les coûts variables moyens, c'est-à-dire les coûts moyens afférents à l'unité produite, du prix de vente - enregistrées par Tetra Pak sur les ventes de machines au Royaume-Uni étaient négatives en 1982 (...)(1), en 1983 (...) et en 1984 (...), ce qui suffirait à conclure à l'existence d'un abus durant cette période, en application des principes énoncés dans l'arrêt Akzo/Commission, précité.
184 S'agissant des prix pratiqués en 1981, qui ont été supérieurs au coût variable moyen et inférieurs au coût total moyen, la Commission confirme au préalable qu'elle les a également estimés abusifs, au point 157 de la décision, sur la base d'éléments de preuve complémentaires. A cet égard, la référence, au point 170, aux pratiques de prix éliminatoires "de 1982 à 1984", au Royaume-Uni, ne devrait pas être interprétée comme la reconnaissance de l'absence d'abus en 1981. Dans ce contexte, la Commission fait valoir que la reconnaissance, par Tetra Pak, du caractère délibéré de sa politique résultant de la concurrence intensive sur les prix, ainsi que les effets d'éviction de cette politique, constituent la preuve irréfutable de l'existence d'une pratique systématique de prix éliminatoires.
Appréciation du Tribunal
185 Le Tribunal relève, à titre liminaire, que l'argumentation de la requérante relative à la spécificité de la structure du marché britannique du lait n'est pas pertinente. En effet, à partir du moment où il existe, au Royaume-Uni, un marché des machines de conditionnement aseptique dans des cartons, ainsi qu'un marché des machines de conditionnement non-aseptique, Tetra Pak se trouve, par rapport à ses concurrents sur ces marchés, dans une situation concurrentielle similaire à celle qui existe dans l'ensemble de la Communauté, ainsi qu'il a déjà été jugé dans le cadre de l'examen de la définition du marché géographique concerné (voir ci-dessus, point 95). La dimension plus réduite de ces marchés au Royaume-Uni n'a pas d'incidence sur l'appréciation du caractère éliminatoire ou non des prix des machines pratiqués sur les marchés britanniques.
186 En outre, eu égard à l'envergure mondiale du groupe Tetra Pak, l'argument de la requérante, selon lequel il ne lui aurait pas été possible d'effectuer de financements croisés entre les secteurs aseptique et non-aseptique au Royaume-Uni, en raison de la consommation insignifiante de lait UHT, doit être écarté. De plus, cet argument est, en tout état de cause, privé de pertinence, dans la mesure où le Tribunal a déjà établi (voir ci-dessus, points 112 à 122) que la prééminence de la requérante dans le secteur non-aseptique, combinée avec la connexité liant ce secteur au secteur aseptique, suffisait à justifier l'application de l'article 86 du traité. Sous cet aspect, l'application de l'article 86 du traité, sur les marchés non-aseptiques, n'est donc pas subordonnée à la preuve de l'existence de financements croisés entre les deux secteurs .
187 Dans ces conditions, il y a lieu de vérifier si la Commission a établi à suffisance de droit le caractère éliminatoire des prix des machines au Royaume-Uni, sur la base du critère des coûts et de la stratégie de l'entreprise en position dominante, tel que consacré par la Cour dans l'arrêt Akzo/Commission, précité (voir ci-dessus, points 147 à 149).
188 Sous cet aspect, il y a lieu de souligner, tout d'abord, que la Commission admet expressément dans la décision (point 157) que, comme le soutient Tetra Pak, les ventes ou locations à perte concernaient essentiellement le marché des machines de conditionnement non-aseptique. Au vu de ces affirmations concordantes des deux parties, l'existence des marges négatives pour l'ensemble de l'activité "machines", sur lesquelles se fonde la décision, s'explique par l'ampleur des pertes réalisées dans le domaine des machines non-aseptiques.
189 En particulier, la réalisation, pour l'ensemble de l'activité "machines", au Royaume-Uni, de marges nettes négatives (...) en 1982, (...) en 1983 et (...) en 1984, et de marges brutes négatives (...) en 1982, (...) en 1983 et (...) en 1984 révèle que Tetra Pak a vendu ses machines non-aseptiques constamment en deçà non seulement de leur prix de revient, mais également de leur coût variable direct, ce qui, en application des principes dégagés par la Cour dans l'arrêt Akzo/Commission (voir ci-dessus, points 147 à 149), démontre à suffisance de droit que la requérante a pratiqué une politique d'éviction au cours de ces exercices. En effet, par leur ampleur et leur nature même, de telles pertes, qui ne sauraient obéir à aucune rationalité économique autre que celle d'évincer les concurrents, avaient incontestablement pour objet de renforcer la position de Tetra Pak sur les marchés des machines non-aseptiques, où elle occupait déjà une position prééminente, ainsi qu'il a déjà été jugé (voir ci-dessus, points 118 à 121), affaiblissant ainsi la concurrence sur le marché. De tels comportements présentaient, dès lors, un caractère abusif, conformément à une jurisprudence bien établie(voir ci-dessus, point 114).
190 Quant aux prix pratiqués, en 1981, pour les machines non-aseptiques, qui étaient uniquement inférieurs au prix de revient, comme en atteste l'existence d'une marge nette négative (...) et d'une marge semi-brute positive, pour l'ensemble de l'activité "machines" au Royaume-Uni, ils doivent également être considérés comme présentant un caractère abusif, dans la mesure où toute une série d'indices sérieux et concordants permet d'établir l'existence d'une intention d'éviction.Cette intention éliminatoire ressort en particulier de la durée, de la constance et de l'ampleur, caractérisées au point précédent, des pertes consenties, ainsi que du caractère délibéré de ces pertes, comme le reconnaît expressément Tetra Pak, dans le cadre d'une politique de concurrence intensive par les prix de 1981 à 1984, alors que le marché était en pleine expansion.
191 En outre, cette analyse est corroborée par l'effet éliminatoire de la concurrence produit par la politique des prix suivie par Tetra Pak. A cet égard, il résulte des pièces du dossier que l'activité de vente et de location de machines, au Royaume-Uni, qui représentait (...) du chiffre d'affaires total de Tetra Pak dans ce pays en 1981, a atteint (...) en 1984. Selon les indications fournies par la Commission et non contestées par la requérante, elle a connu ainsi un taux de croissance (...), (...) supérieur à celui qui a été enregistré dans tous les autres pays examinés. En outre, la part de marchés non-aseptiques détenue par Tetra Pak s'est fortement accrue entre 1980 et 1986, passant de 34,2 % à 43,9 % pour les cartons et de 25,8 % à 37,1 % pour les machines.
192 Il s'ensuit que la Commission a établi à suffisance de droit que les prix des machines non-aseptiques vendues, de 1981 à 1984, au Royaume-Uni, présentaient un caractère éliminatoire.
193 Au surplus et en tout état de cause, la Commission a estimé à juste titre que, même en examinant séparément les marchés britanniques, on constate que la requérante détenait une position dominante sur les deux marchés aseptiques et une position prééminente sur les deux marchés non-aseptiques, grâce non seulement à ses parts de marché, mais également à la puissance économique qu'elle tirait notamment de l'envergure du groupe, de son avance technologique et de l'étendue de sa gamme de produits (voir, sous cet aspect, l'arrêt Michelin/Commission, précité, point 55). Dans ce contexte, la Commission a établi à suffisance de droit que la position dominante de Tetra Pak sur les marchés aseptiques lui a permis de pratiquer une politique délibérée de ventes à perte dans le secteur des machines, de 1981 à 1984, ainsi qu'en attestent les résultats globaux largement positifs de la filiale britannique de Tetra Pak, durant cette période, malgré les pertes enregistrées pour la quasi-totalité de ses produits, à l'exception des cartons Brik aseptiques, dont la contribution à la marge nette s'échelonnait de (...) à (...) de 1981 à 1984, d'après les documents comptables versés au dossier.
E - Le prix des machines et les autres pratiques prétendument abusives mises en œuvre en Italie
194 La requérante conteste avoir appliqué pour ses machines, en Italie, des prix éliminatoires à l'égard de ses concurrents (1) et des prix discriminatoires entre ses clients (2). En outre, elle rejette les allégations de la Commission relatives aux diverses pratiques ponctuelles prétendument abusives qui auraient été mises en œuvre de 1981 à 1983 au moins (3).
1. Les prix des machines prétendument éliminatoires
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
195 La requérante conteste avoir pratiqué, de 1976 à 1986 au moins, des prix éliminatoires pour ses cartons. Elle rappelle qu'elle a défini les prix des machines et des cartons en considérant que ces produits formaient un système indissociable. Si la Commission avait examiné le système dans son ensemble, elle aurait constaté que, compte tenu des coûts généraux répartis sur la durée de validité d'un contrat, les rabais dont elle fait état étaient moins importants qu'il ne semblait à première vue.
196 En toute hypothèse, la requérante fait valoir que la Commission admet, au point 158 de la décision, que l'activité "machines" était rentable durant la période considérée et que les ventes à perte de machines n'étaient pas une pratique généralisée en Italie. Elle en déduit que les ventes individuelles ne peuvent pas être considérées comme un abus de position dominante. Ces ventes seraient le résultat d'une vive concurrence et n'auraient pas pour motif une intention éliminatoire. Dans ces conditions, leur condamnation dans la décision reviendrait à considérer toute vente à perte comme illégale per se.
197 La Commission rejette d'abord l'argumentation de la requérante, relative au caractère prétendument indissociable des machines et des cartons. Elle estime, en outre, que toute vente à perte dans un but éliminatoire constitue un abus, qu'il s'agisse ou non d'une pratique généralisée.
198 La Commission soutient que l'analyse d'un certain nombre d'opérations de vente et de location, en Italie, fait apparaître que des rabais de l'ordre de 50 %, voire de 75 % dans un cas, n'étaient pas rares. Le fait que les rabais accordés étaient supérieurs, pour certaines transactions, à la marge nette et à la marge brute, ainsi que le contexte dans lequel ces transactions se seraient déroulées, montreraient qu'il s'agissait d'opérations délibérées de vente à des prix éliminatoires.
Appréciation du Tribunal
199 Il y a lieu de souligner, à titre liminaire, que l'argumentation de la requérante, relative à une prétendue corrélation entre le prix des machines et celui des cartons, doit être écartée, pour les motifs déjà exposés par le Tribunal (voir ci-dessus, points 137 à 140). En outre, et en toute hypothèse, la requérante ne fournit aucun élément d'appréciation concret à l'appui de ses allégations, contredisant les constatations effectuées par la Commission, selon lesquelles Tetra Pak fixait, en Italie, les prix des machines indépendamment de ceux des cartons.
200 En outre, le Tribunal rappelle que, contrairement aux allégations de la requérante, des ventes à perte, même ponctuelles, effectuées par une entreprise en position dominante, sont susceptibles de présenter un caractère abusif au sens de l'article 86 du traité, dès lors que leur caractère éliminatoire est suffisamment établi.
201 Dans la présente espèce, il convient de relever, d'abord, que la Commission s'appuie sur les marges nettes (annexe 4.3 à la décision) et les marges brutes (annexe 4.4 à la décision) réalisées par Tetra Pak de 1981 à 1984, en Italie, dans le secteur d'activité "machines" pour affirmer que des rabais sensiblement supérieurs à ces marges entraînaient, en principe, des ventes/locations à perte. C'est en se fondant sur ce critère qu'elle procède à l'analyse détaillée d'un certain nombre d'opérations ponctuelles de vente ou de location notamment de machines (point 158 et annexe 6.4 de la décision).
202 A cet égard, le Tribunal estime que, dans les circonstances de l'espèce, l'existence de pratiques ponctuelles de prix éliminatoires peut être considérée comme établie, sur la base de l'analyse susvisée, en relation avec le contexte dans lequel les ventes/locations à perte se sont déroulées. En particulier, le fait que, par ses opérations de vente ou de location, Tetra Pak s'efforçait d'enlever des marchés potentiels ou de reprendre des marchés déjà acquis à des concurrents, confirme qu'il s'agissait d'opérations délibérées de vente à des prix "éliminatoires". En effet, il ressort de l'analyse d'un certain nombre d'opérations, effectuée par la Commission sur la base d'investigations détaillées auprès de laiteries italiennes, rapportée à l'annexe 10 à la communication des griefs, versée au dossier, que Tetra Pak a accordé sous diverses formes des rabais supérieurs à sa marge brute, et a, dans certains cas, racheté à des prix surfaits, voire au prix de ces machines à l'état neuf, d'anciennes machines de concurrents, de valeur résiduelle quasiment nulle, au cours de la période s'écoulant de 1979 à 1986. Il apparaît ainsi qu'au moins les "opérations ponctuelles" visées dans la décision (point 65), relatives à quatre ventes de machines aseptiques à des prix inférieurs de 25 à 50 % à ceux pratiqués à la même époque, ainsi que les opérations analysées par la Commission à l'annexe 10 à la communication des griefs, à laquelle se réfère la décision (point 68), poursuivaient un but éliminatoire.
203 Il en résulte que la Commission a établi à suffisance de droit l'existence, de 1979 à 1986, d'un certain nombre de ventes des machines à des prix éliminatoires, en Italie.
2. Les prix des machines prétendument discriminatoires
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
204 La requérante réaffirme que les prix des machines et des cartons ne sauraient être évalués séparément. Elle indique, à titre d'exemple, qu'un rabais de 50 % consenti sur une machine Tetra Rex (TR/4) équivaut à un rabais de 4 % sur le montant de la transaction globale. La fixation du prix de la machine en relation avec celui des cartons dans le cadre d'un système serait habituellement intéressante pour le client, dans la mesure où elle permettrait de moduler le paiement en fonction de préoccupations et de priorités variant d'un client à l'autre.
205 Par ailleurs, la requérante fait valoir que des différences de prix entre clients peuvent se justifier par le fonctionnement normal des forces du marché. Un ensemble de raisons expliquerait que des divergences de prix pour des produits semblables ou similaires se rencontrent partout, sur des marchés extrêmement concurrentiels. La requérante évoque à cet égard un pouvoir de négociation différent selon les clients, des conceptions diverses, une information incomplète sur le marché, l'incertitude sur les réactions des concurrents et une prise de décision décentralisée.
206 La Commission soutient, quant à elle, que les disparités dans les prix et les conditions de transaction appliqués par Tetra Pak, constituaient une discrimination entre les clients, au sens de l'article 86, sous c), du traité. Elle fait valoir que la considération majeure est que le client doit être libre de décider de payer un prix plus élevé à l'achat de la machine et, par la suite, un prix réduit pour les cartons.
Appréciation du Tribunal
207 Le Tribunal constate que l'analyse détaillée de la majorité des contrats de vente ou de location de machines, en Italie, de 1976 à 1986, révèle, à prix actualisé, des écarts de prix, à court terme, de 20 à 40 %, voire, dans certains cas, de 50 % à plus de 60 %, en ce qui concerne tant les machines aseptiques que les machines non-aseptiques. En l'absence de toute argumentation de la requérante de nature à apporter une justification objective de sa politique tarifaire, de telles disparités présentaient incontestablement un caractère discriminatoire (voir les points 170, 62 à 68, 158 et 161, ainsi que l'annexe 6.4 de la décision).
208 En effet, il y a lieu de souligner que, compte tenu du caractère dissociable des machines et des cartons, déjà mis en évidence par le Tribunal (voir ci-dessus, points 137 à 148), la pratique d'écarts significatifs, en ce qui concerne le prix des machines, représentait en toute hypothèse une discrimination entre les clients de Tetra Pak, en Italie, sans qu'il soit nécessaire de prendre en considération, comme le soutient la requérante, le prix du système de conditionnement dans son ensemble, incluant le prix des cartons. A cet égard, c'est à juste titre que la Commission s'est fondée uniquement sur la comparaison des prix des machines Tetra Pak, dans la mesure où, au regard du droit communautaire de la concurrence, les utilisateurs devaient être parfaitement libres d'utiliser, sur ces machines, des cartons achetés auprès de concurrents de Tetra Pak (voir l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, précité, points 64 à 68, confirmé par l'arrêt de la Cour du 2 mars 1994, précité, points 13 à 16). De surcroît et en tout état de cause, les disparités de prix des machines visées dans la décision ne sauraient s'expliquer par l'examen séparé, par la Commission, du prix des machines et des cartons. En effet, le dossier ne contient aucun indice et la requérante ne fournit aucune indication précise et n'apporte aucun élément de preuve permettant d'étayer sa thèse, selon laquelle les prix de ses systèmes de conditionnement, considérés dans leur globalité, auraient été convergents en Italie, durant la période considérée.
209 Il s'ensuit que la Commission a établi à suffisance de droit que, de 1976 à 1986, Tetra Pak a pratiqué, en Italie, des prix discriminatoires en ce qui concerne les machines, principalement dans le secteur aseptique.
3. Les autres pratiques prétendument abusives
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
210 La requérante rejette les différents griefs formulés au point 165 de la décision. Premièrement, elle soutient que le fait de racheter des machines de concurrents ne présente pas en soi un caractère abusif. Deuxièmement, elle affirme qu'un seul cas isolé d'interdiction à une entreprise d'utiliser la machine d'un concurrent a été allégué (points 73 et 79 de la décision) et que l'on ne saurait en tirer de conclusions générales. Troisièmement, le prétendu accord oral fixé en 1983 avec le magazine Il mondo del latte ne serait nullement prouvé et, ne portant que sur un seul magazine dans un seul État membre, il ne saurait être considéré comme une appropriation d'un support publicitaire. Quatrièmement, enfin, le système Resolvo, prétendument "éliminé" par Tetra Pak (voir les points 76 et 79 à 83 de la décision) aurait été, en fait, acheté en 1981 par la société International Paper, deux fois plus importante que Tetra Pak. La requérante allègue qu'elle n'aurait pu éliminer un concurrent aussi puissant si le système Resolvo avait été concurrentiel. Il resterait d'ailleurs encore des machines Resolvo sur le marché italien.
211 La Commission rejette, pour sa part, l'ensemble des objections opposées par la requérante. Premièrement, en ce qui concerne le rachat des machines de concurrents, en vue de les éliminer du marché ou de les priver de références commerciales (points 73, 79 et 83 de la décision), elle fait valoir que chaque transaction doit être considérée individuellement en vue de vérifier son objectif réel. Deuxièmement, la Commission admet que la décision ne cite qu'un seul cas dans lequel Tetra Pak a obtenu de ses clients l'engagement de ne plus utiliser certaines machines de concurrents (point 73 de la décision). Troisièmement, la Commission affirme que la requérante s'est approprié un support publicitaire important, la revue Il mondo del latte, par la passation d'un accord d'exclusivité (point 75 de la décision). Quatrièmement, enfin, la Commission fait valoir que la requérante a tenté, par des moyens divers d'empêcher la diffusion du système Resolvo d'emballages aseptiques développé par la société Poligrafico Buitoni. Les preuves rapportées aux points 77 et 83 de la décision permettraient d'établir, à cet égard, l'intention éliminatoire de la requérante.
Appréciation du Tribunal
212 Le Tribunal estime, au vu des éléments de preuve rapportés par la Commission, notamment des divers documents recueillis lors de ses investigations auprès de certaines laiteries, cités aux points 73 à 83 de la décision et produits par la défenderesse à la demande du Tribunal, que les diverses pratiques ponctuelles, identifiées dans la décision, doivent être considérées comme établies. Il s'agit en particulier du rachat, en vue de leur retrait du marché, de machines de concurrents; de l'obtention de l'engagement, de la part de l'une des laiteries susvisées, de ne plus utiliser deux machines qu'elle avait acquises auprès de concurrents de Tetra Pak; de l'élimination, en Italie, de la quasi-totalité des machines de conditionnement aseptique Resolvo, mises au point au début des années 70 par Poligrafico Buitoni, qui représentait pour Tetra Pak un concurrent potentiel sur les marchés aseptiques; et, enfin, de l'appropriation de supports publicitaires par l'obtention d'un engagement oral d'exclusivité au moins pour l'année 1982, dans le journal Il Mondo del Latte, la plus importante revue spécialisée sur l'industrie du lait en Italie. A cet égard, la Commission a estimé à bon droit que la correspondance, versée au dossier, échangée à l'époque entre Elopak et cette revue fournissait une preuve suffisante de l'existence d'un tel accord. Ainsi, dans une lettre du 27 mai 1982, la revue fait-elle état "d'un engagement avec une autre société de ce secteur, à laquelle (elle avait) accordé l'exclusivité pour une longue période". L'existence de cet accord est également corroborée par le fait qu'Elopak n'a pas été autorisé à insérer de publicité dans cette revue, contrairement à Tetra Pak.
213 Il apparaît clairement que ces diverses pratiques, destinées à éliminer les machines de concurrents du marché ou à les priver de références commerciales, visaient, comme le soutient la Commission, à renforcer la position dominante de Tetra Pak dans le secteur aseptique ou à évincer des concurrents dans le secteur non-aseptique, et présentaient dès lors un caractère abusif.
214 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le troisième moyen, tiré de l'absence de violation de l'article 86 du traité, doit être rejeté en ses deux branches.
Sur le quatrième moyen, relatif à l'abus, par la Commission, de son pouvoir d'injonction
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
215 La requérante conteste les mesures imposées dans la décision en vue de mettre fin à l'infraction dans les zones du marché où elle estime ne pas occuper une position dominante. En outre, elle dénonce les mesures imposées, en particulier, à l'article 3, troisième alinéa, point 3, de la décision, aux termes duquel "Tetra Pak ne pratique ni prix éliminatoires ni prix discriminatoires et il n'accorde à aucun client, sous quelque forme que ce soit, des remises sur ses produits ou des conditions plus favorables de paiement qui ne sont pas justifiées par une contrepartie objective. Ainsi, pour les cartons, les remises ne doivent concerner que des remises de quantité à la commande, non cumulables pour des cartons de types différents".
216 A cet égard, la requérante relève que, en ce qui concerne les machines, la Commission ne fournit aucun éclaircissement sur la notion de "contrepartie objective". Pour ce qui est des cartons, la requérante estime que l'interdiction des remises autres que de quantité exclut toute réaction concurrentielle par les prix, fondée sur les mérites, face aux initiatives prises en matière de prix par un concurrent. Elle allègue que, dans l'affaire Hilti/Commission, la Commission elle-même aurait admis trois exceptions à l'engagement de Hilti AG de "mettre en œuvre ... une politique de remises fondée sur des barèmes de remise quantité/valeur précis, organiques et transparents appliqués de manière uniforme et non discriminatoire" (voir l'arrêt du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, précité, point 7).
217 De plus, l'article 3, troisième alinéa, point 3, précité, de la décision méconnaîtrait le principe de la confiance légitime, dans la mesure où il impose des obligations à la requérante, alors que celle-ci se serait conformée aux exigences formulées par la Commission au cours des négociations et aurait, de ce fait, été en droit de s'attendre à ce que cette institution ne lui impose pas de nouvelles mesures.
218 La Commission rejette l'ensemble des arguments avancés par la requérante. En ce qui concerne plus spécialement les injonctions formulées à l'article 3, troisième alinéa, point 3, susvisé, de la décision, elle précise que sont seules interdites les pratiques condamnées dans la décision ou des pratiques équivalentes. La Commission rejette également la conception de la concurrence par les mérites, telle que défendue par la requérante. Elle affirme que les entreprises en position dominante sont autorisées à entrer en concurrence avec les autres par leur seul mérite, alors que ces dernières peuvent théoriquement recourir à d'autres méthodes, notamment en matière de prix. Sous cet aspect, la Commission rappelle que la requérante avait souligné la qualité supérieure et les avantages particuliers qu'offre son produit à l'utilisateur.
Appréciation du Tribunal
219 En ce qui concerne la portée matérielle et géographique des injonctions adressées par la Commission à la requérante, le Tribunal constate que cette institution était en droit, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), d'imposer des mesures destinées à faire cesser les infractions constatées sur les quatre marchés concernés, où, comme il a déjà été jugé dans le cadre du troisième moyen (voir ci-dessus, points 109 à 122), l'entreprise en cause était soumise aux dispositions de l'article 86 du traité, et ce dans l'ensemble de la Communauté, qui constituait, comme le Tribunal l'a également déjà établi (voir ci-dessus, points 91 à 98), le marché géographique concerné.
220 Quant à l'interdiction de toute remise ou condition plus favorable, sous quelque forme que ce soit, accordée sans "contrepartie objective", énoncée à l'article 3, troisième alinéa, point 3, de la décision, elle tend à mettre fin à l'ensemble des pratiques condamnées dans la décision, et à s'opposer à toute pratique similaire. En l'occurrence, il y a lieu de rappeler que ces pratiques englobaient aussi bien des prix discriminatoires ou éliminatoires que certaines des conditions contractuelles sanctionnées, qui étaient destinées à fidéliser les clients de Tetra Pak, en les incitant, notamment par des remises accordées sous la forme d'une tarification dégressive des frais d'assistance, d'entretien et de mise à jour prévue dans les contrats de vente des machines [clause (vii), précitée] ou d'une tarification dégressive du loyer mensuel, dans les contrats de location de machines [clause (xxii), précitée], en fonction du nombre de cartons utilisés, à s'approvisionner en cartons auprès de Tetra Pak.
221 Une telle interdiction des rabais de fidélité ou des pratiques équivalentes ne présente aucun caractère disproportionné ou discriminatoire et est conforme à une jurisprudence bien établie (voir notamment les arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, précité, et Michelin/Commission, précité, point 71). Elle justifie, en particulier en ce qui concerne les cartons, la prohibition des remises autres que de quantité à la commande, non cumulables pour des cartons de types différents. Contrairement aux allégations de la requérante, cette interdiction ne s'oppose pas à ce qu'une entreprise en position dominante pratique la concurrence notamment par les prix, dès lors qu'elle est fondée sur des considérations objectives, telles que, par exemple, la solvabilité du client, et ne présente donc pas un caractère discriminatoire ou éliminatoire. Dans ces conditions, l'autorisation des seules remises de quantité à la commande, non cumulables pour les divers types de cartons, n'est pas en contradiction avec la solution retenue dans l'affaire Hilti/Commission, dans laquelle la Commission avait admis la possibilité, pour l'entreprise en cause, de déroger à l'obligation d'adopter des barèmes précis de remises de quantité uniformes, dans certains cas déterminés (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, précité, points 6 et 7). Cette affaire n'est pas pertinente dans la présente espèce, dans la mesure où la décision attaquée n'impose pas à Tetra Pak de définir des barèmes de remises, mais se limite à exiger que les remises soient accordées en fonction de la quantité commandée. Si une obligation de communiquer des barèmes de prix résulte de l'article 3, troisième alinéa, point 2, de la décision, enjoignant à Tetra Pak de donner à tout client la possibilité de s'approvisionner auprès de la filiale de son choix et aux prix pratiqués par celle-ci, la décision n'impose cependant pas, en son article 3, troisième alinéa, point 3, des barèmes de remises. Il suffit que le niveau des remises soit objectivement justifié, ce qui implique qu'il ne présente aucun caractère discriminatoire ou éliminatoire.
222 Enfin, la Commission n'a pas méconnu le principe de la confiance légitime en imposant, dans la décision, certaines mesures supplémentaires, destinées à faire cesser l'infraction, s'ajoutant aux mesures qu'elle avait déjà recommandées au cours de la procédure administrative. En effet, l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 17 se borne à habiliter la Commission à adresser aux entreprise intéressées des recommandations visant à faire cesser des abus, avant de prendre une décision en constatation d'infraction au titre de ce même article. Le respect de telles recommandations par l'entreprise en cause ne saurait en aucun cas avoir pour effet de limiter le pouvoir conféré à la Commission, en vertu du paragraphe 1 du même article, d'imposer toute mesure qu'elle estime nécessaire en vue de mettre fin aux abus constatés lors de l'adoption de la décision. L'attitude coopérative de l'entreprise en cause et le fait qu'elle se soit conformée aux exigences de la Commission en vue de faire cesser l'infraction, durant la procédure administrative, peuvent uniquement être pris en considération aux fins de la fixation du montant de l'amende.
223 En conséquence, le quatrième moyen, tiré de l'abus, par la Commission, de son pouvoir d'injonction, doit être rejeté.
Sur les conclusions relatives au montant de l'amende
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
224 La requérante conteste le montant de l'amende de 75 millions d'écus, de loin supérieur au montant des amendes infligées antérieurement par la Commission au titre de l'article 86 du traité. Elle fait valoir les arguments suivants. En premier lieu et en toute hypothèse, l'amende serait tout à fait disproportionnée et excessive à la fois en termes absolus et par rapport à la taille de Tetra Pak, si on la situe dans le cadre de la pratique antérieure de la Commission.
225 En second lieu, la requérante allègue que la Commission a fixé le montant de cette amende afin de sanctionner notamment certains actes commis sur des marchés où elle n'occupait pas de position dominante, comme les marchés non-aseptiques, les marchés des équipements destinés au conditionnement de liquides autres que le lait, ainsi que les marchés de l'Europe du Nord-Ouest, où la requérante n'aurait pas occupé de position prééminente, même dans le secteur du conditionnement du lait.
226 En troisième lieu, la Commission aurait sanctionné la requérante pour son attitude dans l'ensemble des douze États membres, alors que trois d'entre eux n'avaient pas cette qualité pendant une grande partie de la période couverte par la décision.
227 En quatrième lieu, la requérante fait valoir que la Commission a défini le montant de l'amende en prenant en considération son attitude dans l'ensemble de la Communauté, sur la base d'éléments de preuves concernant seulement un État membre ou un nombre restreint d'États membres, tant en ce qui concerne ses contrats que sa politique des prix.
228 En cinquième lieu, la Commission n'aurait pas tenu compte du caractère inédit aussi bien de sa méthode de délimitation du marché des produits que de la théorie du "marché voisin", par laquelle elle a justifié l'application de l'article 86 du traité dans le secteur non-aseptique.
229 En sixième lieu, la requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir pris en considération son attitude coopérative durant la procédure administrative, en vue de la détermination du montant de l'amende.
230 En septième lieu, la requérante soutient que les amendes imposées au titre du règlement n° 17 sont de nature pénale. En s'abstenant de ventiler le montant de l'amende entre les différents abus constatés et en ne lui donnant pas la possibilité d'émettre des observations au sujet de ce montant, la Commission aurait méconnu les principes d'équité et de bonne administration, ainsi que les principes généraux du droit communs aux États membres, notamment le droit de l'entreprise en cause de savoir quelle sanction est infligée pour quelle infraction, ainsi que le droit de l'inculpé, consacré en common law, d'être entendu sur la sanction pénale après qu'une juridiction a constaté qu'il a commis des actes passibles d'une telle sanction.
231 En dernier lieu, la requérante fait valoir que la Commission n'a tenu aucun compte des répercussions bénéfiques considérables de ses innovations et de ses investissements sur les consommateurs et sur la concurrence, dans l'ensemble de la Communauté.
232 La Commission estime, pour sa part, que le montant de l'amende est une conséquence directe et inévitable de la gravité et de la durée des pratiques abusives qui auraient été commises dans la plus grande partie des États membres ou même dans la Communauté toute entière et dont la contrariété avec l'article 86 aurait été à tout moment prévisible. Ce montant tiendrait compte de l'importance de l'entreprise en cause, afin de ne pas privilégier indûment les grandes entreprises.
233 La Commission précise que l'amende a été infligée en raison des seules pratiques constatées dans les États membres où elles ont été appliquées, ce qui découlerait clairement de la décision. En outre, la Commission aurait tenu compte de l'évolution de la composition de la Communauté durant la période en cause.
234 Pour ce qui est de la procédure ayant conduit à la fixation du montant de l'amende, la Commission fait valoir qu'aucune obligation de ventiler le montant de l'amende et d'organiser une audition séparée sur la question de l'amende n'est prévue.
Appréciation du Tribunal
235 En ce qui concerne le montant de l'amende, il y a lieu de relever, liminairement, que la thèse de la requérante, exposée au point 230, ci-dessus, selon laquelle l'amende présente une nature pénale et l'entreprise en cause a le droit d'être entendue, par la Commission, sur son montant, ne saurait être accueillie. A cet égard, il est à noter, en premier lieu, que, aux termes mêmes de l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17, les amendes infligées en vertu du paragraphe 2 dudit article n'ont pas un caractère pénal. S'agissant, en second lieu, du droit des entreprises en cause d'être entendues durant la procédure administrative, il convient de rappeler que l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 99-63, du 25 juillet 1963, prévoient expressément que, lorsque la Commission se propose d'imposer une amende, les entreprises en cause doivent avoir l'occasion de présenter leurs observations "au sujet des griefs retenus par la Commission". C'est donc à travers leurs observations sur la durée, la gravité et la prévisibilité du caractère anticoncurrentiel de l'infraction que les droits de la défense des entreprises en cause sont garantis devant la Commission en ce qui concerne la détermination du montant de l'amende. En outre, il est à noter que les entreprises bénéficient d'une garantie supplémentaire en ce qui concerne la détermination de ce montant, dans la mesure où le Tribunal statue avec compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l'amende, en vertu de l'article 17 du règlement n° 17.
236 Il convient également de souligner que, pour permettre aux entreprises en cause d'apprécier la régularité du montant de l'amende et de présenter leur défense et au Tribunal d'exercer son contrôle, la Commission n'est pas tenue, comme le soutient la requérante, de ventiler le montant de l'amende entre les différents éléments de l'abus. En particulier, une telle ventilation s'avère impossible lorsque, comme dans la présente espèce, l'ensemble des infractions constatées s'inscrit dans une stratégie d'ensemble cohérente et doit de ce fait être appréhendé de manière globale tant aux fins de l'application de l'article 86 du traité que de la fixation de l'amende. Il suffit que la Commission précise, dans la décision, les critères destinés à fixer le niveau général de l'amende infligée à une entreprise. Elle n'est pas obligée d'individualiser la manière dont elle a pris en compte chacun des éléments qui ont été mentionnés parmi ces critères et concourent à la détermination du niveau général de l'amende (voir, notamment, par analogie, les arrêts du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1-89, Rec. p. II-867, point 166, Petrofina/Commission, T-2-89, Rec. p. II-1087, et Atochem/Commission, T-3-89, Rec. p. II-1177, dans lesquels le Tribunal a considéré que les différentes pratiques concertées constituaient une seule et même infraction, ainsi que les arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, et du 16 décembre 1975, Suiker Unie/Commission, 40-73, Rec. p. 1663).
237 Dans ces conditions, il convient, pour le Tribunal, de rechercher, tout d'abord, si les infractions ont été commises de propos délibéré ou par négligence, avant de vérifier si les critères sur lesquels la Commission s'est fondée, dans la décision, pour déterminer le montant de l'amende, sont pertinents et suffisants.
238 S'agissant, en premier lieu, de la question de savoir si les infractions ont été commises de propos délibéré ou par négligence et sont, de ce fait, susceptibles d'être sanctionnées par une amende, en vertu de l'article 15, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 17, la Cour a jugé que cette condition est remplie dès lors que l'entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu'elle ait eu ou non conscience d'enfreindre les règles de concurrence du traité (voir notamment l'arrêt IAZ ea/Commission, précité, point 45).
239 Dans la présente espèce, le Tribunal estime que la requérante ne pouvait ignorer que, par leur ampleur, leur durée et leur caractère systématique, les pratiques en cause entraînaient des restrictions sérieuses à la concurrence, compte tenu en particulier de sa position quasi-monopolistique sur les marchés aseptiques et de sa prééminence sur les marchés non-aseptiques. En outre, eu égard à sa position sur les marchés concernés et à la gravité des atteintes portées à la concurrence, la requérante ne pouvait manquer d'avoir conscience d'enfreindre l'interdiction énoncée à l'article 86 du traité. Il s'ensuit que, même si, sous certains aspects, la détermination des marchés des produits concernés et du domaine d'application de l'article 86 pouvait présenter une certaine complexité, cette circonstance ne saurait conduire, en l'espèce, à réduire le montant de l'amende, en raison du caractère manifeste et de la gravité particulière des restrictions à la concurrence résultant des abus en cause. Les allégations de la requérante, exposées au point 228, ci-dessus, relatives au caractère prétendument inédit de certaines appréciations juridiques portées dans la décision, ne sauraient dès lors être accueillies.
240 Dans ces conditions, il incombe, en second lieu, au Tribunal d'apprécier, conformément à l'article 15, paragraphe 2, dernier alinéa, du règlement n° 17, si le montant de l'amende infligée dans la décision est proportionnel à la gravité et à la durée des infractions constatées, eu égard à l'ampleur de leurs effets anticoncurrentiels et des intérêts des consommateurs ou des concurrents lésés (voir, par exemple, l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, précité, point 134), ainsi qu'à la capacité financière de Tetra Pak.
241 Sous cet aspect, le Tribunal constate que les critères retenus par la Commission et exposés dans la décision justifiaient le niveau élevé de l'amende infligée. En particulier la Commission a tenu compte, à juste titre, de la durée particulièrement longue (quinze ans ou plus) de certaines infractions; du nombre et de la diversité des infractions, qui ont concerné la totalité ou la quasi-totalité des produits du groupe et dont certaines ont affecté tous les États membres; de la gravité particulière des infractions qui relevaient, en outre, d'une stratégie délibérée et cohérente du groupe visant, par des pratiques éliminatoires diverses à l'égard des concurrents et par une politique de fidélisation des clients, à maintenir artificiellement ou à renforcer la position dominante de Tetra Pak sur des marchés où la concurrence était déjà limitée; enfin, des effets des abus particulièrement néfastes sur le plan de la concurrence et de l'avantage tiré par la requérante de ses infractions.
242 En effet, il importe de souligner que l'ensemble des infractions constatées, qui s'inscrivait dans le contexte d'une organisation de la production et de la distribution totalement autonomes ainsi que d'une politique de brevets très active, en elles-mêmes légitimes, concourait à une stratégie globale à long terme, dans l'ensemble de la Communauté, qui a permis à Tetra Pak de cloisonner les marchés nationaux, de maintenir sa position dominante dans le secteur aseptique et de renforcer sa prééminence dans le secteur non-aseptique, dans lequel sa part de marché, qui était d'environ 40 % en 1980, a atteint 50 à 55 % en 1991. Comme le souligne la Commission, la politique de prix mise en œuvre en Italie aurait vraisemblablement entraîné l'élimination de Elopak du marché italien, si elle s'était poursuivie après la plainte déposée par cette société. Tetra Pak a ainsi pu maximiser ses profits sur les marchés aseptiques au détriment de ses clients ainsi que de ses concurrents, tant dans le secteur aseptique que dans le secteur non-aseptique. En particulier, en faisant obstacle à l'approvisionnement de ses clients en cartons aseptiques auprès de concurrents, les clauses de vente liée des machines et des cartons ont empêché les producteurs de cartons non-aseptiques d'accéder au marché des cartons aseptiques grâce à des adaptations techniques qui auraient été techniquement réalisables.
243 A cet égard, il y a lieu de préciser, toutefois, que, contrairement aux allégations de la requérante, seules ont été prises en considération, aux fins de la détermination du montant de l'amende, les infractions commises dans le ou les États membres où elles avaient effectivement été constatées. Si la Commission a, à bon droit, apprécié la gravité de chacune de ces infractions dans le contexte de la politique commerciale globale appliquée par Tetra Pak, elle ne s'est en aucun cas fondée sur des éléments de preuve concernant une infraction commise dans un État membre, pour étendre la constatation de cette infraction à d'autres États, voire à l'ensemble de la Communauté. Aux fins de la fixation de l'amende, la Commission a, ainsi, pris en considération l'étendue géographique, la gravité et la durée respective des diverses conditions contractuelles abusives, en vigueur de 1976 à 1991, dont certaines, comme les clauses de vente liée et les clauses d'exclusivité s'appliquaient dans l'ensemble de la Communauté et d'autres ne concernaient qu'un ou plusieurs États membres. De même, elle a tenu compte de l'étendue géographique, de la gravité et de la durée respectives des différentes pratiques de prix discriminatoires ou éliminatoires constatées, dans les États qui étaient membres de la Communauté, au moment où les abus ont été commis. Les griefs invoqués par la requérante, exposés aux points 225 à 227, doivent donc être écartés.
244 Par ailleurs, s'agissant plus particulièrement des infractions à prendre en considération par le Tribunal, aux fins de l'appréciation du montant de l'amende, à la suite de son contrôle de l'exactitude des abus constatés dans la décision, il y a lieu de rappeler que doivent être prises en compte, dès lors en ce qu'elles ont été établies à suffisance de droit par la Commission, les diverses clauses contractuelles abusives en vigueur de 1976 à 1991; les prix discriminatoires entre les États membres pratiqués, de 1984 à 1986, pour l'ensemble des machines et pour les cartons aseptiques et, de 1978 à 1984, pour les cartons non-aseptiques; les prix discriminatoires entre les divers utilisateurs pratiqués, en Italie, de 1976 à 1986; les prix éliminatoires des cartons Tetra Rex en vigueur, de 1976 à 1982, en Italie; les prix éliminatoires pratiqués, de 1979 à 1986, en ce qui concerne un certain nombre de machines, en Italie; les prix éliminatoires des cartons pratiqués, de 1982 à 1984, au Royaume-Uni; et, enfin, les pratiques éliminatoires diverses identifiées dans la décision et analysées précédemment (voir, ci-dessus, points 212 et 213).
245 Quant à l'argument de Tetra Pak, exposé au point 229, ci-dessus, selon lequel la Commission, qui, de l'avis de la requérante, aurait elle-même pu abréger la durée de l'infraction en agissant de manière plus cohérente, aurait dû tenir compte, lors de la fixation du montant de l'amende, des efforts de coopération que la requérante avait déployés durant la procédure administrative, il ne saurait être retenu. La longueur de l'instruction effectuée par la Commission pendant six ans, puis de la procédure administrative elle-même, durant deux ans, s'explique par la complexité et l'ampleur des investigations de la Commission, lesquelles ont porté sur l'ensemble de la politique commerciale suivie par Tetra Pak depuis 1976, dans la Communauté. En outre, les allégations de la requérante, selon lesquelles elle se serait immédiatement pliée aux exigences de la Commission en vue de mettre fin aux infractions qui lui étaient imputées, au cours de la procédure administrative, ne sauraient non plus être accueillies. A cet égard, il suffit de rappeler que la requérante n'a renoncé à ses conditions contractuelles litigieuses qu'au début de l'année 1991, alors que la communication des griefs lui avait été adressée dès le mois de décembre 1988. Dans ces conditions, seuls les efforts de coopération effectifs de la requérante, qui se sont manifestés au début de l'année 1991, devaient être pris en considération par la Commission lors de la fixation du montant de l'amende. Tel a bien été le cas, ainsi qu'il ressort expressément de la motivation de la décision.
246 Enfin, comme le souligne la Commission, les avantages résultant pour les consommateurs des produits développés par Tetra Pak ne sauraient constituer une circonstance de nature à réduire le montant de l'amende. En effet, les abus constatés n'étaient pas justifiés par les exigences spécifiques liées au développement et à la mise sur le marché de ces produits. L'argument de la requérante, exposé au point 231, ci-dessus, doit ainsi être écarté.
247 Au vu de l'ensemble des considérations précédentes, qui mettent en évidence la durée, l'étendue et la gravité particulières des abus constatés, le montant de l'amende imposée dans la décision ne présente pas un caractère disproportionné par rapport à la taille de la requérante. Selon les données concordantes fournies par les parties, cette amende de 75 millions d'écus correspond à environ 2,2 % du chiffre d'affaires total de la requérante en 1990. Elle s'inscrit ainsi dans le cadre des limites fixées à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, aux termes duquel le montant de l'amende peut être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. L'argument de la requérante, exposé au point 224, ci-dessus, selon lequel l'amende serait excessive et disproportionnée, est, dès lors, privé de fondement.
248 Il s'ensuit que les conclusions relatives tant à l'annulation de la décision qu'au montant de l'amende ne sauraient être accueillies.
Sur les dépens
249 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens et la partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La partie requérante est condamnée aux dépens.