CJCE, 5 octobre 1994, n° C-323/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société civile agricole du Centre d'insémination de la Crespelle
Défendeur :
Coopérative d'élevage et d'insémination artificielle du département de la Mayenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moitinho de Almeida
Présidents de chambre :
MM. Diez de Velasco (rapporteur), Edward
Avocat général :
M. Gulmann
Juges :
MM. Kakouris, Schockweiler, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn, Murray
Avocats :
Mes Rouvière, Cathala, Lesourd, Baudin.
LA COUR,
1. Par arrêt du 15 juin 1993, parvenu à la Cour le 24 juin suivant, la Cour de cassation française (chambre commerciale) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 5, 86 et 90, paragraphe 1, ainsi que des articles 30 et 36 du traité CEE, et à l'interprétation des directives 77-504-CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, concernant les animaux de l'espèce bovine reproducteurs de race pure (JO L 206, p. 8), et 87-328-CEE du Conseil, du 18 juin 1987, relative à l'admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure (JO L 167, p. 54).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société civile agricole du Centre d'insémination de la Crespelle (ci-après le "Centre de la Crespelle") à la Coopérative d'élevage et d'insémination artificielle du département de la Mayenne (ci-après la "Coopérative de la Mayenne").
3. En France, l'insémination artificielle des animaux est notamment réglementée par la loi n° 66-1005 du 28 décembre 1966 sur l'élevage (JORF 1966, p. 11619). En vertu de l'article 5, premier alinéa, de cette loi, l'exploitation des centres d'insémination est soumise à autorisation. Cette disposition établit une distinction entre les centres chargés de la production de la semence et ceux qui en assurent la mise en place, mais n'exclut pas qu'un seul centre exerce les deux types d'activités à la fois. Les activités de production consistent dans l'entretien d'un dépôt de reproducteurs mâles, la mise à l'épreuve des reproducteurs, ainsi que dans la récolte, le conditionnement, la conservation et la cession de la semence. Les activités de mise en place concernent, quant à elles, l'insémination des femelles ou son contrôle, lorsqu'elle est effectuée par des éleveurs habilités à cet effet.
4. La loi de 1966, précitée, prévoit en outre que chaque centre de mise en place dessert une zone à l'intérieur de laquelle il est le seul habilité à intervenir (article 5, quatrième alinéa). Si une telle zone est attribuée à une coopérative agricole, celle-ci est tenue d'accepter, comme usagers, les éleveurs non adhérents (article 5, sixième alinéa).
5. Selon la même loi, les centres de mise en place qui ne sont pas en même temps des centres de production sont normalement approvisionnés en reproducteurs ou en semence par le ou les centres de production avec lesquels ils ont souscrit un contrat d'approvisionnement. Les éleveurs établis dans la zone d'action d'un centre de mise en place peuvent demander à celui-ci de leur fournir de la semence provenant de centres de production de leur choix (article 5, cinquième alinéa) mais les frais supplémentaires résultant d'un tel choix sont à la charge des utilisateurs.
6. A l'intérieur du territoire métropolitain français, il existe actuellement 51 centres de mise en place et 23 centres de production agréés dont trois seulement sont également autorisés comme centres de mise en place. Tous les centres d'insémination en France sont constitués sous la forme de coopératives agricoles. De même, tous, à l'exception de quatre, sont devenus membres associés de l'UNCEIA (Union nationale des coopératives agricoles d'élevage et d'insémination artificielle) qui est la seule entité regroupant des centres de production et de mise en place sur l'ensemble du territoire français. D'après l'article 7 de ses statuts, l'adhésion à l'UNCEIA entraîne l'engagement, pour ses membres, d'utiliser ses services de façon exclusive. D'autre part, selon l'article 29 desdits statuts, l'assemblée générale de l'UNCEIA adopte des décisions obligatoires pour tous les associés, même pour les absents et les dissidents.
7. Quant à l'importation en France de la semence bovine, elle est réglementée par un arrêté du ministre de l'Agriculture du 17 avril 1969 (JORF du 30. 4. 1969, p. 4349), modifié par un autre arrêté du 24 janvier 1989, relatif aux autorisations de fonctionnement des centres d'insémination artificielle (JORF du 31. 1. 1989, p. 1469). D'après l'article 2 de ce dernier arrêté, tout ressortissant d'un Etat membre peut importer librement de la semence, à condition qu'elle provienne de centres de production sélectionnés par le ministère de l'Agriculture et qu'elle soit prélevée sur des taureaux qui satisfont aux conditions zootechniques et sanitaires prévues par les législations française et communautaire. Enfin, ledit article 2 prévoit que tout opérateur économique privé qui importe des semences en provenance d'un autre Etat membre de la Communauté doit les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé. Il peut constituer un stock de semences importées dans le centre choisi.
8. En droit communautaire, l'article 2, deuxième tiret de la directive 77-504 et l'article 2, paragraphe 1, deuxième tiret, de la directive 87-328 disposent que les Etats membres veillent à ce que les échanges intra-communautaires de sperme et d'ovules fécondés provenant de bovins reproducteurs de race pure ne soient pas interdits, restreints ou entravés pour des raisons zootechniques. En application de l'article 3 de la première directive, le Conseil devait, avant le 1er juillet 1980, arrêter les dispositions communautaires d'admission des bovins reproducteurs de race pure à la production, y compris l'utilisation de leur sperme, ce qui a été fait par la directive 87-328.
9. L'article 4 de cette dernière directive oblige les Etats membres à veiller à ce que, pour les échanges intra-communautaires, la semence des taureaux de race pure soit récoltée, traitée et stockée dans un centre d'insémination artificielle officiellement agréé. D'après ses quatrième et septième considérants, il suffit, pour éviter toute détérioration du patrimoine génétique, d'exiger que les semences proviennent des centres chargés de l'insémination artificielle officiellement agréés des autres Etats membres.
10. Cette réglementation a été complétée par la directive 91-174-CEE du Conseil, du 25 mars 1991, relative aux conditions zootechniques et généalogiques régissant la commercialisation d'animaux de race et modifiant les directives 77-504-CEE et 90-425-CEE (JO L 85, p. 37).
11. Enfin, la directive 88-407-CEE du Conseil, du 14 juin 1988, fixant les exigences de police sanitaire applicables aux échanges intra-communautaires et aux importations de sperme surgelé d'animaux de l'espèce bovine (JO L 194, p. 10), précise, dans son article 3, les conditions sanitaires que doivent réunir les doses de semence admises au commerce intra-communautaire. Cette directive a été modifiée par la directive 90-425-CEE du Conseil, du 26 juin 1990, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intra-communautaires de certains animaux vivants et produits dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO L 224, p. 29).
12. Il ressort du dossier que, depuis 1961, le Centre de la Crespelle entretient des dépôts de semence bovine et procède à sa mise en place dans une partie du département de la Mayenne. La coopérative de la Mayenne, qui bénéficie de droits exclusifs dans cette région depuis 1970, l'a assigné, pour violation de ces droits, devant le Tribunal de grande instance de Rennes. Cette juridiction a condamné le centre par un jugement du 25 juin 1991. Ce dernier ayant été confirmé par la Cour d'appel de Rennes, le Centre de la Crespelle s'est pourvu en cassation en faisant valoir que le système français de fonctionnement des centres de mise en place des semences contrevenait à certaines dispositions du traité.
13. Doutant de l'interprétation à donner au droit communautaire, la Cour de cassation a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) Les dispositions des articles 5, 86 et 90, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté économique européenne s'opposent-elles à ce qu'une législation nationale, telle que celle de l'espèce, institue des centres de mise en place de la semence, seuls habilités à intervenir dans une zone délimitée, et leur réservent-elles la faculté de facturer des frais supplémentaires, lorsque les éleveurs se trouvant dans la zone où le centre a une compétence exclusive demandent la fourniture de semences provenant de centres de production agréés de leur choix ?
2) Les articles 30 et 36 de ce même traité, l'article 2 de la directive 77-504-CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, concernant les animaux de l'espèce bovine reproducteurs de race pure, et l'article 4 de la directive 87-328-CEE du Conseil, du 18 juin 1987, relative à l'admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure, s'opposent-ils à une réglementation nationale, telle que celle de l'espèce, qui impose aux opérateurs économiques important des semences provenant d'un Etat membre de la Communauté de les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé ?"
Sur la première question
14. Par la première question, la juridiction de renvoi soulève en substance deux problèmes différents. Tout d'abord, elle se demande si les articles 5, 86 et 90, paragraphe 1, du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à l'octroi, par un Etat membre, à des centres de mise en place de la semence bovine agréés de certains droits exclusifs dans une zone délimitée. Ensuite, elle cherche à savoir si ces dispositions s'opposent à ce que, lorsque les éleveurs établis dans la zone relevant de la compétence exclusive d'un centre agréé demandent à ce dernier de leur fournir de la semence provenant d'un centre de production de leur choix, le centre facture aux éleveurs les frais supplémentaires que peut engendrer un tel choix.
Sur la première partie de la première question
15. En ce qui concerne les dispositions du traité en cause, il convient d'observer d'abord que l'article 5 impose aux Etats membres l'obligation de s'acquitter loyalement de leurs obligations communautaires. Toutefois, selon une jurisprudence constante, cette disposition ne saurait être appliquée de manière autonome lorsque la situation considérée est régie par une disposition spécifique du traité, comme c'est le cas en l'occurrence (voir arrêt du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l'Ouest e.a., C-78-90 à C-83-90, Rec. p. I-1847, point 19). Par conséquent, la question doit être examinée au regard des articles 90, paragraphe 1, et 86 du traité.
16. L'article 90, paragraphe 1, prévoit que les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment à celles prévues aux articles 7 et 85 à 94 inclus.
17. En l'espèce, en soumettant l'exploitation des centres de mise en place de semence à des autorisations et en prévoyant que chaque centre dessert une zone déterminée de façon exclusive, la législation nationale leur a accordé des droits exclusifs. En établissant ainsi, en faveur de ces entreprises, une juxtaposition de monopoles territorialement limités, mais couvrant, dans leur ensemble, tout le territoire d'un Etat membre, ces dispositions nationales créent une position dominante au sens de l'article 86 du traité sur une partie substantielle du Marché commun.
18.Le simple fait de créer une telle position dominante par l'octroi d'un droit exclusif au sens de l'article 90, paragraphe 1, n'est pas, en tant que tel, incompatible avec l'article 86 du traité. Un Etat membre n'enfreint, en effet, les interdictions contenues dans ces deux dispositions que si l'entreprise en cause est amenée, par le simple exercice du droit exclusif qui lui a été conféré, à exploiter sa position dominante de façon abusive (voir arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979, point 29, et, en dernier lieu, du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179-90, Rec. p. I-5889, point 17).
19. En l'espèce, l'abus allégué consiste dans la perception de prix exorbitants de la part des centres de mise en place.
20. Il convient donc d'examiner si une telle pratique constitutive de l'abus allégué est la conséquence directe de la loi. A cet égard, il convient de constater que la loi se limite à permettre aux centres de mise en place d'exiger des éleveurs qui leur demandent de fournir des semences provenant de centres de production différents le paiement des frais supplémentaires résultant de ce choix.
21. Une telle disposition, si elle laisse aux centres de mise en place le soin d'établir ces frais, ne les amène pas à exiger des frais disproportionnés et à ainsi abuser de leur position dominante.
22. En conséquence, il y a lieu de répondre à cette partie de la question que les articles 90, paragraphe 1, et 86 du traité ne s'opposent pas à l'octroi, par un Etat membre, à des centres de mise en place de la semence bovine agréés de certains droits exclusifs dans une zone délimitée.
Sur la seconde partie de la première question
23. L'article 5 de la loi française n° 66-1005 du 28 décembre 1966 sur l'élevage prévoit, en son cinquième alinéa, que les éleveurs se trouvant dans la zone d'action d'un centre de mise en place pourront demander à ce dernier de leur fournir de la semence provenant de centres de production de leur choix et que les frais supplémentaires résultant de ce choix seront à la charge des utilisateurs.
24. Or, l'article 86 s'oppose à ce que les centres, dans l'exercice autonome de leur activité économique, exploitent abusivement leur position dominante.
25. Comme la Cour l'a déjà jugé, il y a exploitation abusive d'une position dominante lorsque l'entreprise bénéficiant d'une situation de monopole administratif exige, pour ses services, des redevances disproportionnées par rapport à la valeur économique de la prestation fournie (voir arrêts du 13 novembre 1975, General Motors, 26-75, Rec. p. 1367, point 12, et du 11 novembre 1986, British Leyland, 226-84, Rec. p. 3263, point 27).
26. De même, les centres agréés exploiteraient abusivement leur position dominante s'ils mettaient à la charge des utilisateurs des frais supérieurs aux frais supplémentaires effectivement encourus pour se procurer et pour conserver jusqu'à la mise en place la semence importée d'un autre Etat membre à la demande d'un utilisateur.
27. Il résulte de ce qui précède que l'article 86 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que des centres de mise en place de la semence, seuls habilités à intervenir dans une zone délimitée, mettent à la charge des utilisateurs, qui leur demandent de fournir de la semence provenant de centres de production d'autres Etats membres, des frais supplémentaires, à condition qu'ils aient été effectivement supportés par les centres de mise en place pour répondre à la demande de ces utilisateurs.
Sur la seconde question
28. Afin de répondre à la seconde question de la juridiction de renvoi relative à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité ainsi que des directives 77-504 et 87-328, il convient de rappeler que, comme la Cour l'a jugé de façon constante (voir, en premier lieu, arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837), est à considérer comme mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intra-communautaire.
29. La réglementation d'un Etat membre qui oblige les opérateurs économiques privés important sur son territoire des doses de semence bovine en provenance d'un autre Etat membre à les déposer, moyennant un prix, auprès d'un centre agréé bénéficiaire d'une concession exclusive en matière de stockage et de mise en place de la semence constitue une telle entrave aux importations. En effet, cette exigence, du fait qu'elle s'applique au stade suivant immédiatement l'importation et qu'elle impose une charge économique aux importateurs, est de nature à restreindre le volume des importations.
30. L'article 36 du traité prévoit qu'il est fait exception à l'interdiction des restrictions à l'importation, à l'exportation et au transit, lorsque des mesures de cette nature sont justifiées notamment par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux (voir arrêt du 15 décembre 1976, Simmenthal, 35-76, Rec. p. 1871, point 18).
31. Toutefois, il est de la jurisprudence constante que, lorsque, par application de l'article 100 du traité CEE, des directives communautaires prévoient l'harmonisation de mesures nécessaires, entre autres, pour assurer la protection de la santé des personnes et des animaux et aménagent des procédures communautaires de contrôle de leur observation, le recours à l'article 36 cesse d'être justifié, les contrôles appropriés devant désormais être effectués et les mesures de protection prises dans le cadre tracé par la directive d'harmonisation (voir arrêts du 5 octobre 1977, Tedeschi, 5-77, Rec. p. 1555, point 35 ; du 5 avril 1979, Ratti, 148-78, Rec. p. 1629, point 36 ; du 8 novembre 1979, Denkavit, 251-78, Rec. p. 3369, point 14, et du 20 septembre 1988, Moormann, 190-87, Rec. p. 4689, point 10).
32. S'appuyant sur cette jurisprudence, le Gouvernement français justifie sa réglementation par la nécessité d'améliorer, sur le plan génétique, le cheptel bovin, d'une part, et par des considérations sanitaires, d'autre part.
33. S'agissant des raisons tenant à l'amélioration génétique du cheptel bovin, il convient de rappeler que la directive 87-328, qui vise à supprimer les obstacles zootechniques aux échanges intra-communautaires de la semence bovine, oblige, en son article 2, paragraphe 1, les Etats membres, à supprimer toute entrave à l'entrée et à l'utilisation sur leur territoire de la semence bovine importée des autres Etats membres dans les conditions prévues à son article 4 (voir point 9 ci-dessus). D'autre part, l'article 2 de la directive 91-174 prévoit que la commercialisation du sperme d'animaux de race ne peut pas être interdite, restreinte ou entravée pour des raisons généalogiques. De ces dispositions, il résulte que les conditions zootechniques et généalogiques ont fait l'objet d'une harmonisation complète au niveau communautaire.
34. Quant aux considérations sanitaires, elles font l'objet de la directive 88-407 qui, d'après son article 1er, s'applique aux échanges intra-communautaires et aux importations de sperme surgelé d'animaux de l'espèce bovine, en provenance des pays tiers. L'article 3 de la directive comme son annexe C, qui déterminent les conditions générales applicables aux échanges intra-communautaires de sperme bovin, ne contiennent des précisions que sur sa collecte et son traitement dans l'Etat membre expéditeur, ainsi que sur le transport vers l'Etat de destination. Aucune disposition de la directive ne porte donc sur le stockage ni sur l'utilisation de la semence dans l'Etat de destination.
35. Il s'ensuit que les conditions sanitaires dans les échanges intra-communautaires de la semence bovine n'ont pas encore fait l'objet d'une harmonisation complète au niveau communautaire en ce qui concerne l'Etat de destination de la semence. Dès lors, les Etats membres peuvent valablement invoquer des raisons sanitaires pour faire obstacle à la libre circulation du sperme bovin pour autant que les restrictions aux échanges intra-communautaires sont proportionnées à l'objectif visé.
36. A cet égard, pour vérifier si les effets restrictifs de la réglementation en cause sur les échanges intra-communautaires ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé, il importe d'examiner si ces effets sont directs, indirects ou simplement hypothétiques et s'ils ne gênent pas la commercialisation des produits importés plus que celle des produits nationaux (voir arrêt du 16 décembre 1992, B & Q, C-169-91, Rec. p. I-6635, point 15).
37. Sur ce point, il convient de rappeler que l'article 2, paragraphe 3, de l'arrêté français du 24 janvier 1989 établit une obligation d'entreposage auprès des centres agréés pour la seule semence importée. Toutefois, d'après les explications qui ont été fournies par le Gouvernement français à l'audience et qui n'ont pas été contestées par les autres intervenants, une obligation similaire pour la semence produite sur le territoire français découle du monopole détenu par les centres d'insémination, car seuls ces centres sont autorisés à produire et à stocker de la semence en France.
38. S'agissant des effets dans la pratique de l'obligation de stockage de la semence, il ne peut être exclu que, même si cette restriction est indistinctement applicable aux produits nationaux et importés, ces derniers soient défavorisés par rapport à la production nationale. Etant donné que, dans le cas d'espèce, la législation nationale ne prévoit pas de dispositions portant sur les conditions de l'entreposage, notamment sur le prix à payer par l'importateur au centre agréé, et que ce prix est fixé généralement de façon forfaitaire, aucune disposition n'empêche les centres agréés d'appliquer des conditions disproportionnées pour l'entreposage de la semence importée par des particuliers.
39. La question de savoir si le fonctionnement des centres agréés en ce qui concerne les conditions d'entreposage de la semence aboutit en pratique à créer une discrimination à l'égard du produit importé relève de l'appréciation des faits qui appartient à la juridiction nationale.
40. Il convient, par conséquent, de répondre à la seconde question préjudicielle que les articles 30 et 36 du traité, considérés dans leur ensemble, l'article 2 de la directive 77-504-CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, concernant les animaux de l'espèce bovine reproducteurs de race pure, et l'article 4 de la directive 87-328-CEE du Conseil, du 18 juin 1987, relative à l'admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation nationale, qui impose aux opérateurs économiques important des semences provenant d'un Etat membre de la Communauté de les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé.
Sur les dépens
41. Les frais exposés par le Gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant sur les questions à elle soumises par la Cour de cassation française, par arrêt du 15 juin 1993, dit pour droit : 1) Les articles 90, paragraphe 1, et 86 du traité CEE ne s'opposent pas à l'octroi, par un Etat membre, à des centres de mise en place de la semence bovine agréés de certains droits exclusifs dans une zone délimitée. 2) L'article 86 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que des centres de mise en place de la semence, seuls habilités à intervenir dans une zone délimitée, mettent à la charge des utilisateurs, qui leur demandent de fournir de la semence provenant de centres de production d'autres Etats membres, des frais supplémentaires, à condition qu'ils aient été effectivement supportés par les centres de mise en place pour répondre à la demande de ces utilisateurs. 3) Les articles 30 et 36 du traité CEE, considérés dans leur ensemble, l'article 2 de la directive 77-504-CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, concernant les animaux de l'espèce bovine reproducteurs de race pure, et l'article 4 de la directive 87-328-CEE du Conseil, du 18 juin 1987, relative à l'admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui impose aux opérateurs économiques important des semences provenant d'un Etat membre de la Communauté de les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé.