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Décisions

CCE, 21 septembre 1994, n° 94-663

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Night Service

CCE n° 94-663

21 septembre 1994

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu l'accord relatif à l'Espace économique européen, vu le règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application des règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (1), modifié par l'acte d'adhésion de la Grèce, et notamment son article 5, vu la demande d'exemption au titre de l'article 5 du règlement (CEE) n° 1017- 68 présentée, le 29 janvier 1993, pour des accords relatifs au transport ferroviaire de voyageurs par le tunnel sous la Manche, vu la publication de l'essentiel du contenu de l'accord en cause (2), conformément à l'article 12 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 1017-68, vu la décision de la Commission du 23 août 1993 de soulever des doutes sérieux au sens de l'article 12 paragraphe 3 du règlement (CEE) n° 1017-68, vu la publication donnant aux tiers intéressés l'occasion de réagir sur le projet de la Commission d'exempter l'accord (3), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes dans le domaine des transports, considérant ce qui suit :

I. LES FAITS

A. La notification

(1) Le 29 janvier 1993, la Commission a reçu de European Night Services Limited (ENS), British Rail (BR), Deutsche Bundesbahn (DB), NV Nederlandse Spoorwegen (NS), de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et de la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB) une demande de déclaration de non-applicabilité de l'article 2 du règlement (CEE) n° 1017-68, ou, à défaut, une exemption au titre de l'article 5 dudit règlement, pour des accords relatifs au transport ferroviaire de voyageurs par le tunnel sous la Manche.

B. Les parties en cause

(2) BR, EPS, NS, DB, SNCF et SNCB sont des entreprises ferroviaires au sens de l'article 3 de la directive 91-440-CEE du Conseil (4).

(3) European Passenger Services (EPS) était, au moment de la notification, une filiale contrôlée à 100 % par BR. Depuis le 10 mai 1994, elle constitue une entreprise ferroviaire contrôlée par les pouvoirs publics britanniques. Celle-ci s'est substituée à BR pour la prestation des services de transport international de passagers. En même temps, la participation de BR dans ENS a été transférée à EPS.

(4) German Rail UK Limited (GR UK) est une filiale à part entière de DB.

(5) Transmanche Night Travel Limited (TNT) est une filiale à 100 % de France Rail, elle-même filiale à 100 % de la SNCF.

(6) ENS est une entreprise commune constituée entre BR, désormais EPS, DB, NS et SNCF.

C. Les marchés

(7) Les marchés en cause sont ceux du transport, d'une part d'hommes d'affaires, d'autre part de touristes, entre les destinations suivantes :

- Londres-Amsterdam,

- Londres-Francfort/Dortmund,

- Paris-Glasgow/Swansea,

- Bruxelles-Glasgow/Plymouth.

D. Les accords en cause

(8) Le premier accord porte sur la création d'ENS, private company limited by shares, constituée au Royaume-Uni, dont les actionnaires sont :

- EPS :61.5%

- TNT (SNCF) :11,5%

- GR UK (DB) : 13,5%

- NS : 13,5%

(9) ENS aura pour mission de fournir et d'exploiter des services de transport ferroviaire de nuit pour le transport de voyageurs entre la Grande-Bretagne et le Continent par le tunnel sous la Manche.

Il est prévu de mettre en service à partir de 1995/1996 un train par nuit, dans chaque direction sur chacun des itinéraires suivants :

- Londres-Amsterdam,

- Londres-Francfort/Dortmund,

- Paris-Glasgow/Swansea,

- Bruxelles-Glasgow/Plymouth.

(10) Les services de nuit doivent répondre aux besoins de trois catégories de voyageurs :

- les hommes d'affaires, désirant avoir un lit confortable et un maximum d'intimité, une qualité et un service de haut niveau et des heures de départ et d'arrivée adaptées à leur activité,

- les touristes, désirant un confort égal ou similaire à celui offert aux hommes d'affaires,

- les touristes plus soucieux des prix et pouvant se contenter de sièges inclinables confortables conçus pour le voyage de nuit.

(11) La seconde catégorie d'accords concerne des accords d'exploitation signés le 30 juin 1992 par ENS avec les entreprises ferroviaires parties à l'accord ENS ainsi qu'avec la SNCB.

(12) En vertu des accords d'exploitation, ENS sera chargée de l'émission, sous son nom, de billets de train pour chaque itinéraire, et chacune des sociétés de chemins de fer concernées convient de lui fournir les services suivants :

- traction ferroviaire sur son réseau : fourniture de la locomotive, de l'équipage et du sillon horaire,

- services de nettoyage à bord : nettoyage du matériel roulant utilisé, entretien des wagons-lits, opérations de terminal et personnel à bord,

- entretien journalier : maintenance journalière, contrôles de sécurité, réparations d'urgence du matériel roulant arrivant à la gare du terminal,

- services voyageurs pour les services de nuit comprenant notamment des arrêts commerciaux dans une gare située sur le réseau de la société de chemins de fer, sécurité des voyageurs aux terminaux ou dans les trains, utilisation de systèmes de réservation, distribution de systèmes de réservation aux points de vente,

- services de marketing en coopération avec ENS, mais à l'exclusion de la distribution de billets.

(13) Outre les services mentionnés ci-dessus, EPS et la SNCF conviennent d'assurer la traction ferroviaire sur le trajet du tunnel sous la Manche, en fournissant notamment les locomotives appropriées, les équipages et les sillons horaires.

(14) Le service requiert un matériel roulant spécialisé pouvant circuler sur des réseaux ferroviaires différents et conforme aux exigences en matière de sécurité pour la traversée du tunnel.

(15) Pour l'achat de ce matériel roulant, les entreprises ferroviaires participantes (BR, DB, NS, SNCF) ont conclu par l'intermédiaire d'ENS un accord de vente et de cession-bail, en vertu duquel les bailleurs sont convenus de louer le matériel roulant à ENS pour une période initiale de vingt ans.

II. APPRECIATION JURIDIQUE

A. Les dispositions juridiques applicables

(16) Les entreprises parties à l'accord ont demandé une exemption au titre du seul article 5 du règlement (CEE) n° 1017-68. Toutefois, l'accord en cause étant susceptible d'avoir des effets dans le territoire de l'Espace économique européen, il convient également d'apprécier sa licéité au regard de l'article 53 de l'accord EEE. Dès lors, l'analyse suivante au titre des articles 85 et 86 du traité vaut également pour les dispositions équivalentes de l'accord EEE.

B. Le marché en cause

a) Le marché des services

(17) Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice que " la notion de marché implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits ou les services qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les services faisant partie d'un même marché " (5).

(18) Dès lors, s'agissant de transports de passagers, la seule substituabilité technique entre différents modes de transport ne saurait suffire à démontrer l'appartenance de ceux-ci à un même marché.

(19) Il convient d'apprécier dans quelle mesure ces différents modes de transport présentent, pour les usagers, un degré suffisant d'interchangeabilité.

(20) Dans le cas d'espèce, les services offerts par ENS visent essentiellement deux catégories différentes de clients : d'une part, les personnes qui voyagent pour des raisons professionnelles, d'autre part, des personnes qui voyagent dans le cadre de leurs loisirs.

(21) La première catégorie de clients recherche un mode de transport rapide, offrant un niveau de confort élevé, et des fréquences et des horaires adaptés à leurs contraintes professionnelles. Le prix du transport n'intervient pas comme élément déterminant pour le choix du mode de transport.

(22) Les personnes qui effectuent un voyage d'agrément et prennent en charge le coût de ce voyage accordent par contre une importance plus grande au prix du transport. La rapidité, le confort et les fréquences ne constituent pas des éléments déterminants.

(23) Cette différence de comportement est notamment soulignée par l'Institut du transport aérien dans son étude relative aux complémentarités train/avion en Europe (6).

(24) Dans la même étude, l'Institut du transport aérien a également mis en évidence que le train à grande vitesse et l'avion sont essentiellement concurrents pour les transports sur des distances comprises entre 350 et 1 000 kilomètres.

(25) Dès lors, il convient de constater dans le cas d'espèce l'existence de deux marchés des services.

(26) D'une part, un marché du transport des personnes qui voyagent pour affaires et pour qui le transport aérien en vol régulier et le transport ferroviaire à grande vitesse constituent des modes de transport substituables.

Les trains de nuit exploités par ENS constituent également un service substituable en raison de leur niveau de confort et des horaires particulièrement adaptés pour les voyages d'affaires.

(27)D'autre part, un marché du transport des personnes qui voyagent dans le cadre de leurs loisirs, pour qui les services substituables peuvent comprendre l'avion en classe économique, le train, l'autobus et éventuellement la voiture individuelle.

b) Le marché géographique

(28) A ce sujet, il convient de rappeler que la Cour de justice, dans son arrêt dans l'affaire 66-86, Ahmed Saeed Flugreisen (7), a exclu l'existence d'un marché global des transports de voyageurs.

La Cour a précisé que le " critère à retenir est celui de savoir si le vol régulier sur une certaine ligne peut être individualisé par rapport aux possibilités alternatives de transport, par ses caractéristiques particulières qui ont pour résultat qu'il soit peu interchangeable avec elles et ne subisse leur concurrence que d'une manière peu sensible ".

(29) Dès lors, la Commission est d'avis que le marché géographique en cause ne recouvre pas l'ensemble du Royaume-Uni, de la France, de l'Allemagne et des pays du Benelux, mais doit être limité aux lignes effectivement desservies par ENS, soit :

- Londres-Amsterdam,

- Londres-Francfort/Dortmund,

- Paris-Glasgow/Swansea,

- Bruxelles-Glasgow/Plymouth.

C. La notion d'accord

(30) ENS est une société de droit britannique au capital de 100 000 livres sterling réparti entre :

- EPS : 61,5%

- TNT (SNCF) : 11,5%

- GR UK (DB) : 13,5%

- NS : 13,5%

Bien qu'EPS possède la majorité du capital, chaque entreprise ferroviaire est représentée par un membre au conseil d'administration d'ENS et la plupart des décisions importantes demandent l'accord de tous les membres.

(31) ENS est donc une entreprise conjointement contrôlée par quatre entreprises, celles-ci étant soit filiales d'entreprise ferroviaire, soit entreprises ferroviaires. ENS constitue dès lors une entreprise commune au sens de la communication de la Commission relative aux entreprises communes (8).

(32) Il est prévu qu'ENS développe ses activités de façon durable et prenne en charge toutes les fonctions d'une unité économique autonome.

(33) Il convient également de constater que les entreprises fondatrices d'ENS ne se retirent pas de façon permanente du marché en cause. Celles-ci disposent des moyens techniques et financiers pour aisément créer un regroupement international au sens de l'article 3 de la directive 91-440-CEE et fournir des services de transport nocturne de passagers.

(34) Par ailleurs, EPS, SNCF, DB et NS restent prioritairement actives sur un marché en amont du marché d'ENS, celui des services ferroviaires indispensables que les entreprises ferroviaires vendent aux opérateurs de transport, notamment à ENS.

(35) En conséquence, la Commission est d'avis que l'entreprise commune ENS a pour objet et pour effet une coordination du comportement concurrentiel d'entreprises qui restent indépendantes.

(36) ENS constitue dès lors une entreprise commune de nature coopérative qui entre dans le champ d'application de l'article 85 du traité CE.

(37) Les accords d'exploitation, conclus entre d'une part ENS et d'autre part chacune des entreprises ferroviaires suivantes : EPS, NS, DB, SNCF, SNCB, constituent des accords au sens de l'article 85 du traité.

D. Les restrictions de concurrence

a-1) Restrictions de concurrence entre fondateurs et effets vis-à-vis des tiers

(38) Aux fins d'apprécier les restrictions de concurrence actuelles et potentielles, il convient de rappeler le cadre juridique dans lequel les entreprises ferroviaires fournissent leurs services.

(39) En vertu de l'article 10 de la directive 91-440-CEE, dans le domaine du transport de passagers, les regroupements internationaux d'entreprises ferroviaires disposent de droits d'accès sur les infrastructures ferroviaires des Etats membres où elles sont établies ainsi que de droits de transit sur les infrastructures des autres Etats membres aux fins de réaliser des transports internationaux.

(40) Ces possibilités sont ouvertes aux entreprises ferroviaires existantes ainsi qu'à d'éventuelles nouvelles entreprises ferroviaires, y compris à des filiales des entreprises existantes.

(41) Les dispositions de ladite directive laissent aux Etats membres la possibilité d'adopter des législations nationales plus libérales en matière d'accès à l'infrastructure.

(42) Dès lors, DB ou NS ont la possibilité de constituer un regroupement international avec une entreprise ferroviaire établie au Royaume-Uni et d'exploiter des services de transport internationaux en achetant à Eurotunnel, en qualité de gestionnaire d'infrastructures, les sillons horaires nécessaires pour traverser le tunnel sous la Manche.

(43) De même, une entreprise ferroviaire partie à l'accord a la possibilité de créer une filiale spécialisée en qualité d'opérateur de transport, aux fins d'exploiter des services de transport internationaux en achetant aux entreprises ferroviaires concernées les services ferroviaires indispensables.

(44) Enfin, une entreprise ferroviaire peut se placer elle-même en situation d'opérateur de transport et exploiter des services internationaux en achetant aux entreprises concernées les services ferroviaires indispensables.

(45) Or, en confiant l'exploitation et la commercialisation de ces services à ENS, EPS, SNCF, DB et NS annulent ou restreignent considérablement ces possibilités de concurrence.

(46) Par ailleurs, les sociétés mères d'ENS conservent une position dominante pour la fourniture des services ferroviaires dans leur Etat d'origine, notamment en ce qui concerne les locomotives spécialisées pour le tunnel sous la Manche, et ENS disposera d'un accès direct à ces services conformément aux accords d'exploitation conclus avec EPS, SNCF, DB, NS et SNCB. L'existence de relations privilégiées entre les sociétés mères et ENS risque ainsi de placer les autres opérateurs dans une situation concurrentielle défavorable pour l'acquisition de services ferroviaires indispensables.

(47) De même, il convient de prendre en considération la convention d'utilisation signée entre Eurotunnel et BR/SNCF. Même si en application du droit communautaire, BR et SNCF ne devraient pas pouvoir bénéficier de la totalité des sillons disponibles pour les trains internationaux, elles disposeront néanmoins d'une partie significative de ces sillons pour exploiter des trains internationaux et faire face à leurs engagements vis-à-vis d'Eurotunnel.

(48) Dès lors, eu égard à la puissance économique des entreprises fondatrices, la création d'ENS risque d'entraver l'accès au marché d'opérateurs de transport susceptibles de concurrencer ENS.

a-2) Renforcement des restrictions résultant de la présence de réseaux d'entreprises communes

(49) D'une façon générale, des réseaux d'entreprises communes peuvent restreindre d'une façon particulière la concurrence parce qu'ils renforcent les effets d'entreprises communes individuelles sur la politique commerciale des fondateurs ainsi que sur la position des tiers sur le marché.

(50) Dès lors, la création de toute nouvelle entreprise commune renforce chaque fois les liens entre les fondateurs de telle sorte que la concurrence qui existe encore entre eux s'en trouve davantage affaiblie. Tel est le cas lorsque les fondateurs créent plusieurs entreprises communes pour des services complémentaires, ou des services non complémentaires.

(51) La Commission considère que tel est le cas pour la présente affaire. BR/EPS, SNCF,DB et NS participent à différents degrés à un réseau d'entreprises communes pour l'exploitation de services de transport de marchandises et de voyageurs, notamment via le tunnel sous la Manche. BR et SNCF participent ainsi à la création d'Allied Continental Intermodal pour le transport combiné de marchandises et BR participe avec la SNCB à la création d'Autocare Europe pour le transport ferroviaire de véhicules automobiles.

(52) La création d'ENS s'insère dans ce réseau d'entreprises communes et limite encore davantage la concurrence entre les parties.

(53) En conséquence, il résulte des éléments visés aux considérants 38 à 52 que les accords relatifs à ENS ont pour objet et pour effet de restreindre la concurrence en violation des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité.

E. Affectation du commerce entre Etats membres

(54) ENS a pour objet l'exploitation de services de transport entre certaines localités du Royaume-Uni et certaines localités du continent européen. Cet accord affecte donc le commerce entre Etats membres.

F. Article 3 du règlement (CEE) n° 1017-68

(55) Il ressort du libellé de cet article qu'il s'applique aux accords qui ont pour seul objet et pour seul effet :

- l'application d'améliorations techniques ou - la coopération technique,

étant entendu que, pour atteindre ces objectifs, les entreprises disposent des moyens énumérés par ledit article 3 points a) à g).

(56) Il ressort de la notification présentée par les entreprises en cause que le principal objet de l'entreprise commune est la commercialisation de services de transport de passagers entre le Royaume-Uni et le Continent.

(57) Par ailleurs, sur le plan commercial, l'entreprise commune vise notamment à :

- exploiter les opportunités commerciales créées par l'ouverture du tunnel sous la Manche pour le transport de passagers,

- permettre à EPS et à la SNCF d'exploiter des trains internationaux via le tunnel sous la Manche conformément à leurs obligations en vertu de la convention d'utilisation qu'ils ont signée avec Eurotunnel,

- partager les risques financiers liés à l'exploitation de trains réguliers dès l'ouverture du tunnel.

(58) Dès lors, la Commission considère que l'accord ENS n'a pas pour seul objet et pour seul effet l'application d'améliorations techniques ou la coopération technique et que les conditions prévues à l'article 3 du règlement (CEE) n° 1017-68 ne sont pas réunies.

G. Article 5 du règlement (CEE) n° 1017-68

a) La contribution au progrès économique

(59) Dans le contexte de l'ouverture du tunnel sous la Manche, la création d'ENS favorise la mise en place de nouveaux services de transport d'un niveau qualitatif élevé.

Pour les personnes voyageant pour des raisons professionnelles, ENS offre un service substituable au transport aérien qui n'existait pas antérieurement.

Les services offerts par ENS sont ainsi de nature, dans certaines circonstances, à accroître la concurrence entre les modes de transport.

(60) Par ailleurs, l'accord en cause, en assurant l'essor du trafic entre le Royaume-Uni et le Continent, concourt à la réussite du tunnel sous la Manche.

D'une façon générale, la constitution d'ENS est donc de nature à promouvoir le progrès économique.

b) Avantages pour les utilisateurs

(61) Les utilisateurs tirent un avantage direct de la constitution d'ENS qui leur proposera de nouveaux services de transport de qualité. Par ailleurs, les utilisateurs tireront un avantage de la concurrence entre ces nouveaux services et les services de transport aérien.

c) Caractère indispensable des restrictions

(62) Les conditions juridiques de fonctionnement du marché permettent aux entreprises ferroviaires de fournir éventuellement les services en cause selon des modalités différentes.

(63) Il convient toutefois de prendre en compte les spécificités du cas d'espèce, particulièrement le fait qu'il s'agit de services totalement nouveaux, dont l'efficacité requiert la mise en place immédiate de trains empruntant de façon régulière plusieurs itinéraires, et impliquant donc des risques financiers importants qu'une entreprise seule pourrait difficilement supporter.

(64) Par ailleurs, la mise en commun du savoir-faire de chaque entreprise ferroviaire sur son territoire constitue un atout important pour assurer la réussite du projet.

(65) Dès lors, la Commission est d'avis que les restrictions de la concurrence qui résultent de la constitution d'ENS sont nécessaires au moins pendant une période transitoire, et compte tenu de la situation spécifique du marché en cause.

(66) Il convient toutefois que la Commission impose une condition visant à s'assurer que les restrictions de concurrence continuent à ne pas excéder ce qui est indispensable et à garantir la présence sur le marché d'opérateurs de transport ferroviaire concurrents d'ENS.

d) Absence d'élimination de la concurrence

(67) S'agissant du marché du transport de passagers qui voyagent pour affaires, des services substituables sont offerts par les entreprises de transport aérien.

(68) Les passagers qui voyagent à des fins de loisirs peuvent, pour leur part, avoir recours au transport aérien, ou au transport par autobus ainsi qu'au transport maritime.

(69) Par ailleurs, d'autres opérateurs de transport, similaires à ENS, doivent être en mesure de fournir des services concurrents en achetant aux entreprises ferroviaires les services ferroviaires indispensables.

(70) Dans ces conditions, la création d'ENS n'élimine pas toute concurrence sur le marché en cause.

H. Modalités de l'exemption

(71) En vertu des dispositions de l'article 13 du règlement (CEE) n° 1017-68, la décision d'exemption doit indiquer pour quelle période elle s'applique et peut être assortie de conditions et de charges.

(72) En vue de l'octroi d'une décision d'exemption, la Commission a l'obligation d'analyser l'accord dans le contexte économique dans lequel il est appelé à fonctionner.

(73) La durée de l'exemption dépend donc notamment de la période pendant laquelle il peut être raisonnablement considéré que les conditions de fonctionnement du marché ne seront pas sensiblement modifiées.

(74) Dans le cas d'espèce, cette évaluation est difficile en raison notamment du fait qu'il s'agit d'un nouveau service et que les conditions de fonctionnement du secteur des transports ferroviaires sont sensiblement modifiées à la suite de l'adoption de la directive 91-440-CEE.

(75) Par ailleurs, il importe également de prendre en considération le fait que les entreprises en cause ont consenti des investissements importants dont la rentabilité ne peut être acquise qu'après plusieurs années, sans que le montant des investissements constitue toutefois un élément déterminant pour la fixation de la période de l'exemption, l'acquisition de matériel en commun étant en effet dissociable des modalités d'exploitation commerciale de celui-ci.

(76) A cet égard, il convient de noter que, dans le domaine du transport combiné de marchandises, qui requiert également du matériel spécifique et onéreux, les entreprises ferroviaires ont fait savoir à la Commission qu'une période de cinq années est nécessaire pour mettre en place et assurer la viabilité de nouveaux services.

(77) Dans le cas d'espèce, il peut être considéré que le risque commercial est plus important en raison notamment du fait qu'il s'agit d'un service qui, sur le plan qualitatif, est tout à fait nouveau.

(78) Dès lors, la Commission considère que la durée de l'exemption peut être fixée à huit années soit jusqu'au 31 décembre 2002. Cette décision prend toutefois effet à compter de la date de notification des accords le 29 janvier 1993.

(79) L'octroi de l'exemption doit cependant être soumis à certaines conditions destinées à éviter que les restrictions de concurrence excèdent ce qui est indispensable.

(80) Pour ce faire, les nouveaux entrants sur le marché, regroupements d'entreprises ferroviaires ou opérateurs de transport, qui ne sont pas en mesure de fournir eux-mêmes les services ferroviaires indispensables ou une partie de ceux-ci, doivent pouvoir acquérir auprès des entreprises ferroviaires parties à l'accord ENS, les mêmes services ferroviaires indispensables que celles-ci se sont engagées à vendre à leur filiale.

(81) Ces services concernent la fourniture de la locomotive, de son équipage et du sillon horaire sur chaque réseau national ainsi que dans le tunnel sous la Manche. Les entreprises ferroviaires parties à l'accord ne doivent toutefois pas être tenues de fournir un sillon horaire si le demandeur intervient en qualité de regroupement d'entreprises ferroviaires au sens de l'article 10 de la directive 91-440-CEE et peut donc demander lui-même ce sillon aux gestionnaires d'infrastructures concernés.

(82) Sur leurs réseaux, les entreprises ferroviaires doivent fournir ces services dans les mêmes conditions techniques et financières que celles accordées par les entreprises ferroviaires à ENS.

(83) Les entreprises ferroviaires ne doivent pas être tenues de fournir ces services si le nouvel entrant est en mesure de les fournir lui-même ou si elles ne disposent pas des moyens de traction nécessaires.

(84) Ces obligations doivent s'entendre indépendamment des obligations générales qui pèsent sur les entreprises ferroviaires en vertu des dispositions de l'article 86 du traité,

A ARRÊTE LA PRESENTE DECISION :

Article premier

Conformément à l'article 5 du règlement (CEE) n° 1017-68 et à l'article 53 paragraphe 3 de l'accord sur l'Espace économique européen, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CE et de l'article 53 paragraphe 1 de l'accord EEE sont déclarées inapplicables aux accords relatifs à European Night Services Limited, ci-après ENS. Cette exemption prend effet le 29 janvier 1993 et se termine le 31 décembre 2002.

Article 2

L'exemption visée à l'article 1er est assortie de la condition que les entreprises ferroviaires parties à l'accord ENS fournissent en tant que de besoin à tout regroupement international d'entreprises ferroviaires ou à tout opérateur de transport souhaitant exploiter des trains de nuit de passagers empruntant le tunnel sous la Manche, les services ferroviaires indispensables que celles-ci se sont engagées à fournir à ENS. Ces services concernent la fourniture de la locomotive, de son équipage et du sillon horaire sur chaque réseau national, ainsi que dans le tunnel sous la Manche. Les entreprises ferroviaires doivent fournir ces services sur leurs réseaux dans les mêmes conditions techniques et financières que celles accordées à ENS.

Article 3

Les entreprises suivantes sont destinataires de la présente décision :

- European Passenger Services EPS House Waterloo Station GB-London SE1 8SE,

- SNCF 88, rue Saint-Lazare F-75009 Paris,

- Deutsche Bahn AG Friedrich-Ebert-Anlage 43-45 D-60327 Frankfurt am Main,

- NV Nederlandse Spoorwegen Hoofddirectie Moreelsepark Postbus 2025 NL-3500 HA Utrecht,

- European Night Services Limited Mercury House 117 Waterloo Road GB-London SE1 8UL.

(1) JO n° L 175 du 23. 7. 1968, p. 1.

(2) JO n° C 149 du 29. 5. 1993, p. 10.

(3) JO n° C 153 du 4. 6. 1994, p. 15.

(4) JO n° L 237 du 24. 8. 1991, p. 25.

(5) Arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, affaire 85-76, Recueil 1979, p. 461, point 28 des motifs.

(6) ITA/Paris, décembre 1991.

(7) Arrêt du 11 avril 1989, Recueil 1989, p. 803, point 40 des motifs.

(8) JO n° C 43 du 16. 2. 1993, p. 2.