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Décisions

CJCE, 9 août 1994, n° C-44/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Namur-Les assurances du crédit (SA)

Défendeur :

Office national du ducroire, Etat belge

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco, Edward

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Rodriguez Iglesias, Grévisse (rapporteur), Zuleeg, Kapteyn, Murray

Avocats :

Mes Van Ommeslaghe, Van Hecke, Van de Walle de Ghelcke.

CJCE n° C-44/93

9 août 1994

LA COUR,

1 Par arrêt du 5 février 1993, parvenu à la Cour le 16 février 1993, la Cour d'appel de Bruxelles a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 92 et 93 du traité.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant initialement la société Namur-Les assurances du crédit SA (ci-après "Namur AC") et la Compagnie belge d'assurance crédit SA (ci-après la "Cobac") à l'Office national du ducroire (ci-après l'"OND") et à l'Etat belge.

3 En vertu de la loi belge du 31 août 1939 sur l'OND, cet organisme, qui est un établissement public chargé notamment de garantir les risques afférents à des opérations de commerce extérieur, dispose de plusieurs avantages: garantie de l'Etat, formulée comme un principe général, dotation en capital d'obligations de l'Etat productives de revenus, couverture par l'Etat du déficit annuel de trésorerie, exemption de la taxe sur les contrats d'assurance et de l'impôt des sociétés.

4 Depuis 1935, l'OND et la Cobac, entreprise privée d'assurance-crédit la plus ancienne en Belgique, étaient liées par une convention de réassurance aux termes de laquelle l'OND assurait "la prise en charge, par voie de réassurance facultative, de tout ou partie des engagements contractés par la Compagnie en tant qu'assureur primaire". Cette convention, qui ne comportait pas de restriction particulière au champ d'activité de l'OND, a été ultérieurement remplacée par une convention de collaboration en vertu de laquelle l'établissement public n'assurait qu'exceptionnellement les risques commerciaux afférents aux opérations d'exportation de biens et services à destination de l'Europe occidentale, lesquels risques étaient normalement pris en charge par la Cobac. Cette dernière convention a été résiliée par l'OND à la fin de l'année 1988 au motif qu'elle constituait un partage de marché interdit par les règles communautaires de concurrence et, en 1989, l'établissement public est entré, avec l'accord des ministres de tutelle, sur le marché de l'assurance-crédit des risques en Europe occidentale.

5 Estimant que l'extension du champ d'activité de l'OND était, compte tenu des avantages accordés par l'Etat à cet organisme, de nature à fausser la concurrence, la Cobac et Namur AC, autre entreprise privée présente sur le même marché, ont introduit devant la Commission une plainte fondée sur la violation des articles 92 et 93 du traité. Elles ont, par ailleurs, saisi le juge national afin d'obtenir notamment, sur le fondement de l'article 93, paragraphe 3, la suspension de l'activité de l'OND en matière d'assurance-crédit à l'exportation vers les Etats membres jusqu'à l'intervention d'une décision de la Commission sur la compatibilité des aides accordées ou d'une décision judiciaire sur le fond du litige les opposant à cet établissement public et à l'Etat belge.

6 Le Président du Tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en référé, a estimé que les aides litigieuses relevaient de l'article 93, paragraphe 1, du traité et s'est, en raison de l'absence d'effet direct de cette disposition, déclaré incompétent pour connaître de l'affaire.

7 Saisie à son tour de celle-ci, la Cour d'appel de Bruxelles, estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation des articles 92 et 93 du traité, a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 93, paragraphe 3, du traité doit-il être interprété en ce sens que doit être considérée comme l'institution ou la modification d'une aide la décision d'un Etat membre d'autoriser, après l'entrée en vigueur du traité, un établissement public qui ne pratiquait que d'une manière marginale l'assurance-crédit à l'exportation vers les autres Etats membres à exercer désormais cette activité sans aucune limite, avec la conséquence que les aides qui étaient accordées par cet Etat à cet établissement en vertu d'une législation antérieure à l'entrée en vigueur du traité s'appliquent désormais, par le fait même, à l'exercice de cette activité ainsi étendue ?

2) L'article 93 du traité doit-il être interprété en ce sens que doit être considérée comme soumise au régime des aides existantes une aide nouvelle dès lors que, n'ayant pas été notifiée à la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, elle a fait l'objet d'une plainte auprès de cette dernière, dans l'hypothèse où, après avoir procédé à un examen préliminaire de cette aide et avoir adressé à l'Etat membre concerné une demande de renseignements concernant celle-ci, en précisant qu'en cas de non-réponse ou de réponse non satisfaisante à l'expiration du délai imparti, elle se verrait obligée d'ouvrir la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité - demande à laquelle il a été déféré - la Commission n'a pas introduit ladite procédure dans un délai raisonnable ?

3) L'article 92, paragraphe 1, du traité doit-il être interprété en ce sens que doit être considérée comme l'institution ou la modification d'une aide l'attitude d'un Etat membre consistant:

a) à communiquer, par la voie des délégués ministériels siégeant au sein du Conseil d'administration d'un établissement public doté d'une personnalité juridique distincte et conformément à la législation régissant cet établissement, une ligne générale de politique impliquant l'élargissement du bénéfice d'une aide ?

b) à ne pas s'opposer, à l'intervention des délégués ministériels siégeant au sein du conseil d'administration d'un tel établissement public, à une décision de ce dernier impliquant l'élargissement du bénéfice d'une aide, notamment en s'abstenant de provoquer l'annulation de cette décision alors que la législation régissant cet établissement public permettait cette annulation par l'Etat après suspension de ladite décision par lesdits délégués ministériels ? "

8 Postérieurement à cet arrêt de renvoi, la Cour d'appel de Bruxelles a été amenée à donner acte à la Cobac de son désistement. Namur AC a fait part de son intention de poursuivre seule l'action engagée.

9 Pour répondre aux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, il est nécessaire de rappeler tout d'abord l'articulation des dispositions de l'article 93 du traité et les pouvoirs et responsabilités que ces dispositions donnent à la Commission, d'une part, aux Etats membres et à leurs juridictions, d'autre part, compte tenu de la distinction entre les aides existantes et les aides nouvelles. Il conviendra ensuite d'examiner ensemble les première et troisième questions, par lesquelles le juge national cherche à savoir si la décision d'un Etat membre d'autoriser l'extension du champ d'activité d'un établissement public bénéficiant d'aides étatiques ou l'attitude de cet Etat, telle que décrite dans l'arrêt de renvoi, à l'égard d'une décision prise en ce sens par l'établissement public, doit être assimilée à l'institution ou à la modification d'une aide au sens de l'article 93, paragraphe 3. Enfin, il y aura lieu, le cas échéant, de répondre à la deuxième question, qui porte sur le point de savoir si une aide nouvelle qui n'a pas été régulièrement notifiée peut néanmoins être assimilée à une aide existante lorsque la Commission, informée de l'existence de cette aide par le biais d'une plainte, n'a pas, après un examen préliminaire, introduit dans un délai raisonnable la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2.

Sur la distinction entre les aides existantes et les aides nouvelles et sur la répartition des pouvoirs et des responsabilités entre la Commission, d'une part, les Etats membres et leurs juridictions, d'autre part

10 L'article 93 du traité, qui a pour objet de permettre l'examen permanent et le contrôle, par la Commission, des aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat, prévoit une procédure distincte selon que les aides sont existantes ou nouvelles.

11 En ce qui concerne les aides existantes, le paragraphe 1 de l'article 93, précité, donne compétence à la Commission pour procéder à leur examen permanent avec les Etats membres. Dans le cadre de cet examen, la Commission propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du Marché commun. Le deuxième paragraphe du même article dispose ensuite que, si après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide n'est pas compatible avec le Marché commun aux termes de l'article 92, ou que cette aide est appliquée de manière abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine (arrêt du 30 juin 1992, Italie/Commission, C-47-91, Rec. p. I-4145, point 23). Pour les aides existantes, l'initiative appartient donc à la Commission.

12 Quant aux aides nouvelles, l'article 93, paragraphe 3, prévoit que la Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Celle-ci procède alors à un premier examen des aides projetées. Si, au terme de cet examen, elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le Marché commun aux termes de l'article 92, elle œuvre la procédure d'examen contradictoire prévue à l'article 93, paragraphe 2. Dans une telle hypothèse, la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, interdit à l'Etat membre intéressé de mettre à exécution les mesures projetées avant que la procédure n'ait abouti à une décision finale. Les aides nouvelles sont donc soumises à un contrôle préventif exercé par la Commission et elles ne peuvent, en principe, être mises à exécution aussi longtemps que cette institution ne les a pas déclarées compatibles avec le traité (arrêt Italie/Commission, précité, point 24). Cette dernière règle doit, cependant, être tempérée par la jurisprudence de la Cour selon laquelle si la Commission, après avoir été informée par un Etat membre d'un projet tendant à instituer ou à modifier une aide, omet d'ouvrir la procédure contradictoire, cet Etat peut, à l'expiration du délai suffisant pour procéder au premier examen du projet, mettre l'aide projetée à exécution à condition qu'il en ait été donné préavis à la Commission, cette aide relevant ensuite du régime des aides existantes (arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz, 120-73, Rec. p. 1471, point 6).

13 Il ressort tant du contenu que des finalités de ces dispositions que doivent être regardées comme des aides existantes au sens de l'article 93, paragraphe 1, les aides qui existaient avant la date d'entrée en vigueur du traité et celles qui ont pu être mises régulièrement à exécution dans les conditions prévues par l'article 93, paragraphe 3, y compris celles résultant de l'interprétation de cet article donnée par la Cour dans l'arrêt Lorenz, précité. Doivent, en revanche, être considérées comme des aides nouvelles soumises à l'obligation de notification prévue par cette dernière disposition les mesures qui tendent à instituer ou à modifier des aides, étant précisé que les modifications peuvent porter soit sur des aides existantes, soit sur des projets initiaux notifiés à la Commission (voir arrêt du 9 octobre 1984, Heineken Brouwerijen, 91-83 et 127-83, Rec. p. 3435, points 17 et 18).

14 Dans ce cadre, la Commission et les juridictions nationales exercent des responsabilités et des pouvoirs qui sont différents.

15 En ce qui concerne la Commission, la Cour a relevé dans l'arrêt du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig (78-76, Rec. p. 595, point 9), que le traité, en organisant par l'article 93 l'examen permanent et le contrôle des aides par la Commission, entend que la reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le Marché commun résulte, sous le contrôle de la Cour de justice, d'une procédure appropriée dont la mise en œuvre relève de la responsabilité de la Commission.

16 Pour ce qui est des juridictions nationales, leur intervention est due à l'effet direct reconnu à la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 93 du traité, qui interdit à l'Etat membre intéressé, en ce qui concerne les projets tendant à instituer ou à modifier des aides, de mettre à exécution les mesures projetées avant que la procédure n'ait abouti à une décision finale de la Commission ou que se trouvent réunies les conditions prévues par l'arrêt Lorenz, précité. Cette intervention peut amener les juridictions nationales à interpréter et à appliquer la notion d'aide, visée à l'article 92, en vue de déterminer si une mesure étatique instaurée sans tenir compte de la procédure préalable de contrôle de l'article 93, paragraphe 3, devait ou non y être soumise (arrêt Steinike & Weinlig, précité, point 14).

17 Ainsi que l'a relevé la Cour dans l'arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon (C-354-90, Rec. p. I-5505, point 14), le rôle central et exclusif réservé par les articles 92 et 93 du traité à la Commission pour la reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le Marché commun est fondamentalement différent de celui qui incombe aux juridictions nationales quant à la sauvegarde des droits que les justiciables tiennent de l'effet direct de l'interdiction édictée à la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3. Lorsque lesdites juridictions prennent une décision à cet égard, elles ne se prononcent pas pour autant sur la compatibilité des mesures d'aides avec le Marché commun, cette appréciation finale étant de la compétence exclusive de la Commission, sous le contrôle de la Cour de justice.

18 Dans ces conditions, les seules questions qui se posent dans le litige au principal portent sur le choix de la procédure de contrôle appropriée, c'est-à-dire sur un choix entre les dispositions du paragraphe 1 de l'article 93 et celles du paragraphe 3 du même article, et non pas sur la compatibilité ou l'incompatibilité des mesures litigieuses avec le Marché commun. Si ces questions peuvent nécessiter une interprétation de la notion d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, ce n'est qu'en vue de déterminer si les mesures décrites dans l'arrêt de renvoi relèvent ou non de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 3.

Sur les première et troisième questions

19 Par sa première question, la juridiction nationale cherche à savoir si la décision d'un Etat membre d'autoriser l'extension du champ d'activité d'un établissement public qui bénéficie d'avantages accordés par cet Etat en vertu d'une législation antérieure à l'entrée en vigueur du traité doit, dès lors que ces avantages s'appliquent à l'exercice de la nouvelle activité, être assimilée à l'institution ou à la modification d'une aide et être soumise, à ce titre, à l'obligation de notification et à l'interdiction de mise à exécution prévues par l'article 93, paragraphe 3, du traité.

20 Namur AC, le Gouvernement français, le Gouvernement néerlandais et la Commission proposent une réponse affirmative à cette question. Ils font valoir, en substance, que l'extension du champ d'activité de l'OND ne peut être tenue pour une modification négligeable d'aides déjà existantes, car elle a permis à cet établissement public de devenir un concurrent pour les compagnies privées d'assurance-crédit à l'exportation tout en conservant les avantages dont il disposait.

21 Le Gouvernement belge et l'OND soutiennent, au contraire, que les aides dont il s'agit, qui ont été instaurées en 1939, relèvent du régime des aides existantes prévu à l'article 93, paragraphe 1, du traité et que la modification intervenue n'était pas soumise à l'obligation de notification prévue au paragraphe 3 du même article.

22 Pour savoir si une décision permettant l'extension du champ d'activité d'une entreprise publique telle que l'OND, qui bénéficie d'avantages accordés par l'Etat, peut être regardée comme l'institution ou la modification d'aides au sens de l'article 93, paragraphe 3, il convient de procéder, au vu des indications contenues dans l'arrêt de renvoi, complétées par les observations des intéressés et les réponses aux questions posées par la Cour, à l'examen de ces avantages et à celui de la nature et de la portée de la décision en cause.

23 Ainsi qu'il a été relevé au point 3 du présent arrêt, les avantages dont dispose l'OND lui ont été accordés par une législation antérieure à l'entrée en vigueur du traité. En vertu de la loi du 31 août 1939, l'OND fonctionnait sous la garantie de l'Etat (article 1er), disposait d'une dotation d'obligations d'Etat (article 5) et de revenus de cette dotation (article 7), constituait des fonds de réserve spéciaux permettant notamment la couverture par l'Etat de son déficit de trésorerie (article 18), et était exempté de taxes et d'impôts dans les mêmes conditions que l'Etat (article 23). En dehors d'ajustements ne portant pas sur la substance de ces avantages, cette législation était inchangée au 1er février 1989, date des faits du litige au principal.

24 Cette législation déterminait l'objet et les secteurs d'intervention de l'OND de manière très générale. Dans sa rédaction initiale, l'article 3 de la loi énonçait simplement que "l'OND a pour objet de favoriser l'exportation par l'octroi de garanties propres à diminuer les risques inhérents à celle-ci, spécialement les risques de crédit". Dans sa rédaction en vigueur à la date des faits du litige, le même article 3 définissait l'objet de l'OND comme celui de "favoriser le commerce extérieur et les investissements belges à l'étranger" et prévoyait notamment que pour exécuter sa mission il "peut octroyer des garanties propres à diminuer les risques, spécialement les risques de crédit, afférents aux opérations du commerce extérieur..." Cette législation ne comportait pas de restriction, matérielle ou géographique, au champ d'activité de l'OND dans l'assurance-crédit à l'exportation.

25 Ce champ d'activité ne s'est pas trouvé ultérieurement limité par la loi mais par l'effet de modifications apportées aux accords internes passés entre l'OND et la Cobac. Ainsi qu'il a été relevé au point 4 du présent arrêt, l'accord initial qui liait ces deux organismes était une simple convention de réassurance, mais il a été ultérieurement remplacé par une convention de collaboration comprenant notamment un partage de risques et de marchés. Selon cette dernière convention, la Cobac était seule compétente pour assurer les risques commerciaux afférents aux opérations d'exportation vers les pays d'Europe occidentale et l'OND n'intervenait sur ce Marché européen que pour couvrir certains risques répondant à des caractéristiques particulières. En revanche, les deux parties à la convention pouvaient assurer concurremment les risques commerciaux à l'exportation vers les Etats-Unis et le Canada ainsi que les risques sur certaines opérations internationales.

26 A partir du 1er février 1989, cette limitation du champ d'activité de l'OND a été supprimée à la suite d'une décision prise par l'établissement public avec l'accord des ministres de Tutelle. Plus précisément, le 27 juin 1988, le conseil d'administration a donné mandat à la direction de l'OND pour résilier la convention passée avec la Cobac et prendre les mesures nécessaires pour organiser l'assurance directe sur le marché européen. Les ministres de Tutelle, saisis par le Directeur général de l'OND le 10 août 1988, ont demandé le 4 janvier 1989 la suspension jusqu'au 1er février 1989 de la mise en œuvre projetée de l'assurance des risques commerciaux sur l'Europe occidentale. Les mêmes ministres ont approuvé à cette dernière date les conclusions d'un groupe de travail composé de membres de leurs cabinets recommandant "d'autoriser une entrée progressive et prudente de l'OND dans ce nouveau marché".

27 Ce changement de position de l'OND et de ses autorités de tutelle a eu pour effet d'étendre les activités qui avaient été, pendant une période antérieure d'une durée que le dossier ne permet d'ailleurs pas de déterminer, exercées dans la réalité par cet établissement public. Aussi le juge national demande-t-il à la Cour, par sa troisième question, si doit être considérée comme l'institution ou la modification d'une aide l'attitude d'un Etat membre consistant, par l'intermédiaire de délégués ministériels au conseil d'administration d'un établissement public, à promouvoir une ligne générale de politique impliquant l'élargissement du bénéfice d'une aide ou à ne pas s'opposer à cet élargissement.

28 A cet égard et pour l'application des paragraphes 1 et 3 de l'article 93 du traité, l'apparition d'une aide nouvelle ou la modification d'une aide existante ne peut pas, lorsque l'aide résulte de dispositions légales antérieures qui ne sont pas modifiées, être appréciée d'après l'importance de l'aide et notamment d'après son montant financier à chaque moment de la vie de l'entreprise. C'est par référence aux dispositions qui la prévoient, à leurs modalités et à leurs limites qu'une aide peut être qualifiée de nouveauté ou de modification.

29 Or, la décision entrée en vigueur le 1er février 1989 n'a pas modifié la législation qui a institué au profit de l'OND les avantages dont il bénéficiait, ni en ce qui concerne la nature de ces avantages, ni même en ce qui concerne les activités de l'établissement public auxquelles ils s'appliquaient, puisque la loi du 31 août 1939 donnait à cet établissement une vocation très générale pour diminuer les risques de crédit à l'exportation. Elle n'affecte donc pas le régime d'aides mis en place par cette législation. Si cette décision a fait suite à la résiliation de la convention de collaboration passée avec la Cobac, aucun élément du dossier n'indique que l'existence et le contenu de cette convention qui ne liait que les deux contractants, l'OND et la Cobac, aient conditionné l'étendue des avantages accordés par l'Etat belge à l'OND en vertu de la loi du 31 août 1939.

30 Il est vrai que, dans plusieurs des observations écrites déposées devant la Cour, il est soutenu qu'avant l'intervention de la décision litigieuse cet établissement public n'exerçait pas d'activités exposées à la concurrence de sociétés privées et que, de ce fait, les aides dont il bénéficiait s'appliquaient exclusivement à des activités non concurrentielles. A supposer que cette donnée circonstancielle puisse avoir un intérêt dans la présente affaire alors que la loi du 31 août 1939 donnait à l'OND une vocation très générale, il suffit de constater que la convention passée entre l'OND et la Cobac prévoyait au contraire une certaine concurrence entre ces deux organismes. Ainsi que cela a été relevé au point 25 du présent arrêt, l'OND et la Cobac pouvaient, en effet, assurer concurremment les risques commerciaux à l'exportation vers les Etats-Unis et le Canada ainsi que les risques sur certaines opérations internationales. Les aides existantes ne bénéficiaient donc pas seulement, au moment des faits du litige au principal, à des activités non concurrentielles.

31 Ainsi, en admettant même qu'elle soit totalement imputable à l'Etat, la décision entrée en vigueur le 1er février 1989 ne peut pas être regardée comme l'institution ou la modification d'aides au sens de l'article 93, paragraphe 3, du traité.

32 Admettre le contraire contraindrait, en fait, l'Etat membre intéressé à notifier à la Commission et à soumettre à son contrôle préventif non seulement les aides nouvelles ou les modifications d'aides proprement dites accordées à une entreprise bénéficiaire d'un régime d'aides existantes mais toutes les mesures qui affectent l'activité de cette dernière et qui peuvent avoir des incidences sur le fonctionnement du Marché commun, sur le jeu de la concurrence ou simplement sur le montant effectif, pendant une période déterminée, d'aides qui existent dans leur principe mais qui varient nécessairement dans leur montant selon le chiffre d'affaires de l'entreprise. A l'extrême, dans le cas d'une entreprise publique telle que l'OND, chaque opération nouvelle d'assurance qui, selon les précisions communiquées à l'audience par le représentant du Gouvernement belge, doit être soumise aux autorités de tutelle pourrait ainsi être regardée comme une mesure relevant de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité.

33 Une telle interprétation, qui ne correspond ni à la lettre ni à l'objet de cette dernière disposition, ni au partage de responsabilité qu'elle établit entre la Commission et les Etats membres, serait un facteur d'insécurité juridique pour les entreprises et pour les Etats membres auxquels il incomberait ainsi de procéder à la notification préalable de mesures de natures très diverses, qui ne pourraient pas être mises à exécution malgré l'hésitation à pouvoir les qualifier d'aides nouvelles. En ce qui concerne les faits du litige au principal, la réalité de cette insécurité juridique est d'ailleurs soulignée par l'attitude de la Commission elle-même. Celle-ci, en effet, soutient devant la Cour, en réponse à la première question, qu'il y a eu une modification des aides accordées à l'OND alors que, saisie d'une plainte portant sur l'existence et la compatibilité de ces aides depuis le 1er février 1989, elle n'a pas cru devoir, après avoir demandé et obtenu à deux reprises en 1991 des renseignements du Gouvernement belge, prendre position à ce sujet.

34 Les aides accordées dans les conditions décrites dans l'arrêt de renvoi, dès lors qu'elles relèvent d'un régime d'aides existant avant l'entrée en vigueur du traité, doivent faire l'objet de l'examen permanent prévu à l'article 93, paragraphe 1. Cet examen, dont l'initiative relève de la responsabilité de la Commission, peut la conduire à proposer à l'Etat membre concerné les mesures utiles exigées par le fonctionnement du Marché commun et, le cas échéant, à décider, après avoir mis en œuvre la procédure prévue au paragraphe 2 du même article, la suppression ou la modification des aides qu'elle estime incompatibles avec le Marché commun.

35 Il convient donc de répondre aux première et troisième questions que l'article 93, paragraphe 3, du traité doit être interprété en ce sens que l'extension, dans des conditions telles que celles décrites dans l'arrêt de renvoi, du champ d'activité d'un établissement public qui bénéficie d'aides accordées par l'Etat en vertu d'une législation antérieure à l'entrée en vigueur du traité ne peut pas, dès lors qu'elle n'affecte pas le régime d'aides institué par cette législation, être regardée comme l'institution ou la modification d'une aide soumise à l'obligation de notification préalable et à l'interdiction de mise à exécution prévues par cette disposition.

Sur la deuxième question

36 Compte tenu de la réponse aux première et troisième questions, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Sur les dépens

37 Les frais exposés par les gouvernements français et néerlandais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant sur les questions à elle soumises par la Cour d'appel de Bruxelles, par arrêt du 5 février 1993, dit pour droit: 1) L'article 93, paragraphe 3, du traité doit être interprété en ce sens que l'extension, dans des conditions telles que celles décrites dans l'arrêt de renvoi, du champ d'activité d'un établissement public qui bénéficie d'aides accordées par l'Etat en vertu d'une législation antérieure à l'entrée en vigueur du traité ne peut pas, dès lors qu'elle n'affecte pas le régime d'aides institué par cette législation, être regardée comme l'institution ou la modification d'une aide soumise à l'obligation de notification préalable et à l'interdiction de mise à exécution prévues par cette disposition. 2) Il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question posée par la juridiction nationale.