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Décisions

CCE, 27 juillet 1994, n° 94-662

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Souscription de CDC - Participations à des émissions d'obligations d'Air France

CCE n° 94-662

27 juillet 1994

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62 paragraphe 1 point a) et son protocole 27, après avoir mis, conformément à l'article 93 du traité, les intéressés en demeure de présenter leurs observations et vu ces observations, considérant ce qui suit:

I

Par une lettre du 22 avril 1993, enregistrée par la Commission le 27 avril 1993, le gouvernement français, sur demande de la Commission du 1er mars 1993, a notifié avec retard à cette dernière deux émissions d'obligations par l'entreprise publique Compagnie nationale Air France (ci-après dénommée "Air France"), auxquelles a souscrit une autre entreprise publique, CDC-Participations (ci-après dénommée "CDC-P"), filiale de la Caisse des dépôts et consignations (ci-après dénommée "la Caisse").

Le 28 mai 1993, des représentants d'Air France et du gouvernement français ont rencontré à Bruxelles les fonctionnaires responsables de la direction générale des transports. Les autorités françaises ont fourni un certain nombre de documents qui ont été enregistrés à la Commission le 1er juin 1993.

L'aide a été enregistrée le 19 juillet 1993 comme une aide non notifiée au Secrétariat général de la Commission.

Le 10 novembre 1993, la Commission a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité à l'égard de la transaction susmentionnée entre Air France et CDC-P. Les autorités françaises ont été informées de cette décision par une lettre du 7 décembre 1993. Cette lettre a été publiée au Journal officiel (1) et les tierces parties intéressées ont été invitées à présenter leurs observations à ce sujet.

La Commission a décidé d'ouvrir la procédure prévue par l'article 93 paragraphe 2 parce qu'elle se posait des questions en ce qui concerne la nature de l'aide et ses effets préjudiciables éventuels sur les échanges dans le Marché commun. Elle voulait notamment déterminer si l'octroi de l'aide était effectivement lié à un plan de restructuration. Dans l'affirmative, la Commission voulait s'assurer qu'Air France n'a utilisé et n'utilisera l'argent reçu qu'aux fins de sa restructuration interne. La Commission voulait en outre s'assurer que l'aide accordée à Air France n'affecterait pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Afin de vérifier que l'aide ne serait pas utilisée par le groupe Air France pour répercuter ses difficultés sur ses concurrents, la Commission voulait avoir l'assurance que l'aide accordée à Air France n'aurait pas d'effets concurrentiels inacceptables dans la Communauté et, en particulier, sur les lignes intérieures. A ce sujet, la Commission a invité le gouvernement français à lui fournir les informations nécessaires pour procéder à cette évaluation.

II

Les autorités françaises ont répondu à la Commission par des lettres datées du 7 janvier 1994 et du 17 mai 1994. Les principaux arguments avancés par les autorités françaises peuvent se résumer comme suit:

a) Les autorités françaises n'ont pas notifié l'opération à la Commission avant qu'elle ait eu lieu parce qu'elles ne considèrent pas cette intervention financière comme une aide d'Etat.

b) La Caisse et, partant, CDC-P sont des institutions indépendantes à l'égard du gouvernement français. L'autonomie de CDC est garantie par le fait qu'elle est soumise à la surveillance du Parlement (et non du gouvernement). Cette autonomie est également incarnée par le statut du directeur général de la CDC qui est nommé par le président de la République et bénéficie d'une indépendance particulière. Le directeur général n'est révocable qu'au terme d'une procédure exceptionnelle (décret du président de la République sur demande motivée de la commission de surveillance, un organe composé de parlementaires, de magistrats et d'un représentant du ministre de l'économie et des finances). En outre, le directeur général, responsable de la gestion de l'établissement, prête serment lors de sa nomination de maintenir l'inviolabilité de la Caisse.

c) Le 17 février 1993, CDC-P a décidé d'investir dans Air France sur la base d'une analyse stratégique qui a été menée à son terme à la fin de 1992. A la fin de 1992, la situation d'Air France était comparable à celle de ses concurrents du fait que l'année 1992 avait été difficile pour l'ensemble des compagnies aériennes du monde. Les ratios d'endettement d'Air France étaient pour l'essentiel comparables à ceux de ses concurrents. En outre, à la fin de 1992, les perspectives pour 1993 étaient généralement optimistes, quoique les événements soient venus contredire cette hypothèse. Le plan présenté en octobre 1992 prévoyait ainsi un redressement à court terme en tablant, pour 1993, sur une croissance du trafic passagers de 6,1 %, une stabilisation de la recette unitaire et la limitation du déficit à 1,6 milliard de francs. CDC-P a décidé d'investir dans Air France en tenant compte de ces bonnes perspectives et des taux d'intérêt convenus pour les deux émissions de titres, taux au demeurant conforme aux conditions du marché. Ces projections n'ont toutefois pas été confirmées par les événements puisque la crise économique de l'aviation civile s'est aggravée au premier semestre de 1993 et que le marché intérieur français a traversé une récession qui lui était spécifique (au cours du premier semestre de 1993, le montant des ventes des prestations aériennes a baissé sur le marché intérieur français de 7,7 % par rapport au premier trimestre de l'année précédente alors que les marchés intérieurs britannique et allemand gagnaient respectivement 6,3 et 5,3 points).

Ce ralentissement s'est traduit par une dégradation des performances relatives d'Air France. CDC-P a aussi décidé d'investir dans Air France pour des raisons autres que des raisons à court terme, en l'occurrence parce que les perspectives de croissance à long terme du transport aérien étaient plutôt bonnes. En prenant en considération les potentialités d'Air France (une flotte moderne, un personnel qualifié, une dimension mondiale, etc.), CDC-P s'est comportée comme un investisseur avisé. Au moment où elle a pris sa décision, CDC-P ne pouvait pas prévoir la baisse d'activités d'Air France en 1993.

d) Cette analyse est confirmée par la participation à l'opération d'investisseurs privés étrangers qui ont souhaité souscrire à l'émission d'obligations remboursables en actions (ci-après dénommées "ORA" à hauteur de 26 millions de francs. Leurs demandes n'ont pas pu être satisfaites dans leur totalité (les investisseurs privés n'ont été autorisés à souscrire à l'émission d'ORA qu'à hauteur de 1,7 million de francs) parce qu'il y aurait sinon eu une privatisation partielle d'Air France qui aurait demandé le respect de procédures particulières (2). La présence des investisseurs privés est là pour valider le caractère attractif des conditions de souscription et donc la pertinence à l'égard du marché des conditions proposées.

e) L'investissement était lié au plan de restructuration d'octobre 1992 (plan de retour à l'équilibre dénommé ci-après "PRE1". La Commission n'aurait donc pas pu conclure, au vu de la dégradation ultérieure des résultats d'Air France en 1993, que le plan était insuffisant pour surmonter la crise traversée par la compagnie. En outre, l'investissement ne pouvait pas non plus être lié à un autre plan (PRE2) proposé par Air France en mai/juin 1993 (soit après l'émission des titres) pour durcir le PRE1.

f) L'investissement avait pour seul objet de contribuer à la restructuration d'Air France. L'apport de fonds ne pouvait modifier la situation concurrentielle sur les liaisons intracommunautaires étant donné qu'Air France a, en 1993, perdu des parts de marché sur les lignes intracommunautaires internationales (le trafic entre les aéroports de Paris et les pays de l'Union européenne a diminué de 1,1 point sur les dix premiers mois de 1993 par rapport à la période équivalente de 1992, passant de 36,7 % à 35,6 %). En ce qui concerne les liaisons intérieures françaises, la position d'Air France n'est pas particulièrement significative. Air France exploite la liaison Paris-Charles-de-Gaulle-Nice et des liaisons entre les métropoles et les départements d'Outre-Mer. Air Inter, la compagnie française qui exploite les principales liaisons intérieures françaises, n'a reçu aucun apport financier de la part d'Air France et doit être considérée comme une compagnie distincte d'Air France.

g) Les problèmes d'accès au marché intérieur français, que la Commission a soulevés en ouvrant la procédure prévue par l'article 93 paragraphe 2, ne présentent pas de rapport direct avec la présente affaire et doivent donc être traités séparément.

III

Le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas et plusieurs concurrents d'Air France dont British Airways, British Midland et TAT, ont formulé divers commentaires au sujet de l'affaire que la Commission a dûment transmis aux autorités françaises.

Les tierces parties ont en général fait leur l'avis de la Commission et considéré l'opération comme une aide qui exerce un effet perturbateur sur la concurrence et les échanges. Plusieurs concurrents d'Air France ont souligné que l'aide est incompatible avec le Marché commun et ne doit pas être autorisée. Ils ont aussi affirmé que plusieurs mesures adoptées par le gouvernement français pour préserver la position dominante occupée par Air France sur le marché intérieur français ne pourraient qu'amplifier l'effet négatif exercé par l'aide sur la concurrence et les échanges parce qu'elles limiteraient les possibilités d'exploitation des droits de trafic et d'accès aux lignes intérieures françaises et protégeraient la compagnie nationale de la concurrence de compagnies étrangères au groupe Air France.

IV

Sur proposition du conseil d'administration du 17 février 1993, l'assemblée générale extraordinaire d'Air France qui s'est tenue le 24 mars 1993 a décidé d'émettre 1 877 526 ORA et 483 456 titres subordonnés à intérêt progressif assortis de bons de souscription d'actions (ci-après dénommés TSIP-BSA). Le montant total de l'émission s'élevait à environ 1,5 milliard de francs français, soit 749 996 535 francs français (FF) pour les ORA et 749 356 800 FF pour les TSIP-BSA. La période de souscription courait du 2 avril au 28 avril 1993.

CDC-P a garanti la souscription de toutes les valeurs émises.

Le capital d'Air France est partagé entre l'Etat (99,329 %), CDC-P (0,538 %) et quelques petits actionnaires privés (0,132 %).

Le gouvernement français, principal actionnaire d'Air France, a décidé de ne souscrire à aucune des deux émissions. Les ORA ont ainsi été souscrites par quelques actionnaires privés en proportion de leur participation au capital d'Air France ainsi que par CDC-P pour la partie restante (748 080 190 FF). La quasi-totalité des TSIP-BSA ont été souscrits par CDC-P pour un montant total de 749 335 100 FF.

Les titres ont les caractéristiques suivantes:

a) ORA:

- prix unitaire: 399,46 FF,

- durée: 6 ans et huit mois,

- l'intérêt est constitué d'une partie fixe (4 %), due le 1er mai de chaque année et pour la première fois le 1er mai 1994, et d'une partie variable, payable pour la première fois le 1er mai 1996. L'intérêt variable dépend des performances de la société, calculées sur la base du ratio entre l'excédent brut d'exploitation et la production. L'intérêt actuariel global escompté est de 6,5 %, variant dans des limites fixées à 5,5 % et 7,5 % par an, sur la base d'une marge bénéficiaire brute de 15 % pour la période de 1995 à 1999.

Les ORA seront obligatoirement remboursées en actions (une action pour une ORA) au plus tard le 1er janvier 2000. Les détenteurs des ORA ont le droit de demander le remboursement de leurs obligations en actions à tout moment avant cette date.

Le taux de rendement interne de l'investissement, calculé par la CDC, est de 14 %. CDC a tenu compte des intérêts des ORA et de la plus-value escomptée des obligations après leur remboursement en actions. A la mi-janvier, CDC a calculé, pour ses propres besoins, la valeur que devraient ainsi avoir les actions ordinaires d'Air France le 1er janvier 2000 (c'est-à-dire au moment où les ORA auront été remboursées en actions) sur la base des projections financières à long terme d'Air France.

b) TSIP-BSA:

- prix unitaire: 1 550 FF,

- durée: indéterminée,

- les intérêts sont fixes et augmentent au cours de la période 1993-1999, de 5,5 à 8,5 % (l'intérêt actuariel moyen sur cette période est de 7 %). L'intérêt devient variable à partir du 1er janvier 2000. L'intérêt variable est calculé sur la base du PIBOR à un mois (taux interbancaire offert à Paris) augmenté d'un taux progressif. Ce taux est de 1,15 % pour l'intérêt dû au 1er janvier 2001 et augmente de 0,15 % chaque année à partir de 2006 pour atteindre 2,05 %. L'intérêt est dû pour la première fois le 1er mai 1993.

Chaque BSA autorise le détenteur du titre à souscrire jusqu'au 1er janvier 2000 dans la limite de trois actions Air France au prix de 517 FF par action.

Air France peut rembourser tout ou partie des TSIP-BSA le 1er janvier de chaque année à partir du 1er janvier 2000. En cas de liquidation ou de dissolution volontaire ou forcée de l'entreprise, les TSIP seront remboursés après toutes les créances privilégiées et non privilégiées, mais avant les obligations remboursables en actions (c'est la raison pour laquelle on les appelle "titres subordonnés").

Le taux de rendement interne de l'investissement sur la période 1993-1999 calculé par la CDC est de 11,5 %. La CDC a tenu compte des intérêts des TSIP-BSA pendant cette période et de la plus-value escomptée des obligations (au 1er janvier 2000), elle-même calculée sur la base de la valeur escomptée de la compagnie à cette date.

V

La Commission a examiné la situation économique et financière d'Air France dans ses deux décisions de novembre 1991 sur l'augmentation de capital d'Air France et de juillet 1992 sur les émissions des ORA et des TSDI (affaires N 653/91 et N 291/91). Au total, l'injection de capitaux se monte à 5,84 milliards de FF. Dans ses décisions, la Commission a admis que la compagnie aérienne connaissait des problèmes financiers. La capacité d'autofinancement d'Air France s'est fortement dégradée au cours de la période 1988-1991. D'après les comparaisons avec d'autres transporteurs de la Communauté, il semblerait que la structure financière d'Air France se soit nettement détériorée. La Commission attribue cette détérioration au fait que la compagnie a subi les effets négatifs des implications économiques de la crise du Golfe, de la reprise d'UTA et de l'augmentation des charges financières induite par l'augmentation des dépenses liées aux nouveaux projets d'investissement. Cependant, la Commission a considéré en que, en dépit de certains problèmes à court terme, les perspectives à long terme et la structure d'ensemble d'Air France étaient bonnes. L'augmentation de capital et les émissions des ORA et des TSDI ont donc été considérées comme des opérations financières normales et non comme des aides d'Etat en vertu de l'article 92 du traité.

La Commission a également fondé ses décisions sur le fait que les autorités françaises avaient approuvé, le 1er août 1991, un document complet (le "Contrat de plan") définissant un programme de restructuration (CAP'93) et fixant plusieurs objectifs économiques à atteindre au cours de la période 1991-1993. Parmi ces objectifs figurent, entre autres, les engagements financiers suivants:

- la restructuration financière d'Air France, dont le flux de trésorerie aurait dû suffire à financer au moins 50 % de ses investissements réduisant ainsi la part d'endettement supplémentaire nécessaire,

- l'amélioration de la marge bénéficiaire brute de l'entreprise.

C'est pourquoi, la Commission a conclu dans les deux affaires, en vertu du principe dit de l'investisseur en économie de marché, qu'il n'aurait pas été déraisonnable pour un investisseur privé d'investir dans le capital d'Air France.

Malgré le plan de restructuration, CAP'93, et l'injection d'environ 6 milliards de FF à la fin de l'année 1991 et au début de l'année 1992, la situation d'Air France a continué de se dégrader.

Air France (avec UTA) n'a pu augmenter son trafic passagers que d'environ 4,2 % en 1992 (par rapport à 14 % en moyenne pour les compagnies aériennes AEA). Les recettes du groupe ont diminué de 1,2 % et le groupe a enregistré une forte baisse de 1,64 milliard de FF de son excédent brut d'exploitation (3).

Les objectifs fixés par le plan CAP'93 concernant l'excédent brut d'exploitation du groupe n'ont pas pu être atteints. Celui-ci était de 3 milliards de FF en 1992, au lieu de 8,1 milliards de FF.

Les résultats nets d'exploitation qu'Air France (groupe) avait réussi à garder positifs l'année précédente se sont considérablement enfoncés dans le rouge en 1992 (moins 1,5 milliard de FF). Les résultats nets actualisés qui, d'après le plan, auraient dû devenir positifs en 1992 ont été largements négatifs (moins 3,6 milliards de FF). Il faut également tenir compte de l'augmentation des charges financières (2,1 milliards de FF en 1992) et des résultats exceptionnels négatifs (moins 699,8 millions de FF); les résultats exceptionnels avaient notamment bénéficié, au cours des deux années précédentes, de ventes d'actifs immobiliers.

Tous ces facteurs ont fait qu'Air France a, en 1992, enregistré pour la troisième fois consécutive un résultat net négatif, cette fois de loin plus important (moins 3,2 milliards de FF).

Les indicateurs de bénéfices d'Air France reflètent les résultats négatifs de 1992, qui montrent qu'Air France se trouve dans une situation pire que celle des autres grandes compagnies européennes (également touchées par la récession économique).

Pour Air France, l'année 1993 n'a pas mieux commencé. Au cours des quatre premiers mois de l'année, son trafic passagers a chuté de 2,7 %, en grande partie à cause de la faiblesse de la demande intérieure. Ces résultats contrastent fortement avec ceux des compagnies AEA, qui indiquent une augmentation de 9 % du trafic intracommunautaire au premier trimestre.

Du fait des pertes de 1992, la situation financière d'Air France s'est nettement dégradée. A la fin de l'année 1992, le bilan du groupe faisait apparaître un déséquilibre temporaire en faveur des dettes à court terme. On a remédié à cette situation entre-temps par deux émissions d'obligations à long terme en mars et en juin 1993, pour un total de 3 milliards de FF, ainsi que par les émissions d'ORA et de TSIP qui font l'objet du présent examen.

Mais ce qui est plus grave, c'est que les objectifs financiers du programme CAP'93 n'ont pas pu être atteints. Le ratio d'endettement, qui devait être maintenu au niveau de 1990 (1,2 pour les emprunts à long terme), n'a pas cessé de se détériorer. La situation de trésorerie s'est fortement dégradée en 1992. Il n'a pas été possible d'atteindre les objectifs du plan CAP'93 pour la capacité d'autofinancement (flux de trésorerie plus ventes d'actifs).

Le groupe est loin de l'objectif fixé dans le plan CAP'93, qui consiste à financer 50 % de ses investissements sur sa trésorerie.

La productivité d'Air France s'avère être restée relativement faible au cours des premiers mois de 1993: la compagnie emploie un nombre relativement élevé de personnes par avion et transporte moins de passagers par salarié que la plupart de ses concurrents. Il est également intéressant de noter que les gains de productivité obtenus ces dernières années mesurés en sièges/kilomètres offerts ou en passagers/kilomètres payants par salarié n'arrivent pas à la hauteur des résultats des principaux concurrents.

En conclusion, tous ces éléments semblent indiquer que la situation d'Air France, examinée dans les deux décisions de la Commission de novembre 1991 et juillet 1992, a continué à se détériorer.

VI

Les difficultés qu'Air France a rencontrées en 1992 dans la réalisation des objectifs de son plan CAP'93 ont contraint l'entreprise à revoir radicalement son plan. Un nouveau plan (PRE1) présenté au gouvernement à la fin de l'année 1992 prévoit des économies ou une augmentation de recettes pour un montant total d'environ 1,37 milliard de FF en 1993 et 3 milliards de FF en 1994 (cf. infra).

VII

L'article 92 paragraphe 1 du traité et l'article 61 paragraphe 1 de l'accord EEE disposent que sont incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

En l'espèce, la CDC a versé à Air France 1,5 milliard de FF destinés à renforcer ses capitaux propres. Lors des émissions, le gouvernement français a renoncé à son droit de souscription au bénéfice des autres actionnaires qui pouvaient souscrire à toutes les émissions, proportionnellement à la part qu'ils détenaient dans Air France. La CDC-P a souscrit pour une valeur de 748 080 190 FF à 99,7 % des ORA (1 873 010 ORA sur 1 877 526) et à 99,9 % des TSIP-BSA, pour une valeur de 749 335 100 FF (483 442 TSIP-BSA sur 483 456).

Le gouvernement français a précisé que les petits actionnaires privés d'Air France avaient demandé à souscrire aux émissions pour un montant supérieur à ce que leur permettait leur participation. Cependant, ces demandes n'ont pu être satisfaites, car il est impossible de procéder à une privatisation partielle d'Air France sans y être dûment autorisé par une loi. Cela signifie qu'il était impossible d'autoriser les actionnaires privés d'Air France à souscrire aux émissions pour un montant plus que proportionnel à celui de leur participation.

1) La Commission s'est appliquée à déterminer si les capitaux injectés dans Air France proviennent de l'Etat français ou de ressources d'Etat.

Dans ce contexte, il faut rappeler que la Cour de justice a dit pour droit que "l'article 92 englobe l'ensemble des aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'aide est accordée directement par l'Etat ou par des organismes publics ou privés qu'il institue ou désigne en vue de gérer l'aide"(4). En outre, dans l'affaire Van der Kooy, devant décider si un tarif préférentiel facturé par une entreprise de droit privé aux Pays-Bas (Gasunie) était le résultat d'une action de l'Etat néerlandais, la Cour de justice a déclaré que "... la structure de l'actionnariat de Gasunie est telle que l'Etat néerlandais détient directement ou indirectement 50 % des actions et dispose de la moitié des commissaires siégeant au Conseil des commissaires, organe qui est, entre autres, compétent pour définir les tarifs à appliquer..." et a conclu que "ces éléments, considérés dans leur ensemble, démontrent que, dans le domaine de la fixation des tarifs du gaz, Gasunie ne dispose nullement d'une pleine autonomie, mais agit sous le contrôle et les directives des pouvoirs publics. Dès lors, il est établi que Gasunie ne pouvait pas fixer ce tarif sans tenir compte des exigences des pouvoirs publics." (5).

La Caisse est un établissement public français, créé par la loi du 18 avril 1816, dont les directeurs et les gestionnaires sont nommés par le gouvernement français sur proposition du ministre des finances. La Caisse détient 100 % des actions de la CDC-P, nomme tous les directeurs de la CDC-P et peut fixer la politique de la filiale par ses droits de vote et fournir les fonds nécessaires aux opérations financières de la CDC-P. Cette dernière (toutes les actions détenues par la Caisse sont placées depuis décembre 1991) est l'instrument qui permet d'acquérir des participations dans des compagnies tierces.Il s'y ajoute, comme les autorités françaises l'ont indiqué, que la CDC-P a été choisie parce que c'est une institution publique appartenant à l'Etat et que les lois françaises relatives à la privatisation n'ont donc pas été enfreintes lors de l'augmentation de capital d'Air France par la CDC-P.Abstraction faite de ces considérations d'ordre juridique, l'emprise exercée par l'Etat sur l'activité d'investissement de la Caisse et de ses filiales a aussi été mise en évidence devant le Sénat (6).

Quoique la Commission reconnaisse que la CDC-P est une société anonyme de droit français dont l'objet social consiste principalement à gérer un fonds d'investissement, toutes les conditions sont réunies pour établir un lien solide entre l'aide et les intentions de l'Etat. Tous ces facteurs prouvent à suffisance que la CDC-P n'est pas un établissement autonome vis-à-vis de la Caisse, elle-même contrôlée par les pouvoirs publics français. L'injection de capital est donc un acte imputable au gouvernement français au sens de la jurisprudence de la Cour relative à l'article 92 paragraphe 1(7).

2) La Commission a vérifié si l'opération est une aide qui relève des articles 92 paragraphe 1 du traité et 61 paragraphe 1 de l'accord EEE.

Afin de déterminer si elle est en présence d'une aide d'Etat, la Commission fonde son jugement sur le principe de l'investisseur en économie de marché. En vertu de ce principe, il n'y a pas d'aide d'Etat lorsqu'il y a apport de capital neuf dans des conditions qui seraient acceptables pour un investisseur privé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché (8).

Le traité de Rome et l'accord EEE consacrent le principe de neutralité à l'égard du régime de la propriété dans les Etats membres (articles 222 du traité et 125 de l'accord EEE) ainsi que le principe d'égalité entre les entreprises publiques et privées. En vertu de ces principes, la Commission ne peut ni léser, ni avantager les établissements publics qui apportent des capitaux à des entreprises. Cependant, la Commission doit enquêter sur les apports de capitaux aux entreprises afin d'éviter que les Etats membres enfreignent les dispositions du traité relatives aux aides d'Etat. En général, la Commission estime qu'un apport de capitaux sur fonds publics n'est pas une aide d'Etat si un nombre important d'actionnaires minoritaires privés participent à l'opération proportionnellement au nombre de leurs actions. Cependant, la part détenue par les investisseurs privés doit avoir une signification économique réelle (9). Dans le cas présent, certains actionnaires privés (à savoir quelques membres du personnel d'Air France ainsi que la Bank of New York/Londres, le Bankers Trust INT.PLC et Granite Capital LP) ont souscrit à des ORA et à quelques TSIP (aucune banque n'a souscrit aux TSIP).

Cependant, les parts détenues par les actionnaires privés dans Air France ne représentent que 0,132 % de son capital et la part des ORA et des TSIP auxquels ils ont souscrit est négligeable (4 516 ORA sur 1 877 526 et 14 TSIP sur 483 456). La participation des investisseurs privés à la souscription des ORA et des TSIP-BSA ne peut en conséquence exclure la possibilité que les apports de capitaux constituent une aide d'Etat au sens des articles 92 du traité et 61 de l'accord EEE. Pour ce qui est des ORA, la Commission ne peut accorder aucune signification décisive au fait, invoqué par les autorités françaises, que les demandes de grands investisseurs privés étrangers n'ont pu être entièrement satisfaites pour des raisons d'ordre juridique (les trois banques n'ont pas été autorisées à souscrire aux ORA pour plus de 1,7 million de francs français alors qu'elles en avaient demandé pour 25,9 millions soit 9,9 millions de francs français pour la Bank of New York/Londres, 7,9 millions de francs français pour le Bankers Trust et 7,9 millions de francs français pour Granite Capital). Les 65 025 ORA auxquelles les trois banques voulaient souscrire ne représentent qu'un faible pourcentage (3,3 %) du nombre total des ORA auxquelles tous les investisseurs voulaient souscrire (1 942 760). Une banque d'investissement peut se risquer à quelques investissements hasardeux pour diversifier son portefeuille.Des sommes de 9,9 millions et 7,9 millions de francs français sont des mises de fonds qui n'ont rien d'important si on les mesure à l'aune du portefeuille-titres d'une banque et ne constituent donc pas un risque significatif. Etant donné la modicité des sommes qu'ils ont investies dans Air France, les risques encourus par les investisseurs privés restent au total très limités et il n'est pas possible d'alléguer sérieusement de ces investissements relativement faibles des investisseurs privés pour exclure la possibilité d'une aide d'Etat.

On peut comparer la souscription de la CDC-P aux ORA à un investissement participatif, qui vise à renforcer les capitaux propres de la compagnie aérienne. Les ORA sont des titres qui sont obligatoirement convertis en actions et, du point de vue financier, constituent une augmentation de capital différée. Dans le cas des ORA, le retour sur l'investissement dépendra, comme cela est expliqué ci-dessus, des performances financières de l'entreprise et de la valeur des actions d'Air France au moment de la conversion. Les mêmes considérations valent aussi pour les TSIP-BSA. Ces TSIP-BSA ne sont toutefois pas obligatoirement remboursés en actions et chacun d'eux permet à son détenteur de souscrire jusqu'au 1er janvier 2000 à trois actions d'Air France au prix prédéterminé de 517 FF par action. Le détenteur peut renoncer à son droit de souscription et décider de continuer à percevoir des intérêts après le 1er janvier 2000 jusqu'à ce que l'entreprise décide de rembourser les actions. L'inconvénient des TSIP-BSA est que, en cas de dissolution de l'entreprise, les détenteurs sont remboursés après tous les créanciers. C'est la raison pour laquelle on ne rencontre pas souvent ces actions sur le marché des capitaux. Air France confirme le bien-fondé de ces réflexions sur la nature des obligations dans un prospectus (Emission de valeurs mobilières composées, publié en avril 1993 au moment où les obligations ont été émises) où elle précise que les deux émissions ont pour but de raffermir son capital social à long terme.

Pour appliquer le principe de l'investisseur en économie de marché, la Commission doit déterminer la date à laquelle l'aide a été accordée (ou, en d'autres termes, à laquelle la CDC-P a décidé d'investir dans le capital d'Air France). Cette date est importante parce qu'elle permet de déterminer si la CDC-P pouvait raisonnablement escompter, en se fondant sur des données objectives, un retour sur investissement approprié. Selon les autorités françaises, la CDC-P a pris la décision d'investir dans Air France à la fin de 1992. Elle aurait pris cette décision au vu du plan du retour à l'équilibre et à un moment où on ne s'attendait pas encore à ce qu'Air France enregistre un tel effondrement de son trafic voyageurs en 1993.

D'après les informations fournies par les autorités françaises, le conseil d'administration d'Air France a, après les négociations avec la CDC-P, fixé les modalités de l'investissement et proposé aux actionnaires d'approuver l'émission le 17 février 1993. L'assemblée générale extraordinaire a approuvé les modalités définitives de l'émission des obligations le 24 mars 1993. Selon les pratiques commerciales normales, la décision d'investissement de CDC-P doit être censée avoir été prise au moment de la souscription des obligations (soit en avril 1993). Les autorités françaises n'ont pas démontré que la CDC-P était légalement tenue de souscrire à l'émission avant cette date. En l'absence de texte législatif contraignant, les déclarations faites par la CDC-P avant la date de la souscription doivent être considérées comme une simple déclaration d'intention. Quoi qu'il en soit, et même si la CDC-P a pris la décision, irrévocable, d'investir avant avril 1993, la date ne peut être antérieure au 17 février 1993 (date à laquelle le conseil d'administration a proposé d'émettre les obligations). Les modalités définitives des émissions n'étaient pas fixées avant cette date et la CDC-P ne disposait donc pas d'informations suffisantes pour prendre une décision définitive ou s'engager de quelque façon que ce soit.

Dans le cadre de la procédure prévue par l'article 93 paragraphe 2, la Commission a examiné de façon approfondie les caractéristiques des titres émis pour vérifier leur conformité aux conditions du marché. Leur rendement est conditionné par les performances de la compagnie. Avant leur conversion, les ORA sont très largement indexées sur les profits puisque leur taux d'intérêt varie en fonction de la marge brute d'autofinancement de la compagnie (le taux d'intérêt actuariel varie entre 5,5 et 7,42 %). L'intérêt (4 %) est payé pour la première fois le 1er mai 1994. Après la conversion, les ORA sont transformées en actions et leur rendement ne dépend alors plus que des profits. Les taux d'intérêt des TSIP-BSA ne sont pas directement liés au profit, si ce n'est que le versement des intérêts peut être suspendu pour l'année au cours de laquelle Air France aurait enregistré une perte consolidée supérieure à 30 % de son capital. En outre, les détenteurs de TSIP-BSA ne bénéficient, en cas de liquidation ou de dissolution, que d'une protection très limitée puisqu'ils sont remboursés après tous les autres créditeurs. La Commission a déclaré à ce sujet qu'il y a aide d'Etat "lorsque la situation financière de l'entreprise et notamment la structure et le volume de l'endettement sont tels qu'il ne paraît pas justifié d'escompter un rendement normal (en dividendes ou en valeur) des capitaux investis dans un délai raisonnable" (10).

Dans le cas d'espèce, la Commission considère que, au moment où la décision d'investissement a été prise (soit au plus tôt au 17 février 1993), la CDC-P avait (ou tout au moins aurait dû avoir) connaissance de la très forte dégradation de la structure financière d'Air France. La CDC-P était certainement informée de l'augmentation des pertes de la compagnie en 1992 (3,2 milliards de francs français en 1992 après les 685 millions de francs français de 1991 et les 717 millions de francs français de 1990), malgré l'adoption du plan de restructuration CAP'93. La CDC-P aurait dû être très sérieusement préoccupée par la structure critique de l'endettement de la compagnie qui ne pouvait être redressée sans amélioration significative de sa rentabilité. Air France semble n'être guère capable de dégager des flux de trésorerie suffisante pour rembourser ses dettes. Son résultat d'exploitation n'a pas couvert ses charges financières pendant les trois dernières années (le taux de couverture des intérêts était de - 0,71 en 1992, 0,10 en 1991 et - 0,78 en 1990). Son niveau d'endettement est très élevé, même pour un secteur tel que le transport aérien où il atteint normalement déjà des sommets. Malgré l'ampleur du programme d'investissement CAP'93 et sans tenir compte des loyers opérationnels capitalisés, la valeur des ratios d'endettement d'Air France a augmenté en 1992 par rapport à l'année précédente.

En ce qui concerne les taux de rendement interne des titres, il convient de rappeler que la CDC-P l'a calculé en tenant compte de l'intérêt et de la valeur des actions d'Air France au moment de la conversion. Les autorités françaises allèguent que la CDC-P avait, dès la mi-janvier 1993, calculé la valeur future d'Air France. Le calcul de la CDC-P, qui porte l'empreinte des hypothèses sur lesquelles elle se fonde, aurait certainement donné des résultats différents si elle avait travaillé avec des chiffres plus prudents. Ils s'avèrent ainsi, à titre d'exemple, nettement trop optimistes au moins pour les ORA puisque, à la date de l'émission, le rendement maximal prévu par Air France pour les ORA était inférieur à celui que prévoyait la CDC-P. Dans le prospectus qu'elle a publié en avril 1993, Air France a inséré un tableau de la valeur des actions d'Air France correspondant aux différents rendements possibles des ORA. Le rendement le plus élevé est de 13,12 %, soit 0,88 point en dessous du rendement escompté par la CDC-P (14 %). Dans le calcul du taux de rendement interne des TSIP-BSA, le rendement escompté du coupon BSA occupe une place importante. Si elle avait tenu compte de la faiblesse des perspectives financières d'Air France à moyen et à long terme, la CDC-P serait arrivée à la conclusion que la valeur des actions sous-jacentes était nulle. Le rendement des seuls TSIP n'aurait donc pas suffi pour justifier la participation de la CDC-P dans le respect du principe de l'investisseur en économie de marché. Cette conclusion ne fait que s'imposer avec plus d'évidence s'il est tenu compte aussi de la nature subordonnée du prêt. En conséquence, le fait que le taux de rendement interne des deux valeurs calculé par la CDC-P soit dans la ligne des taux normalement pratiqués sur le marché ne suffit pas pour exclure tout caractère d'aide à l'opération.

Eu égard à la dégradation de la structure financière d'Air France, la Commission ne pense pas qu'un investisseur privé opérant dans des conditions commerciales normales ait été prêt à souscrire à un arrangement financier important avec Air France tel que celui qui a été conclu par la CDC-P.

En ce qui concerne le principe de l'investisseur en économie de marché, la Cour de justice a insisté sur le fait que le comportement de l'investisseur privé, auquel doit être comparée l'intervention de l'investisseur public, doit, au moins, être celui d'un holding privé ou d'un groupe privé poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle et guidé par des perspectives de rentabilité à plus long terme(11).

Dans le cas d'entreprises déficitaires, un investisseur à long terme fondera sa décision sur un plan de restructuration cohérent. Dans le cas d'Air France, la Commission estime que l'aide n'était pas directement liée au PRE1. En effet, ni le PRE1, ni le prospectus publié à l'occasion des deux émissions, ni le procès-verbal du conseil d'administration n'indiquent que ces investissements étaient destinés à financer la mise en œuvre du plan. Quoiqu'elle ait été prête à admettre que les apports financiers étaient, par le fait qu'ils renforçaient les capitaux propres de la compagnie, indirectement liés à la mise en œuvre du PRE1, la Commission a bien dû conclure que le plan n'était pas, même à long terme, suffisant pour rétablir la viabilité financière et économique de la compagnie. Le PRE1 visait, par l'adoption de plusieurs mesures destinées à réduire les coûts, à améliorer la capacité d'autofinacement de 3 milliards de FF en 1994 et de 1,4 milliard de FF en 1993. Le PRE1 aurait dû amener Air France à améliorer très nettement ses résultats en 1993 et à dégager des bénéfices en 1994. Les mesures de restructuration de ce plan axé sur la réduction des coûts se présentaient comme suit:

- réduction des coûts externes (contrôle de la facturation interligne, renégociation des droits d'aéroport, activité hôtelière, etc.),

- rationalisation de la flotte et de l'organisation (abandon des B 727, exploitation des synergies du groupe, etc.),

- réduction des coûts du personnel navigant et augmentation de la productivité du personnel au sol,

- réductions des coûts des autres membres du personnel,

- réduction des coûts financiers de la flotte,

- réorganisation du système de réservation,

- mise en place d'un système de rabattement du trafic sur l'aéroport Charles-de-Gaulle à Paris à partir d'avril 1993.

Le PRE1 visait avant tout à réduire les coût d'exploitation et, dans une moindre mesure, les charges financières, sans s'attaquer avec assez de vigueur aux autres paramètres financiers censés rester constants. Il prenait acte de la baisse du rendement unitaire et ne prévoyait, en dehors de la création du centre de rabattement à l'aéroport Charles-de-Gaulle à Paris, aucune autre mesure pour augmenter les recettes. Alors même que l'entrée en vigueur du troisième train de mesures de libéralisation était proche (1er janvier 1993), le plan n'analysait pas l'évolution prévisible du marché et posait en hypothèse, sans faire référence à une étude ou à des statistiques quelconques, que les trafics long-courrier et moyen-courrier d'Air France augmenteraient respectivement de 5 et de 2,5 % au cours des quatre années suivantes. Le PRE1 prenait acte de la surcapacité temporaire du transport aérien, mais ne prévoyait aucune adaptation de la politique commerciale d'Air France pour poursuivre au contraire une stratégie d'investissement.

Le PRE1 ne prévoyait pas non plus d'autres mesures de restructuration en cas de dégradation supplémentaire de la situation économique de la compagnie. Il indiquait ainsi que: "... toute dégradation supplémentaire du contexte compromettrait la réalisation de cet objectif" (à savoir l'amélioration de la marge brute d'autofinancement). "La Compagnie... s'engagerait alors dans un effort supplémentaire d'amélioration de son économie, effort dont on ne peut exclure totalement l'éventualité aujourd'hui." Le PRE1 présentait aussi certaines déficiences en ce sens qu'il envisageait parfois plusieurs options sans en retenir vraiment une et restait muet sur les moyen à mettre en œuvre pour réaliser ceux des objectifs qu'il sélectionnait.

Cela étant, la Commission estime que le PRE1 était insuffisant pour rétablir, même à long terme, la viabilité économique et la rentabilité de la compagnie. Elle estime que, au moment où la décision d'investissement a été prise, la CDC-P aurait dû avoir conscience des faiblesses structurelles du PRE1.Elle aurait en outre dû savoir qu'après l'adoption du PRE1 en octobre 1992, Air France avait augmenté ses capacités dans des proportions supérieures à celles de la croissance du trafic (évolution des sièges/kilomètres offerts et du trafic: 8,2 % et 4,3 % en octobre 1992, 1,8 % et 1,5 % en novembre; 0,9 % et - 1,7 % en décembre; 3,3 % et 0,7 % en janvier; 0 % et - 4,1 % en février).

La Commission estime en conséquence qu'un investisseur privé raisonnable n'aurait pas investi 1,5 milliard de FF dans Air France au vu de la faiblesse récente de ses prestations d'exploitation et de ses performances financières, de son incapacité à mener à bien le programme de restructuration CAP'93 et de l'inaptitude manifeste du PRE1 à redresser la situation.

L'apport de capitaux est de ce fait une aide à l'exploitation destinée à aider le transporteur national français à surmonter temporairement sa crise financière.

3) La Commission s'est demandé si l'aide fausse la concurrence et affecte les échanges.

Etant donné l'âpreté de la concurrence qui s'exerce sur plusieurs liaisons aériennes communautaires desservies par Air France, l'aide, qui renforce la position financière d'Air France vis-à-vis de ses concurrents, fausse la concurrence en Europe. Cette distorsion de la concurrence est particulièrement grave si l'on tient compte:

- de la dimension d'Air France qui est l'une de plus grandes compagnies européennes et de loin la plus grande compagnie française,

- de la surcapacité, particulièrement prononcée au moment où l'aide a été

octroyée, qui obère, à tout le moins à titre temporaire, les transports

aériens européens,

- du fait que l'aide a été accordée quelques mois après l'entrée en

vigueur du troisième train de mesures libéralisant le marché des transports aériens communautaires (12).

L'aide affecte les échanges européens parce qu'elle bénéficie à une entreprise qui effectue des transports, et exerce donc une activité qui affecte de par sa nature même directement les échanges, dans tout l'Espace économique européen.

La Commission estime en conséquence que la souscription de CDC-P aux deux émissions constitue une aide au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité et de l'article 61 paragraphe 1 de l'accord EEE.

VIII

L'aide, qui n'entre pas dans le champ d'application des régimes d'aide approuvés, aurait dû être notifiée à la Commission conformément à l'article 93 paragraphe 3 du traité. En omettant de notifier cette aide à l'avance, c'est-à-dire avant de la mettre à exécution, le gouvernement français a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 93 paragraphe 3. L'aide a donc été accordée de façon illégale et est illicite.

IX

La Commission ne peut considérer l'aide accordée à Air France comme compatible avec le Marché commun en vertu de l'article 92 paragraphe 2 du traité ou de l'article 61 paragraphe 2 de l'accord EEE, étant donné qu'elle n'entre dans aucun des cas prévus dans ces dispositions.

L'article 92 paragraphe 3 du traité et l'article 61 paragraphe 3 de l'accord EEE dressent la liste des aides qui peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun. Cette compatibilité doit être appréciée dans le contexte de la Communauté et non d'un seul Etat membre.

L'article 92 paragraphe 3 points a) et c) du traité et l'article 61 paragraphe 3 points a) et c) de l'accord EEE prévoient des dérogations en faveur des aides destinées à promouvoir ou à faciliter le développement de certaines régions. L'aide accordée à Air France ne paraît pas pouvoir bénéficier des exemptions définies à l'article 92 paragraphe 3 point a) ou point c), dans la partie qui traite des aides régionales. Les autorités françaises n'ont d'ailleurs pas présenté d'arguments de cette nature pour justifier l'aide proposée.

Quant à l'article 92 paragraphe 3 point b) du traité et à l'article 61 paragraphe 3 point b) de l'accord, les faits montrent que l'aide en question n'était pas destinée à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie française. De plus, les autorités françaises n'ont pas invoqué cette disposition.

En ce qui concerne la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) et à l'article 61 paragraphe 3 point c) de l'accord EEE pour les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques, la Commission peut considérer une partie de l'aide de restructuration comme compatible avec le Marché commun si elle répond à un certain nombre de critères (13).

Ces critères doivent être examinés à la lumière des deux principes énoncés à l'article 92 paragraphe 3 point c) du traité et l'article 61 paragraphe 3 point c) de l'accord EEE: l'aide doit être nécessaire au développement de l'activité du point de vue de la Communauté et ne doit pas altérer les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun (14). Ces critères ont été interprétés dans un contexte sectoriel (aviation) dans le mémorandum n° 2 qui précise que la Commission peut, dans certains cas et dans le respect de l'article 92, décider qu'une aide peut être accordée à une compagnie aérienne qui connaît de graves difficultés financières, sous réserve que certaines conditions soient remplies:

a) l'aide doit faire partie d'un programme approuvé par la Commission qui vise à rétablir l'équilibre de la compagnie aérienne de façon qu'elle puisse, dans un délai raisonnable, être rentable sans recevoir d'autres aides;

b) l'aide en question ne doit pas transférer les difficultés de cet Etat membre vers le reste de la Communauté;

c) toute aide doit être élaborée dans la transparence et pouvoir être vérifiée.

Les apports financiers en cause ne sont donc, comme il est indiqué ci-dessus, liés à aucun des objectifs du PRE1, mais sont des subventions d'exploitation destinées à assurer la survie d'une entreprise qui traverse une crise grave. Même s'il est permis de supposer que ces apports faisaient indirectement partie du PRE1, la Commission a démontré que ce plan était manifestement insuffisant pour redresser Air France.

X

Lorsque l'aide est incompatible avec le Marché commun, la Commission a le pouvoir, en vertu des dispositions de l'article 93 paragraphe 2 du traité et comme la Cour de justice l'a confirmé dans les arrêts qu'elle a rendus le 12 juillet 1973 dans l'affaire 70/72 (15) et le 24 février 1987 dans l'affaire 310/85 (16), d'enjoindre aux Etats membres d'en ordonner la restitution. Les autorités françaises doivent donc recouvrer dans les deux mois l'aide illégalement accordée à Air France par la CDC-P, soit 1 497 415 290 FF, moins les intérêts déjà versés par Air France à la CDC-P. Le recouvrement de l'aide doit s'effectuer conformément aux dispositions du droit national, notamment de celles qui régissent le paiement des arriérés d'intérêts sur les dettes envers l'Etat, les intérêts courant à partir de la date d'octroi de l'aide.

Cette mesure est nécessaire pour rétablir le statu quo ante en faisant disparaître tous les avantages financiers dont le bénéficiaire de l'aide illégale a indûment bénéficié depuis la date à laquelle l'aide lui a été accordée,

A ARRETE LA PRESENTE DECISION:

Article premier

La souscription par CDC-Participations à hauteur de 1 497 415 290 FF aux ORA et TSIP-BSA émis par Air France en avril 1993 est une aide d'Etat illégale parce qu'elle a été accordée à l'entreprise en violation des dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité CE. L'aide est incompatible avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité CE et de l'article 61 de l'accord EEE.

Article 2

Il est enjoint par la présente à la France d'ordonner la restitution, dans les deux mois de la publication de la présente décision, de cette aide de 1 497 415 290 FF, après déduction des intérêts qu'Air France auraient déjà versés à CDC-Participations. La restitution doit s'opérer conformément aux dispositions du droit national, notamment de celles qui régissent le paiement des arriérés d'intérêts sur les dettes envers l'Etat, les intérêts courant à partir de la date d'octroi de l'aide.

Article 3

La France informe la Commission, dans les deux mois de la publication de la présente décision, des mesures qu'elle a prises pour s'y conformer.

Article 4

La République française est destinataire de la présente décision.

notes :

(1) JO n° C 334 du 9. 12. 1993, p. 7.

(2) Décret sur avis de la Commission d'évaluation des entreprises publiques.

(3) Tous les chiffres financiers relatifs au groupe Air France sont tirés du rapport annuel de 1992. Ces chiffres diffèrent légèrement des chiffres provisoires fournis par les autorités françaises qui avaient été repris dans la décision ouvrant la procédure prévue par l'article 93 paragraphe 2.

(4) CJCE, Commission contre France, affaire 290/83, Recueil 1985, p. 439, point 14, p. 449.

(5) CJCE, Van der Kooy e.a. contre Commission, affaires jointes 67, 68 et 70/85, Recueil 1988, p. 219, points 36 et 37, p. 272.

(6) Rapport d'information sur la Caisse présentée par le sénateur Roger Chinaud au nom de la "Commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation" au Sénat français. Annexe au procès-verbal de la réunion du 9 juin 1992, p. 180.

(7) CJCE, Steinike et Weinlig contre Allemagne, affaire 78/76, Recueil 1977, p. 595, point 21, p. 611; Commission contre France, Recueil 1985, p. 439, point 12, p. 448; Van der Kooy e.a. contre Commission, Recueil 1988, p. 263, points 35 à 37, p. 272.

(8) Communication de la Commission aux Etats membres concernant la participation des autorités publiques dans les capitaux des entreprises, du 17 septembre 1984, Bulletin des Communautés européennes n° 9-1984; CJCE, affaires jointes 296 et 318/82, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek BV contre Commission, Recueil 1985, p. 809, point 17, p. 823).

(9) Communication de la Commission sur l'application des articles 92 et 93 aux prises de participation publiques, Bulletin des Communautés européennes n° 9-1984.

(10) Communication de la Commission aux Etats membres concernant la participation des autorités publiques dans les capitaux des entreprises, Bulletin des Communautés européennes n° 9/1984.

(11) Affaire C-305/89, Italie contre Commission, Recueil 1991, p. I-1603 point 24, p. I-1641.

(12) Règlements (CEE) n° 2407/92, (CEE) n° 2408/92 et (CEE) n° 2409/92 du Conseil, JO n° L 240 du 24. 8. 1992, p. 1, 8 et 15.

(13) Huitième rapport sur la politique de concurrence, point 176.

(14) Voir arrêt de la Cour, du 17 septembre 1980, affaire 730/79, Philip Morris contre Commission, Recueil 1980, p. 2671.

(15) Commission contre Allemagne, Recueil 1973, p. 813.

(16) Deufil contre Commission, Recueil 1987, p. 901.