CCE, 27 juillet 1994, n° 94-599
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
PVC
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, vu la décision prise par la Commission, le 24 mars 1988, d'engager dans cette affaire la procédure d'office, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément aux dispositions de l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et au règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit :
I. FAITS
(1) La présente décision a pour objet l'application de l'article 85 du traité CE à des arrangements collusoires constituant une entente auxquels ont participé les producteurs approvisionnant la Communauté en thermoplastiques bruts de type PVC (polychlorure de vinyle) ; dans le cadre de ces arrangements, ces producteurs ont tenu des réunions secrètes périodiques en vue de coordonner leur comportement commercial, de planifier des initiatives concertées en matière de prix, de fixer des prix cibles et/ou minimaux, d'établir des quotas de vente cibles par producteur et de surveiller la mise en œuvre desdits arrangements.
A. Introduction
1. Entreprises
(2) Les entreprises destinataires de la présente décision sont toutes d'importants fabricants de produits pétrochimiques.
Dix-sept entreprises ont pris part à l'infraction durant la période couverte par la présente décision.
L'industrie du PVC ayant fait l'objet d'une restructuration en profondeur, certaines de ces entreprises ont fusionné avec d'autres. D'autres producteurs ont quitté le secteur du PVC, mais continuent à exister en tant qu'entreprises. Les destinataires de la présente décision sont les entreprises suivantes (3) :
BASF, DSM, Elf Atochem, Enichem, Hoechst, Huels, ICI, LVM, Montedison, SAV, Shell, Wacker.
2. Produit
(3) Le PVC est l'un des premiers thermoplastiques bruts qui ait été développé. Il est obtenu à partir de VCM (chlorure de vinyle monomère), qui est lui-même produit par chloration de l'éthylène. Le PVC trouve de nombreuses applications importantes dans l'industrie lourde et dans la construction et il est également utilisé dans la fabrication de nombreux articles de consommation courante. Il peut être converti en matériau dur ou, en composition avec des plastifiants, transformé en articles souples, et notamment en film. La conversion du PVC en produits finis s'effectue selon différents procédés, notamment par extrusion, par enduisage continu, par moulage, par soufflage et par injection. Le PVC rigide sert principalement à la fabrication de tuyaux et de matériaux de construction qui, depuis 1970, dépassent en importance les formes souples du produit (film, tissu, etc.).
Quatre types différents de PVC sont produits suivant des techniques et par des usines différentes. Le PVC est utilisé à raison de 75 % sous forme d'homopolymères en suspension et de copolymères en masse pour les applications générales. Les polymères en pâte/émulsion et les copolymères en suspension constituent des produits spéciaux.
3. Marché du PVC en Europe occidentale
(4) La consommation de PVC en Europe occidentale (toutes qualités confondues) est passée de 500 000 tonnes en 1960 à quelque 4 200 000 tonnes en 1986. Il apparaît que cette consommation est étroitement liée à l'évolution de la production industrielle, bien que, au cours de la période 1986-1988, elle ait dépassé la croissance annuelle.
En 1977, le marché de l'Europe occidentale était approvisionné par une trentaine de producteurs, alors qu'ils n'étaient plus que douze en 1988 à la suite de fusions, de restructurations et de fermetures d'usines.
Ainsi, en 1977, la capacité nominale totale était d'environ 5 millions de tonnes, alors que la demande européenne atteignait 3 400 000 tonnes et les exportations 300 000 tonnes (les importations étaient négligeables).
En 1986, la capacité nominale était de 5 110 000 tonnes et la production atteignait 4 400 000 tonnes, ce qui correspondait à un taux d'utilisation record de 86 % de la capacité nominale et de 95 % de la capacité réelle. Alors que les importations (principalement en provenance d'Europe de l'Est) étaient passées en 1986 à 200 000 tonnes, l'Europe occidentale restait un gros exportateur de PVC (exportations en 1986 : 435 000 tonnes).
Pendant toute la durée de la période considérée, le PVC fait l'objet d'un vaste courant d'échanges entre les Etats membres, notamment en raison des fluctuations considérables de l'offre et de la demande intérieure de chacun de ceux-ci. Quelque 35 % des échanges en Europe occidentale s'effectuaient à travers des frontières nationales.
De nombreux producteurs (BASF, ICI, LVM, Norsk Hydro, Shell et Solvay) possédaient des unités de production dans plus d'un pays.
Seules Solvay, Wacker et Hoechst n'avaient pas de production d'éthylène intégrée propre. Il existait également une importante consommation captive en aval, jusqu'à 25 % de la production de PVC allant à des transformateurs intégrés dans le même groupe qu'un producteur.
4. Surcapacité
(5) La Commission admet que, pendant une grande partie de la période couverte par la présente décision (1980-1984), le marché du PVC en Europe s'est caractérisé par une surcapacité structurelle. Presque tous les producteurs déclaraient des pertes considérables dans ce secteur.
Outre cette surcapacité, parmi les autres facteurs qui expliquent cette situation, on peut citer notamment :
- le nombre élevé de producteurs et de sites de production entraînant une utilisation inégale des capacités des différentes unités,
- des conceptions stratégiques différentes des producteurs de PVC,
- un marché instable caractérisé par de brusques baisses périodiques de la demande,
- une demande déprimée dans tous les pays d'Europe occidentale au début des années 80.
Il est admis que, en 1981 et 1982, les producteurs travaillaient souvent à perte.
A partir environ du quatrième trimestre de 1982 et jusqu'à la fin du deuxième trimestre de 1984, les producteurs de PVC en Europe occidentale ont généralement atteint un seuil de rentabilité. Au troisième trimestre de 1984, l'industrie a cependant subi un retour à des pertes nettes.
A la suite des programmes de rationalisation et des fermetures d'usines qui ont eu lieu jusqu'en 1987, les problèmes de surcapacité ont pratiquement été éliminés, et, en 1988, les producteurs de PVC utilisaient pleinement leurs capacités de production et leurs entreprises étaient à nouveau rentables.
5. Vérifications de la Commission
(6) Les premières présomptions d'infraction remontent à la fin de 1983 à la suite de vérifications concernant un autre produit thermoplastique. Les 21, 22 et 23 novembre 1983, des vérifications ont été effectuées chez ICI et Shell sur la base de mandats portant spécifiquement sur des accords présumés contraires à l'article 85 dans le secteur des thermoplastiques bruts PVC, polystyrène, PEHD et PEBD. Ensuite, en 1984, la Commission a été obligée d'adopter une décision au titre de l'article 11 paragraphe 5 du règlement n° 17, invitant ICI à fournir des renseignements sur des documents découverts dans ses locaux. En janvier 1987, la Commission a procédé à des vérifications sans avertissement préalable chez Atochem, Enichem et Solvay. De nouvelles vérifications ont été effectuées ultérieurement en 1987 chez Huels, Wacker et LVM. La Commission a également été obligée d'adopter une série de décisions au titre de l'article 11 paragraphe 5, un grand nombre d'entreprises ayant refusé de fournir ou n'ayant pas fourni les renseignements requis. Dans la plupart des cas, les entreprises ont maintenu leur refus initial.
B. Description de l'infraction
1. Origine de l'entente
(7) Les arrangements collusoires faisant l'objet de la présente décision trouvent leur origine dans une proposition faite en août 1980 et dans les discussions et consultations qui ont suivi. Deux documents de planification équivalant à un projet de création d'une entente ont été trouvés chez ICI : le premier visait à instituer un nouveau "cadre" de réunions en vue de gérer un système révisé de calcul de quotas et de fixation des prix, et le second faisait état de la réaction généralement favorable des autres producteurs à la proposition d'ICI.
Selon la proposition d'ICI, le "nouveau cadre" (4) des réunions devait consister en un groupe de planification (planning group) restreint et en un groupe opérationnel (operating group) plus large de producteurs pour gérer les arrangements en matière de quotas et de fixation des prix.
Le groupe de planification devait être composé de "S", "ICI", "W", "H" et de la "nouvelle société française", et les réunions plus larges devaient réunir ces producteurs plus ANIC, BASF, DSM, SAV et PCUK.
ICI a refusé de confirmer l'identité des entreprises désignées par une seule lettre, mais il ressort clairement du contexte et de la liste des participants proposés que "S" désigne Solvay (qui était à l'époque le plus gros producteur de PVC), que "W" est Wacker et que "H" est, selon toute probabilité, Huels, le plus gros producteur allemand de PVC (5) (Hoechst, la seule autre possibilité, n'était qu'un petit producteur de PVC). La "nouvelle société française" devait être Chloe, société fondée en 1980 dans le contexte de la réorganisation de l'industrie pétrochimique française et qui devait par la suite prendre le nom d'Atochem (puis celui de Elf Atochem).
Ces réunions avaient pour objet de discuter des questions telles que :
- les parts de marché en pourcentage des producteurs et les écarts autorisés par rapport à ces quotas,
- les arrangements relatifs à l'échange mensuel des chiffres de vente de chaque producteur dans chaque pays,
- l'obtention de la "transparence" des prix grâce à un prix européen commun, une marge de pénétration (on avait proposé 2 %) pouvant toutefois être autorisée en faveur des importateurs,
- le mécanisme des initiatives en matière de prix et des mesures visant à assurer le succès de celles-ci, y compris les mesures visant à dissuader les clients de faire du "tourisme" (c'est-à-dire à décourager les acheteurs de changer de fournisseur pour s'adresser à celui qui offre le prix le plus bas).
Un document résumant la réponse des producteurs de PVC aux propositions montre qu'ils étaient tous favorables au plan, les seules réserves exprimées ayant trait à la question de savoir s'il convenait d'autoriser une certaine souplesse en ce qui concerne les quotas individuels, comme le prévoyait la proposition d'ICI.
2. Réunions des producteurs
(8) A la suite des propositions de 1980, des réunions ont eu lieu entre producteurs de PVC "assez régulièrement, approximativement une fois par mois, et à différents niveaux de responsabilités" (réponse d'ICI à une décision, du 30 avril 1984, au titre de l'article 11 paragraphe 5).
Ces réunions "informelles" (comme ICI les qualifie) étaient organisées en dehors du cadre des associations officielles de l'industrie chimique comme l'APME (Association of Polymer Manufacturers in Europe). De l'aveu même d'ICI, les discussions portaient sur les prix et les parts de marché, mais elles ne débouchaient prétendument sur aucun "engagement" entre producteurs.
Selon ICI, les producteurs qui ont participé "au moins à quelques-unes" de ces réunions entre août 1980 et septembre 1983 sont les suivants :
ANIC (devenue Enichem), Atochem (actuellement dénommé Elf Atochem), BASF, DSM, Enichem, Hoechst, Huels, ICI, Kemanord (division de Kemanobel), LVM, Montedison, Norsk Hydro, PCUK, SAV, Shell, Solvay, Wacker.
Selon ICI, certains de ces producteurs participaient plus régulièrement que d'autres à ces réunions et les personnes présentes variaient périodiquement. La Commission a essayé d'obtenir de ces producteurs des renseignements plus précis sur la participation aux réunions, mais la plupart de ceux cités par ICI ont affirmé soit tout ignorer de celles-ci, soit n'avoir connaissance d'aucun détail.
(9) Shell admet avoir participé à deux réunions en 1983 pour lesquelles la Commission avait recueilli la preuve de sa participation sous la forme d'indications portées dans un agenda. Hoechst admet avoir participé à des réunions officieuses avec des concurrents, mais affirme qu'elles n'ont jamais visé à entraver la concurrence. D'autres producteurs, qui avaient tout d'abord affirmé, en réponse à des décisions adoptées au titre de l'article 11, n'avoir pas souvenir ni connaissance de réunions, admettent maintenant (ou ne nient pas) avoir assisté à des réunions, mais, comme Hoechst, affirment que leur objet était innocent. En réponse à une décision adoptée au titre de l'article 11 paragraphe 5 du règlement n° 17, BASF confirme la participation aux réunions de presque toutes les entreprises citées par ICI :
ANIC, Atochem, BASF, Enichem, Hoechst, Huels, ICI, LVM, Montedison, Norsk Hydro, Shell, Solvay, Wacker.
Les seuls producteurs visés par la présente procédure dont la participation aux réunions n'a pas été confirmée par BASF sont DSM et SAV (ces entreprises ont fusionné leurs activités PVC au début de 1983 dans LVM, qui était leur entreprise commune de VCM et qui est l'une des entreprises citées par BASF) (6).
Malgré une enquête approfondie et de nombreuses demandes de renseignements, la Commission n'a pu obtenir des producteurs concernés ni procès-verbal ni compte rendu d'aucune de ces réunions régulières.
Des "initiatives" du secteur en matière de prix sont fréquemment décrites dans les documents internes des producteurs (considérants 17 à 22, ci-après). Des documents trouvés dans un certain nombre d'entreprises démontrent l'existence de quotas et d'un échange d'informations (considérants 11 à 13, ci-après). Etant donné l'intention expresse, contenue dans le plan de 1980 découvert chez ICI, de mettre en place des réunions afin d'administrer de tels systèmes, la Commission est amenée à conclure que les réunions régulières portaient en fait sur ces sujets.
3. Systèmes de quotas
(10) Le document de planification de 1980 trouvé chez ICI montre que la proposition de calculer à l'avenir les quotas en tonnage par "société" et non plus sur une base "nationale" comme auparavant a été accueillie très favorablement par les producteurs, tout comme la proposition de calculer les quotas en pourcentage sur la base des parts de marché des producteurs de 1979, même si certaines "anomalies" restaient à régler.
Les producteurs considéraient que, pour qu'un tel système soit réaliste et puisse fonctionner, il devait comporter une formule qui permette de tenir compte de l'utilisation de nouvelles capacités et d'usines remises en service après une fermeture temporaire.
Bien que tous les producteurs affirment qu'aucun système de quota n'a jamais été instauré, les documents découverts prouvent le contraire.
Dans une note prise par ICI d'un message du directeur général de la division pétrochimique de Montedison, reçu le 15 avril 1981, on peut lire qu'"ICI, pour le PVC par exemple, pourrait disposer pour la fin de 1981 de nouvelles capacités en Allemagne et a demandé une majoration de son quota de 30 kilotonnes depuis janvier 1981". (ICI envisageait de construire une nouvelle usine à Wilhelmshaven et de fermer une vieille usine ailleurs.)
(11) En fait, il est clair que les producteurs ont tenté de renforcer leur système de quotas en 1981 par un mécanisme de "compensation" destiné à pénaliser les producteurs qui avaient dépassé leurs quotas et à dédommager ceux qui ne l'avaient pas atteint (l'instauration d'un système de "compensation" pour le PVC en 1981 était déjà prévue dans le document de planification de 1980).
Selon un mémorandum ultérieur d'ICI intitulé "Sharing the Pain" (partage du fardeau) (qui concernait principalement des discussions avec Shell portant sur un système similaire pour un autre produit), les producteurs de PVC "ont pu se fonder sur des parts de marché convenues pour 1981". Toujours selon ce mémorandum, le système de compensation pour le PVC "ne permettait toutefois des ajustements que lorsque les ventes d'une société ou d'un groupe de sociétés étaient inférieures à 95 % de sa "cible". Cela permettait aux sociétés de déborder de leur part de marché sans être pénalisées...". Au rejet par les producteurs du document intitulé "Sharing the Pain" qu'ils considèrent comme non fiable ou spéculatif, il convient d'opposer un document ICI (découvert chez un producteur espagnol) qui confirme l'existence d'un tel système en 1981. Ce document proposait pour le PEBD un mécanisme de compensation "très similaire à un système instauré récemment par les producteurs de PVC et appliqué pour la moitié des ventes du mois de mai et pour celles du mois de juin". Ce document se termine par une comparaison entre le mécanisme envisagé pour le PEBD et "l'arrangement PVC". Un seul producteur de PVC (apparemment Shell) n'avait pas adhéré au système de compensation. On peut lire dans la note : "Le système (PEBD) peut-il fonctionner alors que deux ou trois des producteurs n'y participent pas? Dans le cas du PVC, un seul producteur ne participe pas au système."
L'existence d'un système de compensation est confirmée également par un document découvert chez DSM, qui semble toutefois indiquer que, pour ne pas devoir effectuer de livraisons compensatoires, certains producteurs déclaraient délibérément un chiffre de vente inférieur à la réalité. Les statistiques établies par le secteur révélaient une augmentation apparente mais peu vraisemblable de 12 % des ventes de PVC au cours du premier semestre de 1982 par rapport à la période correspondante de 1981. DSM observe : "Cela pourrait peut-être s'expliquer par une fausse déclaration concernant les ventes du premier semestre de 1981 (compensation!). Des vérifications seront effectuées à ce sujet."
Même si, comme on le suggère, certains producteurs ont peut-être triché, il n'en reste pas moins manifeste que le système de compensation a été mis en œuvre, ne fût-ce que pendant un certain temps.
(12) Un système de régulation des volumes a continué à fonctionner au moins jusqu'à une date bien avancée en 1984, c'est-à-dire même après que la Commission ait entamé ses vérifications dans le secteur des thermoplastiques à la fin de 1983.
Un document (rédigé en anglais) intitulé "PVC - premier trimestre" et relatif à 1984 a été découvert chez Atochem en janvier 1987 (dénommé ensuite Elf Atochem). Dans ce document figurent les chiffres de vente mensuels de chaque producteur pour les quatre premiers mois de l'année et une comparaison de la part de marché en pourcentage réalisée par chaque producteur au cours du premier trimestre de 1984 avec ce qui est manifestement une part "cible" (en anglais : Target) : "% T".
Les tonnages de vente réels de janvier et février figurent sous la rubrique "final" et ceux de mars et avril sous la rubrique "Q". Il apparaît que, dans de nombreux cas, les chiffres de vente sont les statistiques définitives (en anglais : final) et rapides (en anglais : quick) communiquées au système d'échange d'informations "Fides". Ce système est un service statistique à l'échelle du secteur, géré par une société comptable de Zurich, dans le cadre duquel les producteurs abonnés communiquent leurs propres chiffres à un bureau central qui collationne ces informations et établit des statistiques globales et anonymes pour l'ensemble du marché d'Europe occidentale. Ces statistiques globales permettent à chaque producteur de calculer sa propre part de marché, mais pas celle de ses concurrents. Le système préserve la confidentialité des données, mais rien n'empêche les concurrents d'échanger eux-mêmes des informations dans d'autres enceintes. La conclusion qui s'impose à la lecture du document découvert chez Atochem est que les producteurs cités échangeaient leurs chiffres de vente en dehors du système "Fides" officiel pour surveiller le fonctionnement d'un système de quotas. Il n'y a que dans le cas d'ICI et de Shell que les chiffres donnés sont arrondis.
(13) Les entreprises citées sont Atochem, BASF, Enichem, Huels, ICI, Kemanord, LVM, Norsk Hydro, Pekema, Shell, Solvay et Wacker - en fait, tous les producteurs de PVC d'Europe occidentale à la période considérée (Montedison avait quitté le secteur en mars 1983).
Leurs "cibles" par rapport à leurs parts de marché réelles pour le premier trimestre étaient les suivantes :
EMPLACEMENT TABLEAU
(14) La Commission a cherché à obtenir les déclarations "Fides" de tous les producteurs cités afin de vérifier :
a) l'exactitude du tonnage de vente donnée pour chaque producteur dans le document Atochem ;
b) la mesure dans laquelle les parts de marché de 1984 correspondaient aux cibles indiquées dans le document Atochem.
Un certain nombre de producteurs ont affirmé que les documents statistiques pour 1984 n'étaient plus disponibles. Toutefois, dans de nombreux cas, des données ont pu être obtenues et il est significatif que, pour la plupart, les tonnages mensuels indiqués dans le document découvert chez Atochem correspondent exactement (à la tonne près) aux déclarations "Fides" censément confidentielles de l'entreprise concernée : Solvay, Kemanord et Pekema. Dans le cas des quatre producteurs allemands, leurs ventes combinées (telles qu'elles ont été calculées par la Commission sur la base des déclarations "Fides" et de renseignements demandés en vertu de l'article 11 du règlement n° 17) pour le premier trimestre de 1984 correspondent, à quelques tonnes près, au chiffre indiqué dans le document Atochem, et il en va de même pour LVM.
La Commission a pu établir également que les parts de marché réalisées par les producteurs en 1984 étaient très proches de leurs "cibles" en pourcentage indiquées dans ce document.
Par exemple, la part de marché effectivement réalisée par Solvay en 1984 (14,8 %) correspondait exactement à la part cible indiquée dans ce document. De même, les quatre producteurs allemands ont terminé l'année 1984 avec une part de marché de 24 %, alors que le pourcentage "cible" mentionné était de 23,9 % (7). La part de marché finale d'ICI a atteint 11,1 %, alors que sa cible était de 11 % (il est significatif que les propres documents internes d'ICI datant de 1984 font référence à plusieurs reprises à sa "cible" de 11 %).
Elf Atochem prétendait à la fois ignorer la signification du document et ne pas pouvoir identifier sa source (son style et les caractères utilisés indiquaient qu'il ne provenait probablement pas d'un producteur français).
Ni Elf Atochem, ni aucun autre producteur n'a pu donner d'explication plausible susceptible de jeter un doute sur l'exactitude de la conclusion qui s'impose, à savoir que l'abréviation "% T" signifie "pourcentage cible (en anglais : percentage targets).
4. Surveillance des ventes sur les marchés nationaux
(15) Le document de planification de 1980 proposait que, au cours des réunions, les producteurs échangent leurs chiffres de vente mensuels dans chaque pays.
Les rapports annuels pour le secteur du PVC trouvés chez Solvay montrent qu'au cours de toute la période couverte par la présente décision (de 1980 jusqu'à la fin de 1984 au moins), les producteurs "domestiques" de certains grands marchés nationaux se sont informés mutuellement des tonnages qu'ils vendaient sur chacun de ces marchés.
En effet, en ce qui concerne l'Italie, un rapport Solvay dit expressément : "La répartition du marché national entre les différents producteurs pour 1980 a été indiquée sur la base de l'échange des données avec nos confrères".
Solvay a affirmé que, à l'exception de ceux relatifs à l'Italie éventuellement (où elle peut difficilement nier avoir eu des contacts avec les autres producteurs), les renseignements ont été obtenus par déduction à partir des statistiques officiellement publiées et des informations recueillies auprès de sa clientèle. Cette affirmation est toutefois contredite par Shell qui a déclaré que, "à plusieurs reprises" au cours de la période allant de janvier 1982 à octobre 1983, Solvay téléphonait "pour obtenir confirmation de ses estimations des tonnages vendus par les sociétés du groupe Shell", ce qui implique également que Solvay assurait la présidence des réunions. De toute façon, bien qu'il soit éventuellement possible d'arriver à une estimation approximative des parts de marché en utilisant les méthodes que Solvay prétend avoir employées, des informations relativement précises ne pouvaient provenir que des producteurs eux-mêmes.
(16) Etant donné la rareté ou l'absence totale de statistiques de vente concernant de nombreuses entreprises citées, il a été difficile d'établir si les chiffres de vente notés par Solvay correspondent dans chaque cas aux ventes réelles des producteurs en question.
La Commission a toutefois pu établir que, en ce qui concerne le marché allemand, les chiffres de Solvay pour les ventes de Huels et BASF correspondent exactement aux chiffres déclarés par ces producteurs à "Fides" pour plusieurs années.
Pour la France, les chiffres de Solvay pour Shell sont en grande partie exacts pour 1981, 1982 et 1983. Les chiffres relatifs aux ventes totales de LVM en France pour 1983 et 1984 sont exacts, tout comme les chiffres de vente de 1984 donnés pour Atochem (on ne dispose pas d'autres chiffres provenant d'Atochem qui permettraient de vérifier les chiffres Solvay pour les autres années).
Les documents Solvay donnent uniquement les ventes annuelles de chaque producteur, mais l'existence d'un système quelconque de surveillance mensuelle des ventes (mais pas pour chaque marché national) est démontrée par le document trouvé chez Atochem.
5. Prix "cibles" et initiatives en matière de prix
(17) Le document de 1980 montre que l'une des tâches principales des réunions proposées devait consister dans la planification et la coordination détaillées des initiatives en matière de prix.
Sous le titre "Propositions relatives aux modalités de fonctionnement de ces réunions", la note contenait l'énumération suivante :
"- comment parvenir à une meilleure transparence en matière de prix,
- delta (8) en faveur des importateurs (2 % au maximum ?),
- prix plus élevés au Royaume-Uni et en Italie (nivellement par le haut ?),
- [...],
- lutte contre le tourisme" (9).
La première initiative en matière de prix a été prévue pour le dernier trimestre de 1980, qui devait être précédé d'une "période de stabilisation" au cours de laquelle les fournisseurs ne devaient avoir des contacts qu'avec les clients qu'ils avaient approvisionnés au cours d'une période de référence antérieure de trois mois.
Une réunion a été fixée au 18 septembre 1980 en vue d'obtenir un "engagement" des membres du groupe de planification et du groupe opérationnel sur l'initiative en matière de prix prévue pour octobre/décembre et en vue de s'arranger pour obtenir l'appui des quelques producteurs ne faisant pas partie de l'entente.
Le prix du PVC qualité "suspension" était tombé à 1 mark allemand par kilogramme au cours de l'été 1980. Dans le document de planification d'ICI, le prix donné pour octobre/novembre était de 1,35 mark allemand et, pour novembre/décembre, de 1,50 mark allemand.
L'initiative prévue a effectivement été mise en œuvre. Selon un rapport interne d'ICI du 12 novembre 1980, "la majoration de prix annoncée pour le 1er novembre vise à amener tous les prix du PVC "suspension" en Europe occidentale à un niveau minimal de 1,50 mark allemand (330 livres sterling/t)...". Des documents trouvés chez Wacker, Solvay et DSM confirment l'existence de l'initiative concertée.
(18) Malgré l'absence dans les dossiers de nombreux producteurs de documents mentionnant leurs objectifs en matière de prix, la Commission a pu identifier une quinzaine d'initiatives de prix pour le PVC au cours de la période couverte par la présente décision (voir tableau 1).
Il était régulièrement fait état dans la presse spécialisée des "initiatives" périodiques prises par le secteur en vue d'amener le prix européen à un niveau "cible" déterminé. Ces articles décrivaient la situation prévalant sur le marché et donnaient presque toujours le nouveau niveau de prix "cible" et la date à laquelle les majorations devaient entrer en vigueur.
Les articles de la presse spécialisée faisant état d'une "poussée des prix" ou d'une "initiative" en matière de prix correspondaient aux mentions figurant sur des documents internes des producteurs pour lesquels on dispose de documents concernant les prix indiquant qu'un prix "cible" déterminé avait été fixé par le secteur et qu'une action concertée était planifiée pour y arriver. (La cible "européenne" était toujours fixée en marks allemands, la contre-valeur dans les différentes monnaies nationales étant calculée pour chaque marché national.)
(19) Dans un cas, en avril 1983, la presse spécialisée, qui laisse parfois entendre qu'il y aurait collusion, mais qui évite généralement de porter des accusations directes, a fait état de "rumeurs" selon lesquelles une réunion de producteurs de PVC avait eu lieu à Paris pour discuter de la discipline de marché et de la régulation des volumes et pour fixer de nouvelles cibles en matière de prix (la tenue de cette réunion du 2 mars 1983 est confirmée à la fois par ICI et par Shell).
Selon un mémorandum d'ICI du 31 janvier 1983, en Europe, les "prix "cibles" " étaient très bien connus des industriels et constituaient en tant que tels des "prix affichés". Le mémorandum poursuit :
"Il est communément admis que ces prix affichés ne pourront être atteints sur un marché déprimé... mais l'annonce a un effet psychologique sur l'acheteur. C'est comme dans le secteur automobile, où le "prix de barème" est fixé à un niveau tel que l'acheteur est satisfait lorsqu'il obtient une réduction de 10 à 15 %, il estime faire "une bonne affaire", mais le constructeur ou le garage conserve une marge suffisante."
L'auteur recommandait "que le secteur du PVC annonce à grand renfort de publicité des prix "cibles" bien supérieurs aux prix qui pourront vraisemblablement être atteints, par exemple 1,65 mark allemand par kilogramme en mars".
En fait, après la réunion de Paris du 2 mars 1983, une initiative comportant une majoration en deux phases destinée à amener le prix tout d'abord à 1,50 puis à 1,65 mark allemand par kilogramme a été tentée et elle a été dans une large mesure couronnée de succès. On peut lire dans un rapport de Shell du 13 mars 1983 :
"Une initiative importante est prévue pour enrayer cette érosion [des prix] : des cibles minimales ont été fixées à 1,50 et 1,65 mark allemand par kilogramme respectivement pour mars et avril."
A partir du deuxième trimestre de 1983, la demande a augmenté et les prix ont monté régulièrement avec des cibles de 1,80 mark allemand par kilogramme le 1er septembre et de 1,90 mark allemand par kilogramme le 1er novembre.
(20) Les instructions internes en matière de prix qui ont été obtenues auprès d'un certain nombre d'entreprises (DSM, ICI, LVM, Shell et Wacker) tendent à confirmer que les initiatives en matière de prix constituaient une action concertée à l'échelle du secteur, les producteurs fixant les mêmes objectifs de prix qui devaient entrer en vigueur à la même date, et rappelant fréquemment la nécessité de "soutenir les augmentations de prix prévues" ou les initiatives du secteur.
Dans les instructions en matière de prix et dans les documents internes découverts chez les producteurs, l'accent était mis fréquemment sur la nécessité pour les bureaux de vente de faire preuve de fermeté pour soutenir une initiative déterminée en matière de prix. Cela pouvait consister à limiter les ventes aux clients habituels (pour éviter le "tourisme"), à n'accorder des rabais sur les nouveaux prix de barème qu'avec l'autorisation du siège, voire à refuser des affaires plutôt que de casser les prix.
La Commission a invité les entreprises impliquées dans la présente affaire à lui communiquer tous leurs documents contenant des objectifs internes de prix, des listes de prix ou des instructions en matière de prix adressés aux bureaux de vente nationaux. A l'exception de celles qui ont été citées ci-dessus (dans lesquelles des documents ont été obtenus lors des vérifications effectuées sur place), les entreprises ont prétendu soit que ces documents avaient été détruits comme le voulait la routine, soit que de tels documents n'avaient jamais existé, étant donné que toutes les instructions en matière de prix étaient données par téléphone. D'autres ont affirmé que toutes les décisions en matière de prix étaient prises client par client et qu'aucune politique générale n'avait jamais été définie. La Commission ne peut croire que, dans un secteur aussi sensible aux prix, des entreprises puissent ne pas avoir eu d'objectifs spécifiques en matière de prix ni qu'aucun document écrit n'était conservé, d'autant plus que certains autres producteurs avaient des documents très complets.
La Commission n'ayant pas obtenu de documents sur les prix de tous les producteurs, elle n'est pas en mesure de démontrer qu'ils ont tous instauré simultanément des barèmes identiques, voire appliqué les prix "cibles" "européens" en marks allemands.
Ce qu'elle peut en revanche démontrer, c'est que l'un des objets principaux des réunions auxquelles ils ont tous participé était de fixer des objectifs de prix et de coordonner des initiatives en matière de prix.
(21) Les entreprises ne nient pas que des initiatives en matière de prix aient été prises au niveau du secteur. Pour la plupart, toutefois, elles affirment qu'elles étaient la manifestation de forces concurrentielles spontanées. Elles expliquent le phénomène des initiatives en matière de prix par la théorie économique de la "fixation barométrique des prix", selon laquelle l'un ou l'autre des gros producteurs fixe un prix proche de celui qui s'établirait de toute façon dans des conditions de pleine concurrence et est ensuite suivi par les autres sans que des contacts illicites aient lieu.
Pour admettre la valeur de ces arguments, la Commission devrait ignorer l'existence de preuves écrites très abondantes portant sur :
i) l'objet exprès des réunions périodiques prévues dans les documents de planification de 1980 ;
ii) la participation à ces réunions de la quasi-totalité des producteurs de PVC ;
iii) les rapports commerciaux internes des producteurs qui semblent indiquer que les initiatives de prix faisaient partie d'un plan concerté.
Etant donné qu'ils ont participé aux réunions, il est vain pour les producteurs de prétendre (comme le font certains) qu'ils ont été informés des hausses de prix imminentes par la presse commerciale et qu'ils ont décidé indépendamment de les soutenir.
(22) La Commission sait toutefois que, en dépit des efforts des producteurs pour appliquer une discipline commune en matière de prix, ces initiatives concertées pour le PVC n'ont souvent rencontré qu'un succès mitigé ou, dans certains cas, ont été considérées comme un échec total.
Divers facteurs peuvent expliquer l'écart entre le prix de barème et les prix du marché. Dans certains cas, les clients ont fait des achats importants à l'ancien prix en anticipant sur des initiatives de prix attendues ou annoncées. Certains producteurs ont sans doute montré peu d'empressement à appliquer les nouveaux barèmes sur certains marchés nationaux ; d'autres offraient des ristournes ou rabais spéciaux à certains clients ; d'autres encore se sont sans doute efforcés de suivre une politique intermédiaire entre la majoration des prix au niveau cible et le maintien de leur part de marché ; des prix moins élevés sur un marché national pouvaient également avoir un effet défavorable sur un marché voisin ; en 1981 et en 1982 en particulier, la chute brutale de la demande a entravé les actions concertées sur les prix.
Il est également vrai qu'un certain nombre de producteurs qui ont participé aux réunions se sont vu reprocher leur comportement "agressif" ou "perturbateur" sur certains marchés par les autres producteurs qui se considéraient comme d'ardents défenseurs des initiatives de prix et étaient disposés à accepter une perte sur le plan des tonnages pour imposer une augmentation de prix.
Néanmoins, les initiatives ont enchaîné globalement une majoration des prix, ainsi qu'il ressort du tableau 2. Les clients se voyaient généralement appliquer sur le marché un prix "de référence" connu. Si certains pouvaient obtenir des conditions spéciales ou des ristournes, la fixation d'un prix "cible" déterminé restreignait inévitablement leur marge de négociation.
C. Preuve de l'existence de l'entente et de la participation de chaque producteur
1. Preuve de l'existence du principe de l'entente
(23) De par la nature de l'infraction en cause dans la présente affaire, toute décision devra se fonder dans une large mesure sur les preuves indirectes : il se peut que les faits qui constituent l'infraction à l'article 85 doivent, du moins en partie, être établis par déduction logique d'autres faits avérés.
Dans la présente affaire, la Commission a obtenu, outre les preuves indirectes, un ensemble substantiel de preuves directes consistant en documents portant sur les faits en cause.
L'existence d'une infraction à l'article 85 doit être examinée à la lumière (notamment) des éléments ci-après :
a) la proposition, exposée en détail dans le plan de 1980 découvert chez ICI, visant à instituer un nouveau "cadre" pour les réunions régulières en vue d'appliquer un système de fixation de prix et de régulation des volumes (considérant 7) ;
b) la mise en œuvre par les producteurs de PVC d'Europe occidentale précisément d'un tel système de réunions régulières (considérants 8 et 9) ;
c) la participation prouvée à ces réunions des entreprises citées à l'article 1er de la présente décision (considérants 8 et 9) ;
d) le phénomène des "initiatives" de prix uniformes au niveau du secteur au cours de la période pendant laquelle les entreprises se réunissaient régulièrement (considérants 17 à 22) ;
e) les objectifs de prix identiques fixés par certains producteurs qui devaient entrer en vigueur à la même date (considérant 20) ;
f) les diverses références faites dans des documents découverts chez ICI ou provenant de celle-ci à un système de compensation pour le PVC en 1981 (considérants 10 et 11) ;
g) les documents découverts chez Solvay qui montrent que les producteurs de PVC ont échangé des informations concernant leurs ventes sur chaque marché national entre 1980 et 1984 (considérants 15 et 16) ;
h) le document de 1984 découvert chez Elf Atochem comportant l'indication des cibles en pourcentage pour chaque producteur et une comparaison avec leurs ventes effectives (considérants 12 et 13).
(24) Au cours de la procédure administrative, les entreprises se sont efforcées d'isoler chaque élément de preuve du reste : elles ont fait valoir (par exemple) qu'"il n'est pas prouvé" que le plan de 1980 ait jamais été mis en œuvre ; qu'il n'est pas établi que les réunions avaient pour objet des discussions collusoires ; qu'il n'est pas prouvé que les "initiatives de prix" aient eu un rapport avec les réunions. Pour chaque élément de preuve, des hypothèses prétendument plausibles sont avancées qui (selon les entreprises) sont compatibles avec la non-existence d'une entente et avec la non-participation du producteur concerné. Toutefois, dans la plupart des cas, les arguments développés par les entreprises concernant un document déterminé ne sont pas étayés par le texte du document lui-même.
La Commission estime que les différents éléments de preuve directe et indirecte doivent en l'espèce être considérés ensemble. En particulier, le système de réunions périodiques ne peut être dissocié du plan global proposé en 1980, pas plus que les initiatives de prix ne peuvent l'être de l'existence des réunions, compte tenu de l'indication claire de leur objet dans le plan d'ICI de 1980. Dans cette optique, chaque élément de preuve renforce les autres à l'égard des faits en cause et aboutit à la conclusion qu'une entente consistant à partager les marchés et à fixer les prix a été mise en œuvre pour le PVC.
2. Participation de chaque producteur
(25) La preuve essentielle de l'existence de l'entente est apportée par les documents de planification de 1980, par la mise en œuvre attestée d'un système de réunions régulières entre entreprises censées être concurrentes et par les documents portant sur les mécanismes de quotas et de compensation.
En ce qui concerne l'administration pratique de la preuve, la Commission considère qu'il est nécessaire non seulement de démontrer l'existence d'une entente par des éléments convaincants, mais également de prouver que chaque participant présumé a adhéré au système commun. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille nécessairement des documents attestant que chaque participant a pris part à chaque manifestation de l'infraction. Il est hautement improbable que dans une affaire de cette nature on trouve de tels documents chez chaque participant. On ne peut s'attendre non plus à ce que chaque document cite tous les participants à l'entente. En l'espèce, il n'a pas été possible, vu l'absence de documents sur les prix, de prouver la participation effective de chaque producteur aux initiatives de prix concertées. C'est pourquoi la Commission a examiné, pour chaque participant présumé, s'il existait des preuves suffisantes et certaines de son adhésion à l'entente considérée globalement, plutôt que des preuves de sa participation à chaque manifestation de celle-ci.
Dans la présente affaire, la preuve essentielle démontre en fait non seulement l'existence d'un système commun, mais identifie aussi la quasi-totalité des participants à l'entente. Presque toutes les entreprises étaient citées dans les documents de 1980, et BASF et ICI ont identifié la plupart de celles qui ont participé aux réunions. On trouve confirmation de ces éléments de preuve dans les documents découverts lors des vérifications effectuées en 1987, spécialement chez Solvay et Atochem. Le document découvert chez Atochem en particulier est non seulement une preuve essentielle en lui-même, mais il confirme également la participation permanente à l'entente des entreprises citées par ICI et BASF.
(26) Bien que, au sens de l'article 85, il faille considérer comme entente l'action conjuguée des participants pour atteindre un but illicite commun, de sorte que l'infraction consiste essentiellement en une entreprise commune pour laquelle les entreprises doivent assumer une responsabilité partagée, la Commission a également tenu compte du rôle joué par chaque producteur et des preuves de la participation de chacun à cette entente. Chaque producteur a reçu toutes les informations nécessaires au cours de la procédure administrative.
A l'exception de Shell, toutes les entreprises citées à l'article 1er de la présente décision ont été identifiées en tant que participants aux réunions à la fois par ICI et BASF (10) et dans la plupart des cas, elles étaient également impliquées dans le document de planification de 1980. Shell elle-même admet avoir participé à deux réunions en 1983 (bien que ses documents internes montrent qu'elle était informée des objectifs de prix avant cette date) et avoir eu des contacts avec Solvay au sujet des volumes à partir de janvier 1982. Selon ICI, Shell était toutefois le seul producteur important à ne pas participer au mécanisme de compensation.
Il n'a pas été possible d'établir avec précision avec quelle régularité les producteurs ont participé aux réunions, les entreprises ayant refusé de fournir les renseignements demandés. En tout état de cause, étant donné que l'entente s'est poursuivie pendant un certain nombre d'années, le fait que certains membres puissent avoir manqué certaines réunions, ou même y aient participé moins souvent que d'autres, n'a pas de portée pratique.
Le document découvert chez Atochem (devenu Elf Atochem) montre que, après que la Commission ait entamé ses vérifications à la fin de 1983, presque toutes les entreprises, à l'exception sans doute de ICI et de Shell, ont continué à participer à l'entente comme auparavant.
Le fait que lors des premiers contacts, en 1987, la plupart des entreprises ne disposaient pratiquement d'aucun document de prix interne ne les disculpe pas en ce qui concerne cet aspect du fonctionnement de l'entente. La Commission n'admet pas que les producteurs puissent avoir mené des activités concernant ce produit sensible aux prix sans direction interne de leur politique en matière de prix. Toutefois, le degré de responsabilité de chaque participant dépend non pas des documents qui, par hasard ou non, sont disponibles dans son entreprise, mais de sa participation à l'entente considérée globalement. Ainsi, le fait que la Commission n'ait pas obtenu de preuves concernant le comportement de certaines entreprises en matière de prix n'atténue en rien leur implication, étant donné qu'il est prouvé qu'elles ont pleinement participé à une entente dans le cadre de laquelle des initiatives en matière de prix étaient planifiées.
D. Problèmes procéduraux
(27) Au cours de la procédure administrative, plusieurs entreprises ont fait valoir que la Commission avait violé leurs droits de défense en rejetant leurs demandes d'avoir pleinement accès aux dossiers administratifs.
La position de la Commission sur cette question a été exprimée dans la lettre de couverture envoyée avec la communication des griefs à toutes les entreprises impliquées dans l'affaire, chacune d'elles ayant reçu tous les documents nécessaires pour appuyer les allégations contenues dans les griefs de même qu'une série complète des réponses apportées en vertu de l'article 11 du règlement n° 17. La Commission a également fourni une liste des documents du dossier, indiquant ceux auxquels chaque entreprise pouvait avoir accès si elle le désirait ; cependant, il a été précisé que, pour des raisons de confidentialité, aucune entreprise ne serait autorisée à examiner des documents commerciaux internes obtenus de la part de ses concurrents en vertu des articles 11 et 14 du règlement n° 17, à l'exception des documents annexés à la communication des griefs. La Commission a ensuite, et de sa propre initiative, fourni à chaque entreprise des documents complémentaires qui pouvaient être utiles à la défense.
Après l'expiration du délai accordé pour la réponse à la communication des griefs, la majorité des entreprises sont entrées en contact avec la Commission et, sur la base de renonciations réciproques de confidentialité, ont demandé que la Commission autorise chacune d'elles à examiner tous les documents obtenus par la Commission auprès des autres. La Commission a immédiatement informé ces entreprises que chacune d'elles détenait les copies des documents qu'elles avaient fournis à la Commission, et que si elles estimaient qu'une divulgation réciproque pouvait présenter quelque utilité, la Commission n'aurait aucune objection à ce qu'elles organisent entre elles un tel échange de documents. Il faudrait préciser que tout renoncement de la part d'entreprises au caractère confidentiel de leurs documents d'affaires internes est subordonné à l'intérêt public, qui exige que des concurrents ne soient pas informés réciproquement de leurs activités et de leurs politiques commerciales de telle manière que la concurrence entre eux soit restreinte.
S'il avait existé dans les dossiers de la Commission quelque document non divulgué à toutes les entreprises qui aurait pu jeter un doute sur les allégations faites dans la communication des griefs, l'entreprise à l'origine de ce document aurait sans aucun doute attiré l'attention sur celui-ci pendant la procédure administrative. Aucun document de cette nature n'a été présenté.
La Cour de justice a souligné à maintes reprises (voir par exemple arrêt du 17 janvier 1984 dans les affaires jointes 43-82 et 63-82, VBVB et VBBB contre Commission, Recueil 1984, p. 19 ; arrêt du 3 juillet 1991 dans l'affaire C-62-86, AKZO contre Commission, Recueil 1991, p. I-3359) qu'aucune disposition n'oblige la Commission à divulguer tout le contenu de son dossier administratif aux entreprises. Les droits de la défense sont pleinement protégés si les entreprises ont eu la possibilité de s'expliquer sur les documents réunis par la Commission en vue d'appuyer ses conclusions dans une décision finale. Si, dans une décision, la Commission fondait ses conclusions sur des documents non divulgués aux parties, cette décision pourrait être annulée. Dans la présente affaire, la Commission est allée au-delà des exigences de la Cour de justice et a divulgué aux entreprises non seulement les documents fondant les allégations formulées dans la communication des griefs, mais leur a également fourni des documents (provenant de l'une ou de l'autre d'entre elles) qui n'étaient pas cités dans les griefs mais qui ont été considérés comme étant susceptibles d'être utiles à la défense. Les entreprises se sont fondées sur ces documents et la présente décision les a pleinement pris en considération.
II. APPRECIATION JURIDIQUE
A. Article 85
1. Article 85 paragraphe 1
(28) L'article 85 paragraphe 1 du traité CE interdit comme étant incompatibles avec le Marché commun tous accords entre entreprises ou pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction et à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
2. Caractère et structure de l'accord
(29) Depuis la fin de 1980 à peu près, les producteurs de PVC approvisionnant la Communauté ont été parties à tout un ensemble de plans, dispositifs et mesures collusoires arrêtés dans le cadre d'un système de réunions périodiques.
Ces réunions avaient notamment pour objet :
- la fixation de prix "cibles",
- les modalités d'"initiatives" concertées en matière de prix visant à relever le niveau de ceux-ci jusqu'aux "cibles" convenues,
- la répartition du marché d'Europe occidentale conformément à des cibles annuelles exprimées en volume,
- l'échange d'informations détaillées sur leurs activités pour leur permettre de mieux coordonner leur action sur le plan commercial.
(30) Pour qu'une restriction constitue un "accord" au sens de l'article 85, il n'est nullement nécessaire que les parties la considèrent comme légalement contraignante. En effet, dans une entente secrète, lorsque les parties mesurent pleinement le caractère illégal de leur comportement, elles n'entendent évidemment pas que leurs arrangements collusoires aient une force contractuelle. Un "accord" au sens de l'article 85 peut exister dès lors que les parties s'entendent sur un plan qui limite, ou est de nature à limiter, leur liberté commerciale en déterminant les lignes de leur action ou de leur abstention réciproque sur le marché. Aucune procédure d'exécution telle que pourrait en prévoir un contrat civil n'est requise. Il n'est pas nécessaire non plus qu'un tel accord soit établi par écrit.
En l'espèce, les arrangements restrictifs permanents appliqués par les producteurs de PVC pendant plusieurs années se rattachent incontestablement à la proposition de 1980 dont ils constituent la mise en œuvre pratique.
La Commission considère que l'ensemble des systèmes et arrangements convenus entre les producteurs constitue un seul "accord" permanent interdit par l'article 85 paragraphe 1.
(31) Dans le cadre de ce plan d'ensemble, les producteurs ont, de temps en temps, planifié diverses initiatives en matière de prix et le système des quotas annuels peut lui aussi avoir été révisé pour tenir compte de modifications survenues dans le secteur. Sur tel ou tel aspect des arrangements, un producteur ou un groupe de producteurs déterminé peut avoir, de temps en temps, émis des réserves ou exprimé son désaccord sur un point spécifique (par exemple, ICI a réclamé une majoration de son quota en 1981). Cependant, la collusion doit être considérée non pas comme une série d'accords distincts adoptés par des partenaires différents, mais plutôt comme l'exécution d'un large accord permanent entre les mêmes partenaires, suivant les mêmes procédures et avec le même objet commun, à savoir l'établissement d'un mécanisme de régulation des volumes et de concertation sur les prix.
En d'autres termes, la notion d'"accord" qui fait l'objet des griefs de la Commission consiste en une entreprise ou association permanente entre les producteurs ayant pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché du PVC sur une période de plusieurs années.
L'accord était un accord permanent et le fait que certains producteurs aient éventuellement participé moins fréquemment aux réunions que d'autres ou qu'il ne soit pas établi, faute de preuves, qu'ils ont mis en œuvre les initiatives en matière de prix n'enlève rien au caractère commun de l'entreprise dans laquelle ils s'étaient engagés.
L'essence même de la présente affaire réside dans une association de producteurs pendant un laps de temps considérable afin d'atteindre un objectif illicite commun, où chaque participant doit non seulement assumer la responsabilité découlant de son rôle direct, mais aussi partager la responsabilité du fonctionnement de l'entente dans son ensemble.
3. Pratiques concertées
(32) La Commission considère donc que la mise en œuvre de l'entente a constitué un "accord" au sens de l'article 85 paragraphe 1.
L'article 85 paragraphe 1 fait référence à la fois aux "accords" et aux "pratiques concertées", mais il peut arriver (en particulier dans le cas d'une entente complexe et durable entre de nombreux participants) que la collusion présente des éléments de l'une et de l'autre formes de coopération illicite.
La notion de "pratique concertée" vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la conclusion d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence.
(33) En créant une notion de pratique concertée distincte, le traité visait à empêcher que les entreprises ne contournent l'application de l'article 85 paragraphe 1, en s'entendant sur des modalités contraires à la concurrence et non assimilables à un accord définitif, en s'informant, par exemple, mutuellement à l'avance de l'attitude envisagée par chacun, afin qu'il puisse régler son comportement commercial en sachant que ses concurrents agiront de la même manière : voir arrêt de la Cour de justice du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries Ltd contre Commission, affaire 48-69 (Recueil 1972, p. 619).
Dans son arrêt ultérieur du 16 décembre 1975 dans l'affaire de l'entente européenne sur le sucre : Suiker Unie et autres contre Commission, affaires jointes 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73 (Recueil 1975, p. 1663), la Cour, en développant la définition susmentionnée de la "pratique concertée", a soutenu que les critères de coordination et de coopération définis par la jurisprudence de la Cour, loin d'exiger "l'élaboration d'un véritable plan", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des entreprises de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou escompté de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre elles ayant pour objet ou pour effet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on a décidé, ou que l'on envisage d'adopter soi-même sur le marché. Un comportement collusoire sans accord peut donc également tomber sous le coup de l'interdiction énoncée à l'article 85.
(34) La définition donnée par la Cour de la "pratique concertée" est tout particulièrement de nature à couvrir le cas de Shell qui a collaboré avec l'entente sans en être membre à part entière, et qui a pu adapter son propre comportement sur le marché à la lumière de ses contacts avec l'entente.
L'importance de la notion de pratique concertée ne résulte pas tant de la distinction entre une telle pratique et un "accord" que de la distinction entre une collusion qui relève de l'article 85 paragraphe 1 et un simple comportement parallèle, en l'absence de tout élément de concertation. Peu importe, dès lors, la forme précise que le comportement collusoire a revêtu en l'occurrence.
4. Objet et effet de l'accord
(35) L'article 85 paragraphe 1 cite expressément comme restreignant la concurrence les accords fixant les prix de vente de façon directe ou indirecte ou répartissant les marchés entre producteurs ; telles sont justement les caractéristiques essentielles des accords examinés dans la présente affaire.
L'instauration du système des réunions périodiques et la collusion permanente des producteurs avaient pour objectif fondamental de créer un mécanisme permanent qui permette de réguler les tonnages vendus et de réaliser des hausses de prix concertées.
En organisant une action commune dans le cadre d'initiatives où des prix "cibles" entraient en vigueur à une date convenue de commun accord, les producteurs cherchaient à éliminer les risques inhérents à toute tentative unilatérale de majoration des prix.
La régulation des volumes avait également pour objectif de créer des conditions de marché artificielles favorables à des hausses de prix, et elle était donc étroitement liée aux initiatives en matière de prix.
Dans la poursuite de ces objectifs, les producteurs visaient à organiser le marché du PVC sur une base qui substituerait au libre jeu des forces concurrentielles une collusion institutionnalisée et systématique entre les producteurs, équivalant à une entente.
(36) La Commission est parfaitement consciente de la situation du secteur, et en particulier de ce que, pendant une longue période, les activités de la majorité des producteurs dans le domaine du PVC étaient génératrices de pertes et de ce que, souvent, les initiatives en matière de prix étaient prévues uniquement pour maintenir un alignement sur la hausse du prix de la matière première.
De telles considérations n'enlèvent toutefois rien au fait que l'accord ait poursuivi un objectif contraire à la concurrence.
Si, en raison des conditions de concurrence relatives à un produit particulier (par exemple, existence d'un grand nombre de fournisseurs), les producteurs éprouvent des difficultés à exercer leurs activités de façon rentable, la solution ne réside pas dans une collusion entre eux pour relever le niveau des prix. A cet égard, doit être rejeté l'argument avancé par Montedison en particulier, qui a déclaré que, si des réunions avaient eu lieu, elles avaient été motivées par le désir des industriels d'assurer une "concurrence loyale" (c'est-à-dire d'éviter des baisses de prix de nature à compromettre leur rentabilité).
Le fait que de telles baisses de prix puissent avoir lieu ne saurait en aucun cas justifier une infraction aux règles de concurrence de la Communauté : arrêt de la Cour de justice du 17 janvier 1984 dans VBVB et VBBB contre Commission (loc. cit. pp. 63-64).
(37) L'accord ayant eu un objet manifestement anticoncurrentiel, il n'est pas strictement nécessaire de démontrer qu'il a eu un effet néfaste sur la concurrence.
En raison du fait que la majorité des producteurs n'ont pas pu fournir des instructions de prix, la Commission n'a pas essayé de démontrer que tous les producteurs appliquaient des augmentations de barème uniformément et simultanément pendant la période couverte par la décision. De plus, savoir si à long terme les niveaux de prix auraient été bien plus bas en l'absence de collusion relève d'une pure spéculation.
La Commission n'accepte cependant pas l'affirmation de certains producteurs selon laquelle leurs arrangements n'auraient eu absolument aucun effet sur la concurrence.
(38) Premièrement, et abstraction faite du succès ou de l'échec de telle ou telle initiative concertée en matière de prix, les producteurs ont mis en œuvre un mécanisme permanent de surveillance de leurs activités dans le contexte d'une solidarité mutuelle consciente.
Deuxièmement, à la suite de la fixation par le secteur d'un niveau de prix "cible" européen, les forces du marché ne pouvaient jouer librement pour établir un niveau de prix concurrentiel. Dans des circonstances normales, si les conditions de l'offre et de la demande sont propices à une augmentation des prix, les principaux producteurs essaient différents niveaux de prix sur le marché qui se stabilise finalement au niveau approprié.
La fixation d'un prix "cible" ou d'un prix de barème unique entrave ou empêche un tel processus. En l'espèce, l'établissement d'un prix "de barème" ou "de référence" unique a restreint les possibilités de négociation des clients. Tous rabais ou conditions spéciales étaient fixés par référence au prix de barème.
Troisièmement, les niveaux de prix effectifs ont augmenté pour se rapprocher des niveaux "cibles" à l'occasion de nombreuses initiatives de prix qui ont été identifiées. Même si les producteurs n'ont pas atteint entièrement les objectifs, de nombreuses initiatives prouvées ont cependant été considérées par les producteurs comme ayant permis soit d'enrayer une tendance des prix à la baisse, soit de relever substantiellement leur niveau. Les rapports internes des producteurs montrent cependant que le succès ou l'échec des initiatives de prix dépendaient dans une large mesure de facteurs échappant à leur contrôle. Compte tenu des caractéristiques du marché, il aurait été vain de tenter des initiatives de prix concertées si les conditions n'avaient pas été propices à une majoration.
Toutefois, il est peu probable que les producteurs auraient poursuivi leurs réunions périodiques et leurs initiatives de prix concertées pendant plus de trois ans si, comme ils le prétendent, les arrangements avaient été tout à fait inefficaces.
Enfin, en ce qui concerne le système de quotas, les informations détaillées dont dispose la Commission montrent que, loin d'être des tonnages qui étaient proposés mais qui n'étaient jamais respectés, les arrangements en matière de quotas ont été effectivement mis en pratique, qu'ils ont été renforcés pendant un certain temps en 1981 par un système de compensation que les producteurs ont tenté d'instaurer et qu'ils étaient encore appliqués en mai 1984.
5. Effet sur le commerce entre Etats membres
(39) L'accord entre les producteurs de PVC était susceptible d'avoir un effet sensible sur le commerce entre les Etats membres.
En l'espèce, l'accord collusoire s'étendait à tous les Etats membres et recouvrait pratiquement l'ensemble des ventes de ce produit industriel de première importance dans la Communauté (11). La plupart des producteurs vendent ce produit sur tout le territoire de la Communauté et, compte tenu des déséquilibres existant entre l'offre et la demande sur les divers marchés nationaux, les échanges intracommunautaires sont considérables.
La fixation de prix "cibles" a nécessairement altéré les courants d'échange entre les Etats membres et réduit les écarts de prix liés à l'efficacité plus ou moins grande des producteurs. Les arrangements visant à décourager les clients de "faire du tourisme", tels que le "gel" de la clientèle ou la fin de non recevoir opposée à des demandes avaient manifestement pour objectif d'empêcher le développement de nouvelles relations commerciales.
Le système de régulation des volumes appliqué à partir de 1980 était expressément fondé sur des quotas "européens" par société et non pas sur des quotas nationaux. Néanmoins, l'existence même de telles contraintes contribuait à restreindre les possibilités ouvertes à un producteur. Il ressort également des documents découverts chez Solvay que des informations étaient échangées sur la répartition de chaque marché national entre les entreprises qui se considéraient comme des producteurs "nationaux" ou "locaux".
6. Identité des entreprises
(40) Depuis 1980, l'industrie pétrochimique de l'Europe occidentale, y compris le secteur du PVC, a subi une profonde restructuration, processus qui a reçu l'appui de la Commission.
Le problème particulier qui se pose en l'espèce aux fins de l'application des règles de concurrence communautaires est de savoir si, après cette restructuration, une entreprise qui existe actuellement peut être tenue pour responsable de la participation à l'entente d'un prédécesseur.
(41) Dans le cadre des règles de concurrence de la Communauté, les sujets de droit sont les entreprises, notion qui ne se confond pas avec celle de la personnalité juridique au sens des législations nationales. Le terme "entreprise" n'est pas défini dans le traité. Il est applicable à toute entité exerçant des activités de nature commerciale et, s'il s'agit d'un grand groupe industriel, il peut être approprié (selon les circonstances) de l'appliquer à une société mère ou à une filiale ou à l'unité économique constituée par la société mère et les filiales.
Dans le cas où un producteur a fait l'objet d'une réorganisation ou a cédé ses activités dans le secteur du PVC, l'important est :
i) d'identifier l'entreprise qui a commis l'infraction
et
ii) de déterminer si cette entreprise subsiste dans ses éléments essentiels ou si elle a été liquidée.
La question de l'identité d'une entreprise doit être tranchée sur la base du droit communautaire et les modifications survenues dans son organisation dans le cadre des droits des sociétés nationaux ne sont pas déterminantes.
Il est donc indifférent qu'une entreprise ait vendu ses activités dans le domaine du PVC à une autre : l'acheteur ne devient pas pour autant responsable de la participation du vendeur à l'entente. Si l'entreprise qui a commis l'infraction subsiste, elle reste responsable en dépit de la cession.
En revanche, si l'entreprise qui a commis l'infraction est absorbée par un autre producteur, sa responsabilité peut la suivre et être rattachée à l'entité nouvelle ou fusionnée.
Il n'est pas nécessaire de démontrer que l'acquéreur a poursuivi ou adopté un comportement illicite. Le facteur déterminant est la continuité économique et fonctionnelle qui existe entre l'entreprise qui a commis l'infraction à l'origine et celle dans laquelle elle a fusionné.
(42) Elf Atochem a été fondée en 1980 sous le nom de Chloe Chimie, entreprise commune appartenant à l'époque à Elf, CFP et Rhône-Poulenc, et a acquis la dénomination de Atochem SA le 30 septembre 1983 lorsqu'elle a absorbé sa société soeur ATO Chimie et la majeure partie des activités de PCUK.
Le document de planification d'août 1980 découvert chez ICI avait cité comme participants à la fois PCUK et "la nouvelle société française", ce qui désignait manifestement Chloe ; Chloe a eu depuis le début des liens étroits avec ATO Chimie et leurs activités dans le domaine du PVC ont été réunies dans un groupe d'intérêt économique (GIE) connu sous le nom d'Orgavyl.
Aux termes de l'accord de fusion conclu en 1983 entre Chloe, ATO et PCUK, Chloe et ATO Chimie ont en fait conservé leur personnalité juridique sous la nouvelle dénomination "Atochem", bien que le point important aux fins de l'application des règles de concurrence communautaires soit la continuité fonctionnelle et économique de l'entreprise et non pas son identité juridique.
Le changement de nom en "Elf Atochem SA" en 1993 n'a pas la moindre incidence sur la présente procédure.
Elf Atochem représente la fusion et la continuation des activités économiques de Chloe et d'ATO Chimie qui, dans le secteur du PVC, étaient déjà liées depuis 1980 dans le cadre d'Orgavyl. Elf Atochem est donc incontestablement responsable de la participation à l'entente avant 1983 de Chloe et d'ATO Chimie qui sont deux des entreprises à partir desquelles elle a été constituée.
Etant donné qu'Elf Atochem est indiscutablement responsable d'ATO Chimie/Chloe/Orgavyl, la Commission n'entend pas, aux fins de la fixation de l'amende à infliger à Elf Atochem, attribuer à celle-ci la responsabilité de PCUK également.
DSM a cédé ses activités dans le domaine du PVC à LVM (entreprise commune qu'elle a constituée avec SAV) au début de 1983, mais elle continue à exister en tant qu'entreprise. Il en va de même en ce qui concerne SAV, l'autre société mère. La Commission considère donc que DSM et SAV restent chacune responsable de leur participation à l'entente jusqu'à la constitution de LVM.
Une fois constituée, LVM a participé à l'entente sous sa propre responsabilité.
L'acquisition par le groupe EMC (la société mère de SAV) de l'ensemble du capital de LVM en 1989 n'a pas d'effet sur la présente procédure ou la désignation de LVM en tant que destinataire de la présente décision.
(43)Enichem regroupe les entreprises publiques italiennes du secteur de la chimie qui fonctionnaient auparavant sous le nom d'ANIC. Malgré les différentes réorganisations, il existait une continuité fonctionnelle et économique entre ANIC et Enichem, et, après la restructuration, Enichem a d'ailleurs continué à participer à l'entente. Enichem doit donc assumer la responsabilité de l'activité d'ANIC. Le fait qu'en 1986, Enichem ait cédé ses activités dans le domaine du PVC à EVC, entreprise commune fondée avec ICI, est indifférent sur le plan de la responsabilité, étant donné qu'Enichem elle-même continue à exister en tant qu'entreprise.
De même, la responsabilité d'ICI n'est pas affectée par la cession de ses activités dans le domaine du PVC à l'entreprise commune EVC.
Montedison continue elle aussi à exister en tant qu'entreprise et est responsable de sa participation à l'entente jusqu'au moment où elle s'est retirée du secteur du PVC en mars 1983.
7. Destinataires des décisions
(44)Bien que la notion d'entreprise en tant que sujet de droit soumis aux règles du droit de la concurrence de la Communauté ne dépende pas du droit des sociétés, il est toujours nécessaire, pour l'application des décisions, d'identifier une entité dotée de la personnalité juridique. Il pourrait être extrêmement difficile de percevoir une amende infligée au titre de l'article 192 du traité CE si la décision n'était pas adressée à une entité juridique. Dans le cas d'un groupe industriel important, il est donc normal de rendre destinataire de la décision le holding ou le "siège", bien que l'entreprise elle-même soit constituée par l'unité formée par la société mère et toutes ses filiales.
(45) Enichem et Montedison ont affirmé que le destinataire d'une décision devait être la société du groupe qui assume actuellement la responsabilité des activités dans le secteur des thermoplastiques. La Commission note toutefois que, dans les deux cas, la responsabilité commerciale est partagée par d'autre sociétés du groupe. Ainsi, alors qu'Enichem ANIC SpA est responsable des ventes de PVC d'Enichem en Italie, ses opérations commerciales internationales sont dirigées par Enichem International SA, une société ayant son siège à Zurich, et, dans chaque Etat membre, les ventes de PVC sont assurées par la filiale nationale d'Enichem. C'est pourquoi la Commission considère que le destinataire de la présente décision doit être le principal holding qui est à la tête des groupes Enichem et Montedison.
(46) Toutefois, le groupe Royal Dutch/Shell pose des problèmes particuliers, étant donné qu'il se compose d'un grand nombre de sociétés dans lesquelles les deux holdings du groupe Royal Dutch et Shell détiennent respectivement 60 et 40 % des parts. Il n'y a pas de siège unique auquel la décision puisse être adressée. Shell International Chemical Company Ltd ("SICC") est une "société de services" responsable de la coordination et de la planification stratégique des activités du groupe dans le secteur des thermoplastiques, et, bien que les différentes sociétés "d'exploitation" du secteur de la chimie disposent d'une grande autonomie de gestion, SICC représente le "centre" des activités de Shell dans ce secteur. En l'espèce, c'était SICC qui était en contact avec l'entente et qui assistait aux réunions en 1983. En raison de la responsabilité globale qu'elle assume pour la planification et la coordination des activités du groupe Shell dans le secteur des thermoplastiques, Shell International Chemical Company Ltd est considérée par la Commission comme devant être le destinataire de la présente décision.
8. Règlement (CEE) n° 2988-74 du Conseil (12)
(47) Plusieurs producteurs ont fait valoir que le règlement (CEE) n° 2988-74 interdisait à la Commission de leur infliger des amendes pour leur participation à la prétendue entente avant janvier 1982, cinq ans avant les vérifications effectuées en janvier 1987.
Conformément à ce règlement, l'imposition d'amendes est soumise dans un premier temps à un délai de prescription de cinq ans bien que cette période puisse être étendue. La prescription court à compter de la date de l'infraction, et, dans le cas d'une infraction continue ou continuée, à compter de la date à laquelle celle-ci a pris fin. Le délai de prescription peut être interrompu par tout acte de la Commission visant à l'instruction de l'infraction présumée. La prescription court à nouveau à partir de chaque acte de la Commission.
Les arguments de ces entreprises ignorent les dispositions expresses du règlement. Elles ne tiennent pas compte du fait que les premiers actes accomplis par la Commission pour enquêter sur l'entente présumée le 21 novembre 1983 ont interrompu la période de prescription pour tous les participants à l'infraction présumée, et non pas uniquement pour les producteurs qui ont fait l'objet d'une visite à l'époque.
En conséquence, seules les entreprises qui avaient cessé de participer à une quelconque infraction avant novembre 1978 pourraient éventuellement bénéficier de l'application de ce règlement. L'infraction alléguée ayant commencé seulement en 1980, les entreprises ne peuvent invoquer la prescription en l'espèce.
9. Durée de l'infraction
(48) Bien que des arrangements collusoires en matière de PVC puissent déjà avoir existé avant la proposition de 1980 relative à une nouvelle structure d'entente, la Commission considère que la présente infraction a commencé vers le mois d'août 1980.
C'est la date des propositions d'ICI et il apparaît que le nouveau système de réunions a été instauré à cette époque.
Il n'est toutefois pas possible d'établir avec certitude la date à laquelle chaque producteur a commencé à assister aux réunions. La plupart d'entre eux nient, malgré le poids des preuves, avoir jamais participé à ces réunions ou en avoir eu connaissance. Le document de 1980 implique toutefois tous les producteurs à l'exception de Hoechst, Montedison, Norsk Hydro et Shell (et bien sûr de LVM) dans l'élaboration du plan original. Les dates probables auxquelles ces producteurs ont adhéré au plan peuvent toutefois être établies à partir d'autres documents. Ainsi, Hoechst est déjà identifiée dans les documents de Solvay en tant que participant à l'échange d'informations sur les parts de marché en Allemagne en 1980. De même, Montedison est impliquée dès le début dans les documents relatifs à l'Italie. Shell prétend n'avoir assisté à aucune réunion avant 1983, mais ses propres documents montrent qu'elle avait connaissance des initiatives en matière de prix prises en 1982 et qu'elle les a soutenues, et elle reconnaît avoir eu des contacts avec Solvay à partir de janvier 1982. La Commission admet que sa participation à l'entente a été limitée et qu'elle a sans doute commencé après les autres, et en effet, elle est le seul producteur dont ICI a dit qu'il était en dehors du système de "compensation" en mai/juin 1981.
La participation de LVM au système remonte à l'époque à laquelle elle a repris les activités PVC de ses deux sociétés mères, DSM et SAV, en avril 1983.
Certains producteurs s'étaient retirés du secteur du PVC avant que la Commission entame ses vérifications : Montedison avait cédé ses activités à Enichem au début de 1983, et DSM et SAV n'étaient plus directement actives sur ce marché après la cession de leurs activités dans le domaine du PVC à LVM.
(49) Faute d'informations émanant des producteurs, il n'est même pas possible d'établir si la collusion, sous une forme ou sous une autre, a jamais cessé.
Il est manifeste que l'entente a continué à fonctionner après les premières vérifications effectuées par la Commission dans le secteur du PVC à la fin de 1983.
Le document trouvé chez Atochem montre que le contrôle des ventes par rapport aux quotas et l'échange d'informations se sont poursuivis jusqu'en mai 1984. Tous les producteurs de PVC encore actifs dans le secteur lors de la période considérée sont identifiés en tant que participants à ce système. En ce qui concerne Shell et ICI uniquement, il semble, selon certaines indications, qu'elles avaient cessé de prendre une part active à ces arrangements, mais il n'en reste pas moins que leur participation au système des quotas a sans doute continué à produire ses effets pendant toute l'année 1984.
La presse spécialisée continuait encore à faire état d'"initiatives" dans le cadre desquelles plusieurs producteurs s'efforçaient simultanément de faire monter les prix jusqu'à un niveau déterminé, à l'époque des vérifications effectuées en 1987. Bien que l'on ne dispose d'aucune preuve concrète de l'existence de réunions de l'entente, il est probable que de telles initiatives aient été la manifestation d'une solidarité mutuelle permanente entre producteurs et qu'elles ne constituent pas un phénomène spontané.
La Commission établira toutefois une distinction entre la durée à prendre en considération pour fixer le montant des amendes au titre de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et pour prendre une décision visant à faire cesser l'infraction au titre de l'article 3 (considérant 54).
B. Remèdes
1. Article 3 du règlement n° 17
(50) Si la Commission constate une infraction à l'article 85, elle peut obliger les entreprises intéressées à y mettre fin conformément à l'article 3 du règlement n° 17.
Les entreprises ont toutes nié l'existence d'une infraction à l'article 85. La plupart n'ont cessé de contester, en dépit des preuves du contraire, que des réunions périodiques aient jamais abordé les questions touchant à la concurrence. D'autres nient avoir jamais eu connaissance des réunions. Si quelques entreprises ont informé la Commission qu'elles prenaient des mesures pour que leurs représentants évitent tout contact suspect avec les concurrents, on ignore si les réunions, ou du moins un système quelconque de communication des prix et des tonnages entre les sociétés, ont jamais réellement cessé.
En conséquence, il convient d'inclure dans toute décision l'obligation formelle, pour les entreprises qui exercent toujours des activités dans le secteur du PVC, de mettre fin à l'infraction et de s'abstenir dorénavant de toute pratique collusoire ayant un objet ou un effet similaire.
2. Article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17
(51) Aux termes de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes d'un montant de 1 000 à 1 000 000 d'écus, pouvant être portées à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.
Les entreprises destinataires de la présente décision ont délibérément enfreint l'article 85. Elles ont délibérément instauré et appliqué un système secret et institutionnalisé de réunions périodiques en vue de fixer des prix et des quotas pour un produit industriel important. Plusieurs des entreprises intéressées (BASF, Hoechst et ICI) s'étaient déjà vu infliger des amendes par la Commission en raison d'une collusion dans le secteur chimique [colorants - décision 69-243-CEE de la Commission (13) ].
La Commission tient également compte du fait qu'il est prouvé que la plupart des entreprises destinataires de la présente décision ont continué à participer à des arrangements collusoires pendant six mois au moins après que la Commission avait entamé ses vérifications en novembre 1983. Seules Shell et ICI semblent avoir pris leurs distances par rapport à l'entente à cette époque.
(52) Pour déterminer le montant des amendes à infliger, la Commission s'est fondée également sur les considérations suivantes :
- la collusion en matière de prix et le partage des marchés constituent en soi des restrictions sérieuses de concurrence,
- le PVC est un produit industriel important dont les ventes s'élèvent à plus de 3 000 millions d'écus par an en Europe occidentale,
- les entreprises participant à l'infraction représentent la quasi-totalité de ce marché,
- la collusion était institutionnalisée sous la forme d'un système de réunions périodiques des membres de l'entente, ayant pour objet d'organiser dans le détail le marché du PVC.
La Commission accepte toutefois de réduire le montant des amendes en considérant que, pendant une grande partie de la période visée par la présente décision, les entreprises en cause ont déclaré des pertes substantielles dans le secteur du PVC.
La Commission prend également en considération le fait que la majorité des entreprises ont déjà été condamnées à des amendes importantes pour leur participation à une autre entente dans le secteur des thermoplastiques (polypropylène) pendant pratiquement la même période que celle couverte par la présente décision.
(53) Pour déterminer le montant des amendes à infliger aux diverses entreprises, la Commission a tenu compte du niveau de participation de chacune d'entre elles aux arrangements collusoires, du rôle qu'elles y ont joué (dans la mesure où elle a pu l'établir) et de leur importance respective sur le marché du PVC.
Bien que, selon certaines indications, ICI et Solvay semblent avoir été les inspirateurs de l'entente, la Commission ne peut, en l'espèce, identifier avec certitude aucun chef de file qui devrait assumer en majeure partie la responsabilité de l'infraction.
Aucune distinction importante ne peut être établie entre les producteurs qui ont participé aux réunions sur la base de la perception par eux-mêmes ou par les autres producteurs de leur niveau d'engagements vis-à-vis des arrangements. L'intérêt que chacun y portait pouvait varier selon les cas, mais tous les producteurs qui assistaient aux réunions participaient à une entreprise commune.
Comme indiqué plus haut, la Commission établit toutefois une distinction entre les membres à part entière de l'entente et Shell qui n'a agi qu'en marge. Dans le cas de Shell, il est raisonnable d'infliger une amende d'un montant nettement moins élevé que dans le cas de la majorité des autres producteurs.
(54) L'absence d'informations détaillées sur la participation des producteurs aux réunions n'a pas permis de déterminer la date exacte à laquelle (à l'exception des producteurs ayant quitté le secteur du PVC) leur participation à l'infraction a pris fin, pour autant qu'elle ait effectivement jamais pris fin.
Il a été tenu compte des indications selon lesquelles la participation de Shell aurait probablement commencé plus tard que celle des autres producteurs. Montedison a participé à l'entente dès le départ, et elle s'est retirée du secteur au début de 1983. En ce qui concerne DSM et SAV, leur rôle dans l'entente a été repris par LVM lorsqu'elle a été constituée par ces sociétés en tant qu'entreprise commune au milieu de 1983.
De même, la Commission a déterminé le montant des amendes à infliger à ICI et à Shell en se fondant sur l'hypothèse que leur participation active aux réunions et à d'autres contacts directs a probablement cessé en octobre 1983.
Pour les autres producteurs cités dans le document découvert chez Elf Atochem, la Commission a fixé le montant des amendes en se fondant sur l'hypothèse que leur participation à l'entente s'est poursuivie au moins jusqu'en mai 1984.
C. Procédure devant la Cour de justice
(55) Le 21 décembre 1988, la Commission a arrêté la décision 89-190-CEE (14), décision d'application de l'article 85 du traité constatant qu'une infraction avait été commise par quatorze entreprises et infligeant des amendes aux destinataires de la présente décision ainsi qu'à Solvay et à Norsk Hydro. La décision a été notifiée aux entreprises en février 1989.
Tous les destinataires de cette décision à l'exception de Solvay ont introduit devant la Cour de justice un recours en annulation de la décision. Le 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé leurs demandes devant le Tribunal de première instance.
Le recours en annulation de Norsk Hydro a été rejeté comme irrecevable par le Tribunal de première instance le 19 juin 1990, car il n'avait pas été introduit dans les délais.
Par son arrêt du 27 février 1992 dans l'affaire BASF e.a. contre Commission (affaires jointes T-79-89, T-84-89, T-85-89, T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-98-89, T-102-89 et T-104-89 - Recueil 1992, p. II-315), le Tribunal de première instance a déclaré inexistante la décision 89-190-CEE.
La Commission a introduit un pourvoi contre cet arrêt (affaire C-137-92 P). Le 15 juin 1994, la Cour de justice a annulé à la fois le jugement du Tribunal de première instance et la décision de la Commission, cette dernière au motif que la Commission ne s'était pas conformée à l'article 12 de son règlement intérieur de l'époque, en vertu duquel la décision devait être authentifiée dans les langues dans lesquelles elle fait foi par la signature du président et du secrétaire général.
(56) En vertu du règlement (CEE) n° 2988-74 (considérant 47), qui prévoit que la prescription pour l'imposition d'amendes est interrompue par tout acte de la Commission visant à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction, la prescription court à nouveau après chaque acte. Toutefois, la prescription est acquise le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende (c'est-à-dire dix ans à compter du jour où l'infraction a pris fin). Ce délai est prorogé de la période pendant laquelle la décision de la Commission fait l'objet d'une procédure pendante devant la Cour de justice (y compris le Tribunal de première instance). Cette disposition permet à la Commission d'arrêter une nouvelle décision lorsqu'il y a eu annulation par la Cour de justice pour des raisons de procédure (voir quatrième rapport sur la politique de concurrence, p. 33).
(57) L'article 2 paragraphe 1 du règlement énumère certains actes de la Commission qui interrompent la prescription, cette interruption valant à l'égard de tous les participants à l'infraction. Il s'agit notamment : a) des demandes de renseignements écrites de la Commission ou des décisions de la Commission exigeant les renseignements demandés ; b) des mandats écrits de vérification ou des décisions de la Commission ordonnant des vérifications ; c) de l'engagement d'une procédure par la Commission et d) de la communication des griefs. La liste n'est pas exhaustive et l'adoption par la Commission de sa décision d'application de l'article 85 le 21 décembre 1988 (c'est-à-dire sans conteste dans un délai de cinq ans à compter de la date la plus reculée à laquelle la plupart des entreprises peuvent être considérées comme ayant cessé de participer au cartel) doit a fortiori également être considérée comme un acte interrompant la prescription. Il n'est cependant même pas nécessaire d'adopter cette interprétation du règlement car, même si la notification de la communication des griefs [mentionnée expressément à l'article 2 paragraphe 1 point d) du règlement (CEE) n° 2988-74], qui a eu lieu le 5 avril 1988 ou vers cette date, est considérée comme le dernier acte donnant lieu à une interruption de la prescription en vertu de l'article 2, la Commission disposerait, à l'égard de presque tous les destinataires, d'un délai allant jusqu'au mois d'avril 1993 prorogé de la période (cinq ans et deux mois) pendant laquelle la procédure était pendante devant la Cour de justice, c'est-à-dire jusqu'au mois de juin 1998, pour arrêter une nouvelle décision.
(58) Dans le cas de Montedison, qui a quitté le secteur (et donc le cartel) au début de 1983, et peut-être aussi en ce qui concerne DSM et SAV, qui ont été remplacés dans le cartel par leur entreprise commune LVM au milieu de l'année 1983, la communication des griefs a été notifiée juste après l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la dernière participation prouvée de l'entreprise à l'infraction. Elle ne fait, par conséquent, pas courir la prescription à nouveau (du moins à l'égard de Montedison). Toutefois, en vertu de l'article 2 paragraphe 1 point a) du règlement (CEE) n° 2988-74, une demande écrite de renseignements ou une décision exigeant les renseignements demandés interrompent expressément la prescription. Une décision d'application de l'article 11 paragraphe 5 du règlement n° 17 a en fait été notifiée à Montedison elle-même le 20 novembre 1987, faisant courir la prescription à nouveau. Le délai supplémentaire de cinq ans entraîné par cette décision est arrivé à expiration fin novembre 1992, mais en ajoutant la période pendant laquelle la procédure était pendante devant la Cour, l'échéance ultime pour l'adoption d'une nouvelle décision infligeant des amendes à Montedison (et éventuellement à DSM et SAV si la communication des griefs ne donne pas lieu à une interruption de la prescription à leur égard) est janvier 1998.
(59) Solvay n'ayant pas introduit de recours en annulation de la décision devant la Cour de justice et le recours de Norsk Hydro ayant été déclaré irrecevable, la décision 89-190-CEE reste valable à leur encontre. Il n'est, par conséquent, pas nécessaire (ni approprié) que la présente décision inflige à nouveau des amendes à ces entreprises puisque les amendes infligées à l'origine sont dues. Il convient néanmoins, pour définir l'infraction à laquelle la présente décision se rapporte, de désigner nommément Solvay et Norsk Hydro en tant que participants à cette infraction. L'article 1er du dispositif de la présente décision n'a, par conséquent, qu'un caractère descriptif à leur égard et, comme elles font déjà l'objet d'une décision valable les obligeant à faire cesser l'infraction en application de l'article 3 paragraphe 1 du règlement n° 17, il n'est pas non plus nécessaire que l'article 2 de la présente décision leur soit applicable. Solvay et Norsk Hydro ne sont, par conséquent, pas destinataires de la présente décision,
A ARRETE LA PRESENTE DECISION :
Article premier
BASF AG, DSM NV, Elf Atochem SA, Enichem SpA, Hoechst AG, Huels AG, Imperial Chemical Industries plc, Limburgse Vinyl Maatschappij NV, Montedison SpA, Société Artésienne de Vinyl SA, Shell International Chemical Co. Ltd et Wacker Chemie GmbH ont enfreint, pour les périodes indiquées dans la présente décision, les dispositions de l'article 85 du traité en participant (ensemble avec Norsk Hydro AS et Solvay & Cie) à un accord et/ou à une pratique concertée remontant au mois d'août de l'année 1980 environ, en vertu desquels les producteurs approvisionnant en PVC le territoire du marché commun ont assisté à des réunions périodiques afin de fixer des prix "cibles" et des quotas "cibles", de planifier des initiatives concertées visant à relever le niveau des prix et de surveiller la mise en œuvre de ces arrangements collusoires.
Article 2
Les entreprises mentionnées à l'article 1er, qui sont encore actives dans le secteur du PVC, à l'exception de Norsk Hydro AS et de Solvay & Cie qui ont déjà reçu ordre de faire cesser l'infraction, mettent fin immédiatement aux infractions précitées (si elles ne l'ont pas déjà fait) et s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leur secteur PVC, de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange de renseignements du type généralement couvert par le secret professionnel, au moyen duquel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des livraisons, du niveau des stocks, des prix de vente, des coûts ou des plans d'investissement d'autres producteurs, ou qui leur permettrait de suivre l'exécution de tout accord exprès ou tacite ou de toute pratique concertée se rapportant aux prix ou au partage des marchés dans la Communauté. Tout système d'échange de données générales auquel les producteurs seraient abonnés pour le secteur du PVC est géré de manière à exclure toute donnée permettant d'identifier le comportement de producteurs déterminés ; les entreprises s'abstiennent plus particulièrement d'échanger entre elles toute information supplémentaire intéressant la concurrence et non couverte par un tel système.
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées par la présente décision, en raison de l'infraction constatée à l'article 1er :
i) BASF AG : une amende de 1 500 000 écus ;
ii) DSM NV : une amende de 600 000 écus ;
iii) Elf Atochem SA : une amende de 3 200 000 écus ;
iv) Enichem SpA : une amende de 2 500 000 écus ;
v) Hoechst AG : une amende de 1 500 000 écus ;
vi) Huels AG : une amende de 2 200 000 écus ;
vii) Imperial Chemical Industries plc : une amende de 2 500 000 écus ;
viii) Limburgse Vinyl Maatschappij NV : une amende de 750 000 écus ;
ix) Montedison SpA : une amende de 1 750 000 écus ;
x) Société Artésienne de Vinyl SA : une amende de 400 000 écus ;
xi) Shell International Chemical Company Ltd : une amende de 850 000 écus ;
xii) Wacker Chemie GmbH : une amende de 1 500 000 écus.
Article 4
Les amendes infligées à l'article 3 sont payables en écus dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision au compte bancaire de la Commission des Communautés européennes : 310-0933000-34, Banque Bruxelles Lambert, Agence européenne, Rond Point Schuman 5, B-1040 Bruxelles.
A l'issue de ce délai, des intérêts sont automatiquement dus au taux pratiqué par l'Institut monétaire européen sur ses opérations en écus au premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été arrêtée, majorée de 3,5 points de pourcentage, soit 9,25 %.
Article 5
Sont destinataires de la présente décision :
- BASF AG, Karl-Bosch-Strasse 39, D-67063 Ludwigshafen,
- DSM NV, Het Overloon 1, NL-6411 TE Herlen,
- Elf Atochem SA, La Défense 10, Puteaux, Cédex 42, F-92091 Paris-La Défense,
- Enichem SpA, Piazza della Repubblica 16, I-20124 Milano
- Hoechst AG, Brüningstrasse 64, D-65929 Frankfurt am Main,
- Huels AG, Paul Baumannstrasse 1, D-45772 Marl 1,
- Imperial Chemical Indrustries plc, Millbank 9, GB-London SWIP 3JF,
- Limburgse Vinyl Maatschappij NV, Square de Meeus 1, B-1040 Bruxelles,
- Montedison SpA, Via Degli Ariani 1, I-48100 Ravenna,
- Société Artésienne de Vinyl SA, 62, rue Jeanne d'Arc, F-75013 Paris,
- Shell International Chemical Company Ltd, Shell Centre, GB-London SE1 7PG,
- Wacker Chemie GmbH, Hans Seidelplatz 4, D-81737 München.
(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204-62.
(2) JO n° 127 du 20. 8. 1963, p. 2268-63.
(3) La décision 89-190-CEE de la Commission (JO n° L 74 du 17. 3. 1989, p. 1) dans cette affaire reste valable à l'égard de deux autres entreprises - Norsk Hydro et Solvay : considérant 55.
(4) La référence à un "nouveau" cadre de réunions et d'autres éléments de preuve laissent supposer qu'un système quelconque de quotas nationaux était en vigueur avant 1980, mais ce système ne fait pas l'objet de la présente décision.
(5) De toute façon, tant Huels que Hoechst sont identifiés par ICI et BASF comme participants aux réunions.
(6) En 1989, le groupe EMC, la maison mère de SAV, a acquis les 50 % du capital que DSM possédait chez LVM et en est devenu le seul propriétaire.
(7) Les nouveaux chiffres fournis par Hoechst lors de l'audition (mais sans aucun document à l'appui), et sur lesquels se fondaient les trois autres producteurs allemands pour étayer leur affirmation selon laquelle le document découvert chez Atochem donnait un chiffre erroné pour leurs ventes combinées, ne sont manifestement pas fiables : ils impliqueraient que Hoechst aurait utilisé ses installations à plus de 105 %, alors que les autres producteurs auraient atteint un taux d'utilisation de 70 % seulement. Après l'audition, Hoechst a encore produit une troisième série de chiffres se rapprochant un peu plus de l'information tout d'abord fournie en vertu de l'article 11 (de l'exactitude de laquelle il n'y a aucune raison de douter).
(8) C'est-à-dire rabais autorisé sur les prix de barème.
(9) Par "tourisme", on entend la pratique consistant pour les clients confrontés à une hausse de prix de leur fournisseur habituel à chercher des prix inférieurs chez d'autres producteurs.
(10) Bien que BASF ait identifié LVM en tant que participant aux réunions, elle n'a pas cité DSM et SAV, ses sociétés mères dont les noms apparaissent dans le plan de 1980 et qui sont citées par ICI en tant que participants.
(11) Les activités de l'entente relatives aux ventes de PVC dans les pays tiers n'entrent pas dans le champ d'application de la présente décision.
(12) JO n° L 319 du 29. 11. 1974, p. 1. Pour l'application du règlement (CEE) n° 2988-74 à la période pendant laquelle les procédures d'infraction étaient pendantes devant la Cour de justice, considérants 55 à 59.
(13) JO n° L 195 du 7. 8. 1969, p. 11.
(14) JO n° L 74 du 17. 3. 1989, p. 1.
EMPLACEMENT TABLEAU
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