Livv
Décisions

TPICE, 2e ch., 15 juillet 1994, n° T-17/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Matra Hachette (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, République portugaise, Ford of Europe Inc., Ford-Werke AG, Wolkswagen AG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Briët, Barrington, Saggio, Biancarelli

Avocats :

Mes Siragusa, Winckler, Schneider, Bechtold.

Comm. CE, du 23 déc. 1992

23 décembre 1992

LE TRIBUNAL

LES FAITS A L'ORIGINE DU LITIGE

1 Le 4 février 1991, Ford of Europe Inc. et Volkswagen AG (ci-après "VW") (ci-après "entreprises fondatrices") ont, sur le fondement du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), notifié à la Commission un accord ayant pour objet la création d'une entreprise commune, dite AutoEuropa, qui doit être installée à Setubal (Portugal) et est destinée à la réalisation d'un véhicule "monocorps" ou multi-usages ("multi-purpose vehicle" ou "MPV"), le "VX62". L'accord prévoit que les deux entreprises fondatrices détiendront l'entreprise commune conjointement et à parts égales. La notification tendait, à titre principal, à ce que la Commission déclare qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure (ci-après "attestation négative") et, à titre subsidiaire, à ce que, sur le fondement des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, la Commission déclare les dispositions du paragraphe 1 de cet article inapplicables à l'entreprise commune (ci-après "exemption").

Les principales caractéristiques du projet

2 Selon Matra Hachette SA (ci-après "Matra" ou "requérante"), l'entreprise commune est destinée à la réalisation de certaines fonctions du processus de fabrication. Selon Ford, elle est, au contraire, destinée à réunir toutes les fonctions du processus de fabrication du véhicule. A cette fin, elle possèdera un atelier d'estampage, une installation de construction de carrosseries, un atelier de peinture à technologie avancée, ainsi que des départements de garnissage et d'assemblage final. Selon Ford, l'objectif des entreprises fondatrices est de faire largement appel à des fournisseurs locaux. Il serait donc inexact de dire que, comme le prétendrait la requérante, tous les organes importants du véhicule seront importés.

3 De même, serait-il inexact, selon Ford, d'affirmer que la totalité de la production sera exportée. D'une part, le volume des exportations dépendra de la demande ; d'autre part, les décisions en matière de politique commerciale seront prises par chacune des deux entreprises fondatrices, de façon autonome.

4 L'entreprise commune devrait être opérationnelle à partir de 1995. Selon Matra, sa capacité de production serait de l'ordre de 50 à 80 % de la capacité de production européenne des MPV ; selon Ford, cette capacité serait de l'ordre de 30 %.

5 Le 26 mars et le 16 avril 1991, les autorités portugaises ont, en application de l'article 93 du traité CEE, notifié à la Commission un projet tendant à l'octroi, en faveur du projet considéré, d'un ensemble d'aides publiques d'un montant total de 750 millions d'écus, selon la requérante, et de 547 millions d'écus, selon Ford.

Le déroulement de la procédure administrative

6 Le 26 juin 1991, Matra a déposé devant la Commission une "plainte", au titre des articles 85, 92, 93 et 175 du traité CEE. Le 27 juin 1991, la requérante a été reçue par le directeur général de la direction générale de la concurrence de la Commission, qui lui a exposé son refus d'engager une procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité et son intention de réserver une suite favorable à la demande d'exemption.

7 Le 13 juillet 1991, la Commission a publié la communication faite conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil concernant la notification n° IV-33.814 - Ford/Volkswagen, par laquelle elle faisait savoir qu'elle envisageait de réserver une suite favorable à la notification dont elle avait été saisie (JO 1991, C. 182, p. 8). A la suite de cette publication, la requérante a présenté, le 9 août 1993, ses observations écrites, dans lesquelles elle a demandé, d'une part, à pouvoir accéder au dossier réuni par la Commission et, d'autre part, à présenter des observations orales.

8 Le 16 juillet 1991, la Commission a informé les autorités portugaises qu'elle estimait que le programme d'aides, tel que notifié, était conforme à l'article 92 du traité.

9 Le 21 octobre 1991, la Commission a fait savoir à la requérante qu'elle avait l'intention de lui accorder un accès à tous les éléments importants du dossier, tout en indiquant que l'organisation d'une audition ne lui semblait pas, à ce stade, appropriée.

10 Le 23 décembre 1991, la Commission a communiqué à la requérante, pour commentaires, copie d'un certain nombre de pièces du dossier, ainsi qu'une liste de documents qu'elle n'entendait pas mettre à la disposition de Matra, en raison de leur caractère confidentiel. Le 15 janvier 1992, la requérante a demandé que certains de ces documents soient mis à sa disposition soit directement, soit, au besoin, par l'intermédiaire d'experts indépendants. Cette demande concernait l'accord intervenu entre les entreprises fondatrices, les éléments relatifs à la détermination du "point-mort" de l'entreprise, ceux concernant la différenciation envisagée entre les MPV vendus par Ford et ceux vendus par VW, ainsi que ceux concernant la "cannibalisation", par le MPV produit en commun, des ventes de véhicules VW existants. Les 31 janvier et 10 février 1992, la Commission a refusé d'accéder à cette demande.

11 Le 17 février 1992, la requérante a présenté ses observations sur les documents qui lui avaient été communiqués le 23 décembre 1991.

12 En mai 1992, la Commission a adressé à la requérante la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, L. 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"). A cette occasion, elle lui a fait savoir qu'elle avait l'intention de rejeter la plainte dont elle l'avait saisie. Matra a présenté ses observations sur cette communication le 20 mai 1992.

13 La requérante a été entendue par la Commission le 15 juin 1992.

14 Le 23 décembre 1992, la Commission a, sous réserve de certaines obligations et charges, adopté la mesure d'exemption sollicitée par les entreprises fondatrices (décision 93-49-CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE, IV-33.814 - Ford/Volkswagen, JO 1993, L. 20, p. 14, ci-après "Décision"). Une copie de la Décision, qui expire le 31 décembre 2004, a été adressée à la requérante par la Commission ; à cet envoi, était jointe une décision portant rejet de la plainte de la requérante.

Le déroulement de la procédure

15 C'est dans ces conditions que la requérante a introduit deux recours relatifs au projet considéré.

16 Par un premier recours, enregistré au greffe de la Cour le 6 septembre 1991, la requérante a demandé l'annulation de la décision de la Commission du 16 juillet 1991, précitée, faisant connaître aux autorités portugaises son approbation du programme d'aides publiques. Ce recours a été rejeté par arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Matra/Commission (C-225-91, Rec. p. I-3203).

17 Le présent recours, enregistré au greffe du Tribunal le 16 février 1993, tend à l'annulation, d'une part, de la Décision, accordant l'exemption au projet d'entreprise commune en cause, et, d'autre part, de la décision portant rejet de la plainte formée par la requérante, en tant qu'elle est fondée exclusivement sur les motifs de la Décision.

18 Les conclusions de la requérante étaient initialement dirigées contre la décision, en langue française, en date du 16 décembre 1992, annexée à la correspondance adressée à la requérante le 23 décembre 1992. Lors de la procédure écrite, la Commission a cependant exposé que ce texte était le projet final de la Décision, telle qu'adoptée le 23 décembre 1992, lequel fait foi dans les langues anglaise et allemande. Ce texte, ultérieurement publié au Journal officiel des Communautés européennes, a été produit par la requérante en annexe 2 à la requête. Dans ces conditions, la Commission prie le Tribunal de bien vouloir regarder les conclusions de la requérante, en tant qu'elles concernent la mesure d'exemption, comme dirigées contre la Décision adoptée le 23 décembre 1992.

19 La procédure écrite entre les parties principales s'est achevée le 20 septembre 1993, avec le dépôt du mémoire en duplique de la Commission.

20 Par requête déposée le 11 mai 1993, Ford of Europe Inc. et Ford Werke AG (ci-après "Ford") ont demandé à intervenir dans le litige, au soutien des conclusions de la partie défenderesse. Par requête déposée le 27 mai 1993, VW a demandé à intervenir dans le litige, au soutien des conclusions de la partie défenderesse. A cette occasion, VW a également demandé, en application de l'article 35, paragraphe 2, sous b), du règlement de procédure, à utiliser totalement ou partiellement la langue allemande, au cours de la présente procédure. Enfin, par requête déposée le 4 juin 1993, la République portugaise a demandé à intervenir dans le litige, au soutien des conclusions de la partie défenderesse.

21 Par ordonnance du Tribunal (deuxième chambre) du 1er juillet 1993, d'une part, la République portugaise, Ford et VW ont été admises à intervenir dans le litige, au soutien des conclusions de la partie défenderesse, et, d'autre part, la demande de dérogation au régime linguistique, présentée par VW, a été rejetée, en tant qu'elle concernait la procédure écrite. Par lettre du greffe du 6 juin 1994, VW a été admise à s'exprimer en langue allemande, à l'occasion de la procédure orale.

22 Le 20 septembre 1993, la République portugaise, Ford et VW ont, chacun, présenté un mémoire en intervention. La procédure écrite s'est achevée le 23 novembre 1993, avec le dépôt des observations de la partie requérante sur les mémoires des parties intervenantes.

23 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale, sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Les parties principales et intervenantes ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience publique du 28 juin 1994.

Les conclusions des parties

24 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours recevable ;

- annuler la décision prise par la Commission le 16 décembre 1992, ainsi que sa décision du 23 décembre 1992 de rejet de sa plainte, et généralement

- prendre toutes mesures que le Tribunal jugera utiles pour mettre fin à l'existence et aux effets de l'infraction aux règles du traité CEE critiquée ;

- condamner la défenderesse aux dépens.

25 La Commission demande au Tribunal de :

- rejeter le recours introduit par Matra comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens.

26 La République portugaise conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours.

27 Ford conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours introduit par Matra comme non fondé ;

- condamner la partie requérante aux dépens, y inclus les dépens de la partie intervenante, Ford.

28 VW conclut au :

- rejet de la requête de Matra et à la condamnation de la demanderesse aux dépens

de la procédure, dépens de la partie intervenante inclus.

Les moyens et arguments des parties

29 La partie intervenante Ford a soulevé une fin de non-recevoir, tirée de ce que la requérante ne serait pas directement et individuellement concernée par la Décision, dès lors que le risque de commercialisation du véhicule "Espace" serait supporté par Renault. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, le Tribunal estime approprié d'examiner en premier lieu le fond de l'affaire. A cet égard, la requérante met en cause tant la légalité externe de la Décision d'exemption que sa légalité interne.

Sur la légalité externe de la Décision

30 Au titre de la légalité externe de la Décision, la requérante soutient, d'une part, que cette décision est entachée de violation des principes généraux du droit communautaire et, d'autre part, qu'elle est entachée d'une violation des formes substantielles.

En ce qui concerne le premier moyen de légalité externe, tiré de la violation du principe général des droits de la défense

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

31 La requérante, s'agissant de la violation des principes généraux du droit communautaire, a renoncé, dans sa réplique, au moyen soulevé dans sa requête et tiré de la violation du principe de bonne administration. Dans le dernier état de ses écritures, la requérante se borne donc à soutenir, au titre de la violation des principes généraux du droit communautaire, que la Décision est entachée d'une violation des droits de la défense, dès lors qu'elle n'a pas eu accès à certains éléments essentiels du dossier de l'affaire et n'a pu, de ce fait, faire valoir utilement son point de vue devant la Commission. Elle estime que le refus de communication de certaines pièces du dossier, qui lui a été opposé postérieurement à l'envoi de la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63, entacherait d'illégalité la procédure d'adoption de l'acte.

32 La Commission estime que le moyen n'est pas fondé. Selon elle, l'argumentation de la requérante repose sur une interprétation erronée des dispositions des règlements n°17 et 99-63. En effet, le respect des droits de la défense ne s'imposerait que dans le cadre des relations entre la Commission et l'entreprise concernée par une procédure d'application des articles 85 ou 86, et non pas aux relations entre les tiers à cette procédure et la Commission.

33 Selon la République portugaise, le respect des droits de la défense s'impose, en droit communautaire de la concurrence, à l'égard des entreprises susceptibles d'être sanctionnées par la Commission. Dès lors qu'aucune communication des griefs n'a été adressée, par la Commission, à la requérante, qui, par suite, ne serait pas susceptible d'être sanctionnée, aucune violation des droits de la défense ne pourrait être constatée à son encontre. La procédure menée, à l'égard de la requérante, par la Commission ne serait entachée d'aucune violation des droits procéduraux, dès lors que la plaignante aurait été, à plusieurs reprises, mise à même de faire valoir ses "intérêts légitimes".

Appréciation du Tribunal

34 Le Tribunal rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante, dont se prévalent à juste titre les parties défenderesse et intervenante, que le principe du caractère pleinement contradictoire de la procédure administrative devant la Commission dans le domaine des règles de concurrence applicables aux entreprises ne s'impose qu'à l'égard des seules entreprises susceptibles d'être sanctionnées par une décision de la Commission constatant une infraction aux articles 85 ou 86 du traité, en ce sens que les droits des tiers, tels que consacrés par l'article 19 du règlement n° 17 sont limités au droit d'être associés à la procédure administrative (arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487, points 19 et 20). Il en résulte que la Commission dispose d'un certain pouvoir d'appréciation pour tenir compte, dans sa décision, des observations écrites et, éventuellement, orales qu'ils présentent. En particulier, contrairement à ce que soutient la requérante, les tiers ne sauraient prétendre disposer d'un droit d'accès au dossier détenu par la Commission, dans des conditions identiques à celles auxquelles peuvent prétendre les entreprises poursuivies (arrêt de la Cour du 24 juin 1986, Akzo/Commission, 53-85, Rec. p. 1965).

35 Cette solution n'est pas susceptible d'être remise en cause par l'interprétation de l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, dit Automec I (T-64-89, Rec. p. II-367), dont se prévaut à tort la requérante. A cet égard, le Tribunal rappelle que, le point 46 de cet arrêt précise : "Cette communication (prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63) ressemble à la communication des griefs, prévue à l'article 2 du règlement n° 99-63, qui, elle aussi, est le résultat d'un examen préliminaire des éléments de l'affaire, sur la base duquel la Commission impartit un délai aux entreprises destinataires pour faire connaître leur point de vue. Par la place qu'elle occupe dans la procédure, la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63 constitue donc le pendant de la communication des griefs. Il convient d'ajouter que la communication des griefs doit, selon l'arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, précité, garantir le respect des droits de la défense, alors que la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63 vise à sauvegarder les droits procéduraux des plaignants, lesquels, toutefois, ne sont pas aussi étendus que les droits de la défense des entreprises contre lesquelles la Commission dirige son enquête."

36 Le Tribunal estime que l'interprétation de la requérante, selon laquelle il résulterait des termes de cet arrêt que l'instruction d'une plainte, soumise par un tiers à l'appréciation de la Commission, doit, postérieurement à l'envoi de la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63, être pleinement contradictoire, ignore les termes de la dernière phrase du point, précité, de l'arrêt.

37 Il résulte de ce qui précède que le premier moyen soulevé par la requérante doit être rejeté.

En ce qui concerne le deuxième moyen de légalité externe, tiré de ce que la Commission aurait préjugé sa Décision

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

38 La requérante, s'agissant de la violation des formes substantielles, fait valoir, en premier lieu, que, autorisant, en application de l'article 93 du traité, l'octroi d'aides d'Etat à une entreprise commune, près d'un an avant que la mesure d'exemption soit accordée à celle-ci, la Commission a préjugé l'issue de la procédure prévue au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Elle expose que, si, à ce jour, il n'existe aucun précédent jurisprudentiel précisant l'articulation procédurale entre les article 85 et 93 du traité, la Commission doit, lorsqu'elle examine un projet d'aides publiques, apprécier la compatibilité du projet non seulement au regard des dispositions particulières de l'article 92 du traité, mais également au regard de l'ensemble des règles du traité. En l'espèce, la requérante estime que l'impératif de cohérence, souligné par la jurisprudence, faisait obligation à la Commission d'examiner l'ensemble des données économiques et juridiques, avant de parvenir à une décision quelconque à l'égard du projet considéré, qu'il s'agisse d'une décision au regard de l'article 85 du traité ou d'une décision au titre de son article 93. Or, la chronologie des décisions adoptées, comme leur motivation, montreraient qu'il n'en a rien été. De plus, en adoptant, au titre de l'article 93 du traité, la décision du 16 juillet 1991, précité, la Commission aurait nécessairement privé d'effet la procédure consultative prévue par le règlement n° 17.

39 Postérieurement à l'intervention de l'arrêt Matra/Commission, précité, la requérante a fait valoir que, compte tenu de l'antériorité de la décision du 16 juillet 1991, en matière d'aides publiques, la Commission devait, lors de l'examen de la demande d'exemption, prendre en considération l'effet sur la concurrence des aides publiques consenties par les autorités portugaises. Or, il serait clair que tel n'a pas été le cas, de telle sorte que l'obligation de cohérence entre les articles 85 et 92 du traité aurait été méconnue.

40 La Commission souligne que la décision qu'elle a adoptée, dans le cadre de l'article 93 du traité, a été contestée devant la Cour et que sa légalité ne saurait être discutée devant le Tribunal. Elle souligne que les deux décisions en cause sont dissociables et que l'une d'entre elles ne saurait, à aucun titre, préjuger la légalité de l'autre. Comme l'avocat général M. Van Gerven l'aurait indiqué dans ses conclusions sous l'arrêt Matra/Commission, précité, Rec. p. I-3222, il résulterait seulement du fait que la demande d'exemption fait l'objet d'une réponse négative que l'aide ne pourrait être octroyée ou qu'elle devrait être remboursée, dans le cas où elle aurait déjà été octroyée. Le déroulement des deux procédures montrerait que les deux aspects de l'affaire qui, pour des raisons procédurales, ne pourraient être liés (arrêt de la Cour du 11 décembre 1973, Lorenz, 120-73, Rec. p. 1471), ont été examinés simultanément. A cet égard, il conviendrait, en particulier, de rappeler que la communication prévue à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 a été adoptée antérieurement à la décision du 16 juillet 1991 en matière d'aides, précitée.

41 Selon la République portugaise, le moyen est inopérant. La partie intervenante souligne, en effet, que la démarche de la requérante est contradictoire: ou bien, l'on n'utilise pas la procédure de l'article 85, paragraphe 3, du traité, ce qui a pour corollaire une absence de prise en considération des effets économiques de l'aide ; ou bien, la prétendue absence de prise en considération de l'impact économique de l'aide peut faire l'objet d'une appréciation, dans le cadre de la présente procédure, et conduire à admettre que la procédure au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité peut conduire à un résultat différent de celui auquel l'examen du projet au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité a conduit, dans le cadre de l'affaire Matra/Commission. Dans la première hypothèse, il conviendrait d'évaluer l'effet de la chose jugée par la Cour, dans l'affaire Matra/Commission. Le fait, pour la Commission, d'avoir préjugé la décision constituerait alors, tout au plus, un vice affectant la légalité de la première des deux décisions, adoptée par la Commission au titre de l'article 93, et non la légalité de la Décision.

42 En toute hypothèse, ce serait en vain que Matra tenterait de soutenir que les effets de l'aide n'ont pas été pris en considération, dans le cadre de la présente Décision. Ces effets auraient bien été pris en considération, mais à la lumière de critères différents de ceux retenus dans la décision du 16 juillet 1991, et dans un contexte différent. En effet, en dépit de l'objectif de cohérence, rappelé par la jurisprudence de la Cour, les procédures au titre de l'article 85, d'une part, et au titre de l'article 93, d'autre part, sont "des procédures indépendantes, régies par des règles spécifiques" (arrêt Matra/Commission, précité, point 14).

43 VW estime que le moyen soulevé par la requérante doit être rejeté, compte tenu de l'arrêt Matra/Commission, précité, qui, selon la partie intervenante, conduit à écarter l'argumentation soulevée à ce titre par la requérante, tant sur le plan procédural que sur celui du fond du droit.

Appréciation du Tribunal

44 Le Tribunal constate que la procédure administrative suivie en l'espèce pose le problème de l'articulation, dans le cadre de l'instruction d'un même dossier, des règles relatives aux aides publiques, d'une part, et de celles résultant des dispositions des articles 85 et 86 du traité, d'autre part.

45 Le Tribunal estime, toutefois, que, comme le souligne, à juste titre, la République portugaise, le deuxième moyen de légalité externe soulevé par la requérante est, dans son économie générale, inopérant. En effet, la circonstance, à la supposer établie, que, par sa décision en matière d'aides publiques, la Commission aurait préjugé la légalité de la Décision d'exemption présentement en litige serait, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de cette dernière Décision et serait seulement de nature à affecter la légalité de la décision du 16 juillet 1991, rendue en matière d'aides publiques, dès lors que, en tout état de cause, la requérante n'établit et ne soutient d'ailleurs pas que la Commission a estimé avoir compétence liée, en adoptant la Décision, compte tenu de sa décision, susmentionnée, du 16 juillet 1991.

46 Le Tribunal estime encore que seule est opérante la branche du moyen, tirée de ce que, en adoptant la décision en matière d'aides publiques le 16 juillet 1991, soit trois jours seulement après la publication de la communication prévue à l'article 19 du règlement n° 17, la Commission aurait privé d'effet la procédure consultative, prévue par ce règlement, et dont l'objet est de permettre aux tiers de faire valoir leur point de vue, préalablement à l'intervention d'une décision de la Commission favorable à une entreprise. Toutefois, cette branche du moyen doit être rejetée, dès lors que la requérante, qui, dans les faits, a été pleinement en mesure de présenter ses observations à la suite de la communication du 13 juillet 1991, n'établit pas que la procédure consultative, ainsi ouverte par la Commission, a été, de fait, privée d'effet.

47 En outre, la Commission peut légalement se prononcer sur la compatibilité du projet d'aides avec l'article 92 du traité, dès lors qu'elle a, avec une probabilité suffisante, acquis la conviction que l'opération est susceptible de relever du champ d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité (arrêt Matra/Commission, précité, point 45). En l'espèce, cette conviction ressort elle-même suffisamment de la publication, au Journal officiel des Communautés européennes, de la communication prévue à l'article 19 du règlement n° 17. Dans le cas où, au vu, notamment, des observations présentées par les tiers à la suite de cette publication, l'opération ne bénéficierait, cependant, pas de la mesure d'exemption initialement envisagée, il en résulterait seulement que l'aide octroyée sur la base de la décision adoptée au titre de l'article 92 du traité devrait être remboursée. Dès lors, il n'est nullement établi, contrairement à ce que soutient la requérante, que la décision adoptée en matière d'aides publiques aurait rendu, en fait ou en droit, sans objet la procédure consultative prévue par l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 ou aurait conféré compétence liée à la Commission pour accorder l'exemption sollicitée.

48 Enfin, quant à l'argument, soulevé en réplique, tiré de ce que la Commission aurait dû tenir compte, au stade de la Décision, de l'incidence des aides publiques consenties, il est, en tout état de cause, également infondé. En effet, la seule condition requise, pour que puisse être examinée la question de savoir dans quelle mesure un accord entre entreprises est susceptible d'être exempté est qu'il soit établi par la Commission que cet accord relève effectivement du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1. Or, la constatation du caractère anticoncurrentiel de l'accord est bien, en l'espèce, effectuée par la Décision. Dès lors, la seule incidence possible de la prise en considération des aides publiques consenties serait le renforcement du caractère anticoncurrentiel de l'accord, dans la mesure où les aides publiques permettraient, en abaissant les prix de revient de l'entreprise, de fausser le jeu de la concurrence. Toutefois, l'appréciation de l'intensité de l'effet anticoncurrentiel d'un accord faisant l'objet d'une demande d'exemption est indépendante de celle du champ d'application matériel de l'article 85, paragraphe 1, du traité et doit être effectuée, par la Commission non dans le cadre de l'article 85, paragraphe 1, mais dans celui de l'article 85, paragraphe 3, notamment de la condition tenant au caractère indispensable des restrictions de concurrence (voir, ci-après, points 135 à 140).

49 Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen de légalité externe soulevé par la requérante doit être rejeté.

- En ce qui concerne le troisième moyen de légalité externe, tiré de l'insuffisance de motivation

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

50 Au titre de la violation des formes substantielles, la requérante soutient que la Décision est entachée d'un défaut de motivation. Ce moyen est articulé en deux branches.

51 Selon la première branche du moyen, la Décision serait caractérisée par une absence d'analyse de l'impact économique des aides d'Etat octroyées à l'entreprise commune. A l'exception du point 16 de ses motifs, purement factuel, la Décision ignorerait les règles "publiques" de concurrence, alors même que les aides consenties à l'entreprise commune affecteraient profondément le bilan concurrentiel à établir, dans le cadre de l'examen de la demande d'exemption. En particulier, la Commission n'aurait pas examiné la question de savoir si, compte tenu du volume d'aides qui leur est accordé, les deux entreprises fondatrices ne pouvaient pas pénétrer sur le marché concerné, indépendamment l'une de l'autre.

52 Selon la seconde branche du moyen, la Décision ne ferait pas mention des surcapacités de production créées par l'entreprise commune. Or, celles-ci pourraient être estimées à 40 % du marché communautaire des véhicules monocorps en moyenne, au cours de la période de référence, contre 16 % pour le reste du secteur automobile, taux que la Commission, dans sa communication relative à l'encadrement communautaire des aides publiques dans le secteur automobile (JO 1989, C. 123, p. 3), aurait elle-même considéré comme "dangereux". Dès lors, l'absence de toute motivation de la Décision sur une question aussi essentielle constituerait un vice substantiel.

53 La Commission estime que la Décision est suffisamment motivée, au regard de la jurisprudence de la Cour. La Décision n'évoquerait ni l'impact de l'aide ni l'argument relatif aux prétendues surcapacités de production, parce que ces éléments seraient dénués de pertinence. Au total, la Décision satisferait donc pleinement à l'exigence de motivation.

54 La République portugaise, en ce qui concerne la première branche du moyen, estime que "les avantages et les inconvénients d'une entreprise commune sont à peser dans le cadre d'un bilan économique global, où sont à apprécier tant la nature que l'étendue des bénéfices et des risques" (communication de la Commission sur le traitement des entreprises communes à caractère coopératif au regard de l'article 85 du traité CEE, JO 1993, C. 43, p. 2, point 57). Il en résulterait une obligation de prendre en considération les effets des aides publiques, dans la mesure où ils relèvent des exigences matérielles prévues à l'article 85, paragraphe 3, du traité. Cette obligation serait satisfaite en l'espèce. De surcroît, l'allégation de la requérante ne pourrait être prise en considération, dès lors que celle-ci n'établirait pas que la prétendue omission dont aurait fait preuve la Commission s'est répercutée d'une manière substantielle sur le bilan économique de l'opération, effectué au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Or, en l'espèce, une telle répercussion substantielle ne serait pas possible, dès lors que les aides accordées se borneraient à compenser les handicaps de la localisation de l'entreprise à Setubal.

55 En ce qui concerne la seconde branche du moyen, la République portugaise se rallie au point de vue développé par la Commission.

Appréciation du Tribunal

56 Le Tribunal estime que la première branche du moyen, relative à l'absence d'évaluation, par la Commission, de l'incidence des aides publiques, ne peut qu'être écartée, dès lors que, comme il vient d'être dit (voir, ci-dessus, point 48), cette question est seulement de nature à affecter l'évaluation des effets anticoncurrentiels du projet et non la question de savoir si le projet considéré relève du champ d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité. A cet égard, il appartenait donc à la requérante d'établir que l'évaluation, à laquelle la Commission a procédé, des conditions requises par l'article 85, paragraphe 3, du traité, et notamment de la troisième de ces conditions, était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation (voir, ci-après, points 135 à 140).

57 Le Tribunal estime qu'il en va de même en ce qui concerne la seconde branche du moyen, tirée de l'absence de prise en considération de l'incidence de surcapacités de production. En effet, comme les aides publiques, l'existence de surcapacités de production n'a d'incidence, le cas échéant, que sur l'intensité de l'effet anticoncurrentiel de l'accord. De plus, le Tribunal relève que, en tout état de cause, la question examinée n'est pas relative à la motivation de la Décision, mais concerne la question de savoir si cette Décision est bien fondée, notamment au regard de la troisième des quatre conditions édictées par l'article 85, paragraphe 3, du traité.

Sur la légalité interne de la Décision

58 La requérante articule quatre moyens relatifs à la légalité interne de la Décision. Elle soutient, en premier lieu, que la Décision est entachée d'une violation de l'article 85 du traité, à raison des erreurs manifestes d'appréciation qui la caractérisent ; en deuxième lieu, qu'elle méconnaît les dispositions de l'article 85, à raison également des erreurs de droit dont elle est entachée ; en troisième lieu, que la Décision est encore entachée d'erreur de droit, pour violation de l'article 86 du traité ; en quatrième lieu, que la Décision est entachée de détournement de pouvoir et de procédure.

En ce qui concerne le premier moyen de légalité interne, tiré de l'existence d'erreurs manifestes d'appréciation constitutives d'une violation de l'article 85 du traité

59 La requérante, dans le cadre du premier moyen de légalité interne, s'appuie sur les travaux de deux experts, le Pr Encaoua et le Dr Klaue, pour soutenir que, si c'est à juste titre que la Commission a estimé que l'accord entrait dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, son analyse des effets restrictifs de concurrence est insuffisante car elle aurait dû conduire la Commission à exclure l'accord du champ d'application de son article 85, paragraphe 3. Plus précisément elle soutient, d'une part, que les atteintes à la concurrence résultant de l'accord entre les entreprises concernées sont telles qu'elles ne sont pas susceptibles d'être compensées par la contribution du projet au développement économique et, d'autre part, que, en méconnaissance du principe de proportionnalité, la Commission n'a pas procédé à l'examen comparatif des avantages et des inconvénients du projet. Le moyen ainsi présenté comporte donc deux branches qui concernent les atteintes à la concurrence résultant du projet considéré, d'une part, et la question de savoir si celui-ci satisfait aux conditions énoncées à l'article 85, paragraphe 3, du traité, d'autre part.

Quant à la première branche du moyen, relative aux atteintes à la concurrence sur le marché pertinent, occasionnées par l'entreprise commune

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

60 La requérante soutient que les restrictions de concurrence résultant du projet d'entreprise commune sont analysées aux points 18 à 22 de la Décision. Ainsi d'ailleurs que la Commission l'aurait constaté à maintes reprises dans sa pratique décisionnelle, la mise en commun, entre concurrents, de moyens de production et de développement aboutirait nécessairement à une restriction de la concurrence, notamment parce qu'elle rendrait plus difficile l'apparition d'avantages technologiques ou industriels permettant, en l'absence de cette mise en commun des moyens de production, de différencier les produits concurrents et parce qu'elle aboutirait à une entente sur les décisions d'investissement et d'utilisation des capacités de production.

61 Les atteintes à la concurrence, résultant du projet considéré, se manifesteraient d'un quadruple point de vue.

62 Ces atteintes concerneraient, en premier lieu, les relations entre les entreprises fondatrices et l'entreprise commune, dès lors que l'on peut supposer que l'accord s'accompagne de clauses restrictives de fourniture de composants majeurs, de licences de droits de propriété intellectuelle ou de clauses de non-concurrence. A cet égard, la requérante souligne qu'elle ne comprend pas comment un accord de "cost-plus" pourrait fonctionner, sans que les entreprises fondatrices disposent d'une faculté de contrôle et d'audit de l'entreprise commune, qui se traduirait nécessairement, selon elle, par une connaissance détaillée, par chacun des deux partenaires, des informations relatives aux dépenses et investissements réalisés par l'entreprise commune.

63 Les atteintes à la concurrence résulteraient, en deuxième lieu, de l'effet de réseau du projet considéré. En effet, selon la requérante, la Commission aurait dû tenir compte, dans son évaluation, de l'impact du projet considéré sur le marché en cause, du fait que Ford est associée avec Nissan et Mazda et de ce que le projet d'entreprise commune complète d'autres accords conclus par les deux entreprises concernées, en Amérique latine ("AutoLatina").

64 Les restrictions de concurrence qu'il convenait de prendre en considération tiennent, en troisième lieu, selon la requérante, à l'"effet de groupe" ("spill-over effect") qui risque d'être créé ou renforcé par cette coopération. En effet, la Décision offrirait aux entreprises fondatrices la possibilité de coordonner leurs comportements sur des marchés autres que le marché des véhicules "monocorps", notamment sur les marchés "cannibalisés", c'est-à-dire les segments des véhicules de tourisme de moyenne et haute gammes. De même, l'indication, selon laquelle le prix de cession sera, en principe, le même pour Ford et VW, conduirait à penser que la concurrence par les prix sera fortement atténuée.

65 En quatrième lieu, enfin, l'accord produira, estime la requérante, un effet anticoncurrentiel sur les réseaux de commercialisation des véhicules des entreprises concernées, dont on peut douter qu'ils fonctionnent de manière indépendante, en intégrant dans une large mesure leur politique commerciale.

66 Au total, estime la requérante, les atteintes à la concurrence, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, résultant du projet d'entreprise commune considéré, sont telles que le projet ne peut, sans violation de la loi, bénéficier d'une mesure d'exemption.

67 Selon la Commission, du point de vue de la production des véhicules, tout d'abord, l'argumentation de la requérante concerne, d'une part, les quantités produites, ainsi que, d'autre part, la concurrence par les prix. La Commission réfute l'un et l'autre de ces deux arguments.

68 En ce qui concerne, d'une part, les quantités produites, la Commission estime que, contrairement à ce que soutient la requérante, la capacité de production de l'entreprise commune ne fait pas l'objet d'un partage paritaire entre les entreprises fondatrices. Selon la Commission, Ford et VW soumettront, indépendamment l'une de l'autre, leurs commandes à AutoEuropa. Dans le cas où les capacités de production de celle-ci ne seraient pas suffisantes pour faire face à ces demandes, la capacité de production disponible serait partagée entre les entreprises fondatrices, en proportion des volumes commandés par chacune d'entre elles. Il en résulte que, dans les limites des capacités de production d'"AutoEuropa", les deux entreprises fondatrices seraient en mesure de concevoir une stratégie propre, en déterminant, en toute indépendance, les quantités de véhicules "monocorps" produits par chacune d'entre elles. De plus, chacune des entreprises fondatrices assurerait, en propre, la responsabilité financière des décisions prises.

69 En ce qui concerne, d'autre part, la concurrence par les prix, la Commission soutient que l'une et l'autre des entreprises fondatrices, ainsi que le constate le point 38 des motifs de la décision attaquée, "achèteront en principe au même prix leurs versions respectives du "monocorps" à l'entreprise commune". Selon la Commission, les véhicules sont cédés par l'entreprise commune aux entreprises fondatrices, à un prix qui correspond au coût de fabrication du véhicule, augmenté d'une "petite marge bénéficiaire, destinée à satisfaire les autorités fiscales portugaises". Pour cette raison, le prix de cession sera, en principe, dans un premier temps, identique pour Ford et VW. Cependant, chacune des deux entreprises fondatrices aura, dans un second temps, à supporter le coût des options, destinées à individualiser sa version du véhicule "monocorps". Le choix de ces options sera effectué de façon autonome, par chacune des deux entreprises. Dès lors, il serait erroné de prétendre qu'il n'existera plus de différence de prix entre les véhicules produits par Ford et ceux produits par VW.

70 En outre, la Commission estime que les entreprises fondatrices seront en situation de concurrence, au stade de la distribution des véhicules. A cet égard, la Commission soutient, en premier lieu, que la requérante s'est essentiellement intéressée aux restrictions de concurrence entre les entreprises fondatrices. Or, un accord qui restreint la concurrence entre les parties pourrait cependant la stimuler pour les tiers. En l'espèce, non seulement l'accord examiné ne conduirait pas à une élimination de la concurrence, pour une partie substantielle des produits en cause, mais encore il serait de nature à accroître la concurrence sur un marché caractérisé par la place prépondérante occupée par la requérante.

71 Concernant, en second lieu, l'effet de réseau, la Commission considère, s'agissant, tout d'abord, de l'appréciation des effets, sur le marché, des accords de coopération conclus entre Ford et Nissan, que le véhicule "monocorps", fabriqué en commun par Ford et Nissan, est une adaptation du véhicule dénommé "Aerostar", construit et commercialisé par Ford aux Etats-Unis d'Amérique, qui ne pourrait être que difficilement adapté au consommateur européen. En tout état de cause, l'accord conclu entre Ford et Nissan prévoyant expressément la possibilité, pour chacun des deux partenaires, de commercialiser, en dehors du territoire des États-Unis d'Amérique, le véhicule fabriqué en commun, d'une part, et Nissan étant déjà présent dans la Communauté, d'autre part, il serait douteux que Nissan se retire de ce marché en expansion, après l'arrivée de Ford et VW.

72 S'agissant, ensuite, de la prise en considération des effets des accords existant entre Ford et Mazda, la Commission rappelle qu'aucune production commune de ces deux constructeurs n'existe en Europe et que, contrairement aux allégations de la requérante, ces derniers n'ont pas constitué d'entreprise commune de distribution au Japon. Elle considère que, si Ford détient une participation minoritaire dans le capital de Mazda, d'une part, les deux constructeurs restent indépendants l'un de l'autre et, d'autre part, les accords d'association qu'ils ont conclus ne concernent pas les véhicules "monocorps".

73 Enfin, la Commission souligne que la coopération entre Ford et VW, en Amérique latine, ne concerne ni le marché communautaire, ni le marché des véhicules "monocorps". L'affirmation de la requérante, selon laquelle l'importance relative des réseaux de distribution de Ford et de VW, dans les différents Etats membres, se traduira par une répartition géographique en vue d'assurer une pénétration maximale sur le marché pertinent, serait purement gratuite, dès lors qu'il ressortirait de la troisième des conditions imposées aux entreprises, par l'article 2, partie A, du dispositif de la Décision, que l'accord n'aurait été exempté que sous réserve de l'accord préalable de la Commission, dans le cas où l'une des entreprises fondatrices déciderait de ne pas commercialiser l'un de ses modèles dans l'un des Etats membres de la Communauté.

74 Quant à l'argument relatif au "spill-over effect", la Commission souligne que la décision prend soin, à travers la deuxième obligation imposée aux entreprises, par l'article 2, partie A, du dispositif de la Décision, de limiter le risque de communication d'informations sensibles entre l'entreprise commune et les entreprises fondatrices.

75 La République portugaise, à titre liminaire, rappelle que la Commission dispose, en la matière, d'un large pouvoir d'appréciation. La partie intervenante estime que l'accord, qui n'altère que la concurrence potentielle entre les entreprises fondatrices, ne met pas en cause le maintien d'une concurrence effective entre elles, ainsi qu'il ressortirait des points 7, 8, 11, 21, 35, 38 et 41 des motifs de la Décision, ainsi que de l'article 2, partie A, de son dispositif. L'autonomie des entreprises fondatrices concernerait tout aussi bien les stratégies d'achat, que la différenciation des véhicules commercialisés, ou la concurrence avec les autres partenaires des entreprises fondatrices ou encore la prétendue limitation de concurrence, résultant du "spill-over effect" allégué.

76 La partie intervenante Ford estime, à titre liminaire, que la requérante ignore la jurisprudence de la Cour, selon laquelle, dans les matières comportant des appréciations économiques complexes, le contrôle juridictionnel est limité à l'appréciation d'une erreur manifeste éventuellement commise par la Commission.

77 S'agissant, en premier lieu, des relations entre les deux entreprises fondatrices, Ford précise que, contrairement aux allégations de la requérante, il n'existe pas, entre elles, de clauses de non-concurrence. Les entreprises fondatrices détiendraient toutes deux conjointement les droits de propriété intellectuelle du projet et pourraient les utiliser librement. Il n'existerait, entre elles, aucune restriction, quant à l'utilisation d'organes "nobles". La majorité des organes du véhicule proviendra, selon la partie intervenante, de fournisseurs extérieurs.

78 S'agissant, en deuxième lieu, de l'appréciation de l'effet de réseau, Ford soutient que l'accord d'association conclu entre Ford et Nissan, en matière de véhicules "monocorps" aux États-Unis d'Amérique, qui prévoit expressément que chacune des deux parties peut exporter le véhicule qui fait l'objet de cet accord, n'a aucune incidence en l'espèce. Réciproquement, la partie intervenante soutient qu'elle n'hésitera pas à exporter le "VX62" aux États-Unis d'Amérique, si elle entrevoit, sur ce marché, un créneau pour celui-ci.

79 Ford soutient, en outre, qu'en ce qui concerne l'accord entre elle-même et Mazda, il n'existe, contrairement aux allégations de la requérante, aucune production commune de véhicules. Selon elle, il n'existe pas, non plus, d'entreprise commune de distribution au Japon.

80 Enfin, selon Ford, l'entreprise commune "AutoLatina", qui intervient au Brésil et en Argentine, est une véritable "fusion" des activités de Ford et VW en Amérique latine et s'explique par un environnement concurrentiel extrêmement difficile. "AutoLatina" ne s'insérerait pas dans une stratégie globale de coopération entre les deux groupes.

81 S'agissant, en troisième lieu, du risque de "cannibalisation" de certains des produits des gammes distribuées par les constructeurs, Ford estime que les allégations de la requérante, sur ce point, sont inexactes. En effet, les "stations-wagons" seraient des véhicules sensiblement différents des MPV, de telle sorte qu'elles ne seraient pas substituables aux MPV.

82 S'agissant, en quatrième et dernier lieu, de l'effet de l'entreprise commune sur la distribution des véhicules, Ford rappelle que cette entreprise est une entreprise de production et estime qu'il n'existe aucun risque qu'elle se transforme, de facto, en une entreprise commune de distribution. Les accords conclus entre les entreprises fondatrices feraient de l'entreprise commune un fournisseur pratiquement indépendant qui recevra les commandes, émises séparément, de chacune des deux entreprises fondatrices. Contrairement aux allégations de la requérante, il n'existerait donc aucun partage de la capacité de production. Selon Ford, les véhicules seront vendus, par l'entreprise commune, aux entreprises fondatrices, à des prix strictement basés sur les coûts réels de fabrication. Les prix de vente au consommateur seraient, quant à eux, fixés, de façon autonome, par chacune des deux entreprises fondatrices, qui définirait, en outre, sa propre stratégie de produits. Enfin, le respect du principe d'autonomie des entreprises fondatrices serait garanti par les engagements de confidentialité qu'ont dû souscrire les agents de l'entreprise commune.

83 VW a des doutes sur le point de savoir si, comme le soutient la requérante, l'entreprise commune est de nature à altérer la concurrence sur le marché en cause, ce qui expliquerait d'ailleurs la demande d'"attestation négative" qui a été soumise à la Commission.

- Appréciation du Tribunal

84 Le Tribunal estime que, à ce stade de l'examen de l'affaire, la première branche du moyen, tel que soulevé par la requérante, ne peut qu'être écartée. Cette première branche consiste, en effet, sans remettre en cause la conclusion à laquelle est parvenue la Commission, et selon laquelle l'accord litigieux entre dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, à soutenir, dans un premier temps, que la Commission a procédé à une évaluation insuffisante des effets anticoncurrentiels de cet accord et, dans un second temps, qu'une exacte évaluation de ces effets aurait montré que les atteintes à la concurrence dans le Marché commun sont telles que l'accord litigieux ne saurait bénéficier d'une décision individuelle d'exemption.

85 A cet égard, le Tribunal observe qu'un tel raisonnement suppose qu'il existe des altérations de concurrence qui, par nature, ne seraient pas susceptibles d'être exemptées au titre de l'article 85, paragraphe 3. En d'autres termes, comme le souligne, à juste titre, la Commission, un tel raisonnement suppose admise l'existence d'infractions per se, non susceptibles d'être exemptées, ce que le droit communautaire de la concurrence, dont l'applicabilité est subordonnée à l'existence d'une pratique ayant un objet anticoncurrentiel ou produisant un tel effet sur un marché déterminé, ne consacre nullement. Au contraire, le Tribunal estime qu'il ne saurait, en principe, exister de pratique anticoncurrentielle qui, quelle que soit l'intensité de ses effets sur un marché déterminé, ne puisse être exemptée, dès lors que les conditions prévues par le paragraphe 3 de l'article 85 du traité sont cumulativement satisfaites, et sous réserve que la pratique en cause ait été régulièrement notifiée à la Commission.

86 Par suite, à la supposer fondée, cette première branche du moyen est, de toute façon, sans incidence sur la légalité de la décision. En effet, en admettant même l'insuffisance de l'analyse des effets anticoncurrentiels de l'accord, telle qu'effectuée par la Commission, une telle constatation serait sans incidence sur l'applicabilité à l'espèce de l'article 85, paragraphe 1, du traité, tout en laissant entière la question de l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3, du traité (voir l'arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Italie/Conseil, 32-65, Rec. p. 563). En réalité, les arguments développés à l'appui de cette première branche du moyen ne peuvent être examinés que dans le cadre de l'examen de la deuxième branche du moyen, relative à la question de savoir si l'entreprise commune satisfait aux conditions énoncées à l'article 85, paragraphe 3.

87 Il résulte de ce qui précède que la première branche du moyen de légalité interne doit être écartée.

Quant à la seconde branche du moyen, relative à la question de savoir si l'entreprise commune remplit les conditions énoncées à l'article 85, paragraphe 3, du traité

88 La requérante estime que le projet notifié à la Commission ne satisfait à aucune des quatre conditions prévues par les dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

- Quant à la question de savoir si l'entreprise commune contribue à la réalisation du progrès économique et technique

i) Exposé sommaire de l'argumentation des parties

89 En premier lieu, la requérante fait valoir que l'accord ne contribue pas à la promotion du progrès technique ou économique. Selon la pratique constante de la Commission, la contribution au progrès économique devrait être objective et réelle. Le maintien de l'emploi, invoqué par la Commission, ne serait pris en considération par la Cour, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, que pour autant qu'il serait un facteur d'efficience économique. En l'espèce, au contraire, la réalisation du projet coïnciderait avec la fermeture de plusieurs sites industriels en Europe et s'analyserait seulement comme un transfert d'emplois des zones à taux de chômage élevé et à main-d'œuvre onéreuse vers une zone à taux de chômage plus faible et où la main-d'œuvre est moins coûteuse, de sorte que l'entreprise commune ne pourrait être considérée comme concourant à la "cohésion économique et sociale" de la Communauté.

90 L'objectif "régional", bien que légitime, ne pourrait figurer au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier la contribution d'un projet au progrès économique. En l'espèce, le choix du site d'implantation retenu par les constructeurs serait, certes, un handicap que l'octroi d'aides publiques massives aurait eu, précisément, pour objet de compenser. La Commission ne saurait donc invoquer, dans le cadre de l'une des deux procédures, des arguments qui seraient en contradiction manifeste avec ceux invoqués dans l'autre.

91 La requérante soutient, encore, que l'entreprise commune ne contribue manifestement pas au progrès technique. A cet égard, la requérante s'interroge sur la validité de certaines données de fait, dont la Commission fait état dans la présente procédure contentieuse, et qui n'auraient pas été prises en considération dans la Décision. Pour le reste, aucun des quatre éléments auxquels se réfère le point 25 des motifs de la Décision, pour justifier de la contribution au progrès technique résultant de l'usine d'assemblage, ne serait établi, de sorte que l'appréciation de la Commission serait, sur ce point, entachée d'erreur de fait.

92 La requérante soutient, enfin, que les améliorations apportées au véhicule "monocorps" lui-même ne constituent pas un "progrès économique", au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité. La Commission aurait, d'ailleurs, admis qu'il s'agit de simples perfectionnements de techniques déjà existantes. A cet égard, la requérante conteste l'interprétation que la Commission propose de sa propre pratique décisionnelle. En effet, les décisions invoquées constateraient des progrès technologiques réels qui feraient défaut en l'espèce, dès lors que les innovations apportées au produit, purement "cosmétiques", ne seraient pas de nature à compenser ses atteintes à la concurrence.

93 La Commission, à titre liminaire, observe qu'en droit communautaire, il ne saurait exister de pratiques qui ne puissent, à raison des atteintes à la concurrence qu'elles provoquent, bénéficier de la mesure d'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3, du traité.

94 Concernant, tout d'abord, la contribution du processus de fabrication au progrès technique, la Commission estime que l'appréciation doit tenir compte du secteur d'activité et du marché concernés. Dans ce cadre, elle expose que le projet rend possible une association des compétences des deux partenaires en matière d'ingénierie et de savoir-faire. La Commission, qui estime que la requérante a une acception trop étroite de la notion de "contribution au progrès technique", soutient que, à supposer même que toutes les technologies employées ne soient pas, par elles-mêmes, absolument novatrices, leur regroupement dans un seul et même site de production constitue incontestablement un progrès technique. La réduction des coûts de production représenterait un élément essentiel à prendre en considération, au titre de l'examen de la contribution d'une entente au progrès technique. Tel serait le cas en l'espèce, dès lors que les économies réalisées par le projet et non contestées par la requérante permettraient d'abaisser les coûts de production.

95 Concernant, ensuite, les améliorations apportées au produit, la Commission soutient, tout d'abord, que, contrairement aux affirmations de la requérante, le "VX62" n'est pas une simple adaptation des véhicules produits par les entreprises fondatrices, mais qu'il s'agit d'un produit entièrement nouveau. Dans ce cadre, elle soutient, encore, que le projet d'entreprise commune "permet de produire un véhicule perfectionné, conçu pour répondre aux exigences des consommateurs européens, qui sera offert séparément par les parties dans des versions différenciées dans l'ensemble de la Communauté". A la différence du véhicule "Espace", le "VX62" serait construit entièrement en acier, choix qui présenterait un certain nombre d'avantages techniques. La requérante ne contesterait d'ailleurs pas ces améliorations techniques du produit, mais contesterait qu'elles soient suffisamment "significatives". Il s'agit là, selon la Commission, d'une conception étroite de la première des conditions à laquelle se réfère l'article 85, paragraphe 3, du traité, laquelle serait remplie, dès lors que le produit proposé réunit un ensemble de techniques récentes qui ne sont pas ordinairement concentrées sur un même produit, sans qu'il soit nécessaire que le produit comporte une innovation technologique pour chacun de ses composants.

96 Enfin, selon la Commission, il est possible de prendre en considération, au titre de la contribution au progrès économique et technique, d'autres éléments que ceux qui sont expressément visés par ces dispositions. Au nombre de ces éléments, figurerait, par exemple, le maintien de l'emploi, la requérante ne pouvant, sur ce point, établir une corrélation entre l'ouverture du site de Setubal et la fermeture, par les entreprises fondatrices, de sites industriels en Europe. Dès lors, des préoccupations de politique régionale pourraient être prises en considération, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, en conformité avec les prescriptions de l'article 130 A du traité CE. Pour autant, ceci ne signifierait nullement que les restrictions de concurrence résultant de l'accord ont été validées uniquement en raison de la localisation géographique de l'entreprise commune. Ainsi qu'il ressortirait du point 36 des motifs de la Décision, celle-ci reposerait d'abord sur les mérites intrinsèques du projet.

97 Selon la République portugaise, la Décision énumère, aux points 24 à 26 de ses motifs, un certain nombre d'avantages incontestables, que la requérante tenterait, en vain, de minimiser. Ces avantages concerneraient tant le progrès technique, résultant du processus de fabrication, que les progrès économiques qui seraient incorporés dans le produit. A cet égard, la partie intervenante estime que la notion de progrès technique, au sens où l'entend la requérante, ne coïncide pas avec l'acception donnée à la notion matérielle de progrès économique, au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

98 La partie intervenante Ford souligne, s'agissant, en premier lieu, de la contribution de l'entreprise commune à l'amélioration de la production, que celle-ci sera la première entreprise de construction automobile en Europe à intégrer tous les éléments du processus rationnel de production, tels qu'identifiés par le Massachusetts Institute of Technology (ci-après "MIT"), en 1990. Aucune usine de construction automobile en Europe ne combinerait actuellement l'ensemble de ces facteurs de production rationnelle.

99 S'agissant, en deuxième lieu, de la contribution du projet au progrès technique, Ford estime que le "VX62" sera un véhicule de conception entièrement nouvelle. Sur cette base, la Commission était donc fondée à considérer que le "VX62" représentait un produit technologiquement avancé. Quant au choix du matériau, si la fibre de verre est adaptée au cas du véhicule produit par Matra, ce matériau n'est plus approprié pour une production prévisionnelle de 180 000 unités par an.

100 S'agissant, en troisième lieu, de la promotion de l'essor économique, qui, selon Ford, est totalement omise par la requérante, alors qu'il s'agirait d'un élément essentiel pour l'appréciation des conditions prévues à l'article 85, paragraphe 3, du traité, Ford estime que le projet constituera un "progrès économique" pour le Portugal et, d'une certaine façon, pour l'Europe dans son ensemble. Le projet permettrait de "catapulter" l'économie portugaise dans l'industrie automobile, avec de réelles répercussions sur le développement d'autres industries de fabrication au Portugal.

101 Enfin, Ford souligne que la Commission a eu raison de ne pas tenir compte de prétendues surcapacités de production, dès lors qu'aucun expert automobile ne partagerait le point de vue de Matra, quant à l'existence de telles surcapacités. La comparaison entre la capacité de production et la demande prévisionnelle ferait apparaître une surcapacité de production faible, de l'ordre de 2 à 12 %, nécessaire pour faire face aux fluctuations de la demande.

102 A titre liminaire, VW relève, d'une part, que l'argumentation de la requérante ne tient pas compte de la circonstance que, s'agissant de faits économiques complexes, la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation et, d'autre part, que l'opération ne présente pas, par sa nature, un caractère exceptionnel.

103 VW souligne, en outre, que, en établissant que le projet contribuait à la réalisation du progrès technique et du progrès économique, la Commission est allée au-delà de ses obligations, dès lors que ces deux conditions sont alternatives. Elle estime qu'il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission que la contribution de l'entente au progrès économique et technique doit s'apprécier par comparaison avec la situation qui existerait en l'absence de l'accord restrictif de concurrence en cause. Dans cette perspective, l'effet de l'entente devrait être apprécié par référence à la situation telle qu'elle résulterait d'une production autonome de la part de chacune des deux entreprises fondatrices. Cette comparaison ferait apparaître des économies d'échelle, qui suffiraient à établir l'existence d'une contribution de l'entente au progrès technique.

ii) Appréciation du Tribunal

104 A titre liminaire, le Tribunal rappelle, en premier lieu, que l'octroi, par la Commission, d'une décision individuelle d'exemption est notamment subordonné à la condition que les quatre conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité soient réunies cumulativement par l'accord, de telle sorte qu'il suffit que l'une des quatre conditions fasse défaut pour que l'exemption doive être refusée (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19 ; arrêt du Tribunal du 9 juillet 1992, Publishers Association/Commission, T-66-89, Rec. p. II-1995) ; en deuxième lieu, qu'il appartient aux entreprises notifiantes de fournir à la Commission les éléments établissant que les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, sont réunies (arrêt VBVB et VBBB/Commission, précité), cette obligation devant s'apprécier, dans le cadre de la procédure contentieuse, compte tenu de la charge qui incombe, à la partie requérante, d'avancer des éléments de nature à remettre en cause l'appréciation de la Commission ; en troisième lieu, que, s'agissant de faits économiques complexes, le contrôle juridictionnel de la qualification juridique des faits est limité au contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation éventuellement commise par la Commission (arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545).

105 S'agissant, plus particulièrement, de l'examen de la première des quatre conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, le Tribunal rappelle que, aux termes de ces dispositions, les accords susceptibles d'être exemptés sont ceux "qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique".

106 Le Tribunal relève qu'en l'espèce l'examen de cette première condition fait l'objet des points 24 à 26 de la Décision. Le point 24 est limité à des considérations relatives à l'adaptation du produit à la demande du consommateur européen et à la différenciation du produit, opérée par chacune des deux entreprises fondatrices. Le point 25 est plus particulièrement consacré à l'examen de la contribution au progrès technique résultant du savoir-faire et de la capacité des entreprises fondatrices, ainsi que du processus de fabrication, alors que le point 26 est consacré à l'amélioration apportée par le véhicule lui-même, qualifiée de "développement continu de progrès technique dans la production au niveau communautaire".

107 Il en résulte que c'est uniquement par rapport à ces points 24 à 26 de la Décision que doit être appréciée la portée de l'argumentation de la requérante. Par suite, certains des arguments, invoqués par Matra, qui ne concernent pas les éléments d'appréciation retenus par la Commission à ce stade de l'examen de la demande dont elle a été saisie, sont inopérants. Il en va ainsi, notamment, de l'argumentation relative à la contribution au progrès "social" et à la contribution au progrès régional, questions que la Décision n'évoque pas, dans le cadre de l'analyse de la contribution du projet au progrès technique ou économique, quelle que soit l'argumentation développée, par la défenderesse ou les parties intervenantes, dans le cadre de la procédure écrite devant le Tribunal.

108 Le Tribunal estime donc que, compte tenu de la portée du point 24 de la Décision, tel que précédemment analysé, la discussion relative à l'appréciation, en l'espèce, de la première des quatre conditions est limitée à la question de savoir si, comme le soutient la Commission et contrairement à l'argumentation développée par la requérante, le processus de fabrication du véhicule "VX62", tel qu'évoqué au point 25 de la Décision, d'une part, combiné, d'autre part, avec les améliorations apportées au produit, telles qu'évoquées au point 26, sont de nature à justifier en l'espèce l'application des dispositions en cause.

109 S'agissant, en premier lieu, du processus de fabrication, il ressort clairement des développements précis de la partie intervenante Ford, non sérieusement contestés par la requérante, que le processus de fabrication qui sera retenu à Setubal constitue la première application, par un constructeur automobile européen, du modèle d'optimisation du processus de fabrication, tel que préconisé, en 1990, par les plus hautes autorités en matière de recherche concernant le développement technologique, telles que le "MIT". Le Tribunal estime, en dépit des affirmations contraires de la requérante, qu'une telle optimisation du processus de fabrication correspond au sens et à la finalité de la première des quatre conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, précitée, du traité.

110 S'agissant, en second lieu, des améliorations techniques apportées au produit, celles-ci, qualifiées de "cosmétiques" par la requérante, doivent être appréciées par rapport à l'état de développement des techniques de construction des véhicules automobiles en Europe, à la date d'intervention de la Décision. Dans cette perspective, le Tribunal estime que, comme le soutient la Commission, les améliorations techniques apportées au véhicule relèvent du champ d'application de l'article 85, paragraphe 3, dès lors qu'elles sont la réunion, en un seul produit, de techniques qui, si elles existent, sont actuellement présentes isolément, sur différents modèles.

111 Il résulte de ce qui précède que l'appréciation de la Commission, selon laquelle le processus de fabrication du véhicule, d'une part, et les améliorations techniques apportées au produit, d'autre part, contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, est dépourvue d'erreur manifeste.

- Quant à la question de savoir si l'accord réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte

i) Exposé sommaire de l'argumentation des parties

112 En deuxième lieu, la requérante fait valoir que sa position actuelle sur le marché résulte de la prime à l'innovation dont elle a bénéficié. En s'appuyant sur les expertises qu'elle a produites, elle soutient que l'accord, contrairement aux affirmations du point 27 des motifs de la Décision, ne réserve pas aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. A cet égard, la requérante soutient, tout d'abord, que la Décision ne précise pas en quoi l'existence de l'entente entraîne, pour les utilisateurs, un niveau de qualité différent de celui qui aurait été atteint si les entreprises fondatrices étaient demeurées indépendantes. La requérante soutient, ensuite, que la différenciation entre les produits commercialisés par chacune des deux entreprises fondatrices est très limitée et ne saurait être constitutive d'un avantage consenti au consommateur. Or, dès lors qu'il est établi que les entreprises fondatrices envisageaient de pénétrer, chacune pour leur compte, sur le marché des véhicules "monocorps", l'entreprise commune se traduirait par un appauvrissement des gammes de produits offerts.

113 L'obligation imposée par l'article 2, partie A, paragraphe 1, du dispositif de la Décision serait d'ailleurs "inquiétante", car elle pourrait indirectement permettre à VW de contrôler la politique commerciale de Ford, en limitant l'expansion de cette dernière, sur les créneaux où celle-ci est dépendante de VW.

114 La requérante fait encore valoir que le projet ne contribuera pas à une intensification de la concurrence par les prix. Les effets sur les prix résultant du projet exempté seraient liés aux capacités de production excédentaires qui en résultent, ainsi qu'à la circonstance que, compte tenu de l'avantage concurrentiel dont elles bénéficient, à raison des aides publiques qui leur ont été consenties, les entreprises fondatrices seraient les seules à pouvoir faire face aux modifications du marché résultant de leur propre projet. A terme, cette politique pourrait permettre aux entreprises concernées d'acquérir une position dominante collective, après avoir évincé la concurrence.

115 La Commission soutient qu'il ressort du point 27 des motifs de la Décision que les consommateurs européens profiteront équitablement d'avantages procurés par l'accord, consistant en une offre plus abondante et diversifiée de véhicules "monocorps", de haute qualité et à un prix raisonnable. Les critiques de la requérante, sur ce point, reposeraient sur un présupposé contestable, selon lequel Ford et VW auraient pu entreprendre, chacune de leur côté, la production de véhicules "monocorps" similaires de ceux fabriqués par "AutoEuropa". En réalité, en l'absence de l'entreprise commune, Ford et VW ne seraient pas entrées sur le marché à des conditions aussi avantageuses pour le consommateur.

116 Enfin, l'hypothèse d'une position dominante collective ne serait nullement établie, dès lors que les parts de marché cumulées des deux constructeurs s'élèveront, en 1996, à 30 %, sans même tenir compte de la circonstance que, contrairement à ce que soutient la requérante, ceux-ci seront en concurrence, au stade de la distribution des véhicules. Contrairement également à ce que soutient la requérante, le projet "AutoEuropa" n'aurait pas conduit certains concurrents à abandonner leurs projets initiaux concernant le segment de marché des MPV.

117 La République portugaise estime que la Commission n'a pas adopté un point de vue restrictif, à l'égard de la deuxième des quatre conditions, énoncées à l'article 85, paragraphe 3, du traité, dès lors qu'outre une réduction des prix les consommateurs tireront avantage de l'entreprise commune, par l'amélioration de la qualité des produits. De plus, le risque d'acquisition, par les entreprises fondatrices, d'une position dominante collective devrait être écarté, ainsi que l'aurait constaté l'avocat général M. Van Gerven dans ses conclusions sous l'arrêt Matra/Commission, précitées (point 15). Par suite, la requérante n'établirait pas l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation commise par la défenderesse.

118 Selon Ford, le projet réserve au consommateur une partie équitable du profit qui en résulte, en permettant une intensification de la concurrence sur le marché des véhicules "monocorps", où celle-ci n'est, actuellement, pas saine.

119 VW souligne que, conformément à sa pratique constante, la Commission a admis le bien-fondé d'une entente dont le consommateur tirera profit, dès lors qu'elle intensifie la concurrence sur le marché concerné.

ii) Appréciation du Tribunal

120 A titre liminaire, le Tribunal rappelle que, selon la deuxième des quatre conditions visées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, les accords susceptibles d'être exemptés sont ceux qui réservent "aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte". La question de savoir si le projet en cause satisfait à cette condition est examinée au point 27 de la Décision, selon lequel le projet exempté permettra la réalisation d'économies d'échelle et une intensification de la concurrence sur le marché, au bénéfice du consommateur européen.

121 Il ressort de l'examen des critiques de la requérante, sur ce point, que celles-ci posent deux questions principales.

122 Ces critiques soulèvent, d'abord, la question de savoir si, comme il est soutenu, l'avantage consenti au consommateur doit être apprécié par référence à l'état actuel du marché ou par référence à l'avantage consenti au consommateur, tel qu'il pourrait être apprécié dans l'hypothèse où les entreprises fondatrices auraient choisi de pénétrer individuellement sur le marché. A cet égard, le Tribunal estime que, comme le soutient, à juste titre, la Commission, le raisonnement de la requérante repose sur des prémisses erronées. En effet, à ce stade de l'examen de la demande d'exemption dont elle a été saisie, il appartient à la Commission d'apprécier, aussi objectivement que possible, le projet qui lui est soumis, en faisant abstraction de toute appréciation de l'opportunité de ce projet, par référence à d'autres choix techniquement possibles ou économiquement viables, dès lors qu'il est constant que c'est plutôt au stade de l'examen de la troisième des quatre conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité que la Commission peut, pour apprécier le caractère indispensable des restrictions de concurrence résultant du projet considéré, tenir compte d'autres choix possibles. La thèse de la requérante, selon laquelle l'avantage procuré au consommateur par le projet considéré devrait être apprécié par référence à l'avantage procuré au consommateur par d'autres choix technologiquement possibles ou économiquement viables est donc, dans cette mesure, infondée.

123 L'argumentation de la requérante pose, ensuite, la question de savoir si le projet considéré est de nature à donner aux entreprises fondatrices une position dominante collective. De ce point de vue, le raisonnement de la requérante repose sur l'idée selon laquelle l'existence de fortes capacités de production excédentaires, liées à d'importantes subventions publiques, permet aux entreprises fondatrices de se livrer à des pratiques déloyales, provoquant un effet d'éviction de la concurrence et donnant, à terme, aux entreprises fondatrices une position dominante collective dont elles abuseront, au détriment du consommateur (voir, ci-après, point 153).

124 Le Tribunal estime que le raisonnement de la requérante suppose que soient admises, successivement, l'acquisition, par les entreprises fondatrices, d'une position dominante collective, puis l'utilisation, abusive, par ces entreprises, d'une telle position. Un tel raisonnement est purement hypothétique et ne peut être qu'écarté, sans qu'il soit besoin, pour le Tribunal, de se prononcer sur la question de savoir si, en présence d'une infraction à l'article 86 du traité suffisamment établie, la Commission serait tenue de rejeter une demande d'exemption qui lui a été soumise (voir, ci-après, point 154).

125 Au total, le Tribunal estime que les affirmations contenues au point 27 de la Décision ne sont pas sérieusement contestées par la requérante, de telle sorte que la Décision ne peut être regardée comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, sur ce point.

- Quant à la question de savoir si les restrictions de concurrence résultant de l'accord présentent un caractère indispensable

i) Exposé sommaire de l'argumentation des parties

126 En troisième lieu, la requérante soutient que les restrictions de concurrence précédemment analysées ne sont pas indispensables. En contradiction avec d'autres passages de la Décision, le point 19 des motifs de celle-ci admettrait que chacune des deux entreprises concernées avait la capacité de produire, de manière indépendante, un véhicule "monocorps". En s'en tenant à sa pratique antérieure, la Commission aurait donc dû, sur la base de cette constatation, rejeter la demande d'exemption dont elle était saisie. La Commission aurait néanmoins décidé que la troisième des conditions énoncées à l'article 85, paragraphe 3, du traité est, en l'espèce, remplie, d'une part, pour des raisons de politique régionale et, d'autre part, pour des raisons tenant à la rapidité et à l'efficacité des conditions de réalisation du projet.

127 Selon la requérante, une telle appréciation est erronée pour six raisons différentes. Premièrement, la Décision se serait référée à tort au critère des "circonstances exceptionnelles", étranger au droit de la concurrence. Deuxièmement, il semble impossible d'affirmer qu'aucun des deux partenaires, compte tenu de leur taille et du fait qu'ils sont tous deux actuellement en situation de surcapacité, ne peut assurer une production de l'ampleur de celle projetée. Troisièmement, le simple fait que le point d'équilibre de l'entreprise soit atteint avec une production annuelle de 110 000 véhicules ne suffirait pas à démontrer que les parties à l'accord ne pouvaient pas obtenir, en agissant séparément, un profit raisonnable. Quatrièmement, chacun des partenaires aurait pu pénétrer individuellement, dans des conditions satisfaisantes, sur le marché des véhicules "monocorps", par une simple adaptation des modèles existants. Cinquièmement, la situation de Matra ne serait certes pas celle de l'entreprise commune, mais cette situation démontrerait, elle aussi, qu'au prix d'autres choix technologiques chacune des deux entreprises fondatrices aurait pu individuellement pénétrer sur le marché. Sixièmement, enfin, l'accord serait propre à affecter le comportement concurrentiel de Nissan et de Mazda, liées à Ford par des accords de coopération. Au total, Matra considère que, compte tenu des solutions alternatives existant, la Commission n'a pas établi que les choix opérés par les constructeurs seraient indispensables.

128 Selon la Commission, les critiques de la requérante sur ce point reposent sur l'hypothèse que chacun des deux concurrents pouvait pénétrer individuellement sur le segment de marché considéré. La Commission estime que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Décision n'est entachée d'aucune contradiction, dès lors que l'examen de la capacité de chacun des deux concurrents à entreprendre isolément la réalisation d'un véhicule monocorps intervient au titre de l'appréciation des effets restrictifs de concurrence, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, alors que le caractère indispensable de l'accord s'apprécie au regard de son article 85, paragraphe 3, en fonction de situations effectives et concrètes.

129 A cet égard, la Commission estime que, en l'absence d'une coopération, les deux concurrents n'auraient pas pénétré sur le marché considéré ou l'auraient fait à des conditions beaucoup moins favorables pour l'intérêt général. L'argument de la requérante, selon lequel chacun des deux constructeurs pouvait pénétrer sur le marché par une adaptation de modèles existants manquerait en fait. Les résultats en Europe, modestes, du véhicule dénommé "Mondeo" seraient ainsi de nature à confirmer que la pénétration sur le marché européen ne peut s'opérer par une simple adaptation des modèles commercialisés aux États-Unis d'Amérique.

130 La Commission ajoute que, à travers sa critique du point d'équilibre, tel que déterminé par les constructeurs et retenu par la Décision, la requérante ne saurait imposer à ses concurrents ses propres choix technologiques. Dès lors que le seuil de rentabilité d'un véhicule tel que le "VX62" s'établit autour de 110 000 véhicules/an et que les études réalisées par les constructeurs situaient leurs ventes, prises individuellement, autour de 80 à 90 000 véhicules/an, il en serait résulté des pertes qui auraient contraint chacun des deux constructeurs à abandonner le projet de lancement d'un MPV.

131 La République portugaise considère que la Décision expose, en détail, les raisons pour lesquelles les restrictions de concurrence résultant du projet d'entreprise commune présentent un caractère indispensable. Selon la partie intervenante, la requérante commettrait, à l'égard de la troisième des quatre conditions visées par l'article 85, paragraphe 3, une erreur méthodologique. En effet, la question posée, dans ce cadre, ne serait pas celle de savoir si chacune des deux entreprises fondatrices avait la capacité de pénétrer, de manière générale, sur le marché des véhicules "monocorps". La question, à laquelle le point 29 de la Décision apporterait certains éléments de réponse, serait celle de savoir si les entreprises fondatrices étaient en mesure de pénétrer individuellement sur le marché des MPV. Cette question devrait être posée au regard du projet concret d'entreprise commune en cause.

132 Ford expose que la décision d'investir dans le marché des MPV a été prise sur la base d'une étude de marché qui aurait révélé une demande importante pour ce type de véhicules. Ford aurait alors étudié les différentes alternatives à l'entrée sur le marché qui l'auraient contrainte à examiner les conditions de production d'un MPV dans une usine nouvelle, solution dont il serait apparu qu'elle était la seule viable. Dans ce cadre, Ford aurait d'abord envisagé de lancer un modèle s'inspirant du concept "Renault-Espace". Cette option se serait avérée ne pas convenir, pour des raisons techniques et de coût. Ford aurait donc retenu une option différente, consistant en la production d'un véhicule en acier, de conception européenne, dans une usine rationnelle. Toutefois, les perspectives de production d'une usine destinée à la production d'un tel véhicule s'établissaient, selon la partie intervenante, à quelque 80 à 90 000 véhicules annuels, alors que le seuil de rentabilité du projet pouvait être fixé à 200 000 véhicules par an. Dès lors, la seule solution dont disposait Ford était, selon elle, de combiner sa capacité de production avec celle d'un autre constructeur.

133 Enfin, Ford, qui aurait exploité le concept de "voiture mondiale", dans le cadre du véhicule dénommé "Mondeo", soutient que ce concept n'est pas adapté, dans le cadre d'un véhicule "monocorps", destiné à une production en grande série en Europe.

134 VW estime que l'appréciation de la Commission, quant à la question de savoir si l'accord satisfait à la troisième des conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité n'est entachée d'aucune erreur manifeste.

ii) Appréciation du Tribunal

135 Le Tribunal rappelle que, selon les termes de la troisième des quatre conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, peuvent être exemptés les accords qui n'imposent pas "aux entreprises intéressées des restrictions (de concurrence) qui ne sont pas indispensables pour atteindre (les) objectifs" d'amélioration de la production ou de la distribution des produits et de promotion du progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. Il en résulte que la Décision doit établir que les atteintes à la concurrence résultant du projet sont proportionnées à la contribution de celui-ci au progrès économique ou technique. Selon la formule de l'arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, "cette amélioration (de la production ou de la distribution) doit notamment présenter des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients en résultant sur le plan de la concurrence" (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429). Il appartient donc au Tribunal de vérifier si, comme le soutiennent les entreprises fondatrices, les atteintes à la concurrence résultant du projet considéré sont indispensables pour atteindre les objectifs de réalisation du progrès économique et technique.

136 En l'espèce, le Tribunal relève que cette question est analysée aux points 28 à 36 de la Décision. Dans cette partie des motifs, la Commission expose successivement que :

- l'entreprise commune peut être considérée comme nécessaire, eu égard aux circonstances exceptionnelles du cas d'espèce et aux conditions que la Commission considère comme nécessaires pour accorder une exemption (point 28) ;

- en agissant séparément, les entreprises fondatrices ne pourraient proposer le produit dans les mêmes conditions (points 29 et 31) - cette dernière appréciation n'étant, elle-même, pas remise en cause par la circonstance que d'autres constructeurs, placés dans des situations non comparables, auraient, quant à eux, pu pénétrer individuellement sur le marché (point 33) - et qu'au contraire l'entreprise commune est efficiente (point 30) ;

- il n'est pas possible de pénétrer sur le marché par une simple adaptation au marché européen de véhicules existants, ce qui implique la mise au point d'un véhicule de type nouveau (point 32) ;

- les restrictions de concurrence entre les deux entreprises fondatrices sont limitées à ce qui est indispensable (point 34) ;

- les accords de coopération existant entre Ford et Nissan, d'une part, et Ford et Mazda, d'autre part, n'excluent pas la concurrence dans le secteur considéré (point 35) ;

- le projet représente l'investissement étranger le plus important jamais réalisé au Portugal, contribuant ainsi à un développement harmonieux de la Communauté, ainsi qu'à la réduction des disparités régionales, tout en précisant que "cet effet ne suffirait pas à lui seul à permettre une exemption si les conditions de l'article 85, paragraphe 3, n'étaient pas remplies, mais c'est un élément dont la Commission a tenu compte" (point 36).

137 L'argumentation développée par Matra à l'encontre de cette analyse consiste, pour l'essentiel, à soutenir que, compte tenu des solutions alternatives existantes, la Commission n'a pas établi que les choix effectués par les entreprises fondatrices étaient indispensables, de telle sorte que les restrictions de concurrence en résultant ne seraient elles-mêmes pas justifiées, sauf à recourir à la théorie des "circonstances exceptionnelles", non prévue par la lettre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

138 Le Tribunal estime que, comme le soutient la Commission, la question centrale à laquelle il convient de répondre, pour apprécier la légalité de la Décision au regard de la troisième des quatre conditions visées à l'article 85, paragraphe 3, du traité est celle de savoir si l'entreprise commune est strictement indispensable à la pénétration des entreprises fondatrices sur le marché considéré. En effet, en cas de réponse positive à cette question, il sera ipso facto établi que les restrictions de concurrence résultant de cet accord sont indispensables pour atteindre les objectifs visés par les deux conditions précédemment examinées, et notamment par la première d'entre elles. Or, tel est bien le cas, dès lors que la Commission soutient, sans être sérieusement contredite par la requérante, qui raisonne à partir de situations non comparables, que, si chacune des deux entreprises fondatrices avait effectivement la possibilité technique et financière de pénétrer isolément sur le marché, cette pénétration ne pouvait être effectuée qu'à perte, compte tenu du niveau particulièrement élevé de réalisation du "point-mort" de l'entreprise et des informations disponibles sur les ventes et parts de marché prévisionnelles.

139 Quant à l'argument tiré de la référence aux "circonstances exceptionnelles", le Tribunal relève que, si la Commission s'y réfère, notamment aux points 23 et 28, ainsi qu'au point 36, par lequel la Décision conclut l'examen de la condition sous examen et auquel est examinée l'incidence du projet sur les équipements publics d'infrastructure et sur l'emploi, ainsi que son incidence sur l'intégration européenne, ce dernier point se termine par la phrase suivante : "... Cet effet ne suffirait pas à lui seul pour permettre une exemption si les conditions de l'article 85, paragraphe 3, n'étaient pas remplies, mais c'est un élément dont la Commission a tenu compte." Le Tribunal estime qu'il ressort clairement de cette dernière phrase que les "circonstances exceptionnelles" auxquelles se réfère ainsi la Décision n'ont été prises en considération par la Commission qu'à titre surabondant. En d'autres termes, il est suffisamment établi que, en l'absence de référence à ces circonstances, la décision adoptée par l'autorité administrative eût été, dans son dispositif, identique à la Décision attaquée. Il en résulte que l'argumentation de la requérante, selon laquelle, au contraire, la décision individuelle d'exemption accordée en faveur du projet considéré n'a été adoptée que compte tenu des "circonstances exceptionnelles" dans lesquelles serait intervenu ce projet doit être écartée.

140 Dès lors, la requérante n'établit pas que l'appréciation de la Commission, selon laquelle les restrictions de concurrence résultant du projet d'entreprise commune qui lui a été notifié présentent un caractère indispensable, serait manifestement erronée.

- Quant à la question de savoir si la mise en œuvre de l'accord est de nature à éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause

i) Exposé sommaire de l'argumentation des parties

141 En quatrième lieu, la requérante soutient que l'accord, qui, dans une très large mesure, supprimerait la concurrence entre les constructeurs qui sont parties à cet accord, permettrait d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. A l'horizon 1995, la production de l'usine de Setubal devrait représenter entre 54 et 86 % du segment de marché concerné, alors que, dans sa communication sur le traitement des entreprises communes à caractère coopératif au regard de l'article 85 du traité CEE, précitée, la Commission aurait indiqué que les parts de marché des entreprises concernées par la création d'une entreprise commune "ne devraient normalement pas dépasser 20 %, lorsque la coopération des fondateurs ne va pas au-delà de la production et 10 %, lorsqu'elle s'étend à la commercialisation". Une telle situation serait génératrice de surcapacités de production et aurait déjà conduit un certain nombre de concurrents à abandonner leurs projets concernant le secteur considéré. De plus, une telle situation devrait conduire Ford et VW à détenir une position dominante collective, leur permettant de disposer d'une arme efficace pour ériger des barrières à l'entrée et éliminer toute concurrence sur le marché concerné, de telle sorte que l'on pourrait douter de l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché. L'existence de surcapacités de production massives serait un élément central dans l'appréciation du risque d'élimination de la concurrence, si bien que la reconnaissance explicite, par la Commission, de la circonstance qu'il n'a pas été tenu compte de cet élément devrait suffire, à elle seule, à entraîner l'annulation de la Décision.

142 Selon la requérante, la Décision ne fournirait aucune indication permettant d'envisager que, comme le précise le point 38 des motifs, il résultera du projet une "augmentation des ventes individuelles", de nature à provoquer des "bénéfices supplémentaires". Du reste, cette affirmation serait, au moins partiellement, contradictoire avec la description de l'accord, telle qu'effectuée aux points 5 et 8 des motifs de la Décision. Enfin, les restrictions et charges imposées aux entreprises concernées ne seraient pas de nature à limiter les effets des restrictions de concurrence résultant de l'accord.

143 La Commission, sur ce point, renvoie, pour l'essentiel, aux points 37 et 38 des motifs de la Décision, où elle estime avoir exposé que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'entreprise commune n'aura aucunement les conséquences négatives envisagées par cette dernière et n'éliminera pas la concurrence, pour une partie substantielle des produits en cause. La Commission ajoute que, selon elle, cette question doit être examinée non par référence aux capacités de production des constructeurs, mais par rapport à leurs parts de marché. De surcroît, l'argumentation développée par la requérante conduirait à ignorer l'arrêt Matra/Commission, précité, par lequel celle-ci aurait jugé que, en décidant que l'entreprise commune n'aboutissait pas à la création de capacités excédentaires de production, la Commission n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation. En tout état de cause, l'existence de surcapacités de production, à les supposer établies, ne produirait pas nécessairement les effets négatifs envisagés par la requérante.

144 A terme, le secteur des véhicules "monocorps" présentera, selon la Commission, une structure concurrentielle améliorée, beaucoup plus équilibrée que celle qui prévaut actuellement, où l'offre de produit est dominée par Matra. Selon les données disponibles, Matra, qui en conviendrait, détiendrait une part de marché légèrement inférieure à 50 %. En 1995, année de lancement du "VX62", la part de Matra passerait à 21 % du marché. On ne concevrait pas comment une telle structure de l'offre pourrait aboutir à éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits.

145 Au total, la Commission estime que la Décision n'excède pas, de façon manifeste, la marge d'appréciation dont elle dispose en la matière et que les avantages de l'entreprise commune excèdent les inconvénients résultant des restrictions de concurrence.

146 La République portugaise estime que la situation du marché des véhicules "monocorps" a déjà fait l'objet d'un examen approfondi, dans le cadre de l'affaire Matra/Commission. Il ressortirait de cet examen que le marché serait actuellement dominé par la position occupée par la requérante, de telle sorte que l'accroissement de l'offre contribuerait à rééquilibrer le marché. Au lieu de diminuer, comme le soutient la requérante, la concurrence s'intensifierait donc, du fait du projet contesté. Selon la République portugaise, il ressort des estimations dont disposerait la Commission que la part de marché cumulée, détenue par les entreprises fondatrices, loin d'être dominante, s'élèvera, en 1996, à 35 %.

147 Au total, le bilan économique de l'entente serait donc largement favorable à la mesure d'exemption adoptée, et l'appréciation de la Commission ne serait pas "manifestement fondée sur une appréciation erronée des conditions économiques dans lesquelles la concurrence joue sur le marché concerné" (arrêt de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875, point 50).

148 Ford soutient que l'argument de Matra, selon lequel le projet d'entreprise commune aboutirait à éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, n'est pas fondé. Cet argument reposerait sur une comparaison, incorrecte, entre la capacité de production de l'entreprise commune en 1996, soit 190 000 véhicules, et les capacités actuelles de production. En réalité, il apparaîtrait que les capacités de production de MPV en Europe seraient de l'ordre de 510 000 véhicules en 1996, dont 190 000, soit 35 %, seraient le fait de l'entreprise commune constituée entre Ford et VW, ce qui correspondrait à une part de marché cumulée de 20 à 25 % pour les entreprises fondatrices, sans même tenir compte du fait que Ford et VW seraient concurrents, au stade de la distribution du produit. Enfin, ainsi d'ailleurs que la Cour l'aurait jugé dans l'affaire Matra/Commission, précitée, Ford et VW ne disposeraient d'aucun avantage concurrentiel, résultant des aides publiques qui leur ont été consenties.

149 VW confirme les dires de la Commission et des autres parties intervenantes.

ii) Appréciation du Tribunal

150 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que la dernière des quatre conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, prévoit que peuvent bénéficier d'une décision individuelle d'exemption les accords qui n'ont pas pour effet de "donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence".

151 En l'espèce, cette question fait l'objet des points 37 et 38 de la Décision. Selon le point 37, la coopération entre Ford et VW, loin d'éliminer la concurrence dans le segment des "monocorps", aura, au contraire, pour effet de la stimuler, compte tenu de la position importante occupée par le véhicule "Espace". Au point 38, la Décision expose que la différenciation des produits proposés par chacune des deux entreprises fondatrices exercera un effet positif sur la concurrence entre les constructeurs automobiles en Europe, au stade de la distribution des produits.

152 Pour combattre ces deux motifs de la Décision, la requérante soutient, en premier lieu, que l'usine de Setubal sera génératrice de surcapacités de production pour le marché considéré. A cet égard, le Tribunal relève, toutefois, que la requérante n'établit pas l'inexactitude de la Décision sur ce point, notamment de ses points 6 et 14, confirmée par les affirmations de Ford. D'ailleurs, dans son arrêt Matra/Commission, précité, la Cour a jugé qu'"en ce qui concerne l'évaluation du risque de surcapacités de production, il convient... de constater que la Commission a procédé à un examen nuancé et détaillé de cette question avant de conclure qu'un tel risque n'existe pas.... Dans ces conditions, les arguments avancés par Matra... ne sont pas de nature à établir que la Commission a fondé sa décision sur une appréciation manifestement erronée des données économiques" (points 26 et 28). L'argument de la requérante doit donc être écarté, sans qu'il soit besoin, pour le Tribunal, d'examiner si, comme le soutient la requérante, qui s'appuie notamment sur un rapport d'expertise du Pr Encaoua, l'existence de surcapacités de production produira nécessairement un effet d'éviction de la concurrence.

153 La requérante soutient, en deuxième lieu, que l'existence de surcapacités de production donnera, à terme, aux entreprises fondatrices la possibilité d'acquérir une position dominante collective. A cet égard, le Tribunal estime cependant que, comme le souligne la Commission, l'acquisition ou le renforcement d'une position dominante, individuelle ou collective, n'est pas, en tant que tel, prohibé par les articles 85 et 86 du traité. Ce dernier article se borne, en effet, à prohiber l'exploitation abusive, par une ou plusieurs entreprises, de leur position dominante. Dans cette mesure, le simple risque allégué que les entreprises fondatrices puissent, à terme, acquérir collectivement une position dominante n'est pas de nature, en tout état de cause, à justifier légalement un refus d'exemption, dès lors que la vraisemblance de la réalisation de ce risque, pendant la période de validité de la Décision, n'est pas établie par la requérante.

154 Dès lors, le Tribunal estime que, ainsi qu'il l'a déjà été jugé au point 124, ci-dessus, l'argument tiré du risque d'acquisition et d'abus d'une position dominante collective doit, en tout état de cause, être écarté, sans qu'il soit besoin, pour le Tribunal, de trancher la question de savoir si, comme le soutient, implicitement mais nécessairement, la requérante, la Commission serait tenue, en présence d'une infraction suffisamment certaine à l'article 86 du traité, de rejeter une demande d'exemption individuelle soumise à son appréciation.

155 La requérante conteste, en troisième lieu, les effets positifs de la différenciation des produits sur la concurrence entre les entreprises fondatrices, au stade de la distribution des produits. A cet égard, le Tribunal observe, à titre liminaire, que l'affirmation de la requérante, selon laquelle le point 38 de la Décision entrerait, au moins partiellement, en contradiction avec l'analyse de l'accord entre les entreprises fondatrices, telle qu'elle figure aux points 5 et 8 de la Décision, n'est nullement établie, dès lors, en particulier, que le point 8 dispose expressément que "les parties restent entièrement libres de commercialiser comme elles l'entendent les véhicules. Elles distribueront leurs véhicules respectifs indépendamment l'une de l'autre chacune par l'intermédiaire de son propre réseau et sous sa propre marque". Dès lors que l'accord litigieux est limité à la production des véhicules et en l'absence de tout accord entre les entreprises fondatrices relatif à la commercialisation des véhicules produits par l'entreprise commune et achetés à celle-ci par les entreprises fondatrices, la requérante n'établit, contrairement à ce qu'elle soutient, ni que l'accord d'association aura pour effet de limiter, de façon suffisamment substantielle, la concurrence entre les entreprises fondatrices, au stade de la distribution des produits, ni, en tout état de cause, que les mesures imposées par la Décision, au titre des obligations et charges imposées aux entreprises fondatrices, ne seraient pas adéquates.

156 Il résulte de ce qui précède que la requérante n'établit pas que l'appréciation de la Commission, selon laquelle le projet satisfait à la dernière des quatre conditions, précitée, énoncée par l'article 85, paragraphe 3, du traité, serait entachée d'une erreur manifeste.

157 Dès lors, le Tribunal estime que l'argumentation tirée d'une erreur manifeste, commise par la Commission, dans son appréciation des faits, au regard de chacune des quatre conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité doit être rejetée.

158 Il en résulte que le premier moyen de légalité interne soulevé par la requérante doit être rejetée.

En ce qui concerne le deuxième moyen de légalité interne, tiré d'une ereur de droit et de la violation de l'article 85

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

159 La requérante soutient que, en refusant de prendre en considération les distorsions de concurrence engendrées par l'existence de subventions massives, la Commission a commis une erreur de droit, qui l'aurait conduite à une application erronée de l'article 85 du traité. L'erreur alléguée ressortirait des points 23 et 26 des motifs de la Décision, qui se référeraient aux "circonstances exceptionnelles", de nature à justifier la Décision. La théorie, novatrice, des "circonstances exceptionnelles" permettrait ainsi d'écarter sinon tous les critères exigés par l'article 85, paragraphe 3, du traité, du moins celui tiré du caractère indispensable des restrictions de concurrence résultant du projet bénéficiant de la mesure d'exemption.

160 La Commission n'a pas présenté d'observations particulières à cet égard. Elle estime avoir suffisamment répondu, dans le cadre de l'examen du précédent moyen, aux affirmations de la requérante, relatives à la prise en compte de considérations de politique régionale, dans le cadre de l'appréciation de l'opération effectuée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité et rappelle qu'il est parfaitement établi que les aides publiques consenties n'altèrent pas la concurrence sur le marché en cause, dès lors qu'elles ont pour seul effet de compenser les handicaps dûs à la localisation d'"AutoEuropa", permettant ainsi à cette entreprise de se retrouver à égalité avec les autres constructeurs, bénéficiant d'une localisation plus favorable.

161 Ford estime que ce moyen n'est pas fondé, surtout au regard de l'arrêt Matra/Commission, précité, dont il résulterait que les entreprises fondatrices ne détiendraient aucun avantage concurrentiel, du fait des aides publiques qui leur ont été consenties. Dès lors, ce serait à juste titre que les aides publiques accordées au projet considéré n'auraient pas été prises en considération, dans le cadre de l'examen de la demande d'exemption.

Appréciation du Tribunal

162 Le Tribunal rappelle que, ainsi d'ailleurs que Ford l'a souligné dans son mémoire en intervention, la Cour, par son arrêt Matra/Commission, précité, a constaté que "la Commission a également procédé à un examen et à une évaluation des différents facteurs constitutifs des désavantages qu'implique un investissement dans la région de Setubal. Elle a notamment fait état de l'éloignement géographique du site de Setubal par rapport aux principaux marchés et du retard économique relatif à cette région, facteurs qui contribuent à augmenter le coût du transport, du stockage, du personnel extérieur et de l'infrastructure, et elle a constaté que ce handicap n'était compensé qu'en partie par des coûts plus bas au niveau de la main d'œuvre et de la construction. Il convient d'ajouter que l'intensité de l'aide accordée reste largement en-deçà des taux autorisés dans le cadre du SIBR approuvé par la Commission" (point 27). Après avoir effectué ces constatations, la Cour a rejeté le recours formé par Matra, confirmant ainsi le bien-fondé de l'appréciation de la Commission, selon laquelle les aides litigieuses ne sont pas susceptibles de fausser la concurrence dans le Marché commun. Dans ces conditions, la requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à prétendre que, en omettant de se prononcer expressément dans la Décision sur les aides consenties par la République portugaise au projet d'entreprise commune, la Commission a commis une erreur de droit.

163 Par ailleurs, comme il a déjà été indiqué précédemment (voir, ci-dessus, point 139), le Tribunal estime qu'il ressort de l'examen de la Décision, et notamment du point 36 des motifs, que les "circonstances exceptionnelles" auxquelles elle se réfère, notamment aux points 23 et 26, ne sont intervenues qu'à titre surabondant.

164 Dès lors, le moyen tiré d'une erreur de droit commise par la Commission dans son appréciation de la validité du projet, au regard de l'article 85, paragraphe 3, du traité, doit, en tout état de cause, être rejeté.

En ce qui concerne le troisième moyen de légalité interne, tiré de l'erreur de droit et de la violation de l'article 86 du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

165 La requérante soutient que le fait, pour une pratique concertée, de bénéficier d'une mesure d'exemption, n'aurait pas pour effet de rendre l'article 86 inapplicable à cette pratique. De plus, le simple fait de créer une situation dans laquelle une entreprise est amenée à commettre des abus contraires à l'article 86 du traité serait, en lui-même, contraire à cet article. La requérante considère que, si, par impossible, la décision d'exemption devait être jugée légale, le fait pour l'entreprise "AutoEuropa", en position dominante et massivement subventionnée, d'agir sur le marché par le biais d'une entente entre les entreprises fondatrices et d'une collusion entre les réseaux de distribution de celles-ci constituerait, en tout état de cause, une pratique abusive, interdite par l'article 86 du traité. De plus, le fait, attesté par les entreprises fondatrices elles-mêmes, ainsi qu'il ressortirait du point 31 des motifs de la Décision, pour l'entreprise commune d'opérer, pendant un laps de temps suffisamment significatif, en dessous de son coût total, grâce notamment aux subsides versés par les autorités portugaises, constituerait une infraction supplémentaire à l'article 86 du traité.

166 La Commission estime que l'argumentation de la requérante, sur ce point, repose sur une prémisse inexacte, à savoir l'existence d'une position dominante collective, prétendument détenue par les entreprises fondatrices. Elle rappelle que, de plus, l'article 86 du traité ne sanctionne pas l'acquisition ou le renforcement d'une position dominante, mais l'exploitation abusive de celle-ci. En l'absence de tels abus, la Commission ne saurait intervenir. En l'espèce, celle-ci estime que l'article 86 du traité n'est, de toute façon, pas applicable, non seulement pour les motifs précédemment exposés, mais encore à raison du fait que la jurisprudence dont se prévaut la requérante sur ce point n'est pas pertinente pour l'examen des faits de la cause. Selon cette jurisprudence, un Etat membre ne saurait créer une situation amenant une entreprise investie de droits exclusifs à abuser de sa position dominante. Or, une décision de la Commission exemptant une entente qui place les entreprises concernées dans une position dominante ne saurait être assimilée à une mesure étatique conférant des droits exclusifs.

167 Selon la République portugaise, l'article 86 du traité n'est pas applicable, dès lors que, compte tenu de la part de marché prévisionnelle qui est la sienne, l'entreprise commune ne détient aucune position dominante, ainsi qu'il a déjà été établi, dans le cadre de l'examen du premier moyen de légalité interne.

168 Ford estime qu'il n'existe aucune base, ni en fait ni en droit, pour une application de l'article 86 du traité.

Appréciation du Tribunal

169 Il ressort de l'examen de la Décision que la Commission a, au point 39 des motifs, examiné la validité de l'accord, au regard de l'article 86 du traité. A cet égard, la Commission expose, d'une part, qu'elle ne pourrait que sanctionner a posteriori d'éventuels abus de position dominante (premier alinéa) et, d'autre part, qu'en tout état de cause le projet ne saurait conduire les entreprises fondatrices à acquérir individuellement ou collectivement une position dominante (second alinéa).

170 Ainsi qu'il a déjà été exposé précédemment (voir, ci-dessus, point 153), le moyen tiré d'une erreur de droit, commise par la Commission, quant à l'applicabilité de l'article 86 du traité au projet notifié doit, en tout état de cause, être rejeté, dès lors que les conditions prévues par cette disposition, tenant à l'existence effectivement constatée d'un abus commis par une ou plusieurs entreprises agissant collectivement, ne sont nullement réunies.

En ce qui concerne le quatrième moyen de légalité interne, tiré du détournement de pouvoir et de procédure

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

171 La requérante, en se référant au premier de ses moyens soulevés au titre de la violation des formes substantielles (voir, ci-dessus, points 38 et 39), soutient que, en préjugeant l'issue de la procédure qu'elle a elle-même ouverte, en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, la Commission a commis un détournement de procédure et un détournement de pouvoir qui entachent de nullité la décision attaquée.

172 La République portugaise estime que, compte tenu des développements consacrés à l'examen du premier moyen de légalité interne, la Décision n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir.

Appréciation du Tribunal

173 Le Tribunal estime, s'agissant de l'examen du quatrième moyen de légalité interne, qu'il appartient à la partie qui l'invoque d'établir le détournement de pouvoir allégué. En l'espèce, la requérante n'établit pas, contrairement à ce qu'elle soutient, que la Commission aurait utilisé les pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été conférés par le traité et le règlement n° 17 (voir, notamment, les arrêts de la Cour du 4 février 1982, Buyl e.a./Commission, 817-79, Rec. p. 245, et du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331-88, Rec. p. I-4023). Dès lors, le détournement de pouvoir allégué n'est nullement établi et le moyen ne peut être qu'écarté.

174 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par la requérante ne peut être accueilli et que le recours doit lui-même être rejeté, tant en ce qui concerne ses conclusions dirigées contre la Décision de la Commission, en date du 23 décembre 1992, accordant l'exemption, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, au projet en cause d'entreprise commune, qu'en ce qui concerne ses conclusions dirigées contre la décision de la Commission, du même jour, portant rejet, par voie de conséquence, de la plainte de la requérante, sans qu'il soit besoin, pour le Tribunal, d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par Ford.

Sur les dépens

175 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens de l'instance, y compris les dépens des parties intervenantes. Toutefois, en application du paragraphe 4 du même article, les Etats membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. En application de ces dispositions, la République portugaise doit supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens de l'instance, y compris les dépens exposés par les parties intervenantes Ford of Europe Inc., Ford Werke AG et Volkswagen AG.

3) La République portugaise supportera ses propres dépens.