Livv
Décisions

CJCE, 17 mai 1994, n° C-18/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Corsica Ferries Italia Srl

Défendeur :

Corpo dei piloti del porto di Genova

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco, Edward

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler (rapporteur), Rodriguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn, Murray

Avocats :

Mes Conte, Giacomini, Acquarone, Carbone, Pappalardo, Tizzano.

CJCE n° C-18/93

17 mai 1994

LA COUR,

1. Par ordonnance du 14 décembre 1992, parvenue à la Cour le 19 janvier 1993, le Tribunale di Genova a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, cinq questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 5, 7, 30, 59, 85, 86 et 90 de ce traité.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige qui oppose Corsica Ferries Italia Srl (ci-après "Corsica Ferries") au Corpo dei piloti del porto di Genova (corporation des pilotes du port de Gênes, ci-après la "corporation") à propos du remboursement à Corsica Ferries d'une partie des tarifs qu'elle a acquittés pour les services de pilotage dans le port de Gênes.

3. Le service de pilotage dans les ports maritimes italiens, régi par le Code de la navigation et le règlement d'exécution, est assuré, sous la surveillance et l'autorité du commandant du port, par des corporations de pilotes instituées par décret du Président de la République et dotées de la personnalité morale.

4. Bien qu'étant en principe facultatif, le service de pilotage a été rendu obligatoire, par décrets du Président de la République, dans la quasi-totalité des ports italiens, dont celui de Gênes. L'inobservation, par le commandant d'un navire, de l'obligation de recourir au service de pilotage est pénalement sanctionnée.

5. Les tarifs de pilotage, arrêtés par la corporation, sont approuvés par le ministre de la Marine marchande, après avis des associations syndicales intéressées, et sont rendus exécutoires, dans chaque port, par décret de l'autorité maritime compétente.

6. En application de décrets du directeur maritime de 1989, 1990 et 1991, ont été appliquées, dans le port de Gênes, différentes réductions sur le tarif de base, à savoir une réduction de 30 % au profit des navires admis au cabotage maritime, c'est-à-dire aux transports entre deux ports italiens, une réduction de 50 % au profit des navires de ligne, admis au cabotage maritime et exécutant des trajets réguliers entre ports italiens, selon un itinéraire fixe et effectuant au moins une escale hebdomadaire dans le port de Gênes, ainsi que d'autres réductions au profit de navires de plus de 2 000 tonnes de jauge brute, admis au cabotage maritime et recourant au service de pilotage un certain nombre de fois par mois.

7. A l'époque des faits de l'affaire au principal, seuls les navires battant pavillon italien pouvaient obtenir une licence de cabotage maritime.

8. Corsica Ferries, société de droit italien, assure, en tant qu'entreprise de transport maritime, un service de ligne régulier entre le port de Gênes et différents ports de Corse, au moyen de deux bateaux ferries immatriculés au Panama et battant pavillon de cet Etat.

9. S'estimant victime d'une discrimination contraire aux règles du traité sur la concurrence et la libre prestation des services, Corsica Ferries a saisi le Tribunale di Genova, dans le cadre d'une procédure d'injonction prévue par les articles 633 et suivants du Code de procédure civile italien, en vue d'obtenir le remboursement de la différence entre le tarif de base qu'elle a acquitté et le tarif réduit applicable aux navires admis au cabotage maritime.

10. C'est dans le cadre de ce litige que le Tribunale di Genova a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Les articles 5 et 7 du traité s'opposent-ils à des dispositions nationales qui, dans le cas de navires assurant un service de ligne régulier entre des ports de deux Etats membres, prévoient l'application de tarifs réduits pour le service de pilotage, obligatoire aux fins de la sécurité de la navigation, en faveur des seuls navires habilités au "cabotage" entre les ports nationaux, alors que ledit cabotage entre ports nationaux, en l'état actuel du droit communautaire, est réservé aux seuls navires battant pavillon national ?

2) L'article 30 du traité s'oppose-t-il à des règles ou usages nationaux qui imposent de faire appel à l'entreprise chargée du pilotage, même si les opérations qu'elle effectue peuvent, en toute sécurité pour la navigation, être effectuées à moindres frais, en tout ou en partie, à l'aide du personnel, des moyens et des technologies dont le navire est doté ?

3) Dans le cas de navires assurant un service de ligne régulier entre deux Etats membres, l'article 59 du traité s'oppose-t-il à des dispositions nationales qui permettent de pratiquer, à l'égard des seuls navires battant pavillon national, des réductions sur les tarifs obligatoires appliqués pour le service de pilotage dans les ports nationaux ?

4) L'approbation, par l'autorité publique, d'un tarif obligatoire qui résulte d'un accord et/ou d'une concertation entre les associations d'entreprises du secteur constitue-t-elle un "aval" à une entente prohibée par l'article 85, paragraphe 1, du traité et, en cas de réponse affirmative, pareil "aval" peut-il être compatible avec les dispositions combinées de l'article 90, paragraphe 1, et des articles 5 et 85 du traité ?

5) Les dispositions de l'article 90, paragraphe 1, et de l'article 86 du traité s'opposent-elles à des dispositions nationales qui permettent à une entreprise occupant une position dominante, à laquelle sont attribués des droits exclusifs sur une partie substantielle du Marché commun:

a) de pratiquer des conditions dissemblables, pour des prestations équivalentes, à l'égard de navires qui assurent un service de ligne régulier entre deux Etats membres, si le système tarifaire en vigueur prévoit, pour un même service, des réductions de tarifs concrètement applicables aux seuls navires battant pavillon national ?

b) d'appliquer ainsi aux navires battant pavillon étranger des tarifs qui prévoient des droits d'un montant "trois fois" plus élevé que pour les navires battant pavillon national ?

c) de s'abstenir de réduire les coûts d'un service obligatoire tel que celui en cause, alors que - en continuant d'assurer à tous égards le plus grand respect des exigences de sécurité de la navigation - le navire concerné est en mesure d'accomplir lui-même les opérations, au moins en partie ?"

Sur la compétence de la Cour pour répondre aux questions

11. La partie défenderesse au principal, les gouvernements français et italien ainsi que la Commission contestent, à des titres divers, la compétence de la Cour pour répondre à toutes les questions posées par la juridiction de renvoi. A cet égard, ils soulignent d'abord que le juge de renvoi n'a pas pris en considération le fait que les bateaux sont immatriculés au Panama, ce qui s'expliquerait par l'absence de débat contradictoire dans la procédure d'injonction, et ensuite que les questions posées ou certaines d'entre elles ne sont pas pertinentes au regard de la demande dont est saisi le juge de renvoi.

12. En ce qui concerne la nature de la procédure devant le juge national, la Cour a déjà jugé que le président d'un tribunal italien, statuant dans le cadre d'une procédure d'injonction prévue par le Code de procédure civile italien, exerce une fonction juridictionnelle au sens de l'article 177 du traité et que cet article ne subordonne pas la saisine de la Cour au caractère contradictoire de la procédure au cours de laquelle le juge national formule les questions préjudicielles, même si une telle procédure peut s'avérer de l'intérêt d'une bonne administration de la justice (voir arrêts du 14 décembre 1971, Politi, 43-71, Rec. p. 1039; du 21 février 1974, Birra Dreher, 162-73, Rec. p. 201; du 28 juin 1978, Simmenthal, 70-77, Rec. p. 1453; du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199-82, Rec. 3595; du 15 décembre 1993, Ligur Carni, C-277-91, C-318-91 et C-319-91, Rec. p. I-6621 et du 3 mars 1994, Eurico Italia e.a., C-332-92, C-333-92 et C-335-92, non encore publié au Recueil).

13. Pour ce qui est du caractère incomplet de la présentation des faits, il suffit de relever que les observations écrites et orales présentées devant la Cour contiennent des informations suffisantes sur l'immatriculation des bateaux pour permettre à la Cour de donner au juge national une réponse utile en tenant compte de ces éléments.

14. Enfin, en ce qui concerne la pertinence des questions, la Cour a jugé qu'elle n'est pas compétente pour fournir une réponse à la juridiction de renvoi, dès lors que les questions qui lui sont posées ne présentent aucun rapport avec les faits ou l'objet de la procédure au principal et ne répondent donc pas à un besoin objectif pour la solution du litige au principal (voir arrêts du 16 juin 1981, Salonia, 126-80, Rec. p. 1563; du 11 juillet 1991, Crispoltoni, C-368-89, Rec. p. I-3695; du 28 novembre 1991, Durighello, C-186-90, Rec. p. I-5773; du 16 juillet 1992, Lourenço Dias, C-343-90, Rec. p. I-4673; du 16 juillet 1992, Asociacion Espanola de Banca privada e.a., C-67-91, Rec. p. I-4785; Eurico Italia e.a., précité et ordonnance du 26 janvier 1990, Falciola, C-286-88, Rec. p. I-191).

15. A cet égard, il y a lieu de constater que, comme la Commission l'a relevé, la demande dont est saisi le juge de renvoi porte uniquement sur le taux prétendument discriminatoire du tarif acquitté par la requérante au principal et non pas sur le caractère obligatoire du service de pilotage, sur le caractère invariable du tarif quel que soit l'équipement technique du navire ou sur les modalités de fixation de ce tarif.

16. Dans ces conditions, il n'y a lieu de répondre qu'aux première et troisième questions relatives au respect du principe de non-discrimination dans l'application des tarifs ainsi qu'aux deux premières branches de la cinquième question ayant trait à l'interdiction de pratiques abusives par des entreprises publiques.

Sur la libre prestation des services de transport maritime

17. Par les première et troisième questions, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si le droit communautaire s'oppose à l'application, dans un Etat membre, pour des services de pilotage identiques, de tarifs différents, selon que l'entreprise, qui effectue des transports maritimes entre deux Etats membres, exploite un navire qui est admis ou non au cabotage maritime lequel est réservé aux navires battant pavillon de cet Etat.

18. A cet égard, il convient de relever d'emblée que l'article 5 du traité, évoqué à la première question, qui impose aux Etats membres l'obligation d'assurer l'exécution de leurs obligations découlant du traité, revêt une formulation si générale qu'il ne saurait être question de l'appliquer de manière autonome, lorsque la situation considérée est, comme en l'occurrence, régie par une disposition spécifique du traité (voir arrêt du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l'Ouest e.a., C-78-90 à C-83-90, Rec. p. I-1847, point 19).

19. Il convient de relever ensuite que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l'article 7 du traité CEE (article 6 du traité CE), qui consacre le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, n'a vocation à s'appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règle spécifique de non-discrimination (voir arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179-90, Rec. p. I-5889, point 11).

20. Or, le principe de non-discrimination a été mis en œuvre et concrétisé, dans le domaine de la libre prestation des services, par l'article 59 du traité.

21. En ce qui concerne la détermination des services auxquels il y a lieu d'appliquer l'article 59 du traité, il convient de constater qu'un régime de tarifs différenciés des services de pilotage affecte une entreprise de transport, telle que Corsica Ferries, à un double titre. Les services de pilotage constituent des prestations fournies contre rémunération par la corporation aux transporteurs maritimes de sorte que les différences tarifaires concernent ceux-ci en leur qualité de destinataires de ces services. Ces différences tarifaires affectent cependant le transporteur surtout en sa qualité de prestataire de services de transport maritime, dans la mesure où elles se répercutent sur le coût de ces services et sont ainsi de nature à le défavoriser par rapport à un opérateur économique bénéficiant du régime tarifaire préférentiel.

22. Pour apprécier le régime tarifaire en cause devant le juge national au regard de la libre prestation des services de transport maritime, il convient d'examiner, en premier lieu, dans quelle mesure le principe de non-discrimination consacré à l'article 59 du traité s'applique dans le secteur des transports maritimes et, en second lieu, si un tel régime opère une discrimination en raison de la nationalité.

23. A cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que l'article 61, paragraphe 1, du traité prévoit que la libre circulation des services en matière de transport est régie par les dispositions du titre du traité relatif aux transports (voir, en particulier, arrêts du 22 mai 1985, Parlement/Conseil, 13-83, Rec. p. 1513, point 62 et du 13 décembre 1989, Corsica Ferries France, C-49-89, Rec. p. 4441, point 10).

24. Il en résulte, ainsi que la Cour l'a jugé dans les arrêts Corsica Ferries France, précité, point 11, et du 30 avril 1986, Asjes (209-84 à 213-84, Rec. p. 1425, point 37), que, dans le secteur des transports, l'objectif fixé par l'article 59 du traité et consistant à éliminer, au cours de la période de transition, les restrictions à la libre prestation des services aurait dû être atteint dans le cadre de la politique commune définie aux articles 74 et 75 du traité.

25. En ce qui concerne, plus particulièrement, les transports maritimes, l'article 84, paragraphe 2, du traité prévoit que le Conseil pourra décider si, dans quelle mesure et par quelle procédure des dispositions appropriées pourront être prises pour ce type de transport.

26. Ainsi le Conseil a-t-il adopté, sur base de ces dispositions, le règlement (CEE) n° 4055-86, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre Etats membres et entre Etats membres et pays tiers (JO L 378, p. 1), qui est entré en vigueur le 1er janvier 1987.

27. Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de ce règlement,

"La libre prestation des services de transport maritime entre Etats membres et entre Etats membres et pays tiers est applicable aux ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire des services."

28. En ce qui concerne le champ d'application matériel du règlement n° 4055-86, il ressort du libellé même de l'article 1er qu'il s'applique à des transports maritimes entre Etats membres du type de ceux en cause dans l'affaire au principal.

29. Pour ce qui est du champ d'application personnel du règlement n° 4055-86, il convient de relever que l'article 1er vise les ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire des services et ne se réfère pas à l'immatriculation ou au pavillon des navires exploités par l'entreprise de transport.

30. Il y a encore lieu de souligner que la libre prestation des services de transport maritime entre Etats membres, notamment le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, peut être invoquée par une entreprise à l'égard de l'Etat où elle est établie, dès lors que les services sont fournis à des destinataires établis dans un autre Etat membre. Or, dans un cas tel que celui en cause dans l'affaire au principal, l'entreprise établie dans un Etat membre et exploitant un service de ligne régulier avec un autre Etat visé par le règlement n° 4055-86 offre ces services, en raison de leur nature même, notamment à des personnes établies dans le second Etat.

31. En conséquence, la situation en cause dans l'affaire au principal dépasse le cadre purement interne et l'argument avancé à cet égard par le gouvernement italien doit être rejeté.

32. Pour examiner, en second lieu, si le régime tarifaire en cause devant le juge national est conforme au règlement n° 4055-86, il convient de rappeler qu'il résulte des points 6 et 7 du présent arrêt que ce régime prévoit un traitement préférentiel des navires qui sont admis au cabotage maritime, c'est-à-dire ceux battant pavillon national.

33. Un tel régime opère une discrimination indirecte entre les opérateurs économiques, en raison de leur nationalité, étant donné que les navires battant pavillon national sont exploités, en règle générale, par des opérateurs économiques nationaux, alors que les transporteurs originaires d'autres Etats membres n'exploitent pas, en général, des navires immatriculés dans le premier Etat.

34. Cette constatation n'est pas affectée par la circonstance que dans la catégorie des opérateurs économiques défavorisés peuvent également figurer des transporteurs nationaux qui exploitent des navires non immatriculés dans leur Etat ni par le fait que le groupe des opérateurs favorisés peut comprendre des transporteurs originaires d'autres Etats membres qui exploitent des navires immatriculés dans le premier Etat membre, alors que le groupe favorisé est constitué, essentiellement, de ressortissants nationaux.

35. Il résulte de ce qui précède que l'article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 4055-86 interdit à un Etat membre d'appliquer, pour des services de pilotage identiques, des tarifs différents, selon qu'une entreprise, même si elle est originaire de cet Etat, qui fournit des services de transport maritime entre cet Etat et un autre Etat membre, exploite un navire qui est admis ou non au cabotage maritime, lequel est réservé aux navires battant pavillon de cet Etat.

36. C'est à tort que la corporation et le gouvernement italien tentent de justifier la tarification différente par des motifs tirés de la sécurité de la navigation ou de la politique nationale des transports et de la protection de l'environnement. En effet, même à supposer que ces objectifs puissent justifier une intervention des pouvoirs publics dans le secteur des transports, une tarification discriminatoire, du type de celle en cause devant le juge national, n'apparaît pas comme nécessaire pour atteindre les objectifs visés.

37. Il y a dès lors lieu de répondre à la première et à la troisième question que l'article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 4055-86, qui met en œuvre le principe de la libre prestation des services, et notamment le principe de non-discrimination, dans le domaine des transports maritimes entre Etats membres, s'oppose à l'application dans un Etat membre, pour des services de pilotage identiques, de tarifs différents, selon que l'entreprise, qui effectue des transports maritimes entre deux Etats membres, exploite un navire qui est admis ou non au cabotage maritime, lequel est réservé aux navires battant pavillon de cet Etat.

Sur les règles de concurrence

38. Par la cinquième question, première et deuxième branches, la juridiction nationale vise, en substance, à savoir si les articles 90, paragraphe 1, et 86 du traité interdisent à une autorité nationale de mettre une entreprise, investie du droit exclusif d'offrir des services de pilotage obligatoire dans une partie substantielle du Marché commun, en mesure d'appliquer des tarifs différents aux entreprises de transport maritime, selon que ces dernières effectuent des transports entre Etats membres ou entre des ports situés sur le territoire national.

39. A cet égard, il convient de rappeler que la corporation, partie défenderesse dans l'affaire au principal, a été investie, par les pouvoirs publics, du droit exclusif d'effectuer les services de pilotage obligatoire dans le port de Gênes.

40. Une entreprise qui bénéficie d'un monopole légal dans une partie substantielle du Marché commun peut être considérée comme occupant une position dominante au sens de l'article 86 du traité (voir arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979, point 28; du 18 juin 1991, ERT, C-260-89, Rec. p. I-2925, point 31; arrêt Merci convenzionali porto di Genova, précité, point 14).

41. Le marché en cause est celui des services de pilotage dans le port de Gênes.Compte tenu, notamment, du volume du trafic dans ce port et de l'importance que revêt ce dernier au regard de l'ensemble des activités d'importation et d'exportation maritimes dans l'Etat membre concerné, ce marché peut être considéré comme constituant une partie substantielle du Marché commun (voir arrêt Merci convenzionali porto di Genova, précité, point 15).

42. Il y a lieu de préciser encore que le simple fait de créer une position dominante par l'octroi de droits exclusifs, au sens de l'article 90, paragraphe 1, n'est pas, en tant que tel, incompatible avec l'article 86 du traité.

43. Un Etat membre enfreint cependant les interdictions contenues dans ces deux dispositions, lorsque, en approuvant les tarifs arrêtés par l'entreprise, il amène celle-ci à exploiter sa position dominante de façon abusive en procédant, entre autres, à l'application aux partenaires commerciaux, de conditions inégales pour des prestations équivalentes, au sens de l'article 86, deuxième alinéa, sous c), du traité.

44. Les pratiques discriminatoires visées par la décision de renvoi, en ce qu'elles touchent des entreprises effectuant des transports entre deux Etats membres, sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres.

45. Il y a dès lors lieu de répondre à la cinquième question, première et deuxième branches, que l'article 90, paragraphe 1, et l'article 86, du traité interdisent à une autorité nationale, en approuvant les tarifs arrêtés par une entreprise investie du droit exclusif d'offrir des services de pilotage obligatoire sur une partie substantielle du Marché commun, d'amener celle-ci à appliquer des tarifs différents aux entreprises de transport maritime, selon que ces dernières effectuent des transports entre Etats membres ou entre des ports situés sur le territoire national, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est affecté.

Sur les dépens

46. Les frais exposés par les gouvernements français et italien et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale di Genova, par ordonnance du 14 décembre 1992, dit pour droit:

1) L'article 1er, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre Etats membres et entre Etats membres et pays tiers, s'oppose à l'application dans un Etat membre, pour des services de pilotage identiques, de tarifs différents, selon que l'entreprise, qui effectue des transports maritimes entre deux Etats membres, exploite un navire qui est admis ou non au cabotage maritime, lequel est réservé aux navires battant pavillon de cet Etat.

2) L'article 90, paragraphe 1, et l'article 86 du traité CEE interdisent à une autorité nationale, en approuvant les tarifs arrêtés par une entreprise investie du droit exclusif d'offrir des services de pilotage obligatoire dans une partie substantielle du Marché commun, d'amener celle-ci à appliquer des tarifs différents aux entreprises de transport maritime, selon que ces dernières effectuent des transports entre Etats membres ou entre des ports situés sur le territoire national, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est affecté.