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Décisions

TPICE, 2e ch., 28 avril 1994, n° T-38/92

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

All Weather Sports Benelux BV (Sté)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Briët, Kalogeropoulos, Barrington, Biancarelli

Avocat :

Me Glazener.

TPICE n° T-38/92

28 avril 1994

FAITS ET PROCÉDURE

1 La requérante, All Weather Sports Benelux BV, société de droit néerlandais établie à Zoetermeer (Pays-Bas), a été constituée le 17 avril 1989. Elle est spécialisée dans la commercialisation d'articles de sport.

2 A la même date du 17 avril 1989, la requérante a conclu, avec effet rétroactif au 1er janvier 1989, un accord par lequel elle reprenait les activités en matière d'importation et de commerce en gros d'articles de sport, ainsi que les actifs afférents à ces activités, de la société All Weather Sports BV (ci-après "AWS"), société de droit néerlandais, établie également à Zoetermeer et appartenant au groupe Bührmann-Tetterode Nederland BV (ci-après "Bührmann-Tetterode"), société de droit néerlandais, établie à Amsterdam. Les actifs ainsi acquis par la requérante comprenaient, entre autres, un accord de distribution exclusive, couvrant initialement les Pays-Bas et ultérieurement étendu à l'ensemble du territoire du Benelux, des produits de marque Dunlop, de la société de droit britannique Dunlop-Slazenger International Ltd (ci-après "DSIL"). Cet accord de distribution, dénoncé par DSIL le 18 septembre 1988, a pris fin le 30 avril 1989. Les actifs acquis comprenaient également les droits afférents à la distribution des produits d'une marque de sport appartenant à All Weather Sports International BV (ci-après "AWS International"), société de droit néerlandais exerçant des activités commerciales en matière d'articles de sport, en étroite collaboration avec AWS, établie comme elle à Zoetermeer et appartenant également au groupe Bührmann-Tetterode.

3 A la suite de cette reprise d'actifs du 17 avril 1989, les sociétés AWS et AWS International ont cessé leurs activités commerciales et, ayant transféré leur siège à Amsterdam et changé leur dénomination, respectivement, en "BT Sports BV" et "BT Sports International BV", ont continué d'exister, pour des raisons fiscales, bien que n'exerçant plus d'activité commerciale.

4 Le 29 mai 1990, la Commission, après avoir effectué des vérifications dans les bureaux des distributeurs exclusifs de DSIL aux Pays-Bas, dont l'une dans les locaux d'AWS, le 3 novembre 1988, a adressé à cette société, sous son ancien nom de "All Weather Sports BV" et à son ancien siège, à Zoetermeer, une communication des griefs relative à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Cette communication des griefs était effectuée dans le cadre d'une procédure d'infraction ouverte par la Commission, sur plainte de Newitt & Co Ltd, société de droit britannique, grossiste et détaillante en articles de sport et cliente de DSIL, dirigée contre cette dernière, pour entraves aux exportations de ses produits du Royaume-Uni vers les autres Etats membres. Les griefs communiqués à AWS concernaient un certain nombre de pratiques concertées entre elle et DSIL, visant à éliminer les exportations parallèles d'articles de DSIL vers les pays du Benelux, afin d'assurer à ses distributeurs exclusifs, dont AWS, une protection territoriale absolue.

5 A cette communication des griefs, il a été répondu, par mémoire déposé le 31 juillet 1990, au nom de la requérante ainsi qu'au nom des sociétés BT Sports (ex-AWS), BT Sports International (ex-AWS International) et de "AWS Nederland BV", filiale de la requérante aux Pays-Bas.

6 Lors de l'audition à laquelle il a été procédé le 5 octobre 1990, devant la Commission, la requérante et les trois autres sociétés précitées ont présenté une défense commune.

7 Tant dans leur réponse écrite aux griefs que lors de l'audition du 5 octobre 1990, les quatre sociétés ont expliqué que, en raison de la dénomination de la société à laquelle la communication des griefs avait été notifiée, c'est-à-dire AWS, l'identité de la société visée par la Commission n'apparaissait pas clairement et que, pour cette raison, leurs réponses et observations aux griefs étaient "faites au nom de toutes les sociétés pour autant qu'elles doivent être ou seront considérées comme destinataires de la communication des griefs" (observations écrites du 31 juillet 1990, point 2.1.3).

8 S'agissant de l'identification de l'entreprise destinataire de la communication des griefs et, par conséquent, de la question de savoir à quelle entreprise devait être imputée l'infraction alléguée, chacune des sociétés concernées a soutenu, devant la Commission, que l'infraction ne pouvait pas lui être imputée et que, en raison de la disparition de l'entreprise gérée, à l'époque des faits constitutifs de l'infraction alléguée, par AWS, la procédure d'infraction serait devenue sans objet.

9 A cet égard, il a été exposé à la Commission que l'adresse, à Zoetermeer, à laquelle la communication des griefs avait été notifiée, n'était plus celle d'AWS, mais celle de la requérante et de sa filiale aux Pays-Bas, AWS Nederland BV, qu'AWS avait actuellement son siège à Amsterdam, sous son nouveau nom de BT Sports, qu'elle n'exerçait plus d'activité commerciale depuis la cession de ses actifs, le 17 avril 1989, et que, par conséquent, elle avait cessé d'exister comme entreprise, au sens de l'article 85 du traité, tout comme BT Sports International (ex-AWS International). En outre, il a été indiqué que BT Sports et BT Sports International continuaient d'exister, en tant que personnes morales, uniquement pour des raisons fiscales, que le groupe Bührmann-Tetterode, dont AWS et AWS International étaient des filiales, ne pouvait pas être considéré comme responsable de l'infraction, en raison du fait que AWS, lorsqu'elle exerçait ses activités, jouissait d'une large autonomie dans sa gestion commerciale.

10 S'agissant, plus particulièrement, de la société requérante, celle-ci a fait, en substance, valoir devant la Commission que la seule reprise, par elle, des actifs des anciennes sociétés AWS et AWS International, reprise qui aurait, par ailleurs, porté sur des éléments qui n'étaient pas nécessaires pour l'exercice de ses propres activités commerciales, ne suffisait pas pour l'assimiler à ces deux sociétés. A cet égard, elle a soutenu qu'elle constituait une société entièrement nouvelle qui n'exerçait pas les activités anciennement exercées par AWS dans le secteur économique en cause, que les personnes ayant travaillé dans cette société à la date des faits ne travaillaient plus dans l'entreprise et que, de toute façon, les infractions alléguées avaient cessé après la reprise d'actifs du 17 avril 1989, dès lors que l'accord de distribution exclusive qui liait AWS à DSIL avait été résilié à cette date et avait, effectivement, pris fin le 30 avril 1989. Enfin, la requérante a souligné, à l'adresse de la Commission, que, si l'accord du 17 avril 1989 prévoyait le transfert à la requérante des contrats conclus entre AWS et DSIL, c'était uniquement en vue d'assurer, pendant le délai qui restait à courir jusqu'à leur terme, lequel était presque entièrement venu à expiration au moment de la conclusion de l'accord de reprise d'actifs, le service des commandes en cours d'exécution.

11 Invitée par la requérante et les autres sociétés impliquées dans la procédure d'infraction à éclaircir le point de savoir quelle entreprise devait être, en fait, destinataire de la communication des griefs, la Commission a, lors de l'audition du 5 octobre 1990, au cours de laquelle cette question a été à nouveau soulevée, renvoyé son examen à un stade ultérieur.

12 Le 21 décembre 1990, la requérante, par lettre de son conseil adressée à la Commission, a attiré une nouvelle fois l'attention de celle-ci sur la question de l'imputabilité de l'infraction reprochée à AWS. Cette correspondance invitait les services de la Commission à se prononcer sur ce point, avant l'adoption éventuelle d'une décision mettant fin à la procédure d'infraction.

13 Par lettre du 7 août 1991, la Commission a adressé à la requérante, conformément à l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), une demande de renseignements concernant le chiffre d'affaires d'AWS en 1988 et le chiffre d'affaires réalisé par cette même société pour les produits Dunlop. Le 18 mars 1992, elle a adopté la décision 92-261-CEE relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-32.290 - Newitt c/Dunlop Slazenger International et autres, JO L. 131, p. 32). Au point 3 de l'exposé des motifs, cette décision précise que, en "1989, AWS fut rachetée par sa direction au groupe Bührmann-Tetterode Nederland BV qui la contrôlait et prit le nom de All Weather Sports Benelux BV". Elle comporte le dispositif suivant :

"Article premier

Dunlop Slazenger International Ltd a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE en prévoyant dans ses relations commerciales avec ses clients une interdiction générale d'exporter ses produits en vue de protéger son réseau de distribution exclusive et en mettant en œuvre pour certains de ces produits (balles de tennis, balles de squash, raquettes de tennis, articles de golf) diverses mesures - refus de livrer, mesures dissuasives en matière de prix, marquage et suivi de produits exportés, rachat de produits exportés, utilisation discriminatoire de labels officiels - en vue de la faire respecter.

All Weather Sports International BV a enfreint l'article 85, paragraphe 1, pour avoir incité et participé à la mise en œuvre de ces mesures aux Pays-Bas, pour ce qui concerne les produits Dunlop.

...

Article 2

Une amende de 5 millions d'écus est infligée à Dunlop Slazenger International Ltd et une amende de 150 000 écus est infligée à All Weather Sports Benelux BV (qui a repris les actifs d'All Weather Sports BV) pour les infractions visées à l'article 1er."

14 C'est dans ces circonstances que la requérante a introduit contre cette décision de la Commission le présent recours, enregistré au greffe du Tribunal le 22 mai 1992.

15 La procédure écrite s'est terminée le 13 novembre 1992, en raison du dépôt hors délai de la réplique. Sur demande de la requérante, du 18 novembre 1992, et avec l'accord de la Commission, exprimé le 24 novembre 1992, la procédure écrite a été rouverte par ordonnance du Tribunal (deuxième chambre) du 10 décembre 1992 et a pris fin le 8 mars 1993. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale ; il a invité les parties à répondre à un certain nombre de questions et la requérante à produire certains documents. Lors de la procédure orale du 15 décembre 1993, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.

Conclusions des parties

16 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler à son égard l'article 2 de la décision de la Commission du 18 mars 1992 (IV- 32.290 - Newitt c/Dunlop Slazenger International et autres) ;

- condamner la défenderesse aux dépens.

17 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens de l'instance.

Sur le fond

18 La requérante, dans sa requête, déclare qu'elle se limite à mettre en cause la régularité du déroulement de la procédure administrative devant la Commission et du processus de l'adoption de la décision litigieuse, en ce qu'elle lui a imputé l'infraction alléguée et lui a infligé une amende, ainsi que les critères appliqués par la Commission pour la fixation du montant de cette amende.

19 A l'appui de ses conclusions la requérante invoque, en premier lieu, un moyen tiré de la violation des dispositions combinées de l'article 2, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268). Elle fait valoir que, en lui infligeant une amende sans lui avoir adressé directement de communication des griefs, alors que la communication des griefs établie dans la procédure litigieuse a été notifiée après qu'elle eut repris les actifs d'AWS, et sans lui avoir donné, du moins, la possibilité d'être entendue sur la question de l'imputabilité de l'infraction reprochée à AWS, la Commission a violé des formes substantielles. En deuxième lieu, la requérante invoque une violation, par la Commission, de l'article 85, paragraphe 1, du traité et de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en ce que la Commission lui aurait imputé la responsabilité de l'infraction alléguée et lui aurait infligé une amende en se fondant sur des motifs inappropriés ou, du moins, sans avoir motivé correctement, à son égard, la décision attaquée. Enfin, la requérante soutient, à titre subsidiaire, que la Commission a violé l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en ce qu'elle aurait appliqué des critères inexacts pour fixer le montant de l'amende qui lui a été infligée.

20 Le Tribunal estime qu'il convient d'examiner, en premier lieu, le moyen par lequel la requérante conteste le caractère suffisant de la motivation, à son égard, de la décision attaquée et la régularité de la procédure d'adoption de cette décision.

Sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision

Exposé sommaire des moyens et principaux arguments des parties

21 La requérante souligne, en premier lieu, que, lorsqu'une décision inflige une amende à une entreprise en raison du comportement d'une autre entreprise, sa motivation doit démontrer clairement à l'entreprise poursuivie les raisons pour lesquelles elle doit supporter la responsabilité d'une infraction qui n'est pas de son fait. Elle soutient que, contrairement à la pratique de la Commission, qui, dans des décisions similaires, aurait toujours fourni une motivation circonstanciée, la décision attaquée manque de motivation suffisante à son égard.

22 La requérante considère que la simple mention du fait de la reprise, par elle, des actifs d'AWS ne constitue pas une motivation suffisante de la décision de nature à permettre de lui imputer l'infraction, dès lors qu'une telle reprise ne signifie pas que la requérante puisse être automatiquement assimilée à AWS, aux fins de l'application de l'article 85 du traité. En outre, elle souligne que le motif qui a justifié, selon la Commission, la décision de lui imputer l'infraction n'est exposé que dans le dispositif même de la décision attaquée et non pas dans l'exposé des motifs, lequel ne contient qu'une seule phrase qui lui soit consacrée, consistant en une simple constatation de fait, au surplus inexacte dans la mesure où la Commission explique qu'AWS a été reprise par sa propre direction, alors qu'en réalité seuls les actifs de cette société ont été repris, d'ailleurs par la requérante elle-même, dont les parts sociales étaient simplement détenues par la direction d'AWS à cette époque.

23 En second lieu, la requérante soutient que l'identité de l'entreprise qui a commis l'infraction pour laquelle une amende lui a été infligée ne ressort pas clairement de la décision attaquée. Elle fait observer, à cet égard, que, dans l'article 1er du dispositif de la décision, la Commission affirme que c'est AWS International qui est responsable de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, bien que cette société ne soit visée nulle part ailleurs dans la décision, et que, par la suite, à l'article 2 du dispositif, c'est au motif qu'elle a repris les actifs d'AWS que la Commission lui inflige une amende. Selon la requérante, si c'est AWS International qui est regardée, par la Commission, comme auteur de l'infraction, la décision attaquée est totalement dénuée de motivation, aussi bien en ce qui concerne AWS International qu'à l'égard d'elle-même, dans la mesure où elle serait ainsi tenue pour responsable de comportements qui ne sont pas précisés dans la décision attaquée, sur la base du seul fait qu'elle a repris les actifs d'AWS. Si, en revanche, c'est cette dernière société que la Commission tient pour responsable de l'infraction, la motivation de la décision attaquée serait, en tout état de cause, insuffisante à son égard, dès lors que, en admettant même que la seule reprise des actifs de AWS pouvait motiver l'assimilation de la requérante à cette société, du point de vue économique et juridique, la Commission n'aurait, de toute façon, pas précisé que c'est pour ce motif qu'une amende lui a été infligée.

24 La Commission soutient que, du moment que les destinataires des décisions relatives aux infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité sont les entités économiques constituées par les entreprises et non pas les sociétés, en tant que personnes morales, et qu'elle démontre, comme en l'espèce, par tous motifs appropriés, qu'une entreprise a commis une infraction, elle n'est pas tenue, en droit, d'expliciter dans sa décision les raisons pour lesquelles elle s'adresse à une société donnée au sein de cette entreprise. En l'espèce, la requérante aurait poursuivi les activités de l'entreprise qui, auparavant, étaient assurées par les sociétés AWS et AWS International, suite à la reprise, par la première, des actifs de ces dernières, en vertu de l'accord du 17 avril 1989, qui aurait constitué un cas classique de transfert d'entreprise. Elle considère que, au vu du peu d'ampleur et de complexité de cette reprise d'actifs et du transfert d'entreprise qui en est découlé, une motivation plus circonstanciée de l'imputation de l'infraction à la requérante était inutile, contrairement à d'autres affaires où, dans ses décisions, elle a dû répondre à des arguments très précis relatifs à l'imputabilité d'une infraction.

25 Enfin, en réponse à une question du Tribunal concernant le fait d'avoir visé, dans l'article 1er du dispositif de sa décision, AWS International comme auteur de l'infraction, bien que dans l'article 2 du dispositif ce soit AWS qui est visée, la Commission a expliqué que cette confusion était due à une erreur matérielle qui devrait être corrigée, en ce sens que les deux sociétés devraient figurer, au même titre, à l'article 1er du dispositif, du fait qu'elles sont toutes deux responsables de l'infraction imputée à la requérante qui a repris leurs actifs et poursuivi l'exploitation de l'entreprise qu'elles géraient ensemble auparavant. Toutefois, selon la Commission, cette erreur matérielle serait sans conséquence sur la validité de l'article 2 du dispositif de la décision. Le fait de n'avoir pas mentionné AWS à l'article 1er du dispositif ne serait pas de nature à provoquer des doutes sur sa qualité d'auteur de l'infraction, étant donné, d'une part, que cette société est mentionnée tout au long de la décision et, d'autre part, qu'elle est clairement visée, tout à la fois au point 3 des motifs de celle-ci et à l'article 2 du dispositif, comme étant la société dont les actifs ont été repris par la requérante.

Appréciation du Tribunal

26 Le Tribunal relève, à titre liminaire, d'une part, que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre l'exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée et, d'autre part, que le caractère suffisant d'une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte, au sens de l'article 173 du traité, peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêts de la Cour des 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296-82 et 318-82, Rec. p. 809, 20 mars 1985, Italie/Commission, 41-83, Rec. p. 873, 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172-83 et 226-83, Rec. p. 2831). Il convient également de rappeler que, pour remplir les fonctions précitées, une motivation suffisante doit faire apparaître, d'une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C-269-90, Rec. p. I-5469, point 26). En outre, lorsque, comme en l'espèce, une décision d'application des articles 85 ou 86 du traité concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d'imputabilité de l'infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l'égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d'entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction.

27 Pour apprécier, à la lumière des exigences posées par la jurisprudence précitée, le caractère suffisant de la motivation de la décision à l'égard de la requérante, il convient de souligner qu'il est constant que, dans le cadre de la procédure administrative devant la Commission, la requérante a invoqué plusieurs raisons pour lesquelles elle estimait que l'infraction alléguée ne pouvait lui être imputée. Il est également constant que, à ce stade de la procédure, la Commission n'a pas, en dépit de la contestation dont elle était ainsi saisie, clarifié sa position sur la question de l'imputabilité de l'infraction alléguée. Il en résulte que, pour être suffisamment motivée à l'égard de la requérante, la décision attaquée doit contenir un exposé d'autant plus circonstancié des motifs de nature à justifier l'imputabilité de l'infraction à la requérante.

28 A cet égard, le Tribunal constate que, en l'espèce, la motivation de la décision attaquée concernant l'imputabilité à la requérante de l'infraction alléguée consiste, d'une part, dans le rappel, au point 3 des motifs de la décision attaquée, du fait que "AWS fut rachetée par sa direction au groupe Bührmann-Tetterode Nederland BV, qui le contrôlait et prit le nom de All Weather Sports Benelux BV" et, d'autre part, dans la mention, à l'article 2 du dispositif, du fait que la requérante "a repris les actifs d'All Weather Sports BV". Il convient donc, pour le Tribunal, d'examiner, d'une part, si les motifs de la décision sont de nature à justifier le dispositif de celle-ci et, d'autre part, la pertinence de celui-ci à l'égard de la requérante.

29 S'agissant, en premier lieu, de l'examen du point 3 des motifs de la décision, le Tribunal constate que, pour justifier que la requérante supporte la charge de l'infraction, la décision se limite, comme il a été dit ci-dessus, à fait état du rachat de AWS et du fait que celle-ci a pris, à cette occasion, la dénomination sociale de la requérante, c'est-à-dire "All Weather Sport Benelux BV". Une telle motivation fait donc abstraction de la double circonstance, invoquée par la requérante, que les sociétés AWS et AWS International continuent, d'une part, d'exister, en tant que personnes morales, sous les dénominations nouvelles "BT Sports" et "BT Sports International", et, d'autre part, de faire partie, comme avant la reprise de leurs actifs, du groupe Bührmann-Tetterode.

30 Sur ce point, le Tribunal estime qu'il convient de préciser que, pour qu'une décision de la Commission, tout en se bornant, dans ses motifs, à désigner, comme auteur d'une infraction, l'entité juridique qui existait antérieurement à la date du rachat de ses actifs, puisse légalement imputer la responsabilité de cette infraction au repreneur de cette entreprise, il est nécessaire qu'il n'y ait contestation ni sur l'identité de l'entité juridique successeur en droit de l'auteur de l'infraction, ni sur le caractère effectif de la poursuite, par cette entité, de l'activité exercée par l'entreprise concernée, à l'origine du litige (voir arrêt de la Cour du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29-83 et 30-83, Rec. p. 1679, points 6 et suivants). Telle n'est pas la situation, en l'espèce, où l'auteur des faits incriminés subsiste en tant que personne morale, comme il a été dit ci-dessus, alors même que l'activité économique exercée par elle, avant la reprise de ses actifs, l'est désormais par une entité juridique distincte.

31 Dans ces conditions, le Tribunal estime que, en présence d'une contestation précise et sérieuse, de la part de la requérante, quant à l'identité de l'entreprise devant supporter la charge de l'infraction, la Commission n'est pas fondée à se prévaloir d'une prétendue simplicité des données factuelles et juridiques de l'espèce et, par suite, de l'inutilité d'une motivation plus circonstanciée, pour justifier l'insuffisance de motivation de la décision attaquée, telle qu'elle ressort de l'examen du point 3 des motifs de la décision attaquée. Il en résulte que, dès lors que le dispositif de la décision attaquée doit être lu à la lumière des motifs qui le supportent, et notamment du point 3, précité, de la décision, celui-ci n'est pas, par lui-même, de nature à justifier l'imputabilité de l'infraction à la requérante.

32 S'agissant, en deuxième lieu, de l'appréciation de la pertinence de la motivation, à l'égard de la requérante, contenue dans le dispositif même de la décision attaquée, le Tribunal constate que, ainsi que le soutient la requérante, bien que la décision attaquée désigne dans ses motifs AWS comme auteur de l'infraction, elle désigne, en revanche, dans l'article 1er de son dispositif, comme auteur de cette infraction, AWS International, tout en imputant, dans l'article 2 de ce dispositif, la responsabilité de l'infraction "visée à l'article 1er" à la requérante, au motif que celle-ci a repris les actifs de AWS. Or, l'article 2 du dispositif de la décision ne saurait légalement imputer à la requérante la responsabilité d'une infraction, dont il est constant qu'elle n'est pas l'auteur, au sens de l'article 1er du dispositif, au seul motif qu'elle aurait repris les actifs d'une société qui, elle-même, n'a pas été identifiée, à l'article 1er du dispositif, comme auteur de l'infraction alléguée.

33 Certes, en troisième lieu, la Commission a encore fait valoir, lors de la procédure orale, que la disparité entre l'identité des sociétés visées respectivement aux articles 1er et 2 du dispositif est due à une erreur matérielle et que l'article 1er aurait dû viser, outre AWS International, la société AWS, dès lors que l'une comme l'autre de ces deux sociétés sont concernées par l'infraction alléguée et que, dans les motifs de la décision attaquée, c'est AWS qui est désignée comme auteur de l'infraction.

34 A cet égard, le Tribunal estime que, s'agissant de la question essentielle de l'identification de l'auteur de l'infraction ou des destinataires de la décision, l'erreur matérielle alléguée, en admettant même qu'elle puisse être retenue, doit pouvoir être établie, par la Commission, avec une certitude suffisante. Tel n'est pas le cas en l'espèce où, d'une part, cet argument n'a, ainsi qu'il vient d'être exposé, été avancé, pour la première fois, qu'au stade ultime de l'instruction de l'affaire et où, d'autre part, la Commission a omis de notifier en bonne et due forme à la requérante un rectificatif émanant de l'auteur de l'acte. Il en est d'autant plus ainsi dans le cas d'espèce, où l'erreur matérielle alléguée concerne, d'une part, le dispositif même de la décision attaquée et donc la partie de l'acte qui détermine directement la portée des obligations imposées aux sujets de droit ou la portée des droits qui leur sont conférés par l'acte concerné et, d'autre part, l'identité même des destinataires de la décision et donc l'imputabilité de l'infraction alléguée et la charge financière de l'amende infligée, ce qui impose un respect scrupuleux du principe de sécurité juridique qui constitue un principe fondamental dans l'ordre juridique communautaire (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 27 février 1992, BASF e.a./Commission, T-79-89, 84-89, 85-89, 86-89, 89-89, 91-89, 92-89, 94-89, 96-89, 98-89, 102-89 et 104-89, Rec. p. II-315). Dès lors, l'argument de la Commission concernant l'erreur matérielle dont serait entachée la décision attaquée ne saurait être retenu. En tout état de cause et compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, cet argument ne saurait être de nature à modifier l'appréciation portée par le Tribunal quant à la motivation de la décision attaquée.

35 Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de ce que la Commission n'a pas motivé la décision attaquée, à l'égard de la requérante, est fondé et doit être accueilli.

36 Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués dans la requête, l'article 2 de la décision attaquée doit être annulé, dans la mesure où il concerne la requérante.

Sur les dépens

37 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en se sens. La requérante ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de condamner celle-ci aux dépens de l'instance.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1) L'article 2 du dispositif de la décision 92-261-CEE de la Commission, du 18 mars 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/32.290 - Newitt c/ Dunlop Slazenger International et autres) est annulé dans la mesure où il impute à la requérante l'infraction visée à l'article 1er de son dispositif et lui inflige une amende.

2) La Commission est condamnée aux dépens.