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Décisions

CJCE, 2 mars 1994, n° C-53/92 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hilti (AG)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Bauco (Ltd), Profix Distribution (Ltd)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mancini

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Edward

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Joliet, Schockweiler, Rodriguez Iglesias, Grévisse (rapporteur), Zuleeg, Murray

Avocats :

Mes Axster, Pheasant, Miller, Titcomb, Lasok.

Comm. CE, du 22 déc. 1987

22 décembre 1987

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 février 1992, Hilti AG (ci-après "Hilti") a, en vertu de l'article 49 du statut (CEE) de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du 12 décembre 1991, Hilti/Commission (T-30-89, Rec p II-1439, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel le tribunal de première instance a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 88-138-CEE de la Commission, du 22 décembre 1987, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV-30787 et 31488 - Eurofix-Bauco/Hilti, JO 1988, L 65, p 19, ci-après la "décision litigieuse").

2. Hilti fabrique plusieurs produits destinés à fixer les matériaux: des pistolets de scellement, des chargeurs, des cartouches et des clous. Par produits "consommables", il faut entendre les clous et les chargeurs. Le terme "système de fixation à charge propulsive" (ci-après les "systèmes FCP") désigne l'ensemble formé par le pistolet de scellement, les clous et les chargeurs (point 10 de l'arrêt attaqué).

3. L'article 1er de la décision litigieuse de la Commission dispose notamment que "l'adoption par Hilti AG, à l'encontre de fabricants indépendants de clous destinés aux pistolets de scellement Hilti, de comportements destinés à faire obstacle à leur accès au marché des clous compatibles avec les pistolets Hilti et/ou à porter atteinte directement ou indirectement à leurs activités, constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité CEE" (point 8 de l'arrêt attaqué). La décision litigieuse inflige à Hilti une amende de 6 millions d'écus et lui enjoint de mettre fin aux infractions.

4. Comme l'observe le tribunal (points 46 et 64 de l'arrêt attaqué), pour déterminer la position de la requérante sur le marché, il faut, au préalable, définir le marché des produits en cause.

5. Selon Hilti, la Commission a mal défini ce marché. Celui-ci n'est pas constitué, comme l'affirme la Commission dans la décision litigieuse, par trois marchés distincts des pistolets, des chargeurs et des cartouches, enfin des clous, mais, l'ensemble de ces éléments formant un tout indissociable (point 48 de l'arrêt attaqué), par un marché unique "constitué par l'ensemble des systèmes de fixation substituables à des systèmes de fixation à charge propulsive (comprenant notamment des systèmes de perçage/vissage)" (point 82 de l'arrêt attaqué).

6. Le tribunal a conclu, au contraire, que "le marché des produits en cause par rapport auquel la position de Hilti doit être appréciée est celui des clous destinés aux pistolets de scellement de sa fabrication" (point 77 de l'arrêt attaqué, voir également le point 94).

7. Il résulte de la définition qu'elle donne elle-même de l'objet de son pourvoi que Hilti entend contester les motifs retenus par le tribunal pour aboutir à la définition du marché qui lui a permis de reconnaître le caractère dominant de la position de Hilti et également certaines motivations relatives au respect de la charge de la preuve par la Commission.

8. Les conclusions du tribunal sur la délimitation du marché concerné sont justifiées par une "appréciation en droit" (points 64 à 78 de l'arrêt) qui est, en substance, la suivante:

- selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6-72, Rec p 215), le marché des produits en cause se définit comme le marché regroupant les produits qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d'autres produits (point 64 de l'arrêt attaqué) en l'espèce, il convient de déterminer si le marché des produits en cause est celui de l'ensemble des systèmes de fixation destinés au bâtiment ou si les marchés concernés sont ceux des pistolets de scellement à charge propulsive et des produits consommables adaptés à ces appareils, c'est-à-dire les chargeurs et les clous (point 65 de l'arrêt attaqué)

- les pistolets de scellement, les chargeurs et les clous constituent trois marchés spécifiques. Les chargeurs et les clous étant spécifiquement fabriqués et acquis par les utilisateurs pour une marque de pistolets, il existe des marchés distincts de chargeurs et de clous compatibles avec des pistolets de scellement Hilti (point 66 de l'arrêt attaqué)

- en ce qui concerne, en particulier, les clous dont l'utilisation dans les appareils Hilti constitue un élément essentiel du litige, il existe, depuis les années 60, des producteurs indépendants de clous destinés aux pistolets de scellement et même des producteurs spécialisés uniquement dans la fabrication de clous spécifiquement adaptés aux appareils de la marque Hilti. Ce fait constitue, en soi, un indice sérieux de l'existence d'un marché spécifique des clous compatibles avec les pistolets Hilti (point 67 de l'arrêt attaqué).

- l'argumentation de Hilti, selon laquelle les pistolets, les chargeurs et les clous forment un tout indissociable, revient, en pratique, à autoriser les fabricants de pistolets de scellement à exclure l'utilisation, dans leurs appareils, de produits consommables autres que ceux de leur propre marque, alors que le droit communautaire de la concurrence laisse aux producteurs indépendants la liberté de fabriquer ces produits à condition de ne pas porter atteinte à un droit de propriété industrielle ou intellectuelle (point 68 de l'arrêt attaqué).

- les systèmes FCP se distinguent en plusieurs points importants des autres systèmes de fixation. Les caractéristiques propres aux systèmes FCP, telles qu'elles sont décrites dans la décision litigieuse, sont de nature à faire que le choix se porte sur eux, de manière évidente, dans un certain nombre de cas. Le dossier fait ressortir que, dans de nombreux cas, il n'y a pas d'alternative réaliste aux systèmes FCP ni pour l'ouvrier qualifié qui exécute les travaux de fixation, ni pour le technicien qui détermine les méthodes de fixation à utiliser dans une situation déterminée (point 69 de l'arrêt attaqué).

- la description de ces caractéristiques, telle qu'elle a été faite par la Commission dans la décision litigieuse, est suffisamment claire et convaincante pour justifier à suffisance de droit les conclusions qui en ont été tirées (point 70 de l'arrêt attaqué).

- ces constatations ne laissent subsister aucun doute sérieux sur le fait qu'il existe, dans la pratique, toute une diversité de situations, les unes privilégiant les systèmes FCP, les autres privilégiant les autres systèmes de fixation la circonstance que plusieurs procédés de fixation différents représentent chacun, depuis longtemps, une part importante et stable de la demande totale en matière de procédés de fixation tend à montrer qu'il n'existe qu'une substituabilité relativement faible entre les différents systèmes de fixation (point 71 de l'arrêt attaqué).

- ces conclusions sont corroborées par l'étude du professeur Yarrow et par celle de l'institut Rosslyn Research. En particulier, ces études révèlent qu'un nombre important d'utilisateurs ne voient pas de solution de rechange à l'utilisation des systèmes FCP là où ils sont utilisés (point 73 de l'arrêt attaqué). Contrairement à leur intention, ces études ne permettent pas de démontrer une substituabilité économique élevée entre les produits en cause. En particulier, elles n'établissent pas que l'élasticité croisée des prix des produits soit élevée (point 75 de l'arrêt attaqué).

- ces constatations ne sont pas davantage affaiblies par l'étude du professeur Albach qui ne tient compte que du seul facteur prix alors que l'étude de l'institut Rosslyn Research révèle que le choix du consommateur dépend, dans une large mesure, de circonstances non quantifiables (point 76 de l'arrêt attaqué).

- le tribunal tire de l'ensemble des raisons qu'il a données la conclusion reproduite au point 6 du présent arrêt.

9. A l'appui de son pourvoi, Hilti fait valoir sept moyens fondés sur la violation de l'article 86 du traité. Les quatre premiers moyens sont également tirés d'"une mauvaise application des principes économiques reconnus et (d')une erreur manifeste de raisonnement logique", le cinquième moyen d'une "violation des principes fondamentaux du droit communautaire", le sixième moyen d'"erreurs manifestes de raisonnement logique", le septième moyen d'une "violation des principes juridiques fondamentaux relatifs à l'application (de l'article 86)".

10. Avant d'examiner les moyens soulevés par la société requérante, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un pourvoi ne peut, en vertu de l'article 168 A du traité CEE et de l'article 51 du statut (CEE) de la Cour de justice, s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation des règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits (voir, notamment, arrêts du 1er octobre 1991, Vidranyi/Commission, C-283-90 P, Rec. p. I-4339, point 12, et du 8 avril 1992, F/Commission, C-346-90 P, Rec. p. I-2691, point 7).

Sur le premier moyen

11. Par son premier moyen, Hilti soutient que le Tribunal a conclu à l'existence d'un marché des clous Hilti en se fondant uniquement sur le fait, non contesté, que les clous et les chargeurs Hilti étaient fabriqués et vendus spécifiquement pour être utilisés dans les appareils Hilti (points 66 et 67 de l'arrêt attaqué), sans examiner, comme l'exige la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 28), si les systèmes FCP étaient ou non interchangeables avec d'autres produits. Selon Hilti, pour conclure à l'existence d'un marché des clous Hilti, le Tribunal aurait dû appliquer les règles dégagées par la Cour dans l'arrêt du 31 mai 1979, Hugin/Commission (22-78, Rec. p. 1869), et établir que les acheteurs de clous étaient différents des acheteurs de pistolets de scellement, ce qu'infirmaient les pièces du dossier.

12. Selon la Commission, le tribunal, après avoir rappelé les critères applicables à la définition du marché (point 64 de l'arrêt attaqué), a exposé aux points 66 à 76 de l'arrêt attaqué les raisons pour lesquelles il considérait que le marché des clous Hilti répondait à ces critères. Les points 66 et 67 de l'arrêt attaqué ne constituent que le point de départ de son raisonnement et le tribunal a examiné dans d'autres points la question de l'interchangeabilité des systèmes FCP avec les autres systèmes de fixation. La Commission et Bauco, partie intervenante, soutiennent, en outre, que l'arrêt Hugin/Commission, précité, n'est pas pertinent pour la présente affaire.

13. Ainsi que le fait valoir la Commission, le tribunal a rappelé, au point 64 de l'arrêt attaqué, que, selon la jurisprudence constante de la Cour, des produits n'appartiennent à un même marché que s'ils présentent un degré suffisant d'interchangeabilité. Aux points 66 et 67 de l'arrêt attaqué, le Tribunal s'est borné à établir que les appareils de fixation, les chargeurs et les clous constituaient des marchés différenciés. Il a ensuite examiné, aux points 69 à 76 de l'arrêt attaqué, si les systèmes FCP étaient ou non interchangeables avec d'autres systèmes de fixation et, pour les motifs indiqués en particulier aux points 69 et 71 de l'arrêt attaqué, il a conclu à l'absence d'interchangeabilité des produits en cause.

14. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le Tribunal n'a pas examiné la question de la substituabilité des produits en cause.

15. Hilti n'est pas non plus fondée à soutenir que le Tribunal aurait omis de faire application de critères dégagés pas la Cour dans l'arrêt Hugin/Commission, précité. En effet, comme l'a exposé l'Avocat général au point 18 de ses conclusions, la Cour n'a pas entendu, dans cet arrêt, dégager les critères qui permettent de déterminer si un marché de produits consommables est distinct de celui des appareils auxquels ils sont destinés. La Cour a simplement constaté que, dans le cas d'espèce dont elle était saisie, en l'occurrence celui des pièces de rechange des caisses enregistreuses fabriquées par Hugin, les acheteurs de pièces de rechange, essentiellement des entreprises indépendantes d'entretien et de réparation de caisses enregistreuses, étaient différents des acheteurs de caisses enregistreuses, si bien que le marché des pièces de rechange constituait un marché spécifique, répondant à des conditions d'offre et de demande qui lui étaient propres.

16. Par suite, le premier moyen de la société requérante doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

17. Par son deuxième moyen, Hilti fait valoir que le simple fait de constater, au point 69 de l'arrêt attaqué, que certains utilisateurs se trouvaient dans l'impossibilité pratique d'utiliser d'autres systèmes de fixation que les systèmes FCP, sans préciser le nombre de ces utilisateurs, ne permettait pas de retenir que les systèmes FCP n'étaient pas substituables aux autres systèmes de fixation.

18. La Commission soutient que le moyen est irrecevable, car il porte sur l'appréciation des faits par le Tribunal, et qu'il est, au surplus, mal fondé, car le Tribunal, qui a précisé, au point 69 de l'arrêt attaqué, que les utilisateurs étaient nombreux, n'était pas tenu de spécifier le nombre exact de ces utilisateurs. Bauco soutient aussi que le moyen n'est pas fondé, pour les mêmes motifs que ceux exposés par la Commission.

19. Il convient de relever, tout d'abord, que, en retenant qu'il ressortait des pièces du dossier que les utilisateurs se trouvaient dans l'impossibilité d'utiliser des systèmes de fixation autres que les systèmes FCP dans de nombreux cas, le Tribunal s'est livré à une appréciation des faits qui n'est pas susceptible d'être discutée devant la Cour. Il convient de relever, ensuite, que le Tribunal n'a pas entaché sa décision d'une insuffisance de motivation en indiquant seulement, au point 69 de l'arrêt attaqué, que les utilisateurs se déclaraient dans l'impossibilité d'utiliser d'autres systèmes que les systèmes FCP dans de nombreux cas sans préciser le nombre exact de ces cas.

20. Par suite, le deuxième moyen de Hilti doit être écarté.

Sur le troisième moyen

21. Par son troisième moyen, Hilti soutient que la seule existence de différences techniques entre les divers systèmes de fixation, relevée au point 70 et au point 71, première phrase, de l'arrêt attaqué, ne suffit pas à établir l'absence de substituabilité entre ces systèmes.

22. La Commission propose d'examiner ce moyen avec le quatrième moyen. Bauco soutient que les divers systèmes de fixation répondent à des besoins différents et qu'ainsi que l'a indiqué le Tribunal ils ne sont donc pas substituables.

23. Le tribunal a retenu qu'il n'existait qu'une substituabilité relativement faible de la demande des systèmes FCP et des autres systèmes de fixation, en se fondant, pour l'essentiel, aux points 69 à 71 de l'arrêt attaqué, sur le fait que les différences techniques existant entre les systèmes, telles qu'elles étaient décrites dans la décision litigieuse, créaient des conditions d'utilisation et, donc, de demande des systèmes, nettement différenciées, et sur le fait que certains systèmes représentaient, sur de longues périodes, une part stable de la demande totale de systèmes de fixation.

24. Contrairement à ce que soutient Hilti, le tribunal ne s'est donc pas borné à faire état des différences techniques existant entre les systèmes pour conclure qu'ils n'étaient pas économiquement substituables.

25. Le troisième moyen de Hilti doit également être écarté.

Sur le quatrième moyen

26. Par son quatrième moyen, Hilti soutient que la simple coexistence des divers systèmes de fixation pendant de longues périodes, relevée par le tribunal au point 71, deuxième phrase, de l'arrêt attaqué, ne suffit pas à démontrer qu'il n'existait qu'une substituabilité relativement faible des différents systèmes de fixation.

27. La Commission fait valoir, en substance, que le tribunal ne s'est pas fondé uniquement, comme le prétend Hilti, sur les différences caractérisant les systèmes de fixation et sur la coexistence de ces systèmes pendant de longues périodes, pour conclure à l'absence de substituabilité de ces systèmes, mais qu'il s'est aussi fondé sur la structure de l'offre et de la demande de ces produits ainsi que sur les conditions de concurrence du marché. Bauco fait valoir que le Tribunal ne s'est pas fondé uniquement sur la coexistence des systèmes pour conclure à l'absence de substituabilité.

28. Ainsi qu'il ressort de ce qui a été indiqué ci-dessus, tant au point 8 qu'au point 23 du présent arrêt, les constatations faites par le tribunal au point 71, deuxième phrase, de l'arrêt attaqué ne sont qu'un élément d'un ensemble de considérations sur lesquelles il s'est fondé pour conclure à l'absence de substituabilité des systèmes de fixation.

29. Par suite, le quatrième moyen de Hilti doit être écarté.

Sur le cinquième moyen

30. Par son cinquième moyen, Hilti soutient, en substance, que le Tribunal a procédé à une répartition irrégulière de la charge de la preuve entre les parties en exigeant de la société qu'elle démontre que le marché concerné était le marché des systèmes de fixation utilisés dans la construction.

31. Hilti s'appuie, à titre principal, sur l'arrêt de la Cour du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission (29-83 et 30-83, Rec. p. 1679), pour soutenir que, la Commission ayant déterminé le marché concerné sur la base de présomptions, il lui suffisait d'établir que les faits retenus dans la décision litigieuse pouvaient donner lieu à une autre appréciation pour démontrer que celle-ci était irrégulière sur ce point.

32. La Commission soutient, au contraire, qu'il appartenait à la société requérante d'établir, le cas échéant par la production d'éléments nouveaux, que les appréciations contenues dans la décision litigieuse étaient inexactes.

33. Dans l'arrêt CRAM et Rheinzink/Commission, précité, la Cour était saisie d'un recours en annulation contre une décision de la Commission relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE. La Cour a relevé que la Commission avait conclu à l'existence d'une concertation entre les sociétés requérantes sur la base d'indices et qu'ainsi son raisonnement était fondé sur une supposition.

34. Elle a alors estimé, au point 16 de l'arrêt précité, qu'en présence d'un tel mode de raisonnement il suffisait aux sociétés requérantes d'établir des circonstances qui donnaient un éclairage différent aux faits établis par la Commission et permettaient ainsi de substituer une autre explication des faits à celle retenue par la décision de la Commission.

35. S'il est vrai que les points 60 et 63 de la décision litigieuse se réfèrent à une élasticité vraisemblablement faible de la demande aux prix des divers systèmes de fixation, ces assertions s'inscrivent dans le cadre d'un raisonnement destiné à démontrer que les systèmes FCP et les autres systèmes de fixation obéissaient à des conditions d'offre et de demande différentes et n'étaient donc guère interchangeables.

36. Dans le cadre de ce raisonnement, la Commission s'est fondée sur des éléments de fait précis, exposés aux points 60 à 65 de la décision litigieuse, tels que les caractéristiques propres à l'utilisation des systèmes FCP, la faible incidence du coût des appareils et des produits consommables sur cette utilisation.

37. La Commission ne s'est donc pas bornée, comme le prétend la société requérante, à déterminer le marché des produits sur la base de suppositions.

38. Ainsi, en exigeant de la société requérante qu'elle démontre le bien-fondé de sa position, le Tribunal n'a pas exigé d'elle une preuve autre que celle qui est normalement exigée des requérants pour établir le bien-fondé de leurs moyens.

39. Il suit de là que le cinquième moyen de la société requérante doit être écarté.

Sur le sixième moyen

40. Par son sixième moyen, Hilti fait grief au tribunal d'avoir apprécié de manière erronée, premièrement, l'étude de marché réalisée par l'institut Rosslyn Research ainsi que l'expertise du professeur Yarrow en ce qui concerne les possibilités de substitution des systèmes de fixation, deuxièmement, l'étude économétrique du professeur Albach en ce qui concerne l'élasticité de la demande aux prix des divers systèmes de fixation, troisièmement, l'étude de marché de l'institut Rosslyn Research en ce qui concerne le caractère déterminant du prix dans le choix du procédé de fixation retenu.

41. La Commission soutient que ce moyen est irrecevable car il tend à remettre en cause les appréciations de fait portées par le tribunal, que la Cour n'a pas le pouvoir de contrôler dans le cadre du pourvoi. A titre subsidiaire, elle soutient que le moyen n'est pas fondé car le Tribunal n'a pas mal apprécié les éléments de preuve en question.

42. Il convient d'indiquer que l'appréciation, par le tribunal, des éléments de preuve qui sont produits devant lui ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour.

43. La société requérante contestant l'appréciation portée par le tribunal sur certains des éléments de preuve qui lui étaient soumis sans établir ni même, à la vérité, soutenir que le tribunal ait dénaturé ces éléments, son sixième moyen est irrecevable et doit, pour ce motif, être écarté.

Sur le septième moyen

44. Hilti soutient que le tribunal n'a pas pris en considération tous les éléments de preuve qu'elle a produits devant lui, lesquels démontraient que les systèmes FCP et les autres systèmes de fixation présentaient un degré élevé de substituabilité économique.

4. La Commission soutient que le tribunal a examiné tous les éléments de preuve présentés devant lui, ainsi qu'il ressort du point 74 de l'arrêt attaqué, et que la société requérante n'est pas recevable à contester devant la Cour l'appréciation portée par le Tribunal sur leur valeur probante.

46. Contrairement à ce que soutient Hilti, il ne ressort pas du dossier que le Tribunal ait omis d'examiner certains des éléments de preuve présentés par cette société. Le tribunal a, au contraire, clairement indiqué qu'il déniait toute valeur probante aux éléments de preuve présentés par Hilti à l'appui de ses prétentions (point 74 de l'arrêt attaqué) et, plus particulièrement, à l'analyse du professeur Yarrow, à l'étude de l'institut Rosslyn Research (point 75 de l'arrêt attaqué) ainsi qu'à l'étude économétrique du professeur Albach (point 76 de l'arrêt attaqué).

47. Il suit de là que le septième moyen de la société requérante doit être écarté.

Sur les conclusions de Bauco tendant à l'augmentation du montant de l'amende infligée à Hilti

48. Dans son mémoire en réponse, Bauco demande à la Cour d'envisager d'augmenter le montant de l'amende infligée à Hilti par la décision litigieuse, compte tenu du comportement dilatoire de cette société.

49. A supposer même que cette demande puisse être regardée comme tendant à ce que Hilti soit condamnée à payer une amende d'un montant plus élevé, il suffit de relever qu'en vertu de l'article 116 du règlement de procédure les conclusions nouvelles de la partie intervenante devant la Cour sont irrecevables. Or, les conclusions présentées par Bauco sont nouvelles devant la Cour puisque cette société n'a présenté aucune demande en ce sens devant le Tribunal.

50. Il suit de là que les conclusions de Bauco doivent, sur ce point, être rejetées.

Sur les dépens

51. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance, y compris aux dépens relatifs aux interventions de Bauco et de Profix.

Par ces motifs,

LA COUR déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Les conclusions de Bauco tendant à l'augmentation du montant de l'amende infligée à Hilti par la décision 88-138-CEE de la Commission, du 22 décembre 1987, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE, sont rejetées.

3) La partie requérante est condamnée aux dépens.