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Décisions

CCE, 23 décembre 1992, n° 93-49

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Ford / VW

CCE n° 93-49

23 décembre 1992

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1992, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 6 et 8, vu la notification d'un accord portant sur des véhicules monocorps, faite le 4 février 1991 par Ford of Europe Inc., Brentwood, Royaume-Uni, et Volkswagen AG, Wolfsburg, Allemagne, vu le résumé de la notification publié (2) conformément à l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit :

I. FAITS

A. Procédure

(1) La présente décision porte sur un "accord de fondation" (foundation agreement) conclu entre les deux constructeurs automobiles Ford of Europe (Ford) et Volkswagen AG (VW), qui crée une entreprise commune (JV) pour le développement et la production d'un véhicule monocorps au Portugal. Les parties ont ensuite soumis des accords d'entreprise commune destinés à mettre en œuvre l'accord de fondation ("l'accord").

B. Parties

(2) Ford est une filiale de Ford Motor Company, Dearborn, Etats-Unis d'Amérique, dont l'activité principale consiste à produire, à assembler et à vendre des véhicules à moteur et leurs pièces. Le chiffre d'affaires mondial réalisé par Ford Motor Company pour 1990 s'est établi à 97,6 milliards de dollars des Etats-Unis. En 1990, le groupe Ford occupait la cinquième place sur le marché des voitures particulières de la Communauté, avec une part de marché de 11,6 %.

(3) VW était le premier constructeur automobile de la Communauté en 1990, avec une part de marché de 15,5 %, ce qui représente des ventes de 2 049 000 unités. Son chiffre d'affaires s'est établi à 65,3 milliards de marks allemands en 1990.

(4) Ford et VW coopèrent déjà dans le cadre d'une entreprise commune en Amérique du Sud (Autolatina). Cette coopération n'englobe pas la production de monocorps.

C. Accord

(5) Ford et VW s'engagent à réaliser en commun le développement, l'ingénierie et la construction d'un véhicule monocorps. Les deux parties créeront à cet effet une entreprise commune (Autoeuropa) dans laquelle elles détiendront chacune une participation de 50 % et qui sera soumise à leur contrôle conjoint. Ford et VW investiront au total environ 2,9 milliards de dollars des Etats-Unis dans l'ensemble du projet; tous les coûts de développement, d'ingénierie et de construction du monocorps seront supportés à parts égales par les deux sociétés. L'entreprise commune doit en principe avoir une durée de vie égale au cycle de vie prévu du monocorps, soit environ 10 ans.

(6) L'usine destinée à accueillir l'entreprise commune doit être construite sur un site "vert" près de Setubal, au Portugal, et commencera à produire les monocorps en janvier 1995. Le développement du produit sera assuré principalement par VW en Allemagne, Ford étant surtout responsable de la construction et de l'ingénierie de l'installation. L'entreprise commune aura une capacité de 830 unités par jour, soit une production annuelle de 190 000 unités. Les deux partenaires fourniront les moteurs et les transmissions, mais ils achèteront la plupart des autres pièces à des fournisseurs extérieurs.

(7) Les parties sont convenues de différencier leurs monocorps de manière à préserver leur image de marque et à rendre leurs versions respectives du monocorps distinctes pour leurs clients. La différenciation des produits se fera notamment comme suit :

- moteurs : VW équipera toutes ses versions de ses propres moteurs et systèmes de contrôle du moteur. Ford fera de même avec ses versions standards (qui représenteront, selon les estimations, 75 % de ses ventes totales de monocorps). Pour les modèles diesel et haut de gamme (moteurs de 2,8 litres), Ford équipera ses véhicules de moteurs VW,

- présentation : en ce qui concerne l'extérieur, la différenciation portera sur l'avant (calandre et capot, feux de croisement, feux antibrouillard, grille de radiateur et signes), les bandes latérales, les enjoliveurs, les feux arrière, les appliques, ainsi que la peinture métallisée. La différenciation de l'intérieur portera sur le tableau de bord (couleur, instruments et représentations graphiques), le volant, levier du changement de vitesse, tissu et couleur des sièges, tissu et couleur des panneaux intérieurs de la porte et des panneaux latéraux.

Les parties auront en outre des séries de modèles différentes (VW offrira cinq séries et Ford trois séries) et offriront des options différentes (ordinateur de bord, toit ouvrant, conditionnement d'air, etc.).

(8) Ford et VW se sont engagées à acheter à l'entreprise commune des quantités fixes de monocorps (en principe, la moitié chacune de la production de l'entreprise commune) et de pièces sur la base d'un système Cost plus qui prévoit des finalités lorsque les quantités minimales stipulées ne sont pas achetées. Les parties restent entièrement libres de commercialiser comme elles l'entendent les véhicules. Elles distribueront leurs véhicules respectifs indépendamment l'une de l'autre chacune par l'intermédiaire de son propre réseau et sous sa propre marque.

D. Marché en cause

(9) Un monocorps peut se définir comme un véhicule conçu pour transporter jusqu'à sept personnes sur trois rangs, ou cinq personnes avec un espace considérable pour les bagages. Les sièges des deuxième et troisième rangées peuvent être pliés et enlevés, ce qui confère au monocorps une grande souplesse et en fait un véhicule de loisirs et de travail. Un monocorps se reconnaît par sa conception différente de dessin et ses caractéristiques spécifiques qui rendent le véhicule comparable à une voiture particulière sur le plan de la conduite et la maniabilité.

(10) Le monocorps se situe entre les breaks classiques à cinq portes et les petits véhicules commerciaux. Toutefois, grâce à une utilisation meilleure de l'espace, ce véhicule se distingue généralement des breaks par son plus grand confort de transport familial. Le monocorps se différencie également des véhicules commerciaux, qui ne sont pas destinés en premier lieu au transport de personnes, par sa conception analogue à celle d'une voiture particulière et à sa hauteur généralement inférieure.

(11) Le monocorps constitue par conséquent un segment de marché relativement neuf et distinct du fait de ses caractéristiques spécifiques, encore qu'il y ait une certaine interchangeabilité avec des voitures des segments voisins.

(12) Ford offre déjà un monocorps, le modèle "Aerostar", construit aux Etats-Unis. Les ventes de ce modèle relativement ancien, construit pour le marché américain où il se vend bien, sont toutefois restées négligeables en Europe (moins de 1 % du segment de marché des monocorps en 1990). Ford et Nissan coopèrent actuellement aux Etats-Unis pour le développement d'un modèle destiné à succéder à l'Aerostar pour le marché américain. Ford est en outre engagée dans une forme de coopération avec Mazda, dans laquelle elle détient également une participation minoritaire. Mazda produit des monocorps, mais ne commercialise actuellement pas ces véhicules dans la Communauté.

La "Caravelle" de VW ne peut être considérée à proprement parler comme un monocorps suivant la définition ci-dessus. La Caravelle est dérivée d'un véhicule commercial et ne possède pas toutes les caractéristiques susmentionnées d'un monocorps, puisqu'il lui manque surtout le confort d'une voiture et la maniabilité, la vitesse et la souplesse des monocorps.

(13) En Europe, le segment de marché des monocorps est dominé par la Renault "Espace", dont une version mise à jour est sortie dernièrement. L'Espace avait à l'origine été mise au point par Matra SA (Matra) qui assemble le véhicule et le vend par l'intermédiaire du réseau de distribution et sous le nom de Renault. Tous les autres véhicules concurrents de la Renault Espace sont produits au Japon ou aux Etats-Unis. En 1990, la part de marché des constructeurs dans le segment des monocorps dans la Communauté était la suivante :

- Renault 54,7 %

- Chrysler Voyager 15,6 %

- Mitsubishi Space Wagon 12,0 %

- Nissan Prairie 7,6 %

- Toyota Previa 3,9 %

- Toyota Space Cruiser 2,9%

(14) Le segment de marché des monocorps (dont le volume actuel est inférieur à 100 000 unités, ce qui est un niveau négligeable par rapport à l'ensemble du marché automobile) est considéré par la plupart des analystes et des constructeurs comme une partie du marché automobile qui a toutes les chances de connaître une forte expansion en Europe à moyen et à long terme. Néanmoins, le total des ventes dans la Communauté ne devrait pas excéder 350 000 unités d'ici à 1995.

(15) Accéder à ce segment du marché peut être considéré comme assez difficile d'une manière générale, eu égard aux investissements considérables requis par le développement et la production. Une production économiquement viable exige en outre une capacité minimale, estimée à plus de 110 000 unités par an par les parties en cause de même que par d'autres constructeurs. Toutefois, plusieurs projets de monocorps sont actuellement à l'étude et on peut s'attendre à d'autres pénétrations sur le marché des monocorps avant la fin du siècle.

E. Aides d'Etat

(16) Le gouvernement portugais a notifié en juin 1991 son intention d'accorder une aide financière à l'entreprise commune. La Commission a décidé, dans une procédure distincte, de ne pas élever d'objections à l'encontre de cette aide sur la base de l'article 92 paragraphe 3 du traité. Cette décision fait actuellement l'objet d'un recours de Matra devant la Cour de justice des Communautés européennes.

II. OBSERVATIONS DE TIERS

(17) A la suite de la publication effectuée conformément à l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, la Commission a reçu des observations de Matra. Matra a simultanément déposé une plainte séparée en vertu de l'article 3 du règlement n° 17 à l'encontre du projet. Matra considère que l'accord entre Ford et VW viole les articles 85 et 86 du traité et ne remplit pas les conditions d'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3. Elle fait valoir principalement que l'accord aura pour effet une restriction considérable de la concurrence sans contribuer à promouvoir le progrès technique ou économique, étant donné que le monocorps envisagé par l'entreprise commune serait construit selon des méthodes et une technologie de production banales et ne constituerait pas une innovation substantielle. Selon Matra, l'accord ne peut en outre être considéré comme indispensable au sens de l'article 85 paragraphe 3 parce que Ford et VW seraient capables de pénétrer de manière indépendante sur le segment de marché des monocorps. Les deux entreprises doivent en principe posséder les ressources financières et la technologie nécessaires pour développer et produire un monocorps individuellement. Contrairement aux déclarations publiées dans la communication de la Commission du 13 juillet 1991, la fabrication d'un monocorps deviendrait rentable bien en-deça d'une production annuelle de 110 000 unités. En outre, Matra fait valoir que l'accord entre Ford et VW viole l'article 86 du traité. La coopération donnerait aux deux sociétés une position dominante sur le segment de marché des monocorps et leur permettrait - compte tenu des économies d'échelle et de l'ampleur des aides d'Etat - d'éliminer la concurrence dans ce secteur, par exemple en élevant les barrières à l'entrée ou en adoptant un comportement prédateur qui devrait être considéré comme abusif.

III. APPRÉCIATION JURIDIQUE

A. Article 85 paragraphe 1

(18) L'accord entre Ford et VW, qui crée une entreprise commune au Portugal pour le développement et la production de monocorps, tombe sous le coup de l'article 85 paragraphe 1 qui interdit notamment tous accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence.

(19) Ford et VW sont des concurrents importants sur les marchés automobiles européen et mondial; les deux sociétés offrent une gamme très large et, pour l'essentiel, concurrente de véhicules automobiles. Eu égard à leur capacité financière, technique et de recherche, chaque société est en principe capable de produire un monocorps de manière indépendante.

(20) Le développement de nouveaux modèles est l'un des éléments clés de la concurrence dans le secteur automobile et un facteur déterminant pour le succès d'un constructeur sur le marché. Tous accords entre concurrents de nature à restreindre cette activité doivent être considérés comme des restrictions graves de la concurrence. Le développement et la production en commun d'un monocorps par Ford et VW - qui suppose un investissement considérable des sociétés mères et comporte en outre l'obligation d'acheter des quantités fixes de monocorps à l'entreprise commune - signifie qu'aucune des sociétés mères n'aurait d'intérêt économique à conduire des activités indépendantes dans ce domaine.

(21) La coopération entre Ford et VW entraînera en outre un échange et un partage intensifs notamment de savoir-faire technique qui pourrait affecter le comportement concurrentiel des deux partenaires sur les segments de marché voisins, comme ceux des breaks ou des véhicules commerciaux légers.

(22) L'accord affectera sensiblement le commerce entre Etats membres étant donné qu'il a été conclu par deux constructeurs automobiles actifs sur le plan international en vue du développement et de la production en commun d'un produit qui doit être vendu dans l'ensemble de la Communauté.

B. Article 85 paragraphe 3

(23) L'entreprise commune envisagée entre Ford et VW présente les caractéristiques suivantes :

- le segment de marché des monocorps représente un volume de ventes relativement faible et qui, au moins à moyen terme, restera sensiblement inférieur aux prévisions (considérant 14),

- Ford et VW ont jusqu'ici été des fournisseurs négligeables sur le segment de marché en question (considérant 12),

- la structure dudit segment est caractérisée par le fait qu'une entreprise y occupe nettement le premier rang parmi les fournisseurs sans être exposée à une concurrence considérable d'autres fournisseurs européens (considérant 13),

- les véhicules seront construits dans une usine nouvelle et moderne (considérant 6),

- l'entreprise commune aura un impact extrêmement positif sur les infrastructures et sur l'emploi dans l'une des régions les plus déshéritées de la Communauté (considérant 36).

Si l'on prend en compte les circonstances exceptionnelles du cas, l'accord notifié remplit les quatre conditions d'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3 :

1. L'accord contribue à améliorer la production des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique

(24) La coopération permet de produire un véhicule perfectionné conçu pour répondre aux exigences des consommateurs européens, qui sera offert séparément par les parties dans des versions différenciées dans l'ensemble de la Communauté.

(25) Les deux sociétés disposent d'un savoir-faire étendu dans le domaine de la recherche de même que dans le domaine de l'automatisation automobile. La coopération permet aux partenaires de se compléter sur le plan des ressources d'ingénierie et du savoir-faire technique. Cela permettra d'améliorer la production par la rationalisation du développement et de la fabrication des produits. La coopération contribuera à promouvoir le progrès technique grâce à la mise en commun des connaissances techniques actuelles de chacune qui permettra la production d'un monocorps nettement amélioré et réellement innovant sous plusieurs aspects. La production de monocorps dans la Communauté sera améliorée par l'établissement d'une usine de production totalement nouvelle et très moderne recourant à la technologie de production la plus récente (ligne de carrossage et de soudure entièrement automatisée, presse tandem de 1 200 tonnes, robots, etc.). La mise en place d'un nouveau système d'approvisionnement en composants permettra la gestion par ordinateur des livraisons alimentant la ligne de production avec des stocks minimaux et sans retard. Un parc industriel de 30 hectares proche de l'usine sera créé afin de donner aux fournisseurs principaux (qui représentent plus de 700 pièces différentes) un accès direct à celle-ci. Ce projet doit offrir le système logistique de fourniture des pièces suivant le principe des flux tendus le plus efficace au monde et donner de meilleurs résultats que le système japonais de livraison de composants "Kanban".

(26) Le monocorps produit par l'entreprise commune représente un développement continu de progrès technique dans la production au niveau communautaire. Le véhicule aura notamment un type nouveau de suspension avant/arrière, un système nouveau d'essieux et de toit ouvrant, ainsi que des systèmes de sécurité complets pour les passagers. Il sera également considérablement amélioré sur le plan du respect de l'environnement; c'est ainsi que les matériaux qui peuvent présenter des risques (comme les CFC et le PVC) seront soit très fortement réduits, soit totalement éliminés du produit final. En outre, les possibilités de recyclage seront nettement augmentées et le monocorps devrait également être à la tête du segment en ce qui concerne la réduction des émissions et de la consommation de carburant.

2. L'accord réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte

(27) Le consommateur européen devrait bénéficier directement de l'entreprise commune. Grâce à la coopération et en particulier à la technologie de production hautement sophistiquée et aux économies d'échelle réalisées, le consommateur se verra offrir deux versions d'un monocorps de haute qualité à un prix raisonnable qui sera vendu dans l'ensemble de la Communauté par les réseaux de distribution très étendus des partenaires. Ford et VW seront contraintes de répercuter les avantages de l'accord sur le consommateur parce que, à la suite de leur entrée, avec d'autres constructeurs, sur le segment en expansion des monocorps, la pression de la concurrence s'accentuera sur tous les fournisseurs, ce qui améliorera l'équilibre à l'intérieur de ce segment (considérants 37 à 39). En outre, avec Ford et VW, de nouveaux constructeurs automobiles européens compétitifs seront présents sur le segment considéré.

3. Les restrictions sont indispensables pour obtenir les effets favorables

(28) L'entreprise commune créée entre les deux grands constructeurs automobiles que sont Ford et VW pour produire un monocorps peut être considérée comme indispensable pour la période de l'exemption, eu égard aux circonstances exceptionnelles du cas d'espèce et aux conditions que la Commission considère comme nécessaires pour accorder une exemption.

(29) La coopération permet aux partenaires d'offrir de manière compétitive un produit de haute qualité, conçu pour répondre aux besoins spécifiques des consommateurs européens, dans le segment de marché des monocorps - qui est relativement nouveau et ne représente qu'un faible volume - dans des délais relativement courts. L'examen du dossier conduit la Commission à admettre les arguments des parties selon lesquels les effets avantageux de la coopération ne pourraient par conséquent être obtenus d'une autre manière. Agissant séparément, les partenaires ne pourraient développer et produire les monocorps au Portugal dans les mêmes conditions aussi rapidement et efficacement.

(30) Aucun partenaire ne dispose actuellement d'une capacité propre à assurer une production de l'ampleur projetée pour leur entreprise commune selon le projet décrit ci-dessus. La coopération permet en outre aux partenaires de se compléter en ce qui concerne leurs ingénieurs et leur savoir-faire technique, un tel projet supposant une quantité considérable de personnel qualifié. A cet effet, Ford fournira des effectifs pour l'ingénierie de production alors que VW apportera un personnel qualifié suffisant pour l'ingénierie du produit. Les partenaires pourront donc se concentrer sur certaines activités et fonctionner de manière plus efficace.

(31) Les partenaires ont présenté à la Commission les coûts totaux des investissement qui seraient nécessaires s'ils devaient développer et produire un monocorps individuellement selon les conditions proposées, moyennant des ventes annuelles séparées qu'ils estiment de 80 000 à 90 000 monocorps chacun. Ils évaluent à plus de 110 000 par an le nombre minimal d'unités nécessaire pour produire un monocorps selon le projet décrit ci-dessus de manière économiquement viable. Ce chiffre, qui dépend toutefois toujours des circonstances particulières du cas d'espèce, correspond aux déclarations faites par des concurrents dans une affaire similaire concernant le segment des monocorps actuellement examiné par la Commission. Compte tenu des investissements requis par chaque société pour le développement et la production séparés d'un monocorps, ainsi que du nombre d'unités nécessaires pour assurer la rentabilité, on ne pourrait s'attendre que les sociétés obtiennent, en agissant séparément, un profit raisonnable compte tenu des prévisions de ventes et du faible volume du segment des monocorps par rapport à d'autres segments de marché. Même si les sociétés pouvaient atteindre leurs objectifs de vente, le projet commun ne devrait pas produire de bénéfices pendant plusieurs années, en dépit des économies d'échelle qu'il permet et de l'aide financière considérable fournie par le gouvernement portugais.

(32) Dans ce contexte, la Commission admet que les partenaires ne peuvent pénétrer individuellement dans des conditions satisfaisantes sur le segment des monocorps par une simple adaptation de modèles existants comme l'Aerostar de Ford (qui ne s'est pas bien vendu dans la Communauté) ou la Caravelle de VW. L'Aerostar était initialement conçu comme un véhicule commercial, converti ultérieurement en monocorps pour le marché américain, qui diffère substantiellement du segment de marché correspondant en Europe. Grâce principalement à des réseaux routiers très développés, aux vastes parkings et au coût nettement inférieur du carburant aux Etats-Unis, les consommateurs de ce pays ont beaucoup moins de problèmes de parking et d'embouteillages et ils se soucient moins de la dynamique et de la maniabilité d'un monocorps. Par conséquent, les exigences particulières des consommateurs européens, à savoir notamment l'aérodynamisme, la rapidité et la dimension réduite des moteurs, la consommation réduite de carburant, la maniabilité meilleure, les moteurs diesel économes et les versions avec conduite à droite ne sont pas remplies par l'Aerostar. Ces aspects exigent un modèle de conception entièrement nouvelle qui ne peut être réalisé par une simple adaptation. Il en va de même de la Caravelle, modèle relativement gros et lourd (jusqu'à neuf sièges) qui devrait lui aussi être redessiné dans une très large mesure pour perdre son image de camionnette légère et devenir un véhicule doté des caractéristiques particulières des monocorps, en particulier la maniabilité d'une voiture.

Enfin, et pour les mêmes raisons, il est également impossible de produire un monocorps du type projeté par une simple adaptation des breaks des partenaires (comme les modèles "Passat" et "Sierra"). En particulier, la plate-forme des breaks est trop étroite et trop courte pour pouvoir obtenir les caractéristiques de conception essentielles d'un monocorps (trois rangées de sièges pouvant accueillir sept personnes, poids brut du véhicule nettement plus élevé).

(33) Cette évaluation du projet commun Ford/VW n'est modifiée en rien par le fait que Matra, de même que certains producteurs japonais, ont pu pénétrer sur le segment des monocorps individuellement, puisque leur situation n'est pas comparable à celle des parties à l'entreprise commune.

Depuis le milieu des années 1980, période marquée par la sortie de l'Espace et le développement du segment des monocorps, Matra occupe largement le premier rang parmi les producteurs puisqu'elle détient en moyenne plus de 50 % de ce segment, ne subit qu'une concurrence limitée de fournisseurs non européens et se situe toujours bien avant son concurrent le plus proche (considérant 13). Cette position lui a permis d'être rentable avec une production annuelle relativement faible. En outre, Matra a dû coopérer avec Renault pour la distribution de ses véhicules. Renault est également fournisseur de pièces essentielles pour l'Espace.

Les fournisseurs japonais se trouvent dans une situation différente dans la mesure où ils bénéficient d'économies d'échelle considérables, leur marché national étant fort et largement fermé. Les monocorps japonais représentent à certains égards un compromis entre les besoins différents des marchés européen et américain. Pour ces raisons, et grâce à une stratégie de prix agressive, les Japonais parviennent à vendre un certain nombre de monocorps en Europe. Toutefois, leurs ventes sont nettement plus élevées aux Etats-Unis, premier marché des monocorps dans le monde.

(34) Les restrictions de la concurrence dues à la coopération entre Ford et VW sont limitées à ce qui est indispensable pour le fonctionnement de l'entreprise commune. Les deux partenaires sont libres de distribuer leurs monocorps comme ils l'entendent; il les vendront séparément sous leur marque respective et dans des versions différentes. Les partenaires peuvent utiliser de façon indépendante tous les droits de propriété intellectuelle et modifier la conception de leurs modèles à l'insu de l'autre partenaire. Toutefois, pour obtenir et assurer des effets minimaux sur la concurrence, maintenir un certain niveau de différenciation des produits et limiter les effets secondaires potentiels de la coopération, la Commission a l'intention d'assortir sa décision d'un certain nombre de conditions et de charges (considérant 41). La Commission réexaminera également sa décision suivant l'évolution du segment des monocorps après l'expiration de la période de l'exemption.

(35) La coopération entre Ford et Nissan concernant les monocorps prévoit expressément le droit des partenaires de commercialiser le produit dans le monde entier. Ford a l'intention de produire un certain nombre de ces monocorps dans la Communauté pour la frange supérieure de ce segment de marché. Nissan a, elle aussi, sorti un monocorps, le modèle "Serena", dans la Communauté. La coopération en cours entre Ford et Mazda n'exclut pas la concurrence entre ces sociétés dans ce secteur, comme le démontre la plainte pour dumping aux États-Unis déposée par Ford et d'autres sociétés contre des producteurs japonais de monocorps, notamment Mazda.

(36) Dans l'appréciation de la présente affaire, la Commission tient également compte du fait que le projet représente le plus gros investissement étranger jamais réalisé au Portugal. Selon les estimations, il devrait notamment permettre de créer environ 5 000 emplois et, indirectement, 10 000 emplois supplémentaires, et aussi d'attirer d'autres investissements dans l'industrie des fournitures. Il contribue par conséquent à promouvoir un développement harmonieux de la Communauté et à réduire les disparités régionales, ce qui est l'un des objectifs fondamentaux du traité. Il favorise en outre l'intégration du marché européen en rattachant plus étroitement le Portugal à la Communauté par une de ses industries importantes. Cet effet ne suffirait pas à lui seul pour permettre une exemption si les conditions de l'article 85 paragraphe 3 n'étaient pas remplies; mais c'est un élément dont la Commission a tenu compte.

4. L'accord ne permet pas d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause

(37) La coopération entre Ford et VW n'aura pas pour effet d'éliminer la concurrence dans le segment des monocorps. Eu égard à la position importante de la Renault Espace, elle stimulera au contraire la concurrence en élargissant le choix dans ce secteur et permettra la mise en place d'une structure plus équilibrée du nouveau segment du marché des monocorps. Il en découlera également une concurrence accrue au plan des prix et de la qualité au cours des cinq à dix prochaines années, sous l'effet d'une pénétration accrue des constructeurs japonais et de nouveaux concurrents sur ce segment.

(38) Etant donné que la concurrence sur les marchés automobiles européens se joue également au niveau de la distribution, la Commission considère que la différenciation des produits et les marges de rentabilité du segment des monocorps permettront un degré suffisant de concurrence entre Ford et VW, en dépit du fait que ceux-ci achèteront en principe au même prix leurs versions respectives du monocorps à l'entreprise commune. Le niveau de différenciation des produits atteint dans la production du monocorps, et qui porte sur des éléments visuels et techniques - qui seront développés - est considéré par la Commission comme le minimum indispensable en l'espèce pour permettre à Ford et VW de développer leur propre identité et de conduire leur propre stratégie commerciale dans le secteur des monocorps. Au moins pour les raisons qui suivent on peut s'attendre à ce que Ford et VW s'engagent en fait dans une concurrence directe l'un avec l'autre. D'abord, les partenaires peuvent escompter des bénéfices supplémentaires par l'augmentation des ventes individuelles, l'accord ne prévoyant pas de partage des bénéfices. Deuxièmement, la stratégie de production de masse dans le secteur automobile consiste à offrir aux consommateurs toute la gamme de produits de manière à établir ou à renforcer la fidélité à une marque et non pas simplement à un modèle. Cette concurrence globale contraindra Ford et VW à se faire concurrence directement également sur le segment des monocorps.

C. Article 86

(39) L'article 86 ne trouve application qu'à l'égard d'entreprises abusant d'une position dominante déjà existante. En l'espèce, les entreprises en cause ne détiennent une position dominante ni individuellement ni collectivement à elles deux sur le segment de marché des véhicules automobiles monocorps. Et même si une telle position existait, le simple risque - allégué par Matra - d'un abus ne justifierait pas l'application de l'article 86. Nonobstant cette considération, la coopération entre Ford et VW ne conduira pas à une position dominante au sens de l'article 86 du traité pour les raisons visées ci-dessous.

Vu les conditions de concurrence prévalant dans le segment de marché des véhicules monocorps, la coopération entre ces deux constructeurs n'est pas susceptible - malgré les aides d'Etat accordées au projet et les économies d'échelle résultant de celui-ci - de créer au bénéfice de Ford et de VW des avantages compétitifs incompatibles avec le maintien d'une concurrence effective en leur conférant le pouvoir de se comporter d'une manière appréciable indépendamment de leurs concurrents sur le segment en question. Dans ce contexte, et contrairement aux assertions de Matra, la Commission considère que, malgré un certain degré d'incertitude sur les différentes évaluations quant à l'évolution de la demande dans la Communauté, l'offre n'excédera pas sensiblement la demande pendant une période de temps significative d'ici à la fin du siècle. Si au demeurant une telle situation devait se produire, des surcapacités conduiraient seulement, étant donné le contexte propre à l'espèce, à un surcroît de concurrence sans création de positions dominantes. La Renault Espace a été le produit maître du marché depuis son apparition dans le milieu des années 80. Du fait de sa qualité et de sa réputation elle a toujours distancé nettement les modèles rivaux les plus proches. En 1995, Matra développera et offrira une nouvelle Espace dans le cadre d'une coopération renforcée avec Renault et par conséquent demeurera un important concurrent sur ce segment. Dans ce segment des monocorps, Ford et VW, avec les autres fournisseurs du segment (tant les nouveaux entrants que les constructeurs japonais) assureront donc un niveau suffisant de concurrence efficace.

(40) Pour les raisons exposées ci-dessus (notamment considérants 23 et suivants), les observations présentées à la Commission par Matra, qui a également exposé ses arguments lors d'une audition le 15 juin 1992 en réponse à la communication de la Commission du 13 juillet 1991, ne conduisent pas la Commission à modifier son appréciation de l'accord notifié telle qu'elle est exposée ci-dessus.

D. Articles 6 et 8 du règlement n° 17

(41) Aux termes de l'article 8 paragraphe 1 du règlement n° 17, la décision d'application de l'article 85 paragraphe 3 du traité est accordée pour une durée déterminée et elle peut être assortie de conditions et de charges. L'article 6 paragraphe 1 du même règlement oblige la Commission à indiquer la date à partir de laquelle sa décision prend effet. Conformément à cet article, dans le cas d'espèce, la décision peut prendre effet à la date de la notification, c'est-à-dire le 4 février 1991. Compte tenu de tous les aspects du dossier et en particulier afin d'assurer la rentabilité des investissements élevés réalisés par les parties en cause, la décision doit couvrir une période de dix ans après le début de la production, ce qui correspond sensiblement à la durée de vie d'un monospace. La présente décision doit être assortie d'un certain nombre de conditions et de charges que la Commission juge indispensables pour remplir le mandat qui lui est conféré par l'article 8 paragraphe 3 du règlement n° 17, ainsi que pour réunir les conditions préalables d'une décision au titre de l'article 85 paragraphe 3. Dans ce contexte, la Commission prend en considération le fait que le secteur automobile n'est pas seulement caractérisé par la densité du réseau des relations entre les fournisseurs de composants, mais, et surtout, par la multiplication des coopérations horizontales dont la production en commun de véhicules. En outre, un certain nombre de fournisseurs détiennent des participations dans le capital les uns des autres. Ces conditions et charges doivent notamment assurer le maintien d'un certain niveau de différenciation des produits de façon à permettre aux partenaires de se faire une concurrence active au niveau de la distribution (considérant 38). En particulier, la Commission estime que les moteurs, qui sont une pièce essentielle du monocorps, doivent être différents. Eu égard aux circonstances de l'espèce soulignées plus haut, la Commission a toutefois admis que Ford acquière un certain pourcentage de moteurs VW donné pour une période limitée. Les partenaires doivent également rester libres de commander indépendamment l'une de l'autre à l'entreprise commune les quantités qui leur sont nécessaires. Afin de limiter les effets défavorables que le projet commun pourrait entraîner sur la concurrence globale entre les partenaires, la Commission juge nécessaire d'obliger ceux-ci à prendre certaines précautions pour l'échange d'informations sensibles entre elles et l'entreprise commune. Compte tenu de la situation décrite ci-dessus prévalant dans le secteur automobile, les partenaires doivent également informer la Commission de leurs futures coopérations avec d'autres producteurs d'automobiles ou fournisseurs ainsi que de l'utilisation de licences acquises en rapport avec leur projet. Les partenaires doivent en outre, afin d'éviter une division du marché et de faciliter les acquisitions de véhicules monocorps par les consommateurs européens - comme ils en ont donné l'assurance à la Commission - offrir chacun ses monocorps dans l'ensemble de la Communauté et procéder à leur homologation par type au niveau communautaire. Enfin, la Commission, instruite par son expérience, fait obligation aux partenaires de prévoir une séparation effective au cas où l'exemption ne serait pas prorogée,

A ARRÊTE LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

Conformément à l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 sont déclarées inapplicables à l'accord de fondation (foundation agreement) conclu entre Ford of Europe Inc. (Ford) et Volkswagen AG (VW), notifié le 4 février 1991, ainsi qu'aux accords signés ultérieurement aux fins de la mise en œuvre de l'accord susmentionné.

Article 2

L'exemption accordée à l'article 1er est assortie des conditions et charges ci-après.

A. Conditions

1. Les sociétés mères maintiennent entre les monocorps produits par l'entreprise commune au moins les différences entre les moteurs décrites dans la notification. Ford ne peut utiliser de moteurs VW diesel et à essence dans plus de 25 % de ses monocorps pendant toute période de 3 ans.

2. Les sociétés mères établissent des procédures et sauvegardes appropriées afin d'éviter que toutes les informations confidentielles, sensibles sur le plan de la concurrence (notamment le volume de leurs besoins annuels, les programmes et stratégies en matière commerciale, les politiques de distribution, les prix de gros et de détail, ainsi que leurs intentions concernant l'équipement standard et les options) ne parviennent pas aux employés de l'autre société mère et ne soient communiquées qu'aux collaborateurs de l'entreprise commune qui doivent les connaître pour assurer le bon fonctionnement de celle-ci. Les membres du personnel en question signent un accord de confidentialité qui les oblige :

a) à ne pas utiliser ces informations concurrentielles à des fins autres que l'entreprise commune

et

b) à ne pas communiquer ces informations à des membres du personnel de l'autre société mère.

3. Toute proposition d'une société mère de ne pas commercialiser son monocorps dans un Etat membre quel qu'il soit est subordonnée à l'accord préalable de la Commission.

4. Si l'accord instituant l'entreprise commune est résilié, chaque société mère concède ou fait concéder toutes les licences de toutes technologies (brevetées ou non) nécessaires pour permettre à l'autre société mère de poursuivre la production des monocorps séparément.

5. Les sociétés n'étendent pas sans l'approbation préalable de la Commission la gamme de produits à fabriquer par l'entreprise commune à d'autres catégories de véhicules que les monocorps.

B. Charges

1. Au terme de la première année de production, l'entreprise commune soumet annuellement un rapport à la Commission précisant le volume total de production de monocorps assemblés, ventilé par modèle et spécification du moteur. De même, au terme de la première année de production, chacune des sociétés mères soumet annuellement à la Commission un rapport séparé indiquant ses ventes en gros de monocorps produits par l'entreprise commune, Etat par Etat dans la Communauté, ainsi qu'une estimation de sa part de marché dans chaque Etat membre et ses exportations totales de monocorps vers des pays tiers.

2. Chacune des deux sociétés mères est tenue :

a) d'informer la Commission préalablement à la signature de tout accord relatif :

- à la prise de participation dans toute nouvelle activité en commun,

- à des investissements dans une nouvelle gamme de produits réalisés dans le cadre d'une activité conjointe déjà existante,

- à tout nouveau projet de recherche en commun

dans le secteur automobile avec toute autre entreprise, qui aurait un effet sensible sur la concurrence à l'intérieur de l'Espace économique européen;

b) de soumettre annuellement à la Commission un rapport sur la façon dont ils respectent chacune des conditions de cette décision.

"Société mère" désigne Ford Motor Company Inc., Etats-Unis d'Amérique, et Volkswagen AG, Allemagne, et le groupe de sociétés appartenant à chacune d'elles ou contrôlées par elles.

Article 3

L'exemption prend effet le jour de la notification de l'accord et expire le 31 décembre 2004.

Article 4

Les sociétés ci-après sont destinataires de la présente décision :

1. Ford of Europe, Incorporated, Eagle Way, Brentwood, UK-Essex CM13 3BW

2. Volkswagen AG, D-W-3810 Wolfsburg.