CCE, 23 décembre 1992, n° 93-50
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Astra
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment son article 2, vu la notification en vue d'une exemption, présentée le 3 juin 1988 en application de l'article 4 du règlement n° 17 par British Telecommunications plc (ci-après dénommé "BT"), Société européenne des satellites SA (ci-après dénommée "SES") et BT Astra SA (ci-après dénommé "Astra"), d'une série d'accords et de documents connexes concernant la commercialisation et la fourniture de services de télédiffusion par satellite, notification ultérieurement modifiée par BT pour inclure également une demande d'attestation négative, vu la décision de la Commission, du 3 avril 1990, d'engager la procédure dans cette affaire, après avoir donné aux entreprises la possibilité de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs communiqués par la Commission, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit :
I. FAITS
(1) Le 3 juin 1988, BT, SES et Astra ont notifié à la Commission des Communautés européennes, uniquement en vue d'une exemption, une série d'accords et de documents connexes concernant la commercialisation et la fourniture de services de télédiffusion par satellite ; par la suite, dans sa réponse aux griefs communiqués par la Commission, BT a fait valoir que l'article 85 paragraphe 1 n'était pas applicable à ces accords et, par lettre du 5 décembre 1990, a officiellement demandé que la notification soit considérée comme modifiée sur ce point.
A. Parties
(2) SES est une société luxembourgeoise créée en 1985 pour exploiter des satellites. Son premier satellite, Astra IA, lancé en décembre 1988, a été le premier satellite de puissance moyenne n'appartenant pas à des organismes de télécommunications (ci-après dénommé "OT") offrant des services de télédiffusion internationale en Europe. Au moment de la notification, SES n'avait pas encore de chiffre d'affaires. Les capitaux nécessaires pour financer l'achat et le lancement du satellite ainsi que d'autres frais tels que la commercialisation et l'assurance ont été réunis grâce aux apports d'environ vingt actionnaires de différents Etats membres de la Communauté et d'autres pays ainsi que par des prêts bancaires garantis par l'Etat.
En 1991, le chiffre d'affaires de SES a été de 3 471 954 747 francs luxembourgeois. Un deuxième satellite SES de puissance moyenne, Astra IB, a été lancé en février 1991.
(3) BT possède un certain nombre de filiales dont aucune n'a des activités dans le secteur des satellites. Le chiffre d'affaires total de BT pour l'exercice qui s'est terminé en mars 1992 a été d'environ 13 337 milliards de livres sterling.
BT est un opérateur agréé, autorisé à exercer des activités de télécommunications au Royaume-Uni, qui comprennent la liaison montante de signaux avec les satellites.
Selon la clause 1.1 de l'autorisation concédée à BT en application de l'article 7 du Telecommunications Act 1984 (loi britannique de 1984 sur les télécommunications), BT est tenue d'assurer "une fourniture universelle de services de télécommunications" à toute personne qui demande de tels services ; la clause 5 l'oblige en outre à prendre toutes les mesures nécessaires pour fournir des services de communications internationales à ses clients dans la mesure nécessaire pour satisfaire à toute demande raisonnable. La clause 53-5-b prévoit certaines exceptions et certaines limites à ces obligations, notamment si la demande de tels services dans une zone donnée est, ou semble être, insuffisante pour couvrir les coûts entraînés par la mise en place de ce service.
Télédiffusion par satellite
(4) Les signaux de télévision sont transmis par divers moyens, tels que la télédiffusion terrestre, le câble et le satellite. Une combinaison est également possible, par exemple par un satellite vers un câblo-opérateur qui assure la transmission jusqu'aux téléspectateurs. La transmission par satellite comporte les étapes suivantes :
1) les programmes de télévision sont préparés par un "fournisseur de programmes" ;
2) les signaux sont transmis du studio de télévision à une station terrienne qui assure la "liaison montante" vers le satellite ; les fournisseurs de programmes doivent passer contrat pour ces services de liaison montante avec un opérateur agréé qui, dans la plupart des Etats membres de la Communauté, est exclusivement l'OT ;
3) sur le satellite, les signaux sont reçus et amplifiés par un "répéteur" puis renvoyés vers la terre. Les satellites sont équipés de plusieurs de ces répéteurs, seize dans le cas du satellite Astra IA ;
4) lorsque les signaux sont renvoyés par "liaison descendante" vers la terre, ils sont captés par une antenne parabolique réceptrice ; le récepteur peut être :
1) un câblo-opérateur qui transmet ensuite le signal par câble aux téléspectateurs ;
2) des systèmes de télévision à antenne maîtresse (MATV) qui distribuent aux clients d'un hôtel ou aux occupants d'un immeuble à appartements
ou
3) des téléspectateurs qui reçoivent les signaux directement en plaçant des antennes paraboliques sur leur toit (réception directe au domicile des abonnés).
La dimension de l'antenne parabolique réceptrice dépend de la puissance du satellite utilisé. Les satellites de puissance faible nécessitent des antennes paraboliques réceptrices très larges, d'un diamètre supérieur à un mètre et demi, tandis que les signaux de satellites de puissance moyenne et de grande puissance peuvent être captés par des antennes beaucoup plus petites, qui se prêtent à une installation sur le toit des habitations.
Pour ce qui est de la couverture géographique, c'est-à-dire de "l'empreinte" du satellite, les satellites de puissance faible et moyenne peuvent couvrir la totalité de l'Europe tandis que pour les satellites de grande puissance la réception est en général limitée à un pays.
(5) Jusqu'au lancement d'"Astra IA", tous les satellites en Europe étaient exploités par des OT, individuellement ou collectivement. Les diverses étapes de la transmission de programmes de télévision sont couvertes par des droits exclusifs concédés aux OT par des traités internationaux et des législations nationales.
1) Liaison montante
Selon les règlements des radiocommunications de l'Union internationale des télécommunications et les législations nationales des Etats membres de la Communauté en matière de télécommunications, seuls les "opérateurs agréés" sont autorisés à assurer la liaison montante de signaux vers les satellites. Dans la plupart des pays européens, il n'existait, lors de la notification, qu'un seul opérateur agréé : l'OT. Au Royaume-Uni, la loi de 1984 sur les télécommunications a instauré un duopole, avec deux fournisseurs de liaisons montantes, BT et Mercury Communications Ltd ; sept autres agréments pour la fourniture de services de liaisons montantes ont été accordés en 1988/1989 et, par la suite, une licence générale a été introduite. Toutefois, au moment de la conclusion de l'accord instaurant l'entreprise commune, BT était le seul opérateur britannique agréé fournissant réellement des services de liaison montante à des fins de télédiffusion internationale. SES est également un fournisseur de liaisons montantes titulaire d'une autorisation au Luxembourg.
2) Secteur spatial (satellites)
Les satellites géostationnaires en orbite à des fins de télécommunications sont pour la plupart détenus et exploités par des organisations internationales telles que Intelsat (Organisation internationale des télécommunications par satellites), Eutelsat (Organisation européenne de télécommunications par satellites), Inmarsat (Organisation internationale des télécommunications maritimes par satellites) ou par des OT nationales.
Les traités Intelsat et Eutelsat qui ont été signés notamment par tous les Etats membres de la Communauté interdisent à d'autres personnes d'exploiter des satellites à côté de ceux d'Intelsat et d'Eutelsat si elles ne sont pas passées par une procédure d'autorisation ou de "coordination". Dans la notification et au cours de la procédure qui a suivi, les parties ont surtout fait référence à la procédure Eutelsat.
Eutelsat a été créée en 1982 par une convention intergouvernementale, actuellement signée par trente-deux gouvernements européens (ci-après dénommés les "parties"). A côté de cette convention, il existe un accord d'exploitation signé par les OT (ci-après dénommés les "signataires") des Etats qui sont parties à la convention. Chaque Etat membre désigne un signataire ; au Royaume-Uni, BT est le signataire Eutelsat.
Les signataires OT financent les satellites Eutelsat au prorata de leur utilisation de ces satellites : en d'autres termes, plus un OT utilise de la capacité de répéteur sur un satellite Eutelsat, plus sa contribution sera élevée ; les OT signataires se répartissent les recettes dans la même proportion. Au moment où l'entreprise commune a été constituée, BT avait la part d'investissement la plus élevée.
Au départ, Eutelsat exploitait quatre satellites de télécommunications de puissance faible. Le premier de la série Eutelsat II de satellites de puissance moyenne du même type qu'Astra (c'est-à-dire permettant une réception par une antenne parabolique de 60 à 90 centimètres) a été lancé en août 1990.
Aux termes de la convention Eutelsat, lorsqu'une partie ou un OT est informé qu'une entité souhaite exploiter des satellites ou des équipements de liaison montante et descendante indépendamment d'Eutelsat dans la juridiction de ladite partie, cette partie ou l'OT est tenu de fournir tous les renseignements pertinents à Eutelsat. Les autorités d'Eutelsat doivent alors décider si l'exploitation de ce satellite non Eutelsat :
- sera techniquement compatible avec les satellites Eutelsat,
- ne causera pas au système Eutelsat un préjudice économique important (3).
En ce qui concerne le satellite Astra, l'assemblée Eutelsat a conclu qu'il ne causerait pas de préjudice économique important au système Eutelsat à condition notamment :
- qu'Astra ne soit utilisé que pour la transmission unidirectionnelle de signaux de télévision,
- que le nombre de canaux Eutelsat transférés des satellites d'Eutelsat sur Astra ne dépasse pas quatre.
En 1992, l'assemblée des parties d'Eutelsat a adopté une résolution selon laquelle les secteurs spatiaux autres que ceux d'Eutelsat ne seront soumis à la totalité de la procédure prévue à l'article XVIa) que s'ils transmettent des services réservés.
SAO
A la suite d'un examen du rôle de BT en tant que signataire d'Eutelsat, l'Office of Telecommunications (OFTEL) a annoncé en novembre 1989 qu'un Signatory Affairs Office (SAO) assumerait les fonctions de signataire de BT en toute indépendance de la partie commerciale de cet organisme ; les opérateurs britanniques agréés ont donc désormais accès à la capacité de secteur spatial d'Eutelsat (et d'Intelsat) dans les mêmes conditions que BT.
3) Liaison descendante
Les législations de la plupart des Etats membres de la Communauté obligent un opérateur de satellite à obtenir l'autorisation de l'OT local pour recevoir sur le territoire de cet OT des signaux de liaison descendante. En outre, dans le cas d'Astra, Eutelsat a exigé la coordination, non seulement pour la liaison montante vers le satellite et l'exploitation de celui-ci, mais aussi pour la liaison descendante vers tout pays partie à Eutelsat.
Entreprise commune
(6) Le satellite Astra IA de SES est équipé au total de seize répéteurs pour lesquels il a fallu trouver des clients. Etant donné que le marché de la télévision par satellite se caractérisait par une prédominance de chaînes de langue anglaise, SES en a conclu que c'est au Royaume-Uni que se trouverait une majorité de fournisseurs de programmes (potentiellement) intéressés à télédiffuser par Astra. C'est la raison pour laquelle, avant le lancement du satellite, la décision avait été prise d'allouer un minimum de neuf et un maximum de onze répéteurs sur les seize disponibles à une "entreprise commune" constituée par BT et SES, dont l'objet déclaré serait :
- d'offrir aux opérateurs de programmes de télévision originaires du Royaume-Uni un service global comprenant une liaison montante au Royaume-Uni assurée par BT et de la capacité de répéteur sur le satellite de SES,
- d'encourager le développement du marché des satellites en incitant :
a) les fabricants d'antennes paraboliques adaptées à la réception directe à domicile à accroître leur production ;
b) les détaillants à promouvoir et à vendre cet équipement
et
c) les particuliers à acheter ces antennes paraboliques de façon à pouvoir recevoir les signaux d'Astra directement sur le toit de leur habitation.
(7) Les accords et autres documents examinés au cours de la procédure de notification sont les suivants :
- l'accord "principal" (accord de constitution de l'entreprise commune) du 17 décembre 1987 entre SES et BT aux termes duquel elles sont convenues de créer l'entreprise commune BT Astra SA, détenue à 50 % par chacune d'elles, et par lequel SES s'est engagée à louer des répéteurs à l'entreprise commune qui seraient mis ensuite, par l'intermédiaire d'un opérateur britannique agréé (qui ne serait donc pas nécessairement BT), à la disposition des clients finals dans le cadre d'un contrat global incluant la liaison montante,
- quatre lettres annexes du 17 décembre 1987 concernant :
- l'attribution à BT d'options pour des répéteurs sur le satellite Astra,
- l'engagement de SES en ce qui concerne la clause 6 (4) de l'accord concernant son obligation de ne pas détourner du Royaume-Uni des activités de télédiffusion par satellite,
- la création d'une société commune de commercialisation (Satellite Promotions SA),
- la franchise concédée par le gouvernement luxembourgeois à SES pour l'utilisation du satellite Astra,
- le programme commercial de l'entreprise commune BT/SES présentant de manière détaillée les activités commerciales futures des parties : BT concentrerait ses activités sur le facilities marketing, c'est-à-dire la prospection de clients potentiels pour les services offerts tandis que SES se concentrerait sur le retail marketing, c'est-à-dire le secteur des équipements de réception et l'utilisateur final,
- l'accord principal et les accords séparés sur les services, eux aussi concernant les activités commerciales,
- les accords entre BT et les fournisseurs de programmes de télévision. Ces accords ne sont pas uniformes. La plupart ont été conclus pour dix ans et prévoient que le client paiera anticipativement, pour l'ensemble de la période, un montant forfaitaire couvrant à la fois la liaison montante et la location du répéteur ; le prix payé diminue en fonction du nombre de répéteurs loués. Un accord a une durée de trois ans susceptible d'être portée à dix ans ; au cours de la première période de trois ans, le client effectue un paiement mensuel puis, par la suite, un versement unique. Un seul accord prévoit une dissociation des paiements pour la liaison montante et pour la location du répéteur.
Les accords concernant l'entreprise commune devaient être maintenus aussi longtemps que le satellite Astra resterait opérationnel, c'est-à-dire normalement dix ans.
(8) Les dispositions individuelles prises en considération par la Commission dans son examen ont été les suivantes :
1) La clause 3. Les répéteurs couverts par l'accord concernant l'entreprise commune entre SES et BT étaient loués à Astra qui, à son tour, les louerait à un opérateur britannique agréé. Selon une lettre annexe du 17 décembre 1987 entre les parties, SES a accepté que l'entreprise commune concède des options sur neuf répéteurs à BT qui les commercialiserait dans un certain laps de temps. BT à son tour offrirait aux fournisseurs de programmes un contrat unique comprenant à la fois la liaison montante par BT et de la capacité sur le satellite Astra.
2) La clause 5 concernait les droits et obligations de BT lorsqu'elle est l'opérateur britannique agréé. Le paragraphe 1 prévoyait que même si BT avait le droit de fixer le prix du service de liaison montante qui devait être inclus dans le prix total demandé au client, elle consulterait SES pour fixer ce prix.
3) La clause 6 concernait les droits et les obligations de SES. La clause 6 (1) prévoyait que même si SES avait le droit de fixer le prix demandé aux clients britanniques pour l'utilisation de capacité de répéteur sur le satellite Astra, elle consulterait BT pour fixer ce prix même si BT n'était pas l'opérateur agréé.
4) La clause 5 (2) obligeait BT à choisir en priorité le satellite Astra pour commercialiser les services de télévision et à ne pas décourager l'utilisation d'Astra par ses prix et sa politique commerciale, en pratiquant par exemple à l'égard des clients utilisant la nouvelle série de satellites Eutelsat II de puissance moyenne (qui n'avaient pas encore été lancés au moment de la création de l'entreprise commune) des marges ou des droits de liaison montante plus faibles que pour ceux utilisant Astra.
5) De même, la clause 6 (5) obligeait SES à faire tout ce qui était en son pouvoir pour garantir l'utilisation des services de liaison montante de BT vers les répéteurs, ce qui était conforme à la lettre annexe du 17 décembre 1987 par laquelle SES concédait à BT des options pour neuf répéteurs.
6) La clause 6 (4) obligeait SES à ne pas chercher à dévier les programmes originaires du Royaume-Uni, c'est-à-dire les programmes essentiellement préparés dans un studio se trouvant au Royaume-Uni, vers une connexion satellite située à l'extérieur du Royaume-Uni. Selon la lettre annexe du 17 décembre 1987 relative à la clause 6 (4), SES devait également s'abstenir d'inciter les fournisseurs de programmes à préparer leurs programmes en langue anglaise dans des studios situés en dehors du Royaume-Uni. Plus précisément, SES était tenue de ne pas inciter les fournisseurs de programmes à utiliser des studios à Luxembourg et des liaisons montantes à partir de ce pays en offrant des conditions commerciales préférentielles soit pour la capacité de satellite, soit pour les services de liaison montante (SES étant titulaire d'une autorisation pour fournir des services de liaison montante à Luxembourg).
7) Les clauses 5 (3), 6 (2) et 7 comportaient des dispositions destinées à faciliter le transfert sur le satellite Astra de clients qui, jusqu'ici, utilisaient d'autres satellites. A cet égard, BT pouvait offrir aux clients qu'elle avait déjà (transmettant par les satellites Intelsat I ou Eutelsat I) le service de "double illumination", c'est-à-dire la transmission simultanée vers les deux satellites. Etant donné que ces clients hésiteraient à recourir à ce service s'il fallait pour cela payer deux locations complètes, ces accords prévoyaient que BT et SES assumeraient une partie des frais. En outre, BT s'engageait dans certaines conditions à faciliter aux clients la possibilité de résilier anticipativement les contrats existants.
8) Même si, sur le plan contractuel, SES était libre de commercialiser comme elle l'entendait les répéteurs non couverts par les accords concernant l'entreprise commune, sa liberté se trouvait limitée par la clause 6 (4) qui prévoyait que tous les programmes originaires du Royaume-Uni (c'est-à-dire préparés dans des studios au Royaume-Uni) transmis par liaison montante vers le satellite Astra devaient être commercialisés par l'intermédiaire de l'entreprise commune et par la clause 6 (5) qui prévoyait que si un client envisageait une liaison montante à partir du Royaume-Uni, les conditions offertes à ce tiers ne pouvaient pas être plus favorables que celles offertes à l'entreprise commune. En outre, SES devrait faire en sorte que le service offert par BT Astra au Royaume-Uni ne soit pas mutuellement incompatible avec le service offert par SES dans d'autres pays.
9) La clause 6 (6) prévoyait que, sauf convention contraire entre BT et SES, SES n'utiliserait pas de répéteurs sur d'autres satellites que Astra IA pour des programmes préparés au Royaume-Uni ou transmis par liaison montante à partir de ce pays, tant que des répéteurs couverts par l'accord seraient encore disponibles.
10) Selon la clause 9 de l'accord instituant l'entreprise commune et les termes des contrats clients, le fournisseur de programmes versait à BT un montant forfaitaire couvrant le service de liaison montante et la location du répéteur. Ce dernier montant était reversé intégralement par BT à Astra qui, à son tour, en reversait 90 % à SES ; 10 % revenaient à BT en tant que "BT Service Charge" (commission de BT). Autrement dit, BT recevait pour sa participation à l'entreprise commune :
- la redevance de liaison montante,
- la commission de 10 % pour la location du répéteur.
La clause 9 faisait également état d'un paiement Eutelsat de SES à Eutelsat pour chaque répéteur ; en réponse à une demande de renseignements de la Commission, le directeur général d'Eutelsat a indiqué qu'il n'y a "aucun paiement à Eutelsat quel qu'il soit, ni même d'autre accord prévoyant un paiement en nature plutôt qu'en espèces, ni d'échange ou de transaction de quelque nature que ce soit représentant une certaine valeur, entre Eutelsat et SES ou toute autre partie, qui pourraient être considérés comme liés à l'utilisation du satellite (Astra) du Luxembourg. Nous n'avons pas vu l'accord du 17 décembre 1987 sur l'entreprise commune mentionné dans votre lettre ni ne sommes informés de son contenu".
Etant donné que l'accord d'entreprise commune ne conférait aucune exclusivité absolue à BT, en théorie tout autre opérateur britannique agréé aurait pu louer la capacité de répéteur de Astra et passer avec les fournisseurs de programmes les contrats clients comprenant la liaison montante et la capacité de répéteur. Dans ce cas, néanmoins, la commission de 10 % continuerait à être payée par Astra à BT ; l'opérateur agréé assumant en fait la fonction de coordination ne recevrait que les droits correspondant à ses activités de liaison montante tandis que BT continuerait à recevoir 10 % pour une opération dans laquelle elle ne jouait apparemment aucun rôle, sauf celui d'être copropriétaire de l'entreprise commune.
Cessation de l'entreprise commune
(9) Le 3 avril 1990, la Commission a ouvert la procédure prévue dans le cadre du règlement n° 17 après être arrivée à la conclusion préliminaire que les accords notifiés tombaient sous le coup de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE et ne pouvaient pas bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3. Par la suite, les parties ont présenté une proposition prévoyant qu'il serait mis fin à l'accord instituant l'entreprise commune ainsi qu'aux lettres annexes et aux accords concernant les services mais que les accords passés avec les clients dans le cadre des arrangements concernant l'entreprise commune seraient maintenus par novation, les répéteurs étant loués directement par SES à BT et non plus par l'intermédiaire de l'entreprise commune. Etant donné que, en réalité, la disparition de l'entreprise commune de la chaîne de locations de répéteurs allant de SES aux fournisseurs de programmes ne modifiait pas la situation, la Commission a adressé le 26 juillet 1990 une communication des griefs aux parties qui ont présenté leurs observations par écrit et oralement lors d'une audition organisée à cette fin les 13 et 14 novembre 1990.
(10) Le 30 janvier 1991, les parties ont signé un accord mettant fin à leurs accords concernant l'entreprise commune, dans les mêmes conditions que celles prévues dans la proposition mentionnée ci-dessus au considérant 9.
II. APPRÉCIATION JURIDIQUE
A. Article 85 paragraphe 1
(11) Les accords entre les parties ont restreint la concurrence à la fois sur le marché de la fourniture de capacité de répéteur de satellite pour la distribution de programmes de télévision et sur celui des services de liaison montante. Les effets de la coopération entre les parties se sont fait sentir aussi bien au Royaume-Uni que dans d'autres Etats membres.
1. Restrictions sur le marché de la capacité de secteur spatial
(12) SES et BT sont des concurrents directs sur le marché européen de la fourniture de capacité de secteur spatial pour la transmission de programmes de télévision.
(13) En tant que propriétaire du satellite Astra IA, SES pouvait offrir seize répéteurs aux fournisseurs de programmes cherchant une transmission par satellite.
(14) Depuis 1983, BT offre aux fournisseurs de programmes une capacité de secteur spatial sur les satellites Eutelsat (et Intelsat). Aux termes de l'article 16 de l'accord d'exploitation d'Eutelsat, toutes les demandes d'attribution de capacité de secteur spatial aux fournisseurs de programmes doivent être présentées par les signataires, à savoir BT pour le Royaume-Uni. BT était chargée de la mise à la disposition finale des répéteurs et passait les contrats avec les clients, les dispositions de l'accord d'exploitation excluant les contrats directs entre ces derniers et Eutelsat. Bien que l'attribution finale de capacité de secteur spatial soit décidée non par le signataire individuel mais par le conseil des signataires, BT était, au moment de la conclusion de l'accord instituant l'entreprise commune, le signataire détenant la part d'investissement la plus élevée. Selon la notification, BT fournissait davantage de services de télédiffusion par satellite que tout autre organisme européen de télécommunications ; eu égard aux accords Eutelsat, le fait que BT n'était pas réellement propriétaire de la capacité de secteur spatial offerte aux clients ne signifie pas, comme elle l'a prétendu, qu'elle n'était pas en concurrence avec SES.
Il est intéressant de noter que l'assemblée d'Eutelsat a posé comme condition pour la coordination d'Astra que "les signataires redoublent ensemble d'efforts et d'agressivité... pour trouver de nouvelles possibilités commerciales... afin, notamment, de compenser la perte de recettes découlant de la mise en service du satellite (Astra) du Luxembourg". BT, en tant que signataire pour le Royaume-Uni, devait concilier cet engagement avec l'obligation qui lui était faite, en vertu de l'accord avec SES, de réserver au satellite Astra la priorité de choix.
(15) BT a en outre déclaré qu'elle-même et SES ne pouvaient pas être considérées comme concurrentes parce qu'elle ne pouvait pas, en 1986/1987, offrir aux clients une capacité de puissance moyenne mais uniquement la capacité de puissance faible d'Intelsat et d'Eutelsat, la première série de satellites Eutelsat II de puissance moyenne n'ayant été lancée que vers le milieu de l'année 1990. Cet argument doit être rejeté en ce qu'il présuppose l'existence de marchés distincts pour la capacité de puissance faible et la capacité de puissance moyenne. En fait, les satellites de puissance faible et de puissance moyenne offrent à leurs clients les mêmes possibilités de couverture géographique et de transmission aux têtes de réseaux câblés ; les satellites de puissance moyenne offrent simplement la caractéristique supplémentaire de permettre la réception au domicile des abonnés par des antennes paraboliques réceptrices relativement petites. La transmission au domicile des abonnés et la transmission par câble peuvent néanmoins se faire simultanément. Dans les pays où les systèmes par câble sont bien développés et où la réception individuelle est donc moins nécessaire, les abonnés au câble ne savent pas si les programmes qu'ils reçoivent sont transmis par des satellites de puissance faible ou de puissance moyenne - ou même en fait par d'autres moyens.
Des statistiques récentes (Cable & Satellite Express du 10. 7. 1992) indiquent que 73 % des foyers européens recevant les chaînes transmises par Astra les reçoivent par le câble (et par MATV), le pourcentage dans les pays très fortement câblés tels que la Belgique et les Pays-Bas pouvant approcher les 100 %.
BT a elle-même déclaré dans sa réponse à la communication des griefs : "il est évident que les satellites de puissance moyenne étaient en concurrence avec les satellites de puissance faible", se référant dans ce contexte à la procédure de coordination d'Eutelsat destinée à évaluer l'impact concurrentiel de la capacité de puissance moyenne sur la capacité de puissance faible.
(16) Selon l'accord concernant l'entreprise commune et notamment la clause 6 (4) qui prévoyait que tous les programmes originaires du Royaume-Uni transmis par liaison montante vers le satellite Astra seraient commercialisés par l'intermédiaire de l'entreprise commune, SES acceptait de ne pas accéder au marché en question d'une manière indépendante mais en coopération avec un concurrent direct, BT. Cette restriction de concurrence découlant de la clause 6 (4) était renforcée par des clauses spécifiques dans l'accord principal entre les parties qui constituaient également des restrictions de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1, à savoir :
- la clause 6 (1) qui obligeait SES à consulter BT pour fixer le prix demandé aux clients britanniques pour l'utilisation de la capacité de répéteur sur le satellite Astra,
- la clause 5 (2) qui obligeait BT à ne pas offrir des conditions plus favorables pour l'utilisation de satellites de télédiffusion autres qu'Astra.
Ces deux dispositions permettaient d'aligner les conditions d'utilisation de la capacité de répéteur sur le satellite Astra et sur tous les satellites sur lesquels BT louait de la capacité : la clause 6 (1) assurait cet alignement pour la capacité sur d'autres satellites existants et la clause 5 (2) pour la capacité future sur d'autres satellites. Même si la clause 5 (2) faisait référence aux satellites Eutelsat II, c'était uniquement à titre d'exemple, et l'obligation faite à BT de ne pas pratiquer de discrimination à l'égard du satellite Astra par sa politique de prix ou par d'autres politiques s'étendait à tous les autres satellites de télédiffusion. Ces arrangements impliquaient une coordination des prix globale et poussée entre les deux parties et privaient les clients d'une source nouvelle et différente de fourniture de capacité de répéteur au Royaume-Uni.
Cet alignement était d'autant plus grave que, indépendamment de son rôle dans Eutelsat, BT était également un concurrent potentiel direct de SES : vu sa situation financière ainsi que son savoir-faire technique et commercial dans le secteur des satellites, BT ne rencontrerait aucune entrave pour accéder d'une manière indépendante au marché de l'exploitation des satellites ; le fait que, jusqu'à présent, elle n'ait pas souhaité le faire, ce dont elle tire argument pour confirmer qu'elle n'était pas un nouvel arrivant potentiel sur ce marché, est une constatation purement subjective qui ne peut pas être valablement retenue pour évaluer la concurrence potentielle.
En outre, les restrictions concernant la fourniture de capacité de répéteur s'étendaient au-delà :
1) des répéteurs couverts par l'accord entre BT et SES ;
2) du Royaume-Uni
et
3) du satellite Astra lui-même :
Ad 1. et 2. : La clause 6 (4) prévoyait que tous les programmes originaires du Royaume-Uni devaient être commercialisés par l'intermédiaire de l'entreprise commune avec BT et que SES ne chercherait pas à détourner des programmes originaires du Royaume-Uni en vue de leur transmission par liaison montante en dehors de ce pays.
Comme le précisait l'une des lettres annexes, SES devait également s'abstenir d'inciter les fournisseurs de programmes à préparer leurs programmes de langue anglaise dans des studios situés en dehors du Royaume-Uni. Au cas où des clients auraient utilisé des studios à l'étranger, la clause 6 (5) selon laquelle ceux qui utilisaient une liaison montante à partir du Royaume-Uni en dehors de l'entreprise commune ne pouvaient bénéficier de conditions plus favorables que celles faites aux clients de l'entreprise commune, garantissait qu'il n'y aurait aucun avantage à court-circuiter cette dernière.
Ad 3. : La clause 6 (6) obligeait SES à ne pas utiliser de répéteurs sur des satellites autres que le satellite Astra IA pour les programmes préparés au Royaume-Uni ou transmis par liaison montante à partir de ce pays tant que des répéteurs couverts par l'accord instituant l'entreprise commune resteraient disponibles.
2. Restrictions sur le marché des liaisons montantes
(17) Les fournisseurs de programmes britanniques qui souhaitaient louer de la capacité de répéteur sur le satellite Astra étaient obligés de passer par l'entreprise commune. Si, en théorie, ils auraient pu s'adresser à un opérateur agréé autre que BT, l'obligation faite à SES de veiller à ce que l'on utilise la liaison montante de BT vers les répéteurs [clause 6 (5)] et le fait que BT recevait la commission de 10 %, quel que soit l'opérateur agréé auquel Astra louerait en définitive le répéteur pour qu'il soit mis ensuite à la disposition de clients, signifiaient que, en réalité, BT était le partenaire contractuel que les fournisseurs de programmes trouvaient comme interlocuteur pour accéder à Astra. Conformément à la clause 3 (1), le service offert aux clients par l'opérateur agréé comprenait le ou les répéteurs et la liaison montante. Du fait des conditions plus favorables qui leur étaient faites s'ils optaient pour des locations de longue durée, la plupart des clients (ils représentaient huit des neuf répéteurs loués au 1er décembre 1989) signaient des contrats de dix ans avec BT. Les accords comportaient les restrictions suivantes :
Restrictions entre les parties
- Concurrence pour les services de liaison montante entre les parties : BT et SES sont des concurrents directs sur le marché des liaisons montantes puisqu'elles sont toutes deux autorisées à fournir des services de liaison montante. Même si les autorisations de BT et de SES ne concernaient que leurs territoires nationaux respectifs, les fournisseurs de programmes quant à eux ne sont pas liés par des frontières nationales et pouvaient soit transmettre leurs programmes par des moyens classiques ou d'autres moyens vers un autre territoire en vue d'une liaison montante ou installer des studios là où les conditions sont les plus favorables. Lors de l'audition, SES a confirmé que quatre chaînes de télévision allemandes étaient transmises par liaison montante à des satellites autres qu'Astra en Allemagne, renvoyées par liaison descendante au Luxembourg puis retransmises par liaison montante vers le satellite IA par SES. "RTL-4", anciennement "RTL-Véronique", chaîne essentiellement tournée vers une audience néerlandophone, a installé un studio à Luxembourg pour permettre une liaison montante directe par SES vers Astra IA.
Néanmoins plusieurs clauses de l'accord principal entre BT et SES éliminaient toute concurrence réelle entre elles en ce qui concerne le service de liaison montante : la clause 5 (1) obligeait BT à consulter SES pour fixer le prix de l'élément liaison montante, la clause 5 (2) obligeait BT à ne pas demander des droits de liaison montante moins élevés en cas de services de liaison montante vers d'autres satellites, par exemple les satellites Eutelsat II, et les clauses 6 (4) et 6 (5) visaient à empêcher SES d'inciter les fournisseurs de programmes à utiliser ses installations de liaison montante à Luxembourg en offrant des conditions commerciales préférentielles, soit pour la capacité de satellite, soit pour les services de liaison montante.
Les deux parties ont prétendu que ces dispositions étaient sans conséquences pratiques étant donné que de toute façon les fournisseurs de programmes au Royaume-Uni n'auraient pas été intéressés par une liaison montante par SES au Luxembourg, soit après transmission du Royaume-Uni, soit directement au cas où ils auraient transféré leurs studios de télévision à Luxembourg. Des mouvements transfrontières sur le marché des liaisons montantes sont cependant possibles comme le montre le cas des chaînes de télévision allemandes et néerlandaise mentionné plus haut. Les dispositions de l'accord instituant l'entreprise commune et notamment la lettre annexe à la clause 6 (4) visaient précisément à empêcher ce type de mouvements et ne peuvent pas, comme le prétendent les parties, ne pas avoir eu de signification pratique. En fait, BT a confirmé par la suite que les restrictions imposées à SES pour ses activités de liaison montante à Luxembourg avaient été insérées parce qu'"il y avait lieu de craindre du dumping sur les prix des liaisons montantes, ce qui fausserait la décision d'une compagnie de télévision agissant rationnellement du point de vue économique... Le Luxembourg aurait pu avoir intérêt, vu l'éloignement géographique de la plupart de ses clients, à faire payer cette capacité (de liaison montante) à un tarif anormalement bas".
Restrictions vis-à-vis de tiers
- Exclusion d'autres fournisseurs (potentiels) de liaisons montantes : le fait que, dans le cadre de l'entreprise commune, la plupart des fournisseurs de programmes ayant signé les contrats clients de BT se trouvent liés à cette dernière pour les services de liaison montante durant une période de dix ans, signifie que les autres opérateurs britanniques agréés se voient absolument privés pendant dix ans de toute possibilité de fournir ces services en ce qui concerne le satellite Astra qui, trois ans encore après la conclusion des accords, était le seul satellite européen de puissance moyenne. De plus, selon la clause 6 (6), SES ne pouvait pas utiliser de répéteurs sur d'autres satellites (par exemple Astra IB) pour des programmes originaires du Royaume-Uni ou transmis au satellite depuis le Royaume-Uni tant que l'un des répéteurs couverts par les accords instituant l'entreprise commune était disponible. En outre, jusqu'à l'instauration des accords SAO mentionnés plus haut au considérant 5 point 2, les autres fournisseurs de liaisons montantes n'avaient pas accès à la capacité de secteur spatial d'Eutelsat ou d'Intelsat.
- Limitation du choix du client : les clients britanniques désireux de diffuser par l'intermédiaire d'Astra étaient obligés d'accepter le service de liaison montante fourni par BT alors qu'ils auraient pu ou peuvent bénéficier de conditions plus favorables ailleurs. La non-dissociabilité du service de liaison montante de BT et de la capacité de satellite sur Astra se trouvait encore aggravée par le fait que, selon les contrats clients, la plupart de ces derniers étaient obligés de payer un montant global couvrant les deux éléments du contrat ; ne connaissant pas les prix demandé respectivement pour la liaison montante et pour la capacité de répéteur, ils n'étaient pas en position de négocier les conditions qui leur étaient imposées.
3. Effet sensible sur les échanges entre les Etats membres
(18) Pour les raisons qui viennent d'être indiquées, les accords ont entraîné de graves restrictions de concurrence qui, vu l'importance des parties en présence, y compris de clients, ont été appréciables. Etant donné la nature même du service en question et le fait que les clauses individuelles visaient à décourager ou à empêcher les activités transfrontières, tant sur le marché des répéteurs que sur celui des liaisons montantes, le commerce entre Etats membres s'est trouvé affecté et l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE est donc applicable.
B. Article 85 paragraphe 3
(19) Pour que la Commission puisse déclarer inapplicable, en vertu de l'article 85 paragraphe 3, l'interdiction énoncée à l'article 85 paragraphe 1, les conditions prévues à l'article 85 paragraphe 3 doivent toutes être remplies. Premièrement, l'accord restrictif doit se traduire par certains avantages en termes d'amélioration de la production ou de la distribution, ou de promotion du progrès technique ou économique, qui compensent ses inconvénients sur le plan de la concurrence.
Comme argument général, les parties ont invoqué le fait que les restrictions de concurrence résultant de leur coopération étaient compensées par les avantages qui en découlaient, en termes de progrès économique, par la fourniture de services de télévision par satellite et donc par l'amélioration de la distribution. Il faut reconnaître en effet qu'Astra, premier satellite privé de télédiffusion internationale à concurrencer les satellites Intelsat et Eutelsat et en outre premier satellite de puissance moyenne, a contribué à renforcer la concurrence sur le marché de la télédiffusion par satellite. Néanmoins, de l'avis de la Commission, ces avantages résultaient de l'existence du satellite Astra en tant que tel et non des accords pris entre BT et SES en vue de sa commercialisation et de son exploitation. La question est donc de savoir si SES aurait pu pénétrer sur le marché avec le satellite Astra IA indépendamment des accords avec BT ou bien, comme les parties l'ont prétendu, si ces accords étaient indispensables pour permettre à un nouveau concurrent des systèmes Eutelsat et Intelsat existants de réussir sa percée sur ce marché.
(20) Les parties n'ont pas prétendu que SES avait besoin de coopérer avec BT pour surmonter les premières difficultés auxquelles se trouvent confrontés les nouveaux arrivants dans ce secteur, à savoir les coûts élevés que représentent l'acquisition du satellite lui-même et son lancement. Ces coûts, SES était en mesure de les assumer elle-même et elle a même indiqué qu'elle ne souhaitait pas entrer sur le marché de la fourniture de capacité de satellite pour la transmission de chaînes de télévision en s'associant avec un partenaire. Néanmoins, les caractéristiques particulières de ce marché constituaient des obstacles à l'entrée qui amenèrent SES à conclure qu'ils ne pourraient être surmontés que par des accords avec BT.
(21) Plus précisément, les parties ont fait valoir que, pour pouvoir exploiter la demande au Royaume-Uni, SES n'avait pas d'autre alternative que de constituer une entreprise commune avec BT. En effet :
- la situation de BT en tant que signataire britannique d'Eutelsat permettait à SES d'obtenir l'agrément d'Eutelsat pour l'exploitation du satellite ; Eutelsat exige deux signataires pour entamer la procédure de coordination de sorte que SES avait besoin d'un autre signataire à côté des PTT luxembourgeoises qui appuyaient la société basée à Luxembourg. Compte tenu des considérations touchant aux programmes de langue anglaise (considérant 6) et de l'intérêt apparent de BT pour la fourniture de services de liaison montante, BT a été retenue,
- la situation de BT qui, au moment où les accords ont été pris, était le seul fournisseur effectif de liaison montante au Royaume-Uni, assurait aux clients potentiels qu'il n'y aurait pas de problème pour obtenir la liaison montante nécessaire vers le satellite Astra.
S'il est fort possible que à cette époque, ces considérations aient amené SES à de telles conclusions, elles ne constituent pas des raisons objectives valables pour justifier les accords restrictifs entre les parties.
(22) Les parties ont fait valoir, que bien que la convention Eutelsat ne comporte pas de dispositions à cet effet, SES exigeait un second signataire pour entamer avec succès la procédure de coordination d'Eutelsat. Il a également été établi que, plus d'un an avant la conclusion de l'accord principal, BT avait offert de contribuer au succès commercial du système de satellite Astra alors envisagé par SES en faisant notamment office de second signataire, comme cela était exigé. BT avait clairement fait savoir que cette assistance serait fournie dans le cadre d'un accord entre BT et SES. On peut donc comprendre que SES, comme elle l'a indiqué dans sa réponse à la communication des griefs de la Commission, ne s'attendait pas à ce que BT fournisse ses services de signataire sans une certaine forme de compensation.
Aucune raison objective cependant ne justifiait que l'on impose à SES un partenariat en contrepartie de l'assistance fournie par BT dans la procédure de coordination. L'article XVI de la convention Eutelsat stipule simplement qu'un signataire qui est informé qu'une personne relevant de sa juridiction se propose d'utiliser des équipements de secteur spatial distincts de ceux d'Eutelsat doit fournir tout renseignement pertinent pour permettre aux parties de décider s'il existe ou non la possibilité qu'un préjudice considérable soit causé à Eutelsat. Cette disposition n'impose en aucune manière au signataire engagé dans la procédure de coordination de passer sous une forme ou sous une autre un accord de coopération avec les candidats à l'entrée sur le marché, de même qu'il n'existe dans la convention ou dans l'accord d'exploitation aucune autre disposition dans ce sens. En fait, comme indiqué plus haut au considérant 8 point 10, le directeur général d'Eutelsat a déclaré qu'il n'avait pas connaissance des arrangements entre BT et SES. En d'autres termes, lorsque BT était informée que des clients étaient intéressés par le satellite Astra au Royaume-Uni, ce seul fait entraînait pour elle l'obligation de coordination prévue à l'article XVI ; BT a présenté une correspondance avec des fournisseurs de programmes bien antérieure à la conclusion de l'accord avec SES, dans laquelle cet intérêt se trouvait clairement exprimé. Dans une lettre datée du 9 octobre 1986, un fournisseur de programmes informait "officiellement" BT en tant que signataire de la convention Eutelsat pour le Royaume-Uni, de "l'intérêt très réel qu'il portait à l'utilisation d'Astra" et exprimait sa préoccupation que BT n'ait pas signalé cet intérêt lors de la précédente réunion d'Eutelsat.
SES a signalé que, conformément à la déclaration d'OFTEL sur la constitution du SAO (considérant 5 point 2), BT a droit à une rétribution équivalant à 7 % de la redevance de secteur spatial pour couvrir le coût de ses services en tant que signataires ; SES a comparé cette rétribution à la commission de 10 % versée à BT dans le cadre des accords notifiés. La déclaration d'OFTEL ne peut pas cependant être utilisée comme point de référence dans cette affaire parce qu'elle se réfère à des situations où BT agit comme intermédiaire pour des candidats demandeurs de capacité de secteur spatial sur les satellites Eutelsat (et Intelsat), ce qui suppose une gamme d'activités de signataire bien plus large que sa participation à la seule procédure de coordination. En outre, les accords entre BT et SES allaient bien au-delà du simple paiement de la commission de BT et ont entraîné les restrictions de concurrence importantes dont il est fait état ci-dessus aux considérants 12 et suivants.
En tout état de cause, tout accord conclu dans le but de faciliter ou de respecter une procédure qui prévoit que l'entrée de nouveaux concurrents est subordonnée à l'approbation de participants concurrents ne peut pas bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3, qui fixe comme condition l'existence d'avantages objectifs tels que l'amélioration de la production, de la distribution ou les progrès techniques ou économiques.
(23) La Commission ne peut pas considérer que les accords entre BT et SES étaient indispensables pour garantir aux fournisseurs de programmes au Royaume-Uni que les services de liaison montante nécessaires leur seraient fournis par BT qui, à cette époque, était le seul fournisseur de fait de tels services pour la télédiffusion par satellite au Royaume-Uni.
De l'avis de la Commission, BT était tenue, à la fois par les conditions 1 et 5 de l'autorisation qui lui avait été délivrée sur la base de la loi de 1984 sur les télécommunications et par le droit communautaire, notamment l'article 86, de fournir les services de liaison montante sans exiger de participer à la location aux clients de répéteurs sur le satellite de SES, et donc de recevoir une commission de 10 % qui était déduite des recettes de SES pour la location de la capacité de satellite.
Dans sa réponse à la communication des griefs de la Commission, SES a fait valoir que, au moment où les accords avaient été pris, il était "loin d'être évident" qu'elle pouvait être certaine que BT, dans le cadre de son autorisation, serait dans l'obligation de fournir des services de liaison montante. Elle faisait remarquer que la décision d'OFTEL dans l'affaire PanAmSat, qui établissait que les obligations de BT prennent naissance dès que celle-ci reçoit une demande d'une personne au Royaume-Uni pour un service donné, à condition que le client soit disposé à payer un prix raisonnable, n'avait pas été prise avant mars 1988. En outre, SES faisait valoir que, même si la position d'OFTEL sur ce point avait été claire durant la période qui avait précédé la conclusion de l'accord de décembre 1987 instituant l'entreprise commune, BT n'aurait probablement pas été obligée de construire une station terrienne si les clients n'avaient pas déjà passé des contrats pour la fourniture de ce service.
Il n'est pas possible d'accepter les arguments de SES. Premièrement, si les obligations imposées à BT dans le cadre de son autorisation n'étaient pas claires au moment aù SES devait donner aux clients l'assurance qu'ils pouvaient compter sur la liaison montante vers le satellite Astra, ce n'est pas en passant des accords restrictifs avec BT que la situation se serait trouvée clarifiée. PanAmSat qui avait réellement connu des difficultés pour obtenir des services de liaison montante de BT n'avait pas constitué une entreprise comune avec celle-ci mais s'était plainte à OFTEL. SES cependant n'a jamais essayé de trancher ce problème. Bien avant que les accords aient été pris entre les parties, BT avait été en correspondance avec des fournisseurs de programmes qui manifestaient un intérêt évident dans le satellite Astra IA ; en octobre 1986, un client potentiel pour Astra avait "officiellement" informé BT "de l'intérêt très réel" qu'il portait à l'utilisation d'Astra (considérant 22) même sur la base de possibilités restreintes de réception descendante dans les pays d'Europe du Nord. Etant donné que, à cette époque, il n'y avait pas d'autres fournisseurs de liaisons montantes pour la distribution de télévision, tous les services de liaison montante du Royaume-Uni vers le satellite Astra IA reviendraient nécessairement à BT. Toutefois, avant que ces clients aient pu concrétiser cet intérêt par des engagements suffisamment fermes pour faire naître l'obligation pour BT d'assurer la liaison montante (selon la condition 53.6 de l'autorisation de BT, il n'est pas nécessaire que le contrat ait été réellement passé), les accords entre BT et SES avaient déjà été mis sur pied. Là encore, la question n'avait pas été mise à l'épreuve des faits. En outre, on ne voit pas bien pourquoi simplement du fait de l'accord d'entreprise commune avec SES, BT a décidé que la construction d'une station terrienne spécifique se justifiait ; BT elle-même a déclaré qu'elle avait installé un "nouveau terminal spécifique assurant les liaisons montantes vers le satellite Astra IA... avant de s'être assuré une clientèle pour des services sur le satellite Astra IA".
Enfin, l'investissement financier de BT dans ces installations représentait environ 3 % de l'ensemble des dépenses engagées par SES pour la construction et le lancement du satellite. Certains accords bien moins restrictifs que l'accord d'entreprise commune devaient pouvoir permettre à BT d'être certaine de récupérer cet investissement.
En ce qui concerne à cet égard le droit communautaire, il doit être clair, sur le plan des principes généraux, que dans le secteur des télécommunications, caractérisé par des activités qui ne peuvent être exercées que par des opérateurs qui, comme BT, ont été agréés à cet effet, les participants au marché doivent avoir librement accès aux services fournis dans le cadre d'une autorisation, et cette fourniture ne peut pas être subordonnée à ce que les entrants sur le marché passent des accords restrictifs avec l'opérateur agréé. Le fait que SES n'était pas sûre que la législation communautaire soit suffisante pour obliger BT à fournir les services de liaison montante ne justifie pas la solution pour laquelle elle a finalement opté. Là encore, SES n'a pas soumis la question à l'épreuve des faits.
(24) Les parties ont été informées d'emblée que, sur la base des arguments précités concernant la coordination Eutelsat et les services de liaison montante, les conditions énoncées à l'article 85 paragraphe 3 ne semblaient pas remplies. Elles ont alors complété leurs arguments en faveur des accords en faisant valoir :
- les avantages d'un contrat client global couvrant à la fois la liaison montante et la capacité de répéteur,
- la nécessité d'associer BT à la prospection de clients au Royaume-Uni pour Astra IA.
(25) Selon les parties, un contrat client unique comprenant le service de liaison montante et la capacité de satellite conférait à une entité, BT, la responsabilité exclusive pour la totalité du service. Pour le client, ceci avait l'avantage non seulement d'être pratique, mais aussi de permettre une solution plus rapide aux problèmes techniques ; grâce à cet accord global, BT prendrait très certainement des mesures pour remédier à des dégradations de la qualité des signaux, quelle que soit leur origine, par exemple en renforçant le signal de liaison montante pour compenser un signal de liaison descendante plus faible, défaillance qui, sinon, n'aurait pas relevé de sa responsabilité. S'il y avait deux contrats distincts, l'opérateur de la liaison montante (BT) et le fournisseur de satellite (SES) se borneraient à assumer leurs seules responsabilités si bien qu'il n'y aurait aucun contrôle d'ensemble du service. Aucun des deux ne serait disposé à intervenir tant que l'on n'aurait pas établi sur quelle partie de la chaîne de transmission se trouvait la défaillance.
(26) La Commission estime cependant qu'aucune raison n'a permis d'expliquer pourquoi un contrat global présente des avantages techniques que n'offriraient pas deux contrats distincts. En fait, les considérations suivantes infirment une telle argumentation.
a) Pour fournir des services de liaison montante, un opérateur comme BT doit disposer d'une autorisation. En contrepartie de ce privilège, l'opérateur agréé doit veiller, dans la mesure où il le peut, à ce que les service parvienne au téléspectateur sous la forme d'une réception claire et continue des programmes de télévision sur son écran. Si le fournisseur de liaisons montantes est capable d'influer sur la qualité du produit fini reçu par le téléspectateur, il doit, de l'avis de la Commission, faire tout ce qui est nécessaire à cet égard. S'il s'avère par la suite que des défaillances sur certaines parties de la chaîne de transmission, défaillances dont il n'est pas directement responsable, ont nécessité, de sa part, des efforts supplémentaires, il a bien évidemment droit à être indemnisé par l'entité responsable de cette défaillance ;
b) prétendre, comme le font les parties, que des contrats distincts tendraient à retarder les solutions destinées à remédier aux problèmes de signaux, c'est ignorer le fait que, même dans le cadre d'un contrat global, toute partie qui s'avérera responsable de la défaillance le sera également vis-à-vis de l'autre pour une perte éventuelle de recettes. Il est donc directement dans l'intérêt de chaque partie de détecter des défaillances et d'y remédier immédiatement afin de limiter par la suite leur responsabilité potentielle. Cet intérêt n'est en aucune manière lié à l'existence d'un contrat global ;
c) la déclaration du directeur général d'OFTEL concernant le satellite indépendant PanAmSat (considérant 23) fait référence à la clause 35 de l'autorisation de BT qui comporte une interdiction générale des ventes liées. Le directeur général fait remarquer que, bien que dans le cas des satellites Intelsat (et le même raisonnement s'appliquerait en ce qui concerne Eutelsat), les utilisateurs n'aient aucun accès direct au secteur satellite et que BT en tant que signataire soit autorisée à fournir à la fois la liaison montante et le secteur satellite, cet argument ne tiendrait plus "avec l'arrivée de systèmes de satellites indépendants... et la dissociation serait nécessaire". "S'il y avait un autre système de satellite,... les clients pourraient librement s'entendre avec l'opérateur du satellite indépendant". Nulle part, dans les remarques du directeur général, on ne trouve la mention d'une raison technique pour laquelle la liaison montante et le secteur satellite devraient être fournis par la même entité.
La position de la Commission a été confirmée par les fournisseurs de programmes utilisateurs du satellite Astra IA. Les utilisateurs totalisant ensemble le plus grand nombre de répéteurs loués ont tous nié que l'existence d'un contrat global présentait des avantages techniques. Pour illustrer le caractère fallacieux de l'argument selon lequel BT serait le seul interlocuteur pour les clients en cas de problèmes, les fournisseurs de programmes ont cité le cas d'un incident technique survenu au printemps de 1989. Après avoir pris contact avec BT qui était directement responsable des contrats clients, un fournisseur de programmes s'est vu conseiller de prendre contact avec SES pour résoudre le problème tandis qu'un autre a indiqué que lui aussi avait par la suite discuté du problème directement avec SES parce que BT avait tardé à s'occuper de la question.
(27) Pour défendre ces contrats globaux, les parties ont également fait valoir qu'il est contractuellement efficace de négocier un seul contrat couvrant un service complet plutôt que d'engager des négociations séparées pour chaque élément de ce service. En outre, un client couvert par un contrat unique comprenant à la fois la liaison montante et la capacité de répéteur est mieux placé pour s'assurer une indemnisation en cas de défaillance. Par exemple, si la défaillance dans le service de liaison montante est imputable à la faute de BT, ce client bénéficiera d'une remise pour la partie satellite du service ainsi que pour la liaison montante. Avec deux contrats distincts, il n'est pas certain qu'une des parties accorderait une remise pour la défaillance constatée dans le service fourni par l'autre.
De l'avis de la Commission, l'efficacité potentiellement offerte par la négociation de contrats uniques n'en compense pas les inconvénients, tant pour les clients qui se trouvent devant des services liés que pour les concurrents ainsi privés de la possibilité de les offrir. En ce qui concerne l'indemnisation pour défaillance, les arrangements contractuels prévus dans le cas de contrats distincts devraient bien évidemment comporter des dispositions garantissant aux clients qu'ils ne seraient pas tenus de payer pour un service "A" dont ils n'ont par pu bénéficier non par faute de leur part mais parce qu'une tierce entité fournissant un service "B" dont dépend l'exécution du service "A" n'a pas fourni ce service "B" d'une manière satisfaisante ou ne l'a pas fourni du tout.
(28) En conclusion, la Commission considère que le contrat global n'apporte aucun avantage justifiant les accords entre les parties. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a apris en considération les vues exprimées par les quatre fournisseurs de programmes utilisant le satellite Astra IA par le biais des contrats clients conclus avec BT :
1) Le fournisseur de programme "X" qui louait plusieurs répéteurs sur Astra IA a déclaré : "Le principal problème soulevé lors de la réunion [avec les fonctionnaires de la Commission] est le mécontentement que cause à "X" le "lien" des services dans son accord avec... BT..."... "Le manque de transparence de l'opération consistant à lier la liaison montante et répéteurs est une objection majeure" ; "X" a passé l'accord avec BT uniquement parce qu'il n'avait pas d'autre choix... La raison en est que BT a obtenu des droits d'exclusivité pour commercialiser un certain nombre de répéteurs sur le satellite Astra auprès de clients britanniques" ; "En tant qu'acheteur, "X" aurait préféré traiter avec SES".
2) Le fournisseur de programmes "Y" a indiqué qu'il aurait préféré deux contrats parce qu'il aurait alors été possible de négocier des prix différents. Plusieurs mois avant de signer finalement un contrat avec BT pour deux répéteurs sur Astra IA, "Y" a écrit à OFTEL au sujet "des très grandes difficultés que nous avons à obtenir des offres de prix compétitives pour la fourniture de capacité de satellite de puissance moyenne..." ; "avec d'autres sociétés de télévision diffusant par satellite nous avons invité Intelsat et SES Astra à nous faire des offres pour la fourniture d'une telle capacité. Ces deux organisations nous ont informés que nous devons traiter avec British Telecom International" ; "Ce qui aggrave encore les choses pour nous c'est que BTI exige dans le cadre du contrat concernant la capacité de satellite que nous utilisions leur station terrienne de Woolwich pour la liaison montante. Nous estimons qu'ils profitent de leur monopole pour faire une vente liée".
3) Le fournisseur de programme "Z" a déclaré qu'"il était apparu qu'il valait mieux traiter avec une personne pour l'ensemble du contrat et du service". Lorsqu'elle a étudié cette déclaration, la Commission a pris en considération :
- le fait que les raisons de cette opinion n'ont pas été fournies ; en ce qui concerne l'avantage technique d'avoir affaire à une seule entité, la première réaction de "Z" à la question de savoir qui il contacterait en cas de problème a été SES,
- le fait que BT détenait 25 % du capital de "Z" au moment où le contrat client a été signé ; toutes les décisions importantes, telles que les locations de répéteurs, ont été prises à l'unanimité par les trois actionnaires.
4) Le fournisseur de programme "Q" est une société non britannique qui, déjà avant l'arrivée d'Astra IA, avait été obligée d'installer ses studios à Londres parce qu'il n'était pas certain que l'OT sur son propre territoire fournirait les services de liaison montante vers la capacité de secteur spatial d'Intelsat, service que BT acceptait de fournir. "Q" a déclaré que comme "il avait déjà installé ses transmissions à Londres, British Telecom était la seule à pouvoir fournir de la capacité sur Astra". Bien que "Q" cite certains avantages procurés par un contrat global, la première chose prise en considération semble avoir été que la capacité sur Astra ne pouvait être obtenue que par l'intermédiaire de BT ; les avantages cités par "Q" n'avaient d'ailleurs jamais été à l'épreuve des faits.
Les parties ont prétendu que, à cette époque, les clients n'étaient pas intéressés par une dissociation des services et que les déclarations faites par les fournisseurs de programmes maintenant que les conditions du marché ont changé ne reflètent pas nécessairement ce qu'ils demandaient au moment de la conclusion des accords. Il est vrai que la Commission n'a pas trouvé de preuve de demandes écrites de clients à BT et à SES pour des services distincts non liés. Comme BT l'a toutefois déclaré durant la procédure, elle avait eu des discussions orales concernant Astra IA avec des fournisseurs de programmes avant la conclusion des arrangements avec SES, mais ces discussions n'étaient attestées par aucune correspondance archivée. Cependant, dans une lettre envoyée à OFTEL, déjà citée au point 2, un fournisseur de programmes déclare que lui-même, ainsi que d'autres fournisseurs, s'étaient directement adressés à SES pour la fourniture de capacité de satellite mais qu'on les avait renvoyés vers BT, comme étant l'organisme avec lequel traiter. En tout état de cause, les clients se seraient nécessairement vu refuser la dissociation des services étant donné la clause 3 (1) de l'accord principal stipulant que "le service offert aux clients comprend les répéteurs couverts par le présent accord et en outre la liaison montante".
SES a déclaré que, en choisissant des contrats à long terme, les clients ont montré qu'ils n'étaient pas lésés par le service lié. De l'avis de la Commission cependant, c'était davantage l'économie de jusqu'à 50 % qu'ils pouvaient réaliser en optant pour un contrat à long terme qui les incitait à ce choix.
(29) Sur le plan de la commercialisation, les parties ont fait valoir que la mise en commun de leur savoir-faire, de leurs ressources et de leur expérience respectives était nécessaire pour promouvoir l'utilisation du satellite Astra. BT qui avait une expérience de plusieurs années de la commercialisation et de la fourniture de services de satellite aux fournisseurs de programmes de télévision au Royaume-Uni était chargée de la prospection des clients tandis que les responsabilités commerciales de SES étaient axées sur la promotion du côté "détail" à savoir les fabricants d'équipements et les téléspectateurs.
La Commission ne pense pas que SES n'aurait pas pu trouver elle-même de clients au Royaume-Uni, sans les efforts commerciaux de BT. Le nombre total de fournisseurs de programmes de télévision intéressés par la diffusion par satellite au Royaume-Uni était de moins de dix au moment de la création de l'entreprise commune et il n'y a apparemment aucune raison pour que l'équipe commerciale de SES n'ait pas pu prospecter elle-même ces clients potentiels. En fait, un fournisseur de programmes a déclaré que le directeur commercial de SES assurait lui-même une promotion active du satellite Astra au Royaume-Uni, plusieurs années avant le lancement de celui-ci et la création de l'entreprise commune. SES a fait valoir que c'est avec l'aide de BT que ses premiers contacts avec les clients se sont traduits par des contrats fermes. Etant donné que les clients potentiels étaient informés déjà très tôt, bien avant que les premiers contrats clients aient été signés, qu'ils devaient traiter avec BT, il n'est pas possible de dire rétrospectivement si les clients estimaient que l'intervention de BT était indispensable à cet égard. Il convient cependant de remarquer que SES a vendu directement à des fournisseurs de programmes dans un certain nombre de pays les répéteurs non couverts par les accords concernant l'entreprise commune, et ce sans avoir besoin d'une entreprise commune avec l'organisation locale de télécommunications.
Enfin, la participation de BT à la vente de répéteurs sur le satellite Astra facilitait, il faut le reconnaître, le transfert sur Astra des clients de BT utilisant Eutelsat et Intelsat, grâce aux dispositions de l'accord sur l'entreprise commune relatives à la "double illumination" et à la résiliation anticipée des contrats clients existants. Néanmoins, plusieurs clients ont indiqué qu'ils pensaient que la réduction envisageable du tarif satellite, si BT n'avait pas participé au satellite Astra, aurait largement compensé les coûts supplémentaires qu'ils auraient dû assumer si la "double illumination" ne leur avait pas été fournie gratuitement.
(30) Les activités de commercialisation du côté "détail" déployées par SES sont la continuation de celles que, selon les parties, SES "avait déjà exercées sur une base paneuropéene, y compris au Royaume-Uni", et que de toute façon elle aurait poursuivies, même en l'absence des accords avec BT.
Conclusion
(31) Au vu de ce qui précède, la Commission a été amenée à conclure que, étant donné que les accords entre BT et SES :
- n'ont pas apporté d'améliorations et d'avantages sur le marché en question
et
- qu'ils n'étaient pas indispensables pour permettre à SES d'accéder au marché de la fourniture de capacité de secteur spatial,
les arrangements notifiés ne pouvaient pas bénéficier d'une exemption.
Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'examiner si les autres conditions énoncées à l'article 85 paragraphe 3 sont remplies.
C. Article 3 du règlement n° 17
(32) Aux termes de l'article 3 du règlement n° 17, si la Commission constate une infraction aux dispositions de l'article 85 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée. Ceci implique non seulement la résiliation des accords restrictifs de concurrence passés entre les parties, mais aussi l'élimination des effets restrictifs que comportent les contrats conclus avec des tiers sur base des accords restrictifs cités plus haut.
En l'espèce, les parties, après avoir été entendues conformément à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17, ont informé la Commission qu'elles mettaient fin au 30 janvier 1991 à leur accord sur l'entreprise commune ainsi qu'à divers accords et lettres complémentaires ; aux termes de l'accord mettant fin à l'entreprise commune, les contrats clients resteront en vigueur, la location des répéteurs se faisant directement de SES à BT et non plus par l'intermédiaire de l'entreprise commune ; à l'expiration de ces contrats, BT n'aura plus aucun droit sur les répéteurs en question ni sur d'autres répéteurs sur Astra IA ou Astra IB.
(33) La résiliation de l'accord instituant l'entreprise commune assure l'autonomie commerciale des parties pour l'avenir. Néanmoins, les contrats clients qui ont été passés par BT dans le cadre des accords relatifs à l'entreprise commune continuent à rester en vigueur conformément à la clause 5.1 (i) de l'accord conclu entre les parties au sujet de la cessation de l'entreprise commune sans aucune modification.
Ces contrats perpétuent les effets restrictifs résultant de l'accord instituant l'entreprise commune car les clients qui souhaitaient transmettre leurs programmes par le satellite Astra IA n'ont pas eu la possibilité de conclure des contrats séparés pour d'une part la liaison montante et d'autre part la location de la capacité de répéteur. De plus, les termes des contrats clients ont été déterminés par BT et SES dans le contexte des accords relatifs à l'entreprise commune, c'est-à-dire dans des conditions de concurrence faussée. Ceci ne veut pas dire que les contrats clients, de par leurs liens avec les contrats horizontaux restrictifs de concurrence, tombent également sous le coup de l'article 85 paragraphe 1. Cependant, les effets restrictifs que perpétuent ces contrats ne peuvent être éliminés que si l'on donne aux clients un droit de réajustement. Ils doivent, par conséquent, avoir le choix de rester liés par les contrats clients tels qu'ils ont été signés avec BT, de résilier ces contrats ou d'en renégocier les termes. A cette fin, et dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, BT et SES informeront les fournisseurs de programmes qui ont signé avec BT, avant le 30 janvier 1991, des contrats portant sur des services de télédiffusion internationale par le satellite Astra IA, que, dans les quatre mois qui suivront cette information, ils pourront, s'ils le désirent :
- renégocier les clauses du contrat
ou
- résilier celui-ci, moyennant un préavis raisonnable.
Les clients qui choisiront de renégocier ou de résilier les contrats doivent en tous cas être assurés que les services de liaison montante et l'utilisation de la capacité de répéteur continueront à leur être fournis sans interruption durant la période de transition.
Les contrats clients qui, selon le choix de ces derniers, restent applicables selon les conditions initiales, ne seront restrictifs de concurrence que s'ils aboutissent à l'exclusion des fournisseurs de liaisons montantes autres que BT. Cependant, en fonction des conditions actuelles du marché, notamment de la possibilité pour les fournisseurs britanniques de liaisons montantes d'accéder à la capacité de secteur spatial d'Eutelsat et d'Intelsat par l'intermédiaire du SAO et de l'existence de nouvelles capacités supplémentaires de secteur spatial, telles que celles de Astra IB, qui, entre-temps, sont devenues disponibles, une telle exclusion semble improbable. Si de nouveaux éléments devaient survenir, une procédure indépendante de celle qui a conduit à la présente décision pourrait s'imposer,
A ARRÊTE LA PRÉSENTE DÉCISION :
Article premier
L'accord principal du 17 décembre 1987 entre Société européenne des satellites SA et British Telecommunications plc et l'ensemble des lettres annexes et accords concernant les arrangements aux termes desquels les deux parties ont coopéré à la fourniture en commun d'un service de télédiffusion par satellite (désignés collectivement par "les accords") ont constitué une infraction à l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE jusqu'au 30 janvier 1991, date à laquelle ces accords ont été résiliés.
Article 2
Les accords mentionnés à l'article 1er ne peuvent pas bénéficier d'une exemption en application de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE pour la période durant laquelle ils ont été en vigueur.
Article 3
Dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de la présente décision, British Telecommunications plc (BT) et Société européenne des satellites SA (SES) informent par écrit les fournisseurs de programmes de télévision qui ont passé avec BT, avant le 30 janvier 1991, des contrats pour des services de télédiffusion par le satellite Astra IA, de la décision de la Commission et notamment des articles 1er et 2 de celle-ci, et leur signalent que, durant une période de quatre mois à compter de cette information, ces fournisseurs de programmes ont le droit, s'ils le désirent :
- de renégocier les clauses de ces contrats
ou
- de résilier ces contrats, moyennant un préavis raisonnable qu'ils doivent donner à BT qui doit à son tour informer sans délai SES qu'un tel préavis a été donné.
Lorsque la lettre visée au présent article est envoyée aux fournisseurs de programmes de télévision dans le délai d'un mois indiqué ci-dessus, une copie doit en être adressée en même temps à la Commission.
Article 4
a) British Telecommunications plc, British Telecom Centre, 81 Newgate Street, GB-London EC1A 7AJ
et
b) Société européenne des satellites SA, Château de Betzdorf, L-6815 Luxemburg
sont destinataires de la présente décision.
(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62.
(2) JO n° 127 du 20. 8. 1963, p. 2268/63.