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Décisions

TPICE, 2e ch., 30 novembre 1992, n° T-36/92

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Syndicat français de l'Express international, DHL International, Service Crie, May Courier

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Barrington, Biancarelli, Saggio, Briët

Avocat :

Me Morgan de Rivery.

TPICE n° T-36/92

30 novembre 1992

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Les faits à l'origine du recours

1. Le 21 décembre 1990, le Syndicat français de l'Express international (SFEI), syndicat professionnel régi par le droit français et qui regroupe dix entreprises de "courrier rapide" intervenant sur le territoire français, a saisi la Commission des Communautés européennes (ci-après "Commission") d'une plainte dénonçant des pratiques de la Société française de messagerie internationale (ci-après "SFMI").

2. La SFMI est une société anonyme de droit français. Il s'agit d'une entreprise commune entre, d'une part, Sofipost, qui détient 66 % du capital social, et, d'autre part, Transport Aérien Transrégional (TAT), qui en possède 34 %. Sofipost a succédé à Cogecom, filiale à 100 % de La Poste française.

3. La plainte dénonce l'assistance logistique et commerciale prétendument fournie à la SFMI par La Poste française. Au titre de l'assistance logistique, elle relève notamment la mise à disposition de l'ensemble des bureaux de poste, l'existence d'une procédure privilégiée de dédouanement et l'octroi de conditions financières privilégiées. Au titre de l'assistance commerciale, elle fait état, d'une part, du transfert d'éléments du fonds de commerce, qui consisterait lui-même en un transfert de clientèle et en un apport d'achalandage, et, d'autre part, de l'existence d'opérations de promotion et de publicité, effectuées par La Poste en faveur de la SFMI.

4. En réponse à cette plainte, la Commission a, le 10 mars 1992, en premier lieu, au titre de l'article 92 du traité, avisé le plaignant, par lettre n° 06873, de la "décision des services compétents de clotûrer ... le dossier". Par requête enregistrée au greffe de la Cour le 16 mai 1992 (affaire C-222-92, ordonnance du 18 novembre 1992, JO C 13 du 19.1.1993), le plaignant ainsi que trois des dix entreprises membres du syndicat professionnel ont formé un recours en annulation de cette décision. Par lettre du 9 juillet 1992, la Commission a fait savoir aux requérants qu'elle avait procédé au retrait de cette décision.

5. En second lieu, par lettre n° 000978, également datée du 10 mars 1992, elle a fait savoir aux requérants qu'elle n'envisageait pas de poursuivre son enquête au titre de l'article 86, même si elle s'engageait à surveiller de près l'évolution du marché considéré.

6. Le paragraphe conclusif de cette lettre est ainsi libellé :

"While we do not propose to pursue enquiries under Article 86 in these circumstances, I can assure you that we shall maintain a close watch on developments in this market. In a separate letter we are informing you of the outcome of our consideration of the linked case presented under the State aids rules" ("Dans ces circonstances, même si nous n'envisageons pas de poursuivre notre enquête au titre de l'article 86, je peux vous assurer que nous continuerons à surveiller de près l'évolution de ce marché. Nous vous informons par lettre séparée de la solution concernant le cas joint présenté dans le cadre des aides d'Etat").

Les conclusions des parties et la procédure

7. Par requête déposée le 16 mai 1992, le plaignant et trois entreprises adhérentes du syndicat professionnel, DHL International, Service Crie et May Courier, ont formé un recours tendant à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours recevable et fondé ;

- annuler la décision de la Commission prise par la lettre n° 000978 du 10 mars 1992 ;

- condamner la Commission aux dépens.

8. Par mémoire du 17 juin 1992, la Commission a, au titre de l'article 114 du règlement de procédure, soulevé une exception d'irrecevabilité. A cette fin, la Commission demande au Tribunal de :

- déclarer le recours irrecevable ;

- condamner les requérants aux dépens de l'instance.

9. Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, déposées le 31 juillet 1992, les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission ;

- condamner la Commission aux dépens ;

- poursuivre l'examen de l'affaire quant au fond.

10. Le 1er octobre 1992, la Deutsche Bundespost Postdienst, GD Net BV, PTT Post BV, Sweden Post et La Poste ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

11. Le 10 novembre 1992, les requérants ont présenté des observations tendant au rejet des demandes en intervention et à la condamnation des demandeurs en intervention aux dépens, "en ce et y compris le paiement des honoraires d'avocat des requérants pour ce qui concerne les observations de ceux-ci relatives aux demandes d'intervention".

12. Au soutien de l'exception qu'elle soulève, la Commission se prévaut de trois fins de non-recevoir. Elle soutient :

- en premier lieu, que, faute de présenter un caractère décisionnel, la lettre n° 000978 du 10 mars 1992 ne fait pas grief ;

- en second lieu, que la correspondance attaquée ne peut être interprétée comme un refus d'agir par voie de décision, dans les conditions prévues à l'article 90, paragraphe 3, du traité CEE ;

- en dernier lieu, que un au moins des requérants, à savoir le syndicat professionnel, n'a pas intérêt à agir, ou, à tout le moins, n'a pas qualité pour ce faire.

13. Il y a lieu, pour le Tribunal, de statuer sur les fins de non-recevoir ainsi soulevées, dans les conditions prévues à l'article 114, paragraphes 3 et 4, du règlement de procédure. En l'espèce, le Tribunal estime, d'une part, qu'il est suffisamment éclairé par l'examen des pièces du dossier et qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure orale et, d'autre part, qu'il convient d'examiner en premier lieu la fin de non-recevoir tirée de ce que l'acte attaqué ne présenterait pas le caractère d'une décision susceptible d'affecter la situation juridique des requérants.

Sur la fin de non-recevoir tirée de ce que la correspondance attaquée ne serait pas susceptible de produire des effets juridiques

Argumentation des parties

14. Selon la Commission, l'acte attaqué présente le caractère d'un simple acte interlocutoire. Il ne constituerait qu'une première réaction de ses services quant à une éventuelle qualification, au regard de l'article 86, des faits rapportés dans la plainte et s'inscrirait dans la première phase de l'instruction des plaintes, telle qu'analysée par le Tribunal dans son arrêt dit "Automec I" (arrêt du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64-89, Rec. p. II-367). Le contenu de l'acte, l'absence de référence à l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63), et la qualité du signataire de l'acte établiraient suffisamment le caractère préparatoire de l'acte attaqué.

15. S'agissant du contenu de l'acte, la Commission estime que le déroulement des faits, depuis le 21 décembre 1990, date de la plainte, jusqu'au 10 mars 1992, date d'intervention de l'acte attaqué, suffit à établir que, dans le contexte où elle est intervenue, la correspondance du 10 mars 1992 ne comporte aucune qualification juridique des faits au regard de l'article 86 du traité.

16. Après avoir relevé que la plainte du 21 décembre 1990 était exclusivement fondée sur la violation de l'article 92 du traité et qu'elle se bornait à laisser ouverte la possibilité d'une saisine ultérieure de la Commission au titre de l'article 86, la Commission précise que c'est au cours d'une réunion avec le plaignant, organisée le 18 mars 1991, que les faits rapportés dans la plainte auraient été examinés au titre de l'article 86. Or, la plupart des problèmes discutés lors de la réunion, d'ailleurs précédemment évoqués à l'occasion d'une saisine du Conseil français de la concurrence, formée également le 21 décembre 1990, auraient été repris dans la notification, effectuée le 28 octobre 1991, au titre de l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, sur le contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, et rectificatif, JO 1990, L 257, p. 13, ci-après "règlement n° 4064-89"). L'opération notifiée à la Commission à cette date concernait la création d'une entreprise commune de courrier rapide entre les postes allemande, canadienne, française, néerlandaise et suédoise, d'une part, et l'entreprise australienne TNT Ltd, d'autre part. Par décision du 2 décembre 1991, la Commission a déclaré qu'elle ne s'opposait pas à la réalisation de cette opération, qui ne soulevait pas de "doutes sérieux" quant à sa compatibilité avec le marché commun. Cette décision est intervenue dans les conditions prévues à l'article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 4064-89.

17. La Commission ne conteste pas avoir, le 9 janvier 1992, répondu à une nouvelle lettre du plaignant du 15 novembre 1991 et soutient que cette réponse annonçait elle-même une prise de position préliminaire de la Commission au titre de l'article 86 du traité. L'acte attaqué du 10 mars 1992 constituerait ainsi cette prise de position préliminaire.

18. Selon la Commission, la lettre du 10 mars 1992 ne ferait qu'expliciter au plaignant la décision de compatibilité prise par la Commission au titre du règlement n° 4064-89. Elle contiendrait un rappel des engagements pris par les établissements postaux, parties à l'entreprise commune, et montrerait les liens qui existent entre les problèmes rencontrés au cours de l'instruction menée au titre du règlement n° 4064-89, d'une part, et les problèmes évoqués dans la plainte, d'autre part. Le passage conclusif, précité, de la correspondance attaquée devrait s'analyser, selon l'institution défenderesse, comme constituant la prise de position préliminaire annoncée le 9 janvier 1992, et non pas comme une décision de la Commission qualifiant de façon définitive les faits au regard de l'article 86. L'objet de la correspondance du 10 mars 1992 aurait seulement été d'informer le plaignant de la nouvelle situation du marché, après la création de l'entreprise commune, et des conditions dans lesquelles La Poste allait, à l'avenir, se conduire dans ses rapports avec les entreprises privées.

19. S'agissant de la forme de l'acte, la Commission relève que la correspondance litigieuse ne satisfait à aucune des conditions de forme prévues par l'article 6 du règlement n° 99-63, qui fixe les obligations qui s'imposent à la Commission lorsqu'elle entend rejeter une plainte. La Commission souligne que la correspondance critiquée ne fait nullement référence à l'article 6 du règlement n° 99-63, qu'elle n'impartit aucun délai au plaignant pour présenter ses observations et qu'elle ne fait nullement mention du fait que la Commission a l'intention de rejeter la plainte.

20. S'agissant, enfin, de la qualité du signataire de l'acte, la Commission relève que sa décision du 21 février 1990, qui a habilité le seul membre de la Commission en charge des questions de concurrence à adopter les décisions de rejet de plainte, ne prévoit aucune possibilité de délégation de signature. Il en résulterait que les décisions portant rejet de plainte doivent être nécessairement adoptées et signées par le commissaire en charge des questions de concurrence. Or, en l'espèce, tel ne serait pas le cas, l'acte attaqué ayant été signé par un directeur.

21. Pour l'ensemble de ces raisons, la Commission estime que l'acte attaqué ne saurait s'analyser comme une décision de rejet de plainte.

22. Les requérants, après avoir souligné l'importance des questions de principe posées par l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission, en méconnaissance des engagements pris par elle à l'occasion de ses commentaires de l'arrêt dit "Automec I" (voir le XXe Rapport sur la politique de concurrence, 1991, p. 138), font valoir, en réponse aux objections de la Commission, que la plainte du 21 décembre 1990 était expressément fondée sur l'article 86, ainsi d'ailleurs que la Commission l'aurait reconnu au cours de la procédure.

23. Les requérants rappellent que le principe à appliquer pour savoir si un acte d'une institution communautaire est susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation, dans les conditions prévues à l'article 173 du traité, consiste à rechercher si cet acte est susceptible de produire des effets de droit (arrêt de la Cour du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22-70, Rec. p. 263), lesquels doivent s'entendre comme des "effets juridiques obligatoires, de nature à affecter les intérêts du requérant, ou modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci" (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, point 9, 60-81, Rec. p. 2639). L'application de ce principe au cas d'espèce conduirait à admettre que la lettre du 10 mars 1992 présente le caractère d'un acte faisant grief.

24. A cet égard, c'est à tort, selon les requérants, que la Commission entend se prévaloir de l'arrêt du Tribunal dit "Automec I", précité. En effet, les deux espèces seraient intervenues dans un contexte différent pour au moins trois raisons. En premier lieu, alors que le Tribunal aurait relevé, dans l'arrêt du 10 juillet 1990, précité, l'absence d'intervention, dans le cadre de l'instruction de l'affaire, du directeur général de la concurrence, celui-ci serait intervenu, en l'espèce, en qualité de signataire de la correspondance adressée aux requérants le 9 janvier 1992. L'acte attaqué du 10 mars 1992 ne serait d'ailleurs que la réponse annoncée par la lettre de la Commission du 9 janvier 1992.

25. A cet égard, les requérants exposent que, en raison du silence gardé par la Commission à la suite de la plainte dont elle était saisie, le plaignant aurait été contraint, le 15 novembre 1991, d'adresser à celle-ci une mise en demeure d'agir, au sens de l'article 175 du traité, à laquelle le directeur général de la concurrence aurait, le 9 janvier 1992, fait une réponse d'attente. Cette réponse d'attente, intervenue à l'intérieur du délai de deux mois prévu à l'article 175 du traité, permettrait d'analyser la correspondance attaquée du 10 mars 1992 comme la réponse définitive de la Commission à la mise en demeure dont elle aurait été saisie.

26. En second lieu, à la différence de la correspondance adressée à Automec, la correspondance attaquée, loin de comporter des éléments définitifs et des éléments provisoires, ne contiendrait pas d'éléments provisoires et montrerait, au contraire, que la Commission a procédé à un examen définitif des faits au regard de l'article 86.

27. En troisième lieu, la correspondance attaquée serait postérieure à la décision par laquelle la Commission se serait engagée à tirer les conséquences de l'arrêt dit "Automec I". En effet, les requérants relèvent que, dans son XXe Rapport sur la politique de concurrence, la Commission a publié un commentaire de l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, précité. Le paragraphe conclusif de ce commentaire est ainsi libellé :

"Les lettres de communication d'observation préliminaire seront donc rédigées de façon qu'elles ne puissent être considérées par leurs destinataires que comme une première réaction des services de la Commission sur la base des informations dont ils disposent. En tout état de cause, leurs destinataires seront toujours invités à faire parvenir leurs observations complémentaires à la Commission dans un délai raisonnable expressément fixé dans la lettre, faute de quoi la plainte sera considérée comme classée."

28. En méconnaissant les engagements ainsi pris dans le cadre du XXe Rapport sur la politique de concurrence, la Commission aurait méconnu les principes de sécurité juridique et de bonne foi. En effet, en adoptant une ligne de conduite très claire, la Commission aurait créé au moins l'apparence que, si elle n'invitait pas les parties à produire des observations, la plainte devrait être regardée comme définitivement classée. Faisant référence à l'adage "Tu patere legem quam fecisti" et à l'arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules/Commission (T-7-89, Rec. p. II-1711), les requérants estiment qu'un tel engagement est opposable à la Commission. Ils en déduisent que, dès lors que l'acte attaqué ne satisfait pas aux prescriptions résultant des engagements précités, il constitue un rejet définitif de plainte.

29. En outre, au-delà des circonstances de son adoption, la correspondance attaquée présenterait le caractère d'une décision faisant grief, au sens de la jurisprudence précitée de la Cour. En effet, l'acte attaqué mettrait fin à l'enquête engagée, comporterait une appréciation des pratiques alléguées dans la plainte et empêcherait les requérants, dont elle modifierait la situation juridique, d'exiger la réouverture de l'instruction de la plainte, sauf à fournir des éléments nouveaux (arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, BAT/Commission, point 12, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487 ; arrêt du Tribunal du 13 décembre 1990, Prodifarma/Commission, T-116-89, point 70, Rec. p. II-843).

30. Enfin, selon les requérants, les conditions formelles d'adoption de l'acte ou la qualité de son signataire ne seraient pas pertinentes pour apprécier si l'acte attaqué présente le caractère d'une décision faisant grief. Si, en effet, la recevabilité du recours en annulation d'un acte communautaire dépendait des conditions formelles de son adoption, elle serait alors soumise, estiment les requérants, à une condition purement potestative, dans le chef de la Commission. Quant à la qualité du signataire de l'acte, il s'agirait, selon une jurisprudence constante, d'une question qui concerne la légalité de l'acte et non la recevabilité du recours dirigé à son encontre.

Appréciation du Tribunal

31. Pour apprécier la pertinence de la fin de non-recevoir soulevée par la Commission, tirée de ce que la correspondance attaquée ne présenterait pas un caractère décisionnel, le Tribunal estime qu'il convient, en premier lieu, d'examiner si, comme le soutiennent les requérants, la plainte du 21 décembre 1990 était fondée non seulement sur l'article 92 du traité, mais également sur son article 86 ; en second lieu, il appartiendra au Tribunal d'apprécier si l'acte attaqué comporte un contenu décisionnel et est susceptible de produire des effets juridiques, qu'il ait été ou non adopté dans le cadre de la procédure d'instruction des plaintes organisée par les règlements n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 (JO 1962, 13, p. 204), et 99-63, précité.

En ce qui concerne la portée de la plainte du 21 décembre 1990

32. Il ressort des pièces du dossier que la plainte de l'association d'entreprises comprend trois parties distinctes : une "lettre de couverture", adressée au directeur général de la concurrence ; un "résumé" de la plainte ; la plainte proprement dite, dont l'exposé littéral est lui-même précédé d'un plan détaillé de quatre pages.

33. Dans le premier paragraphe de la "lettre de couverture", le plaignant demande au directeur général de la DG IV de "bien vouloir initier une enquête aux fins d'établir que certaines aides fournies par l'Etat français doivent être considérées comme incompatibles avec le marché commun, conformément aux principes posés par l'article 3, sous f), par l'article 5, deuxième alinéa, ainsi que par les articles 92 et suivants du traité ...". La lettre de couverture se termine par une référence exclusive à l'article 92.

34. Selon le résumé de la plainte, "le but de la ... plainte est d'attirer l'attention ... sur un ensemble d'aides". Le résumé énumère l'ensemble des pratiques commerciales anticoncurrentielles alléguées, estimées contraires aux seules règles communautaires en matière d'aides publiques. Le résumé fait une seule référence aux articles 85, 86 et 90 du traité, mais pour préciser qu'une des pratiques en cause a fait l'objet d'une plainte antérieure et distincte de la plainte du 21 décembre 1990. En conclusion du résumé, le plaignant estime que la solution la plus appropriée pour remédier aux pratiques dénoncées serait d'ordonner la récupération des aides.

35. Le corps de la plainte ne contient aucune référence à l'articles 86 du traité. Le passage conclusif est ainsi rédigé :

"Il résulte de ce qui précède que si les aides décrites ci-dessus devaient être maintenues, il s'ensuivrait à brève échéance une disparition complète des sociétés privées de courrier express. Il convient donc pour le futur d'imposer à la SFMI i) soit d'ajuster ses tarifs en fonction de la valeur réelle des services rendus par La Poste, ii) soit, si un tel ajustement s'avère impossible, de ne plus utiliser le réseau de La Poste ..."

36. Pour soutenir que la plainte ne repose pas exclusivement sur la violation alléguée de l'article 92, les requérants se prévalent principalement de la deuxième page de la "lettre de couverture", dans laquelle le plaignant, d'une part, se réserve expressément la possibilité de déposer une plainte au titre des règles de concurrence applicables aux entreprises et, d'autre part, signale que la plainte formée devant le Conseil français de la concurrence, qu'il indique simplement annexer et non pas intégrer à la plainte devant la Commission, est pertinente non seulement au regard du droit national, mais également au regard des règles communautaires de concurrence applicables aux entreprises.

37. Le Tribunal estime qu'il ressort clairement de son examen de l'ensemble des pièces notifiées à la Commission le 21 décembre 1990 que c'est à juste titre que la Commission soutient avoir été initialement saisie exclusivement au titre de l'article 92, dès lors que la plainte ne contient par elle-même aucune référence à l'article 86 du traité. La circonstance qu'un document extérieur à la plainte proprement dite, à savoir sa lettre de transmission au directeur général de la concurrence, réserve expressément la possibilité d'une saisine ultérieure de la Commission au titre de ces dispositions et se réfère à la saisine du Conseil français de la concurrence, loin de remettre en cause une telle appréciation, ne fait que la conforter.

En ce qui concerne l'analyse de l'acte attaqué

38. Il appartient ensuite au Tribunal d'apprécier si la correspondance attaquée est susceptible de comporter un contenu décisionnel et de produire des effets juridiques et, par suite, de faire utilement l'objet d'un recours en annulation, alors même que, comme il vient d'être établi, la plainte initiale du 21 décembre 1990 n'invitait nullement la Commission à opérer une qualification des faits au regard de l'article 86 du traité. A cette fin, il convient d'apprécier, d'une part, si l'acte attaqué peut, comme le soutiennent les requérants, s'analyser comme une décision définitive de rejet ou de classement de plainte, dans l'hypothèse où cet acte serait intervenu dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure d'instruction des plaintes organisée par les règlements n° 17 et 99-63, et, d'autre part, si cet acte est susceptible de produire des effets juridiques, dans l'hypothèse où cet acte aurait été adopté dans un autre cadre.

Quant au caractère décisionnel et aux effets juridiques qui pourraient s'attacher à l'acte attaqué, dans l'hypothèse où il serait intervenu dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure organisée par les règlements n° 17 et 99-63

39. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 17 :

"1. Si la Commission constate, sur demande ou d'office, une infraction aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée.

2. Sont habilités à présenter une demande à cet effet :

a) les Etats membres ;

b) les personnes physiques ou morales qui font valoir un intérêt légitime."

40. Dans la mesure où l'acte attaqué serait intervenu dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions précitées de l'article 3 du règlement n° 17, il ressort desdites dispositions que la correspondance attaquée ne pourrait être consécutive que soit à une décision de la Commission de se saisir d'office, au titre de l'article 86, des pratiques alléguées dans la plainte initiale, hypothèse qui n'est alléguée par aucune des parties, soit à une demande du plaignant, complémentaire à sa plainte initiale du 20 décembre 1990, présentée oralement au cours de la réunion du 18 mars 1991, comme l'allèguent les requérants et l'admet la Commission.

41. Sans qu'il soit nécessaire pour le Tribunal de trancher la question de savoir si une telle demande complémentaire a pu être valablement présentée oralement par le plaignant, lors de la réunion informelle avec la Commission tenue le 18 mars 1991, il suffit de constater alors que la correspondance attaquée ne saurait comporter un contenu décisionnel, dès lors qu'elle se situerait à un stade antérieur à la phase conclusive d'une procédure d'instruction diligentée d'office ou sur demande.

42. En effet, il ressort des termes mêmes de la correspondance attaquée, par laquelle la Commission se limite à exposer aux requérants qu'elle n'envisage pas de poursuivre l'instruction au titre de l'article 86 du traité, que cette correspondance ne contient aucune qualification des faits allégués au regard de l'article 86 du traité. Elle se borne à expliciter la décision de compatibilité prise par la Commission le 2 décembre 1991 au titre du règlement n° 4064-89, contient un rappel des engagements pris par les établissements postaux, parties à l'entreprise commune, et montre les liens qui existent entre les problèmes rencontrés au cours de l'instruction menée au titre du règlement n° 4064-89 et ceux évoqués dans la plainte. Si cette décision admet que l'entreprise commune ne crée ni ne renforce une position dominante sur le marché communautaire du courrier rapide, elle ne se prononce ni sur la qualification, au regard de la notion d'abus de position dominante visée à l'article 86 du traité, des pratiques commerciales de chacune des entreprises parties à l'opération de concentration ni, a fortiori, sur la licéité des pratiques visées dans la plainte du 21 décembre 1990.

43. Ainsi, en admettant même l'existence d'une demande complémentaire présentée par les requérants au titre de l'article 86 du traité, dans les conditions prévues à l'article 3 du règlement n° 17, la correspondance attaquée ne saurait s'analyser en une décision portant rejet ou classement définitif d'une telle demande, dès lors qu'elle ne se prononce pas sur la qualification des faits allégués et que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, elle n'a pas pour effet, en elle-même et à ce stade de la procédure, de mettre un terme à l'instruction menée par la Commission. En réalité, par son contenu même, la correspondance attaquée doit être regardée comme un acte se situant à un stade préliminaire de l'instruction, se limitant à exprimer une première réaction des services de la Commission et dépourvu d'effets juridiques. En admettant même que l'acte attaqué puisse être regardé comme une communication provisoire au sens de l'article 6 du règlement n° 99-63, ce qui ne ressort ni de son contenu ni de sa forme, la correspondance attaquée ne saurait davantage être regardée comme susceptible de produire des effets juridiques. En effet, comme le Tribunal l'a jugé dans l'arrêt "Automec I", précité, ni les observations préliminaires émises par les services de la Commission lors de l'engagement d'une procédure de constatation d'infraction aux règles de la concurrence ni la communication à la partie plaignante prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63 ne sauraient être considérées, de par leur nature et leurs effets juridiques, comme des décisions au sens de l'article 173 du traité, contre lesquelles un recours en annulation est ouvert. Dans le cadre de la procédure administrative, telle qu'elle est organisée par les articles 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 et 6 du règlement n° 99-63, elles constituent non pas des actes produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants, mais des actes préparatoires.

44. Cette conclusion n'est pas de nature à être remise en cause par la double argumentation présentée par les requérants en défense à l'exception d'irrecevabilité, tirée, d'une part, d'une prétendue violation des principes de bonne foi et de sécurité juridique et, d'autre part, de l'existence alléguée d'une mise en demeure.

45. S'agissant, d'une part, de l'argument des requérants tiré d'une violation, par la Commission, des engagements qu'elle aurait souscrits en commentant l'arrêt du Tribunal "Automec I" (voir point 28), le Tribunal estime qu'il repose sur une interprétation erronée de la dernière phrase de ce commentaire précité. Selon ce raisonnement, cette phrase devrait être analysée en ce sens que, faute pour la correspondance litigieuse de faire référence à un délai imparti au plaignant pour présenter des observations, celle-ci devrait être qualifiée de décision valant classement de la plainte. Or, il ressort clairement de l'analyse du texte précité que tel n'est pas le sens de la phrase en question. Celle-ci signifie seulement qu'une demande, présentée sur le fondement de l'article 3 du règlement n° 17, sera classée, faute pour les observations du plaignant de parvenir à la Commission dans le délai imparti par la communication provisoire effectuée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63. Dès lors, c'est à tort que les requérants soutiennent que les principes de bonne foi et de sécurité juridique ont été méconnus.

46. S'agissant, d'autre part, de l'argument des requérants tiré d'une prétendue mise en demeure d'agir au titre de l'article 175 du traité, le Tribunal estime que le raisonnement des requérants, tel qu'exposé plus haut (voir point 25) et selon lequel la lettre du 15 novembre 1991 constituerait une mise en demeure, au sens de l'article 175 du traité, ne saurait être retenu. En effet, il ressort clairement des termes de cette correspondance que celle-ci, loin de constituer, à l'égard de la Commission, une mise en demeure d'agir au titre de l'article 86, n'est, en réalité, qu'une simple demande de rendez-vous adressée au directeur général de la DG IV et ne vise pas à obliger la Commission à adresser un acte à l'auteur de cette correspondance. Dès lors, l'argument manque en fait.

47. Il résulte de ce qui précède que, dans l'hypothèse susvisée où l'acte attaqué serait intervenu dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure organisée par les règlements n° 17 et 99-63, les conclusions tendant à son annulation seraient irrecevables.

Quant au caractère décisionnel et aux effets juridiques qui pourraient s'attacher à l'acte attaqué, dans l'hypothèse où il serait intervenu dans un cadre autre que celui de la mise en œuvre de la procédure organisée par les règlements n° 17 et 99-63

48. Il suffit, pour le Tribunal, de constater que, dans une telle hypothèse, où la Commission n'aurait ni entendu se saisir d'office au titre de l'article 86 du traité, ni estimé être saisie d'une demande complémentaire, au titre du même article, présentée par le plaignant au cours de la réunion du 18 mars 1991, la correspondance attaquée du 10 mars 1992 ne présenterait qu'un caractère purement gracieux et serait dépourvue de tout effet juridique. Elle ne saurait, dès lors, faire l'objet d'un recours en annulation.

49. De l'ensemble de ce qui précède, et sans même qu'il soit besoin de s'attacher à la forme de l'acte litigieux ou à la qualité de son signataire, il résulte que la correspondance attaquée du 10 mars 1992 ne peut, en tout état de cause, être revêtue d'un quelconque contenu décisionnel et n'est pas susceptible de produire des effets juridiques de nature à affecter les intérêts des requérants. Par suite, la première des trois fins de non-recevoir soulevées par la Commission doit être accueillie. Dès lors, le recours doit être rejeté comme irrecevable, sans qu'il soit besoin pour le Tribunal d'examiner les deux autres fins de non-recevoir soulevées par la Commission.

Sur les demandes en intervention

50. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes déposées par GD Net BV, Deutsche Bundespost Postdienst, La Poste, PTT Post BV et Sweden Post, et tendant à être admises à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

Sur les dépens

51. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les parties requérantes ayant succombé en leurs conclusions et moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation des requérants aux dépens, il y a lieu de condamner ces derniers aux dépens, y compris ceux concernant leurs propres observations relatives aux demandes en intervention.

52. Aux termes de l'article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure : "En cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens". Le Tribunal estime que, dans les circonstances de l'espèce, les demanderesses en intervention devront supporter leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention.

3) Les requérants supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission. Chacune des demanderesses en intervention supportera ses propres dépens.