TPICE, 18 septembre 1992, n° T-28/90
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Asia Motor France (SA), Cesbron, La Maison du deux roues (SA), EAS (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Présidents de chambre :
MM. Kirschner, Vesterdorf, Valdecasas, Lenaerts
Avocat général :
M. Edward
Juges :
MM. Barrington, Saggio, Yeraris, Schintgen, Briët, Biancarelli
Avocat :
Me Fourgoux
LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
Les faits à l'origine du recours
1. Les entreprises requérantes se livrent à l'importation et au commerce en France de véhicules de marque japonaise qui ont été admis en libre pratique dans d'autres Etats membres de la Communauté, tels que la Belgique et le Luxembourg.
2. S'estimant victime d'une entente illicite, conclue entre cinq importateurs de voitures japonaises en France, à savoir Sidat Toyota France, Mazda France Motors, Honda France, Mitsubishi Sonauto et Richard Nissan SA, entente dont il est allégué qu'elle serait placée sous l'égide du Gouvernement français, l'une des entreprises requérantes, en l'occurrence M. J. Cesbron, a déposé une plainte auprès de la Commission, le 18 novembre 1985, sur le fondement des articles 30 et 85 du traité CEE. Cette plainte a été suivie, le 29 novembre 1988, d'une nouvelle plainte contre ces mêmes cinq importateurs, déposée, cette fois, par les quatre parties requérantes, sur le fondement de l'article 85.
3. Dans cette plainte, celles-ci faisaient valoir en substance que les cinq importateurs précités de voitures japonaises avaient pris, vis-à-vis de l'administration française, l'engagement de ne pas vendre, sur le marché intérieur français, un nombre de voitures supérieur à 3 % du nombre des immatriculations de véhicules automobiles enregistrées sur l'ensemble du territoire français au cours de l'année civile antérieure. Ces mêmes importateurs se seraient entendus afin de se partager ce quota suivant des règles préétablies, excluant les entreprises concurrentes, qui souhaitent distribuer en France des véhicules d'origine japonaise de marques autres que les marques distribuées par les parties à l'entente alléguée.
4. En contrepartie de cette autolimitation, l'administration française aurait multiplié les entraves à la libre circulation de véhicules d'origine japonaise, de marques autres que les cinq marques distribuées par les importateurs parties à l'entente alléguée. En premier lieu, une procédure d'immatriculation dérogatoire au régime normal aurait été instaurée pour les véhicules qui font l'objet d'importations parallèles. Ces véhicules seraient considérés comme des véhicules d'occasion et seraient donc soumis à un double contrôle technique. En deuxième lieu, des instructions auraient été données à la gendarmerie nationale afin qu'elle poursuive les acquéreurs de véhicules d'occasion japonais qui circulent sous immatriculations étrangères. Enfin, alors même qu'il s'agirait de véhicules utilitaires pour lesquels s'applique un taux de taxe sur la valeur ajoutée plus faible que celui applicable aux véhicules de tourisme, ces véhicules se verraient imposer, au moment de leur importation en France, un taux de TVA discriminatoire de 28 %, qui serait ramené par la suite à 18,6 %, avec les désavantages que cela implique pour le distributeur vis-à-vis de l'acheteur.
5. Sur le fondement de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17 du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), la Commission a, par lettre du 9 juin 1989, demandé des renseignements aux importateurs mis en cause. Par lettre du 20 juillet 1989, la direction générale de l'industrie du ministère de l'industrie et de l'aménagement du territoire a donné instruction auxdits importateurs de ne pas répondre aux questions que leur posait la Commission, parce que celles-ci touchaient "à la politique menée par les pouvoirs publics français à l'égard des importations de véhicules japonais".
6. La Commission ayant gardé le silence à leur égard, les parties requérantes lui ont, le 21 novembre 1989, adressé une lettre sollicitant qu'elle prenne position sur les plaintes déposées sur la base des articles 30 et 85 du traité.
7. Par lettre du 8 mai 1990, le directeur général de la direction générale de la concurrence a informé les parties requérantes que la Commission envisageait de ne pas donner suite à leurs plaintes.
Cette lettre se conclut comme suit :
" Je suis en mesure à ce sujet de vous faire savoir que, sur base des considérations développées ci-après, la Commission envisage de ne pas donner suite à ces différentes plaintes :
" En premier lieu, les investigations qui ont été conduites par les services de la DG IV en vue d'une éventuelle application de l'article 85 ont établi que les cinq importateurs dont les comportements sont mis en cause ne disposent, eu égard au système de modération des importations japonaises en France, d'aucune marge opérationnelle dans cette affaire.
En deuxième lieu, une application éventuelle de l'article 30 dans cette affaire doit être écartée pour défaut d'intérêt public communautaire, eu égard au processus de négociation actuellement en cours dans le cadre de la définition d'une politique commerciale commune, en particulier à l'égard du Japon, concernant les véhicules automobiles.
Toutefois, avant de rejeter votre plainte par une décision définitive, la Commission vous invite, conformément aux dispositions de l'article 6 du règlement (CEE) n° 99-63, à lui présenter vos observations sur la présente communication. Votre réponse devra me parvenir dans un délai de deux mois à compter de la date de réception de la présente lettre.
Cette communication est adressée parallèlement à M. JM Cesbron, Monin Automobiles, Asia Motor, EAS ainsi qu'au Cabinet SCP Fourgoux à Paris".
8. Le 29 juin 1990, les parties requérantes ont fait parvenir à la Commission leurs observations, dans lesquelles elles ont réaffirmé le bien-fondé de leurs plaintes.
9. Les parties requérantes se trouvent actuellement en liquidation judiciaire.
La procédure et les conclusions des parties
10. Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 mars 1990 et enregistrée le 21 mars suivant, Asia Motor France et les trois autres parties requérantes ont formé un recours visant, en premier lieu, à faire constater, par application de l'article 175, troisième alinéa, du traité CEE, que la Commission s'est abstenue de prendre à leur égard une décision basée sur les articles 30 et 85 du traité CEE, et en deuxième lieu, par application des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE, à obtenir une indemnité en réparation des préjudices prétendument subis du fait de ladite abstention.
11. Par ordonnance du 23 mai 1990, la Cour a jugé :
"1.) Le recours est irrecevable dans la mesure où il concerne l'abstention de la Commission au regard de l'article 30 du traité et la responsabilité qui en découle.
2°) Le recours est renvoyé pour le surplus au Tribunal de première instance.
3°) Les parties requérantes sont condamnées à supporter la moitié des dépens engagés jusqu'à la date de l'ordonnance."
12. Conformément à l'article 47 du protocole sur le statut de la Cour de justice CEE, la procédure écrite s'est, dès lors, poursuivie devant le Tribunal (deuxième chambre).
13. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 août 1990 et enregistré le 7 août suivant, la Commission a soulevé, à titre de demande incidente au sens de l'article 91 du règlement de procédure de la Cour, qui était à l'époque applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal, en vertu de l'article 11 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO 1989, C 215, p. 1), une exception d'irrecevabilité à l'encontre des conclusions de la requête renvoyées devant le Tribunal par l'ordonnance de la Cour du 23 mai 1990, précitée.
14. Par acte déposé et enregistré au greffe du Tribunal le 26 septembre 1990, les parties requérantes ont présenté leurs conclusions et les moyens à leur appui, tendant au rejet de l'exception d'irrecevabilité.
15. Par ordonnance du 7 novembre 1990, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé de joindre au fond l'exception soulevée par la partie défenderesse.
16. La procédure écrite s'est achevée le 18 mars 1991, après le dépôt du mémoire en défense, les parties requérantes n'ayant pas déposé de mémoire en réplique dans le délai imparti.
17. A la demande de la deuxième chambre, le Tribunal a décidé, le 6 décembre 1990, de procéder à la désignation d'un Avocat général. Sur proposition de la même chambre, les parties et l'Avocat général entendus, le Tribunal a décidé, le 4 juillet 1991, de renvoyer l'affaire à la formation plénière.
18. Sur rapport du juge rapporteur, l'Avocat général entendu, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
19. Par lettre du greffier du 27 septembre 1991, le Tribunal a soumis à la Commission une série de questions auxquelles cette dernière a répondu au cours de la procédure orale, qui a eu lieu le 23 octobre 1991.
20. Dans son exception d'irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
"- rejeter le recours comme irrecevable,
- condamner les requérants solidairement aux dépens."
21. Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, les parties requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
"- rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission,
- subsidiairement, si par impossible le Tribunal considérait la lettre du 8 mai 1990 de la Commission comme un acte attaquable, recevoir le recours en carence comme recours en annulation,
- constater le comportement fautif de la Commission,
- faire droit à la demande d'indemnisation formée par les parties requérantes, en réparation du préjudice subi."
22. Dans la requête introductive d'instance, les parties requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
"- constater, au titre de l'article 175 du traité, que la Commission a négligé de prendre une décision à l'égard des plaignantes, alors que ces dernières lui en avaient fait la demande préalable en temps utile,
- condamner, au titre des articles 178 et 215 du traité, la Communauté économique européenne à indemniser les plaignantes du préjudice causé par ses institutions et, en conséquence, fixer l'indemnité à :
. Asia Motor France : 155 336 000 écus
. Monsieur Cesbron (JMC AUTO) : 85 150 000 écus
. Monin Automobiles : 32 892 000 écus
. EAS : 76 177 000 écus
- condamner la Commission aux frais de procédure".
23. Dans son mémoire en défense, la Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
"- rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme mal fondé,
- condamner les requérants solidairement aux dépens."
24. Par lettre du 5 décembre 1991, signée par son membre en charge des questions de concurrence, la Commission a communiqué aux parties requérantes une décision aux termes de laquelle elle maintenait son appréciation provisoire définie dans sa communication du 8 mai 1990 et rejetait, par conséquent, les plaintes déposées respectivement le 18 novembre 1985 et le 29 novembre 1988. Cette décision fait l'objet d'un recours en annulation pendant devant le Tribunal (deuxième chambre) ; il est enregistré sous le numéro T-7-92.
Sur les conclusions fondées sur l'article 175 du Traité
En ce qui concerne la recevabilité des conclusions
Argumentation des parties
25. La Commission excipe de l'irrecevabilité du recours en carence, tel que renvoyé devant le Tribunal, en alléguant que la mise en demeure ne répondait pas aux exigences énoncées à l'article 175 du traité, selon lesquelles un recours en carence "n'est recevable que si l'institution a été préalablement invitée à agir'. Or, la Commission prétend que la lettre des parties requérantes du 21 novembre 1989 ne peut être considérée comme une invitation à agir, dès lors, d'une part, qu'elle ne précise nullement la base juridique qui crée l'obligation de l'institution à agir et, d'autre part, qu'elle ne précise pas davantage l'action demandée à l'institution.
26. Les parties requérantes répondent que leur lettre du 21 novembre 1989 avait bien la valeur d'une mise en demeure, satisfaisant aux conditions énoncées à l'article 175 du traité. Elles notent qu'il résultait clairement des griefs rappelés dans cette lettre qu'elles entendaient se prévaloir des dispositions de l'article 175 du traité, afin d'inviter la Commission à agir. Selon les parties requérantes, ladite invitation à agir exposait clairement qu'elles sollicitaient soit une communication des griefs adressée aux entreprises mises en cause dans leurs plaintes, soit une mesure de classement qui leur aurait permis d'engager un recours en annulation. Elles relèvent que le contenu que doit avoir l'invitation à agir n'est pas défini par les dispositions du traité ou du droit dérivé et que la Cour a écarté tout formalisme superflu à cet égard afin de protéger précisément les droits des justiciables. Elles invoquent, sur ce point, les conclusions de M. l'Avocat général Roemer sous l'arrêt du 13 juillet 1961 (Elz/Haute Autorité, 22 et 23-60, Rec. p. 383).
Appréciation du Tribunal
27. En présence de ces éléments de fait et de droit, le Tribunal rappelle que l'article 175 du traité CEE dispose que :
"Dans le cas où, en violation du présent traité, le Conseil ou la Commission s'abstient de statuer, les Etats membres et les autres institutions de la Communauté peuvent saisir la Cour de justice en vue de faire constater cette violation.
Ce recours n'est recevable que si l'institution en cause a été préalablement invitée à agir. Si, à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de cette invitation, l'institution n'a pas pris position, le recours peut être formé dans un nouveau délai de deux mois.
Toute personne physique ou morale peut saisir la Cour de justice dans les conditions fixées aux alinéas précédents pour faire grief à l'une des institutions de la Communauté d'avoir manqué de lui adresser un acte autre qu'une recommandation ou un avis."
28. S'agissant de la recevabilité du recours, pour autant qu'il est fondé sur la disposition précitée, le Tribunal constate que les parties requérantes soutiennent à juste titre que la lettre que leur conseil a adressée le 21 novembre 1989 à la Commission constituait une mise en demeure, au sens de l'article 175 du traité CEE. A cet égard, le Tribunal relève que cette lettre, qui se référait expressément à l'article 175 du traité CEE, invitait sans ambiguïté la Commission à agir, afin de faire cesser l'ensemble des prétendues infractions au traité que les parties requérantes décrivaient en détail dans le corps de cette même lettre. La Commission ne peut, dès lors, prétendre ignorer qu'au moyen de cette lettre les parties requérantes entendaient engager, en cas de silence de sa part pendant les deux mois suivant la réception de cette lettre, la procédure en carence, prévue à l'article 175 du traité, précité.
29. Le Tribunal considère qu'il convient dès lors de rechercher si, conformément au troisième alinéa de l'article 175 du traité, les parties requérantes sont recevables à faire grief à la Commission d'avoir manqué de leur adresser un acte autre qu'une recommandation ou un avis. En effet, selon une jurisprudence bien établie, "... pour être recevable en son recours, le requérant doit être en mesure d'établir soit qu'il est destinataire d'un acte de la Commission ayant à son égard des effets juridiques déterminés, susceptibles comme tel d'annulation, soit que la Commission, dûment mise en demeure conformément à l'article 175, alinéa 2, a manqué de prendre à son égard un acte auquel il pouvait légalement prétendre en vertu des règles du droit communautaire" (arrêt de la Cour du 10 juin 1982, Lord Bethell/Commission, 246-81, Rec. p. 2277, point 13). En l'espèce, compte tenu du délai qui s'est écoulé entre le moment du dépôt de la plainte et l'envoi de la lettre de mise en demeure, il y a lieu de considérer que les parties requérantes étaient en droit d'obtenir de la part de la Commission une communication provisoire au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement 99-63 "), et que, partant, elles pouvaient prétendre, en tant que personnes physiques ou morales, être les destinataires d'un acte autre qu'une recommandation ou un avis, conformément à l'article 175, troisième alinéa, du traité.
30. Le Tribunal déduit de ce qui précède et du silence gardé par la Commission en réponse à la mise en demeure d'agir qui lui a été régulièrement adressée par les parties requérantes que, lors de son introduction, le recours était recevable, pour autant qu'il est fondé sur l'article 175 du traité, indépendamment de la question de savoir si une prise de position de la Commission l'a ultérieurement privé de son objet initial. En effet, une telle prise de position est sans incidence sur la recevabilité des conclusions du recours, laquelle doit s'apprécier à la date de la présentation du recours.
En ce qui concerne l'objet des conclusions
Argumentation des parties
31. La Commission fait valoir que le recours est devenu sans objet puisqu'elle a fait savoir aux parties requérantes, par lettre du 8 mai 1990, conformément à l'article 6 du règlement 99-63, qu'elle entendait rejeter leurs plaintes. Elle invoque, sur ce point, l'arrêt de la Cour du 18 octobre 1979 dans l'affaire GEMA/Commission (125-78, Rec. p. 3190, point 21), par lequel celle-ci aurait jugé qu'une lettre adressée au plaignant en vertu de l'article 6 du règlement 99-63 constitue une prise de position au sens de l'article 175, deuxième alinéa, du traité. La Commission en déduit qu'il ne peut donc plus, désormais, être question d'une quelconque carence de sa part et que le recours est, par conséquent, devenu sans objet et est donc irrecevable.
32. Les parties requérantes contestent, pour leur part, que leur recours en carence soit devenu sans objet à la suite de la lettre de la Commission du 8 mai 1990. Plus précisément, elles nient, en se référant aux termes de cette lettre, que cette dernière puisse être analysée comme "une prise de position" au sens de l'arrêt de la Cour du 18 octobre 1979, précité.
33. A titre subsidiaire, elles soutiennent que, même dans l'hypothèse où le Tribunal analyserait la lettre du 8 mai 1990 comme constituant une prise de position valable, celle-ci ne mettrait pas nécessairement fin à la carence de la Commission au regard de l'infraction alléguée à l'article 85 du traité. Selon les parties requérantes, leur recours en carence ne viserait plus, dans cette hypothèse, l'absence de prise de position claire de la part de la Commission, mais le refus de cette dernière de prendre les mesures adéquates à l'encontre des importateurs de voitures japonaises et des autorités françaises, dans la mesure où ils enfreignent les articles 30 et 85 du traité. A cet effet, les parties requérantes invoquent l'arrêt de la Cour du 27 septembre 1988 (Parlement/Conseil, 302-87, Rec. p. 5641, plus spécialement point 17).
Appréciation du Tribunal
34. Le Tribunal constate que, postérieurement à l'introduction du recours, la Commission a adressé aux parties requérantes, le 8 mai 1990, une communication au titre de l'article 6 du règlement 99-63, aux termes de laquelle, d'une part, elle envisageait de ne pas donner suite à leurs plaintes et, d'autre part, elle invitait les parties requérantes à lui présenter leurs observations à ce sujet. La Commission a ensuite, le 5 décembre 1991, notifié aux parties requérantes une décision rejetant définitivement leurs plaintes. Les parties requérantes ont déposé un recours tendant à l'annulation de cette décision, sur lequel le Tribunal statuera ultérieurement.
35. Il est ainsi établi que la Commission a non seulement satisfait aux obligations procédurales que lui impose l'article 6 du règlement 99-63, mais qu'elle a également adopté une décision définitive de rejet des plaintes dont elle avait été saisie par les parties requérantes, leur permettant ainsi de protéger leurs intérêts légitimes (arrêt de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875, plus spécialement point 13), même si la décision du 5 décembre 1991 est intervenue avec un retard considérable. Il faut donc en déduire que le recours est devenu sans objet, à tout le moins et en tout état de cause, à la suite de la décision du 5 décembre 1991 etqu'il n'y a plus lieu, dès lors, de statuer à cet égard.
36. En effet, comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 12 juillet 1988, Parlement/Conseil (377-87, Rec. p. 4017, point 9), la voie de recours prévue à l'article 175 du traité est fondée sur l'idée que l'inaction illégale de la Commission permet aux autres institutions et aux Etats membres, ainsi que, dans une hypothèse comme celle de l'espèce, aux particuliers, de saisir la Cour ou le Tribunal afin qu'ils déclarent que l'abstention d'agir de l'institution mise en cause est contraire au traité, dans la mesure où cette institution n'a pas remédié à cette abstention. Cette déclaration a pour effet, aux termes de l'article 176, que l'institution défenderesse est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour ou du Tribunal constatant la carence de l'institution, sans préjudice des actions en responsabilité extra-contractuelle pouvant découler de la même déclaration d'abstention.
37. Dans un cas comme celui de l'espèce, où l'acte dont l'omission fait l'objet du litige a été adopté après l'introduction du recours, mais avant le prononcé de l'arrêt, une déclaration de la Cour ou du Tribunal constatant la carence ne peut plus conduire aux conséquences prévues par l'article 176 du traité.Il en résulte que, dans un tel cas, tout comme dans celui où l'institution défenderesse a réagi à l'invitation à agir dans le délai de deux mois, l'objet du recours a disparu. La situation de l'espèce est ainsi différente de celle prise en considération dans l'arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, précité, invoqué par les parties requérantes et dans lequel la Cour a jugé qu'un refus d'agir, si explicite soit-il, peut lui être déféré, sur la base de l'article 175, dès lors qu'il ne met pas fin à la carence. Dans le cas d'espèce, la Commission, qui a rejeté définitivement la plainte des parties requérantes, après l'envoi de la communication prévue à l'article 6 du règlement 99-63, ne peut être réputée avoir refusé d'agir.
38. Il résulte de ce que précède que les conclusions des parties requérantes présentées sur le fondement de l'article 175 sont devenues sans objet postérieurement à l'introduction du litige et, que, dès lors, il n'y a pas lieu de statuer à leur sujet.
Sur la transformation des conclusions en carence en conclusions en annulation
Argumentation des parties
39. Les parties requérantes font valoir qu'en admettant que la lettre de la Commission du 8 mai 1990 constitue une prise de position au sens de l'article 175 du traité, une telle prise de position devrait être susceptible d'un recours en annulation, dans les conditions prévues à l'article 173 du traité. A cet égard, les parties requérantes invoquent les termes mêmes de l'arrêt GEMA, précité, dans lequel la Cour n'a pas exclu, selon elles, qu'une prise de position au titre de l'article 6 du règlement 99-63 puisse faire l'objet d'un recours en annulation. Elles invoquent, de même, les conclusions de M. l'Avocat général Sir Gordon Slynn sous l'arrêt du 10 juin 1982 (Lord Bethell/Commission, précité).
40. Les parties requérantes en concluent que leurs conclusions en carence doivent pouvoir être transformées en conclusions tendant à l'annulation de la lettre de la Commission du 8 mai 1990, et ceci dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et afin d'éviter un déni de justice. Elles invoquent, sur ce point, les conclusions de M. l'Avocat général Mayras sous l'ordonnance de la Cour du 2 mars 1977 (National Carbonising Co. Ltd./Commission, 109 et 114-75, Rec. p. 382) ainsi que l'arrêt de la Cour du 3 mars 1982 (Alpha Steel/Commission, 14-81, Rec. p. 745). Dans l'hypothèse où une telle requalification des conclusions du recours serait admise par le Tribunal, les parties requérantes fondent leur recours en annulation sur le détournement de pouvoir qu'aurait commis la Commission en renonçant à condamner l'entente illicite entre les cinq importateurs mis en cause dans leurs plaintes, cautionnant ainsi la répartition du marché dictée par le Gouvernement français.
41. La Commission, pour sa part, sans pour autant formuler une objection formelle, se limite à faire valoir qu'en tout état de cause, il résulte de l'arrêt GEMA, précité, qu'une communication au titre de l'article 6 du règlement 99-63 ne constitue pas un acte susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation.
Appréciation du Tribunal
42. Le Tribunal relève, en premier lieu, que, selon une jurisprudence bien établie (arrêt de la Cour, GEMA, précité ; arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64-89, Rec. p. II-369), les communications par lesquelles la Commission se prononce, à titre provisoire, dans les conditions prévues à l'article 6 du règlement 99-63, sur une plainte dont elle a été saisie en application de l'article 3 du règlement 17, ne présentent pas le caractère de décisions susceptibles de faire grief, au sens de l'article 189 du traité, et ne sont, par suite, pas susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation, sur le fondement de l'article 173 du traité. Or, en l'espèce, les requérantes ont dirigé leurs conclusions en annulation exclusivement contre la communication provisoire du 8 mai 1990. Par suite, et en tout état de cause, les parties requérantes seraient irrecevables à demander l'annulation de la lettre du 8 mai 1990.
43. Le Tribunal rappelle, en deuxième lieu, que si l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, dans sa rédaction applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal lors de l'introduction du recours, comme les dispositions équivalentes de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, permettent, dans certaines circonstances, la production de moyens nouveaux en cours d'instance, ces dispositions ne peuvent, en aucun cas, être interprétées comme autorisant les parties requérantes à saisir le juge communautaire de conclusions nouvelles et à modifier ainsi l'objet du litige (arrêts de la Cour du 25 septembre 1979, Commission/France, 232-78, Rec. p. 2729 ; du 18 octobre 1979, GEMA, précité ; du 8 février 1983, Commission/Royaume-Uni, 124-81, Rec. p. 203 ; du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, 205-84, Rec. p. 3814 ; du 14 octobre 1987, Commission/Danemark, 278-85, Rec. p. 4069). Cette solution n'est pas remise en cause par la circonstance que le juge communautaire admet que, dans le cadre du contentieux de l'annulation, les conclusions initiales dirigées contre un acte retiré, en cours d'instance, par l'institution dont il émane puissent être regardées, dans un souci de bonne administration de la justice, comme dirigées contre l'acte nouveau, substitué par l'institution défenderesse, à l'acte retiré (arrêt du 3 mars 1982, Alpha Steel, précité). En effet, cette substitution, qui ne modifie pas la nature du litige initialement introduit sur le fondement de l'article 173 du traité, ne saurait être interprétée, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, comme autorisant la substitution de conclusions en annulation aux conclusions en carence initialement soumises au Tribunal, ainsi d'ailleurs que la Cour l'a expressément jugé dans l'arrêt GEMA, précité.
44. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les parties requérantes, qui ont initialement saisi le Tribunal sur le fondement de l'article 175 du traité, ne sont pas recevables à demander la transformation de ces conclusions initiales en conclusions en annulation, fondées sur l'article 173 du traité, et dirigées contre la communication provisoire du 8 mai 1990.
Sur les conclusions fondées sur les articles 178 et 215 du Traité
Argumentation des parties
45. Dans leur requête introductive d'instance, les parties requérantes demandent à être indemnisées du préjudice résultant pour elles des pratiques anticoncurrentielles alléguées. Elles distinguent, à cet égard, le préjudice imputable à l'attitude des entreprises membres de l'entente alléguée et du Gouvernement français de celui directement imputable à la carence de la Commission. Selon les parties requérantes, ce dernier peut être évalué au montant des pertes qu'elles ont subies pendant les deux dernières années, l'aggravation du préjudice au cours de cette période étant due à la carence de la Commission.
46. La Commission soutient, pour sa part, que, compte tenu de la complexité de l'affaire et des nécessités d'une enquête préalable à toute prise de position, elle n'a violé aucune règle de droit communautaire. Toute responsabilité de sa part pour un quelconque préjudice que les parties requérantes auraient pu subir, serait, dès lors, exclue. Elle relève, en outre, que la requête ne répond pas aux conditions minimales prévues à l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis, à la date de son dépôt, à la procédure devant le Tribunal, qui impose, entre autres, que la requête indique l'objet du litige et contienne un exposé sommaire des moyens invoqués. De même, relève-t-elle que les données chiffrées contenues dans la requête et dans ses annexes n'ont aucun lien avec un éventuel préjudice que les parties requérantes pourraient avoir subi du fait de sa prétendue inaction après l'introduction de leurs plaintes respectives.
47. Elle en conclut que, dans la mesure où l'action en indemnité ne serait pas irrecevable pour manque de précision, elle serait pour le moins mal fondée, également à ce titre.
Appréciation du Tribunal
48. En présence de cette argumentation, le Tribunal relève que l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de la Cour, qui était à l'époque applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal, exige que la requête introductive d'instance contienne l'objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués.
49. Or, le Tribunal constate, d'une part, que la requête introductive d'instance, enregistrée au greffe de la Cour le 20 mars 1990, ne contenait aucune justification du montant des indemnités réclamées respectivement par chacune des parties requérantes et, que, d'autre part, c'est uniquement dans leur réponse du 12 avril 1990 à une lettre du greffe du 21 mars 1990 que les parties requérantes ont produit une "note explicative sur le calcul du préjudice'.
50. Or, pour justifier le préjudice allégué, les parties requérantes soutiennent qu'il correspond au préjudice commercial résultant de la carence de la Commission. Par suite, le Tribunal estime que les requérantes ne pourraient, en tout état de cause, prétendre qu'à la réparation du préjudice postérieur au 21 janvier 1990, date à laquelle, pouvait, au plus tôt, le cas échéant, être constatée la carence de la Commission. Or, le préjudice allégué dans la requête introductive d'instance du 20 mars 1990, tel que précisé dans la "note explicative sur le calcul du préjudice', ne vise que les pertes financières subies au titre des exercices 1985 à 1989. Il est donc antérieur à la période au cours de laquelle la responsabilité de l'institution communautaire basée sur une prétendue carence aurait pu, le cas échéant, être engagée.
51. Il résulte de ces considérations que le recours est irrecevable pour autant qu'il est fondé sur les articles 178 et 215 du traité.
Sur les dépens
52. En vue de circonscrire le montant des dépens qu'il lui incombe de régler, le Tribunal rappelle que la Cour a décidé, dans son ordonnance du 23 mai 1990, que les parties requérantes supporteraient la moitié des dépens engagés jusqu'à la date de ladite ordonnance et qu'il incomberait au Tribunal de statuer sur le surplus des dépens engagés devant la Cour et sur les dépens engagés devant lui.
53. Au terme des considérations qui précèdent, le Tribunal a constaté, d'une part, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête pour autant que celle-ci est fondée sur l'article 175 du traité, et, d'autre part, que le recours doit être rejeté comme irrecevable pour autant qu'il est fondé sur une prétendue transformation des conclusions en carence en conclusions en annulation et sur les articles 178 et 215 du traité.
54. Le Tribunal rappelle, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, il règle librement les dépens en cas de non-lieu à statuer, et, en second lieu, qu'aux termes de l'article 87, paragraphe 3, de ce même règlement, il peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.
55. Le Tribunal relève, en l'espèce, l'existence de motifs exceptionnels.
56. Ainsi, le Tribunal constate qu'initialement la Commission n'a pas donné suite à la mise en demeure que les parties requérantes lui ont adressée le 21 novembre 1989, alors même qu'elle était dûment informée de la substance de leurs plaintes depuis le 18 novembre 1985 et, en tout cas, depuis le 29 novembre 1988, contribuant ainsi à la naissance du présent litige. Le Tribunal constate, par ailleurs, que c'est postérieurement à l'introduction du présent recours que la Commission a notifié aux parties requérantes, d'une part, le 8 mai 1990, une prise de position provisoire au sujet de leurs plaintes, conformément à l'article 6 du règlement 99-63, et, d'autre part, le 5 décembre 1991, une décision rejetant définitivement leurs plaintes.
57. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres dépens au sujet desquels la Cour n'a pas statué dans son ordonnance du 23 mai 1990 ainsi que les trois quarts des dépens des parties requérantes, ainsi définis. Les parties requérantes supporteront solidairement un quart de leurs propres dépens au sujet desquels la Cour n'a pas statué dans cette ordonnance.
Par ces motifs, LE TRIBUNAL, déclare et arrête:
1. Il n'y a pas lieu à statuer sur les conclusions de la requête pour autant que celle-ci est fondée sur l'article 175 du traité.
2. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté comme irrecevable.
3. La Commission supportera ses propres dépens et les trois quarts des dépens des parties requérantes sur lesquels la Cour n'a pas statué dans son ordonnance du 23 mai 1990. Les parties requérantes supporteront solidairement un quart de leurs propres dépens ainsi définis.