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Décisions

TPICE, 2e ch., 2 juillet 1992, n° T-61/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dansk Pelsdyravlerforening (Association)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Saggio, Yeraris, Briët, Biancarelli

Avocat :

Me Hogh.

TPICE n° T-61/89

2 juillet 1992

LE TRIBUNAL,

LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS

1 La présente affaire concerne une décision de la Commission des Communautés européennes (ci-après " Commission ") du 28 octobre 1988, par laquelle celle-ci a constaté que certains accords, décisions et pratiques concertées de Dansk Pelsdyravlerforening (Association des éleveurs danois d'animaux à fourrure) constituent des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, enjoint lesdits éleveurs de mettre fin aux infractions et de s'abstenir à l'avenir de prendre de telles mesures, refusé le bénéfice de l'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, et infligé une amende à Dansk Pelsdyravlerforening.

2 Dansk Pelsdyravlerforening (ci-après " DPF ") est une association coopérative danoise. Elle regroupe plus de 5 000 éleveurs d'animaux à fourrure et fédère cinq associations provinciales. L'objet de DPF est de former un trait d'union entre les associations provinciales, de créer un esprit de solidarité et de communauté entre les éleveurs danois d'animaux à fourrure, de contribuer au développement de l'élevage d'animaux à fourrure au Danemark, ainsi que de représenter les intérêts des éleveurs d'animaux à fourrure face aux autorités et aux autres branches professionnelles.

3 DPF opère également sous la dénomination Danske Pelsauktioner (ci-après " DPF ") ; dans ce dernier cadre, son activité a pour objet la commercialisation des peaux produites ou travaillées par ses membres.

4 Toute personne ou groupe de personnes qui élève des animaux à fourrure et qui est membre d'une association provinciale relevant de DPF est considéré comme membre (actif ou honoraire) de DPF. Par ailleurs, les entreprises qui travaillent les peaux peuvent également être admises comme membres.

5 DPF offre à ses membres des services de conseil, des services vétérinaires, des possibilités de formation, une revue mensuelle, ainsi que des activités d'essai et de recherche. Certains services sont gratuits, d'autres sont rémunérés.

6 PF a instauré certaines dispositions spéciales au profit de ses membres, notamment les règles concernant les secours d'urgence, celles applicables en matière d'avances pour jeunes animaux et les règles d'admission au palmarès.

7 DPA organise des ventes de peaux aux enchères. Ces ventes sont publiques et ouvertes à tous, membres de la requérante ou toute autre personne intéressée, pour l'achat comme pour la vente.

8 Les produits en cause sont des peaux non travaillées de vison, de renard, de raton laveur et de putois. En l'espèce, toutefois, seules les peaux de vison et de renard revêtent de l'importance. Les peaux sont vendues, soit - en général - aux enchères, soit - plus rarement - par voie de transactions privées avec des négociants en peaux. Il existe un petit nombre de salles de vente aux enchères.

9 Le Danemark produit chaque année environ 9 millions de visons et 240 000 renards. La plupart des peaux de ces animaux sont vendues aux enchères organisées par DPA. Les peaux de vison vendues aux enchères organisées par DPA représentent le tiers de la production mondiale. Environ 98 % des peaux vendues à ces enchères sont exportées.

10 Hudson's Bay and Annings Ltd (ci-après " HBA "), devenue en 1986 Hudson's Bay Company Properties (UK) Ltd, est la principale entreprise de vente aux enchères de peaux au Royaume-Uni, avec des filiales au Danemark, aux Pays-Bas, en Finlande, en Suède et en Norvège. Au Danemark comme ailleurs, elle dispose d'agents chargés d'acheter et de centraliser les peaux destinées à être vendues aux enchères à Londres.

11 Le 4 janvier 1985, HBA a présenté à la Commission une demande tendant à faire constater, conformément à l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204, ci-après " règlement n° 17-62 "), une infraction aux articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité, commise par DPF.

12 Le 27 août 1985, DPF a notifié à la Commission les accords et décisions suivants :

a. Love for Dansk Pelsdyravlerforening (" statuts de l'Association des éleveurs danois d'animaux à fourrure ") ;

b. Regler for avlernes kapitalfond (" règles concernant le fonds de capital des éleveurs ") ; c. Regler for katastrofehjael psordningen (" règles concernant le secours d'urgence "). Elle a demandé l'octroi d'une attestation négative et, subsidiairement, le bénéfice d'une déclaration d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE.

13 Le 30 mars 1987, la Commission a décidé d'engager la procédure dans les conditions prévues à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17-62.

14 Après avoir donné à DPF l'occasion de faire connaître son point de vue sur les griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17-62 et au règlement n° 99-63-CEE de la Commission du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268) et après avoir consulté le Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, la Commission a pris la décision attaquée (ci-après " Décision "), qui comporte le dispositif suivant :

" Article premier

1. Les accords, décisions d'associations d'entreprises des éleveurs danois d'animaux à fourrure (DPF), et les pratiques concertées visées ci-après, constituent des infractions à l'article 85, paragraphe 1 :

a) l'article 4 point 1 sous f) des statuts de DPF, qui prévoit que les membres actifs sont ceux qui notamment s'engagent à ne pas organiser de ventes ou prêter, de toute autre manière, leur concours à des ventes de peaux concurrençant l'activité commerciale de l'association des éleveurs danois d'animaux à fourrure et la mise en œuvre de cette clause ;

b) l'article 5 des règles concernant le secours d'urgence, qui prévoit que l'aide en cause est refusée si l'assuré a fourni des peaux à la vente à d'autres acheteurs que DPA pendant l'exercice au cours duquel s'est produit le sinistre ou pendant l'exercice comptable précédent ;

c) l'obligation pour un membre de remettre à DPA l'intégralité de sa production en confiant à cet organisme le soin de la vendre :

- lorsque le membre a bénéficié d'une avance pour jeunes,

- lorsque le membre souhaite figurer au palmarès ;

d) l'article 5 de l'accord type sur le contrôle de la pelleterie, qui interdit au centre de pelleterie de montrer des peaux ou d'organiser des ventes ou toute autre forme d'expédition au profit d'autres acheteurs que ceux de DPA.

2. Dans la mesure où elle ne l'a pas encore fait, DPF met fin aux infractions indiquées au paragraphe 1 et s'abstient à l'avenir de prendre des mesures ayant le même objet ou le même effet que les restrictions précitées.

3. Une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3 en faveur des règlements notifiés à la Commission et qui sont cités au paragraphe 1 points a) et b) est refusée.

4. [omissis].

Article 2

1. Une amende de 500 000 écus (cinq cent mille écus) est infligée à l'Association des éleveurs danois d'animaux à fourrure (DPF) pour les infractions indiquées à l'article 1er.

2. [omissis]

Articles 3 et 4

[omissis] ".

15 En ce qui concerne l'article 85, paragraphe 1, la Décision dispose que l'article 4, point 1, sous f), des statuts de DPF, d'une part, et que l'obligation de livrer l'intégralité de la production de peaux, à laquelle est subordonnée la possibilité de bénéficier de l'avance pour jeunes animaux, d'être affilié au système de secours d'urgence et d'être admis au " palmarès ", et qui est également contenue dans l'accord type sur le contrôle de la pelleterie, d'autre part, ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence. La Décision relève que l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité n'est pas exclue par l'article 2 du règlement n° 26-62 du Conseil du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO 1962, 30, p. 993, ci-après " règlement n° 26-62 ").

16 Au regard de l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE, la Décision conclut que l'article 4, point 1, sous f), des statuts de DPF, comme les autres stipulations notifiées, ne peuvent bénéficier de l'exemption prévue au titre de ce paragraphe, puisque les conditions d'exemption ne sont pas remplies. En outre, la Décision conclut que les règles concernant l'avance pour jeunes animaux, les conditions relatives à l'admission au palmarès et l'accord type sur le contrôle de la pelleterie, qui n'ont pas été formellement notifiés à la Commission, ne relèvent pas de l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 et que, pour cette raison, il n'est pas possible de prendre une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE pour ces accords.

17 Il convient de relever que, par lettres du 4 juin 1987 et du 26 novembre 1987, DPF a fait des propositions de modification de certaines de ces règles. Toutefois, selon la Décision, ces propositions n'ont pas été mises en œuvre, sauf en ce qui concerne les règles applicables à l'avance pour jeunes animaux. La Commission a déclaré n'envisager la possibilité d'octroyer une attestation négative ou une exemption qu'une fois effectuées les modifications proposées et après avoir eu la possibilité d'examiner leur mise en œuvre.

LA PROCEDURE

18 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 18 janvier 1989, DPF a introduit le présent recours, visant, à titre principal, à l'annulation de la Décision et, à titre subsidiaire, à l'annulation ou à la réduction du montant de l'amende infligée.

19 La procédure écrite s'est entièrement déroulée devant la Cour.

20 Par ordonnances du 7 juin 1989, la Cour a admis le Royaume de Belgique et le Royaume de Danemark à intervenir à l'appui des conclusions de la requérante.

21 Par ordonnance du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé l'affaire devant le Tribunal, en application de l'article 14 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988 instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes.

22 Par ordonnance du 15 mai 1990, le Tribunal a rejeté une demande en intervention à l'appui des conclusions de la Commission, introduite le 20 février 1990 par MM. Harald Andersen et Jorgen Hansen Pedersen.

23 Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 18 mars et le 21 mars 1991, les parties principales ont répondu aux questions qui leur avaient été posées par le Tribunal par lettre du greffier du 14 février 1991.

24 Au vu des réponses fournies à ces questions et sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

25 Les parties principales et le Royaume de Belgique, en qualité de partie intervenante, ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 2 octobre 1991.

LES CONCLUSIONS DES PARTIES

26 DPF, partie requérante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

1. à titre principal :

déclarer nulle et non avenue la décision de la Commission du 28 octobre 1988 dans l'affaire n° IV/B-2/31.424 ;

à titre subsidiaire :

annuler ou réduire l'amende infligée par la Commission dans la décision précitée ;

2. condamner la défenderesse aux dépens.

27 La Commission, partie défenderesse, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

1. rejeter le recours comme non fondé ;

2. condamner la requérante aux dépens de l'instance.

28 Le Royaume de Belgique, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal : déclarer fondées les conclusions de la partie requérante.

29 Le Royaume de Danemark, partie intervenante, appuie l'intégralité des conclusions de la partie requérante.

Sur les conclusions principales tendant a l'annulation de la décision

30 Au soutien de ses conclusions principales, DPF a soulevé un seul moyen, tiré de l'absence de violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Ce moyen s'articule en quatre branches. En premier lieu, DPF soutient que la Commission n'a pas tenu compte de l'incidence du règlement n° 26-62 ni de celle des principes de la politique agricole commune. Elle soutient, en deuxième lieu, qu'il convient de tenir compte de son statut coopératif et de son objet social. En troisième lieu, elle conteste l'analyse du fonctionnement du marché de référence effectuée par la Commission. Enfin, la requérante fait valoir, en quatrième et dernier lieu, que ses statuts et les conditions générales de vente qu'elle pratique ne sont pas contraires à l'article 85 du traité.

1 En ce qui concerne l'application du règlement n° 26-62 et l'incidence des principes de la politique agricole commune

Argumentation des parties

31 La requérante et les parties intervenantes font valoir qu'il convient de tenir compte de l'incidence, sur la licéité des stipulations litigieuses, du règlement n° 26-62 et des objectifs et règles de la politique agricole commune.

32 Si elle admet que les peaux des animaux à fourrure ne sont pas mentionnées à l'annexe II du traité, visée à son article 38, et qu'elles ne relèvent donc pas du règlement n° 26-62, la requérante estime toutefois qu'on ne saurait évaluer ses activités sans tenir compte des principes qui régissent la politique agricole commune et des objectifs qu'elle vise. La requérante fait remarquer, à cet égard, que toutes ses activités ont un lien avec l'élevage d'animaux vivants en vue de la vente de peaux. L'élevage des animaux à fourrure devrait être considéré comme une exploitation à caractère agricole. En effet, l'animal à fourrure en tant qu' " animal vivant " figure parmi les produits agricoles énumérés à l'annexe II du traité. En 1957, poursuit la requérante, l'élevage d'animaux à fourrure représentait une partie insignifiante de la production agricole des Etats membres. Cette circonstance explique, selon elle, l'absence de mention de ces animaux dans l'annexe II du traité.

33 La requérante considère, en outre, qu'elle satisfait pleinement aux objectifs assignés à la politique agricole commune par l'article 39 du traité. Grâce aux efforts déployés par la requérante, l'élevage des animaux à fourrure se serait considérablement développé au Danemark et aurait contribué, dans une large mesure, à assurer un niveau de vie équitable à une partie de la population agricole.

34 La Commission répond que le règlement n° 26-62 ne s'applique qu'aux produits énumérés à l'annexe II. Même s'il s'agit d'un produit accessoire à la production d'un produit relevant de ladite annexe, le règlement n° 26-62 ne serait pas applicable (arrêt de la Cour du 25 mars 1981, dit " de la présure ", Coöperatieve Stremsel - en Kleursel - fabriek/Commission, 61-80, Rec. p. 851). La Commission souligne, en outre, que le règlement n° 26-62 n'autorise pas, d'une façon générale, à pratiquer des restrictions de concurrence dans le domaine agricole.

35 Selon le gouvernement belge, la décision de la Commission porte atteinte aux principes essentiels de la coopération en agriculture. La coopérative agricole exercerait, par la création d'associations d'exploitants agricoles, une fonction régulatrice dans l'intérêt de ses membres et, partant, favoriserait la concurrence tant pour les membres que pour les tiers. Le gouvernement belge reconnaît que le règlement n° 26-62 a un champ d'application limité, mais souligne que des produits autres que ceux figurant à l'annexe II du traité CEE font partie de la production agricole et que leurs producteurs font partie des organisations agricoles. En outre, le gouvernement belge remarque que la production agricole évolue et que, pour cette raison, le règlement n° 26-62 trouve de moins en moins à s'appliquer aux activités liées à l'agriculture. Or, l'agriculture étant caractérisée dans la Communauté européenne par sa structure familiale, la coopération constituerait, pour ces exploitations familiales, une garantie d'accès au marché.

Appréciation du Tribunal

36 Le Tribunal rappelle, comme la Cour l'a déjà relevé dans l'arrêt du 25 mars 1981, précité, qu'aux termes de l'article 42 du traité, les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Conseil. L'article 38, paragraphe 3, du traité dispose que les produits qui relèvent des dispositions des articles 39 à 46 du traité sont énumérés à la liste qui fait l'objet de l'annexe II du traité et à laquelle le Conseil pouvait, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur du traité, ajouter d'autres produits. C'est en conformité avec ces dispositions que le champ d'application du règlement n° 26-62 a été limité, en son article 1er, à la production et au commerce des produits énumérés à l'annexe II du traité.

37 Ainsi que l'a jugé la Cour, dans son arrêt " de la présure ", précité, en l'absence de dispositions communautaires expliquant les notions figurant à l'annexe II du traité, et compte tenu de ce que cette annexe reprend exactement certaines positions de la nomenclature du Conseil de coopération douanière, il convient de se référer, pour l'interprétation de ladite annexe, aux notes explicatives de cette nomenclature, dite de Bruxelles. Il ressort de la note explicative et du contenu même du chapitre 43 de cette nomenclature, intitulé " pelleteries et fourrures - pelleteries factices ", que les peaux et fourrures relèvent de ce chapitre 43, notamment les peaux de renards (position 4301.60) et les peaux de visons (position 4302.11). Or, le chapitre 43 ne figure pas à l'annexe II du traité. On ne saurait donc appliquer le règlement n° 26-62 à la fabrication d'un produit qui ne relève pas de l'annexe II du traité, même s'il constitue un produit accessoire à un autre produit qui relève, pour sa part, de cette annexe (arrêt de la Cour du 25 mars 1981, dit " de la présure ", précité). Dès lors, le Tribunal estime que, faute pour les peaux et fourrures d'animaux d'être mentionnées à l'annexe II, qui énumère de façon limitative la liste des produits agricoles, les peaux et fourrures d'animaux ne sauraient relever des dispositions du règlement n° 26-62.

38 Cette conclusion n'est pas remise en cause par les circonstances, à les supposer d'ailleurs établies, que, d'une part, l'élevage des animaux à fourrure est considéré comme une exploitation à caractère agricole au Danemark et que, d'autre part, les éleveurs d'animaux à fourrure de ce pays se sont regroupés dans une association coopérative dont les activités contribueraient à la réalisation de buts identiques à ceux visés par la politique agricole commune et mentionnés à l'article 39 du traité.

39 Il s'ensuit que la première branche du moyen unique, tirée de l'applicabilité du règlement n° 26-62, n'est pas fondée.

2 En ce qui concerne l'incidence de la structure coopérative et de l'objet social de la requérante

Argumentation des parties

40 La requérante et les parties intervenantes soutiennent que le caractère coopératif de la requérante et son objet social ont une incidence sur l'applicabilité aux faits de la cause de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

41 Selon la requérante, les activités d'une coopérative typique consistent en une collaboration entre des agriculteurs indépendants - les coopérateurs - en vertu de laquelle leurs produits sont travaillés dans une entreprise commune et-ou commercialisés par elle (associations de production et de vente) ou les produits utilisés dans la production primaire sont achetés en commun (groupements d'achats). La forme coopérative permet donc de maintenir la nature individuelle ou familiale des exploitations primaires là où elle se justifie et d'utiliser l'entreprise commune pour des services (achat, vente, assistance technique, etc) qu'un membre ne peut pas assurer à titre individuel, permettant ainsi d'augmenter la production et d'en améliorer la qualité, de renforcer les conditions de concurrence et, par conséquent, de baisser les prix tout en contribuant à améliorer les conditions de vie de la population agricole. La requérante souligne que, dans la plupart des sociétés coopératives, la qualité de membre impose de remplir certaines obligations vis à-vis de la coopérative, les principales étant notamment que les membres doivent vendre leurs produits par le canal de l'association, que leur retrait de cette dernière ne peut avoir lieu qu'après un certain délai et qu'il peut éventuellement faire l'objet de sanctions. Ces obligations sont nécessaires, selon la requérante, pour rendre possible le financement de la société (qui ne dispose que d'un très faible capital de base) et pour protéger les intérêts de tous les membres au maintien des activités communes. Par ailleurs, la communauté d'intérêts qui existe entre les membres et l'association, ainsi que la solidarité et la loyauté sur lesquelles celle-ci est fondée, impliquent que les membres s'abstiennent d'agir à l'encontre des intérêts de l'asso iation, par exemple en participant activement à une association concurrente. La requérante rappelle, en outre, que les droits économiques des membres d'une coopérative sont déterminés en fonction des ventes qu'ils réalisent par son intermédiaire et non de leur apport en capital et que la règle " une personne - une voix " est essentielle dans le contexte d'une association coopérative.

42 Quant au rapport entre les principes coopératifs et les règles de concurrence du traité, la requérante considère qu'une organisation qui agit en conformité avec de tels principes n'est pas en infraction à ces règles. Il ressortirait, notamment, de l'arrêt de la Cour du 25 mars 1981, dit " de la présure ", précité, et en particulier des observations du gouvernement français dans ladite affaire, que " la coopérative agricole requiert l'établissement de liens privilégiés, d'une part, entre les exploitants et, d'autre part, entre ces derniers et la coopérative " (point 22 des motifs), sans que ces règles ne soient en principe incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1. Pour en juger, il faut, selon la requérante, apprécier concrètement, dans chaque cas, les obligations qu'une coopérative impose à ses membres.

43 La requérante se considère comme une coopérative typique au sens traditionnel, associant de nombreux petits élevages d'animaux à fourrure, de dimension familiale, en vue de résoudre des problèmes communs concernant les achats, les contrôles de qualité, la lutte contre les maladies, la commercialisation des produits finis, la recherche et le développement.

La requérante explique qu'elle a choisi la forme coopérative à la fois pour des raisons historiques, puisqu'au Danemark les activités liées à l'agriculture sont traditionnellement organisées sous forme coopérative et que l'élevage d'animaux à fourrure s'est développé à partir de l'agriculture, et pour des raisons économiques, puisque la forme de société coopérative a permis de conserver, dans l'élevage des animaux à fourrure, la forme d'entreprises familiales. Le fait que la commercialisation des peaux a lieu par l'intermédiaire de ventes aux enchères ne différencie pas, selon la requérante, son activité de celle des autres coopératives typiques, dès lors que beaucoup d'autres produits agricoles sont vendus aux enchères.

Dans le cas des peaux, dont le marché pertinent serait le marché mondial, toutes les ventes en gros s'effectueraient par l'intermédiaire de ventes aux enchères qui seraient déterminantes pour la formation des prix. Ce ne serait que de cette manière qu'il serait possible aux éleveurs d'animaux à fourrure de préparer des peaux de la meilleure qualité possible et que pourrait être créé un marché sur lequel l'offre serait présentée, après avoir fait l'objet d'un tri, à de nombreux acheteurs dans des conditions permettant une fixation rationnelle des prix.

D'après les explications de la requérante, le marché des peaux est entièrement transparent, les ventes aux enchères qu'elle organise étant ouvertes à la fois aux membres de DPF et aux tiers. De même, ses membres peuvent-ils choisir de vendre tout ou partie de leur production par l'intermédiaire d'autres canaux de vente. En effet, la requérante explique qu'au contraire de ce qui se passe dans d'autres coopératives dans différents Etats membres, elle n'a jamais voulu introduire d'obligation de commercialisation liée à la qualité de membre ; ce ne serait que dans des situations dans lesquelles un membre bénéficie de prestations spécifiques de la requérante (secours d'urgence, avance pour jeunes animaux, etc) qu'il devrait accepter une obligation limitée de livrer ses peaux à la coopérative.

44 La Commission souligne, pour sa part, que la requérante a non seulement pour objet la défense des intérêts de ses membres vis-à-vis de l'administration et des autres secteurs d'activité, mais aussi la vente des peaux produites ou préparées par ses membres. Les ventes aux enchères représenteraient une partie très importante des activités de la requérante et l'on ne saurait la comparer, à cet égard, à celles d'une coopérative agricole. En outre, la Commission rappelle que l'arrêt " de la présure ", précité, ne portait pas sur la position des coopératives agricoles auxquelles se référaient les observations du gouvernement français (point 25 des motifs). La Commission estime que le gouvernement français avait alors voulu attirer l'attention sur l'existence, dans le secteur agricole, de nombreuses petites coopératives locales, qui devraient être considérées comme relevant de l'article 2 du règlement n° 26-62. Tel ne serait pas le cas dans la présente affaire. En effet, le produit en cause ne relèverait pas de l'annexe II du traité. En outre, la requérante ne serait pas une petite coopérative locale, mais une société coopérative qui occupe une position très importante sur le marché considéré. La Commission remarque, en outre, que la notion d'entreprise au sens de l'article 85 du traité n'est liée ni à des formes juridiques déterminées ni au mode de propriété de l'entreprise (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40 à 48, 50, 54 à 56, 111, 113 et 114-73, Rec. p. 1663 et l'arrêt " de la présure ", précité).

45 Selon le gouvernement belge, la coopérative serait, dans une économie de marché, une forme spécifique d'entreprise, intermédiaire entre une entreprise dans laquelle toutes les unités économiques sont indépendantes et une entreprise dans laquelle toutes les unités économiques ont été intégrées. La caractéristique essentielle de la coopérative serait le double rapport existant entre la société et ses membres. Le membre de la coopérative serait en même temps utilisateur de services ou fournisseur de produits et apporteur de capital. S'il s'affilie à la coopérative, un membre bénéficie de ses avantages. Il serait donc normal qu'un membre s'engage à ne pas exercer son activité simultanément avec et contre cette coopérative en organisant des ventes concurrentielles. Les principes de base du mouvement coopératif ne devraient pas être considérés comme contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Par le regroupement de petites unités économiques, la coopération constituerait une forme de concentration qui favorise une concurrence réelle. Les stipulations qui font l'objet de la Décision relèveraient des principes fondamentaux de la coopération. Le gouvernement belge soutient que les règles de la concurrence doivent être appliquées en tenant compte de la réalité du marché. Dans l'arrêt du 25 octobre 1977, Metro/Commission (26-76, Rec. p. 1875), la Cour a reconnu que la nature et l'intensité de la concurrence peuvent varier. En se référant aux conclusions de M. l'avocat général Reischl sous les arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil (138-79, p. 3333) et Maizena/Conseil (139-79, Rec. p. 3393), dans lesquelles celui-ci a relevé que, dans le domaine agricole, les règles de concurrence ont une portée relative, le gouvernement belge estime que les objectifs définis à l'article 39 du traité doivent également être pris en considération dans l'examen du respect des règles de concurrence par une coopérative agricole.

46 Le gouvernement danois fait valoir que la présente affaire soulève des questions de principe concernant les rapports entre les règles communautaires de concurrence et le mouvement coopératif. Il remarque qu'à la différence de celui des sociétés à responsabilité limitée, le capital social de la coopérative dépend du nombre de ses membres et du chiffre d'affaires réalisé par chaque membre avec la coopérative. La coopérative reposerait sur le principe de la liberté d'adhésion et de la liberté de quitter la coopérative. Les excédents de la coopérative seraient répartis entre les membres en proportion du chiffre d'affaires qu'ils ont réalisé avec la coopérative et non en proportion de leur éventuel apport en capital. Les membres disposeraient tous du même droit de vote, indépendamment de l'apport en capital. Le but de la coopérative serait donc de créer les conditions d'une collaboration volontaire, à but lucratif, dans l'intérêt des membres. La structure de la coopérative influerait directement sur la définition des droits et des devoirs des membres. Dès lors, chaque membre devrait avoir un comportement loyal envers la coopérative, c'est-à-dire envers les autres membres, et les membres seraient tenus de ne pas agir directement à l'encontre des intérêts de la coopérative.

47 De l'avis du gouvernement danois, le mouvement coopératif contribue à la réalisation des buts de la politique agricole commune, tels que définis à l'article 39 du traité. Tout en admettant que le règlement n° 26-62 ne vise pas l'activité de la requérante, celle-ci n'étant pas, dans la mesure où les peaux d'animaux à fourrure ne figurent pas à l'annexe II du traité, une activité agricole au sens du traité CEE, le gouvernement danois souligne, toutefois, que ce règlement exprime la nature des rapports qui doivent prévaloir entre les règles de la politique agricole commune et les règles communautaires de concurrence et que, par conséquent, il faudrait tenir compte des conditions spécifiques de la production agricole et des avantages qui sont liés à l'utilisation de la coopérative comme forme d'organisation. Par suite, un accord conclu entre un certain nombre de personnes dans le but de créer une coopérative n'enfreindrait pas l'article 85, paragraphe 1, du traité.

48 Selon le gouvernement danois, DPF est une coopérative typique. Bien que DPF soit une société avec un chiffre d'affaires tout à fait significatif, elle n'en resterait pas moins composée d'un certain nombre de producteurs de petite ou moyenne importance. La situation serait donc différente de celle qui se présentait dans l'affaire de la présure, précitée. Les statuts de DPF ne seraient que l'expression de l'établissement des liens nécessaires entre les membres et la coopérative, dont dépendrait l'efficacité de celle-ci et, partant, sa capacité à soutenir la concurrence mondiale, qui serait d'une importance essentielle par rapport à la situation de concurrence dans la Communauté.

Appréciation du Tribunal

49 Le Tribunal rappelle, liminairement, que l'article 85 du traité s'applique à tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres.

50 Le Tribunal estime, en premier lieu, que DPF doit être considérée comme une entreprise, au sens de l'article 85 du traité, ainsi d'ailleurs qu'il ressort implicitement de la réponse ci-dessus apportée à la première branche du moyen unique tirée de l'applicabilité du règlement n° 26-62. En effet, au regard du droit communautaire de la concurrence, d'une part, la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique (arrêt de la Cour du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979), indépendamment du statut juridique de cette entité, et, d'autre part, l'organisation des ventes de peaux aux enchères publiques est une activité économique. La circonstance que DPF serait une coopérative organisée en conformité avec la législation danoise ne saurait affecter la nature économique de l'activité exercée par ladite coopérative. Le Tribunal estime, en deuxième lieu, que DPF peut également être qualifiée d'association d'entreprises, dès lors qu'aux termes mêmes de l'article 4, point 1, de ses statuts, elle a vocation à regrouper non seulement des personnes physiques, mais également des sociétés par actions, des sociétés en nom collectif ou toutes autres formes de sociétés qui, par nature, exercent, elles aussi, une activité économique.

51 Il convient ensuite, pour le Tribunal, d'examiner la pertinence de l'argumentation de la requérante et des parties intervenantes relative à la conciliation des principes régissant le secteur coopératif et des règles communautaires de la concurrence. A cet égard, il y a lieu de remarquer que, si l'organisation d'une entreprise sous la forme juridique spécifique d'une société coopérative ne constitue pas en elle-même un comportement restrictif de concurrence, un tel mode d'organisation peut, compte tenu du contexte dans lequel opère la coopérative, constituer néanmoins un moyen apte à influer sur le comportement commercial des entreprises membres de la coopérative, de manière à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence sur le marché où ces entreprises déploient leurs activités commerciales.

52 Le Tribunal estime, en effet, que toute coopérative, selon le contexte dans lequel elle opère, peut avoir un effet sur la concurrence, au moins à un double titre. D'une part, une société coopérative comme celle de l'espèce, du fait même des principes qui la régissent, est susceptible d'affecter le libre jeu de la concurrence en ce qui concerne l'activité qui correspond à son objet social, alors surtout qu'au nom des principes coopératifs, cette société échappe, dans une proportion variable selon les Etats membres, à l'application des règles de droit national imposées aux autres formes d'organisation sociétaire. D'autre part, les obligations imposées aux membres de la coopérative, et en particulier les obligations liées à l'application du principe dit de " la fidélité coopérative ", en vertu duquel la coopérative impose, en règle générale, à ses membres des obligations de livraison ou de fourniture en contrepartie des avantages particuliers qu'elle leur accorde, sont susceptibles d'exercer une influence tout à la fois sur l'activité économique de la coopérative et sur le libre jeu de la concurrence entre ses membres et vis-à-vis des tiers.Par suite, s'il peut être tenu compte, dans l'appréciation des effets sur un marché donné de la présence d'une coopérative, des caractères particuliers de cette forme d'association d'entreprises, cette prise en compte doit s'effectuer notamment au regard des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Dès lors, la requérante et les parties intervenantes ne sont fondées ni à soutenir que l'exercice d'une activité économique par une société coopérative serait, par principe, soustraite à l'application des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, ni à faire valoir que les conditions d'applicabilité des règles communautaires de la concurrence au secteur coopératif en tant que telles sont, par nature, différentes de celles relatives aux autres formes d'organisation de l'activité économique (voir, à cet égard, l' arrêt " de la présure ", précité). En juger autrement permettrait à tout Etat membre de privilégier un type déterminé d'entreprise dans son organisation économique, aux seules fins de permettre aux entreprises en cause de se soustraire aux règles communautaires de la concurrence applicables aux entreprises. Il en résulterait une rupture d'égalité entre opérateurs économiques, incompatible avec les fondements mêmes de l'ordre juridique communautaire.

53 En l'espèce, cette conclusion est renforcée par la circonstance, précitée, que les statuts de requérante lui permettent de compter, parmi ses membres actifs, non seulement des éleveurs personnes physiques, mais également des sociétés par actions, des sociétés en nom collectif et toutes autres formes d'organisation sociétaire.

54 Il convient également de rappeler, comme la Cour l'a déjà fait dans son arrêt du 30 avril 1986 Asjes (209/213-84, Rec. p. 1425) et dans son arrêt du 27 janvier 1987, Verband der Sachversicherer/Commission (45-85, Rec. p. 405), que lorsque le traité a entendu soustraire certaines activités à l'application des règles de concurrence, il a prévu une dérogation expresse à cet effet. Il en est ainsi, notamment, de la production et du commerce des produits agricoles, en vertu de l'article 42 du traité. Le Tribunal estime que ces principes, dégagés à l'occasion de l'examen de certains secteurs d'activités, doivent être transposés, par analogie, à certaines formes et modalités d'organisation des entreprises ou de l'activité économique. Or, il est constant qu'aucune disposition du traité n'a exclu ou modifié les conditions d'application des règles communautaires de concurrence aux entreprises organisées sous forme coopérative. De telles entreprises peuvent, le cas échéant, bénéficier, comme toute autre entreprise, des dérogations prévues par le traité. Tel serait le cas, notamment, si l'activité de la requérante figurait à l'annexe II du traité et entrait ainsi dans le champ d'application du règlement n° 26-62, ce qui, comme le Tribunal l'a déjà établi, ne se vérifie pas en l'espèce.

55 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la partie requérante et les parties intervenantes ne sont pas fondées à soutenir que le caractère de société coopérative de la requérante, non plus que son objet social, sont de nature à avoir une incidence quelconque sur les conditions d'applicabilité en l'espèce des règles communautaires de la concurrence.

56 Dès lors, la deuxième branche du moyen unique, tirée de l'incidence de la structure coopérative et de l'objet social de la requérante, n'est pas fondée.

3 En ce qui concerne l'analyse du marché pertinent

Argumentation de la partie requérante

57 La requérante admet, pour l'essentiel, la définition du marché de référence retenue par la Commission. Toutefois, elle fait grief à la Commission d'avoir procédé à une analyse incorrecte du fonctionnement du marché. Elle fait valoir que le marché des peaux, dont les produits principaux sont les peaux de vison et de renard, est un marché global. Les frais de transport des peaux seraient peu élevés par rapport à leur valeur. La production serait assurée par un grand nombre de petites unités de production. Les peaux brutes seraient recherchées par environ 1000 acheteurs professionnels, travaillant pour les principaux grossistes et fabricants de peaux provenant de 30 pays différents. Les acheteurs rechercheraient des peaux sous forme de lots comportant un grand nombre de peaux semblables en ce qui concerne leur type, leur taille, leur qualité et leur couleur. Un éleveur ne pourrait pas, à lui seul, remplir ces conditions. Seules des salles de vente, après avoir fait la collecte des peaux, ainsi que leur tri et leur assortiment, seraient en mesure de satisfaire aux exigences posées par les acheteurs, tout en obtenant les prix les plus élevés pour les peaux. Pour le choix d'un canal de distribution, la perspective de vendre ses produits aux prix les plus élevés serait décisive pour l'éleveur. Pour les acheteurs, la concurrence entre les salles de vente résiderait dans l'assortiment que ces salles peuvent offrir, dans la confiance qu'ils ont dans le tri effectué, ainsi que dans la qualité des services proposés à la clientèle, sous la forme, notamment, d'un acheminement rapide et correct des peaux. La requérante soutient qu'il résulte de cette analyse de la structure du marché qu'il n'y a pas, en pratique, de possibilité de vendre des peaux de manière efficace si l'on utilise un grand nombre de canaux de distribution peu importants ou si l'on a recours à la vente directe à des particuliers. Par ailleurs, la vente à des revendeurs privés ne concernerait qu'une très faible partie de la production mondiale de peaux et cela uniquement dans les pays où la production de peaux est si limitée en volume que leur commerce n'a pas d'importance réelle pour l'économie du pays.

58 Sur la base de cette analyse du marché et des circuits de vente des peaux, la requérante estime que la Commission n'a pas, au point 4, sous i), de la Décision, procédé à une analyse correcte du fonctionnement du marché, parce que la vente aux négociants de peaux en dehors du système de la vente aux enchères n'a lieu que dans une mesure tout à fait insignifiante et sans conséquence sur les structures du marché mondial. De plus, l'argument énoncé au point 11 de la Décision, selon lequel " il est pratiquement exclu que les éleveurs danois puissent vendre à titre privé à des acheteurs d'autres Etats membres ", et l'argument figurant au point 12, selon lequel " les membres sont même empêchés d'effectuer des ventes privées ", seraient fondés sur une conception du marché de la fourrure qui ne correspondrait pas à la réalité.

Appréciation du Tribunal

59 Le Tribunal constate que cette branche du moyen invoqué par la requérante repose sur une interprétation erronée de la décision litigieuse. En effet, au point 4, sous i), de la Décision, la Commission se limite à affirmer que " les peaux sont vendues soit par transactions privées à des négociants en peaux, soit plus fréquemment aux enchères ". Les chiffres cités au même point de la Décision ne font que confirmer cette constatation et les proportions que ces chiffres représentent sont, par ailleurs, entièrement confirmées par les données figurant dans la requête. La requérante n'a, au surplus, jamais contesté que les éleveurs peuvent, pour leurs ventes, utiliser le canal de distribution des transactions privées. Il s'ensuit que c'est à tort que la requérante soutient que la Commission s'est fondée, pour décrire le marché, sur une prétendue importance excessive des ventes privées par rapport aux ventes aux enchères qui ne correspondrait pas à la réalité. Par suite, la Commission n'a pas commis d'erreur de fait dans l'appréciation des modalités de fonctionnement du marché.

60 Dès lors, la troisième branche du moyen unique, tirée d'une inexactitude de la description du marché pertinent, n'est pas fondée.

4 En ce qui concerne la conformité des statuts et des conditions générales de la requérante avec l'article 85 du traité

61 La requérante a articulé quatre griefs à l'appui de cette branche du moyen : en premier lieu, elle soutient que ses statuts et conditions générales ne sont pas contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité. En deuxième lieu, elle reproche à la Commission de ne pas avoir apprécié ces stipulations dans le contexte où elles doivent recevoir application. En troisième lieu, elle fait valoir que les conditions visées par la Décision ont, en tout cas, une influence si minime qu'il est permis, conformément à la règle " de minimis ", de ne pas en tenir compte. Enfin, dans son mémoire en réplique, elle a fait valoir qu'en toute hypothèse, les conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité sont remplies et que la Commission aurait dû faire droit à sa demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

62 Le Tribunal rappelle qu'aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'affectation de la concurrence peut résulter tant de l'objet de la pratique restrictive en cause, en l'occurrence la décision d'association d'entreprises, que de ses effets sur le marché. Le jeu de la libre concurrence doit être analysé dans le cadre réel où il se produirait à défaut des stipulations litigieuses (voir, entre autres, les arrêts de la Cour du 30 juin 1966, Société Technique Minière, 56-65, Rec. p. 337, et du 11 juillet 1985, Remia/Commission, 42-84, Rec. p. 2545).

63 Il convient donc d'examiner successivement si les stipulations litigieuses sont susceptibles de relever de l'interdiction édictée à l'article 85, paragraphe 1, du traité et, dans l'affirmative, de rechercher si, d'une part, l'altération du jeu de la concurrence qui en est l'objet ou l'effet est suffisamment sensible et, d'autre part, le cas échéant, si elles sont susceptibles d'être exemptées dans les conditions prévues au paragraphe 3 du même article. Cet examen doit être précédé d'une analyse de la portée de chacune des stipulations en litige, au regard de l'article 85, paragraphe 1. Le Tribunal rappelle, à cet égard, que quatre stipulations sont critiquées par la Décision. Il s'agit, en premier lieu, de la clause de non-concurrence qui serait incluse à l'article 4, point 1, sous f), des statuts de la requérante ; en deuxième lieu, de l'article 5 des règles concernant le système des secours d'urgence ; en troisième lieu, des obligations de livraison exclusive auxquelles est subordonnée la possibilité, pour les membres de l'association, de bénéficier de l'avance pour jeunes animaux et d'être admis au palmarès et, en quatrième et dernier lieu, de l'article 5 de l'accord type sur le contrôle de la pelleterie, selon lequel un centre de pelleterie ne peut présenter les peaux en dépôt qu'aux représentants de la requérante.

4.1 Sur le caractère restrictif de concurrence des stipulations litigieuses

4.1.1 Quant à la clause de non-concurrence qui serait incluse à l'article 4, point 1, sous f), des statuts de la requérante et aux pratiques concertées liées à l'application de cette clause

64 La Décision dispose que l'article 4, point 1, sous f), des statuts de DPF constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en particulier parce que cette stipulation imposerait une obligation de non-concurrence aux membres de cette association, fermant ainsi le marché danois à la concurrence. Au point 10, sous i), de la Décision, la Commission conclut que " l'article 4, point 1, sous f), des statuts de DPF [impose] une obligation de non-concurrence aux membres de cette association. Cette obligation interdit en particulier aux membres d'agir comme agents collecteurs pour des concurrents, fermant ainsi l'accès au marché danois à la concurrence. L'effet restrictif de cette interdiction est encore aggravé par des pratiques concertées consistant pour les membres à ne pas placer de peaux en consignation chez des concurrents ".

65 Aux termes de l'article 4, point 1, sous f), des statuts de DPF : " Les membres de l'association Dansk Pelsdyravlerforening sont répartis en trois groupes :

- les membres actifs (section I)

- [omissis]

Est considéré comme membre actif toute personne ou groupement (société par actions, société en nom collectif ou autre) qui élève des animaux à fourrure et qui est membre d'une association provinciale appartenant à Dansk Pelsdyravlerforening,

[omissis]

f. [qui] s'engagent à ne pas organiser des ventes de peaux susceptibles d'entrer en concurrence avec celles de l'association des éleveurs danois d'animaux à fourrure et à ne pas soutenir de quelque manière que ce soit la vente des peaux en concurrence avec les activités de vente de Dansk Pelsdyravlerforening ".

Argumentation des parties

66 Selon la requérante, l'article 4, point 1, sous f), des statuts, qui a été introduit dans ses statuts en 1946, lorsqu'elle a repris une salle de ventes aux enchères et commencé son exploitation sous la dénomination de DPA, oblige uniquement les membres à ne pas se livrer à des activités directement concurrentes de l'activité de vente de l'association. Tel serait le cas notamment si un coopérateur se faisait engager par un concurrent pour exercer une activité de centre de dépôt, d'agent ou de collecteur de peaux pour le compte d'un tiers concurrent. La requérante conteste que cette stipulation contient une quelconque obligation de livraison, les membres étant parfaitement libres de choisir la salle de ventes dans laquelle ils veulent vendre les peaux, sans que cela ait une quelconque conséquence quant à leur qualité de membre. Elle ajoute, par ailleurs, que le contenu d'une telle stipulation est caractéristique des statuts d'une coopérative.

67 Quant à l'effet sur la situation de la concurrence, la requérante fait valoir que la stipulation en cause ne signifie pas que le marché danois est fermé à la concurrence. Tout concurrent de la requérante peut, en effet, librement engager toute personne autre que les membres de la requérante pour acheter, collecter ou prendre livraison des peaux. La requérante conteste l'affirmation de la Commission, selon laquelle l'effet restrictif serait aggravé par des pratiques concertées, consistant, pour les membres, à ne pas consigner de peaux chez les concurrents de la requérante.

68 La requérante fait remarquer enfin que, dans sa lettre du 10 octobre 1985, la Commission aurait apparemment considéré que cette disposition ne tombait pas sous le coup de l'article 85, paragraphe 1. Le fait que la requérante n'a pas donné suite à la demande qui lui était faite, dans cette lettre, d'introduire une stipulation expresse indiquant que les membres peuvent vendre leurs peaux par l'intermédiaire d'autres canaux de distribution serait dû au fait qu'une telle stipulation serait superflue et contraire à la tradition juridique danoise, laquelle se fonde, dans le domaine coopératif, sur le principe selon lequel ce qui n'est pas expressément interdit aux membres d'une coopérative est autorisé.

69 La Commission rappelle, en premier lieu, que la stipulation litigieuse est formulée en termes très larges qui suggèrent qu'elle implique une obligation de livraison. Elle ajoute que la requérante a refusé de clarifier la teneur de cette stipulation. La Commission remarque, en outre, que l'article 7 des statuts confère aux administrateurs de la requérante la faculté d'exclure un membre et que la requérante a utilisé ce pouvoir pour exclure deux membres qui avaient collecté des peaux pour le compte de HBA.

70 La Commission estime, en deuxième lieu, que l'article 4, point 1, sous f), des statuts, même si on l'interprète comme obligeant uniquement les membres de la coopérative à ne pas se livrer à des activités directement concurrentes de l'activité de vente aux enchères de la requérante, restreint le jeu de la concurrence. La Commission considère que cet effet restrictif de l'interdiction est aggravé par des pratiques concertées qui s'opposent à ce que les membres fournissent des peaux aux concurrents. En outre, la Commission fait valoir que la stipulation litigieuse n'appartient pas aux domaines pour lesquels la Commission et la Cour ont considéré qu'une clause de non-concurrence ne relève pas de l'article 85, paragraphe 1, du traité en raison des circonstances particulières dans lesquelles elle est appliquée (arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia, 42-84, précité).

71 Enfin, en ce qui concerne l'argument tiré de sa lettre du 10 octobre 1985, la Commission répond que, manifestement, il ne s'agissait pas d'une prise de position définitive, ni d'un engagement de sa part (arrêt de la Cour du 15 mai 1975, Frubo/Commission, 71-74, points 19 et 20, Rec. p. 563). Elle rappelle que, dans la communication des griefs et dans sa lettre du 15 mai 1985, elle a nettement indiqué que la stipulation litigieuse était restrictive de concurrence.

Appréciation du Tribunal

72 Le Tribunal estime que le débat entre les parties conduit à examiner, d'une part, si, comme le soutient la Décision, la stipulation litigieuse contient une obligation de non-concurrence contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité et, d'autre part, si des pratiques concertées contraires au même article sont liées à l'application de cette clause de non-concurrence.

73 S'agissant, en premier lieu, de la question de savoir si la stipulation litigieuse contient une obligation de non-concurrence contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, le Tribunal relève qu'il résulte des termes mêmes de cette stipulation qu'elle oblige les membres de DPF à ne pas agir d'une manière qui entre en concurrence directe avec les activités de vente de la requérante, même si cette stipulation ne contient, en elle-même, aucune obligation de livraison exclusive. D'ailleurs, la requérante a confirmé, au cours de la procédure orale, que, comme l'a relevé la Décision, cette stipulation interdit à tout membre de la coopérative de collecter des peaux pour d'autres ventes aux enchères que celles de la requérante. Dès lors, la Commission ne s'est pas fondée sur une interprétation inexacte de l'article 4, point 1, sous f), des statuts en estimant que cette stipulation contenait une clause de non-concurrence.

74 Il ressort de l'arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia, 42-84, précité, qu'une clause de non-concurrence est susceptible d'entrer dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Pour apprécier si une telle clause tombe sous le coup de l'interdiction édictée par cet article, il y a lieu d'examiner quel serait le jeu de la concurrence en son absence. Pour avoir un effet bénéfique sur la concurrence, l'objectif poursuivi par l'insertion d'une telle clause doit lui-même contribuer au libre jeu de la concurrence. En outre, la clause de non-concurrence doit être elle-même nécessaire et proportionnée à la réalisation de cet objectif.

75 En l'espèce, il y a lieu pour le Tribunal d'apprécier si l'article 4, point 1, sous f), des statuts doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l'objet ou l'effet, et d'examiner à cette fin le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut d'une telle clause. A cet égard, il ressort de la Décision que c'est avant tout vis-à-vis des tiers concurrents et non pas dans les rapports entre la coopérative et ses adhérents que les statuts et les conditions générales de la requérante ont pour objet ou effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

76 Le Tribunal a déjà établi que l'article 4, point 1, sous f), des statuts interdit à tout membre de collecter des peaux pour d'autres entreprises de ventes aux enchères que celle de la requérante. Or, il s'agit là d'une simple activité de collecte, d'expédition ou de réexpédition vers les salles de ventes aux enchères, qui n'exige aucune expertise particulière, aucun tri ou aucun assortiment des peaux n'étant effectué à ce stade. Par conséquent, la stipulation litigieuse ne concerne pas une activité que les éleveurs ne pourraient exercer qu'avec l'aide de la coopérative ou grâce à l'expérience acquise au sein de la coopérative. La stipulation litigieuse interdit, dès lors, aux membres de la requérante d'exercer une activité qu'ils pourraient exercer à défaut de cette stipulation.

77 Or, le Tribunal relève que la collecte des peaux par les coopérateurs pour le compte de tiers n'est pas une hypothèse théorique, comme il ressort des tentatives faites par HBA d'engager des éleveurs danois comme collecteurs de peaux en vue de leurs ventes lors des enchères auxquelles elle procède.

78 Certes, la requérante et les parties intervenantes ont soutenu que la qualité de membre d'une coopérative impose, en règle générale, de remplir certaines obligations vis-à-vis de cette dernière et qu'il est normal que les membres aient une obligation de vendre leurs produits par le canal de l'association, cette obligation trouvant sa source dans le caractère limité du capital des coopératives, dans la nécessité d'obtenir une garantie de vente par le canal de l'association, de rendre possible le financement des activités de cette dernière et de garantir les intérêts des autres membres quant au maintien des activités communes nécessaires. Toutefois, il n'en demeure pas moins que, par son caractère général et illimité, donc disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi en l'espèce par la requérante, la clause de non-concurrence, précitée, qui interdit à tout membre de l'association de collecter des peaux pour d'autres ventes aux enchères réalisées par des tiers, concurrents de la requérante, et, par voie de conséquence, rend très difficile à ces derniers un accès effectif au marché, compte tenu de la très forte position de la requérante sur le marché, tombe sous le coup de l'interdiction édictée à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Les arguments précités de la requérante et des parties intervenantes, quelles que soient leur valeur et la considération qu'ils méritent, ne sont pas susceptibles de faire échec à cette conclusion, dès lors qu'ils ne sauraient être examinés, le cas échéant, qu'au regard des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, aux fins d'envisager l'octroi du bénéfice éventuel d'une exemption.

79 En ce qui concerne l'argument tiré de la lettre du 10 octobre 1985 de la Commission dont il ressortirait, selon la requérante, que l'article 4, point 1, sous f), des statuts ne serait pas contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, le Tribunal relève que cette lettre se limite à préciser que : " A l'heure actuelle, je suis enclin à penser que la première restriction..., à savoir que les membres s'engagent à ne pas organiser de ventes de peaux susceptibles d'entrer en concurrence avec celles des éleveurs danois d'animaux à fourrure et à ne pas soutenir de quelque manière que ce soit la vente des peaux en concurrence avec Dansk Pelsdyravlerforening, ne donnera probablement pas lieu à des problèmes particuliers si elle comporte une disposition expresse indiquant que les membres peuvent vendre leurs peaux par l'intermédiaire d'autres canaux de vente ". Cette lettre n'émet donc qu'un avis provisoire, sans examen approfondi ; au surplus, l'avis émis est subordonné à l'intervention d'une modification des stipulations en cause. Exprimée en ces termes, l'opinion ainsi formulée n'était susceptible ni de laisser penser à la requérante que la Commission ne pourrait parvenir ultérieurement à une conclusion différente, ni de créer, dans le chef de la requérante, une quelconque expectative légitime. Par suite, l'argument tiré de la portée de la lettre du 10 octobre 1985 doit être rejeté.

80 Le Tribunal estime, par conséquent, que la Commission a établi à suffisance de droit que la clause de non-concurrence incluse à l'article 4, point 1, sous f), des statuts de la requérante, telle qu'interprétée et appliquée par cette dernière, est susceptible de restreindre la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

81 S'agissant, en second lieu, du bien-fondé de la constatation faite au point 10, sous i), de la Décision, selon laquelle " l'effet restrictif de cette interdiction est encore aggravé par des pratiques concertées consistant pour les membres à ne pas placer de peaux en consignation chez des concurrents ", le Tribunal estime qu'en vue de définir la notion de pratique concertée, il y a lieu de se référer à la jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal (voir en dernier lieu l'arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, non encore publié au Recueil), dont il ressort que les critères de coordination et de coopération, tels que définis par cette jurisprudence, doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité CEE relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun.

82 Or, le Tribunal constate que, comme le soutient la requérante, l'affirmation précitée de la Commission n'est étayée par aucun élément, non plus que par un quelconque commencement de preuve de nature à démontrer la réalité de telles pratiques concertées. En effet, la Commission se limite, dans la Décision, d'une part, à faire état de certaines pratiques, sans pour autant les qualifier ou indiquer quels sont les éléments de coordination et de coopération les caractérisant qui pourraient, en application de la jurisprudence précitée, les faire tomber sous le coup de l'interdiction prévue à l'article 85, paragraphe 1, du traité, et, d'autre part, à relever que la requérante a refusé de clarifier cette question. Quant aux arguments invoqués ultérieurement par la Commission, dans ses mémoires devant le Tribunal, en admettant même qu'ils soient de nature à pallier l'insuffisance de motivation de la Décision à cet égard, il convient de constater qu'ils se limitent, d'une part, à de simples déductions, effectuées indirectement et abstraitement à partir de certaines constatations de caractère général, et, d'autre part, à l'invocation de déclarations d'éleveurs faites à l'avocat de HBA, relatives à l'exclusion de deux coopérateurs qui auraient collecté des peaux pour le compte de cette dernière et concernant des interprétations différentes de la stipulation litigieuse qui auraient pu être faites par certains éleveurs.

83 Par suite, il y a lieu, pour le Tribunal, de considérer que la référence faite au point 10, sous i), de la Décision, à de prétendues pratiques concertées liées à l'application de la stipulation litigieuse doit être regardée comme reposant sur des faits matériellement inexacts et comme entachée d'une erreur de droit. Dès lors, il y a lieu d'annuler l'article 1er, paragraphe 1, de la Décision, dans la mesure où il lie à la stipulation visée sous son point a) des pratiques concertées constituant une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

4.1.2 Quant à l'article 5 des règles concernant le système des secours d'urgence

84 La Décision considère que l'article 5 des règles concernant les secours d'urgence constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en particulier parce que cette stipulation empêche les concurrents d'accéder au marché en leur fermant la principale source d'approvisionnement en peaux au Danemark. Au point 10, sous ii), de la Décision, la Commission conclut que l'obligation de livrer l'intégralité de la production de peaux, à laquelle est subordonnée la possibilité d'être affilié au système des secours d'urgence, limite les membres de DPF dans leur choix, en les empêchant de décider en toute indépendance de leur politique de vente. Au point 10, in limine, la Décision considère que la stipulation litigieuse a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

85 L'article 5 des règles concernant le système des secours d'urgence, lequel vise à indemniser les membres de DPF des pertes financières subies du fait de la mort de leurs animaux en raison des épizooties, a le contenu suivant :

" L'assuré perd son droit de bénéficier du système des secours d'urgence si lui-même ou son préposé

[omissis]

d. a vendu des peaux par l'intermédiaire d'autres canaux de vente que Danske Pels Auktioner au cours de l'année au cours de laquelle le sinistre s'est produit (15 août - 14 août) ou au cours de l'exercice précédent, à l'exception toutefois des peaux que l'éleveur a gardées pour son usage personnel,

[omissis] ".

86 Les modalités de fonctionnement du système des secours d'urgence, telles qu'elles ont été exposées par la requérante et non contestées par la Commission et telles qu'elles ressortent de l'examen des statuts de DPF, reposent sur un mécanisme de type mutualiste et peuvent être résumées comme suit. Un membre de la requérante n'est pas ipso facto affilié au régime des secours d'urgence, dès lors qu'une inscription séparée est nécessaire. Un membre peut à tout moment se retirer librement de ce système. Un nouvel adhérent ne peut prétendre, en principe, au bénéfice des secours d'urgence qu'après une année d'adhésion. L'octroi du secours d'urgence est accessoire par rapport à une assurance contractée par l'assuré pour le même risque. Le financement du système des secours d'urgence est assuré par une retenue opérée par DPF sur les sommes qui doivent être versées chaque année au compte d'exploitation des coopérateurs qui adhèrent au système. Puisque le montant qui est versé aux comptes d'exploitation des membres est réparti entre ces derniers proportionnellement à la valeur des peaux qu'ils ont livrées en vue d'être vendues aux enchères organisées par la requérante pendant l'année en cours, tout membre affilié participe au système des secours d'urgence proportionnellement à la valeur du nombre de peaux qu'il a livrées. Dès lors que les dispositions statutaires de DPF prévoient la règle de l'immobilisation aussi bien du compte de capital que du compte d'exploitation et que les adhérents au système des secours d'urgence versent une " cotisation ", par la voie dérogatoire d'un débit de leur compte d'exploitation, ils disposent ainsi, en pratique, de sommes qui, dans le cas contraire, auraient dû être immobilisées. Par suite, aux fins de maintenir l'égalité entre les coopérateurs, ceux qui ont choisi de ne pas s'affilier au système des secours d'urgence bénéficient d'un versement d'un montant équivalant au montant débité du compte d'exploitation des adhérents.

Argumentation des parties

87 La requérante conteste le caractère anticoncurrentiel de la stipulation litigieuse. Elle fait valoir que le système des secours d'urgence, auquel les coopérateurs sont libres ou non d'adhérer et qu'ils peuvent quitter librement, a été institué en 1959, à une époque où il n'était pas possible de faire assurer le risque d'épizootie par des sociétés d'assurance, moyennant une prime d'un montant raisonnable. Le mécanisme des secours d'urgence reposerait sur un souci d'assurance mutuelle contre les épizooties entre les membres de l'association, conformément au principe du système coopératif. La requérante précise que l'obligation de livraison exclusive des peaux, imposée aux membres qui choisissent de s'affilier au système des secours d'urgence, a été introduite par une délibération du 23 octobre 1967 et qu'elle trouve son origine dans la circonstance qu'il est techniquement impossible qu'un éleveur n'adhère au système des secours d'urgence que pour une partie seulement de son troupeau. En effet, dans un troupeau déterminé, il serait matériellement impossible de limiter, par marquage ou au moyen de tout autre procédé, le bénéfice des secours d'urgence à certains animaux déterminés d'un troupeau et, par suite, le système devrait obligatoirement porter sur l'ensemble des animaux d'un élevage.

88 En outre, la requérante précise qu'une limitation du bénéfice des secours d'urgence à certains des animaux d'un troupeau, outre qu'elle est techniquement impossible, serait susceptible d'entraîner des abus. Compte tenu des modalités de financement du système, pour qu'un membre de l'association requérante contribue au financement de ce système dans une proportion correspondant effectivement à l'importance de son activité, il serait nécessaire qu'il perde le droit au bénéfice de l'indemnisation à laquelle il peut prétendre, dans le cas où il aurait vendu une partie des peaux des animaux de son troupeau par l'intermédiaire de canaux de commercialisation autres que les ventes aux enchères publiques organisées par la requérante. Permettre à un membre de l'association de bénéficier des secours d'urgence sans lui imposer simultanément l'obligation de livrer la totalité de ses peaux à la coopérative aurait pour conséquence que le membre en question pourrait être couvert par ce régime sans contribuer à son financement, ce qui serait incompatible avec les principes de réciprocité et de solidarité, dont le fonds de secours d'urgence est précisément l'expression. Ainsi, selon la requérante, l'obligation de fourniture exclusive permet d'assurer l'application cohérente du principe selon lequel tous les adhérents au système contribuent de manière égale à son financement.

89 La requérante fait encore valoir que si, en raison de l'intervention de la Commission, l'obligation de fourniture exclusive a été abrogée du fait des modifications statutaires opérées par l'Assemblée générale du 28 octobre 1988, la couverture des risques d'épizootie qui, antérieurement était intégrale, ne l'est plus dans le système désormais en vigueur, sauf dans le cas où l'éleveur qui s'est affilié au système des secours d'urgence a livré l'intégralité de ses peaux à la coopérative. Dans le cas contraire, l'indemnisation qui lui est désormais versée en cas d'épizootie est seulement proportionnelle à la part des ventes de l'affilié effectuées par le canal de la coopérative. Il ne serait donc pas pertinent de comparer les régimes antérieur et postérieur à la modification statutaire intervenue en 1988 et la circonstance que, pour satisfaire au souhait de la Commission, la requérante ait, à des fins purement pratiques, institué ce nouveau système, ne signifierait nullement que le système antérieur était contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

90 La requérante expose encore que si le système des secours d'urgence est organisé de la manière qui vient d'être décrite, et non sous un régime dans lequel l'éleveur souhaitant assurer son troupeau contre le risque d'épizootie verserait une prime par tête d'animal qu'il souhaite assurer, c'est parce qu'un tel régime relèverait de la législation danoise sur les assurances. Or, il est interdit à la requérante d'exercer une activité d'assurance.

91 La requérante ajoute que l'application systématique du principe d'égalité entre les coopérateurs, non seulement n'est pas en elle-même anticoncurrentielle, mais encore a eu pour effet de la placer dans une position défavorable par rapport à ses concurrents. En effet, la requérante n'a pas été en mesure de consentir aux éleveurs les plus importants des conditions plus favorables, tels que rabais ou ristournes, comme le ferait une entreprise se livrant à une activité d'assurance. Par suite, la thèse de la Commission, selon laquelle l'obligation de fourniture exclusive litigieuse aurait pour effet de fermer l'accès au marché danois aux concurrents, serait inexacte, puisque, au contraire, cette stipulation a placé DPF dans une position plus défavorable que celle de ses concurrents, notamment HBA. En effet, ce dernier propose un mécanisme d'assurance dont l'objet est identique au système mis en place en 1988 par la requérante et qui est gratuit pour les éleveurs acceptant de lui livrer 40 % de leur production de peaux. Or, la requérante soutient que ses propres adhérents peuvent librement s'affilier au mécanisme d'assurance institué par HBA. Par suite, l'existence d'un système assurant une couverture des risques meilleure que celle résultant du mécanisme des secours d'urgence démontre que ce dernier ne constitue pas, pour les concurrents, une barrière à l'entrée sur le marché danois. Dès lors, la thèse de la Commission méconnaîtrait l'élément essentiel, à savoir que l'offre faite par DPF à ses adhérents ne constitue que l'une des nombreuses offres faites à des opérateurs économiques, auxquels il appartient de décider si et comment ils entendent assurer le risque de perte d'animaux par suite d'épizootie.

92 Enfin, selon la requérante, il n'est pas exact de soutenir, comme le fait la Commission, que la justification de la nécessité de l'obligation de livraison exclusive n'est pertinente qu'au regard de l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité. La requérante estime, toutefois, que si le Tribunal devait parvenir à la conclusion que la stipulation litigieuse tombe sous le coup de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, il conviendrait alors d'estimer qu'elle est nécessaire pour permettre la mise en œuvre du système des secours d'urgence et que, dès lors, elle doit bénéficier d'une déclaration individuelle d'inapplicabilité, telle que prévue à l'article 85, paragraphe 3, du traité.

93 La Commission soutient que la circonstance qu'un adhérent peut librement décider de s'affilier ou non au système des secours d'urgence n'est pas déterminante. En effet, ce ne serait pas parce que l'éleveur est libre de conclure ou non un accord avec la requérante, en vue de bénéficier des secours d'urgence par elle institués, que cet accord devrait être regardé comme non restrictif de concurrence. A l'exception de certains cas relevant éventuellement de l'article 86 du traité, c'est toujours librement qu'une partie déciderait de souscrire à un accord. Ce qui est en cause, selon la Commission, c'est la teneur même de cet accord, c'est-à-dire, en l'espèce, la portée de l'obligation de livraison exclusive imposée aux adhérents qui s'affilient au système des secours d'urgence.

94 A cet égard, la Commission soutient, en premier lieu, que, pour apprécier la portée de cette liberté de choix, il convient, de toute façon, de prendre en compte les pratiques concertées liées à l'application de l'article 4, point 1, sous f), des statuts, qui ont pour effet qu'un membre qui souhaite jouir de ses droits de coopérateur doit vendre la totalité de ses peaux par l'intermédiaire des enchères organisées par la requérante. En deuxième lieu, la Commission estime que la raison déterminante pour laquelle le système des secours d'urgence enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité, réside dans la circonstance qu'un tel système repose sur une clause d'exclusivité. En effet, ainsi que le démontreraient ses règlements (CEE) n° 1983-83 et 1984-83 du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité respectivement à des catégories d'accords de distribution exclusive et à des catégories d'achat exclusif (JO L 173, p. 1 et 5, ci-après " règlements n° 1983-83 et n° 1984-83 "), il serait " notoire " que l'exclusivité et la distribution exclusive sont incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité.

95 La Commission ajoute que l'obligation de livraison exclusive litigieuse limite la liberté d'action des adhérents qui se trouvent privés de la possibilité de vendre leurs peaux par des canaux de commercialisation autres que ceux de la coopérative. Cette clause d'exclusivité aurait également des effets vis-à-vis des tiers qui se trouveraient ainsi privés de la possibilité de vendre, aux enchères qu'ils organisent, les peaux des animaux des coopérateurs qui adhèrent au système des secours d'urgence de DPF. Il s'agirait là d'une conséquence directe de cette clause d'exclusivité ; la Commission se réfère, à cet égard, à l'arrêt de la Cour du 15 mai 1975, Frubo, 71-74, précité. Dès lors, les conditions d'assurance que d'autres entreprises concurrentes de la requérante seraient en mesure de proposer aux adhérents de cette dernière importeraient peu.

96 La Commission estime infondé l'argument selon lequel les stipulations en litige seraient indispensables au fonctionnement du système des secours d'urgence. En effet, elle soutient que cet argument relève non de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais de l'application de son paragraphe 3. Il serait extrêmement difficile d'appliquer simultanément deux critères visant à apprécier la nécessité d'une restriction de concurrence, l'un relevant de l'article 85, paragraphe 1, du traité et l'autre relevant de l'article 85, paragraphe 3. Compte tenu de l'économie de l'article 85, il serait logique d'effectuer cette appréciation dans le cadre de l'examen de l'application de l'article 85, paragraphe 3. En tout état de cause, la Commission soutient que le système des secours d'urgence, assorti d'une obligation de livraison exclusive, n'entre dans aucun des secteurs économiques particuliers pour lesquels la pratique de la Commission ou la jurisprudence de la Cour ont admis, dans certaines circonstances, qu'une obligation de fourniture exclusive ne tombait pas sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité (arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Pronuptia, 161-84, Rec. p. 353).

97 Enfin, la Commission conteste qu'un système d'assurance, tel que celui mis en place par la requérante, implique nécessairement, à la charge de ses bénéficiaires, une obligation de livraison exclusive des peaux à la coopérative. D'ailleurs, le nouveau système mis en place par la requérante, depuis octobre 1988, n'imposerait pas une telle obligation. En outre, la circonstance que les coopérateurs qui ne participent pas au système des secours d'urgence, c'est-à-dire environ un quart des adhérents de la coopérative, obtiennent des montants équivalents aux montants débités des comptes d'exploitation des coopérateurs affiliés à ce système, démontre, selon la Commission, que ce régime est financé par la vente aux enchères des peaux produites par les membres et qu'il n'est nullement utile que la totalité des peaux soit vendue à ces enchères pour que le système puisse fonctionner.

Appréciation du Tribunal

98 A titre liminaire, le Tribunal rappelle que, si la Décision relève que, de fait, la requérante occupe une position dominante sur le marché considéré, ladite décision considère la stipulation en litige comme contraire non pas à l'article 86 du traité, mais à l'article 85. Or, si, dans le cadre de l'application de l'article 86, la Cour a jugé que le fait pour un opérateur économique de lier, fût-ce à leur demande, des acheteurs par un engagement exclusif, était contraire aux règles communautaires de la concurrence (arrêts de la Cour des 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461 et du 3 juillet 1991, Akzo/Commission, C-62-86, non encore publié au Recueil), cette jurisprudence, limitée à l'article 86 du traité CEE, n'est pas susceptible d'être transposée dans tous les cas d'application de l'article 85. En effet, contrairement à ce que soutient la Commission, les engagements exclusifs, dont certains peuvent d'ailleurs bénéficier des règlements d'exemption n° 1983-83 et 1984-83, ne sont pas, par eux-mêmes, contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Si, en effet, la Commission déduit de ce dernier règlement d'exemption qu'une obligation de livraison exclusive relève, par nature, de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, il convient de rappeler, à cet égard, qu'ainsi que la Cour l'a jugé, si l'octroi du bénéfice de l'article 85, paragraphe 3, du traité, à un accord déterminé suppose la reconnaissance préalable que cet accord tombe sous l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, cela ne signifie pas pour autant que la possibilité, prévue à l'article 85, paragraphe 3, du traité, d'octroyer une exemption par catégorie, permet d'en déduire que tout accord relevant de cette catégorie réunit nécessairement, de ce fait, les conditions de l'article 85, paragraphe 1(arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Italie/Conseil et Commission, 32-65, Rec. p. 563).

99 Selon une jurisprudence constante (voir, en dernier lieu, à propos d'un contrat de fourniture exclusive de bière, l'arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935 ; voir également les arrêts de la Cour du 30 juin 1966, Société Technique Minière, 56-65, précité et du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31-80, Rec. p. 3775), l'appréciation d'un engagement exclusif, au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité, doit tenir compte du contexte économique réel dans lequel il est susceptible de produire ses effets. En effet, selon les circonstances et les conditions réelles de fonctionnement du marché en cause, une obligation de fourniture exclusive, en garantissant au producteur la vente de ses produits et au distributeur la sécurité de ses approvisionnements, peut être de nature à intensifier la concurrence par les prix et les services offerts au consommateur sur le marché en cause, dont elle contribue ainsi à améliorer la fluidité.

100 Le principe selon lequel la portée de l'obligation en discussion doit être appréciée dans le cadre réel où elle produit ses effets ne saurait souffrir de dérogation, au motif que l'obligation imposée serait justifiée par le souci de respecter le principe dit de " la fidélité coopérative ". En effet, ce dernier principe ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de justifier la méconnaissance, par les entreprises coopératives, bénéficiaires de la clause d'exclusivité imposée à leurs adhérents, des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

101 Le Tribunal constate que la stipulation contenue à l'article 5, sous d), des règles concernant le système des secours d'urgence imposait, jusqu'à son abrogation en octobre 1988, aux membres qui souhaitaient bénéficier des secours d'urgence organisés par la requérante, l'obligation de fournir à celle-ci la totalité des peaux des animaux de leur élevage, en vue de leur vente aux enchères publiques organisées par la requérante, à peine de déchéance de leurs droits aux secours d'urgence. Cette obligation concernait tant les ventes réalisées au cours de l'exercice au cours duquel survenait un sinistre que les ventes réalisées au cours de l'exercice antérieur.

102 C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient, pour le Tribunal, d'apprécier si l'obligation de livraison exclusive, imposée aux coopérateurs qui souhaitent bénéficier des secours d'urgence organisés par la requérante, a pour objet d'affecter le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et, à titre surabondant, si la stipulation litigieuse produit des effets restrictifs de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Par contre, dans le cadre du présent moyen, exclusivement consacré à l'appréciation de la stipulation litigieuse au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il n'appartient pas au Tribunal d'examiner si cette stipulation satisfait aux conditions prescrites par l'article 85, paragraphe 3, du traité.

103 S'agissant, en premier lieu, de l'appréciation de l'objet de la stipulation litigieuse, le Tribunal estime que, comme l'a jugé la Cour, pour déterminer si un accord a pour objet de restreindre la concurrence, il convient d'examiner les buts poursuivis par l'accord en tant que tel, à la lumière du contexte économique dans lequel il doit être appliqué (arrêt du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29 et 30-83, Rec. p. 1679, point 26). Dans les circonstances de l'espèce, l'analyse du contexte économique à laquelle il doit être procédé consiste, selon le Tribunal, à examiner dans quelle mesure la stipulation litigieuse, édictant une obligation de livraison exclusive, s'insère dans l'économie du système des secours d'urgence et dans les modalités de fonctionnement de la coopérative et est susceptible d'affecter les conditions de fonctionnement du marché danois des peaux.

104 A cet égard, s'agissant du contenu de la stipulation litigieuse, et de son incidence sur l'autonomie de décision des adhérents, le Tribunal constate qu'il résulte de cette stipulation que toute forme de vente, autre que la vente aux enchères organisées par la requérante, est, pour les adhérents au système de secours d'urgence, exclue pour une période de deux exercices, alors que la période durant laquelle la couverture du sinistre est garantie est limitée, exercice par exercice, à une période d'un an. La requérante n'a apporté aucune justification à l'obligation ainsi imposée aux coopérateurs, qui souhaitent être indemnisés du préjudice résultant d'une épizootie survenue au cours d'un exercice donné, d'avoir livré, en vue de leur vente aux enchères publiques organisées par la requérante, non seulement la totalité des peaux des animaux vendues au cours de l'exercice pendant lequel est survenu le sinistre, mais également la totalité des peaux vendues au cours de l'exercice précédent. Or, pour l'appréciation de la portée exacte de cette obligation sur les conditions réelles de fonctionnement du marché, il convient de tenir compte de l'effet dissuasif qu'une telle obligation exerce nécessairement sur les adhérents, dès lors que ceux-ci n'ignorent pas qu'en cas de " désaffiliation ", ils prennent le risque de n'être pas assurés en raison d'une épizootie survenue au cours de l'exercice au titre duquel intervient une nouvelle affiliation au système. Dans ces conditions, la portée de l'argument, selon lequel les coopérateurs sont libres d'adhérer au système et de le quitter, doit, de toute façon, être relativisée. Par suite, la stipulation en cause, qui n'est nullement utile au bon fonctionnement du mécanisme des secours d'urgence, contribue à l'inertie du système et, dès lors, est susceptible de rigidifier les comportements des opérateurs économiques dont elle restreint de façon manifeste l'autonomie de décision.

105 Au surplus, le Tribunal relève, d'une part, que les modifications statutaires adoptées par la requérante le 28 octobre 1988, qui ont eu pour effet de mettre fin à l'obligation de livraison exclusive litigieuse, sans que la requérante ait soutenu devant le Tribunal qu'il en soit résulté un quelconque dysfonctionnement du système des secours d'urgence et, d'autre part, que la circonstance que HBA, qui a également mis en place un système de secours d'urgence, impose à ses assurés, selon la requérante elle-même, une obligation de livraison qui n'est pas exclusive mais seulement limitée à 40 % du total des ventes, suffisent, par elles-mêmes, à établir que l'institution d'une obligation de fourniture exclusive du type de celle en cause ne présente aucun rapport avec l'organisation et le bon fonctionnement d'un tel système.

106 Si la requérante fait valoir que l'obligation de fourniture exclusive imposée aux adhérents est justifiée par le fait qu'il est techniquement impossible de n'assurer que certains animaux du troupeau d'un éleveur et si elle ajoute qu'il est juridiquement impossible d'instituer un système d'assurance " per capita ", c'est, soutient-elle, en raison du fait que la législation nationale danoise lui interdit d'exercer une activité d'assurance. A cet égard, il y a lieu de préciser, en premier lieu, que la requérante admet que, contrairement à la situation qui était celle du marché lors de la mise en place du système des secours d'urgence en 1959, les coopérateurs peuvent aujourd'hui s'assurer, à titre personnel, contre le risque d'épizootie, ainsi d'ailleurs que le confirme la règle statutaire selon laquelle l'indemnisation versée par la requérante est toujours subsidiaire par rapport à l'indemnisation perçue au titre d'une assurance personnelle. Il en résulte que la décision prise par la requérante de maintenir, à tout le moins jusqu'à la modification statutaire du 28 octobre 1988, un système des secours d'urgence imposant une obligation de livraison exclusive des peaux, procède d'un choix qui n'est nullement lié au bon fonctionnement de la coopérative dès lors, d'une part, que d'autres systèmes d'assurance sont désormais offerts aux éleveurs et que, d'autre part, l'institution d'un système de type mutualiste d'assurance contre les risques d'épizootie est totalement indépendante d'une obligation de livraison exclusive qui lui serait rattachée. Le Tribunal estime, en second lieu, qu'en vertu du principe de la primauté du droit communautaire, la requérante ne peut, en tout état de cause, justifier, par l'invocation de la législation nationale qui lui est applicable, des manquements aux obligations que lui impose l'article 85, paragraphe 1, du traité (voir, en dernier lieu, l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, non encore publié au Recueil).

107 Il résulte de ce qui précède que la stipulation litigieuse, imposant aux adhérents affiliés au système des secours d'urgence une obligation de livraison exclusive de l'intégralité des peaux de leurs élevages, telle qu'elle vient d'être examinée dans son contexte économique, réduit sensiblement l'autonomie du comportement sur le marché des coopérateurs, tout en étant étrangère au bon fonctionnement du système des secours d'urgence. Dès lors, eu égard à son contenu et à sa portée, une telle stipulation doit être regardée comme ayant pour objet de restreindre, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché commun et, par suite, est susceptible de tomber sous le coup de l'interdiction édictée à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

108 S'agissant, en second lieu, de l'effet restrictif de concurrence de la stipulation litigieuse, le Tribunal rappelle liminairement que si la prise en considération des effets d'un accord n'est pas nécessaire, dès lors que, comme il vient d'être constaté, celui-ci a bien un objet restrictif de concurrence (voir les arrêts de la Cour du 30 janvier 1985, BNIC, 123-83, Rec. p. 391 et du 27 janvier 1987, Verband der Sachversicherer, 45-85, précité), le Tribunal estime opportun d'examiner également si la stipulation litigieuse a pour effet de restreindre, empêcher ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché commun. Comme l'a soutenu la Commission, la question pertinente, en ce qui concerne les effets de la stipulation litigieuse au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité, n'est pas celle de savoir si les coopérateurs peuvent librement adhérer, ou non, au système des secours d'urgence. La question posée est celle de savoir si, comme l'affirme la Décision, l'obligation de livraison exclusive ainsi imposée est restrictive de concurrence à l'égard des membres de la coopérative, dont elle restreint l'autonomie de décision, et à l'égard des tiers, dont elle rend l'accès au marché danois plus difficile.

109 A cet égard, le Tribunal estime qu'en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que l'obligation de livraison exclusive en cause exerce, dans son contexte économique, un effet anticoncurrentiel sur le marché. En effet, d'une part, et ainsi qu'il a déjà été rappelé, la requérante jouit d'une forte position sur le marché de la vente de peaux d'animaux et, d'autre part, 75 % des membres de la requérante adhèrent à son système de secours d'urgence, lequel a lui-même pour effet, ainsi qu'il a déjà été exposé, de rigidifier les comportements des opérateurs économiques. Par suite, la stipulation en cause a bien un effet restrictif de concurrence, en rendant plus difficile l'accès au marché danois concerné aux concurrents de la requérante. Dès lors, elle est susceptible de tomber sous le coup de l'interdiction édictée à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

110 Il y a lieu d'en conclure, pour le Tribunal, qu'en estimant que l'article 5, sous d), des règles concernant les secours d'urgence a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence sur le marché commun, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, la Décision n'est pas fondée sur des faits matériellement inexacts et n'est entachée d'aucune erreur de droit non plus que d'une erreur manifeste d'appréciation.

4.1.3 Quant aux obligations de livraison exclusive auxquelles sont subordonnés le bénéfice d'une avance pour jeunes animaux et l'admission au palmarès

111 La Décision considère que l'obligation pour un membre de remettre à DPA l'intégralité de sa production en confiant à cet organisme le soin de la vendre, d'une part, lorsque le membre a bénéficié d'une avance pour jeunes animaux et, d'autre part, lorsque le membre souhaite figurer au palmarès, constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en particulier parce que cette obligation empêche les concurrents d'accéder au marché en leur fermant la principale source d'approvisionnement en peaux au Danemark.

112 Le mécanisme de l'avance pour jeunes animaux permet aux membres de DPF d'obtenir une avance calculée d'une manière telle qu'elle couvre les dépenses d'alimentation pendant la période qui va de la naissance des animaux à fourrure jusqu'au moment où ils atteignent l'âge où ils peuvent être tués et où l'éleveur peut vendre leurs peaux. Le modèle de la demande d'avance pour jeunes animaux, tel qu'il résulte des documents produits par DPF, a le contenu suivant :

" Le membre soussigné de Dansk Pelsdyravlerforening demande par la présente à bénéficier d'une avance pour jeunes animaux.

[omissis]

Je me déclare d'accord pour que l'avance susmentionnée soit payée aux conditions suivantes :

1. Je suis affilié au système de secours d'urgence de DANSK PELSDYRAVLERFORENING.

2. Je m'engage à envoyer la totalité de ma production de peaux pour qu'elle soit vendue par DANSKE PELS AUKTIONER.

[omissis] ".

113 Le mécanisme du palmarès a pour objet d'inciter les éleveurs de peaux à fourrure à continuer à améliorer leur production de peaux en les mettant en concurrence les uns vis-à-vis des autres et en leur donnant la possibilité de profiter des expériences faites par les meilleurs élevages. Le membre de DPF qui souhaite être admis au palmarès doit faire une déclaration certifiant qu'il a livré toute sa production de peaux, afin qu'elle soit vendue lors des ventes aux enchères organisées par la requérante.

Argumentation des parties

114 La requérante explique que le système de l'avance pour jeunes animaux a été instauré en vue de résoudre les problèmes de trésorerie qu'éprouvent les éleveurs pendant la période s'écoulant entre la naissance des animaux et la vente de leurs peaux. L'obligation de livrer toute la production réalisée au cours de l'année au cours de laquelle le coopérateur souhaite bénéficier de l'avance pour jeunes animaux, en vue de sa vente aux enchères de la requérante, serait, pour cette dernière, la seule façon d'être certaine que l'affilié remboursera l'avance dont il a bénéficié. La législation danoise ne permettrait pas à la requérante d'obtenir un " droit préférentiel " sur les peaux d'animaux. L'obligation serait limitée à un an, période déterminée par un cycle naturel d'élevage. Cette situation serait comparable avec la plupart des contrats du même type habituellement pratiqués dans le secteur agricole. La requérante souligne que les manquements à l'obligation de livraison ne sont pas sanctionnés par l'exclusion de DPF. Ces manquements ne seraient du reste pas sanctionnés, à l'exception de la circonstance que ne seraient plus satisfaites, dès lors, les conditions permettant de bénéficier du secours d'urgence. En outre, la requérante fait valoir qu'un éleveur qui bénéficie d'une avance pour jeunes animaux peut se libérer de l'obligation de livraison en remboursant cette avance. En conclusion, la requérante estime que les règles en matière d'avance pour jeunes animaux ne sont pas contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

115 Enfin, en ce qui concerne l'obligation de livraison exclusive à laquelle est subordonnée l'admission au système du palmarès, la requérante fait valoir que l'une des conditions requises pour être admis au bénéfice du système est de livrer une quantité minimale de peaux. Pour donner une indication correcte sur les éleveurs qui ont la meilleure production, l'obligation de livrer toute la production serait nécessaire, afin d'éviter qu'un éleveur ne se limite à présenter ses meilleures peaux, alors qu'il ne serait pas tenu compte de la partie de sa production présentant une moindre qualité. La requérante considère que, contrairement à ce qui a été proposé par la Commission, il ne serait pas possible, pour des raisons techniques, de limiter l'obligation de livrer les peaux aux seuls exemplaires de chaque espèce et couleur.

116 La Commission soutient que la clause d'exclusivité contenue dans le système de l'avance pour jeunes animaux est incompatible avec l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où l'éleveur s'engage à livrer la totalité de sa production de peaux à la requérante. Il importerait peu que les manquements à l'obligation de livrer ne soient pas sanctionnés par l'exclusion de l'association ou que l'éleveur d'animaux à fourrure qui a obtenu une avance pour jeunes animaux puisse se libérer en remboursant cette avance. L'éleveur resterait tenu de vendre la totalité de sa production par l'intermédiaire des enchères de la requérante, parce que l'avance pour jeunes animaux serait subordonnée à la condition qu'il soit affilié au système de secours d'urgence. La Commission remarque, en outre, qu'à l'inverse d'un contrat général d'achat ou de vente ordinaire, l'obligation en cause ne concerne pas un nombre ou une quantité déterminé à l'avance pour un prix de vente convenu.

117 S'agissant du mécanisme du palmarès, la Commission estime que l'obligation imposée aux participants de livrer la totalité de leur production de peaux est une restriction de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle estime que l'effet sur la concurrence est sensible, dès lors que la moitié des éleveurs, normalement les plus importants, aspire à participer à ce système.

Appréciation du Tribunal

118 Le Tribunal relève qu'il est constant entre les parties que la possibilité, pour un adhérent, de bénéficier de l'avance pour jeunes animaux est subordonnée à la condition qu'il livre l'intégralité de la production qu'il réalise au cours de l'année au titre de laquelle il bénéficie de l'avance, en vue de sa vente aux enchères par la requérante. Certes, celle-ci a fait valoir que cette obligation est la seule façon, pour elle, d'être certaine que l'affilié remboursera l'avance, dès lors que la législation danoise ne lui permet pas d'obtenir un " droit préférentiel " sur les peaux d'animaux. Il convient effectivement de relever qu'en principe, il est de pratique commerciale normale d'exiger des garanties en vue d'assurer le remboursement d'avances. Toutefois, le Tribunal constate que c'est à juste titre que la Commission a soutenu, au cours de l'audience, que le prix des peaux est sept fois plus élevé que le montant de l'avance pour jeunes animaux et que DPF dispose d'une garantie sur les comptes individuels de ses membres. En effet, l'article 8 des règles concernant le " fond de capital des éleveurs " précise, en son antépénultième alinéa, que si un membre doit un montant quelconque à DPF ou DPA et qu'il n'est pas possible de recouvrer cette somme par un autre moyen, le montant peut être débité de son compte de capital, après liquidation de son compte d'exploitation. En outre, il résulte des stipulations combinées des articles 7 et 25 des statuts de DPF que, si un adhérent débiteur de la coopérative refuse d'honorer sa dette et s'il n'a pas été possible de recouvrer cette dernière par les voies procédurales classiques, l'association est en droit d'exclure le membre en cause et, lors du remboursement des sommes en dépôt sur le compte d'exploitation et sur le compte de capital du membre, de prélever par compensation le montant de sa créance à l'égard de ces derniers. Il en résulte que, contrairement à ce qu'a soutenu la requérante, elle n'a nullement besoin d'une garantie financière supplémentaire, telle que l'obligation de livraison exclusive litigieuse, aux fins d'être certaine qu'il sera procédé au remboursement des avances consenties pour jeunes animaux. Cette obligation a pour effet que, d'une part, les membres qui bénéficient de l'avance pour jeunes animaux ne peuvent décider, en toute indépendance, de leur politique de vente, et que, d'autre part, les concurrents de la requérante ont un accès plus difficile au marché danois. Dans ces conditions, le Tribunal estime que la condition d'exclusivité attachée à l'octroi d'une avance pour jeunes animaux est susceptible d'avoir un effet restrictif de concurrence, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

119 En ce qui concerne les arguments selon lesquels, d'une part, les manquements à l'obligation de livraison ne seraient pas sanctionnés par l'exclusion de DPF et, d'autre part, un éleveur qui bénéficie d'une avance pour jeunes animaux pourrait se libérer de l'obligation de livraison en remboursant cette avance, le Tribunal relève que ces pratiques n'atténuent en rien le caractère contraignant de l'obligation de livraison exclusive résultant de la stipulation litigieuse. Quant à l'argument selon lequel il serait permis de comparer la durée de l'obligation avec celle de la plupart des contrats habituellement pratiqués dans le secteur agricole, le Tribunal souligne que l'existence éventuelle de contrats comparables, sur d'autres marchés, est sans pertinence pour l'évaluation du caractère restrictif de concurrence de l'obligation en cause, dans son contexte propre, dès lors que cette comparaison alléguée concerne des marchés totalement distincts du marché de référence. Au contraire, en ce qui concerne ce dernier marché, il convient de rappeler, à nouveau, la position très forte de la requérante qui renforce le caractère restrictif de concurrence de la stipulation litigieuse.

120 En ce qui concerne les règles d'admission au palmarès, et notamment l'obligation des participants de livrer l'intégralité de leur production en vue de sa vente aux enchères organisées par la requérante, le Tribunal estime que cette obligation de livraison interdit aux participants au palmarès d'utiliser un autre canal de vente que celui des enchères organisées par la requérante. Dès lors, dans les mêmes conditions que celles qui viennent d'être définies, cette stipulation est susceptible d'avoir un effet restrictif sur la concurrence.

121 Le Tribunal estime également infondé l'argument de la requérante tiré de ce que la livraison de l'intégralité de la production d'un participant serait nécessaire pour permettre une appréciation correcte de la qualité de la totalité de la production des éleveurs puisque, pour satisfaire cet objectif, il n'est pas nécessaire que les peaux visées par le système du palmarès soient vendues par l'intermédiaire de la requérante. Cette activité n'a, en effet, aucun rapport avec le contrôle de la qualité des peaux en cause.

122 Comme il a déjà été relevé, l'appréciation des effets de l'obligation de livraison exclusive implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel cette obligation se situe. Elle peut notamment concourir, avec d'autres, à un effet restrictif cumulatif sur le jeu de la concurrence (voir notamment l'arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, point 14, précité). A cet égard, le Tribunal estime que, dans les circonstances de l'espèce, l'obligation de livraison exclusive qui s'attache au système du palmarès, à laquelle viennent s'ajouter les obligations de livraison exclusive afférentes aux mécanismes de secours d'urgence et de l'avance pour jeunes animaux, sont, par elles-mêmes et par leur effet cumulatif, restrictives de concurrencedès lors que les concurrents de la requérante ont un accès plus difficile au marché, du fait que la principale source d'approvisionnement en peaux au Danemark leur est largement fermée.

123 Le Tribunal estime, par conséquent, que la Commission a établi à suffisance de droit que l'obligation pour tout membre de remettre à DPA l'intégralité de sa production en confiant à cet organisme le soin de la vendre, d'une part, lorsque le membre demande à bénéficier d'une avance pour jeunes animaux et, d'autre part, lorsque le membre souhaite figurer au palmarès, est susceptible de restreindre la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

4.1.4 Quant à l'article 5 de l'accord type sur le contrôle de la pelleterie

124 La Décision considère, dans son point 10, sous ii), que :

" l'obligation de livrer l'intégralité de la production de peaux... qui est contenue dans l'accord type sur le contrôle de la pelleterie, limite les membres dans leur choix, en les empêchant de décider en toute indépendance de leur politique de ventes. Elle empêche les concurrents d'accéder au marché en leur fermant leur principale source d'approvisionnement en peaux au Danemark ".

Au point 14, la Décision précise que :

" Les infractions ont commencé au plus tard aux dates suivantes :

[Omissis]

iv) le 1er janvier 1973, en ce qui concerne l'obligation de livrer l'intégralité de sa production prévue dans l'accord type sur le contrôle de la pelleterie ".

125 Il ressort des pièces du dossier que le mécanisme de contrôle de la pelleterie repose, d'une part, sur un accord type sur le contrôle de la pelleterie établi par DPA et, d'autre part, sur un ensemble de contrats individuels conclus entre DPA et les éleveurs qui souhaitent se voir reconnaître la qualité de centre de pelleterie. Ces accords individuels doivent respecter les stipulations de l'accord type. Un centre de pelleterie qui, concrètement, est géré par un éleveur, membre de DPF, est un centre spécialisé qui effectue non seulement la préparation des peaux de ses propres animaux, mais également celle des peaux d'autres éleveurs, qui ne souhaitent pas effectuer la préparation de leurs peaux eux-mêmes ou estiment ne pas être en mesure de le faire. DPA s'oblige à contrôler constamment les centres de pelleterie.

126 L'article 5 de l'accord type sur le contrôle de la pelleterie stipule que : " Le centre de pelleterie s'engage à ne servir que les intérêts de DPA et notamment à ne pas montrer ses propres peaux ou les peaux qui lui ont été livrées à d'autres personnes que les représentants de DPA. Le centre de pelleterie s'engage également à ne pas organiser de ventes ou tout autre forme d'expédition de peaux à des acheteurs ou à d'autres organisations de vente que DPA ".

Argumentation des parties

127 La requérante soutient que la défenderesse commet une erreur lorsqu'elle fait état, au point 10, sous ii), de la Décision, de " l'obligation de livrer l'intégralité de la production des peaux... qui est contenue dans l'accord type sur le contrôle de la pelleterie ". Selon elle, son objectif a été d'amener autant de membres que possible à préparer eux-mêmes leurs peaux, à la fois parce que c'est un élément important de la production, qu'il s'agit là d'un facteur de rationalisation et qu'en outre, les éleveurs peuvent ainsi minimiser leurs frais. Pour encourager les éleveurs à préparer eux-mêmes les peaux, il leur est fourni une aide constante, entre autres par la tenue de cours spécialisés. Selon l'accord sur le contrôle de la pelleterie, la requérante procède à un contrôle de la qualité de la préparation des peaux effectuée par les élevages en question, lesquels exploitent le centre de pelleterie pour leur propre compte. Cette coopération permet au centre de pelleterie d'obtenir le statut de " centre de pelleterie professionnelle ". Selon la requérante, en échange de ce statut, les centres de pelleterie s'engagent à ne pas pratiquer directement d'activités entrant en concurrence avec les ventes aux enchères de la requérante, en servant d'intermédiaires ou en fonctionnant comme centrales de dépôt pour des tiers concurrents de DPF. Un centre de pelleterie ayant adhéré à l'accord sur le contrôle de la pelleterie pourrait effectuer la préparation des peaux pour quiconque. Tout éleveur pourrait livrer ses animaux après les avoir tués et reprendre les peaux, auprès du centre de pelleterie, après préparation, et les vendre n'importe où.

128 Selon la Commission, l'article 5 de l'accord sur le contrôle de la pelleterie limite le choix des membres de DPF et les empêche de déterminer, de manière autonome, la politique de vente qu'ils entendent suivre. Cette stipulation aurait pour effet que l'éleveur qui a livré ses animaux pour écorchage au centre de pelleterie n'a pas la possibilité de demander au centre, par exemple, de faire voir ses peaux à l'un des concurrents de la requérante. Il importerait de noter, à cet égard, que ce n'est pas l'éleveur lui-même qui demande au centre de pelleterie de ne pas montrer sa production et que si un éleveur demandait au centre de pelleterie de montrer ses peaux à des acheteurs potentiels, il se verrait opposer un refus en raison de la stipulation litigieuse de l'accord. Selon la Commission, cette stipulation, restrictive de concurrence, s'oppose à ce que les éleveurs livrent leurs peaux à d'autres maisons de vente aux enchères que celle de la requérante, le centre de pelleterie n'ayant pas la possibilité de montrer leur production à d'autres acheteurs ou maisons de vente aux enchères intéressés. Une telle interdiction compliquerait singulièrement la livraison de peaux à des enchères autres que celles de la requérante et renforcerait les obligations de livraison prévues par ailleurs. Dès lors qu'il existait déjà une interdiction de concurrence dans les statuts, soutient la Commission, il était superflu de la réitérer dans l'accord sur le contrôle de la pelleterie, mais la requérante ne l'a pas moins fait, tout en refusant d'abroger cette disposition à la demande de la Commission. En outre, la circonstance que la stipulation litigieuse comporterait une obligation rendant difficile les livraisons de peaux à des maisons de vente aux enchères autres que celles de la requérante viendrait confirmer que les effets restrictifs de l'interdiction de concurrence ont été renforcés par une pratique concertée de non-livraison aux concurrents de la requérante. Or, cette restriction de concurrence concernerait la totalité des éleveurs qui font pratiquer l'écorchage dans un centre de pelleterie, partie à l'accord sur le contrôle de la pelleterie, ce qui représenterait environ respectivement 30 % des éleveurs en 1984-85 et 20 % des éleveurs en 1987-88.

Appréciation du Tribunal

129 Le Tribunal rappelle, en premier lieu, que dans son arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universitat M|nchen, points 13 et 14 (269-90, non encore publié au Recueil), la Cour a jugé que :

" ... s'agissant d'une procédure administrative qui porte sur des évaluations techniques complexes, la Commission doit disposer d'un pouvoir d'appréciation afin d'être en mesure de remplir ses fonctions.

Mais, dans les cas où les institutions de la Communauté disposent d'un tel pouvoir d'appréciation, le respect des garanties conférées par l'ordre juridique communautaire, dans les procédures administratives, revêt une importance d'autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l'obligation pour l'institution compétente d'examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d'espèce,..., ainsi que celui de voir motiver la décision de façon suffisante. C'est seulement ainsi que la Cour peut vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l'exercice du pouvoir d'appréciation ont été réunis ".

Le principe d'une motivation suffisamment précise, consacré par l'article 190 du traité, constitue l'un des principes fondamentaux du droit communautaire, dont il appartient au juge d'assurer le respect, au besoin en soulevant d'office un moyen tiré de la méconnaissance de cette obligation (arrêt de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18-57, Rec. p. 89 ; et arrêt du Tribunal du 28 janvier 1992, Speybrouck/Parlement, T-45-90, non encore publié au Recueil).

Il convient donc d'examiner si la Décision, qui se situe dans un cadre d'évaluations économiques complexes, a été prise dans le respect des principes qui viennent d'être énoncés, en tant qu'elle concerne l'accord type sur le contrôle de la pelleterie.

130 Le Tribunal estime qu'il résulte de l'examen de l'article 1er, paragraphe 1, sous d), du dispositif de la Décision, que la Commission a considéré que deux types d'interdictions édictées par l'article 5 de l'accord type sur le contrôle de la pelleterie constituaient une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité : d'une part, l'interdiction faite au centre de pelleterie de montrer des peaux à d'autres acheteurs que ceux de DPA et, d'autre part, l'interdiction faite au centre de pelleterie d'organiser des ventes, ou toute autre forme d'expédition, au profit d'autres acheteurs que ceux de DPA.

131 S'agissant de l'interdiction faite au centre de pelleterie de montrer des peaux à d'autres acheteurs que ceux de DPA, le Tribunal ne peut que constater que cette partie du dispositif n'est nullement motivée dans la Décision et que les seuls développements de la Commission à cet égard figurent dans ses mémoires en défense et en duplique. Or, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de la décision. La décision ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge communautaire, sauf circonstances exceptionnelles qui ne sont pas réunies en l'espèce (voir les arrêts de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195-80, Rec. p. 2861 et du 8 mars 1988, Sergio/Commission, 64, 71 à 73 et 78-86, Rec. p. 1399 ; voir l'arrêt du Tribunal du 20 mars 1991, Pérez-M nguez Casariego/Commission, Rec. p. II-143). Il convient donc de constater que cette partie du dispositif n'est assortie d'aucune motivation de nature à en constituer le support nécessaire et qu'elle doit, par voie de conséquence, être annulée.

132 En ce qui concerne l'interdiction faite aux centres de pelleterie d'organiser des ventes ou toute autre forme d'expédition au profit d'autres acheteurs que ceux de DPA, le Tribunal ne peut que constater que la seule motivation de la Décision qui pourrait constituer le support de cette partie du dispositif est celle relative à la prétendue obligation de livrer l'intégralité de la production de peaux qui serait contenue dans l'accord type sur le contrôle de la pelleterie et qui figure aux points 10, sous ii), et 14, sous iv), précités, de la Décision. Or, le Tribunal estime que ni la lettre même de la stipulation litigieuse, ni les modalités pratiques de fonctionnement de l'association requérante n'édictent une telle obligation de livraison exclusive, ainsi que l'a d'ailleurs, implicitement mais nécessairement, reconnu la Commission dans son argumentation en défense, précitée.

133 S'agissant de la lettre même de l'article 5 de l'accord sur le contrôle de la pelleterie, précité, le Tribunal estime que cet article n'édicte, en lui-même, aucune obligation de livraison exclusive, qu'il s'agisse d'une obligation imposant aux éleveurs de livrer l'intégralité de leurs peaux aux centres de pelleterie, ou à ces derniers de livrer l'intégralité des peaux qu'ils ont traitées à l'association requérante, aux fins d'être vendues aux seules enchères organisées par cette dernière.

134 Cette analyse littérale est confirmée par l'examen des modalités de fonctionnement pratique de l'association requérante. En effet, la requérante a soutenu, sans être contredite par la Commission, qu'un centre de pelleterie, ayant adhéré à l'accord sur le contrôle de la pelleterie, peut effectuer la préparation des peaux pour quiconque et que tout éleveur peut livrer ses animaux après les avoir tués, puis reprendre les peaux auprès du centre de pelleterie, après préparation, et les vendre, soit par la voie de transactions privées à des négociants en peaux, soit à des concurrents de la requérante, pour être vendues aux enchères organisées par ces derniers (voir, supra, point 127). En outre, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a estimé que l'article 4, point 1, sous f), des statuts de la requérante oblige, certes, les membres de DPF à ne pas agir d'une manière qui entre en concurrence directe avec les activités de vente de la requérante, mais ne contient, en lui-même, aucune obligation de livraison exclusive, cette stipulation ayant essentiellement pour effet d'interdire à tout membre de la coopérative de collecter des peaux pour d'autres ventes aux enchères que celles organisées par la requérante (voir, supra, point 73).

135 Cette constatation est confirmée, enfin, par l'argumentation même de la Commission, telle qu'exposée dans ses mémoires en défense et en duplique, dès lors que l'institution défenderesse s'est limitée à soutenir que la stipulation litigieuse est restrictive de concurrence et renforce les obligations de livrer existant par ailleurs, sans aucunement prétendre que l'article 5 de l'accord sur le contrôle de la pelleterie contient, en lui-même, une quelconque obligation de livraison exclusive.

136 Il résulte de ce qui précède que la seule partie de la motivation de la Décision qui pourrait constituer un support utile à la constatation de l'infraction effectuée à l'article 1er, paragraphe 1, sous d), du dispositif, en ce qui concerne l'interdiction faite au centre de pelleterie d'organiser des ventes, ou toute autre forme d'expédition, au profit d'autres acheteurs que ceux de DPA, est erronée.

137 De l'ensemble de ce qui précède et sans qu'il y ait lieu, pour le Tribunal, de rechercher si la stipulation litigieuse est restrictive de concurrence ou vient renforcer l'effet d'autres obligations de livraison exclusive contenues par ailleurs dans les statuts de la requérante, dès lors que cette thèse n'a pas été exprimée par la Commission dans la Décision mais figure, pour la première fois, dans les mémoires déposés devant le Tribunal, il résulte que l'article 1er, paragraphe 1, sous d), de la Décision doit être annulé. Par ailleurs, il résulte également de l'ensemble de ce qui précède que, dans la Décision, la Commission n'a imputé à la requérante aucune pratique concertée autre que celle liée à l'article 4, point 1, sous f), des statuts de DPF, sur laquelle le Tribunal s'est prononcé au point 83 ci-dessus. Par suite, il y a lieu pour le Tribunal, comme le soutient à juste titre la requérante, d'annuler l'article 1er, paragraphe 1, en tant qu'il vise des pratiques concertées constituant des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

4.2 Sur l'affectation des échanges intracommunautaires et l'incidence sensible sur la concurrence

138 Dans la Décision, la Commission a considéré que le commerce entre Etats membres se trouve affecté dans la mesure où l'article 4, point 1, sous f), des statuts de DPF et l'obligation de livrer l'intégralité de la production de peaux, à laquelle sont subordonnées les possibilités de bénéficier de l'avance pour jeunes animaux, d'être affilié au système de secours d'urgence et d'être admis au palmarès, ont pour objet ou pour effet de limiter l'accès des concurrents au marché en instituant un monopole de fait en ce qui concerne la fourniture et la vente des peaux de vison et de renard au Danemark. Selon la Décision, cette limitation ou élimination d'une véritable concurrence aboutit à cloisonner le marché commun, dans la mesure où les concurrents de DPF ne peuvent pratiquement pas accéder au marché danois, et produit des effets sensibles sur le commerce entre Etats membres, vu l'importance du secteur de la fourrure au Danemark, qui représente plus de 27 % de la production mondiale de vison.

Argumentation des parties

139 La requérante fait valoir que les stipulations litigieuses ont une influence si minime sur la concurrence et les échanges intracommunautaires qu'il est permis, conformément à la règle " de minimis ", de ne pas en tenir compte. Aucun éleveur n'aurait la possibilité d'influencer l'offre et, partant, les prix.

140 La Commission, en se référant à l'arrêt de la Cour du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193-83, Rec. p. 661), fait valoir que les stipulations litigieuses empêchent les membres de l'association d'envoyer une partie de leur production vers d'autres Etats membres pour y être vendue. En invoquant l'arrêt " de la présure ", précité, point 13, elle estime que la restriction de concurrence résultant des stipulations litigieuses est de nature à empêcher la concurrence entre les entreprises de vente aux enchères. Il serait sans importance que les stipulations en cause aient également d'autres buts. La Commission note que HBA a obtenu une bien plus grande proportion des peaux produites dans les autres pays nordiques qu'elle n'a pu en obtenir au Danemark. Elle rappelle aussi que la production danoise de peaux de vison représente 72 % de la production des Etats membres et que le chiffre d'affaires de la requérante dépasse largement 200 millions d'écus.

Appréciation du Tribunal

141 Pour apprécier, au regard de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'effet restrictif de concurrence résultant, le cas échéant, des stipulations litigieuses jugées, par le Tribunal, susceptibles de provoquer un tel effet, il convient d'examiner si elles entraînent une altération suffisamment sensible de la concurrence intracommunautaire, c'est-à-dire qu'il convient notamment de vérifier si les stipulations litigieuses, " sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, [permettent] d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'[elles puissent] exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres " (voir l'arrêt de la Cour du 30 juin 1966, Société Technique Minière, 56-65, précité). Dès lors, il convient de savoir si les stipulations litigieuses sont susceptibles, notamment, de cloisonner le marché commun, dans la mesure où les concurrents de DPF ne peuvent pratiquement pas accéder au marché danois, et de rendre ainsi plus difficile l'interpénétration économique voulue par le traité.

142 Le Tribunal estime que, pour répondre à cette branche du moyen, il convient de citer les chiffres suivants qui ont été fournis par la requérante elle-même ou qui n'ont pas été contestés par cette dernière :

- en premier lieu, la production danoise de peaux de vison représente environ 72 % de la production totale des Etats membres ;

- en deuxième lieu, sur les 9 millions de visons et les 240.000 renards produits en moyenne chaque année au Danemark, en 1985-1986 DPA en a vendu respectivement 8 millions et 185.000 et, en 1986-1987, respectivement 8,3 millions et 190.000 ;

- en troisième lieu, s'agissant des peaux de vison, 98 % de celles-ci sont exportées.

Ces exportations s'effectuent à destination des autres Etats membres dans une proportion, variant, selon les années, entre 33 % et 46 % ; enfin, selon l'affirmation de la requérante au cours de l'audience, elle regroupe 5000 éleveurs alors que seulement 50 à 100 éleveurs danois ne comptent pas parmi ses membres.

143 Le Tribunal estime qu'il ressort de ces chiffres qu'une partie très importante de la production communautaire des peaux en cause est commercialisée sous le régime des stipulations litigieuses. Il en résulte que celles-ci, déjà reconnues par le Tribunal comme susceptibles d'enfreindre l'article 85, paragraphe 1, du traité, sont, dès lors, susceptibles de détourner les courants commerciaux de leur orientation naturelle et d'affecter ainsi le commerce entre les Etats membres. Dans ces conditions, c'est à juste titre que la Commission a conclu que les statuts et les stipulations qui régissent le fonctionnement de la requérante, reconnus par le Tribunal comme susceptibles d'enfreindre l'article 85, paragraphe 1, exercent une incidence sensible sur la concurrence et sur les échanges intracommunautaires.

144 Par suite, la branche du moyen tirée d'une absence d'atteinte suffisante à la concurrence et au commerce intracommunautaire doit être rejetée.

4.3 Sur l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité

145 Dans la Décision, la Commission a considéré que les statuts et règles notifiés ne peuvent pas bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, puisque les conditions d'exemption ne sont pas remplies. En ce qui concerne l'avance pour jeunes animaux, les conditions relatives à l'admission au palmarès et l'accord type sur le contrôle de la pelleterie, la Décision constate que ces dispositions, qui n'ont pas été formellement notifiées, ne relèvent pas de l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 et ne peuvent donc pas prétendre au bénéfice d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3. Une telle exemption ne saurait en tout cas être accordée, selon la Décision, dans la mesure où ces dispositions restreignent la concurrence de la même manière que les dispositions notifiées.

Argumentation des parties

146 La requérante estime, dans son mémoire en réplique, que les conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité sont remplies et que la Commission aurait dû, en toute hypothèse, faire droit à la demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, qu'elle a présentée.

147 La Commission fait valoir qu'elle a exposé, dans sa décision, que les conditions d'exemption n'étaient pas remplies et que la requérante ne l'a pas contesté dans sa requête. Par conséquent, la Commission estime que ce moyen, présenté pour la première fois au stade de la réplique, est irrecevable.

Appréciation du Tribunal

148 Le Tribunal constate que ce moyen a été soulevé pour la première fois dans le mémoire en réplique. Aux termes de l'article 42, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, alors en vigueur et applicable au Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988 instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes, dont la rédaction a été largement reprise par l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, " la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure écrite ". Dès lors, cette branche du moyen est irrecevable.

149 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Décision doit être annulée dans la mesure suivante :

- l'article 1er, paragraphe 1, dans la mesure où il lie à la stipulation visée sous son point a) les pratiques concertées constituant une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité ;

- l'article 1er, paragraphe 1, en tant qu'il vise des pratiques concertées constituant des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité ;

- l'article 1er, paragraphe 1, sous d), relatif à la constatation d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, par l'article 5 de l'accord type sur le contrôle de la pelleterie ;

- l'article 1er, paragraphe 2, dans la mesure où il fait injonction à la partie requérante, d'une part, de mettre fin à de prétendues pratiques concertées et, d'autre part, de supprimer l'article 5 de l'accord type sur le contrôle de la pelleterie.

Sur les conclusions subsidiaires tendant à l'annulation de l'amende ou à la réduction de son montant

Argumentation des parties

150 La requérante fait valoir que, si elle a commis une erreur de droit, cette erreur est excusable. Elle ne pensait pas que les associations et leurs activités dans le domaine régi par les règles du traité en matière de concurrence seraient appréciées sur une base différente de celle des règles de droit danois. Par une lettre du Monopoltilsynet en date du 24 septembre 1986, les autorités danoises compétentes en matière de concurrence auraient indiqué à la Commission qu'elles n'avaient trouvé aucune base juridique ni pour intervenir auprès de la requérante en ce qui concerne ses statuts, ni pour exiger que cette dernière soit inscrite au registre du Monopoltilsynet. La requérante souligne, en outre, qu'elle a modifié l'ensemble des dispositions statutaires sur lesquelles était fondée la décision de la Commission, en vue de prouver sa bonne volonté.

151 La requérante relève, dans son mémoire en réplique, qu'en tant que société coopérative, elle a fondé ses activités commerciales sur des principes coopératifs qui ont pour corollaire, dans la plupart des pays, une obligation générale de livraison liée à la qualité de membre. Les règles de la requérante seraient moins restrictives et elle aurait pu considérer légitimement qu'il n'y avait pas de violation des règles de concurrence. Elle se serait fondée sur une tradition coopérative qui existe dans tous les Etats membres.

152 En renvoyant aux affaires Frubo (décision 74-433-CEE de la Commission du 25 juillet 1974, JO L 237, p. 16), choux-fleurs (décision 78-66-CEE de la Commission du 2 décembre 1977, JO 1978, L 21, p. 23), de la présure (décision 80-234-CEE de la Commission du 5 décembre 1979, JO 1980, L 51, p. 19) et de la floriculture (décision 88-491-CEE de la Commission du 26 juillet 1988, JO L 262, p. 27), la requérante fait valoir que la Commission n'a pas infligé d'amende aux coopératives en cause, alors même que leurs activités étaient plus restrictives de concurrence qu'en l'espèce.

153 La Commission conteste que la requérante ait pu commettre une erreur de droit excusable. L'appréciation des autorités danoises porte exclusivement sur le droit danois. La requérante aurait dû savoir que l'ensemble des dispositions litigieuses, et notamment l'obligation d'exclusivité de livraison à ses enchères, étaient incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité. La Commission affirme avoir tenu compte de ce que la requérante a présenté, dès la réception de la communication des griefs, des propositions concrètes de modifications de ses statuts en vue de mettre fin aux restrictions incriminées. En se référant à l'arrêt Pioneer (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française/Commission, 100 à 103-80, Rec. p. 1825) et à l'arrêt Anseau-Navewa (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, Anseau-Navewa/Commission, 96-102, 104, 105, 108 et 110-82, Rec. p. 3369), la Commission rappelle qu'elle doit veiller au caractère dissuasif de son action et qu'il lui faut tenir compte d'un grand nombre d'éléments dont le caractère et l'importance varient selon le type d'infraction en cause et les circonstances particulières de l'infraction concernée. La Commission se serait conformée à ces orientations pour fixer l'amende en l'espèce.

154 Dans les affaires citées par la requérante, la Commission avait estimé qu'il y avait infraction à l'article 85, paragraphe 1, et qu'il ne pouvait être accordé une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. En outre, ces affaires, à l'exception de l'affaire de la présure, portaient toutes sur des produits relevant de l'annexe II visée à l'article 38 du traité. La Commission rappelle que, de plus, dans l'affaire Meldoc (décision 86-596-CEE de la Commission du 26 novembre 1986, JO L 348, p. 50), dans laquelle cinq entreprises, dont quatre coopératives du secteur des produits laitiers, étaient concernées, elle a infligé des amendes supérieures à celle qui a été infligée à la requérante.

155 Le gouvernement danois est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'infliger une amende à la requérante parce que les membres de cette dernière considèrent les statuts en cause comme un élément normal de la structure particulière de la coopérative, et non comme ayant pour objet de limiter la concurrence. Il soutient qu'il n'y a pas eu, en l'espèce, d'infraction grave ou intentionnelle à l'article 85 du traité et qu'il convient d'en tenir compte à titre de circonstance atténuante.

Appréciation du Tribunal

156 Le Tribunal estime, en premier lieu, qu'en ce qui concerne l'argument de la requérante tiré de ce que son erreur excusable aurait été confortée par les réactions des autorités danoises compétentes en matière de monopoles, il convient de relever que la lettre du Monopoltilsynet du 24 septembre 1986 ne porte que sur l'inscription de la requérante au registre du Monopoltilsynet et, en outre, qu'elle ne concerne, quant aux stipulations visées par la Décision, que les statuts de la requérante. En deuxième lieu, le Tribunal rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que les articles 85 et 86, du traité, lus en combinaison avec l'article 5 du traité, imposent aux Etats membres de ne pas prendre de décisions susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Par conséquent, et en tout état de cause, une lettre des autorités nationales, danoises en l'occurrence, concernant les conditions d'applicabilité des règles de la concurrence, ne saurait, en aucune façon, lier la Commission en ce qui concerne l'application de l'article 15 du règlement n° 17-62 (arrêt de la Cour du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298-83, Rec. p. 1105, point 27).

157 Le Tribunal estime, en troisième lieu, qu'il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour (voir en dernier lieu, l'arrêt du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission, C-279-87, Rec. p. I-261), pour qu'une infraction puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre l'interdiction édictée par l'article 85 du traité ; il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence dans le marché commun.

158 Le Tribunal considère que tel est le cas en l'espèce, étant donné, d'une part, les différentes stipulations obligeant des éleveurs à livrer l'intégralité de leur production de peaux en vue de leur vente aux enchères organisées par la requérante et, d'autre part, la nature de l'obligation de non-concurrence stipulée à l'article 4, point 1, sous f), des statuts, ainsi que l'effet cumulatif de ces dispositions.

159 Le Tribunal estime également que les décisions de la Commission, telles que citées par la requérante, n'étaient pas de nature à créer, dans le chef de la requérante, une expectative légitime et, notamment, à laisser penser qu'une société coopérative échappait, par principe, au champ d'application de l'article 85 du traité. Au contraire, il résulte de ces décisions que la Commission estime, depuis longtemps, que certaines stipulations statutaires des sociétés coopératives peuvent être contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité. L'argument de la requérante, tiré de ce que la Commission n'aurait jamais infligé d'amende à une entreprise coopérative, ne saurait davantage être retenu. La Commission a fait, à juste titre, référence à sa décision dans l'affaire Meldoc, précitée. De plus, le Tribunal rappelle que la Commission a pris en compte, comme circonstance atténuante, le fait que la propriété de la requérante est aux mains des producteurs qui en sont membres, ces derniers dépendant ainsi directement, pour leurs revenus, des résultats de la coopérative.

160 S'agissant de l'argument tiré de la bonne volonté de la requérante, dont la preuve résiderait dans le fait qu'elle a modifié les stipulations litigieuses, le Tribunal estime qu'il résulte de l'examen du paragraphe 14 de la Décision que la Commission a déjà pris en considération, comme circonstance atténuante, le fait que la requérante a présenté des propositions concrètes en vue de mettre fin aux restrictions incriminées. Il convient d'ajouter que si l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 dispose que, pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci, la Commission peut infliger une amende même si, comme en l'espèce, l'entreprise concernée modifie les dispositions contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité, cette modification ne produisant d'effet que pour l'avenir.

161 Toutefois, ainsi qu'il a été constaté ci-dessus, le Tribunal a décidé d'annuler partiellement le dispositif de la Décision dans les conditions précisées au point 149 ci-dessus. Dans les circonstances de l'espèce, le Tribunal estime qu'il sera fait une juste appréciation des effets de ces annulations en réduisant l'amende infligée de 40 % et que, par voie de conséquence, une amende de 300 000 écus est appropriée à la gravité de la violation constatée des règles communautaires de la concurrence et à la durée de cette infraction.

162 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Décision doit être, annulée dans les limites précisées au point 149 ci-dessus, que l'amende infligée à la requérante doit être ramenée de 500 000 à 300 000 écus et que le surplus des conclusions de la requête doit être rejeté.

Sur les dépens

163 Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens. En l'espèce, chacune des parties ayant succombé partiellement, le Tribunal estime qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que chacune des parties supportera ses propres dépens. Par ailleurs, les parties intervenantes au soutien des conclusions de la requérante supporteront, conformément à l'article 87, paragraphe 4, du même règlement, leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1. L'article 1er, paragraphe 1, de la décision de la Commission, du 28 octobre 1988 (IV/B-2/31.424, Hudson's Bay - Dansk Pelsdyravlerforening, JO L 316, p. 43), est annulé en tant qu'il vise des pratiques concertées constituant des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2. L'article 1er, paragraphe 1, sous d), de cette décision est annulé.

3. L'article 1er, paragraphe 2, de cette décision est annulé dans la mesure où il fait injonction à la partie requérante, d'une part, de mettre fin à de prétendues pratiques concertées et, d'autre part, de supprimer l'article 5 de l'accord type sur le contrôle de la pelleterie.

4. Le montant de l'amende infligée à la requérante à l'article 2 de cette décision est fixé à 300 000 écus.

5. Le recours est rejeté pour le surplus.

6. Chacune des parties, y compris les parties intervenantes, supportera ses propres dépens.