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Décisions

Cass. crim., 17 mars 1992, n° 90-87.247

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Guerder

Avocat général :

M. Perfetti

Avocats :

SCP Lyon- Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Peignot, Garreau.

Cass. crim. n° 90-87.247

17 mars 1992

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par T Denis, T Marc, S Bruno, A Salvador, B Jean-Claude, B Layeche, D Jean-Claude, D Daniel, G Lucienne, L Jésus, G Francisco, M Alain, Q Manuel, P Yvon, R Emilio, C Luc, M Raphaël, T Didier, L Pascal, S Manuel, contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 26 octobre 1990, qui, pour défaut de paiement de cotisations de sécurité sociale, les a condamnés chacun à 800 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 85, 86, 90 et 177 du traité de Rome, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a refusé tant de déclarer les poursuites illégales au regard des dispositions des articles 85 et 86 du traité de Rome que de renvoyer l'examen de cette question en interprétation devant la Cour de justice conformément aux dispositions de l'article 177 du même Traité ;

" aux motifs que les articles 85 et 86 du traité de Rome relatifs à la régularité du jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun ne sauraient trouver application au cas d'espèce, la politique sociale interne à la France n'ayant pour but que d'engager par la voie du prélèvement obligatoire certaines catégories professionnelles à cotiser et donc à garantir à terme le risque vieillesse, invalidité-décès ; qu'en conséquence, il ne saurait être tiré de ces principes que la politique sociale par une augmentation des charges surenchérit les prix de revient, et établit un déséquilibre des chances entre concurrents à l'intérieur de la Communauté européenne, et que donc la résistance à ces prescriptions serait fondée ; qu'en effet, le principe même des cotisations sociales et de leur paiement s'impute non pas sur le prix de revient de la marchandise, objet du commerce, mais sur le revenu propre et distinct du commerçant ; qu'en outre, il a été consacré qu'en droit européen, la législation sociale a ses particularités dérogatoires ;

" alors qu'au sens du droit communautaire, l'entreprise visée par les articles 85 et 86 du traité de Rome s'entendant de toutes personnes, organismes ou groupements, quelle qu'en soit la forme juridique particulière, qui se livre à une action de production ou d'échange non gratuit de biens ou de services, l'article 90 du même Traité interdisant de surcroît à tout Etat membre de maintenir ou d'édicter en ce qui concerne les entreprises publiques des dispositions contraires à celles des articles 85 et 86, la Cour qui, pour refuser de constater l'illégalité au regard du droit communautaire des textes prétendument violés par le prévenu et même de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle tenant à la compatibilité du statut de la Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale (CANCAVA) au regard des dispositions du traité de Rome, a prétendu ainsi se fonder, d'une part sur le but d'intérêt général de la réglementation interne relative à l'assurance vieillesse, sans aucunement analyser la nature et les conditions de l'activité de la CANCAVA, et d'autre part, sur l'affirmation totalement erronée que le coût des cotisations sociales de l'artisan n'aurait pas d'incidence sur le prix de revient de la marchandise, n'a pas en l'état de ses motifs totalement entachés d'insuffisance, donné de base légale à sa décision " ;

Attendu que chacun des demandeurs, affilié à la caisse régionale d'assurance vieillesse des artisans de Provence-Alpes et Corse, à Marseille, ayant omis d'acquitter les cotisations d'assurance vieillesse, invalidité et décès afférentes au second semestre de 1988, a fait l'objet d'une mise en demeure de la Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale (CANCAVA) ; que faute de régularisation, celle-ci a fait ensuite citer l'artisan devant le tribunal de police, pour avoir contrevenu à la législation de sécurité sociale, sur le fondement des articles L. 263-1, L. 244-1, L. 244-5, R. 623-1 et R. 244-4 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu que, pour rejeter l'exception préjudicielle soulevée devant eux en défense, et prise de l'incompatibilité du statut de la CANCAVA avec les dispositions à effet direct du Traité instituant la Communauté économique européenne, les juges énoncent que " les articles 85 et 86 du traité de Rome relatifs à la régularité du jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun ne sauraient trouver application aux cas d'espèce, la politique sociale interne à la France n'ayant pour but que d'engager par la voie du prélèvement obligatoire certaines catégories professionnelles à cotiser et donc à garantir à terme le risque vieillesse, invalidité-décès " ; que les juges ajoutent qu'en droit européen, " la législation sociale a ses particularités dérogatoires ", sans entraîner une augmentation des prix de revient, ni " un déséquilibre des chances entre concurrents à l'intérieur de la Communauté européenne " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet, la Caisse nationale chargée, en application des titres II et III du livre VI du Code de la sécurité sociale, de la gestion du régime légal de l'assurance vieillesse des artisans, selon les principes de répartition et de solidarité nationale énoncés aux articles L. 111-1 à L. 111-4 dudit Code, n'exerce aucune activité commerciale, économique ou spéculative, et n'entre pas, dès lors, dans la catégorie des entreprises assujetties aux prescriptions des articles 85 et 86 du Traité de la Communauté économique européenne protégeant la liberté de la concurrence à l'intérieur du Marché commun; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 63 a et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 34 et 37 de la Constitution du 27 octobre 1958, 4 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'illégalité de l'article R. 244-4 du Code de la sécurité sociale ;

" aux motifs que si toute infraction doit être définie en des termes clairs et précis pour exclure tout arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l'accusation portée contre lui, au cas d'espèce, les poursuites ont été engagées sur le fondement des articles L. 244-1 à L. 244-5 et R. 244-4 du Code de la sécurité sociale, ce dernier texte disposant que l'employeur ou le travailleur indépendant qui ne s'est pas conformé aux prescriptions de la législation de la sécurité sociale est passible de l'amende prévue pour les contraventions de troisième classe ; qu'on ne saurait tirer du caractère général de l'article R 244-4 du Code de la sécurité sociale la conséquence d'une illégalité pour manquement aux principes généraux de droit précité dans la mesure où ce texte renvoie expressément aux prescriptions relatives aux contraventions de troisième classe, renvoi qui respecte parfaitement les dispositions de l'article 4 du Code pénal ;

" alors qu'en vertu des principes posés par les articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 34 et 37 de la Constitution, 4 du Code pénal, 63 a et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute infraction devant être définie en des termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l'accusation portée contre lui, il s'ensuit nécessairement que l'article R. 244-4 du Code de la sécurité sociale est entaché d'illégalité dans la mesure où la généralité de ses termes qui ne précisent pas les obligations qu'il entend sanctionner ne permet pas au juge pénal de s'assurer que les faits poursuivis sont de ceux que l'autorité réglementaire a entendu réprimer, la circonstance que l'article R. 244-4 renvoie expressément aux prescriptions relatives aux contraventions de troisième classe relevées par la Cour pour rejeter l'exception d'illégalité étant à cet égard totalement inopérante et ne répondant aucunement à l'argumentation développée par le prévenu dans ses écritures " ;

Attendu que, pour écarter l'exception d'illégalité soulevée par les prévenus, et prise de l'absence d'incrimination, la cour d'appel énonce que les poursuites ont été engagées sur le fondement des articles L. 244-1 à L. 244-5 et R. 244-4 du Code de la sécurité sociale, qui définissent l'infraction et la répriment, sans méconnaître ni les dispositions de l'article 4 du Code pénal, ni les principes consacrés par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les articles 34 et 37 de la Constitution, ou la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que la cour d'appel a pu statuer comme elle l'a fait, abstraction faite d'un motif inopérant, sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet, il résulte des dispositions des articles L. 244-1 à L. 244-5 du Code de la sécurité sociale, ainsi que des articles R 244-1 à R. 244-6 du même Code, que les prescriptions de la législation de sécurité sociale dont la violation est pénalement sanctionnée concernent le défaut de paiement des contributions de sécurité sociale incombant au travailleur indépendant comme à l'employeur ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.