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Décisions

TPICE, 1re ch., 10 mars 1992, n° T-15/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chemie Linz AG

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Avocat général :

M. Vesterdorf

Juges :

MM. Schintgen, Edward, Kirschner, Lenaerts

Avocat :

Me Lieberknecht.

TPICE n° T-15/89

10 mars 1992

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (première chambre),

Les faits à l'origine du recours

1. La présente affaire concerne une décision de la Commission infligeant à quinze producteurs de polypropylène une amende pour avoir violé l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Le produit faisant l'objet de la décision attaquée (ci-après "décision") est l'un des principaux polymères thermoplastiques bruts. Le polypropylène est vendu par les producteurs aux transformateurs, qui le convertissent en produits finis ou semi-finis. Les principaux producteurs de polypropylène ont une gamme de plus de cent qualités différentes, recouvrant un vaste éventail d'utilisations finales. Les principales qualités de base de polypropylène ont pour noms raphia, homopolymère pour moulage par injection, copolymère pour moulage par injection, copolymère high impact et film. Les entreprises destinataires de la décision sont toutes d'importants fabricants de produits pétrochimiques.

2. Le marché du polypropylène ouest-européen est approvisionné presque exclusivement à partir d'unités de production installées en Europe. Avant 1977, ce marché était approvisionné par dix producteurs, à savoir Montedison (devenue Montepolimeri SpA, elle-même devenue ensuite Montedipe SpA), Hoechst AG, Imperial Chemical Industries plc et Shell International Chemical Company Ltd (appelés les "quatre grands"), représentant ensemble 64 % du marché, Enichem Anic SpA en Italie, Rhône-Poulenc SA en France, Alcudia en Espagne, Chemische Werke Hüls et BASF AG en Allemagne et Chemie Linz AG en Autriche. A la suite de l'expiration des brevets de contrôle détenus par Montedison, sept nouveaux producteurs sont apparus en Europe occidentale en 1977: Amoco et Hercules Chemicals NV en Belgique, ATO Chimie SA et Solvay et Cie SA en France, SIR en Italie, DSM NV aux Pays-Bas et Taqsa en Espagne. Saga Petrokjemi AS et Cie, producteur norvégien, a commencé ses activités au milieu de l'année 1978 et Petrofina SA en 1980. Cette arrivée de nouveaux producteurs ayant une capacité nominale de quelque 480 000 tonnes a entraîné une augmentation substantielle de la capacité de production en Europe occidentale, qui, pendant plusieurs années, n'a pas été suivie par un accroissement correspondant de la demande, ce qui a eu pour conséquence une faible utilisation des capacités de production, qui se serait cependant redressée progressivement entre 1977 et 1983, passant de 60 % à 90 %. Selon la décision, l'offre et la demande se seraient retrouvées plus ou moins en équilibre à partir de 1982. Toutefois, pendant la plus grande partie de la période de référence (1977-1983), le marché du polypropylène se serait caractérisé soit par une faible rentabilité soit par des pertes substantielles, en raison, notamment, de l'importance des coûts fixes et de l'augmentation du coût de la matière première, le propylène. Selon la décision (point 8), en 1983, Montepolimeri détenait 18 % du marché européen du polypropylène, Imperial Chemical Industries plc, Shell International Chemical Company Ltd et Hoechst AG en auraient détenu chacun 11 %, Hercules Chemicals NV un peu moins de 6 %, ATO Chimie SA, BASF AG, DSM NV, Chemische Werke Hüls, Chemie Linz AG, Solvay et Cie SA et Saga Petrokjemi AS et Cie, de 3 à 5 % chacun et Petrofina SA environ 2 %. Le polypropylène aurait fait l'objet d'un vaste courant d'échanges entre les États membres, parce que chacun des producteurs établis à l'époque dans la Communauté vendait dans tous les États membres ou presque.

3. Chemie Linz AG faisait partie des producteurs approvisionnant le marché avant 1977. Sa position sur le marché ouest-européen du polypropylène était celle d'un producteur moyen, dont la part de marché se situait entre 3,2 et 3,9 %.

4. Les 13 et 14 octobre 1983, des fonctionnaires de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ont procédé à des vérifications simultanées dans les entreprises suivantes, productrices de polypropylène et approvisionnant le marché communautaire:

- ATO Chimie SA, actuellement Atochem (ci-après "ATO");

- BASF AG (ci-après "BASF");

- DSM NV (ci-après "DSM");

- Hercules Chemicals NV (ci-après "Hercules");

- Hoechst AG (ci-après "Hoechst");

- Chemische Werke Hüls (ci-après "Hüls");

- Imperial Chemical Industries plc (ci-après "ICI");

- Montepolimeri SpA, actuellement Montedipe (ci-après "Monte");

- Shell International Chemical Company Ltd (ci-après "Shell");

- Solvay et Cie SA (ci-après "Solvay");

- BP Chimie (ci-après "BP").

Aucune vérification n'a été effectuée chez Rhône-Poulenc, ni chez Enichem Anic SpA.

5. A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements, au titre de l'article 11 du règlement n° 17 (ci-après "demandes de renseignements"), non seulement aux entreprises précitées, mais aussi aux entreprises suivantes:

- Amoco;

- Chemie Linz AG (ci-après "Linz");

- Saga Petrokjemi AS et Cie, qui fait actuellement partie de Statoil (ci-après "Statoil");

- Petrofina SA (ci-après "Petrofina");

- Enichem Anic SpA (ci-après "Anic").

Linz, entreprise établie en Autriche, a contesté la compétence de la Commission et refusé de répondre à la demande. Conformément à l'article 14, paragraphe 2, du règlement précité, les fonctionnaires de la Commission ont ensuite procédé à des vérifications chez Anic et chez Saga Petrochemicals UK Ltd, filiale anglaise de Saga, ainsi qu'auprès des agences de vente de Linz établies au Royaume-Uni et en Allemagne. Aucune demande de renseignements n'a été adressée à Rhône-Poulenc.

6. Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements ont amené la Commission à conclure qu'entre 1977 et 1983 les producteurs concernés avaient, en violation de l'article 85 du traité CEE, par une série d'initiatives de prix, fixé régulièrement des objectifs de prix et élaboré un système de contrôle annuel des volumes de vente en vue de se répartir le marché disponible sur la base de tonnages ou pourcentages convenus. C'est ainsi que, le 30 avril 1984, la Commission a décidé d'engager la procédure prévue par l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 et, au cours du mois de mai 1984, elle a adressé une communication écrite des griefs aux entreprises précitées à l'exception d'Anic et de Rhône-Poulenc. Tous les destinataires y ont répondu par écrit.

7. Le 24 octobre 1984, le conseiller-auditeur désigné par la Commission a réuni les conseillers juridiques des destinataires de la communication des griefs pour convenir de certaines dispositions de procédure en vue de l'audition, prévue dans le cadre de la procédure administrative, qui devait débuter le 12 novembre 1984. Lors de cette réunion, la Commission a, par ailleurs, annoncé que, au vu de l'argumentation développée par les entreprises dans leurs réponses à la communication des griefs, elle leur adresserait incessamment des éléments de preuve complétant ceux dont elles disposaient déjà en ce qui concerne la mise en œuvre des initiatives de prix. C'est ainsi que, le 31 octobre 1984, la Commission a envoyé aux conseillers juridiques des entreprises une liasse de documents réunissant des copies des instructions de prix données par les producteurs à leurs bureaux de vente ainsi que des tableaux résumant ces documents. Afin de garantir le respect du secret des affaires, la Commission a assorti cette communication de certaines conditions; en particulier, les documents communiqués ne devaient pas être portés à la connaissance des services commerciaux des entreprises. Les avocats de plusieurs entreprises ont refusé d'accepter lesdites conditions et ont renvoyé la documentation avant l'audition.

8. Au vu des informations fournies dans les réponses écrites à la communication des griefs, la Commission a décidé d'étendre la procédure à Anic et Rhône-Poulenc. A cette fin, une communication des griefs semblable à celle adressée aux quinze autres entreprises leur a été envoyée le 25 octobre 1984.

9. Une première session d'auditions s'est déroulée du 12 au 20 novembre 1984. Au cours de celle-ci, toutes les entreprises ont été entendues, à l'exception de Shell (qui avait refusé de participer à toute audition), Anic, ICI et Rhône-Poulenc (qui estimaient n'avoir pas été en mesure de préparer leur dossier).

10. Lors de cette session, plusieurs entreprises ont refusé d'aborder les points soulevés dans la documentation qui leur avait été adressée le 31 octobre 1984, faisant valoir que la Commission avait radicalement changé l'orientation de son argumentation et qu'elles devaient, à tout le moins, être mises en mesure de présenter des observations écrites. D'autres entreprises ont soutenu n'avoir pas eu assez de temps pour étudier les documents en question avant l'audition. Une lettre commune en ce sens a été adressée à la Commission le 28 novembre 1984 par les avocats de BASF, DSM, Hercules, Hoechst, ICI, Linz, Monte, Petrofina et Solvay. Par lettre du 4 décembre 1984, Hüls a déclaré se rallier au point de vue ainsi exprimé.

11. C'est pourquoi, le 29 mars 1985, la Commission a adressé aux entreprises une nouvelle série de documents, reproduisant des instructions de prix données par les entreprises à leurs bureaux de vente, accompagnés de tableaux concernant les prix, ainsi qu'un résumé des preuves ayant trait à chacune des initiatives de prix pour laquelle des documents étaient disponibles. Elle invitait les entreprises à y répondre, tant par écrit qu'au cours d'une autre session d'auditions, et précisait qu'elle levait les restrictions prévues initialement concernant la communication aux services commerciaux.

12. Par une autre lettre du même jour, la Commission a répondu aux arguments avancés par les avocats, selon lesquels elle n'avait pas donné une définition juridique précise de l'entente alléguée, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et elle a invité les entreprises à lui soumettre leurs observations écrites et orales.

13. Une seconde session d'auditions s'est déroulée du 8 au 11 juillet 1985, et le 25 juillet 1985. Anic, ICI et Rhône-Poulenc y ont présenté leurs observations et les autres entreprises (à l'exception de Shell) ont commenté les points soulevés dans les deux lettres de la Commission datées du 29 mars 1985.

14. Le projet de procès-verbal des auditions, accompagné de la documentation utile, a été transmis aux membres du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes (ci-après "comité consultatif") le 19 novembre 1985 et a été envoyé aux entreprises le 25 novembre 1985. Le comité consultatif a rendu son avis lors de sa 170e réunion, les 5 et 6 décembre 1985.

15. Au terme de cette procédure, la Commission a pris la décision litigieuse du 23 avril 1986, qui comporte le dispositif suivant:

"Article premier

Anic SpA, ATO Chemie SA (actuellement Atochem), BASF AG, DSM NV, Hercules Chemicals NV, Hoechst AG, Chemische Werke Hüls (actuellement Hüls AG), ICI plc, Chemische Werke Linz, Montepolimeri SpA (actuellement Montedipe), Petrofina SA, Rhône-Poulenc SA, Shell International Chemical Co. Ltd, Solvay & Cie et Saga Petrokjemi AG & Co. (actuellement fusionnée avec Statoil) ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, en participant:

- pour Anic, à partir de novembre 1977 environ jusqu'à la fin de 1982 ou au début de 1983;

- pour Rhône-Poulenc, de novembre 1977 environ jusqu'à la fin de 1980;

- pour Petrofina, de 1980 jusqu'en novembre 1983 au moins;

- pour Hoechst, ICI, Montepolimeri et Shell, du milieu de l'année 1977 jusqu'à novembre 1983 au moins;

- pour Hercules, Linz, Saga et Solvay, de novembre 1977 environ jusqu'en novembre 1983 au moins;

- pour ATO, de 1978 au moins jusqu'à novembre 1983 au moins;

- pour BASF, DSM et Hüls, d'un moment indéterminé entre 1977 et 1979 jusqu'en novembre 1983 au moins;

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de l'année 1977, en vertu desquels les producteurs approvisionnant en polypropylène le territoire du Marché commun:

a) ont pris contact l'un avec l'autre et se sont rencontrés régulièrement (depuis le début de 1981, deux fois par mois) dans le cadre de réunions secrètes, en vue d'examiner et de définir leur politique commerciale;

b) ont fixé périodiquement des prix " 'cible " (ou minimaux) pour la vente du produit dans chaque État membre de la Communauté;

c) ont convenu de diverses mesures visant à faciliter l'application de tels objectifs de prix, y compris (et essentiellement) des limitations temporaires de la production, l'échange d'informations détaillées sur leurs livraisons, la tenue de réunions locales et, à partir de la fin de 1982, un système d' " account management " ayant pour but d'appliquer les hausses de prix à des clients particuliers;

d) ont procédé à des hausses de prix simultanées, en application desdites cibles;

e) se sont réparti le marché en attribuant à chaque producteur un objectif ou un 'quota' annuel de vente (1979, 1980 et pendant une partie au moins de 1983) ou, à défaut d'un accord définitif pour l'année entière, en obligeant les producteurs à limiter leurs ventes mensuelles par référence à une période antérieure (1981, 1982).

Article 2

Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées (si elles ne l'ont pas déjà fait) et s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leur secteur polypropylène, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange de renseignements du type généralement couvert par le secret professionnel, au moyen duquel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des livraisons, du niveau des stocks, des prix de vente, des coûts ou des plans d'investissement d'autres producteurs individuels, ou qui leur permettrait de suivre l'exécution de tout accord exprès ou tacite ou de toute pratique concertée se rapportant aux prix ou au partage des marchés dans la Communauté. Tout système d'échange de données générales auquel les producteurs seraient abonnés (tel que le Fides) sera géré de manière à exclure toute donnée permettant d'identifier le comportement de producteurs déterminés; les entreprises s'abstiendront plus particulièrement d'échanger entre elles toute information supplémentaire intéressant la concurrence et non couverte par un tel système.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées par la présente décision, en raison de l'infraction constatée à l'article 1er:

i) Anic SpA, une amende de 750 000 écus, soit 1 103 692 500 LIT;

ii) Atochem, une amende de 1 750 000 écus, soit 11 973 325 FF;

iii) BASF AG, une amende de 2 500 000 écus, soit 5 362 225 DM;

iv) DSM NV, une amende de 2 750 000 écus, soit 6 657 640 HFL;

v) Hercules Chemicals NV, une amende de 2 750 000 écus, soit 120 569 620 BFR;

vi) Hoechst AG, une amende de 9 000 000 écus, soit 19 304 010 DM;

vii) Hüls AG, une amende de 2 750 000 écus, soit 5 898 447,50 DM;

viii) ICI plc, une amende de 10 000 000 écus, soit 6 447 970 UKL;

ix) Chemische Werke Linz, une amende de 1 000 000 écus, soit 1 471 590 000 LIT;

x) Montedipe, une amende de 11 000 000 écus, soit 16 187 490 000 LIT;

xi) Petrofina SA, une amende de 600 000 écus, soit 26 306 100 BFR;

xii) Rhône-Poulenc SA, une amende de 500 000 écus, soit 3 420 950 FF;

xiii) Shell International Chemical Co. Ltd, une amende de 9 000 000 écus, soit 5 803 173 UKL;

xiv) Solvay & Cie, une amende de 2 500 000 écus, soit 109 608 750 BFR;

xv) Statoil, Den Norske Stats Oljeselskap AS (qui englobe aujourd'hui Saga Petrokjemi), une amende de 1 000 000 écus, soit 644 797 UKL.

Articles 4 et 5

(omissis)"

16. Le 8 juillet 1986, le procès-verbal définitif des auditions contenant les corrections, compléments et suppressions de textes demandés par les entreprises leur a été envoyé.

La procédure

17. C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 11 août 1986, la requérante a introduit le présent recours, visant à l'annulation de la décision. Treize des quatorze autres destinataires de cette décision ont également introduit un recours visant à son annulation (affaires T-1-89 à T-4-89 et T-6-89 à T-14-89).

18. La procédure écrite s'est entièrement déroulée devant la Cour.

19. Par ordonnance du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé cette affaire ainsi que les treize autres devant le Tribunal, en application de l'article 14 de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (ci-après "décision du Conseil du 24 octobre 1988").

20. En application de l'article 2, paragraphe 3, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, un Avocat général a été désigné par le président du Tribunal.

21. Par lettre du 3 mai 1990, le greffier du Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, en vue de déterminer les modalités d'organisation de la procédure orale. Cette réunion a eu lieu le 28 juin 1990.

22. Par lettre du 9 juillet 1990, le greffier du Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs observations sur une jonction éventuelle des affaires T-1-89 à T-4-89 et T-6-89 à T-15-89 aux fins de la procédure orale. Aucune partie n'a formulé d'objection sur ce point.

23. Par ordonnance du 25 septembre 1990, le Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 43 du règlement de procédure de la Cour, applicable alors mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988.

24. Par ordonnance du 15 novembre 1990, le Tribunal a statué sur les demandes de traitement confidentiel introduites par les requérantes dans les affaires T-2-89, T-3-89, T-9-89, T-11-89, T-12-89 et T-13-89 et les a partiellement accueillies.

25. Par lettres déposées au greffe du Tribunal entre le 9 octobre et le 29 novembre 1990, les parties ont répondu aux questions qui leur avaient été posées par le Tribunal par lettres du greffier du 19 juillet.

26. Au vu des réponses fournies à ses questions et sur rapport du juge rapporteur, l'Avocat général entendu, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

27. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 10 au 15 décembre 1990.

28. L' Avocat général a été entendu en ses conclusions à l'audience du 10 juillet 1991.

Les conclusions des parties

29. La société Chemie Linz conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

1) annuler la décision de la défenderesse du 23 avril 1986 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.149-Polypropylène), notifiée le 28 mai 1986, dans la mesure où elle concerne la requérante;

2) à titre subsidiaire, annuler l'article 3 de la décision susmentionnée, dans la mesure où l'amende infligée par cet article excède le montant d'une amende raisonnable, à fixer par la Cour de justice;

3) condamner la défenderesse aux dépens de l'instance.

La Commission, quant à elle, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur le fond

30. Le Tribunal considère qu'il y a lieu d'examiner, en premier lieu, les griefs de la requérante tirés de la violation des droits de la défense, en ce que la Commission aurait omis de lui communiquer des documents sur lesquels elle a fondé la décision (1), en ce que la Commission se serait fondée sur des éléments de preuve manquant de fiabilité (2), en ce que la Commission n'aurait pas donné à la requérante accès à tout le dossier (3), en ce que la Commission aurait formulé pour la première fois dans la décision certains griefs retenus contre la requérante (4), en ce que le procès-verbal définitif des auditions n'aurait été communiqué ni aux membres de la Commission ni à ceux du comité consultatif (5) et en ce que le rapport du conseiller-auditeur n'aurait été communiqué ni à la Commission, ni au comité consultatif, ni à la requérante (6); en second lieu, les griefs relatifs à l'établissement de l'infraction qui portent, d'une part, sur les constatations de fait opérées par la Commission (1) et, d'autre part, sur l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE à ces faits (2), en ce que la Commission n'aurait pas correctement qualifié l'infraction (A) et qu'elle n'aurait pas correctement apprécié son effet restrictif sur la concurrence (B); en troisième lieu, les griefs de la requérante relatifs à la motivation de la décision; et, en quatrième lieu, les griefs relatifs à la fixation de l'amende, qui serait partiellement couverte par la prescription (1) et qui ne serait adéquate ni à la durée (2) ni à la gravité (3) de l'infraction alléguée.

Sur les droits de la défense

1. Omission de communiquer des documents lors de la communication des griefs

31 La requérante fait valoir que, lors de la communication des griefs, la Commission ne lui a pas transmis certains documents sur lesquels elle aurait fondé la décision et qu'elle l'a ainsi mise dans l'impossibilité de s'expliquer sur leur contenu. Il s'agirait du compte rendu de la réunion du 13 mai 1982 établi par un cadre d'Hercules (décision, point 15 b), du compte rendu de la réunion du 10 mars 1982 établi par un cadre d'ICI (décision, points 15 b et 58), d'un document du 6 septembre 1977 prétendument découvert chez Solvay (décision, point 16, avant-dernier alinéa), de la réponse de Shell à la communication des griefs (décision, point 17), des réponses d'Amoco, ATO, BASF, DSM, Hoechst, Hüls et Monte à la demande de renseignements (décision, point 18), d'instructions de prix (décision, points 25 et 88), de deux comptes rendus de réunions internes de Shell tenues respectivement les 5 juillet et 12 septembre 1979 (décision, points 29 et 31), d'un document interne de Solvay (décision, point 32), d'un rappel de Solvay à ses bureaux de vente du 17 juillet 1981 (décision, point 35), des extraits de la presse spécialisée de la fin de l'année 1981 (décision, point 36), d'une note interne d'ICI relative au "climat de fermeté" (décision, point 46), d'un document de Shell intitulé "PP W. Europe - Pricing" et "Market quality report" (décision, point 49), de documents de Shell relatifs au Royaume-Uni et à la France (décision, point 49), d'une note interne d'ATO du 28 septembre 1983 (décision, point 51), d'une note non datée d'ICI destinée à préparer une réunion avec Shell prévue pour le mois de mai 1983 (décision, point 63, deuxième alinéa), d'un document de travail relatif au premier trimestre de 1983 découvert chez Shell (décision, point 63, troisième alinéa) et, enfin, de documents relatifs aux questions discutées lors des réunions découverts chez ATO, DSM et Shell (décision, point 70).

32 A cet égard, elle ajoute, en premier lieu, que la procédure d'accès au dossier ne saurait se substituer à la communication des documents, à moins que la Commission n'indique lors de cette procédure - ce qu'elle n'aurait pas fait - ceux des documents sur lesquels elle entend fonder sa décision; en second lieu, que si la presse spécialisée constitue en effet une source d'information accessible à tous, encore faudrait-il que la Commission indique avec précision les références des éléments à charge, ce qui n'aurait pas été le cas; et enfin, en troisième lieu, que la Commission ne saurait valablement soutenir que certains des documents ne concernaient pas la requérante ou n'étaient que la confirmation de documents déjà connus, puisqu'il s'agirait, selon la Commission elle-même, d'une infraction collective.

33. La Commission rétorque que les affirmations de la requérante sont, en partie, fausses sur le plan matériel et, pour le reste, insignifiantes sur le plan juridique. Certains des documents cités auraient été rendus accessibles à la requérante, soit qu'ils aient figuré en annexe à la communication générale des griefs, soit qu'ils aient figuré dans la presse spécialisée que Linz ne peut prétendre ignorer (même si la Commission n'en a pas donné les références précises), soit qu'ils aient été produits lors de la procédure d'accès au dossier, procédure qui serait précisément destinée à permettre aux entreprises de prendre connaissance des preuves dont dispose la Commission et de préparer leur défense.

34. Elle expose que d'autres documents n'avaient pas à être communiqués, soit parce qu'ils ne concernaient pas la requérante, soit parce qu'ils ne faisaient que confirmer des documents déjà communiqués.

35. La Commission reconnaît toutefois qu'une note non datée d'ICI destinée à préparer une réunion avec Shell, évoquée au point 63 de la décision, de même que le compte rendu de la réunion du 10 mars 1982 établi par un cadre d'ICI, évoqué au point 58 de la décision, n'ont pas été communiqués par suite d'une erreur. Mais ce dernier compte rendu ne ferait que confirmer un compte rendu de la même réunion découvert chez Hercules qui, lui, aurait été communiqué (annexe 23 à la communication générale des griefs, ci-après "g.g. ann.") et ne viserait qu'à identifier un tableau également communiqué (g. g. ann. 71).

36. Le Tribunal constate qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour que ce qui importe ce ne sont pas les documents en tant que tels, mais les conclusions qu'en a tirées la Commission et que, si ces documents n'ont pas été mentionnés dans la communication des griefs, l'entreprise concernée a pu à juste titre estimer qu'ils n'avaient pas d'importance aux fins de l'affaire. En n'informant pas une entreprise que certains documents seraient utilisés dans sa décision, la Commission l'a empêchée de manifester en temps utile son opinion sur la valeur probante de ces documents. Il s'ensuit que ces documents ne peuvent être considérés comme des moyens de preuve valables en ce qui la concerne (arrêts du 25 octobre 1983, AEG/Commission, point 27, 107-82, Rec. p. 3151, et en dernier lieu du 3 juillet 1991, AKZO Chemie/Commission, point 21, C-62-86, Rec. p. I-0000).

37. En l'espèce, il y a lieu de relever que seuls les documents mentionnés dans les communications générale ou spécifique des griefs ou dans la lettre du 29 mars 1985, ou ceux annexés à celles-ci sans y être spécifiquement mentionnés, peuvent être considérés comme des moyens de preuve opposables à la requérante dans le cadre de la présente affaire. En ce qui concerne les documents annexés aux communications des griefs mais qui n'y sont pas mentionnés, ils ne peuvent être retenus dans la décision contre la requérante que si celle-ci a pu déduire raisonnablement, à partir des communications des griefs, les conclusions que la Commission entendait en tirer.

38. Il résulte des considérations qui précèdent que, parmi les documents cités par la requérante, seuls les documents suivants peuvent être retenus comme éléments de preuve à l'encontre de la requérante: les instructions de prix émanant de différents producteurs (décision, points 25 et 88), mentionnées aux points 58 et 75 de la communication générale des griefs, dont elles constituent, en outre, les annexes 19, 42, 46, 50 et 52, et qui ont encore été annexées à la lettre du 29 mars 1985 adressée à la requérante; la note interne d'ICI sur le "climat de fermeté" (décision, point 46), mentionnée au point 71 de la communication générale des griefs, dont elle constitue, en outre, l'annexe 35, et les documents découverts chez ATO (décision, point 70), mentionnés aux points 94 et 102 de la communication générale des griefs, dont ils constituent, en outre, les annexes 60 et 72. Les autres documents cités par la requérante ne peuvent être considérés comme des moyens de preuve opposables à la requérante dans le cadre de la présente affaire.

39. La question de savoir si ces derniers documents constituent le support indispensable des constatations de fait que la Commission a opérées à l'encontre de la requérante dans la décision relève de l'examen par le Tribunal du bien-fondé de ces constatations.

2. Valeur probante de documents retenus à charge

40. La requérante fait valoir que la Commission se serait fondée sur des rumeurs ou sur de simples présomptions et suppositions ou sur des théories empiriques imaginaires. Elle relève que les comptes rendus de réunions ne constituent pas des procès-verbaux approuvés et signés, mais seulement des résumés qui peuvent comporter, de la part de leur auteur, une part d'interprétation, de déformation, d'exagération ou de souhait. La valeur probante de ces notes serait démentie par le comportement divergent des entreprises sur le marché.

41. La Commission fait valoir qu'elle dispose d'un ensemble d'éléments de preuve, s'étalant sur une période de six ans et demi, de nature à établir l'infraction reprochée aux producteurs de polypropylène. Elle souligne que ses constatations reposent sur des preuves documentaires et non sur des rumeurs ou sur des déclarations de témoins. En particulier, il n'existerait aucune raison de douter de l'exactitude et de la fiabilité des comptes rendus de réunions.

42. Le Tribunal relève que le contenu des comptes rendus de réunions émanant d'ICI est confirmé par différents documents, comme un certain nombre de tableaux chiffrés relatifs aux volumes de vente des différents producteurs et comme des instructions de prix correspondant, quant à leur montant et à leur date d'entrée en vigueur, aux objectifs de prix mentionnés dans lesdits comptes rendus de réunions. De la même manière, les réponses des différents producteurs aux demandes de renseignements qui leur ont été adressées par la Commission corroborent, globalement, le contenu desdits comptes rendus.

43. Par conséquent, la Commission a pu considérer que les comptes rendus de réunions découverts chez ICI reflétaient assez objectivement le contenu de réunions dont la présidence était assurée par différents membres du personnel d'ICI, ce qui accroissait la nécessité pour eux d'informer correctement du contenu des réunions ceux des membres du personnel d'ICI qui ne participaient pas à l'une ou l'autre réunion en établissant des comptes rendus de celles-ci.

44. Dans ces circonstances, c'est à la requérante de fournir une autre explication du contenu des réunions auxquelles elle a participé, en avançant des éléments précis, comme les notes prises par ses employés au cours des réunions auxquelles ils participaient ou le témoignage de ceux-ci. Force est de constater que la requérante n'a pas avancé ni offert d'avancer de tels éléments devant le Tribunal.

45. Par ailleurs, la question de savoir si la Commission s'est fondée sur des rumeurs ou sur de simples présomptions et suppositions ou sur des théories empiriques imaginaires se confond avec celle de savoir si les constatations de fait opérées par la Commission dans la décision sont étayées par les éléments de preuve qu'elle a produits. S' agissant là d'une question de fond liée à l'établissement de l'infraction, il y a lieu de l'examiner ultérieurement avec les autres questions liées à l'établissement de l'infraction.

3. Accès insuffisant au dossier

46. La requérante estime n'avoir pas eu accès à tout le dossier, mais seulement aux documents sur lesquels la Commission s'était fondée lors de la communication des griefs, c'est-à-dire uniquement les documents comportant des éléments à charge. De l'avis de Linz, la loyauté de la procédure et le droit des parties d'être entendues ne seraient pas garantis si les entreprises ne peuvent avoir accès à tous les documents à charge et à décharge. Ce vice ne serait pas réparable devant le juge communautaire.

47. A cet égard, la requérante déclare qu'elle n'ignore pas que la jurisprudence de la Cour (arrêt du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, point 25, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19) ne permet pas de déduire un droit à un plein accès au dossier pour les parties à une procédure administrative. Mais elle soutient que ce droit est reconnu dans différents États membres et qu'il pourrait être élevé au rang de principe général de droit commun aux droits des États membres (par référence à l'article 215, deuxième alinéa, du traité CEE). Elle invite donc le Tribunal à réexaminer cette jurisprudence.

48. La requérante ajoute que, même en l'état actuel de la jurisprudence, la Commission est restée en dessous des normes imposées par cette jurisprudence, en ne mettant pas les documents à décharge à la disposition de la requérante.

49. La Commission répond qu'elle n'est pas tenue de porter l'ensemble du dossier à la connaissance des intéressés (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, précité, 43-82 et 63-82, point 25). En l'espèce d'ailleurs, bien qu'elle ne fût donc pas tenue de le faire, la Commission aurait permis l'accès à tous les documents en sa possession (sous la réserve du respect des secrets d'affaires), tant dans la communication des griefs et dans sa lettre du 29 mars 1985 que dans le cadre de la procédure d'accès au dossier. Ce serait donc en vain que la requérante inviterait le juge communautaire à modifier sa jurisprudence à cet égard.

50. En outre, il serait inexact de prétendre, comme le fait la requérante, que la Commission n'aurait rendu accessibles que les documents à charge et aurait gardé par devers elle tous les documents à décharge. D'ailleurs, Linz n'aurait pu désigner aucun document pour étayer cette accusation grave.

51. Le Tribunal relève que le respect des droits de la défense exige que la requérante ait été mise en mesure de faire valoir, comme elle l'entendait, son point de vue sur l'ensemble des griefs formulés par la Commission à son encontre dans les communications des griefs qui lui sont adressées ainsi que sur les éléments de preuve destinés à étayer ces griefs et mentionnés par la Commission dans ses communications des griefs ou annexés à celles-ci (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, point 7, 322-81, Rec. p. 3461).

52. En revanche, le respect des droits de la défense n'exige pas qu'une entreprise impliquée dans une procédure d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE puisse commenter tous les documents faisant partie du dossier de la Commission, puisqu'il n'y a pas de dispositions prescrivant à la Commission l'obligation de divulguer ses dossiers aux parties intéressées (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, précité, 43-82 et 63-82, point 25).

53. Toutefois, il est à noter que la Commission, en établissant une procédure d'accès au dossier dans les affaires de concurrence, s'est imposé à elle-même des règles dépassant les exigences formulées par la Cour. Selon ces règles, formulées dans le Douzième rapport sur la politique de concurrence (p. 40 et 41),

"la Commission accorde aux entreprises impliquées dans une procédure la faculté de prendre connaissance du dossier les concernant. Les entreprises sont informées du contenu du dossier de la Commission par l'adjonction à la communication des griefs ou à la lettre de rejet de la plainte d'une liste de tous les documents composant le dossier, avec l'indication des documents ou parties de ceux-ci qui leur sont accessibles. Les entreprises sont invitées à examiner sur place les documents accessibles. Si une entreprise souhaite n'en examiner que quelques-uns, la Commission peut lui en faire parvenir des copies. La Commission considère comme confidentiels et, par conséquent, inaccessibles pour une entreprise déterminée, les documents suivants: les documents ou parties de ceux-ci contenant des secrets d'affaires d'autres entreprises; les documents internes de la Commission, tels que les notes, projets ou autres documents de travail; toutes autres informations confidentielles, telles que celles permettant d'identifier les plaignants qui souhaitent ne pas voir révélée leur identité, ainsi que les renseignements communiqués à la Commission sous réserve d'en respecter le caractère confidentiel".

Il y a lieu de relever que la Commission ne peut se départir des règles qu'elle s'est imposées (arrêts de la Cour du 5 juin 1973, Commission/Conseil, point 9, 81-72, Rec. p. 575, et du 30 janvier 1974, Louwage/Commission, 148-73, Rec. p. 81).

54. Il résulte de ce qui précède que la Commission a l'obligation de rendre accessible aux entreprises impliquées dans une procédure d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE l'ensemble des documents à charge et à décharge qu'elle a recueillis au cours de l'enquête sous réserve des secrets d'affaires d'autres entreprises, des documents internes de la Commission et d'autres informations confidentielles.

55. Le Tribunal constate que la Commission nie catégoriquement que ses services aient omis de rendre accessibles à la requérante des documents pouvant contenir des éléments à décharge pour elle.

56. Or, face aux dénégations de la Commission, la requérante n'a avancé aucun indice de nature à établir que les services de la Commission ont sélectionné les documents rendus accessibles à la requérante afin de l'empêcher de réfuter les éléments de preuve avancés par la Commission pour établir sa participation à l'infraction. En effet, elle se réfère à des propos que le rapporteur de la Commission aurait tenus à son conseil, mais elle n'a pas prouvé ni offert de prouver que de tels propos avaient été tenus et qu'ils avaient la portée qu'elle leur attribue.

57. Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

4. Griefs nouveaux

58. La requérante soutient qu'en faisant grief aux entreprises d'avoir participé à un "accord-cadre" et à un "accord unique et continu" la décision procède à la fois à une affirmation de fait et à une qualification juridique de l'infraction. Or, à aucun moment de la procédure administrative, la Commission n'aurait allégué que les entreprises avaient conclu un "accord-cadre" ni que Linz avait participé à la conclusion d'un tel accord ni même qu'elle en ait eu connaissance par la suite. Quant à la qualification juridique, elle avait fait l'objet, selon la requérante, d'explications peu claires et contradictoires de la part de la Commission lors de la procédure administrative.

59. La requérante fait valoir que la décision ne constitue pas un "complément" ou un "réaménagement" des griefs précédemment invoqués par la Commission (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, points 91 à 93, 41-69, Rec. p. 661, et du 29 octobre 1980, Van Landewyck/Commission, point 68, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125), mais une substitution pure et simple des griefs formulés contre la requérante ou, le cas échéant, une substitution sur le plan de la motivation juridique. Ainsi la décision serait-elle fondée sur des griefs sur lesquels Linz n'a pas pu s'exprimer.

60. La Commission conteste que le grief relatif à la conclusion d'un accord-cadre apparaisse de manière tout à fait nouvelle et surprenante dans la décision, puisque la Commission avait déjà parlé dans la communication générale des griefs adressée à la requérante (points 128 et 132) d'une "collaboration durable et institutionnalisée", ce qui constituait déjà une description suffisamment claire de l'existence d'un accord-cadre. En outre, dans sa lettre du 29 mars 1985, la Commission aurait indiqué qu'elle "n'excluait pas la possibilité d'un accord central des quatre principaux producteurs" (p. 3) et que, en ce qui concernait les autres participants aux réunions, les accords "(reposaient) sur un plan suffisamment détaillé pour être assimilable à un accord ou à des accords au sens de l'article 85" (p. 4).

61. Le Tribunal constate que les passages de la décision, critiqués par la requérante, coïncident quant à leur portée avec la teneur des griefs formulés par la Commission à l'encontre de la requérante ainsi que des autres entreprises destinataires de la décision, dans les communications des griefs qui leur ont été adressées.

62. En effet, contrairement aux affirmations de la requérante, la décision ne constate pas purement et simplement, en son point 81, que les entreprises en cause "ont participé à un accord-cadre, qui s'est traduit par une série de sous-accords plus détaillés, élaborés à intervalles périodiques" et qu'il s'est ainsi agi d'"un 'accord' unique et continu au sens de l'article 85, paragraphe 1", puisque la première de ces phrases est précédée par les termes "En l'espèce, les producteurs, en souscrivant à un plan commun de régulation des prix et des approvisionnements sur le marché du polypropylène ...", et que la seconde est introduite par les mots "La Commission estime que tout l'ensemble de plans et d'arrangements arrêtés dans le cadre d'un système de réunions périodiques et institutionnalisées a constitué ...". Il s'ensuit que, dans la décision, les termes "accord-cadre" ou "' accord' unique et continu" n'ont d'autre portée que d'exprimer le fait que la Commission a retenu à charge des entreprises destinataires de la décision une infraction unique, dont les différents éléments ont constitué un ensemble intégré de systèmes de réunions périodiques de producteurs de polypropylène, de fixation d'objectifs de prix et de quotas, caractérisé par une seule finalité économique, à savoir fausser l'évolution normale des prix sur le marché du polypropylène.

63. Or, telle est exactement la teneur de toute la communication générale des griefs, adressée à la requérante et aux autres entreprises destinataires de la décision, et en particulier de ses points 1, 5, 128, 132 et 151, sous a). Ainsi, le point 1 est libellé comme suit:

"La présente communication de griefs concerne l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE à un ensemble d'accords et/ou de pratiques concertées, par lesquels, de 1977 environ à octobre 1983, les producteurs qui approvisionnent le Marché commun en polypropylène (produit thermoplastique en vrac) ont coordonné leurs politiques de vente et de prix, de façon régulière et continue, en fixant et en appliquant des prix "cibles" et/ou minimaux, en contrôlant les quantités mises sur la marché par l'adoption d'"objectifs" et/ou de quotas et en se réunissant régulièrement afin de surveiller l'évolution de ces mesures restrictives."

Et le point 132, dernière phrase, précise:

"En effet, les producteurs visaient à contrôler le marché et une coopération permanente et institutionnalisée à un haut niveau a été substituée au jeu normal des forces concurrentes."

64. Il faut ajouter que cette teneur des griefs formulés à l'encontre de la requérante et des autres entreprises destinataires de la décision est confirmée par la lettre qui leur a été adressée le 29 mars 1985, dans laquelle on peut lire, à la page 4: "De tels arrangements constituaient un plan suffisamment précis pour être assimilable à un ou plusieurs 'accords' au sens de l'article 85, tout au moins dans le chef des producteurs mêlés aux réunions".

65. Par conséquent, le Tribunal considère que, dans la décision, la Commission n'a fait qu'aménager et expliciter en droit l'argumentation sur laquelle elle fonde les griefs qu'elle a retenus et qu'elle n'a, dès lors, pas empêché la requérante de faire connaître son point de vue sur ces griefs avant que la décision soit prise.

66. Il s'ensuit que c'est à tort que la requérante fait grief à la Commission d'avoir violé ses droits de la défense en formulant à son encontre des griefs nouveaux dans la décision.

5. Non-communication du procès-verbal des auditions

67. La requérante fait valoir que le droit d'être entendu a été méconnu, puisqu'il n'est pas contesté que ni les membres du comité consultatif ni les membres de la Commission ne disposaient des procès-verbaux définitifs des auditions lorsqu'ils ont statué. Ils n'auraient donc pu fonder leur opinion que sur des projets qui ne rapportaient souvent que de manière très incomplète le contenu des déclarations des entreprises.

68. En ce qui concerne les membres du comité consultatif, l'argument de la Commission selon lequel les États membres ont été représentés aux auditions ne serait pas fondé: d'abord, deux États membres n'étaient pas représentés lors d'une session d'auditions; ensuite, il n'y a pas nécessairement identité entre les personnes représentant les États membres lors des auditions et celles qui les représentent au comité consultatif; enfin, même lorsque ces représentants sont les mêmes, ils doivent pouvoir vérifier s'ils ont correctement mémorisé les arguments des entreprises.

69. Quant aux membres de la Commission, il leur était difficile de prendre connaissance des arguments pertinents avancés par les parties concernées, puisqu'ils étaient obligés de lire en parallèle le projet initial de procès-verbal et les modifications demandées par les entreprises.

70. La Commission répond que l'article 9, paragraphe 4, du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), ne précise pas le délai dans lequel l'approbation du procès-verbal par les entreprises doit intervenir ni à quelles instances les procès-verbaux provisoire et définitif doivent être présentés.

71. Elle ajoute que les modifications du projet de procès-verbal demandées par la requérante étaient insignifiantes et que la décision n'aurait pas pu être différente même si le procès-verbal définitif avait été fourni aux membres du comité consultatif et à ceux de la Commission et que, dès lors, s'il y avait irrégularité de procédure, elle ne devrait pas être examinée par le Tribunal (arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Distillers Company/Commission, point 26, 30-78, Rec. p. 2229).

72. En ce qui concerne le comité consultatif, la Commission fait observer que ses membres ne disposaient, certes, que du procès-verbal provisoire, mais que les États membres étaient représentés aux auditions, à l'exception de la Grèce et du Luxembourg, qui n'ont pas participé à la seconde session d'auditions. Pour les autorités des États membres, le procès-verbal ferait donc simplement office d'aide-mémoire. Peu importerait à cet égard que le fonctionnaire présent aux auditions ait été différent du membre du comité consultatif.

73. Les membres de la Commission, quant à eux, auraient disposé non seulement du procès-verbal provisoire, mais aussi des observations que les entreprises avaient faites sur ce procès-verbal.

74. Le Tribunal constate qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour que le caractère provisoire du procès-verbal de l'audition soumis au comité consultatif et à la Commission ne peut constituer un vice de la procédure administrative, susceptible d'entacher d'illégalité la décision qui en constitue l'aboutissement, que si le texte en question était rédigé de manière à induire en erreur ses destinataires sur un point essentiel (arrêt du 15 juillet 1970, Buchler/Commission, point 17, 44-69, Rec. p. 733).

75. En ce qui concerne le procès-verbal transmis à la Commission, il y a lieu de relever que cette dernière a reçu, avec le procès-verbal provisoire, les remarques et observations faites par les entreprises sur ce procès-verbal et qu'il y a lieu, dès lors, de considérer que les membres de la Commission ont été informés de toutes les données pertinentes avant de prendre la décision.

76. En ce qui concerne le procès-verbal provisoire transmis au comité consultatif, il convient de relever que la requérante n'a pas indiqué en quoi ce procès-verbal n'aurait pas retracé les auditions de manière loyale et exacte et qu'elle n'a, dès lors, pas établi en fait que le texte en question était rédigé de manière à induire en erreur sur un point essentiel les membres du comité consultatif.

77. Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

6. Non-communication du rapport du conseiller-auditeur

78. La requérante fait valoir que, n'ayant pas obtenu communication du rapport du conseiller-auditeur malgré la demande qu'elle avait adressée à la Commission en ce sens, il lui est impossible de savoir si celui-ci a retenu dans son rapport des circonstances à l'encontre de la requérante autres que celles résultant du procès-verbal des auditions. Il ne lui est, dès lors, pas possible non plus de savoir si la Commission en a pris connaissance et si elle a utilisé d'éventuelles déclarations à décharge qui lui auraient été soumises par le conseiller-auditeur. Le Tribunal devrait imposer à la Commission de produire ce rapport.

79. De l'avis de la Commission, il ressort du mandat du conseiller-auditeur que ce dernier joue un rôle important dans le processus interne de décision de la Commission, processus auquel les entreprises ne pourraient prétendre être associées. Aucune disposition ne prévoirait la communication du rapport du conseiller-auditeur. La franchise et l'indépendance de ce dernier seraient compromises si ce rapport devait être communiqué. En outre, la Cour aurait refusé de faire droit à une demande d'ICI (ordonnance du 11 décembre 1986, ICI/Commission, points 5 à 8, 212-86 R, non publiée au Recueil) d'ordonner la production de ce rapport.

80. Le Tribunal relève, à titre liminaire, que les dispositions pertinentes du mandat du conseiller-auditeur, qui a été annexé au Treizième rapport sur la politique de concurrence, sont les suivantes:

"Article 2

Le conseiller-auditeur a pour mission d'assurer le bon déroulement de l'audition et de contribuer par là au caractère objectif tant de l'audition que de la décision ultérieure éventuelle. Il veille notamment à ce que tous les éléments pertinents, qu'ils soient favorables ou défavorables aux intéressés, soient dûment pris en considération dans l'élaboration des projets de décision de la Commission en matière de concurrence. Dans l'exercice de ses fonctions, il veille au respect des droits de la défense, tout en tenant compte de la nécessité d'une application efficace des règles de concurrence, en conformité avec les règlements en vigueur et les principes retenus par la Cour de justice.

Article 5

Le conseiller-auditeur fait rapport au directeur général de la concurrence sur le déroulement de l'audition et sur les conclusions qu'il en tire. Il formule ses observations sur la poursuite de la procédure. Ces observations peuvent concerner, entre autres, la nécessité d'un complément d'information, l'abandon de certains points de griefs ou la communication de griefs supplémentaires.

Article 6

Dans l'exercice des fonctions définies à l'article 2 ci-avant, le conseiller-auditeur peut, s'il l'estime approprié, saisir directement de ses observations le membre de la Commission chargé des questions de concurrence lorsqu'est soumis à ce dernier l'avant-projet de décision destiné au comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes.

Article 7

Le cas échéant, le membre de la Commission chargé des questions de concurrence peut décider, sur demande du conseiller-auditeur, de joindre l'avis final émis par celui-ci au projet de décision dont est saisie la Commission, de manière à garantir que celle-ci, lorsqu'elle se prononce sur une affaire individuelle en tant qu'instance décisionnelle, soit pleinement informée de tous les éléments de l'affaire."

81. Il résulte des termes mêmes du mandat du conseiller-auditeur que son rapport ne doit obligatoirement être communiqué ni au comité consultatif ni à la Commission. En effet, aucune disposition ne prévoit la transmission dudit rapport au comité consultatif. S' il est vrai que le conseiller-auditeur doit faire rapport au directeur général de la concurrence (article 5) et qu'il a la faculté, s'il l'estime approprié, de saisir directement de ses observations le membre de la Commission chargé des questions de concurrence (article 6), lequel a lui-même la faculté de joindre, sur demande du conseiller-auditeur, l'avis final de ce dernier au projet de décision soumis à la Commission (article 7), il n'existe toutefois aucune disposition faisant obligation au conseiller-auditeur, au directeur général de la concurrence ou au membre de la Commission chargé des questions de concurrence de transmettre à la Commission le rapport du conseiller-auditeur.

82. Par conséquent, la requérante ne peut se prévaloir de ce que le rapport du conseiller-auditeur n'a pas été transmis aux membres du comité consultatif ou à ceux de la Commission.

83. Par ailleurs, le Tribunal relève que les droits de la défense n'exigent pas que les entreprises impliquées dans une procédure au titre de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE puissent commenter le rapport du conseiller-auditeur qui constitue un document purement interne à la Commission. A cet égard, la Cour a jugé que ce rapport a valeur d'avis pour la Commission, qu'elle n'est en aucune manière tenue de s'y ranger et que, dans ces conditions, ce rapport ne présente aucun aspect décisif dont le juge communautaire ait à tenir compte pour exercer son contrôle (ordonnance du 11 décembre 1986, précitée, 212-86 R, points 5 à 8). En effet, le respect des droits de la défense est assuré à suffisance de droit, dès lors que les différentes instances concourant à l'élaboration de la décision finale ont été informées correctement de l'argumentation formulée par les entreprises, en réponse aux griefs que leur a communiqués la Commission ainsi qu'aux éléments de preuve présentés par la Commission pour étayer ces griefs (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, précité, 322-81, point 7).

84. A cet égard, il importe de relever que le rapport du conseiller-auditeur n'a pas pour objet de compléter ou de corriger l'argumentation des entreprises ni de formuler des griefs nouveaux ou de fournir des éléments de preuve nouveaux à l'encontre de celles-ci.

85. Il s'ensuit que les entreprises n'ont pas le droit, au titre du respect des droits de la défense, d'exiger la communication du rapport du conseiller-auditeur pour pouvoir le commenter (voir arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, précité, 43-82 et 63-82, point 25).

86. Par conséquent, le grief doit être rejeté.

Sur l'établissement de l'infraction

87. Selon la décision (point 80, premier alinéa), à partir de 1977, les producteurs de polypropylène approvisionnant la Communauté ont été parties à tout un ensemble de plans, dispositifs et mesures arrêtés dans le cadre d'un système de réunions périodiques et de contacts permanents. La décision (point 80, deuxième alinéa) ajoute que le plan d'ensemble des producteurs visait à organiser des rencontres pour parvenir à un accord exprès sur des points spécifiques.

88. Dans ces conditions, il y a lieu de vérifier, d'abord, si la Commission a établi à suffisance de droit ses constatations de fait relatives à la réunion d'une association professionnelle de clients, la European Association for Textile Polyolefins (ci-après "EATP"), du 22 novembre 1977 (A), au système des réunions périodiques de producteurs de polypropylène (B), aux initiatives de prix (C), aux mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix (D) et à la fixation de tonnages cibles et de quotas (E), en rendant compte de l'acte attaqué (a) et des arguments des parties (b) avant de les apprécier (c); il y a lieu de contrôler, ensuite, l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE à ces faits.

1. Les constatations de fait

A - La réunion de l'EATP du 22 novembre 1977

a) Acte attaqué

89. La décision (points 17, quatrième alinéa, 78, troisième alinéa, et 104, deuxième alinéa) fait grief à la requérante d'avoir déclaré, tout comme Hercules, Hoechst, ICI, Rhône-Poulenc, Saga et Solvay, qu'elle soutiendrait l'annonce faite par Monte, par la voie d'un article paru le 18 novembre 1977 dans la presse spécialisée (European Chemical News, ci-après "ECN"), de son intention de porter le prix du raphia à 1,30 DM/kg à partir du 1er décembre. Les différentes déclarations faites à cet égard lors de la réunion de l'EATP, tenue le 22 novembre 1977, telles qu'elles ressortent du compte rendu, indiqueraient que le prix de 1,30 DM/kg fixé par Monte avait été adopté par les autres producteurs comme "objectif" pour le secteur tout entier.

90. Selon la décision (point 16, premier et deuxième alinéas), cette déclaration de soutien s'inscrivait dans la perspective de discussions entamées entre les producteurs pour éviter une chute brutale des prix du polypropylène et les pertes qui s'ensuivraient, discussions dans le cadre desquelles les principaux producteurs, Monte, Hoechst, ICI et Shell, auraient pris l'initiative d'un "accord sur les prix-planchers", qui devait entrer en vigueur le 1er août 1977, et dont les modalités auraient été communiquées aux autres producteurs et notamment à Hercules.

91. La décision (point 16, cinquième et sixième alinéas) expose, en outre, qu'ICI et Shell admettent avoir eu des contacts avec d'autres producteurs pour étudier les moyens de juguler la chute des prix. Toutefois, la Commission reconnaît qu'à l'exception des "quatre grands" (Hoechst, ICI, Monte et Shell), d'Hercules et de Solvay elle n'a pas été en mesure d'établir l'identité des producteurs impliqués dans les discussions à ce moment ni d'obtenir des détails quant au fonctionnement de l'"accord sur les prix-planchers".

92. La décision (point 17, premier alinéa) affirme encore que c'est à peu près au moment de l'annonce par Monte de son intention d'augmenter ses prix qu'a débuté le système des réunions périodiques de producteurs de polypropylène. Elle relève, toutefois, que, de l'aveu même d'ICI, les producteurs maintenaient déjà des contacts entre eux auparavant, probablement par téléphone, lorsque la nécessité s'en faisait sentir.

b) Arguments des parties

93. La requérante soutient que la Commission ne peut pas se servir du compte rendu de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 (g.g. ann. 6) pour établir l'existence d'une entente sur les prix à la fin de l'année 1977. En effet, ce document permettrait seulement de constater que ni le prix de 1,30 DM/kg ni le terme "objectif" cité par la Commission entre guillemets n'apparaissent dans le compte rendu. Aucune des déclarations faites par les participants à cette réunion ne fournirait le moindre indice d'une prise de contact préalable entre les producteurs. La collaboration dont il est question serait, sans aucune ambiguïté, la collaboration entre les producteurs et les clients.

94. Elle expose que la déclaration de son représentant indique très clairement qu'il n'avait appris que la veille la décision de Monte d'augmenter les prix, qu'il n'en connaissait pas encore le montant exact et que la requérante était contrainte, compte tenu de la situation désastreuse de ses revenus, de suivre l'augmentation de prix décidée par le leader du marché.

95. La requérante fait encore valoir qu'on ne peut déduire du compte rendu de la réunion de l'EATP l'existence d'une concertation sur une augmentation de prix, puisque celle-ci avait déjà été annoncée publiquement par Monte. En outre, on ne saurait voir la preuve d'une collusion dans le fait que les producteurs tenaient des propos analogues sur les tendances du marché, ces tendances étant les mêmes pour tous les producteurs.

96. La Commission affirme, de son côté, que sa constatation, selon laquelle Linz a commencé à participer à l'entente en novembre 1977, est basée sur le fait que cette entreprise a soutenu l'initiative, annoncée publiquement par Monte, d'une hausse de prix à compter de décembre 1977. Or, cette initiative et le soutien qu'elle a trouvé auraient constitué une action concertée et non pas un comportement parallèle dû au hasard ou aux forces du marché. En effet, le compte rendu de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 établirait que la fixation du prix du raphia à 1,30 DM/kg, annoncée par Monte, avait déjà été acceptée préalablement comme prix-cible commun, puisqu'on peut y lire que Linz a déclaré:

"Just yesterday we learnt that one of the important European polymer PP suppliers had already announced in the European Chemical News an increase in his PP polymer prices as from 1st December. At the present time, I do not know exactly how much his price increase will be, but I am hoping this price increase can and will be accepted by his customers. CHEMIE LINZ will have to follow these new prices to be in a better position to give all their customers in all applications all the supplies they require, including help in developing new and additional applications for PP polymers."

("Nous venons d'apprendre hier qu'un des principaux fournisseurs européens de polymère PP avait déjà annoncé dans European Chemical News une augmentation de ses prix du polymère PP à partir du 1er décembre. Je ne connais pas encore actuellement l'importance exacte de cette augmentation, mais j' espère qu'elle pourra être et sera acceptée par ses clients. CHEMIE LINZ devra se conformer à ces nouveaux prix de manière à s'assurer une meilleure position lui permettant d'honorer toutes les commandes de tous ses clients dans toutes les qualités qu'ils souhaitent et notamment de les aider à mettre au point de nouvelles applications pour les polymères PP.")

97. La Commission ajoute que, si l'on tient compte du fait que les premiers contacts entre les producteurs s'étaient déjà noués au moment où cette annonce a été faite publiquement, il n'est pas crédible que Linz ait adhéré à cette initiative sans avoir eu des contacts préalables.

98. Pour étayer - de façon indirecte - sa thèse selon laquelle des contacts entre producteurs ont dû avoir lieu avant la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977, la Commission se réfère à une note (g.g. ann. 2) relatant une conversation téléphonique qu'aurait eue un cadre d'Hercules avec un employé de l'un des "quatre grands", car ce qui vaut pour Hercules vaudrait, par analogie, pour tous les autres (dont Linz).

99. Lors de l'audience, la Commission a souligné que le but des déclarations parallèles des différents producteurs lors de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 était de présenter à leurs clients un front uni et de convaincre ces derniers du caractère inéluctable d'une hausse des prix de l'ordre de celle annoncée par Monte.

c) Appréciation du Tribunal

100. Le Tribunal constate que les déclarations faites par la requérante lors de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 (g.g. ann. 6) constituent, d'une part, l'expression d'un soutien global à la politique d'augmentation des prix amorcée par Monte et, d'autre part, une indication précise, destinée à ses concurrents, sur le comportement qu'elle était décidée à adopter sur le marché. Ces constatations sont corroborées par le compte rendu de la réunion suivante de l'EATP, du 26 mai 1978 (g.g. ann. 7), à laquelle ne participait pas la requérante, dans lequel sont relatées les appréciations faites par les différents producteurs sur les résultats obtenus sur le marché à la suite de la réunion du 22 novembre 1977. Le fait que la Commission a reconnu au cours de l'audience que, en dehors de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977, elle ne disposait d'aucune preuve directe de l'existence de contacts entre Linz et les autres producteurs n'est pas de nature à ébranler ces constatations.

101. Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a exprimé en présence de ses concurrents un soutien global à la politique d'augmentation des prix amorcée par Monte (décision, points 17, quatrième alinéa, première phrase, et 78, troisième alinéa, deuxième phrase) et qu'elle leur a donné une indication précise sur le comportement qu'elle était décidée à adopter sur le marché.

B - Le système des réunions périodiques

a) Acte attaqué

102. Selon la décision (point 18, premier alinéa), six réunions au moins ont eu lieu au cours de 1978 entre de hauts dirigeants chargés de la direction du secteur polypropylène de certains producteurs ("patrons"). Ce système aurait bientôt été complété par des réunions d'un niveau moins élevé entre des cadres plus spécialisés en marketing ("experts", référence est faite à la réponse d'ICI à la demande de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17, g.g. ann. 8). La décision reproche à la requérante d'avoir assisté régulièrement à ces réunions jusqu'à la fin septembre 1983 au moins (point 105, quatrième alinéa).

103. La décision (point 21) affirme que ces réunions périodiques de producteurs de polypropylène avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente et le contrôle de leur respect par les producteurs.

b) Arguments des parties

104. La requérante soutient que sa participation à un accord-cadre portant sur un système institutionnalisé de réunions périodiques et couvrant l'ensemble de la période n'a pas été établie par la Commission, puisque celle-ci n'a pas prouvé que les producteurs de polypropylène auraient convenu en 1977, par des déclarations de volonté réciproques et concordantes, de se rencontrer régulièrement en vue d'examiner et de définir leur politique commerciale. La Commission reconnaîtrait elle-même que les réunions des producteurs de polypropylène ne se sont structurées que progressivement (décision, point 18).

105. Selon la requérante, ce n'est qu'à partir de 1982 que les réunions se sont tenues à peu près régulièrement. On ne saurait déduire de ce fait qu'un système de réunions avait été institué d'un commun accord cinq ans auparavant. En réalité, il se serait agi de rencontres informelles.

106. Elle fait valoir qu'en tout état de cause sa participation aux réunions n'est prouvée qu'à partir du début de l'année 1981 et qu'elle n'a donc pu prendre part à ce prétendu accord-cadre, dont elle rappelle que l'existence a été alléguée pour la première fois dans la décision.

107. La requérante ne peut plus reconstituer la date à laquelle elle a pris part pour la première fois aux réunions de producteurs. Elle affirme n'y avoir pas participé depuis le début et relève que la première preuve de sa présence à une réunion remonte au début de 1981 (g.g. ann. 17). Elle en conclut qu'on ne peut lui imputer la moindre responsabilité pour les faits antérieurs à cette date.

108. Elle expose que l'objet des réunions était de discuter en détail la situation du marché en vue uniquement de rassembler des informations. Les discussions portaient sur les prix et les volumes de vente de chaque participant ainsi que sur leurs objectifs pour le futur.

109. La requérante explique que, vu la situation du marché, tous les fournisseurs avaient un intérêt important à ce que le marché soit très transparent. Ce besoin d'information aurait été particulièrement ressenti par la requérante qui arrivait, à partir d'un pays tiers, sur un marché largement inconnu. Elle était obligée de rassembler autant d'informations que possible sur ce marché et, en particulier, de participer aux discussions des producteurs sur la situation du marché. Par conséquent, elle indique que, si elle a participé aux réunions, c'était uniquement afin de ne pas laisser ses concurrents sans surveillance et d'obtenir des informations importantes sur le marché.

110. Elle affirme qu'aucun engagement juridique ou moral quant à leur comportement sur le marché n'était attendu des participants ni souscrit par eux. Elle en veut pour preuve que, alors que les objectifs prétendument poursuivis n'étaient pas atteints, la Commission ne serait pas en mesure de citer le moindre cas dans lequel un participant se serait vu reprocher par d'autres participants d'avoir eu un comportement différent de ses déclarations.

111. La requérante soutient avoir donc déterminé elle-même, de manière autonome, son comportement sur le marché et explique qu'il était naturel, en vue d'établir les instructions de prix données aux services de vente, d'utiliser les informations rassemblées pendant les réunions. C'est pourquoi elle utilisait ces informations de la même manière que toutes les autres informations rassemblées en étudiant le marché ou en lisant la presse spécialisée.

112. La Commission rappelle, de son côté, que la requérante a participé à des initiatives de prix dès novembre 1977 et qu'ICI a indiqué dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) que les producteurs se sont rencontrés pour la première fois en décembre 1977 pour coordonner leur stratégie commerciale et qu'il a été convenu d'organiser de nouvelles réunions, d'abord sur une base ad hoc puis de manière plus structurée.

113. Selon la Commission, l'accord-cadre s'est matérialisé par l'instauration d'un système de réunions institutionnalisées visant à discuter les stratégies commerciales des différents producteurs. Cet accord aurait été renforcé par des accords particuliers portant sur des mesures concrètes dans le domaine des prix et, le cas échéant, par des accords en matière de quotas ou par un système d'"account leadership".

114. Elle conteste que Linz n'ait participé aux réunions qu'à partir de 1981 et avance à cet égard deux éléments de preuve. Il s'agit, d'une part, de la réponse d'ICI à la demande de renseignements, dans laquelle celle-ci aurait classé Linz parmi les participants réguliers aux réunions sans limite de temps (contrairement à Anic et Rhône-Poulenc, par exemple, qui, selon ICI, n'auraient participé que pendant une période déterminée et contrairement à Hercules qui n'aurait participé qu'irrégulièrement aux réunions) et ferait remonter le début de ces réunions à décembre 1977. Il s'agit, d'autre part, d'un tableau non daté, intitulé "Producers' Sales to West Europe" ("Ventes en Europe occidentale", g.g. ann. 55), retrouvé chez ICI, reprenant pour tous les producteurs de polypropylène d'Europe occidentale les chiffres de vente en kilotonnes pour 1976, 1977 et 1978, ainsi que des chiffres mentionnés sous les rubriques "1979 actual" ("chiffres effectifs de 1979") et "revised target" ("objectif révisé"). Ce tableau comportant des informations devant être rigoureusement préservées en tant que secrets d'affaires, il n'aurait pas pu être élaboré sans la participation de Linz.

115. Selon la Commission, les absences occasionnelles des participants réguliers aux réunions ne l'empêchent pas de considérer que ceux-ci ont été parties à l'ensemble des accords, vu le caractère permanent de la collusion sur les prix et compte tenu du fait que les projets d'initiatives de prix se sont généralement étendus sur une période de plusieurs mois.

116. En ce qui concerne l'objet des réunions, elle conteste que les réunions ne servaient qu'à échanger des informations et que ni Linz ni les autres producteurs n'auraient eu l'intention de conformer leur comportement sur le marché aux décisions adoptées. En réalité, les producteurs auraient mis en œuvre les décisions arrêtées lors des réunions au moyen de leurs instructions de prix régulières, ce qui montrerait suffisamment leur volonté d'association, laquelle serait également exprimée dans les nombreux comptes rendus de réunions.

117. La Commission affirme que, dans le cas de Linz, une note découverte dans les locaux de sa filiale de Munich (g.g. ann. 21) révèle sans la moindre ambiguïté quel profit elle espérait tirer de ses contacts réguliers avec ses concurrents. A cet égard, la Commission se demande pourquoi les entreprises auraient continué pendant des années à se réunir de manière régulière et à calculer les prix du polypropylène à la virgule près dans toutes les monnaies européennes s'il s'agissait uniquement de recueillir des informations sans le moindre degré de fiabilité, sans prendre d'engagements.

118. Elle expose, enfin, que l'affirmation de la requérante selon laquelle aucune critique n'était émise à l'encontre des participants aux réunions qui ne réalisaient pas les objectifs convenus est contredite par de nombreux éléments du dossier, tels que la réponse d'ICI à la demande de renseignements ou différents comptes rendus de réunions faisant état de critiques, comme ceux des réunions du 21 septembre et du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 30 et 33), ou encore une note d'ICI datant de 1981 (g.g. ann. 64), faisant état de la nécessité d'exercer des pressions sur certains producteurs.

c) Appréciation du Tribunal

119. Le Tribunal constate que la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) classe la requérante, à la différence de deux autres producteurs, parmi les participants réguliers aux réunions de "patrons" et d'"experts". Cette réponse doit être interprétée comme faisant remonter la participation de la requérante au début du système des réunions de "patrons" et d'"experts", qui a été instauré à la fin de l'année 1978 ou au début de l'année 1979.

120. La réponse d'ICI à la demande de renseignements se trouve corroborée sur ce point par la mention, à côté du nom de la requérante, dans différents tableaux retrouvés chez ICI et ATO (g.g. ann. 55 à 61), de ses chiffres de vente pour différents mois et différentes années. Or, la plupart des requérantes ont admis dans leur réponse à une question écrite posée par le Tribunal qu'il n'aurait pas été possible d'établir les tableaux découverts chez ICI, ATO et Hercules sur la base des statistiques du système Fides d'échange de données. Dans sa réponse à la demande de renseignements, ICI a d'ailleurs déclaré à propos d'un de ces tableaux que "the source of information for actual historic figures in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres de ce tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisés a dû être les producteurs eux-mêmes"). En outre, au cours de la procédure devant le Tribunal, la requérante, confrontée à ces indices sérieux, n'a jamais nié spécifiquement sa présence aux réunions, dont elle n'a pas contesté qu'elles aient eu lieu.

121. Quant à la question de savoir si la requérante a participé aux réunions de l'année 1978, le Tribunal relève qu'il résulte d'une lecture combinée du point 18 de la décision et de la communication spécifique des griefs adressée à Linz qu'il est fait grief à celle-ci d'y avoir participé.

122. A cet égard, la requérante souligne dans sa requête que "si la Commission affirme bien qu'il y a eu six réunions pour l'année 1978, elle le fait sans indiquer le lieu, la date, les participants ni le contenu des discussions et sans fournir aucune preuve en ce qui concerne ces réunions. La requérante ne sait rien de telles réunions".

123. Le Tribunal constate que, plutôt que de nier sa participation aux réunions tenues en 1978, la requérante affirme ainsi que la Commission manque de preuve en ce qui les concerne et qu'elle-même ne dispose pas d'informations à leur égard.

124. Or, l'existence de réunions de producteurs durant l'année 1978 est établie par la réponse d'ICI à la demande de renseignements dans laquelle on peut lire: "During the first year (1978) about six "ad hoc" meetings took place at about two monthly intervals between the Senior Managers responsible for the polypropylene business of some producers" ("Au cours de la première année (1978), environ six réunions "ad hoc" ont eu lieu à environ deux mois d'intervalle. Y étaient conviés les directeurs responsables du secteur polypropylène de certains producteurs"). Cette même réponse indique que ces réunions ont débuté aux environs du mois de décembre 1977 ("Because of the problems facing the polypropylene industry ... a group of producers met in about December 1977 to discuss what, if any, measures could be pursued in order to reduce the burden of the inevitable heavy losses about to be incurred by them"; "Pour faire face aux problèmes auxquels l'industrie du polypropylène était confrontée ... un groupe de producteurs s'est réuni vers le mois de décembre 1977 pour examiner si des mesures pouvaient être prises - et lesquelles - pour réduire la charge des pertes importantes qu'ils allaient inévitablement subir"), soit immédiatement après la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 à laquelle Linz a participé.

125. Confrontée à cet élément de preuve, la requérante n'a toujours pas nié sa participation à ces réunions, mais a indiqué dans sa réplique que:

"A supposer que ces affirmations (celles contenues dans la réponse d'ICI à la demande de renseignements) soient correctes, elle n'autorisent pas la conclusion qu'il y a eu d'emblée un accord-cadre général ..."

126. Le Tribunal constate, en outre, que les réunions qui se sont tenues durant l'année 1978 et les années suivantes avaient le même objet que les réunions de l'EATP, à savoir de discuter de mesures à prendre en vue de juguler les pertes subies par les producteurs de polypropylène. En effet, on peut lire dans la réponse d'ICI à la demande de renseignements:

"It was felt to be essential for producers to consider appropriate means of alleviating this impending crisis which could, unless controlled in some way, lead eventually to the collapse of the polypropylene industry. It was proposed that future meetings of those producers who wished to attend should be called on an "ad hoc" basis in order to exchange and develop ideas to tackle these problems ... Generally speaking however, the concept of recommending 'target prices' was developed during the early meetings which took place in 1978 ..."

("Il paraissait essentiel que les producteurs envisagent des mesures appropriées pour résoudre la crise qui s'annonçait et qui, si l'on ne trouvait pas le moyen de la contrôler d'une manière ou d'une autre, pouvait finalement entraîner l'effondrement de l'industrie du polypropylène. Il a été proposé que des réunions des producteurs désireux de se rencontrer seraient convoquées à l'avenir avec un ordre du jour "ad hoc" en vue d'échanger et de développer des idées pour contrer ces problèmes ... En général, l'idée de recommander des 'prix-cibles' a été élaborée pendant les premières réunions, qui ont eu lieu en 1978 ...")

127. Or, au cours de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977, les différents producteurs ont indiqué que les prix étaient trop bas et qu'ils ne pourraient le supporter indéfiniment. Linz y a fait la déclaration suivante:

"We are sure that you all know the current low PP price level and we do hope also that you know that such a price level is far below the level needed to break even. There has been no reasonable return for PP polymer producers for too long a period and we at CHEMIE LINZ do not and cannot believe that Polymer manufacturers can and will accept such an extremely low price level any longer."

("Nous sommes convaincus que vous connaissez tous la dépression qui frappe actuellement les prix du polypropylène et nous espérons également que vous savez qu'un tel niveau de prix se situe largement en dessous du niveau nécessaire pour couvrir les coûts de production. Les producteurs de polypropylène n'ont pas engrangé un bénéfice raisonnable depuis trop longtemps et nous, les gens de Chemie Linz, nous ne croyons pas et ne pouvons pas croire que les fabricants de polymère puissent accepter et accepteront plus longtemps un niveau de prix aussi bas.")

Les producteurs ont également mis l'accent sur la nécessité d'augmenter les prix et ont soutenu l'annonce faite par Monte d'une augmentation de ses prix.

128. Par conséquent, le Tribunal considère que les réunions de l'année 1978 et des années subséquentes se sont inscrites, pour les producteurs, dans le prolongement de leurs déclarations à la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977.

129. Par ailleurs, force est de constater que la réponse d'ICI à la demande de renseignements montre que ces réunions ont constitué le point de départ du système des réunions de "patrons" et d'"experts" - auquel a participé la requérante à partir de la fin de l'année 1978 ou du début de l'année 1979 - tant au niveau de leur organisation que de leur objet. En effet, on peut lire dans cette réponse que:

"By late 1978/early 1979 it was determined that the "ad hoc" meetings of Senior Managers ("Bosses") (of 1978) should be supplemented by meetings of lower level managers with more marketing knowledge ("Experts")"

(("Fin 1978/début 1979, il a été décidé que les réunions "ad hoc" des 'Senior' directeurs ("patrons") (de 1978) seraient complétées par des réunions de directeurs situés à un niveau moins élevé dans la hiérarchie, mais possédant de plus amples connaissances en matière de marketing ("experts")

et il convient de rappeler que l'idée de recommander des prix-cibles, mise en œuvre dans le cadre du système des réunions de "patrons" et d'"experts", avait été développée durant les réunions de 1978.

130. Par conséquent, le Tribunal constate que, la requérante ayant, d'un côté, participé à la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 et, de l'autre, pris part au système de réunions de "patrons" et d'"experts", la Commission était en droit de considérer que la requérante avait participé aux réunions de l'année 1978 qui ont constitué pour les producteurs le prolongement des déclarations qu'ils avaient faites à la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977, et qui leur ont permis de mettre en place le système des réunions de "patrons" et d'"experts".

131. Le Tribunal considère que c'est à bon droit que la Commission a estimé, sur la base des éléments qui ont été fournis par ICI dans sa réponse à la demande de renseignements et qui ont été confirmés par de nombreux comptes rendus de réunions, que l'objet des réunions était, notamment, de fixer des objectifs de prix, d'une part, et de volumes de vente, d'autre part. En effet, on peut lire dans cette réponse les passages suivants:

"Generally speaking however, the concept of recommending 'target prices' was developed during the early meetings which took place in 1978"; "'Target prices' for the basic grade of each principal category of polypropylene as proposed by producers from time to time since 1 January 1979 are set forth in Schedule ..."

ainsi que:

"A number of proposals for the volume of individual producers were discussed at meetings."

("En général, l'idée de recommander des "prix-cibles" a été élaborée pendant les premières réunions, qui ont eu lieu en 1978"; "Les "prix-cibles" qui ont été proposés périodiquement par les producteurs depuis le 1er janvier 1979 pour la qualité de base de chacune des principales catégories de polypropylène figurent dans l'annexe ...")

ainsi que:

("Un certain nombre de propositions relatives au volume des ventes des divers producteurs ont été discutées lors des réunions.")

132. De surcroît, faisant état de l'organisation, en plus des réunions de "patrons", de réunions d'"experts" en marketing à partir de la fin de l'année 1978 ou du début de l'année 1979, la réponse d'ICI à la demande de renseignements révèle que les discussions relatives à la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente se faisaient de plus en plus concrètes et précises, alors que, en 1978, les "patrons" s'étaient bornés à développer le concept même des prix-cibles.

133. Outre les passages précédents, on peut lire l'extrait suivant dans la réponse d'ICI à la demande de renseignements: "Only "Bosses" and "Experts" meetings came to be held on a monthly basis" ("Seules les réunions de "patrons" et d'"experts" avaient lieu sur une base mensuelle"). C'est à bon droit que la Commission a pu déduire de cette réponse ainsi que de l'identité de nature et d'objet des réunions que celles-ci s'inscrivaient dans un système de réunions périodiques.

134. Face à ces éléments, la requérante prétend que sa participation aux réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel. A cet égard, il convient d'observer que, dès lors qu'il est établi que la requérante a pris part à ces réunions et que celles-ci avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, la requérante a donné à ses concurrents, à tout le moins, l'impression qu'elle y participait dans la même optique qu'eux.

135. Dans ces conditions, c'est à la requérante qu'il appartient d'avancer des indices de nature à établir que sa participation aux réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel en démontrant qu'elle avait indiqué à ses concurrents qu'elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur.

136. A cet égard, il convient de relever que les arguments de la requérante, tirés de son comportement sur le marché et destinés à établir que sa participation aux réunions aurait eu pour seul but de lui permettre d'obtenir des informations, ne constituent pas des indices de nature à prouver l'absence chez elle d'esprit anticoncurrentiel, dans la mesure où ces éléments ne démontrent pas que la requérante avait indiqué à ses concurrents que son comportement sur le marché serait indépendant du contenu des réunions. A supposer même que ses concurrents l'aient su, le seul fait d'échanger avec ceux-ci des informations qu'un opérateur indépendant préserve rigoureusement comme secrets d'affaires suffit à manifester l'existence chez elle d'un esprit anticoncurrentiel.

137. Il faut ajouter que, contrairement aux affirmations de la requérante, les comptes rendus des réunions indiquent que des critiques ont été émises à l'égard de producteurs dont les participants aux réunions avaient l'impression qu'ils ne se conformaient pas aux résultats de celles-ci. Ainsi, on peut lire dans le compte rendu de la réunion du 21 septembre 1982 (g.g. ann. 30):

"Anic were seen as a problem in September ... Pressure was needed + Z. was asked to get M. to speak to C. Sales to Italy were a potential problem + pressure was needed on Shell Italy to restrain themselves to the agreed levels for October"

("Au mois de septembre, Anic était considérée comme un problème ... Il s'avérait nécessaire d'exercer des pressions + il a été demandé à Z. d'amener M. à parler à C. Les ventes à destination de l'Italie pouvaient éventuellement devenir un problème + il s'avérait nécessaire d'exercer des pressions sur Shell Italie pour les contraindre à se conformer aux niveaux qui avaient été convenus en octobre")

et dans celui de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33): "Hercules said that they would not attend in future in view of criticism from the Dutch + Germans" ("Hercules a dit qu'elle ne participerait plus aux réunions à l'avenir à cause des critiques qui avaient été émises par les Hollandais et les Allemands").

138. Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a participé régulièrement aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène entre 1978 et septembre 1983, que ces réunions avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, qu'elles s'inscrivaient dans un système et que la participation de la requérante à ces réunions n'a pas été dépourvue d'esprit anticoncurrentiel.

C - Les initiatives de prix

a) Acte attaqué

139. Selon la décision (points 28 à 51), un système de fixation d'objectifs de prix aurait été mis en œuvre à travers des initiatives de prix dont six ont pu être identifiées, la première allant de juillet à décembre 1979, la deuxième de janvier à mai 1981, la troisième d'août à décembre 1981, la quatrième de juin à juillet 1982, la cinquième de septembre à novembre 1982 et la sixième de juillet à novembre 1983.

140. A propos de la première de ces initiatives de prix, la Commission (décision, point 29) fait remarquer qu'elle ne possède aucun détail sur les réunions tenues ou les initiatives prévues au cours de la première partie de 1979. Le compte rendu d'une réunion tenue les 26 et 27 septembre 1979 indiquerait cependant qu'une initiative était prévue sur la base d'un prix, pour la qualité raphia, de 1,90 DM/kg à partir du 1er juillet et de 2,05 DM/kg à partir du 1er septembre. La Commission disposerait des instructions de prix de certains producteurs, parmi lesquels figure Linz, dont il ressortirait que ces producteurs avaient donné ordre à leurs bureaux de vente d'appliquer ce niveau de prix ou son équivalent en monnaie nationale à partir du 1er septembre, et ce, pour la plupart d'entre eux, avant que la presse spécialisée n'ait annoncé la hausse prévue (décision, point 30).

141. Toutefois, en raison de difficultés à majorer les prix, les producteurs auraient décidé, au cours de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, de reporter la date prévue pour atteindre la cible de plusieurs mois, soit au 1er décembre 1979, le nouveau plan consistant à "maintenir" pendant tout le mois d'octobre les niveaux déjà atteints, avec la possibilité d'une hausse intermédiaire en novembre, qui porterait le prix à 1,90 ou 1,95 DM/kg (décision, point 31, deux premiers alinéas).

142. Quant à la deuxième initiative de prix, la décision (point 32), si elle admet qu'aucun compte rendu des réunions tenues en 1980 n'a été découvert, affirme que les producteurs se sont réunis au moins sept fois au cours de cette année (référence est faite au tableau 3 de la décision). Au début de l'année, la presse spécialisée aurait annoncé que les producteurs étaient favorables à une forte poussée des prix dans le courant de 1980. On aurait constaté cependant une baisse substantielle des cours du marché, qui seraient retombés au niveau de 1,20 DM/kg, voire moins encore, avant de se stabiliser, à partir de septembre environ. Les instructions de prix envoyées par certains producteurs (DSM, Hoechst, Linz, Monte, Saga et ICI) indiqueraient que, pour rétablir le niveau des prix, des cibles ont été fixées pour décembre 1980-janvier 1981 sur la base de 1,50 DM/kg pour le raphia, 1,70 DM/kg pour l'homopolymère et 1,95 à 2 DM/kg pour le copolymère. Un document interne de Solvay comporterait un tableau comparant les "prix réalisés" pour octobre et novembre 1980 avec les "prix de liste" pour janvier 1981, qui s'établiraient à 1,50/1,70/2 DM/kg. Initialement, il aurait été prévu d'appliquer ces niveaux à partir du 1er décembre 1980 - une réunion ayant eu lieu à Zurich du 13 au 15 octobre - mais cette initiative aurait été repoussée au 1er janvier 1981.

143. La décision (point 33) relève la participation de Linz à l'une des deux réunions de janvier 1981, au cours desquelles il se serait avéré nécessaire d'opérer une hausse des prix, fixée en décembre 1980 pour le 1er février 1981, sur la base de 1,75 DM/kg pour le raphia, en deux phases: l'objectif serait resté fixé à 1,75 DM/kg pour février et un objectif de 2 DM/kg serait introduit à partir du 1er mars "sans exception". Un tableau des prix-cibles de six grandes qualités aurait été élaboré dans six monnaies nationales et sa mise en œuvre aurait été prévue pour les 1er février et 1er mars 1981. Les documents recueillis auprès de Linz démontreraient notamment qu'elle a pris des mesures en vue d'introduire les prix-cibles fixés pour février et mars.

144. Selon la décision (point 34), le projet de relever les prix à 2 DM/kg au 1er mars ne paraît cependant pas avoir abouti. Les producteurs auraient modifié leurs perspectives et espéré atteindre le niveau de 1,75 DM/kg en mars. Une réunion d'"experts", dont il ne subsiste aucun compte rendu, se serait tenue à Amsterdam le 25 mars 1981, mais immédiatement après au moins BASF, DSM, ICI, Monte et Shell auraient donné instruction de porter les objectifs de prix (ou prix "de liste") à un niveau équivalant à 2,15 DM/kg pour le raphia, à partir du 1er mai. Hoechst aurait donné des instructions identiques pour le 1er mai, avec un retard d'environ quatre semaines sur les autres. Certains des producteurs auraient laissé à leurs bureaux de vente une certaine marge de manœuvre en leur permettant d'appliquer des prix "minimaux" ou des "minima absolus" quelque peu inférieurs aux objectifs convenus. Au cours de la première partie de 1981, les prix auraient augmenté sensiblement, mais, bien que la hausse au 1er mai ait été fortement soutenue par les producteurs, le rythme se serait ralenti. Vers le milieu de l'année, les producteurs auraient envisagé soit de stabiliser les prix, soit même de les réduire quelque peu, la demande ayant fléchi pendant l'été.

145. En ce qui concerne la troisième initiative de prix, la décision (point 35) affirme qu'en juin 1981 Shell et ICI auraient déjà envisagé une nouvelle initiative de prix pour septembre/octobre 1981, alors que la hausse des prix du premier trimestre aurait marqué un ralentissement. Shell, ICI et Monte se seraient rencontrées le 15 juin 1981 afin de discuter des méthodes à suivre pour majorer les prix sur le marché. Quelques jours après cette réunion, ICI et Shell auraient donné toutes deux instruction à leurs bureaux de vente de préparer le marché à une hausse substantielle en septembre, axée sur un nouveau prix de 2,30 DM/kg pour le raphia. Solvay aurait rappelé également à son bureau de vente du Benelux, le 17 juillet 1981, la nécessité d'aviser les clients d'une hausse substantielle au 1er septembre, dont le montant aurait été décidé au cours de la dernière semaine de juillet, alors qu'une réunion d'"experts" aurait été prévue pour le 28 juillet 1981. Le projet initial axé sur un prix de 2,30 DM/kg en septembre 1981 aurait été revu probablement à cette réunion; le niveau pour août aurait été ramené à 2 DM/kg pour le raphia. Celui de septembre aurait dû être de 2,20 DM/kg. Une note manuscrite recueillie chez Hercules et datée du 29 juillet 1981 (c'est-à-dire le lendemain de la réunion, à laquelle Hercules n'a sans doute pas assisté) citerait ces prix, qualifiés d'"officiels" pour août et septembre, et se référerait en termes voilés à la source de l'information. De nouvelles réunions auraient eu lieu à Genève le 4 août et à Vienne le 21 août 1981. A la suite de ces sessions, les producteurs auraient envoyé de nouvelles instructions fixant l'objectif à 2,30 DM/kg pour le 1er octobre. BASF, DSM, Hoechst, ICI, Monte et Shell auraient donné des instructions presque identiques en vue d'appliquer ces prix en septembre et en octobre.

146. Selon la décision (point 36), le nouveau projet aurait prévu pour les mois de septembre et octobre 1981 le relèvement des prix à un "prix de base" de 2,20-2,30 DM/kg pour le raphia. Un document de Shell indiquerait qu'une étape supplémentaire, portant le prix à 2,50 DM/kg au 1er novembre, aurait été discutée, mais qu'il y aurait été renoncé par la suite. Les rapports des divers producteurs indiqueraient que les prix auraient augmenté en septembre et que l'initiative se serait poursuivie en octobre 1981, les prix réalisés sur le marché se situant aux alentours de 2 à 2,10 DM/kg pour le raphia. Une note d'Hercules montrerait qu'en décembre 1981 la cible de 2,30 DM/kg aurait été révisée à la baisse et fixée à un niveau plus réaliste de 2,15 DM/kg, mais cette note ajoute que "grâce à la détermination de tous, les prix auraient atteint 2,05 DM/kg, soit le montant le plus proche jamais atteint par rapport aux objectifs publiés (sic!)". A la fin de l'année 1981, la presse spécialisée aurait relevé sur le marché du polypropylène des prix de 1,95 à 2,10 DM/kg pour le raphia, soit quelque 20 pfennigs de moins que les objectifs de prix des producteurs. Quant aux capacités, elles auraient été utilisées à concurrence de 80 %, pourcentage jugé "sain".

147. La quatrième initiative de prix de juin-juillet 1982 se serait inscrite dans le contexte d'un retour du marché à l'équilibre entre l'offre et la demande. Cette initiative aurait été décidée à la réunion de producteurs du 13 mai 1982, à laquelle aurait participé Linz et au cours de laquelle un tableau détaillé des objectifs de prix au 1er juin aurait été élaboré pour différentes qualités de polypropylène, dans diverses monnaies nationales (2 DM/kg pour le raphia) (décision, points 37 à 39, premier alinéa).

148. La réunion du 13 mai 1982 aurait été suivie d'instructions de prix émanant d'ATO, BASF, Hoechst, Hercules, Hüls, ICI, Linz, Monte et Shell, correspondant, sous réserve de quelques exceptions mineures, aux prix-cibles définis lors de la réunion (décision, point 39, deuxième alinéa). Lors de la réunion du 9 juin 1982, les producteurs n'auraient pu annoncer que des hausses modestes.

149. Selon la décision (point 40), la requérante aurait également participé à la cinquième initiative de prix de septembre-novembre 1982, décidée lors de la réunion des 20 et 21 juillet 1982 et visant à atteindre un prix de 2 DM/kg le 1er septembre et de 2,10 DM/kg le 1er octobre, dans la mesure où elle aurait été présente à la plupart, sinon à toutes les réunions tenues entre juillet et novembre 1982 au cours desquelles cette initiative a été organisée et contrôlée (décision, point 45). Lors de la réunion du 20 août 1982, la hausse prévue pour le 1er septembre aurait été reportée au 1er octobre et cette décision aurait été confirmée lors de la réunion du 2 septembre 1982 (décision, point 41).

150. A la suite des réunions du 20 août et du 2 septembre 1982, ATO, DSM, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte et Shell auraient donné des instructions de prix conformes au prix-cible défini au cours de ces réunions (décision, point 43).

151. Selon la décision (point 44), à la réunion du 21 septembre 1982, à laquelle aurait participé la requérante, un examen des mesures prises pour atteindre l'objectif fixé précédemment aurait été opéré et les entreprises auraient exprimé dans l'ensemble leur soutien à une proposition visant à relever le prix à 2,10 DM/kg pour novembre-décembre 1982. Cette hausse aurait été confirmée lors de la réunion du 6 octobre 1982.

152. A la suite de la réunion du 6 octobre 1982, BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte, Shell et Saga auraient donné des instructions de prix appliquant la hausse décidée (décision, point 44, deuxième alinéa).

153. A l'instar de ATO, BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Monte et Saga, la requérante aurait fourni à la Commission des instructions de prix adressées à ses bureaux de vente locaux, qui correspondraient non seulement entre elles pour ce qui est des montants et des délais, mais correspondraient également au tableau de prix-cibles joint au compte rendu d'ICI de la réunion des "experts" du 2 septembre 1982 (décision, point 45, deuxième alinéa).

154. La réunion de décembre 1982 aurait, selon la décision (point 46, deuxième alinéa), abouti à un accord, selon lequel le niveau prévu pour novembre-décembre devrait être introduit pour la fin janvier 1983.

155. D'après la décision (point 47), la requérante aurait, enfin, participé à la sixième initiative de prix de juillet-novembre 1983. En effet, au cours de la réunion du 3 mai 1983, il aurait été convenu que les producteurs s'efforceraient d'appliquer un prix-cible de 2 DM/kg en juin 1983. Toutefois, lors de la réunion du 20 mai 1983, l'objectif précédemment défini aurait été reporté à septembre et un objectif intermédiaire aurait été fixé pour le 1er juillet (1,85 DM/kg). Ensuite, lors d'une réunion du 1er juin 1983, les producteurs présents, dont Linz, auraient réaffirmé leur entière détermination à appliquer la hausse de 1,85 DM/kg. A cette occasion, il aurait été convenu que Shell prendrait l'initiative publiquement dans ECN.

156. La décision (point 49) relève que, après la réunion du 20 mai 1983, ICI, DSM, BASF, Hoechst, Linz, Shell, Hercules, ATO, Petrofina et Solvay ont donné instruction à leurs bureaux de vente d'appliquer au 1er juillet un tarif de 1,85 DM/kg pour le raphia. Elle ajoute que les instructions de prix retrouvées chez ATO et Petrofina ne sont que partielles, mais qu'elles confirment que ces sociétés ont relevé leur niveau de prix, avec un certain retard dans le cas de Petrofina et de Solvay. La décision conclut qu'il est ainsi démontré qu'à l'exception de Hüls, pour qui la Commission n'a pas retrouvé trace d'instructions pour juillet 1983, tous les producteurs qui avaient participé aux réunions ou s'étaient engagés à soutenir la nouvelle cible de 1,85 DM/kg ont donné des instructions visant à faire appliquer le nouveau prix.

157. La décision (point 50) relève, par ailleurs, que d'autres réunions ont eu lieu les 16 juin, 6 et 21 juillet, 10 et 23 août ainsi que les 5, 15 et 29 septembre 1983, auxquelles tous les participants habituels ont pris part. A la fin juillet et au début août 1983, BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Solvay, Monte et Saga auraient envoyé à leurs divers bureaux nationaux de vente des instructions applicables au 1er septembre, basées sur un prix de 2 DM/kg pour le raphia, tandis qu'une note interne de Shell du 11 août, relative à ses prix au Royaume-Uni, indiquerait que sa filiale au Royaume-Uni travaillait à "promouvoir" des prix de base applicables au 1er septembre et conformes aux objectifs fixés par les autres producteurs. Dès la fin du mois, cependant, Shell aurait donné instruction à son bureau de vente au Royaume-Uni de différer la hausse complète jusqu'à ce que les autres producteurs aient atteint le niveau de base souhaité. La décision précise que, sous réserve d'exceptions mineures, ces instructions sont identiques par qualité et par devise.

158. Selon la décision (point 50, dernier alinéa), les instructions recueillies auprès des producteurs révèlent qu'il a été décidé ultérieurement de poursuivre sur la lancée du mois de septembre, avec de nouvelles étapes, sur la base d'un prix de 2,10 DM/kg au 1er octobre pour le raphia et d'un relèvement à 2,25 DM/kg le 1er novembre. La décision (point 51, premier alinéa) relève encore que BASF, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte et Solvay ont toutes envoyé à leurs bureaux de vente des instructions fixant des prix identiques pour les mois d'octobre et de novembre, Hercules fixant dans un premier temps des prix légèrement inférieurs.

159. La décision (point 51, troisième alinéa) relève qu'une note interne recueillie chez ATO, et datée du 28 septembre 1983, comporterait un tableau intitulé "Rappel du prix de quota (sic)", donnant pour différents pays les prix applicables en septembre et octobre pour les trois principales qualités de polypropylène, prix identiques à ceux de BASF, DSM, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte et Solvay. Au cours de la vérification effectuée chez ATO en octobre 1983, les représentants de l'entreprise auraient confirmé que ces prix avaient été communiqués aux bureaux de vente.

160. Selon la décision (point 105, quatrième alinéa), quelle que soit la date de la dernière réunion, l'infraction a duré jusqu'en novembre 1983, dans la mesure où l'accord a continué à produire ses effets au moins jusqu'à ce moment, novembre étant le dernier mois pour lequel on sait que des objectifs de prix ont été convenus et que des instructions de prix ont été données.

161. La décision conclut (point 51, dernier alinéa) en relevant qu'à la fin de 1983, selon la presse spécialisée, les prix du polypropylène se sont raffermis, le prix du raphia sur le marché atteignant 2,08 à 2,15 DM/kg (pour un objectif cité de 2,25 DM/kg).

b) Arguments des parties

162. La requérante soutient que si la Commission fait grief aux entreprises d'avoir conclu des accords, elle n'a pas suffisamment précisé l'objet de ceux-ci. L' utilisation dans la décision du terme "initiatives de prix" aurait ainsi eu pour objectif d'éluder la définition de l'objet des accords allégués. En réalité, la Commission serait partie de l'idée que les entreprises se seraient mises d'accord sur un niveau de prix souhaitable et jugé réalisable qu'elles auraient cherché ensuite à atteindre de différentes manières par des pratiques concertées, parce que la Commission était consciente que les prix obtenus sur le marché ne correspondaient absolument pas aux prix prétendument convenus lors des réunions.

163. Elle fait valoir, en outre, que si le contenu des prétendus accords n'a pas été établi, il n'a pas été établi non plus que les participants aux réunions avaient conclu de tels accords. En effet, les comptes rendus de réunions établis par des employés d'ICI auxquels se réfère la Commission seraient susceptibles de recevoir une interprétation différente de celle que leur donne la Commission. En réalité, selon la requérante, ces comptes rendus reflétaient les impressions subjectives de leur auteur, comme l'attesterait le fait qu'ils sont contestés par toutes les entreprises, et les idées dont ils font état n'ont jamais été mises en œuvre sous la forme qui y est indiquée. Elle relève que c'est à tort que la Commission a attribué une portée particulière au terme "agreed" ("convenu") qui figure dans certains de ces comptes rendus, comme ceux relatifs aux réunions du 12 août 1982 (g.g. ann. 27) et du 2 septembre 1982 (g.g. ann. 29). En fait, ce terme désignerait une communauté de vues quant à un constat et non un accord. De même, le terme "commitment" ("engagement") utilisé dans les comptes rendus des réunions du 2 septembre 1982 et du 1er juin 1983 (g.g. ann. 29 et 40) serait dépourvu de la portée que lui attribue la Commission, dès lors qu'il n'est pas précisé vis-à-vis de qui un engagement est pris. La requérante affirme, en tout cas, ne s'être jamais engagée vis-à-vis de ses concurrents à adopter un comportement déterminé en matière de prix.

164. Par ailleurs, la requérante souligne que les griefs articulés par la Commission en ce qui concerne le comportement des entreprises destinataires de la décision n'ont pas été suffisamment précisés et qu'ils ont évolué au cours de la procédure. La Commission aurait, dans un premier temps, reproché aux entreprises d'avoir pratiqué sur le marché les prix-cibles sur lesquels elles se seraient prétendument concertées; dans un deuxième temps, elle leur aurait fait grief d'avoir communiqué des instructions de prix internes à leurs services de vente; et, dans un troisième temps, d'avoir tenu régulièrement des réunions.

165. Elle expose que l'absence d'accord sur des prix est confirmée par les différences importantes entre les prix obtenus par les producteurs sur le marché et les prix prétendument convenus. La requérante estime que l'absence de concordance entre le comportement des producteurs et les prétendus accords tend plus à confirmer qu'ils n'ont pas existé qu'à établir leur existence. D'ailleurs, face à un tel comportement de leurs concurrents, les producteurs auraient rapidement renoncé à de tels accords.

166. La requérante fait valoir que les instructions de prix étaient purement internes puisqu'elles n'étaient pas communiquées aux clients et qu'elles ne peuvent donc être considérées comme des comportements sur le marché s'il n'est pas établi que leurs destinataires les ont mises en œuvre. La requérante expose que les bureaux de vente de Linz n'ont pas répercuté sur les clients les différentes instructions de prix qui leur ont été adressées par la direction. Celle-ci définissait les prix maximaux pouvant être espérés sur le marché en se basant sur une appréciation autonome et indépendante des conditions du marché, effectuée naturellement dans le contexte des discussions avec les autres producteurs. Ces objectifs pouvaient ne pas être atteints par les services de vente, comme l'indiquerait l'annotation "plaisantin" figurant sur une instruction du 19 octobre 1983 (annexe 19 à la communication spécifique des griefs adressée à Linz, ci-après "ann., g. Linz"), et auraient d'ailleurs dû être souvent révisés à la baisse en raison de la forte concurrence (ann. 10 et 14, g. Linz).

167. Elle souligne que, contrairement aux allégations de la Commission, les listes de prix de Linz n'étaient pas communiquées aux clients. A cet égard, la Commission ne saurait, pour étayer sa thèse, se fonder sur un télex que Linz a adressé à un de ses bureaux de vente le 31 août 1983 (ann. Linz I2, lettre du 29 mars 1985), dans la mesure où, loin de faire référence à la communication des prix aux clients qu'il contient, ce télex ferait simplement état de ce que:

"bedauerlicherweise sind wir mit der vorangegangenen liste bereits bei unseren kunden vorgegangen, muessen jedoch auf basis der konkurrenzsituation entsprechende korrekturen anbringen und ersuche dies in entsprechend vorsichtigerweise bei den schon, insbesondere skandinavien copo-preise, kontaktierten kunden durchzufuehren" (sic).

("Malheureusement, nous avons déjà approché nos clients en nous servant de la liste précédente; compte tenu de la situation sur le plan de la concurrence, nous sommes cependant obligés d'y apporter les corrections appropriées et d'essayer de le faire avec la prudence qui s'impose auprès des clients déjà contactés, en particulier Scandinavie prix Copo") (sic).

On pourrait seulement déduire de ces indications que la requérante s'est fondée sur la liste des prix précédente lorsqu'elle s'est présentée chez les clients et non qu'elle leur a communiqué cette liste. On ne saurait, en outre, déduire de la formule "veuillez mettre en œuvre la fonction cible comme d'habitude" une injonction contraignante visant à ce qu'une liste de prix soit appliquée. Au contraire, il ne se serait agi que de prix-cibles représentant l'idée que la direction de l'entreprise se faisait des prix maximaux pouvant être atteints sur le marché. Il irait de soi que les bureaux de vente étaient chargés de se rapprocher le plus possible de ces prix lors de la conclusion des divers contrats.

168. En tout état de cause, elle considère que, à supposer même que des prix-cibles aient été communiqués aux clients par certains participants, ce comportement ne saurait être considéré comme répréhensible que si les clients avaient dû considérer comme probable la mise en œuvre immédiate et effective de ces prix-cibles. Mais tel n'aurait pas été le cas, en raison des conditions du marché qui auraient empêché les producteurs d'exiger des clients les prix indiqués dans les instructions de prix. Celles-ci seraient, dès lors, restées purement théoriques et auraient constitué tout au plus une base de calcul pour les rabais qu'il y avait lieu d'accorder.

169. La requérante fait valoir que, si la Commission affirme que les prix-cibles ont évolué pendant des années de manière parallèle au niveau des prix effectivement pratiqués, une telle affirmation, aussi générale et sur une aussi longue période, est dépourvue de valeur probante puisqu'une telle évolution est normale, dès lors que les producteurs connaissent le marché, fût-ce de manière rudimentaire. C'est en effet le court terme qui importerait. Or, la Commission reconnaîtrait elle-même que les initiatives de prix ont parfois débouché sur une chute brutale des prix.

170. La requérante soutient, enfin, que, à supposer que les accords et les pratiques concertées allégués par la Commission aient existé, ceux-ci ne portaient que sur les qualités de base et les "commodities", mais en aucun cas sur les produits spéciaux qui représentaient entre 63 et 80 % des ventes de Linz dans la Communauté. Elle relève que la Commission n'a pas été en mesure de produire le moindre élément de preuve indiquant que les discussions relatives aux prix portaient sur les qualités spéciales, car, si les tableaux de prix annexés aux comptes rendus des réunions des 13 mai et 2 septembre 1982 (g.g. ann. 24 et 29) comportent effectivement de nombreux prix, c'est en raison du fait qu'un même prix est exprimé en de nombreuses monnaies nationales. A la différence peut-être de certains producteurs, Linz n'aurait jamais standardisé les augmentations de prix pour les qualités spéciales. Elle ajoute que l'argument pris par la Commission de ce que les prétendus accords de prix portant sur les qualités de base auraient eu un effet sur le prix des qualités spéciales ne saurait être retenu, car il comporte une erreur de raisonnement analogue à celle qui consisterait à imputer à l'OPEP la responsabilité de l'augmentation des prix du gaz ou du charbon résultant de l'augmentation des prix du pétrole.

171. La Commission soutient, par contre, qu'elle dispose de nombreuses preuves de l'existence d'accords de prix qui se sont concrétisés à travers les différentes initiatives de prix constatées dans la décision.

172. Elle aurait ainsi en sa possession de nombreux comptes rendus de réunions auxquelles la requérante a participé, qui attestent que celles-ci avaient notamment pour objet la fixation d'objectifs de prix, dont le but principal était de réaliser au moins une certaine stabilité des prix à un niveau plus élevé que celui qu'aurait atteint un marché concurrentiel, même si ce niveau devait finalement se situer en dessous du niveau de prix initialement fixé lors des réunions.

173. La Commission fait valoir que les affirmations de la requérante, selon lesquelles il aurait été clair pour l'ensemble des participants aux réunions que les informations échangées au cours de celles-ci n'entraînaient aucun engagement de leur part, sont contredites par le fait que des instructions de prix correspondant jusqu'au moindre détail aux décisions arrêtées lors des réunions ont été transmises aux bureaux de vente à l'issue de chacune des réunions. En outre, le respect des objectifs de prix aurait été régulièrement au centre des discussions pendant les réunions, comme l'attesteraient les comparaisons entre les prix-cibles et les prix effectivement pratiqués par les participants, comparaisons qui figurent dans les comptes rendus des réunions d'août à novembre 1982 (g.g. ann. 28 à 32).

174. La Commission fait remarquer que l'envoi aux bureaux de vente nationaux d'instructions de prix conformes aux prix-cibles prouve que les producteurs prenaient leurs accords au sérieux et les mettaient en œuvre. Toutefois, la Commission reconnaît que les ententes sur les prix n'ont certainement pas atteint leurs objectifs dans tous les cas et que les prix-cibles ont, par conséquent, dû être révisés à la baisse en différentes circonstances, étant donné que les clients connaissaient l'existence de surcapacités de production et n'étaient donc pas disposés à accepter les majorations de prix convenues par les producteurs. Ce que la Commission reproche à la requérante, c'est de s'être entendue avec les autres producteurs de polypropylène dans le cadre des initiatives de prix sur la définition d'objectifs de prix que devaient poursuivre leurs bureaux de vente.

175. La Commission conclut que, si certaines initiatives de prix n'ont pas connu un plein succès, d'autres ont abouti à une nette augmentation des prix sur le marché.

176. La Commission expose que les instructions de prix ont été données en vue d'être exécutées sur le marché et qu'elles ont, à tout le moins, servi de base aux discussions avec les clients. Elle en veut pour preuve le texte même de certaines de ces instructions de prix (ann. Linz, G1 et I2, lettre du 29 mars 1985), qui montrerait que les bureaux de vente devaient partir de ces prix dans leurs conversations avec les clients et conclure des contrats dans des termes aussi proches que possible de ces prix.

177. Par ailleurs, la Commission fait valoir que, contrairement aux affirmations de la requérante, les initiatives de prix portaient aussi bien sur les produits spéciaux que sur les qualités de base. En effet, les comptes rendus des réunions des 13 mai et 2 septembre 1982 (g.g. ann. 24 et 29) mentionneraient des prix pour dix qualités différentes. En outre, les instructions de prix données par différents producteurs comme la requérante (ann. Linz C, lettre du 29 mars 1985) indiqueraient que les augmentations de prix touchant les qualités de base s'accompagnaient régulièrement d'augmentations simultanées du prix des qualités spéciales. Elle expose, enfin, qu'il n'est pas douteux que les ententes sur les prix des qualités de base ont également eu des répercussions sur les prix des produits spéciaux.

c) Appréciation du Tribunal

178. Le Tribunal relève, à titre liminaire, que la requérante considère que la Commission n'a pas précisé suffisamment ce qu'elle entendait par "initiatives de prix" et qu'elle conteste que les comptes rendus de réunions établis par des employés d'ICI puissent prouver son engagement vis-à-vis de ces initiatives.

179. Il y a lieu de relever tout d'abord qu'en son point 21, sous a), la décision a indiqué que les réunions avaient pour objet la "fixation des niveaux de prix que les producteurs s'efforceraient d'atteindre à une date déterminée ("objectif de prix"), au moyen d'une "initiative" concertée, s'étendant parfois sur une période de plusieurs mois et comportant plusieurs "étapes" sous forme de majorations successives" et qu'elle a ainsi défini avec une précision suffisante ce qu'elle entendait par initiatives de prix. A cet égard, il convient d'ajouter que les points 28 à 51 de la décision constituent une illustration détaillée de ce concept.

180. Il importe de rappeler ensuite que les comptes rendus de réunions établis par des employés d'ICI reflétaient assez objectivement le contenu des réunions, tant en ce qui concerne les engagements pris au cours de celles-ci par les entreprises qui y participaient qu'en ce qui concerne l'objet de ces engagements.

181. Par ailleurs, il faut relever que si les termes "agreed" ("convenu") et "commitment" ("engagement") ne permettent pas à eux seuls d'établir l'engagement des producteurs à participer à une initiative de prix, ils permettent de conclure à l'existence d'un tel engagement lorsqu'ils sont considérés dans le contexte de l'ensemble des comptes rendus de réunions dans lesquels ils figurent.

182. Le Tribunal constate, en effet, que les comptes rendus des réunions périodiques de producteurs de polypropylène montrent que les producteurs qui ont participé à ces réunions y ont convenu les initiatives de prix mentionnées dans la décision. Ainsi, on peut lire dans le compte rendu de la réunion du 13 mai 1982 (g.g. ann. 24):

"everyone felt that there was a very good opportunity to get a price rise through before the holidays + after some debate settled on DM 2 from 1st June (UK 14th June). Individual country figures are shown in the attached table".

[("tout le monde pensait qu'il y avait une très bonne occasion d'obtenir une augmentation des prix avant les vacances. + fixation (après débat) à 2 DM à partir du 1er juin (14 juin pour le Royaume-Uni). Les chiffres par pays sont indiqués dans le tableau joint")].

183. Dès lors qu'il est établi à suffisance de droit que la requérante a participé à ces réunions, celle-ci ne peut affirmer ne pas avoir souscrit aux initiatives de prix qui y ont été décidées, organisées et contrôlées, sans fournir d'indices de nature à corroborer cette affirmation. En effet, en l'absence de tels indices, il n'y a aucune raison de penser que la requérante n'aurait pas souscrit à ces initiatives, à la différence des autres participants aux réunions.

184. A cet égard, il y a lieu de relever que la requérante s'est référée à deux arguments tendant à démontrer en général qu'elle n'aurait pas souscrit, lors des réunions périodiques de producteurs de polypropylène, aux initiatives de prix convenues. Elle a exposé, en premier lieu, que sa participation aux réunions était dépourvue d'esprit anticoncurrentiel et, en second lieu, qu'elle n'a aucunement tenu compte des résultats des réunions pour déterminer son comportement sur le marché en matière de prix, comme l'attesteraient les différences importantes observées entre les prix prétendument convenus lors des réunions et les prix qu'elle a pratiqués sur le marché.

185. Aucun de ces deux arguments ne peut être retenu comme indice pour corroborer l'affirmation de la requérante selon laquelle elle n'aurait pas souscrit aux initiatives de prix convenues. En effet, le Tribunal rappelle que la Commission a établi à suffisance de droit que la participation de la requérante aux réunions n'a pas été dépourvue d'esprit anticoncurrentiel, de sorte que le premier argument exposé par la requérante ne peut trouver de fondement dans les faits.

186. En ce qui concerne le second argument, il convient d'observer que, même s'il était étayé en fait, il ne serait pas de nature à infirmer la participation de la requérante à la fixation d'objectifs de prix lors des réunions, mais tendrait tout au plus à démontrer que la requérante n'a pas mis en œuvre le résultat de ces réunions. La décision n'affirme d'ailleurs nullement que la requérante a pratiqué des prix correspondant toujours aux objectifs de prix convenus lors des réunions, ce qui indique que l'acte attaqué ne s'appuie pas non plus sur la mise en œuvre par la requérante du résultat des réunions pour établir sa participation à la fixation de ces objectifs de prix.

187. Il convient de relever, en outre, que la question de savoir si la requérante a communiqué ses instructions de prix internes aux clients manque de pertinence. En effet, la requérante ne saurait se prévaloir du caractère purement interne de ses instructions de prix, puisque, si celles-ci sont certes purement internes en ce qu'elles sont adressées aux bureaux de vente par le siège central, elles n'en ont pas moins été envoyées en vue d'être exécutées et donc de produire directement ou indirectement des effets externes, ce qui leur fait perdre leur caractère interne, et ce même si elles ont constitué uniquement une base de calcul pour les rabais qu'il y avait lieu d'accorder, comme le prétend la requérante.

188. En ce qui concerne la question de savoir si les initiatives de prix portaient également sur les produits spéciaux, le Tribunal considère qu'elle doit être résolue lors de l'examen de la participation de la requérante à la fixation de tonnages cibles et de quotas (lettre E ci-après), qui porte notamment sur la question de savoir quel était l'éventail de produits couverts par les accords de quotas constatés dans la décision. Il considère, en outre, que ce qui vaut pour les quotas vaut également, à tout le moins indirectement, pour les initiatives de prix que les accords de quotas étaient destinés à soutenir.

189. Il faut ajouter que c'est à bon droit que la Commission a pu déduire de la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), dans laquelle on peut lire que:

"Target prices" for the basic grade of each principal category of polypropylene as proposed by producers from time to time since 1 January 1979 are set forth in Schedule ..."

("Les 'prix-cibles' qui ont été proposés périodiquement depuis le 1er janvier 1979 par les producteurs pour la qualité de base de chacune des principales catégories de polypropylène figurent dans l'annexe ..."),

que ces initiatives s'inscrivaient dans un système de fixation d'objectifs de prix.

190. Le Tribunal constate, enfin, que, si la dernière réunion de producteurs dont la Commission ait apporté la preuve est celle du 29 septembre 1983, il n'en reste pas moins que différents producteurs (BASF, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte, Solvay et Saga) ont envoyé, entre le 20 septembre et le 25 octobre 1983, des instructions de prix concordantes (ann. I, lettre du 29 mars 1985) destinées à entrer en vigueur le 1er novembre suivant et que, dès lors, la Commission a pu raisonnablement estimer que les réunions de producteurs avaient continué à produire leurs effets jusqu'en novembre 1983.

191. En outre, il y a lieu de faire observer que, pour pouvoir étayer les constatations de fait qui précèdent, la Commission n'a pas eu besoin de recourir à des documents qu'elle n'avait pas mentionnés dans ses communications des griefs ou qu'elle n'avait pas communiqués à la requérante.

192. Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés portant sur les initiatives de prix mentionnées dans la décision, que celles-ci s'inscrivaient dans un système et que les effets de ces initiatives de prix se sont produits jusqu'en novembre 1983.

D - Les mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix

a) Acte attaqué

193. La décision [(article 1er, sous c), et point 27; voir aussi point 42)] fait grief à la requérante d'avoir convenu avec les autres producteurs de diverses mesures visant à faciliter l'application des objectifs de prix, comme des limitations temporaires de la production, des échanges d'informations détaillées sur ses livraisons, la tenue de réunions locales et, à partir de la fin septembre 1982, un système d'"account management" ayant pour but d'appliquer les hausses de prix à des clients particuliers.

194. En ce qui concerne le système d'"account management" dont la forme plus tardive et plus raffinée remontant à décembre 1982 est connue sous le nom d'"account leadership", la requérante, comme tous les producteurs, aurait été nommée coordinateur ou "leader" d'au moins un gros client, dont elle aurait été chargée de coordonner secrètement ses rapports avec les fournisseurs. En application de ce système, des clients auraient été identifiés en Belgique, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni et un "coordinateur" aurait été désigné pour chacun d'eux. En décembre 1982, une version plus généralisée de ce système aurait été proposée et aurait prévu la désignation d'un chef de file ("leader"), chargé d'orienter, de négocier, d'organiser les mouvements de prix. Les autres producteurs, qui traitaient régulièrement avec les clients, étaient connus sous le nom de "contenders" et coopéraient avec l'"account leader", lorsqu'il faisait une offre au client en question. Pour "protéger" l'"account leader" et les "contenders", tout autre producteur contacté par le client aurait été amené à faire une offre à des prix supérieurs à la cible souhaitée. En dépit des affirmations d'ICI selon lesquelles le plan se serait écroulé après quelques mois seulement d'une application partielle et inefficace, la décision affirme que le compte rendu complet de la réunion tenue le 3 mai 1983 indiquerait qu'à cette époque le cas de divers clients aurait été examiné en détail, de même que les offres de prix faites ou à faire par chaque producteur à ces clients et les volumes livrés ou en commande.

b) Arguments des parties

195. La requérante fait valoir qu'elle ne peut pas avoir été désignée comme "account leader" de l'entreprise Billermann, comme l'affirme la Commission sur la base du tableau 3 joint au compte rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33), parce qu'elle n'a effectué que quelques rares livraisons à cette entreprise et que, dès lors, elle n'était pas en mesure d'exercer une influence sur les prix pratiqués vis-à-vis de celle-ci. En outre, elle souligne que le document produit par la Commission ne permet pas de savoir s'il constitue une simple proposition ou s'il a fait l'objet d'un accord.

196. De la même manière, la requérante expose que, si elle a pu, à l'occasion, faire état des prix qu'elle pratiquait vis-à-vis de certains clients, la Commission ne pourrait y voir un indice de sa participation au système d'"account leadership", car de telles informations sont de celles qui sont normalement disponibles sur le marché. Elle relève que c'est dans ce contexte qu'elle a fait état de ses livraisons à l'entreprise Adolff à un prix élevé. Ce serait à tort que la Commission verrait dans ce fait la preuve de sa participation au prétendu système d'"account leadership", dans la mesure où, si les prix pratiqués vis-à-vis de cette entreprise étaient élevés, c'était en raison du caractère ponctuel et limité de la livraison effectuée.

197. Elle répète que la circonstance que, lors de réunions qui ont eu lieu au printemps de l'année 1983 (g.g. ann. 37 et 38), on ait discuté des livraisons faites à certains clients et des conditions de rabais qui leur étaient accordées ne constitue en rien la preuve qu'un accord serait intervenu sur le système d'"account leadership", vu qu'il s'agit là d'un échange d'informations disponibles sur le marché.

198. La Commission répond qu'il ressort clairement du compte rendu de la réunion du 2 septembre 1982 (g.g. ann. 29) que le système d'"account leadership" a été adopté d'un commun accord lors de cette réunion. En effet, le représentant de BASF aurait mis les autres participants à la réunion en garde contre la communication d'un même prix à tous les clients. Les producteurs présents, parmi lesquels figure la requérante, auraient accepté ce point de vue et il aurait été proposé et convenu que les producteurs autres que le fournisseur principal d'un client déterminé demanderaient quelques pfennigs de plus que celui-ci.

199. Elle considère qu'il résulte de la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) ainsi que du compte rendu de la réunion du 3 mai 1983 (g.g. ann. 38) que le système a pu être mis en œuvre. Dans cette perspective, la Commission relève que le nom de la requérante est mentionné dans deux comptes rendus de réunions comme fournisseur des firmes Adolff, Billermann et Teufelberger (g.g. ann. 37 et 38).

200. Selon la Commission, la requérante, qui aurait participé aux réunions correspondantes, aurait donc pris part à ce système, même si elle n'a pas été désignée comme "account manager", dans la mesure où elle a pu jouer le rôle de "contender" à côté d'un "account leader".

c) Appréciation du Tribunal

201. Le Tribunal considère qu'il y a lieu d'interpréter le point 27 de la décision à la lumière du point 26, deuxième alinéa, non comme faisant grief à chacun des producteurs de s'être engagé individuellement à prendre toutes les mesures qui y sont mentionnées, mais bien comme faisant grief à chacun de ces producteurs d'avoir à divers moments lors des réunions adopté avec les autres producteurs un ensemble de mesures, mentionnées dans la décision, destinées à créer des conditions favorables à une augmentation des prix, notamment en réduisant artificiellement l'offre de polypropylène, ensemble dont l'exécution, en ses diverses mesures, était répartie d'un commun accord entre les différents producteurs en fonction de leur situation spécifique.

202. Force est de constater que, en participant aux réunions au cours desquelles cet ensemble de mesures a été adopté [(notamment celles des 13 mai, 2 et 21 septembre 1982 (g.g. ann. 24, 29, 30))], la requérante a souscrit à celui-ci, puisqu'elle n'avance aucun indice de nature à établir le contraire.

203. En ce qui concerne l'"account leadership", le Tribunal constate que la requérante a participé aux quatre réunions (celles du 2 septembre 1982, du 2 décembre 1982, de mars 1983 et du 3 mai 1983) au cours desquelles ce système a fait l'objet de discussions entre producteurs et qu'il résulte des comptes rendus de ces réunions que la requérante a fourni certaines informations relatives à ses clients lors de celles-ci (g.g. ann. 29, 33, 37 et 38). A cet égard, l'adoption du système d'"account leadership" ressort du passage suivant du compte rendu de la réunion du 2 septembre 1982:

"about the dangers of everyone quoting exactly DM 2 A.' s point was accepted but rather than go below DM 2 it was suggested & generally agreed that others than the major producers at individual accounts should quote a few pfs higher. Whilst customers tourism was clearly to be avoided for the next month or two it was accepted that it would be very difficult for companies to refuse to quote at all when, as was likely, customers tried to avoid paying higher prices to the regular suppliers. In such cases producers would quote but at above the minimum levels for October".

("la remarque d'A. à propos des risques qui existeraient si tout le monde proposait exactement 2 DM a été acceptée; toutefois, au lieu de descendre en dessous de 2 DM, on a avancé l'idée - qui a été acceptée par tous - que des producteurs autres que les principaux fournisseurs d'un client donné devraient proposer un prix dépassant ce prix de quelques pfennigs. Tout en décidant clairement d'éviter toute nouvelle prospection pendant le mois ou les deux mois suivants, on a admis qu'il serait très difficile aux entreprises de refuser de présenter des offres, si, comme c'était probable, les clients essayaient d'éviter les prix plus élevés des fournisseurs réguliers. Dans ce cas, les producteurs devaient faire une offre, mais à un niveau supérieur aux niveaux minimaux d'octobre").

De même, lors de la réunion du 21 septembre 1982, à laquelle participait la requérante, il a été déclaré: "In support of the move, BASF, Hercules and Hoechst said they would be taking plant off line temporarily" ("Pour appuyer l'action, BASF, Hercules et Hoechst ont dit qu'elles mettraient une de leurs installations temporairement hors circuit") et à celle du 13 mai 1982, Fina a dit: "Plant will be shut down for 20 days in August" ("L' usine sera fermée pendant 20 jours en août").

204. La mise en œuvre, à tout le moins partielle, de ce système est attestée par le compte rendu de la réunion du 3 mai 1983 dans lequel on peut lire:

"A long discussion took place on Jacob Holm who is asking for quotations for the 3rd quarter. It was agreed not to do this and to restrict offers to the end of June. April/May levels were at DKR 6.30 (DM 1.72). Hercules were definitely in and should not have been so. To protect BASF, it was agreed that CWH(uels) + ICI would quote DKR 6.75 from now to end June (DM 1.85) ..."

[("Une longue discussion a eu lieu à propos de Jacob Holm qui a demandé une remise de prix pour le troisième trimestre. Les participants à la réunion ont décidé de ne pas le faire et de clôturer les offres à la fin du mois de juin. Pour les mois d'avril et de mai, les prix se situaient au niveau de 6,30 DKR (1,72 DM). Il est clair qu'Hercules était entrée et qu'elle n'aurait pas dû l'être. Pour protéger BASF, il a été convenu que CWH(uels) + ICI vendraient désormais à 6,75 DKR, et ce jusqu'à la fin du mois de juin (1,85 DM) ...")].

Cette mise en œuvre est confirmée par la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) qui indique à propos de ce compte rendu de réunion:

"In the Spring of 1983 there was a partial attempt by some producers to operate the "Account Leadership" scheme ... Since Hercules had not declared to the "Account Leader" its interest in supplying Jacob Holm, the statement was made at this meeting in relation to Jacob Holm that "Hercules were definitely in and should not have been so". It should be made clear that this statement refers only to the Jacob Holm account and not to the Danish market. It was because of such action by Hercules and others that the 'Account Leadership' scheme collapsed after at most two months of partial and ineffective operation.

The method by which Hüls and ICI should have protected BASF was by quoting a price of DK 6.75 for the supply of raffia grade polypropylene to Jacob Holm until the end of June."

("Au printemps 1983, certains producteurs ont essayé de mettre partiellement en œuvre le système d''account leadership" ... Comme Hercules n'avait pas fait savoir à l'"account leader" qu'elle était disposée à assurer les fournitures à Jacob Holm, il a été déclaré au cours de cette réunion à propos de Jacob Holm que "il est clair qu'Hercules était entrée et qu'elle n'aurait pas dû l'être". Il importe de souligner que cette affirmation se réfère uniquement au client Jacob Holm et non pas au marché danois. C'est à cause d'un tel comportement d'Hercules et d'autres que le système d'"account leadership" a échoué après deux mois maximum de fonctionnement partiel et inefficace.

La méthode par laquelle Hüls et ICI auraient dû protéger BASF consistait à remettre prix à 6,75 DKR pour la fourniture de polypropylène, qualité raphia, à Jacob Holm jusqu'à la fin du mois de juin.")

205. La participation de la requérante à ce système résulte, d'une part, de sa présence aux réunions au cours desquelles ce système a été conçu et sa mise en œuvre examinée et, d'autre part, du fait que son nom figure en face du nom de certains de ses clients dans les tableaux joints aux comptes rendus des réunions du 2 septembre (g.g. ann. 29) et du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33).En effet, la requérante est mentionnée, dans le premier tableau, parmi les "present suppliers + leaders" de son client allemand Billermann et, dans le second tableau, comme "account leader" de ce même client, ainsi que de son client autrichien Teufelberger et d'autres clients en Suisse et en Suède.

206. Le Tribunal constate que la requérante n'indique pas de raison de nature à établir qu'elle n'a pas été désignée comme "account leader" de ces clients à l'exception de Billermann. Il faut en conclure que, même à supposer qu'elle n'ait pas été désignée comme "account leader" de Billermann, il n'en reste pas moins que la requérante a été désignée comme "account leader" d'autres clients situés en dehors de la Communauté. La situation de ces clients n'affecte en rien la constatation de sa participation au système d'"account leadership" dans le marché communautaire, puisque ce système constituait un tout, le bénéfice escompté par la requérante de sa qualité d'"account leader" d'un client donné, établi, le cas échéant, en dehors de la Communauté, étant compensé par un engagement de non-concurrence vis-à-vis d'autres clients établis dans la Communauté dont d'autres producteurs avaient été désignés comme "account leader".

207. Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés portant sur les mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix mentionnées dans la décision.

E - Tonnages cibles et quotas

a) Acte attaqué

208. Selon la décision (point 31, troisième alinéa), "la nécessité d'un système rigoureux de quotas (aurait été) reconnue" au cours de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, dont le compte rendu mentionnerait un projet proposé ou convenu à Zurich en vue de limiter les ventes mensuelles à 80 % de la moyenne atteinte au cours des huit premiers mois de l'année.

209. La décision (point 52) relève encore que divers projets de répartition du marché avaient déjà été appliqués avant le mois d'août 1982. Si chaque producteur s'était vu allouer un pourcentage du volume total estimé des commandes, il n'aurait cependant existé aucune limitation systématique préalable de la production globale. Aussi les estimations du marché total auraient-elles été revues régulièrement et les ventes de chaque producteur, exprimées en tonnages, ajustées pour correspondre au pourcentage autorisé.

210. Des objectifs en matière de volume (exprimés en tonnes) auraient été fixés pour 1979; ils se seraient basés au moins partiellement sur les ventes réalisées au cours des trois années antérieures. Des tableaux découverts chez ICI indiqueraient l'"objectif ajusté" par producteur pour 1979, comparé au tonnage réellement vendu au cours de cette période en Europe occidentale (décision, point 54).

211. A la fin de février 1980, les producteurs auraient convenu d'objectifs de volumes pour 1980, exprimés cette fois encore en tonnages, sur la base d'un marché annuel total estimé à 1 390 000 tonnes. Selon la décision (point 55), des tableaux indiquant les "objectifs convenus" afférents à chaque producteur pour 1980 auraient été découverts chez ATO et ICI. Cette première estimation du marché global se révélant trop optimiste, le quota de chaque producteur aurait dû être ajusté à la baisse pour correspondre à une consommation totale pour cette année de 1 200 000 tonnes seulement. Sauf pour ICI et DSM, les ventes réalisées par les différents producteurs correspondraient grosso modo à leur cible.

212. Selon la décision (point 56), la répartition du marché pour 1981 aurait fait l'objet de négociations longues et complexes. Lors des réunions de janvier 1981, il aurait été convenu, à titre de mesure temporaire, que, pour aider à réaliser l'initiative de prix de février-mars, chaque producteur réduirait ses ventes mensuelles à 1/12 de 85 % de l'"objectif" de 1980. En attendant qu'un plan plus permanent soit mis au point, chaque producteur aurait communiqué à la réunion le tonnage qu'il espérait vendre en 1981. Toutefois, l'addition de ces "ambitions" aurait excédé largement les prévisions de la demande totale. En dépit de plusieurs formules de compromis avancées par Shell et ICI, aucun accord de quota définitif n'aurait pu être conclu pour 1981. Comme mesure provisoire, les producteurs se seraient assigné à chacun le même quota théorique que l'année précédente et auraient rendu compte des ventes réalisées chaque mois, au cours de la réunion. En conséquence, les ventes réalisées auraient été vérifiées à la lumière d'une répartition théorique du marché disponible sur la base du quota de 1980 (décision, point 57).

213. La décision (point 58) expose que, pour 1982, les producteurs ont soumis des propositions de quotas complexes, où ils ont tenté de concilier des facteurs divergents, tels que les résultats antérieurs, les ambitions sur le marché et les capacités disponibles. Le marché total à répartir aurait été estimé à 1 450 000 tonnes. Certains producteurs auraient soumis des plans détaillés de répartition du marché, d'autres se contentant de communiquer leurs propres ambitions en matière de tonnages. Lors de la réunion du 10 mars 1982, Monte et ICI auraient tenté d'aboutir à un accord. La décision (point 58, dernier alinéa) relève cependant que, comme en 1981, aucun accord définitif n'aurait pu être atteint et que, pendant le premier semestre de l'année, les ventes mensuelles de chaque producteur auraient été communiquées lors des réunions et comparées au pourcentage réalisé au cours de l'année précédente. Selon la décision (point 59), lors de la réunion d'août 1982, les pourparlers en vue d'arriver à un accord sur les quotas pour 1983 auraient été poursuivis et ICI aurait procédé avec chacun des producteurs à des discussions bilatérales, consacrées au nouveau système. Toutefois, en attendant l'introduction d'un tel système de quotas, les producteurs auraient été invités à limiter leurs ventes mensuelles, pendant le second semestre de 1982, au pourcentage du marché global réalisé par chacun d'entre eux pendant les six premiers mois de l'année 1982. Ainsi, en 1982, les parts de marché auraient atteint un certain équilibre et seraient restées stables par rapport aux années antérieures pour la plupart des producteurs.

214. D'après la décision (point 60), pour 1983, ICI aurait invité chaque producteur à communiquer ses propres ambitions et ses idées quant au pourcentage du marché qu'il conviendrait d'attribuer à chacun des autres. Ainsi, Monte, Anic, ATO, DSM, Linz, Saga et Solvay, de même que les producteurs allemands par le truchement de BASF, auraient fait parvenir des propositions détaillées. Après cela, ces diverses propositions auraient été traitées sur ordinateur pour obtenir une moyenne, qui aurait été comparée ensuite aux aspirations de chaque producteur. Ces opérations auraient permis à ICI de proposer des lignes directrices pour un nouvel accord-cadre pour 1983. Ces propositions auraient été discutées lors des réunions de novembre et de décembre 1982. Une proposition limitée, dans un premier temps, au premier trimestre de l'année aurait été discutée lors de la réunion du 2 décembre 1982. Le compte rendu de cette réunion établi par ICI indiquerait qu'ATO, DSM, Hoechst, Hüls, ICI, Monte et Solvay, de même qu'Hercules auraient trouvé "acceptable" le quota qui leur aurait été attribué (décision, point 63). Ces informations seraient corroborées par le résumé d'un entretien téléphonique d'ICI avec Hercules, daté du 3 décembre 1982.

215. La décision (point 63, troisième alinéa) affirme qu'un document découvert chez Shell confirmerait qu'un accord est intervenu, dans la mesure où cette entreprise se serait efforcée de ne pas dépasser son quota. Ce document confirmerait également qu'un système de régulation des volumes aurait continué à être appliqué pendant le deuxième trimestre de 1983, dans la mesure où, afin de maintenir sa part de marché aux alentours de 11 % durant le deuxième trimestre, les sociétés nationales de vente du groupe Shell auraient reçu l'ordre de réduire leurs ventes. L' existence de cet accord serait confirmée par le compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 qui, bien que ne mentionnant pas de quotas, relaterait un échange d'informations ayant eu lieu entre les "experts" sur les tonnages vendus par chaque producteur au cours du mois précédent, ce qui semblerait indiquer qu'un système de quotas était appliqué (décision, point 64).

216. La décision (point 65) relève que, bien qu'aucun système de pénalisation pour dépassement des quotas n'ait jamais été instauré, le système en vertu duquel chaque producteur faisait rapport aux réunions sur le tonnage qu'il avait vendu au cours du mois précédent, s'exposant ainsi aux critiques éventuelles d'autres producteurs pour avoir fait preuve d'indiscipline, avait incité les producteurs à respecter le quota qui leur avait été attribué.

b) Arguments des parties

217. La requérante soutient que la Commission n'a pas pu établir la mise en place d'un système de quotas et encore moins la participation de Linz à celui-ci. Elle fait valoir que les constatations de la Commission relatives à la fixation d'objectifs de volumes de vente manquent singulièrement de précision et que le seul point bien établi réside dans la reconnaissance par la Commission que les entreprises ne sont pas parvenues à un accord définitif pour les années 1981 et 1982.

218. Elle relève que les éléments de preuve produits par la Commission sont constitués essentiellement de propositions et de tableaux établis a posteriori dont on ne connaît ni les auteurs ni la manière dont ils ont été élaborés. Elle estime que c'est abusivement que la Commission essaie de tirer parti de la mention des termes "agreed targets" ("objectifs convenus") dans un de ces tableaux (g.g. ann. 60), puisqu'elle omet de signaler que sous ce tableau figurait la mention "to be rechecked" ("à revérifier") pour quatre des entreprises mentionnées. La requérante en déduit qu'aucun accord n'a pu être conclu.

219. La requérante fait également observer que le manque de précision de la décision ne permet pas de savoir s'il est fait grief aux entreprises d'avoir mis en œuvre les objectifs de volumes de vente. Elle estime cependant que l'article 1er, paragraphe 1, sous e), de la décision se borne à faire grief aux entreprises de s'être attribué des quotas ou de s'être obligées à limiter leurs ventes mensuelles sans faire état d'une quelconque mise en œuvre.

220. A cet égard, elle souligne, d'une part, que les objectifs de volumes de vente n'ont aucunement été appliqués de manière générale et, d'autre part, qu'aucune critique n'était formulée à l'encontre des entreprises qui ne respectaient pas les quotas qui leur auraient été prétendument attribués. La requérante déduit de cette absence de mise en œuvre des quotas que les objectifs mentionnés dans certains documents n'étaient pas le résultat d'accords, mais constituaient seulement des hypothèses de travail ou de simples souhaits, la Commission étant restée en défaut d'établir que les entreprises s'étaient engagées à respecter ces objectifs. La Commission admettrait elle-même que le respect de ces objectifs a été volontaire, de sorte que la volonté juridique ou morale de s'engager, nécessaire à la conclusion d'un accord, aurait incontestablement fait défaut.

221. La requérante ajoute, en ce qui concerne la mise en œuvre des prétendus quotas, que le tableau 8 de la décision prouve lui-même que les quantités effectivement livrées étaient sensiblement différentes de ceux-ci. Dans le cas de la requérante, des écarts allant jusqu'à 20 % par rapport aux quotas prétendument accordés seraient observés.

222. Elle passe ensuite en revue les différentes années pour lesquelles la décision prétend qu'un système d'objectifs de volumes de vente a été mis en place.

223. Pour l'année 1979, la requérante relève que la Commission indique que des objectifs de volumes de vente auraient été fixés en tonnes, mais sans préciser par qui ni établir que quelqu'un se serait engagé à les respecter.

224. Pour l'année 1980, elle estime que rien n'indique qu'il y ait eu un accord et que les entreprises se soient engagées à respecter les objectifs fixés. En outre, la constatation faite par la Commission selon laquelle seules les ventes d'un fournisseur sont restées en deçà de l'objectif pour 1980 ne démontrerait rien quant au respect des quotas prétendument convenus par les entreprises. La requérante rappelle que sa participation aux réunions de producteurs n'a pu être établie par la Commission avant 1981 et que cela doit être pris en considération dans l'examen des éléments de preuve avancés par la Commission pour les années 1979 et 1980.

225. Pour les années 1981 et 1982, la requérante souligne que le seul fait établi est l'absence d'accord définitif qui a été reconnue explicitement dans la décision. Elle ajoute qu'il n'est pas prouvé que les chiffres échangés au cours des réunions tenues en 1981 et 1982 étaient exacts et que la Commission n'a pas indiqué si les chiffres correspondaient aux objectifs de vente. Elle relève, en outre, que l'importance particulière accordée en 1982 par le nouveau président des réunions de producteurs à l'instauration d'un système de quotas auquel tous les producteurs auraient dû souscrire ne peut être expliquée autrement que par le fait que personne jusqu'alors n'avait respecté les quotas discutés ou convenus auparavant.

226. Elle expose, à titre subsidiaire, que si une certaine correspondance a pu exister entre les objectifs de volumes de vente et les ventes effectives, cela résulte du fait que, lorsque les entreprises élaborent leur stratégie en fin d'année pour l'année suivante, elles effectuent des projections qui ne sauraient différer très fortement de la réalité, et cela en raison de la nature même du polypropylène qui est un produit pouvant avoir des qualités particulières aboutissant à fidéliser la clientèle, de sorte qu'il peut difficilement y avoir de brusques variations des parts de marché.

227. Pour l'année 1983, la requérante fait valoir que la décision comporte un exposé détaillé des efforts de certaines entreprises pour instaurer un système de quotas. Toutefois, la décision n'indiquerait jamais clairement si ces efforts ont été couronnés de succès. La requérante considère que les éléments de preuve avancés par la Commission ne permettent pas de conclure que ces efforts ont abouti à un accord.

228. A cet égard, elle expose tout d'abord que les conversations entre Shell et ICI en mai 1983, dont la Commission fait état dans la décision, lui sont totalement étrangères et que c'est à tort que la Commission affirme que Linz a formulé elle-même une proposition de quotas détaillée. En effet, la note d'ICI dont fait état la Commission (g.g. ann. 80) ne permettrait pas d'étayer cette affirmation, dans la mesure où il y est simplement indiqué que la requérante a cité le chiffre de 5 % comme correspondant à ses objectifs pour 1983 en réponse à une demande d'informations formulée par téléphone. La requérante affirme que naturellement ce chiffre n'a pas été accepté.

229. Selon la requérante, le compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40), que la Commission utilise pour établir que les quotas convenus ont été effectivement respectés, ne serait pas plus probant, dans la mesure où il ne contient pas la moindre comparaison entre les ventes effectivement réalisées et les prétendus quotas. En effet, il ne fait état que des ventes effectives des différents producteurs.

230. Elle conclut qu'en définitive ce qui est décisif c'est que la Commission admet elle-même que le respect des objectifs était volontaire, de sorte que la volonté de s'engager qui est un élément constitutif de l'accord aurait incontestablement fait défaut.

231. La requérante fait valoir, enfin, qu'à supposer que des quotas aient été fixés par les producteurs ceux-ci ne portaient que sur les qualités de base et les "commodities", mais en aucun cas sur les produits spéciaux qui représentaient entre 63 et 80 % de ses ventes dans la Communauté

232. La Commission, de son côté, fait valoir que, contrairement à ce qu'indique la requérante, la décision donne, aux points 54 et suivants, en termes très clairs, un aperçu général du système de quotas, tel qu'il a été appliqué durant un certain nombre d'années.

233. Pour l'année 1979, elle expose qu'un tableau non daté, intitulé "Producers' Sales to West Europe" ("Ventes de producteurs en Europe occidentale"), retrouvé chez ICI (g.g. ann. 55), reprenant pour tous les producteurs de polypropylène d'Europe occidentale les chiffres de vente en kilotonnes pour 1976, 1977 et 1978, ainsi que des chiffres mentionnés sous les rubriques "1979 actual" ("chiffres effectifs de 1979") et "revised target 79" ("cible révisée 79") et dont l'interprétation ne pourrait faire de doute, fait nettement apparaître que Linz a participé à un accord de quotas pour cette année. Les données précises comprises dans ce document seraient de celles qui ne sont pas connues des concurrents dans une situation de concurrence "normale" et supposeraient donc la participation de Linz à l'élaboration de ce document.

234. Pour l'année 1980, la Commission expose encore que la participation de Linz à l'entente ressort clairement des documents dont elle dispose. Il s'agit notamment d'un tableau daté du 26 février 1980, intitulé "Polypropylène - Sales target 1980 (kt)" [("Polypropylène - Objectif de ventes 1980 (kt)")], découvert chez ATO, qui compare, pour tous les producteurs d'Europe occidentale, des "1980 target" ("objectif 1980"), des "opening suggestions" ("suggestions de départ"), des "proposed adjustments" ("ajustements proposés") et des "agreed targets" ("objectifs convenus", g.g. ann. 60). Ce document montrerait le processus d'élaboration des quotas. Cet élément serait corroboré par un tableau trouvé chez ATO et ICI, comparant, pour tous les producteurs, leurs ventes en termes de tonnages et de parts de marché, dans les rubriques suivantes: "1979 actual", "1980 target", "(1980) actual" ("chiffres effectifs de 1980") et "1981 aspirations" (g.g. ann. 59 et 61). La Commission fait valoir que, dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), ICI a observé à propos de ce document que "the source of information for actual historic figures in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres de ce tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisés a dû être les producteurs eux-mêmes").

235. Pour l'année 1981, la Commission relève que, s'il est vrai qu'aucun accord de quotas couvrant l'ensemble de l'année n'a pu être atteint, en revanche, le quota prévu pour 1980 aurait été considéré comme un droit théorique et un contrôle mensuel des ventes aurait été exercé. Ainsi, la Commission expose qu'il résulte du compte rendu des réunions susmentionnées de janvier 1981 que les producteurs comparaient leurs performances réelles avec les cibles définies (g.g. ann. 17) et d'un tableau découvert chez ICI, mais émanant d'un producteur italien, que les producteurs comparaient leurs ventes pour l'année 1981 avec celles de l'année précédente (g.g. ann. 65). Elle en déduit que, à défaut d'un accord général de répartition des volumes pour 1981, des mesures provisoires ont été prises pour cette année-là. Cela serait confirmé par d'autres documents (g.g. ann. 66 à 68).

236. Elle expose, ensuite, qu'il résulte des tableaux joints aux comptes rendus des réunions du 9 juin 1982 et du 20 août 1982 (g.g. ann. 25 et 28) que, au premier semestre de 1982, les producteurs comparaient leurs ventes mensuelles avec celles réalisées en 1981. Elle ajoute, pour le second semestre, qu'il résulte du second de ces documents que les producteurs ont été invités à limiter leurs ventes mensuelles au niveau de celles du premier semestre. Il résulterait des tableaux annexés aux comptes rendus des réunions des 6 octobre, 2 novembre et 2 décembre 1982 (g.g. ann. 31 à 33) que les producteurs ont comparé les ventes du second semestre avec celles du premier.

237. Pour l'année 1983, la Commission poursuit en affirmant qu'elle dispose des ambitions et des propositions que différents producteurs, parmi lesquels figure la requérante (g.g. ann. 80), ont exprimé pour eux-mêmes et pour les autres producteurs à la demande d'ICI et qu'ils ont communiquées à cette dernière en vue de la conclusion d'un accord de quotas pour 1983 (g.g. ann. 74 à 84). A cet égard, elle relève que la requérante n'a fourni aucune indication concrète suggérant que la note d'ICI ne reproduisait pas le contenu de sa proposition. Selon la Commission, les propositions mentionnées ci-avant ont été traitées sur ordinateur pour obtenir une moyenne, qui a ensuite été comparée aux aspirations de chaque producteur (g.g. ann. 85). A ces documents, la Commission ajoute une note interne d'ICI (g.g. ann. 86) intitulée "Polypropylène framework 1983" ("Schéma polypropylène 1983"), dans laquelle cette dernière décrit les grandes lignes d'un futur accord sur les quotas.

238. Enfin, la Commission fait valoir qu'il ressort d'un document interne recueilli chez Shell (g.g. ann. 90) qu'un accord de quotas a été conclu pour le deuxième trimestre de 1983. En effet, selon ce document, Shell aurait ordonné à ses sociétés nationales de vente de réduire leurs ventes en vue de respecter le quota qui lui avait été attribué. A cela, la Commission ajoute que le compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40) montre que des échanges d'informations sur les volumes de vente du mois de mai avaient eu lieu et que la requérante a respecté les quotas qui lui avaient été attribués.

239. Elle conclut que, dans ces conditions, la circonstance qu'aucune sanction n'ait été prévue en cas de dépassement des quotas serait sans pertinence.

240. La Commission soutient, enfin, que, contrairement aux affirmations de la requérante, les quotas portaient sur l'ensemble des qualités du polypropylène.

c) Appréciation du Tribunal

241. Le Tribunal rappelle que la requérante a participé dès le début aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène au cours desquelles des discussions relatives aux volumes de vente des différents producteurs ont eu lieu et des informations à ce sujet ont été échangées.

242. Il convient de relever, parallèlement à la participation de Linz aux réunions, que son nom figure dans différents tableaux (g.g. ann. 55 à 61) dont le contenu indique clairement qu'ils étaient destinés à la définition d'objectifs de volumes de vente. Or, il y a lieu de rappeler que la plupart des requérantes ont admis dans leurs réponses à une question écrite posée par le Tribunal qu'il n'aurait pas été possible d'établir les tableaux découverts chez ICI, ATO et Hercules sur la base des statistiques du système Fides et qu'ICI a déclaré dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) à propos d'un de ces tableaux que "the source of information for actual historic figures in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres de ce tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisés a dû être les producteurs eux-mêmes"). La Commission était donc en droit de considérer que le contenu de ces tableaux, en ce qui la concerne, avait été fourni par Linz dans le cadre des réunions auxquelles elle participait.

243. La terminologie utilisée dans les tableaux relatifs aux années 1979 et 1980 ((comme "revised target" ("objectif révisé"), "opening suggestions" ("suggestions de départ"), "proposed adjustments" ("ajustements proposés"), "agreed targets" ("objectifs convenus") )) permet de conclure que des concours de volontés entre les producteurs sont intervenus.

244. En ce qui concerne plus particulièrement l'année 1979, il convient de relever, sur la base de l'ensemble du compte rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12) et sur la base du tableau non daté, saisi chez ICI (g.g. ann. 55), intitulé "Producers' Sales to West Europe" ("Ventes des producteurs en Europe occidentale"), reprenant pour tous les producteurs de polypropylène d'Europe occidentale les chiffres de vente en kilotonnes pour 1976, 1977 et 1978, ainsi que des chiffres mentionnés sous les rubriques "1979 actual" ("chiffres effectifs de 1979"), "revised target" et "79", que la nécessité de rendre le système de quotas convenu pour l'année 1979 plus rigoureux pour les trois derniers mois de cette année a été reconnue lors de cette réunion. En effet, le terme "tight" ("strict"), lu en combinaison avec la limitation à 80 % de 1-12 des ventes annuelles prévues, indique que le régime initialement envisagé pour l'année 1979 devait être rendu plus rigoureux pour ces trois derniers mois. Cette interprétation du compte rendu est corroborée par le tableau susmentionné, parce que celui-ci contient, sous le titre "79" dans la dernière colonne à droite de la colonne intitulée "revised target", des chiffres qui doivent correspondre aux quotas initialement fixés. Ceux-ci ont dû être révisés dans un sens plus rigoureux, parce qu'ils avaient été établis sur la base d'un marché évalué de manière trop optimiste, comme cela a également été le cas en 1980. Ces constatations ne sont pas infirmées par la référence, contenue au point 31, troisième alinéa, de la décision, à un projet "proposé ou convenu à Zurich en vue de limiter les ventes mensuelles à 80 % de la moyenne atteinte au cours des huit premiers mois de l'année". En effet, cette référence, lue en combinaison avec le point 54 de la décision, doit être comprise en ce sens que des objectifs de volumes de vente avaient déjà été définis initialement pour les ventes mensuelles des huit premiers mois de l'année 1979.

245. En ce qui concerne l'année 1980, le Tribunal constate que la fixation d'objectifs de volumes de vente pour l'ensemble de l'année ressort, principalement, du tableau daté du 26 février 1980, trouvé chez ATO (g.g. ann. 60) et comportant une colonne "agreed targets 1980". La valeur probante de ce tableau n'est pas entamée par la mention "to be rechecked" ("à revérifier") inscrite à côté du nom de quatre entreprises, car deux autres éléments de preuve confirment que la nouvelle vérification effectuée a abouti à un accord de toutes les parties. Il s'agit tout d'abord du compte rendu des réunions de janvier 1981 (g.g. ann. 17), au cours desquelles des producteurs, parmi lesquels figure la requérante, ont comparé les quantités effectivement vendues ("actual kt") aux objectifs fixés ("target kt"), et il s'agit ensuite d'un tableau daté du 8 octobre 1980 (g.g. ann. 57), comparant deux colonnes dont l'une reprend la "1980 Nameplate Capacity" ("capacité nominale 1980") et l'autre le "1980 Quota" pour les différents producteurs.

246. Pour l'année 1981, le Tribunal relève qu'il est fait grief aux producteurs d'avoir participé aux négociations en vue d'aboutir à un accord de quotas pour cette année, d'avoir, dans ce cadre, communiqué leurs "ambitions" et, dans l'attente d'un tel accord, d'avoir convenu, à titre de mesure temporaire, de réduire leurs ventes mensuelles à 1-12 de 85 % de l'"objectif" convenu pour 1980 pendant les mois de février et de mars de 1981, de s'être assigné pour le reste de l'année le même quota théorique que l'année précédente, d'avoir chaque mois, lors des réunions, donné connaissance de leurs ventes, et, enfin, d'avoir vérifié si leurs ventes respectaient le quota théorique assigné.

247. L' existence de négociations entre les producteurs en vue d'aboutir à l'instauration d'un régime de quotas et la communication de leurs "ambitions" au cours de ces négociations sont attestées par différents éléments de preuve comme des tableaux reprenant, pour chaque producteur, ses chiffres "actual" et ses "targets" pour les années 1979 et 1980, ainsi que ses "aspirations" pour 1981 (g.g. ann. 59 et 61); un tableau rédigé en italien (g.g. ann. 62) reprenant, pour chaque producteur, son quota pour 1980, les propositions d'autres producteurs quant au quota qu'il faut lui attribuer pour 1981 et ses propres "ambitions" pour 1981, ainsi qu'une note interne d'ICI (g.g. ann. 63) décrivant l'évolution de ces négociations dans laquelle on peut lire:

"Taking the various alternatives discussed at yesterday' s meeting we would prefer to limit the volume to be shared to no more than the market is expected to reach in 1981, say 1.35 million tonnes. Although there has been no further discussion with Shell, the four majors could set the lead by accepting a reduction in their 1980 target market share of about 0.35 % provided the more ambitious smaller producers such as Solvay, Saga, DSM, Chemie Linz, Anic/SIR also tempered their demands. Provided the majors are in agreement the anomalies could probably be best handled by individual discussions at Senior level, if possible before the meeting in Zurich."

("Parmi les diverses solutions discutées pendant la réunion d'hier, nous préférerions que le volume à partager soit limité à un volume ne dépassant pas le marché qu'on escompte atteindre en 1981, soit 1,35 million de tonnes. Bien qu'il n'y ait pas eu d'autres discussions avec Shell, les quatre grands pourraient donner l'exemple en acceptant une réduction d'environ 0,35 % de leur objectif de part de marché 1980, à condition que les plus ambitieux des producteurs moins importants, tels que Solvay, Saga, DSM, Chemie Linz, Anic/SIR tempèrent aussi leurs exigences. A condition que les grands soient d'accord, la meilleure façon de traiter les anomalies consisterait certainement à les discuter individuellement au niveau des "patrons", si possible avant la réunion de Zurich.")

Ce document est accompagné d'une proposition de compromis chiffrée, comparant le résultat obtenu pour chacun par rapport à 1980 ("% of 1980 target").

248. L' adoption de mesures temporaires consistant en une réduction des ventes mensuelles à 1-12 de 85 % de l'objectif convenu l'année précédente pendant les mois de février et de mars 1981 résulte du compte rendu des réunions de janvier 1981, dans lequel on peut lire:

"In the meantime (février-mars) monthly volume would be restricted to 1-12 of 85 % of the 1980 target with a freeze on customers."

(("Dans l'intervalle (février-mars) le volume mensuel serait réduit à 1-12 de 85 % de l'objectif 1980 avec un gel des clients."))

249. Le fait que les producteurs se soient assigné, pour le reste de l'année, le même quota théorique que l'année précédente et aient vérifié si les ventes respectaient ce quota, en s'échangeant chaque mois les chiffres de leurs ventes, est établi par la combinaison de trois documents. Il s'agit, tout d'abord, d'un tableau daté du 21 décembre 1981 (g.g. ann. 67), reprenant pour chaque producteur ses ventes ventilées par mois, dont les trois dernières colonnes, relatives aux mois de novembre et de décembre ainsi qu'au total annuel, ont été ajoutées à la main. Il s'agit, ensuite, d'un tableau non daté, rédigé en italien, intitulé "Scarti per società" ("écarts ventilés par société") et découvert chez ICI (g.g. ann. 65), qui compare pour chaque producteur pour la période janvier-décembre 1981 les chiffres de vente "actual" avec les chiffres "theoretic(al)" ("théoriques"). Il s'agit, enfin, d'un tableau non daté, découvert chez ICI (g.g. ann. 68), comparant pour chaque producteur pour la période janvier-novembre 1981 les chiffres de vente et les parts de marché avec ceux de 1979 et de 1980, et ce en opérant une projection pour la fin de l'année.

250. En effet, le premier tableau montre que les producteurs ont échangé les chiffres de leurs ventes mensuelles. Lorsqu'il est combiné avec les comparaisons entre ces chiffres et ceux réalisés en 1980 - comparaisons qui ont été effectuées dans les deux autres tableaux, portant sur la même période -, un tel échange d'informations, qu'un opérateur indépendant préserve rigoureusement comme secrets d'affaires, corrobore les conclusions auxquelles est parvenue la décision.

251. La participation de la requérante à ces différentes activités résulte, d'une part, de sa participation aux réunions au cours desquelles ces actions ont eu lieu, et notamment aux réunions de janvier 1981, et, d'autre part, de la mention de son nom dans les différents documents susmentionnés.Dans ces documents figurent d'ailleurs des chiffres dont il convient de rappeler qu'ICI a déclaré dans sa réponse à une question écrite posée par le Tribunal - à laquelle d'autres requérantes font référence dans leur propre réponse - qu'il n'aurait pas été possible de les établir sur la base des statistiques du système Fides.

252. Pour l'année 1982, le Tribunal relève qu'il est fait grief aux producteurs d'avoir participé aux négociations en vue d'aboutir à un accord de quotas pour cette année; d'avoir, dans ce cadre, communiqué leurs ambitions en matière de tonnages; d'avoir, à défaut d'accord définitif, communiqué lors des réunions leurs chiffres de ventes mensuelles pendant le premier semestre, en les comparant au pourcentage réalisé au cours de l'année précédente, et de s'être, pendant le second semestre, efforcés de limiter leurs ventes mensuelles au pourcentage du marché global réalisé pendant le premier semestre de cette année.

253. L' existence de négociations entre les producteurs en vue d'aboutir à l'instauration d'un régime de quotas et la communication, dans ce cadre, de leurs ambitions sont attestées, en premier lieu, par un document intitulé "Scheme for discussions 'quota system 1982' " ("Schéma de discussion d'un système de quotas 1982", g.g. ann. 69), dans lequel figure, pour l'ensemble des destinataires de la décision, à l'exception d'Hercules, le tonnage auquel chacun estimait avoir droit et, en outre, pour certains (tous sauf Anic, Linz, Petrofina, Shell et Solvay), le tonnage qui, d'après eux, devrait être attribué aux autres producteurs; en second lieu, par une note d'ICI intitulée "Polypropylene 1982, Guidelines" ("Polypropylène 1982, lignes directrices"; g.g. ann. 70, a), dans laquelle ICI analyse les négociations en cours; en troisième lieu, par un tableau daté du 17 février 1982 (g.g. ann. 70, b), dans lequel différentes propositions de répartition des ventes sont comparées - dont l'une, intitulée "ICI Original Scheme" ("Schéma initial ICI"), fait l'objet, dans un autre tableau, manuscrit, d'adaptations mineures par Monte dans une colonne intitulée "Milliavacca 27-1-82" (il s'agit du nom d'un employé de Monte; g.g. ann. 70, c) -, et, en dernier lieu, par un tableau rédigé en italien (g.g. ann. 71) qui constitue une proposition complexe (décrite au point 58, troisième alinéa, in fine, de la décision).

254. Les mesures prises pour le premier semestre sont établies par le compte rendu de la réunion du 13 mai 1982 (g.g. ann. 24), dans lequel on peut lire notamment:

"To support the move a number of other actions are needed a) limit sales volume to some agreed prop. of normal sales."

(("A titre de soutien, un certain nombre d'autres mesures sont nécessaires a) limiter le volume des ventes à une certaine prop.(ortion) convenue des ventes normales."))

255. L' exécution de ces mesures est attestée par le compte rendu de la réunion du 9 juin 1982 (g.g. ann. 25), auquel est joint un tableau reprenant pour chaque producteur le chiffre "actual" de ses ventes pour les mois de janvier à avril 1982, comparé avec un chiffre "theoretical based on 1981 av(erage) market share" ("théorique calculé sur la base de la part de marché moyenne de 1981"), ainsi que par le compte rendu de la réunion des 20 et 21 juillet 1982 (g.g. ann. 26) en ce qui concerne la période janvier-mai 1982 et par celui du 20 août 1982 (g.g. ann. 28) en ce qui concerne la période janvier-juillet 1982.

256. Les mesures prises pour le second semestre sont prouvées par le compte rendu de la réunion du 6 octobre 1982 (g.g. ann. 31), dans lequel on peut lire, d'une part, "In October this would also mean restraining sales to the Jan/June achieved market share of a market estimated at 100 kt" ("En octobre, cela impliquerait aussi de limiter les ventes à la part réalisée pendant la période janvier-juin sur un marché estimé à 100 Kt") et, d'autre part, "Performance against target in September was reviewed" ("Les résultats atteints par rapport à l'objectif en septembre ont fait l'objet d'un examen"). A ce compte rendu est joint un tableau, intitulé "September provisional sales versus target (based on Jan-June market share applied to demand est(imated) at 120 Kt)" (("Ventes prévisionnelles de septembre par rapport à l'objectif (calculé sur la base de la part de marché janvier-juin appliquée à une demande estimée à 120 Kt)")). Le maintien de ces mesures est confirmé par le compte rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33), auquel est joint un tableau comparant, pour le mois de novembre 1982, les ventes "Actual" avec les chiffres "Theoretical", calculés à partir de "J-June % of 125 Kt" ("j-juin pourcentage de 125 kt").

257. Le Tribunal constate que, en ce qui concerne l'année 1981 ainsi que les deux semestres de l'année 1982, c'est à bon droit que la Commission a déduit de la surveillance mutuelle, lors des réunions périodiques, de la mise en œuvre d'un système de limitation des ventes mensuelles par référence à une période antérieure, que ce système avait été adopté par les participants aux réunions.

258. Pour l'année 1983, le Tribunal constate qu'il résulte des documents fournis par la Commission (g.g. ann. 33 et 74 à 87) que, à la fin de l'année 1982 et au début de l'année 1983, les producteurs de polypropylène ont discuté d'un régime de quotas portant sur l'année 1983, que la requérante a participé aux réunions au cours desquelles ces discussions ont eu lieu, qu'elle a fourni à cette occasion des données relatives à ses ventes et qu'il ressort d'une note d'ICI intitulée "1983 - C. Linz proposal" ("1983 - proposition de C. Linz", g.g. ann. 80) que la requérante a formulé une proposition de répartition du marché entre les différents producteurs exprimée en tonnages qui est reprise dans le tableau de synthèse rédigé par ICI (g.g. ann. 85, p. 2), convertie en termes de part de marché.

259. Il s'ensuit que la requérante a participé aux négociations organisées en vue de parvenir à un régime de quotas pour l'année 1983.

260. Quant à la question de savoir si ces négociations ont effectivement abouti en ce qui concerne les deux premiers trimestres de l'année 1983, comme l'affirme la décision (points 63, troisième alinéa, et 64), le Tribunal relève qu'il résulte du compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40) que la requérante a indiqué au cours de cette réunion les chiffres de ses ventes pour le mois de mai, tout comme neuf autres entreprises. On peut lire, par ailleurs, dans le compte rendu d'une réunion interne du groupe Shell du 17 mars 1983 (g.g. ann. 90) que:

"... and would lead to a market share of approaching 12 % and well above the agreed Shell target of 11 %. Accordingly the following reduced sales targets were set and agreed by the integrated companies".

("... et conduirait à une part de marché qui avoisinerait 12 % et qui serait très supérieure à l'objectif Shell convenu, de 11 %. C'est pourquoi les objectifs de vente suivants, plus réduits, ont été fixés et convenus par les sociétés du groupe").

Les nouveaux tonnages sont communiqués, après quoi il est noté que:

"this would be 11.2 Pct of a market of 395 kt. The situation will be monitored carefully and any change from this agreed plan would need to be discussed beforehand with the other PIMs members".

("cela représenterait 11,2 % d'un marché de 395 kt. La situation sera attentivement suivie et tout écart par rapport à ce qui a été ainsi convenu devra faire préalablement l'objet d'une discussion avec les autres membres du PIMS").

261. A cet égard, le Tribunal constate que c'est à bon droit que la Commission a déduit de la combinaison de ces deux documents que les négociations entre les producteurs avaient conduit à l'instauration d'un régime de quotas. En effet, la note interne du groupe Shell montre que cette entreprise demandait à ses sociétés nationales de vente de réduire leurs ventes non pour voir diminuer le volume global des ventes du groupe Shell, mais pour limiter à 11 % la part de marché globale de ce groupe. Une telle limitation exprimée en termes de part de marché ne peut s'expliquer que dans le cadre d'un régime de quotas. En outre, le compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 constitue un indice supplémentaire de l'existence d'un tel régime, car un échange d'informations relatives aux ventes mensuelles des différents producteurs a pour but premier de contrôler le respect des engagements pris.

262. Il convient de relever enfin que le chiffre de 11 %, comme part de marché pour Shell, figure non seulement dans la note interne de Shell, mais également dans deux autres documents, à savoir, d'une part, une note interne d'ICI dans laquelle cette dernière relève que Shell propose ce chiffre pour elle-même, pour Hoechst et pour ICI (g.g. ann. 87) et, d'autre part, le compte rendu rédigé par ICI d'une réunion du 29 novembre 1982, entre ICI et Shell, durant laquelle la proposition précédente a été rappelée (g.g. ann. 99).

263. Le Tribunal constate, en outre, que les quotas portaient sur l'ensemble des qualités du polypropylène (qualités de base et produits spéciaux). En effet, la requérante a indiqué dans sa réponse à la communication des griefs que ses ventes pour 1980 et 1983 en Europe occidentale étaient respectivement de 50 600 tonnes et de 55 100 tonnes, toutes qualités confondues, et que les produits spéciaux représentaient entre 63 et 80 % de ses ventes. Or, le quota attribué à la requérante pour l'Europe occidentale en 1980 était de 55 000 tonnes (g.g. ann. 60), ajusté plus tard à 48 000 tonnes (g.g. ann. 17), et en 1983 de 54 000 tonnes (extrapolation à partir du quota pour le premier trimestre de l'année, g.g. ann. 33, tableau 2).

264. Il faut ajouter qu'en raison de l'identité d'objectif des différentes mesures de limitation des volumes de vente - à savoir diminuer la pression exercée sur les prix par l'excès d'offre - c'est à bon droit que la Commission a pu déduire que celles-ci s'inscrivaient dans un système de quotas.

265. Le Tribunal relève, par ailleurs, qu'en participant aux réunions au cours desquelles différents producteurs étaient critiqués lorsqu'ils ne s'en tenaient pas à ce qui avait été convenu la requérante a pris part à ces critiques et a, par ce biais, exercé des pressions sur ces producteurs.

266. En outre, il y a lieu de faire observer que, pour pouvoir étayer les constatations de fait qui précèdent, la Commission n'a pas eu besoin de recourir à des documents qu'elle n'avait pas mentionnés dans ses communications des griefs ou qu'elle n'avait pas communiqués à la requérante.

267. Il y a lieu de conclure, au vu des considérations qui précèdent, que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés qui portaient sur les objectifs de volumes de vente pour les années 1979, 1980 et la première moitié de l'année 1983 et sur la limitation de leurs ventes mensuelles par référence à une période antérieure pour les années 1981 et 1982 mentionnés dans la décision et qui s'inscrivaient dans un système de quotas.

F - Conclusion

268. Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit toutes les constatations de fait opérées par elle dans l'acte attaqué à l'encontre de la requérante et que, par conséquent, contrairement à ce qu'allègue la requérante, la Commission ne s'est pas fondée sur des rumeurs ou sur de simples présomptions et suppositions ou sur des théories empiriques imaginaires.

2. L' application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE

A - Qualification juridique

a) Acte attaqué

269. Selon la décision (point 81, premier alinéa), l'ensemble de plans et d'arrangements arrêtés dans le cadre du système des réunions périodiques et institutionnalisées a constitué un "accord" unique et continu au sens de l'article 85, paragraphe 1.

270. En l'espèce, les producteurs, en souscrivant à un plan commun de régulation des prix et des approvisionnements sur le marché du polypropylène, auraient participé à un accord-cadre, qui se serait traduit par une série de sous-accords plus détaillés, élaborés à intervalles périodiques (décision, point 81, troisième alinéa).

271. La décision (point 82, premier alinéa) poursuit que, dans l'exécution détaillée du plan d'ensemble, un accord exprès a été réalisé sur de nombreux points, comme les initiatives individuelles en matière de prix et les plans annuels de quotas. Parfois, sans doute, les producteurs ne seraient pas parvenus à un consensus sur un projet définitif, comme dans le cas des quotas pour 1981 et 1982. Toutefois, le fait qu'ils aient arrêté des mesures destinées à combler le vide, y compris l'échange d'informations et la comparaison des ventes mensuelles avec les résultats atteints au cours d'une période de référence antérieure, supposerait non seulement un accord exprès sur l'élaboration et l'application de pareilles mesures, mais indiquerait aussi l'existence d'un accord implicite visant à maintenir, dans toute la mesure du possible, les positions respectives des producteurs.

272. La Commission estime dans sa décision (point 82, deuxième alinéa) que, même avant 1979, les diverses initiatives mentionnées comme ayant été "dirigées" par l'un ou l'autre producteur et "suivies" par les autres résultaient également d'un accord entre eux.

273. En ce qui concerne plus spécifiquement l'initiative de décembre 1977, la décision (point 82, troisième alinéa) affirme qu'aux réunions de l'EATP des producteurs comme Hercules, Hoechst, ICI, Linz, Rhône-Poulenc, Saga et Solvay soulignaient, même vis-à-vis des clients, la nécessité qu'ils ressentaient de mener une action concertée en vue de majorer les prix. Les producteurs poursuivaient leurs contacts sur la fixation des prix en dehors du cadre des réunions de l'EATP. A la lumière de ces contacts avérés, la Commission estime que le mécanisme en vertu duquel un ou plusieurs d'entre eux se plaignaient de leurs marges de rentabilité "insuffisantes" et proposaient une action conjointe, alors que les autres exprimaient leur "soutien" à pareilles actions, reposait sur l'existence d'un accord sur les prix. Elle ajoute que, même en l'absence de tout autre contact, pareil mécanisme pourrait indiquer en soi un consensus suffisant pour réaliser un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1.

274. La conclusion selon laquelle il aurait existé un seul accord permanent ne serait aucunement affectée par le fait que certains producteurs, inévitablement, n'aient pas assisté à toutes les réunions. L' étude et la mise en œuvre d'une "initiative" auraient pris plusieurs mois et une absence occasionnelle n'empêcherait en rien un producteur d'y avoir participé (décision, point 83, premier alinéa).

275. Selon la décision (point 86, premier alinéa), la mise en œuvre de l'entente, du fait qu'elle s'appuyait sur un plan commun et détaillé, a constitué un "accord" au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

276. La décision (point 86, deuxième alinéa) affirme que la notion d'"accord" et celle de "pratique concertée" sont distinctes, mais qu'il arrive que la collusion présente des éléments de l'une et de l'autre forme de coopération illicite.

277. La notion de "pratique concertée" viserait une forme de coordination entre entreprises qui, sans l'avoir poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substituent sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (décision, point 86, troisième alinéa).

278. Selon la décision (point 87, premier alinéa), en développant une notion de pratique concertée distincte, le traité visait à empêcher que les entreprises ne contournent l'application de l'article 85, paragraphe 1, en s'entendant sur des modalités contraires à la concurrence et non assimilables à un accord définitif, en s'informant, par exemple, mutuellement à l'avance de l'attitude envisagée par chacun, afin qu'il puisse régler son comportement commercial en sachant que ses concurrents agiront de la même manière (voir l'arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48-69, Rec. p. 619).

279. La Cour aurait soutenu, dans son arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie/Commission (40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663), que les critères de coordination et de coopération définis par sa jurisprudence, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable "plan", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité CEE relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le Marché commun. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des entreprises de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou escompté de leurs concurrents, elle s'opposerait cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre elles ayant pour objet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé ou que l'on envisage d'adopter soi-même sur le marché (décision, point 87, deuxième alinéa). Un tel comportement pourrait tomber sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, en tant que "pratique concertée", même lorsque les parties ne se sont pas entendues au préalable sur un plan commun définissant leur action sur le marché, mais adoptent ou se rallient à des mécanismes collusoires qui facilitent la coordination de leur comportement commercial (décision, point 87, troisième alinéa, première phrase).

280. En outre, la décision (point 87, troisième alinéa, troisième phrase) relève que, dans une entente complexe, il est possible que certains producteurs n'aient pas toujours exprimé leur consentement formel à une conduite adoptée par les autres, tout en indiquant leur soutien global au plan en question et en agissant en conséquence. A certains égards, la coopération et la collusion constantes des producteurs dans la mise en œuvre de l'accord d'ensemble pourraient donc revêtir certaines caractéristiques propres à une pratique concertée (décision, point 87, troisième alinéa, cinquième phrase).

281. L' importance de la notion de pratique concertée ne résulterait donc pas tant, selon la décision (point 87, quatrième alinéa), de la distinction entre une telle pratique et un "accord" que de la distinction entre une collusion qui relève de l'article 85, paragraphe 1, et d'un simple comportement parallèle, en l'absence de tout élément de concertation. Peu importerait, dès lors, la forme précise que le comportement collusoire a revêtu en l'occurrence.

282. La décision (point 88, premier et deuxième alinéas) constate que la plupart des producteurs ont prétendu, au cours de la procédure administrative, que leur comportement dans le cadre de soi-disant "initiatives de prix" ne résultait d'aucun "accord" au sens de l'article 85 (voir décision, point 82) et qu'il ne prouve pas davantage l'existence d'une pratique concertée, cette notion supposant des "actes manifestés" sur le marché; or, ceux-ci feraient totalement défaut en l'occurrence, aucune liste de prix et aucun prix-cible n'ayant jamais été communiqué aux clients. La décision rejette cet argument, car s'il était nécessaire, en l'espèce, de s'appuyer sur l'existence d'une pratique concertée, l'obligation pour les participants de prendre certaines mesures pour réaliser leur objectif commun serait pleinement établie. Les diverses initiatives en matière de prix seraient consignées dans les documents. Il serait également hors de doute que les divers producteurs ont agi parallèlement pour les mettre en œuvre. Les mesures prises par les producteurs tant individuellement que collectivement ressortiraient des documents: comptes rendus de réunions, notes internes, instructions et circulaires aux bureaux de vente et lettres aux clients. Il importerait peu qu'ils aient ou non "publié" des listes de prix. Les instructions de prix en soi fourniraient non seulement la meilleure preuve possible de l'action menée par chaque producteur pour réaliser l'objectif commun, mais aussi, par leur contenu et leur chronologie, la preuve d'une collusion.

b) Arguments des parties

283. La requérante explique que la thèse de la Commission selon laquelle il importerait peu de savoir s'il y a eu en l'espèce un accord ou seulement des pratiques concertées ne saurait être retenue. La question de savoir si la collusion reprochée à Linz constitue, sur le plan juridique, un accord ou une pratique concertée au sens de l'article 85 du traité CEE ou si elle comporte aussi bien les éléments de l'un que de l'autre ne saurait être laissée sans réponse.

284. Elle estime que cette thèse repose sur une définition erronée de la notion de pratique concertée, selon laquelle il serait satisfait à l'élément "pratique" de la pratique concertée dès lors qu'il y a une prise de contact directe ou indirecte entre les entreprises, le comportement de celles-ci sur le marché n'ayant, dans cette optique, que la fonction d'un indice destiné à établir l'existence d'une prise de contact lorsque d'autres moyens de preuve font défaut.

285. La requérante soutient que la thèse de la Commission n'est pas conforme au texte de l'article 85, qui ne met pas l'"accord" et la "concertation" sur le même plan - ce à quoi aboutirait la Commission -, mais bien l'"accord" et la "pratique concertée". La thèse de la Commission ne serait pas davantage conforme à la jurisprudence de la Cour, citée par la Commission (arrêts du 14 juillet 1972, précité, 48-69; du 16 décembre 1975, précité, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, points 172 à 180, et du 14 juillet 1981, Zuechner, 172-80, Rec. p. 2021), et ne serait pas conforme non plus aux conclusions présentées par les avocats généraux dans les arrêts du 29 octobre 1980, précité (209-78 à 215-78 et 218-78), et du 7 juin 1983, Musique Diffusion française/Commission (100-80 à 103-80, Rec. p. 1825). En effet, il résulterait d'une analyse approfondie de l'arrêt du 16 décembre 1975, précité (40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73), points 173 à 180, que la Cour exige, pour reconnaître l'existence d'une pratique concertée, la réunion de deux conditions: l'existence d'une concertation et celle d'un comportement correspondant à cette concertation. Les points 173 et 174 de cet arrêt, cités par la Commission à l'appui de sa thèse, loin de concerner la définition du concept de pratique concertée, n'auraient trait qu'à l'un de ses deux éléments, à savoir la concertation. A cet élément, il conviendrait d'ajouter le second élément de la "pratique concertée", à savoir le comportement effectivement coordonné sur le marché, dont la Cour aurait examiné l'existence au point 180 de son arrêt.

286. La requérante expose que l'élimination du risque lié au jeu de la concurrence a un rapport direct avec le comportement effectif. En effet, s'il est vrai que toute information supplémentaire sur le marché réduit, dans une certaine mesure, les risques issus de la concurrence, la limite à partir de laquelle la diminution de ce risque tombe sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE ne serait atteinte que lorsqu'il est possible de calculer la réaction des participants à un comportement sur le marché.

287. En l'espèce, elle fait valoir qu'aucune des deux conditions nécessaires à l'existence d'une pratique concertée n'est remplie: les discussions portant sur différentes questions relatives au marché n'auraient pas permis d'éliminer l'incertitude quant au comportement des concurrents et il ne serait pas possible d'observer un comportement sur le marché correspondant à d'éventuelles pratiques concertées.

288. La requérante conclut que la thèse de la Commission repose sur une interprétation de l'article 85 qui, à la supposer licite, serait nouvelle et ne pourrait donc être appliquée rétroactivement à des situations passées sans violer le principe "nulla poena sine lege".

289. Elle soutient que la Commission n'a jamais, dans la décision, établi l'existence d'un accord de façon suffisamment précise quant à sa date, son objet et ses participants. La Commission ne reprochant concrètement aucun accord aux entreprises concernées, le Tribunal pourrait se dispenser de vérifier si les faits permettent d'établir qu'un tel reproche serait fondé, s'il était formulé, puisqu'on ne saurait attendre des entreprises concernées qu'elles se défendent contre des griefs que la Commission n'a pas formulés.

290. Ainsi, selon la requérante, il incombait à la Commission de démontrer la réunion, dans son chef, des éléments constitutifs soit d'un accord soit d'une pratique concertée, ce que la Commission serait restée en défaut de faire en concluant à l'existence d'une "collusion" qui présente des éléments de l'une et l'autre notion.

291. Selon la Commission, par contre, la question de savoir si une collusion ou une entente doit être qualifiée juridiquement d'accord ou de pratique concertée au sens de l'article 85 du traité CEE ou si cette collusion comporte des éléments de l'un et de l'autre revêt une importance négligeable. En effet, la Commission expose que les termes "accord" et "pratique concertée" englobent les différents types d'arrangements par lesquels des concurrents, au lieu de déterminer en toute indépendance leur ligne de conduite concurrentielle future, s'imposent mutuellement une limitation de leur liberté d'action sur le marché à partir de contacts directs ou indirects entre eux.

292. La Commission soutient que l'utilisation des différents termes dans l'article 85 a pour objet d'interdire toute la gamme d'arrangements collusoires et non de préciser un traitement différent pour chacun d'eux. Par conséquent, la question de savoir où tracer une ligne de démarcation entre des termes qui ont pour objectif d'appréhender l'ensemble des comportements interdits serait sans pertinence. La ratio legis de l'introduction dans l'article 85 de la notion de "pratique concertée" consisterait à viser, à côté des accords, des types de collusion qui ne reflètent qu'une forme de coordination de fait ou une coopération pratique et qui sont néanmoins susceptibles de fausser la concurrence (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, précité, 48-69, points 64 à 66).

293. Elle fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 16 décembre 1975, précité, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, points 173 et 174) qu'il s'agit de s'opposer à toute prise de contact, directe ou indirecte, entre des opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de tenir soi-même sur le marché. L' existence d'une pratique concertée se situerait donc déjà au niveau du contact entre concurrents, préalable à tout comportement de leur part sur le marché.

294. Pour la Commission, il y a pratique concertée dès qu'il y a concertation ayant pour objet de restreindre l'autonomie des entreprises les unes par rapport aux autres, et ce même si aucun comportement effectif n'a été constaté sur le marché. Selon la Commission, le débat porte en fait sur le sens du mot "pratique". Elle s'oppose à la thèse selon laquelle ce mot a le sens étroit de "comportement sur le marché". Ce mot pourrait, de l'avis de la Commission, couvrir le simple fait de participer à des contacts, pour autant que ceux-ci aient pour objet de restreindre l'autonomie des entreprises.

295. Elle ajoute que si l'on exigeait les deux éléments - concertation et comportement sur le marché - pour qu'il y ait pratique concertée, cela conduirait à laisser hors du champ d'application de l'article 85 toute une gamme de pratiques qui ont pour objet, mais pas nécessairement pour effet, de fausser la concurrence sur le Marché commun. On aboutirait ainsi à mettre en échec une partie de la portée de l'article 85. En outre, cette thèse ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour relative à la notion de pratique concertée (arrêts du 14 juillet 1972, précité, 48-69, point 66; du 16 décembre 1975, précité, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, point 26, et du 14 juillet 1981, précité, 172-80, point 14). Si cette jurisprudence mentionne chaque fois des pratiques sur le marché, ce ne serait pas comme élément constitutif de l'infraction, comme le soutient la requérante, mais bien comme élément de fait à partir duquel la concertation peut être induite. Selon cette jurisprudence, aucun comportement effectif sur le marché ne serait requis. Seule serait requise une prise de contact entre opérateurs économiques, caractéristique de leur renoncement à leur nécessaire autonomie.

296. Pour la Commission, il n'est donc pas besoin, pour qu'il y ait infraction à l'article 85, que les entreprises aient mis en pratique ce sur quoi elles se sont concertées. Ce qui est répréhensible au sens de l'article 85, paragraphe 1, existerait pleinement dès que l'intention de substituer une coopération aux risques de la concurrence se trouve matérialisée dans une concertation, sans que nécessairement il y ait, après coup, des comportements sur le marché pouvant être constatés.

297. La Commission en déduit, au niveau de la preuve, que l'accord et la pratique concertée peuvent être prouvés à l'aide de preuves directes et indirectes. En l'espèce, elle n'aurait pas eu besoin de recourir à des preuves indirectes, comme le parallélisme de comportement sur le marché, puisqu'elle disposait des éléments de preuve directe de la collusion que sont, notamment, les comptes rendus de réunions.

298. La Commission conclut en soulignant qu'elle était en droit de qualifier l'infraction constatée en l'espèce, à titre principal, d'accord et, à titre subsidiaire et en tant que de besoin, de pratique concertée.

c) Appréciation du Tribunal

299. Il y a lieu de constater que, contrairement aux affirmations de la requérante, la Commission a qualifié chaque élément de fait retenu à l'encontre de la requérante soit d'accord soit de pratique concertée au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. En effet, il résulte d'une lecture combinée des points 80, deuxième alinéa, 81, troisième alinéa, et 82, premier alinéa, de la décision que la Commission a qualifié, à titre principal, d'"accord" chacun de ces différents éléments.

300. De la même manière, il résulte d'une lecture combinée des points 86, deuxième et troisième alinéas, 87, troisième alinéa, et 88 de la décision que la Commission a qualifié, à titre subsidiaire, de "pratiques concertées" les éléments de l'infraction, lorsque ceux-ci soit ne permettaient pas de conclure que les parties s'étaient entendues au préalable sur un plan commun définissant leur action sur le marché, mais avaient adopté ou s'étaient ralliées à des mécanismes collusoires qui facilitaient la coordination de leurs politiques commerciales; soit ne permettaient pas d'établir, en raison du caractère complexe de l'entente, que certains producteurs avaient exprimé leur consentement formel à une conduite adoptée par les autres, tout en indiquant leur soutien global au plan en question et en agissant en conséquence. Ainsi, la décision conclut qu'à certains égards la coopération et la collusion constantes des producteurs dans la mise en œuvre d'un accord d'ensemble peuvent revêtir certaines caractéristiques propres à une pratique concertée.

301. Le Tribunal constate que, dès lors qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu'il y ait accord, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir les arrêts du 15 juillet 1970, précité, 41-69, point 112, et du 29 octobre 1980, précité, 209-78 à 215-78 et 218-78, point 86), la Commission était en droit de qualifier d'accords, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, les concours de volontés intervenus entre la requérante et d'autres producteurs de polypropylène, qu'elle a établis à suffisance de droit et qui portaient sur des initiatives de prix, des mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix, des objectifs de volumes de vente pour les années 1979 et 1980 et pour la première moitié de l'année 1983, ainsi que sur des mesures de limitation des ventes mensuelles par référence à une période antérieure pour les années 1981 et 1982.

302. En outre, c'est à bon droit que la Commission, ayant établi à suffisance de droit que les effets des initiatives de prix ont continué jusqu'à novembre 1983, a considéré que l'infraction s'est poursuivie jusqu'en novembre 1983 au moins. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'article 85 est également applicable aux accords qui ont cessé d'être en vigueur, mais qui poursuivent leurs effets au-delà de leur cessation formelle (arrêt du 3 juillet 1985, Binon, point 17, 243-83, Rec. p. 2015).

303 En vue de définir la notion de pratique concertée, il y a lieu de se référer à la jurisprudence de la Cour, dont il ressort que les critères de coordination et de coopération qu'elle a posés précédemment doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité CEE relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le Marché commun. Si cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de tenir soi-même sur le marché (arrêt du 16 décembre 1975, précité, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, points 173 et 174).

304. En l'espèce, la requérante a participé à des réunions ayant pour objet la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, réunions au cours desquelles étaient échangées entre concurrents des informations sur les prix qu'ils souhaitaient voir pratiquer sur le marché, sur les prix qu'ils envisageaient de pratiquer, sur leur seuil de rentabilité, sur les limitations des volumes de vente qu'ils jugeaient nécessaires, sur leurs chiffres de vente ou sur l'identité de leurs clients. Par sa participation à ces réunions, elle a pris part, avec ses concurrents, à une concertation ayant pour objet d'influencer leur comportement sur le marché et de dévoiler le comportement que chaque producteur envisageait d'adopter lui-même sur le marché.

305. Ainsi, la requérante a non seulement poursuivi le but d'éliminer par avance l'incertitude relative au comportement futur de ses concurrents, mais elle a nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement, les informations obtenues au cours de ces réunions pour déterminer la politique qu'elle entendait suivre sur le marché. De même, ses concurrents ont nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement, les informations que leur a dévoilées la requérante sur le comportement qu'elle avait décidé ou qu'elle envisageait d'adopter elle-même sur le marché pour déterminer la politique qu'ils entendaient suivre sur le marché.

306. Il s'ensuit que c'est à bon droit que, en raison de leur objet, la Commission a pu qualifier, à titre subsidiaire, de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977, à laquelle a participé la requérante, et les réunions périodiques de producteurs de polypropylène, auxquelles a participé la requérante à partir de l'année 1978 jusqu'en septembre 1983.

307. Quant à la question de savoir si la Commission était en droit de conclure à l'existence d'une infraction unique, qualifiée à l'article 1er de la décision d'"un accord et une pratique concertée", le Tribunal rappelle que les différentes pratiques concertées observées et les différents accords conclus s'inscrivaient, en raison de leur objet identique, dans des systèmes de réunions périodiques, de fixation d'objectifs de prix et de quotas.

308. Il faut souligner que ces systèmes s'inscrivaient dans une série d'efforts des entreprises en cause poursuivant un seul but économique, à savoir fausser l'évolution normale des prix sur le marché du polypropylène. Il serait donc artificiel de subdiviser ce comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes. En effet, la requérante a pris part - pendant des années - à un ensemble intégré de systèmes qui constituent une infraction unique, qui s'est progressivement concrétisée tant par des accords que par des pratiques concertées illicites.

309. Il importe de relever que la Commission était, en outre, en droit de qualifier cette infraction unique d'"un accord et une pratique concertée", dans la mesure où cette infraction comportait à la fois des éléments devant être qualifiés d'"accords" et des éléments devant être qualifiés de "pratiques concertées". En effet, face à une infraction complexe, la double qualification opérée par la Commission à l'article 1er de la décision doit être comprise non comme une qualification exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments de fait présente les éléments constitutifs d'un accord et d'une pratique concertée, mais bien comme désignant un tout complexe comportant des éléments de fait dont certains ont été qualifiés d'accords et d'autres de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d'infraction complexe.

310. Par conséquent, le grief de la requérante doit être rejeté.

B - Effet restrictif sur la concurrence

a) Acte attaqué

311. La décision (point 90, premier et deuxième alinéas) relève que pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, il n'est pas absolument nécessaire, compte tenu de l'objet manifestement anticoncurrentiel de l'accord, de démontrer un effet contraire à la concurrence. Toutefois, en l'espèce, tout indiquerait que l'accord a bien eu un effet sensible sur les conditions de la concurrence.

b) Arguments des parties

312. La requérante fait valoir que sa politique commerciale, tant en ce qui concerne les prix que les volumes de vente, a été tout à fait indépendante du contenu des réunions auxquelles elle a participé. Elle se réfère à cet égard à un audit effectué par un cabinet d'experts-comptables indépendant, Coopers et Lybrand (ci-après "audit Coopers et Lybrand"), ainsi qu'à une étude économétrique relative au marché allemand réalisée par le professeur Albach, de l'université de Bonn, qui démontreraient que les réunions n'ont exercé aucune influence sur le marché et qu'elles n'ont causé aucun préjudice aux clients.

313. La Commission répond que l'objet anticoncurrentiel des accords et pratiques concertées qui constituent l'infraction est en tout cas établi et qu'il n'est, dès lors, pas nécessaire de démontrer que ceux-ci ont eu un effet restrictif sur la concurrence. Pour le surplus, elle renvoie au texte de la décision.

c) Appréciation du Tribunal

314. Le Tribunal constate que l'argumentation de la requérante tend, en substance, à démontrer que sa participation aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène ne tombait pas sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, dans la mesure où tant son propre comportement sur le marché que celui des autres producteurs attesteraient que cette participation était dépourvue d'effet anticoncurrentiel.

315. L' article 85, paragraphe 1, du traité CEE interdit, comme étant incompatibles avec le Marché commun, tous accords entre entreprises ou pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction et à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.

316. Le Tribunal rappelle qu'il résulte de ses appréciations relatives aux constatations de fait opérées par la Commission que les réunions périodiques auxquelles la requérante a participé avec des concurrents avaient pour objet de restreindre la concurrence à l'intérieur du Marché commun, notamment par la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, et que, par conséquent, sa participation à ces réunions n'était pas dépourvue d'objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

317. Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

3. Conclusion

318. Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des griefs de la requérante relatifs aux constatations de fait et à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, opérées par la Commission dans l'acte attaqué doit être rejeté.

Sur la motivation

319. La requérante fait valoir que, en vertu de l'article 190 du traité CEE, la Commission est tenue de motiver ses décisions. Cette obligation servirait à la fois à la protection de la personne concernée et à la bonne administration de la justice (arrêt de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18-57, Rec. p. 88). Ainsi, la motivation devrait, en vue de permettre au juge communautaire d'exercer pleinement son contrôle, comporter une indication détaillée et précise des considérations de fait et de droit qui ont conduit à son adoption. Elle reconnaît que si la Commission n'est certes pas tenue de discuter chaque argument des parties, elle doit toutefois exposer clairement pourquoi elle considère que des objections fondées et pertinentes ne doivent pas être retenues.

320. En l'espèce, elle considère que la Commission a contrevenu à son obligation de motivation en passant outre à l'ensemble de l'exposé des faits présenté par la requérante et les autres entreprises, qui prouvait, au moyen d'expertises complètes et inattaquables, que les prétendus accords ou pratiques concertées n'ont pas eu d'effet sensible sur l'évolution du marché. Ainsi, la Commission se serait dispensée de réfuter l'expertise du professeur Albach, qui, portant sur le marché allemand sur lequel opérait la requérante, constituerait un élément d'information important, tout comme elle aurait omis de réfuter l'audit Coopers et Lybrand.

321. La requérante estime que, puisque la Commission s'est fondée dans la décision sur des conclusions opposées, elle ne peut pas avoir estimé que les résultats de cet audit étaient indifférents. Elle aurait donc dû les analyser dans le cadre de l'appréciation des preuves et exposer sur la base de quelles constatations de fait elle estimait pouvoir les réfuter.

322. Elle fait encore grief à la Commission de ne pas avoir répondu aux arguments tirés de la situation spécifique de Linz. A cet égard, elle souligne que la référence faite à Linz par la Commission au point 95 de la décision est totalement insuffisante.

323. La Commission répond, tout d'abord, qu'elle n'a pas l'obligation de discuter chaque argument des parties ni de répliquer à chacune des expertises présentées par celles-ci au moyen d'une contre-argumentation aussi détaillée, dès lors que les aspects couverts par certaines de ces expertises ne sont pas pertinents pour la solution du litige (arrêt de la Cour du 4 juillet 1963, Allemagne/Commission, 24-62, Rec. p. 131, 155).

324. Elle estime qu'elle a toutefois indiqué les raisons pour lesquelles elle considérait que l'audit Coopers et Lybrand ayant trait aux répercussions de l'entente sur le marché est dépourvu de pertinence dans le cadre de l'établissement d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

325. La Commission estime qu'elle a, dans la décision (points 72 et 73), suffisamment exprimé son point de vue sur l'étude du professeur Albach, dont elle souligne qu'elle ne concernait que le marché allemand et qu'elle n'a pas été commanditée par la requérante.

326. Enfin, elle considère avoir parfaitement pris en considération dans la décision la particularité de la situation de la requérante, qui tient uniquement au fait que son siège social est situé en dehors de la Communauté (décision, point 95).

327. La Commission conclut que la décision est suffisamment motivée.

328. Le Tribunal rappelle qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour (voir notamment les arrêts du 29 octobre 1980, précité, 209-78 à 215-78 et 218-78, point 66, et du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie/Commission, point 88, 240-82 à 242-82, 261-82, 262-82, 268-82 et 269-82, Rec. p. 3831) que si, en vertu de l'article 190 du traité CEE, la Commission est tenue de motiver ses décisions, en mentionnant les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé au cours de la procédure administrative. Il s'ensuit que la Commission n'est pas tenue de répondre à ceux de ces points qui lui semblent dénués de toute pertinence.

329. Le Tribunal constate qu'il résulte de ses appréciations quant aux constatations de fait et à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE opérées par la Commission dans l'acte attaqué que la Commission a parfaitement pris en compte les arguments de la requérante relatifs aux effets de l'entente sur le marché et qu'elle a exposé de manière concluante dans la décision (points 72 à 74 et 89 à 92) les raisons qui l'avaient amenée à considérer que les conclusions que la requérante tirait de l'audit Coopers et Lybrand et de l'étude du professeur Albach étaient mal fondées.

330. En outre, c'est à bon droit que la Commission a considéré que la seule particularité de la situation de la requérante qui nécessitait une réponse spécifique dans la décision est que son siège social se trouve en dehors de la Communauté. Le Tribunal considère que la décision, en son point 95, a répondu de manière suffisante et concluante aux arguments de la requérante tirés de sa situation spécifique. De plus, celle-ci n'a pas indiqué en quoi cette réponse serait insuffisante.

331. Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

Sur l'amende

332. La requérante reproche à la décision d'avoir violé l'article 15 du règlement n° 17 en n'ayant pas adéquatement apprécié la durée et la gravité de l'infraction retenue à son encontre.

1. La prescription

333. La requérante souligne que, si les vérifications de la Commission ont commencé le 13 octobre 1983, les éventuelles infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE commises avant le 13 octobre 1978 sont couvertes par la prescription. Ce serait seulement pour échapper à la prescription que la Commission prétend à tort qu'il y aurait eu un seul accord continu caractérisé par un accord-cadre conclu en 1977.

334. La Commission fait valoir qu'on se trouve en présence d'une infraction continue pour laquelle la prescription ne commence à courir qu'à partir du jour où l'infraction a pris fin.

335. Le Tribunal constate que, aux termes de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2988-74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d'exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L. 319, p. 1, ci-après "règlement n° 2988-74"), la prescription quinquennale du pouvoir de la Commission de prononcer des amendes ne court qu'à compter du jour où l'infraction a pris fin pour les infractions continues ou continuées.

336. En l'espèce, il résulte des appréciations du Tribunal relatives à l'établissement de l'infraction que la requérante a participé, sans interruption, à une infraction unique et continue à partir du mois de novembre 1977 jusqu'au mois de novembre 1983.

337. Par conséquent, la requérante ne peut se prévaloir de la prescription des amendes.

2. La durée de l'infraction

338. La requérante fait valoir, tout d'abord, qu'aucune participation de Linz à l'infraction avant 1981 n'a pu être prouvée par la Commission et que, pour la période ultérieure, seules les périodes couvertes par des initiatives de prix particulières pourraient être retenues. Ainsi, la durée de l'infraction devrait être sensiblement réduite.

339. La Commission soutient que la durée relativement longue de l'infraction établie dans le chef de la requérante justifie de lourdes sanctions.

340. Elle considère que l'infraction s'est poursuivie même lorsque ses effets sur le marché ne se faisaient pas sentir et que, dès lors, il n'y a pas lieu, pour déterminer la durée de l'infraction, de se limiter à la durée des différentes initiatives de prix.

341. Le Tribunal rappelle qu'il a constaté que la Commission a correctement apprécié la période pendant laquelle la requérante a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

342. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté.

3. La gravité de l'infraction

A - Le rôle joué par la requérante

343. La requérante conteste avoir pris part aux infractions décrites dans la décision et estime que si le Tribunal devait considérer qu'elle a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, cette infraction n'était pas consciente, contrairement aux affirmations de la Commission. A aucun moment, Linz n'aurait été consciente qu'une participation à des réunions en vue de s'informer et d'accroître la transparence du marché tombait sous le coup de l'article 85 du traité CEE, puisque ce serait sur la base d'une acception nouvelle de la notion de pratique concertée que la Commission aurait constaté une infraction à son encontre. A cet égard, elle fait valoir qu'un tel comportement n'est pas répréhensible en Autriche, pays où elle a son siège et que, par conséquent, eu égard à ses possibilités limitées de s'informer sur le droit communautaire de la concurrence, elle ignorait que son comportement était illégal et qu'elle encourait de ce fait des amendes importantes.

344. Lors de l'audience, la requérante a insisté sur le fait que Linz est une entreprise d'État de petite taille qui avait d'énormes besoins d'information et dont le personnel, qui avait un profil de fonctionnaires, ignorait totalement que la simple participation à des réunions de producteurs de polypropylène pouvait être répréhensible au titre du droit de la concurrence.

345. Par ailleurs, elle estime que c'est à tort que la Commission a considéré comme circonstance aggravante le fait que les réunions se soient tenues dans le plus grand secret. Elle souligne qu'elle n'a pris aucune mesure pour préserver le secret des réunions et que les clients étaient au courant de ces réunions. La requérante se demande, au demeurant, s'il y a lieu de considérer comme une circonstance aggravante le fait de tenir secrète une infraction.

346. La Commission relève, de son côté, que la requérante n'ignorait pas que les réunions n'avaient pas pour seul objet un échange d'informations et qu'elle savait que des décisions y étaient prises.

347. Elle estime que la requérante ne peut pas davantage se prévaloir de sa prétendue ignorance du droit communautaire de la concurrence en se fondant sur l'argument tiré de ce que son siège se trouve en dehors de la Communauté. La Commission relève, d'ailleurs, que les ententes horizontales sur les prix constituent une infraction classique au droit de la concurrence partout où un tel droit existe.

348. La Commission rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour (arrêts du 1er février 1978, Miller/Commission, point 18, 19-77, Rec. p. 131, et du 8 novembre 1983, IAZ/Commission, point 45, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369), le fait de ne pas avoir conscience d'enfreindre l'article 85 du traité CEE serait sans importance, dès lors que la requérante était consciente de ce que son comportement avait pour objet de restreindre la concurrence.

349. Par ailleurs, elle considère que le caractère secret des réunions est un indice du caractère intentionnel du comportement des participants. Elle expose que si les participants n'avaient pas été conscients du caractère délictueux de leur comportement, ils n'auraient pas eu besoin de prendre certaines précautions, comme l'inscription de la mention "personal - no copy to file" ("personnel - n'archiver aucune copie") sur différents documents afférents aux réunions. Elle relève, en outre, qu'en refusant de répondre à la demande de renseignements que lui avait adressée la Commission la requérante n'a pas contribué à lever le voile couvrant les réunions. Enfin, elle estime que le caractère secret de l'entente constitue un de ses aspects que la requérante doit assumer comme les autres.

350. Le Tribunal constate que les faits qui ont été établis révèlent par leur gravité intrinsèque - notamment la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente - que la requérante n'a pas agi par imprudence ni même par négligence, mais qu'elle a agi de propos délibéré. A cet égard, il convient de souligner spécialement le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, en particulier sous a), b) et c), du traité CEE que les producteurs de polypropylène, même établis en dehors de la Communauté, n'ignoraient pas. Il y a lieu de relever que, en tout état de cause, même si la requérante n'avait pas été consciente d'enfreindre l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, elle ne pourrait échapper à sa responsabilité. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu'une infraction aux règles de concurrence du traité puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre ces règles, il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que sa conduite avait pour objet de restreindre la concurrence (arrêts du 11 juillet 1989, Belasco/Commission, point 41, 246-86, Rec. p. 2117, et du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission, 279-87, Rec. p. I-261). Vu l'objet des réunions en cause, tel a manifestement dû être le cas en l'espèce.

351. Par ailleurs, il convient de rejeter catégoriquement l'argument de la requérante relatif à la circulation de l'information, parce que, s'il devait être retenu, il aboutirait à vider les dispositions du traité CEE relatives à la concurrence de tout effet utile.

352. Par conséquent, le grief doit être rejeté.

B - L' absence d'individualisation des critères de fixation des amendes

353. La requérante reconnaît que la Commission dispose d'une marge d'appréciation pour fixer les amendes, mais elle estime qu'elle doit l'utiliser avec prudence et équité sous peine de porter atteinte au principe de la sécurité juridique et d'infliger des amendes arbitraires. Elle relève que les amendes infligées par la décision sont infiniment supérieures à celles qui ont été infligées antérieurement par la Commission, sans que celle-ci ait justifié cette brusque augmentation des amendes.

354. Elle souligne, en outre, que la Commission aurait dû faire apparaître le poids qu'elle a accordé à chacun des facteurs dont elle a tenu compte pour la détermination du montant de l'amende, et ce vis-à-vis de chacune des entreprises. En omettant d'individualiser les facteurs pris en considération pour la fixation des amendes, la Commission rendrait impossible la reconstitution de la manière dont elle a fixé les amendes pour chaque entreprise, ce qui conduirait à l'arbitraire.

355. La requérante soutient que, en agissant comme elle l'a fait et en justifiant cette manière de procéder par la nécessité pour les amendes d'avoir un effet dissuasif, la Commission semble adopter une politique de "dissuasion par l'arbitraire". Elle indique que, s'il est vrai que l'administration et le juge doivent bénéficier d'un pouvoir d'appréciation dans la fixation des amendes, leur action doit être en principe prévisible et à chaque infraction devrait correspondre une peine adéquate, sauf à renoncer à l'idée même d'un État de droit. Ainsi, la requérante affirme que l'effet dissuasif des amendes peut être obtenu par une indication claire du montant de l'amende encourue.

356. La Commission relève que, en infligeant des sanctions dans la présente affaire, elle a agi conformément à sa politique bien établie et aux principes énoncés par la Cour en matière d'amendes. Elle souligne que, dès 1979, elle s'est engagée dans une politique consistant à faire respecter les règles de concurrence en infligeant des sanctions plus lourdes, en particulier pour les catégories d'infractions bien établies en droit de la concurrence et pour les infractions particulièrement graves, comme c'est le cas en l'espèce, de manière notamment à accroître l'effet dissuasif des sanctions. Cette politique aurait été approuvée par la Cour (arrêts du 7 juin 1983, précité, 100-80 à 103-80, points 106 et 109), qui aurait également admis, à plusieurs reprises, que la fixation des sanctions implique l'appréciation d'un ensemble complexe de facteurs (arrêt du 7 juin 1983, précité, 100-80 à 103-80, point 120, et du 8 novembre 1983, précité, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, point 52).

357. La Commission serait particulièrement qualifiée pour se livrer à une telle appréciation, qui ne pourrait être infirmée qu'en cas d'erreur significative de fait ou de droit. En outre, la Cour aurait confirmé que la Commission peut évaluer différemment, selon les affaires, les sanctions qu'elle juge nécessaires, même si les affaires en question comportent des situations comparables (arrêts du 12 juillet 1979, BMW Belgium/Commission, point 53, 32-78, 36-78 à 82-78, Rec. p. 2435, et du 9 novembre 1983, précité, 322-81, points 111 et suiv.).

358. En l'espèce, la Commission fait encore valoir qu'elle a déterminé le montant des amendes en tenant compte d'observations d'ordre général, décrites au point 108 de la décision, et d'observations d'ordre spécifique, décrites au point 109 de la décision. Les premières auraient joué un rôle dans la fixation d'un plafond global pour l'amende, les secondes auraient permis à la Commission de répartir cette amende équitablement et proportionnellement entre les divers producteurs concernés. Par leur nature même, les considérations d'ordre général ne devaient pas être individualisées. Au demeurant, rappelle la Commission, elle a tenu compte des éléments avancés à cet égard par Linz. Quant aux considérations d'ordre spécifique, la Commission estime avoir déjà répondu aux arguments avancés par Linz. Cette manière de procéder aurait été approuvée par la Cour (arrêt du 15 juillet 1970, Boehringer Mannheim/Commission, point 55, 45-69, Rec. p. 769).

359. La Commission expose qu'elle a motivé en détail les amendes qu'elle a infligées aux différentes entreprises en indiquant les circonstances tant atténuantes qu'aggravantes qu'elle a prises en compte. Elle ajoute qu'elle n'a pas à établir une classification mathématique des éléments à charge et à décharge, sous peine de faire perdre aux amendes leur caractère dissuasif. Ainsi, le pouvoir d'appréciation de la Commission ne devrait pas pouvoir être contrôlé par le biais d'une opération mathématique, sans quoi les entreprises incluraient à l'avance le montant de l'amende éventuelle dans le calcul de la rentabilité de leurs projets d'ententes. La Commission se défend de fixer le montant des amendes de manière arbitraire et de manquer aux obligations inhérentes à un État de droit.

360. Le Tribunal constate que, pour déterminer le montant de l'amende infligée à la requérante, la Commission a, d'une part, défini les critères destinés à fixer le niveau général des amendes infligées aux entreprises destinataires de la décision (point 108) et a, d'autre part, défini les critères destinés à pondérer équitablement les amendes infligées à chacune de ces entreprises (décision, point 109).

361. Le Tribunal considère que les critères repris au point 108 de la décision justifient amplement le niveau général des amendes infligées aux entreprises destinataires de la décision. A cet égard, il rappelle le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, en particulier sous a), b) et c), du traité CEE, que n'ignoraient pas les producteurs de polypropylène, lesquels ont agi de propos délibéré et dans le plus grand secret.

362. Le Tribunal considère également que les quatre critères mentionnés au point 109 de la décision sont pertinents et suffisants en vue d'arriver à une pondération équitable des amendes infligées à chaque entreprise.

363. En ce qui concerne les deux premiers critères, mentionnés au point 109 de la décision, que sont le rôle joué par chacune des entreprises dans les arrangements collusoires ainsi que le laps de temps pendant lequel elles ont participé à l'infraction, il y a lieu de rappeler que les motifs relatifs à la détermination du montant de l'amende devant être interprétés à la lumière de l'ensemble des motifs de la décision, la Commission a suffisamment individualisé à l'égard de la requérante la prise en compte de ces critères.

364. En ce qui concerne les deux derniers critères que constituent les livraisons respectives des différents producteurs de polypropylène dans la Communauté ainsi que le chiffre d'affaires total de chacune des entreprises, le Tribunal constate, sur la base des chiffres qu'il a demandés à la Commission et dont la requérante n'a pas contesté l'exactitude, que ces critères n'ont pas été appliqués de façon inéquitable lors de la détermination de l'amende infligée à la requérante par rapport aux amendes infligées à d'autres producteurs.

365. Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.

C - La délimitation du marché en cause

366. La requérante rappelle que les comportements dénoncés dans la décision ne portaient que sur les qualités de base de polypropylène et sur les "commodities". Or, les qualités spéciales auraient constitué la majorité de la production de la requérante. Ainsi, la part de marché de la requérante prise en compte afin de fixer l'amende aurait-elle été nettement exagérée.

367. Elle expose, en outre, que la Commission s'est fondée sur sa part de marché en Europe occidentale et non dans la Communauté pour fixer le montant de l'amende, ce qui aurait conduit également à une exagération de sa part de marché, puisque, Linz étant installée en dehors de la Communauté, l'essentiel de ses livraisons n'était pas destiné au marché communautaire.

368. La Commission rappelle que l'entente portait aussi bien sur les qualités spéciales que sur les qualités de base et que, dès lors, elle a, de ce point de vue, correctement apprécié la part de marché de la requérante.

369. Elle ajoute que, ainsi qu'elle l'a indiqué au point 109 de la décision, elle a tenu compte, pour fixer le montant de l'amende, des livraisons de la requérante dans la Communauté et non en Europe occidentale, ce qu'attestaient également la différence entre les tableaux 1 et 2 de la décision et le fait que Linz s'est vu infliger une amende inférieure à celle d'ATO, alors que par rapport au marché d'Europe occidentale, Linz a une part de marché plus importante.

370. Le Tribunal constate que l'infraction ayant porté sur l'ensemble des qualités du polypropylène, c'est à bon droit que la Commission s'est fondée sur la part de marché de la requérante toutes qualités confondues pour fixer le montant de l'amende qu'elle lui a infligée.

371. Il y a lieu de relever, en outre, que le tableau 1 de la décision, qui reprend les parts de marché des différents producteurs en Europe occidentale, n'a pas servi de base au calcul des amendes infligées aux différentes entreprises destinataires de la décision. En effet, ni le point 108 ni le point 109 de la décision ne se réfèrent aux "parts de marché en Europe occidentale (par producteur)". En effet, la Commission s'est référée, au point 109 de la décision, à la taille des entreprises sur le marché communautaire du polypropylène en énumérant, parmi les critères destinés à pondérer équitablement l'amende infligée à chacune des entreprises, leurs livraisons respectives de polypropylène dans la Communauté.

372. Par ailleurs, il résulte d'une comparaison de l'amende infligée à la requérante avec celles infligées aux autres producteurs que c'est bien sur la part de marché de la requérante dans la Communauté et non en Europe occidentale que la Commission s'est fondée pour déterminer le montant de l'amende infligée à la requérante.

373. Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.

D - La prise en compte de la situation déficitaire du marché

374. La requérante soutient que la Commission a omis de tenir compte des pertes considérables subies par le secteur du polypropylène, perdant également de vue que les résultats catastrophiques enregistrés par les producteurs étaient la conséquence d'une concurrence acharnée, qui a eu pour conséquence que les prix du polypropylène en Europe occidentale étaient probablement les plus bas du monde.

375. Elle conteste que le marché du polypropylène ait été en extension rapide, comme l'indique la Commission dans la décision (point 108). En réalité, contre toute attente, le marché du polypropylène n'aurait pas connu l'expansion attendue en raison d'un tassement important de l'évolution des besoins. Par conséquent, ce serait à tort que la Commission aurait retenu cette évolution favorable du marché comme circonstance aggravante et qu'elle évoquerait un secteur "caractérisé soit par une faible rentabilité soit par des pertes substantielles". Or, ce secteur n'aurait jamais connu de rentabilité, même faible. Linz, pour sa part, aurait subi des pertes substantielles pendant toute la période couverte par la prétendue infraction.

376. La Commission fait remarquer, de son côté, qu'elle a admis, pour modérer le montant des amendes, que les entreprises concernées ont subi des pertes substantielles dans l'exploitation du secteur du polypropylène pendant une très longue période, bien qu'elle considère qu'elle n'avait pas l'obligation d'en tenir compte.

377. En ce qui concerne les pertes et l'évolution désastreuse des prix, la Commission affirme que les comptes rendus des réunions eux-mêmes révèlent une amélioration sensible de la situation de la demande à partir de 1982. Celle-ci aurait amené Solvay à proposer de mettre fin aux réunions devenues inutiles (g.g. ann. 24). Il serait donc faux de prétendre qu'il y a eu un déséquilibre entre l'offre et la demande sur le marché du polypropylène pendant toute la période où des réunions ont eu lieu. Si Linz a connu des pertes pendant toute cette période, ce ne serait pas uniquement en raison de la mauvaise situation du marché.

378. Le Tribunal constate que, contrairement aux affirmations de la requérante, la Commission a indiqué explicitement au point 108, dernier tiret, de la décision qu'elle a tenu compte du fait que les entreprises ont subi des pertes substantielles dans l'exploitation de leur secteur polypropylène pendant une très longue période, ce qui indique non seulement que la Commission a tenu compte des pertes, mais également qu'elle a, de ce fait, tenu compte des conditions économiques défavorables du secteur (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, précité, 322-81, point 111 et suiv.) en vue de déterminer, eu égard également aux autres critères mentionnés au point 108, le niveau général des amendes à imposer aux entreprises contrevenantes.

379. Par ailleurs, le fait que la Commission a estimé par le passé que, au vu des circonstances de fait, il y avait lieu de tenir compte de la situation de crise dans laquelle se trouvait le secteur économique en cause ne saurait la contraindre à tenir compte de la même façon d'une telle situation dans la présente espèce, dès lors qu'il a été établi à suffisance de droit que les entreprises auxquelles la décision est adressée ont commis une infraction particulièrement grave aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

380. Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

E - La prise en compte des effets de l'infraction

381. La requérante fait valoir que les comportements dont la décision lui fait grief n'ont eu aucune conséquence ou, en tout cas, aucune conséquence sensible sur la situation du marché et qu'elle n'aurait fait subir aucun préjudice aux clients. Elle rappelle qu'elle a produit plusieurs études, comme l'audit Coopers et Lybrand et les études du professeur Albach, établissant de manière irréfutable que ni les initiatives de prix, ni les mesures destinées à faciliter la mise en œuvre de celles-ci, ni les quotas allégués n'ont eu le moindre effet sur le marché. Elle estime que ces éléments devraient être pris en compte pour apprécier la gravité de l'infraction et le montant des amendes. Au lieu de cela, la Commission aurait considéré, pour la fixation de l'amende, que l'entente alléguée aurait atteint son but pour l'essentiel (décision, point 108).

382. La Commission est d'avis que les protestations de Linz quant à l'absence d'effet de l'entente sont sans portée. D'une part, l'entente aurait eu un effet réel sur les prix. D'autre part, la Commission aurait tenu compte, pour évaluer le montant des amendes, du fait que les initiatives de prix n'ont généralement pas atteint pleinement leur but (décision, point 108). Ce faisant, elle serait d'ailleurs déjà allée au-delà de ce qu'elle était obligée de faire, puisque doivent être condamnées au titre de l'article 85 non seulement les ententes qui ont pour effet de faire obstacle à la concurrence, mais aussi celles qui ont un tel objet.

383. Le Tribunal constate que la Commission a distingué deux types d'effets de l'infraction. Le premier consiste dans le fait que, après avoir convenu des prix-cibles au cours des réunions, les producteurs ont tous invité leurs services de vente à réaliser ce niveau de prix, les "cibles" servant ainsi de base à la négociation des prix avec les clients. Cela a permis à la Commission de conclure qu'en l'espèce tout indique que l'accord a bien eu un effet sensible sur les conditions de la concurrence (décision, point 74, deuxième alinéa, renvoyant au point 90). Le second consiste dans le fait que l'évolution des prix facturés aux divers clients, comparée aux objectifs de prix fixés au cours d'initiatives de prix déterminées, concorde avec le compte rendu de la mise en œuvre des initiatives de prix, tel qu'il ressort des documents découverts chez ICI et chez d'autres producteurs (décision, point 74, sixième alinéa).

384. Il y a lieu de relever que le premier type d'effets a été établi à suffisance de droit par la Commission, à partir des nombreuses instructions de prix données par les différents producteurs, instructions qui concordent entre elles ainsi qu'avec les objectifs de prix fixés lors des réunions, lesquelles étaient manifestement destinées à servir de base pour négocier les prix avec les clients.

385. En ce qui concerne le second type d'effets, il y a lieu de relever, d'une part, que la Commission n'avait pas de raison de douter de l'exactitude des analyses effectuées par les producteurs eux-mêmes au cours de leurs réunions (voir notamment les comptes rendus des réunions du 21 septembre, 6 octobre, 2 novembre et 2 décembre 1982, g.g. ann. 30 à 33), qui montrent que les objectifs de prix définis au cours des réunions étaient dans une large mesure traduits sur le marché, et, d'autre part, que si l'audit Coopers et Lybrand ainsi que les études économiques réalisées à la demande de certains producteurs devaient permettre d'établir le caractère erroné des analyses effectuées par les producteurs eux-mêmes au cours de leurs réunions, cette constatation ne serait pas de nature à conduire à une réduction de l'amende, dans la mesure où la Commission a indiqué au point 108, dernier tiret, de la décision, qu'elle s'était fondée, pour modérer le montant des peines, sur le fait que les initiatives en matière de prix n'avaient généralement pas atteint pleinement leur but et qu'il n'existait, finalement, aucune mesure de contrainte susceptible d'assurer le respect des quotas ou d'autres arrangements.

386. Les motifs de la décision relatifs à la détermination du montant des amendes devant être lus à la lumière des autres motifs de la décision, il convient de considérer que la Commission a, à juste titre, entièrement pris en compte le premier type d'effets et qu'elle a tenu compte du caractère limité du second type d'effets. A cet égard, il y a lieu de relever que la requérante n'a pas indiqué dans quelle mesure cette prise en compte du caractère limité de ce second type d'effets pour modérer le montant des amendes aurait été insuffisante.

387. Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.

F - L' accord ou la pratique concertée

388. La requérante fait valoir que les pratiques concertées sont, sur le plan de la politique de concurrence, beaucoup moins dangereuses et donc moins graves que les accords qui lient juridiquement ou moralement les parties et engendrent des distorsions de concurrence beaucoup plus importantes que les pratiques concertées. Eu égard au fait que la Commission n'aurait pu établir l'existence d'accords, le comportement de la requérante devrait être qualifié de pratique concertée et n'aurait donc pas la gravité alléguée.

389. La Commission conteste l'affirmation de la requérante selon laquelle il y a une différence de gravité intrinsèque entre les accords et les pratiques concertées. Selon la Commission, le degré d'illégalité d'une entente, et donc sa gravité, dépend de son contenu et non de sa forme juridique. Il serait, en effet, parfaitement concevable qu'une pratique concertée puisse avoir sur la concurrence des effets infiniment plus nocifs qu'un accord.

390. Le Tribunal rappelle qu'il résulte de ses appréciations relatives à l'établissement de l'infraction qu'il a considéré que c'était à bon droit que la Commission avait qualifié l'infraction constatée d'"un accord et une pratique concertée", dans la mesure où les éléments de fait constatés ont révélé que les différents accords conclus et les différentes pratiques concertées observées s'inscrivaient dans un schéma unique auquel la requérante a adhéré à travers sa participation à ces accords et pratiques concertées. Il s'ensuit que c'est de cette qualification correcte de l'infraction qu'est partie la Commission pour opérer le calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante.

391. Par conséquent, ce grief ne saurait être accueilli.

392. Il résulte de tout ce qui précède que l'amende infligée à la requérante est adéquate à la durée et à la gravité de la violation des règles de concurrence communautaires constatée à l'encontre de la requérante.

Sur la réouverture de la procédure orale

393. Par mémoire séparé du 28 février 1992, la requérante a demandé que la procédure orale soit réouverte en vue de procéder à des mesures d'instruction. Elle a fait valoir que, dans son arrêt du 27 février 1992, BASF ea/Commission (T-79-89, T-84-89 à T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-102-89 et T-104-89, Rec. p. II-0000, ci-après "PVC"), le Tribunal de première instance a constaté que les décisions de la défenderesse dans les procédures PVC sont inexistantes. La requérante n'était pas partie dans cette affaire. Elle a cependant appris que les agents de la Commission auraient déclaré, au cours de l'audience dans cette affaire, que la Commission procède toujours de la même façon qu'elle l'a fait dans les affaires PVC. Il serait, en conséquence, hautement probable que la décision attaquée soit également inexistante. La requérante déclare soulever expressément ce moyen qui, au demeurant, devrait être examiné d'office. Seul l'examen de l'original, à produire par la Commission, permettrait de conclure si la Commission, en l'espèce également, a apporté des modifications a posteriori à la décision. La requérante se réserve de développer des moyens en conséquence.

394. Après avoir entendu à nouveau l'Avocat général, le Tribunal considère qu'il n'y a pas lieu d'ordonner, conformément à l'article 62 de son règlement de procédure, la réouverture de la procédure orale ni de procéder à des mesures d'instruction.

395. Il convient, tout d'abord, de relever que l'arrêt du 27 février 1992, précité, ne justifie pas en soi une réouverture de la procédure orale dans la présente affaire. En outre, la requérante n'a pas, dans la présente affaire, jusqu'à la fin de la procédure orale, fait valoir, même sous forme d'allusion, que la décision attaquée serait inexistante en raison des vices qui ont été constatés dans l'arrêt du 27 février 1992, précité. Il y a donc déjà lieu de se demander si la requérante a suffisamment justifié la raison pour laquelle elle ne s'est pas prévalue plus tôt de ces prétendus vices, qui, en tout état de cause, devraient avoir été antérieurs à l'introduction du recours. Même s'il appartient au juge communautaire d'examiner d'office, dans le cadre d'un recours en annulation au titre de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, la question de l'existence de l'acte attaqué, cela ne signifie toutefois pas que, dans chaque recours fondé sur l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, il y ait lieu de procéder d'office à des investigations concernant une éventuelle inexistence de l'acte attaqué. Ce n'est que dans la mesure où les parties avancent des indices suffisants pour suggérer une inexistence de l'acte attaqué que le juge est tenu de vérifier cette question d'office. En l'espèce, l'argumentation développée par la requérante ne fournit pas d'indices suffisants pour suggérer une telle inexistence de la décision. Il résulterait de la déclaration faite par les agents de la Commission au cours de l'audience dans les affaires jointes T-79-89, T-84-89 à T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89 à T-96-89, T-102-89 à T-104-89, sur laquelle s'est appuyée la requérante, qu'un original dûment signé de la décision attaqué ferait également défaut dans la présente affaire. Ce prétendu vice, à supposer qu'il existe, ne conduirait cependant pas à lui seul à l'inexistence de la décision attaquée. La requérante n'a, en effet, fourni aucun indice de nature à expliquer pourquoi la Commission aurait apporté des modifications a posteriori à la décision en 1986, c'est-à-dire dans une situation normale se distinguant sensiblement des circonstances particulières de la procédure PVC, caractérisées par le fait que la Commission parvenait, en janvier 1989, à l'expiration de son mandat. Le fait de se réserver de développer des moyens y relatifs ne suffit pas à cet égard. Dans ces conditions, rien ne permet de penser qu'une violation du principe de l'intangibilité de l'acte adopté serait intervenue après l'adoption de la décision attaquée et que celle-ci aurait ainsi perdu, au bénéfice de la requérante, la présomption de légalité dont elle bénéficiait de par son apparence. La seule circonstance qu'un original dûment authentifié fasse défaut n'entraîne donc pas, à elle seule, l'inexistence de l'acte attaqué. Il n'y a donc pas lieu de rouvrir la procédure orale afin de procéder à de nouvelles mesures d'instruction. Dans la mesure où l'argumentation de la requérante ne pourrait justifier une demande en révision, il n'y avait pas lieu de donner suite à sa suggestion de rouvrir la procédure orale.

Sur les dépens

396. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens