TPICE, 1re ch., 10 mars 1992, n° T-14/89
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Montedipe (SpA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Avocat général :
M. Vesterdorf
Juges :
MM. Schintgen, Edward, Kirschner, Lenaerts
Avocats :
Mes Celona, Ferrari, Aghina, Capelli, Margue.
LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (première chambre),
Les faits à l'origine du recours
1 La présente affaire concerne une décision de la Commission infligeant à quinze producteurs de polypropylène une amende pour avoir violé l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Le produit faisant l'objet de la décision attaquée (ci-après "décision") est l'un des principaux polymères thermoplastiques bruts. Le polypropylène est vendu par les producteurs aux transformateurs, qui le convertissent en produits finis ou semi-finis. Les principaux producteurs de polypropylène ont une gamme de plus de cent qualités différentes, recouvrant un vaste éventail d'utilisations finales. Les principales qualités de base de polypropylène ont pour noms raphia, homopolymère pour moulage par injection, copolymère pour moulage par injection, copolymère high impact et film. Les entreprises destinataires de la décision sont toutes d'importants fabricants de produits pétrochimiques.
2 Le marché du polypropylène ouest-européen est approvisionné presque exclusivement à partir d'unités de production installées en Europe. Avant 1977, ce marché était approvisionné par dix producteurs, à savoir Montedison (devenue Montepolimeri SpA, elle-même devenue ensuite Montedipe SpA), Hoechst AG, Imperial Chemical Industries plc et Shell International Chemical Company Ltd (appelés les "quatre grands"), représentant ensemble 64 % du marché, Enichem Anic SpA en Italie, Rhône-Poulenc SA en France, Alcudia en Espagne, Chemische Werke Hüls et BASF AG en Allemagne et Chemie Linz AG en Autriche. A la suite de l'expiration des brevets de contrôle détenus par Montedison, sept nouveaux producteurs sont apparus en Europe occidentale en 1977 : Amoco et Hercules Chemicals NV en Belgique, ATO Chimie SA et Solvay et Cie SA en France, SIR en Italie, DSM NV aux Pays-Bas et Taqsa en Espagne. Saga Petrokjemi AS et Cie, producteur norvégien, a commencé ses activités au milieu de l'année 1978 et Petrofina SA en 1980. Cette arrivée de nouveaux producteurs ayant une capacité nominale de quelque 480 000 tonnes, a entraîné une augmentation substantielle de la capacité de production en Europe occidentale, qui, pendant plusieurs années, n'a pas été suivie par un accroissement correspondant de la demande, ce qui a eu pour conséquence une faible utilisation des capacités de production, qui se serait cependant redressée progressivement entre 1977 et 1983, passant de 60 % à 90 %. Selon la décision, l'offre et la demande se seraient retrouvées plus ou moins en équilibre à partir de 1982. Toutefois, pendant la plus grande partie de la période de référence (1977-1983), le marché du polypropylène se serait caractérisé soit par une faible rentabilité soit par des pertes substantielles, en raison, notamment, de l'importance des coûts fixes et de l'augmentation du coût de la matière première, le propylène. Selon la décision (point 8), en 1983, Montepolimeri SpA détenait, après avoir repris l'affaire d'Enichem Anic SpA, 18 % du marché européen du polypropylène, Imperial Chemical Industries plc, Shell International Chemical Company Ltd et Hoechst AG en auraient détenu chacun 11 %, Hercules Chemicals NV un peu moins de 6 %, ATO Chimie SA, BASF AG, DSM NV, Chemische Werke Hüls, Chemie Linz AG, Solvay et Cie SA et Saga Petrokjemi AS et Cie, de 3 à 5 % chacun et Petrofina SA environ 2 %. Le polypropylène aurait fait l'objet d'un vaste courant d'échanges entre les États membres, parce que chacun des producteurs établis à l'époque dans la Communauté vendait dans tous les États membres ou presque.
3 Montedipe SpA faisait partie des producteurs approvisionnant le marché avant 1977 et détenait des brevets de contrôle qui sont venus à expiration dans la plupart des pays européens entre 1976 et 1978. Elle était le principal producteur de polypropylène et sa part de marché se situait entre environ 14,2 % et 15 %.
4 Les 13 et 14 octobre 1983, des fonctionnaires de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ont procédé à des vérifications simultanées dans les entreprises suivantes, productrices de polypropylène et approvisionnant le marché communautaire:
- ATO Chimie SA, actuellement Atochem (ci-après "ATO");
- BASF AG (ci-après "BASF");
- DSM NV (ci-après "DSM");
- Hercules Chemicals NV (ci-après "Hercules");
- Hoechst AG (ci-après "Hoechst");
- Chemische Werke Hüls (ci-après "Hüls");
- Imperial Chemical Industries plc (ci-après "ICI");
- Montepolimeri SpA, actuellement Montedipe (ci-après "Monte");
- Shell International Chemical Company Ltd (ci-après "Shell");
- Solvay et Cie SA (ci-après "Solvay");
- BP Chimie (ci-après "BP").
Aucune vérification n'a été effectuée chez Rhône-Poulenc SA (ci-après "Rhône-Poulenc") ni chez Enichem Anic SpA.
5 A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements, au titre de l'article 11 du règlement n° 17 (ci-après "demandes de renseignements"), non seulement aux entreprises précitées, mais aussi aux entreprises suivantes:
- Amoco;
- Chemie Linz AG (ci-après "Linz");
- trokjemi AS et Cie, qui fait actuellement partie de Statoil (ci-après "Statoil");
- Petrofina SA (ci-après "Petrofina");
- Enichem Anic SpA (ci-après "Anic").
Linz, entreprise établie en Autriche, a contesté la compétence de la Commission et refusé de répondre à la demande. Conformément à l'article 14, paragraphe 2, du règlement précité, les fonctionnaires de la Commission ont ensuite procédé à des vérifications chez Anic et chez Saga Petrochemicals UK Ltd, filiale anglaise de Saga, ainsi qu'auprès des agences de vente de Linz établies au Royaume-Uni et en Allemagne. Aucune demande de renseignements n'a été adressée à Rhône-Poulenc.
6 Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements ont amené la Commission à conclure qu'entre 1977 et 1983 les producteurs concernés avaient, en violation de l'article 85 du traité CEE, par une série d'initiatives de prix, fixé régulièrement des objectifs de prix et élaboré un système de contrôle annuel des volumes de vente en vue de se répartir le marché disponible sur la base de tonnages ou pourcentages convenus. C'est ainsi que, le 30 avril 1984, la Commission a décidé d'engager la procédure prévue par l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 et, au cours du mois de mai 1984, elle a adressé une communication écrite des griefs aux entreprises précitées, à l'exception d'Anic et de Rhône-Poulenc. Tous les destinataires y ont répondu par écrit.
7 Le 24 octobre 1984, le conseiller-auditeur désigné par la Commission a réuni les conseillers juridiques des destinataires de la communication des griefs pour convenir de certaines dispositions de procédure en vue de l'audition, prévue dans le cadre de la procédure administrative, qui devait débuter le 12 novembre 1984. Lors de cette réunion, la Commission a, par ailleurs, annoncé que, au vu de l'argumentation développée par les entreprises dans leurs réponses à la communication des griefs, elle leur adresserait incessamment des éléments de preuve complétant ceux dont elles disposaient déjà en ce qui concerne la mise en œuvre des initiatives de prix. C'est ainsi que le 31 octobre 1984 la Commission a envoyé aux conseillers juridiques des entreprises une liasse de documents réunissant des copies des instructions en matière de prix données par les producteurs à leurs bureaux de vente ainsi que des tableaux résumant ces documents. Afin de garantir le respect du secret des affaires, la Commission a assorti cette communication de certaines conditions; en particulier, les documents communiqués ne devaient pas être portés à la connaissance des services commerciaux des entreprises. Les avocats de plusieurs entreprises ont refusé d'accepter lesdites conditions et ont renvoyé la documentation avant l'audition.
8 Au vu des informations fournies dans les réponses écrites à la communication des griefs, la Commission a décidé d'étendre la procédure à Anic et Rhône-Poulenc. A cette fin, une communication des griefs semblable à celle adressée aux quinze autres entreprises leur a été envoyée le 25 octobre 1984.
9 Une première session d'auditions s'est déroulée du 12 au 20 novembre 1984. Au cours de celle-ci, toutes les entreprises ont été entendues, à l'exception de Shell (qui avait refusé de participer à toute audition), Anic, ICI et Rhône-Poulenc (qui estimaient n'avoir pas été en mesure de préparer leur dossier).
10 Lors de cette session, plusieurs entreprises ont refusé d'aborder les points soulevés dans la documentation qui leur avait été adressée le 31 octobre 1984, faisant valoir que la Commission avait radicalement changé l'orientation de son argumentation et qu'elles devaient, à tout le moins, être mises en mesure de présenter des observations écrites. D'autres entreprises ont soutenu n'avoir pas eu assez de temps pour étudier les documents en question avant l'audition. Une lettre commune en ce sens a été adressée à la Commission le 28 novembre 1984 par les avocats de BASF, DSM, Hercules, Hoechst, ICI, Linz, Monte, Petrofina et Solvay. Par lettre du 4 décembre 1984, Hüls a déclaré se rallier au point de vue ainsi exprimé.
11 C'est pourquoi, le 29 mars 1985, la Commission a adressé aux entreprises une nouvelle série de documents, reproduisant des instructions de prix données par les entreprises à leurs bureaux de vente, accompagnés de tableaux concernant les prix, ainsi qu'un résumé des preuves ayant trait à chacune des initiatives de prix pour laquelle des documents étaient disponibles. Elle invitait les entreprises à y répondre, tant par écrit qu'au cours d'une autre session d'auditions, et précisait qu'elle levait les restrictions prévues initialement concernant la communication aux services commerciaux.
12 Par une autre lettre du même jour, la Commission a répondu aux arguments avancés par les avocats, selon lesquels elle n'avait pas donné une définition juridique précise de l'entente alléguée, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et elle a invité les entreprises à lui soumettre leurs observations écrites et orales.
13 Une seconde session d'auditions s'est déroulée du 8 au 11 juillet 1985, et le 25 juillet 1985. Anic, ICI et Rhône-Poulenc y ont présenté leurs observations et les autres entreprises (à l'exception de Shell) ont commenté les points soulevés dans les deux lettres de la Commission datées du 29 mars 1985.
14 Le projet de procès-verbal des auditions, accompagné de la documentation utile, a été transmis aux membres du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes (ci-après "comité consultatif") le 19 novembre 1985 et a été envoyé aux entreprises le 25 novembre 1985. Le comité consultatif a rendu son avis lors de sa 170e réunion, les 5 et 6 décembre 1985.
15 Au terme de cette procédure, la Commission a pris la décision litigieuse du 23 avril 1986, qui comporte le dispositif suivant:
"Article premier
Anic SpA, ATO Chemie SA (actuellement Atochem), BASF AG, DSM NV, Hercules Chemicals NV, Hoechst AG, Chemische Werke Hüls (actuellement Hüls AG), ICI plc, Chemische Werke Linz, Montepolimeri SpA (actuellement Montedipe), Petrofina SA, Rhône-Poulenc SA, Shell International Chemical Co. Ltd, Solvay & Cie et Saga Petrokjemi AG & Co. (actuellement fusionnée avec Statoil) ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, en participant:
- pour Anic, à partir de novembre 1977 environ jusqu'à la fin de 1982 ou au début de 1983;
- pour Rhône-Poulenc, de novembre 1977 environ jusqu'à la fin de 1980;
- pour Petrofina, de 1980 jusqu'en novembre 1983 au moins;
- pour Hoechst, ICI, Montepolimeri et Shell, du milieu de l'année 1977 jusqu'à novembre 1983 au moins;
- pour Hercules, Linz, Saga et Solvay, de novembre 1977 environ jusqu'en novembre 1983 au moins;
- pour ATO, de 1978 au moins jusqu'à novembre 1983 au moins;
- pour BASF, DSM et Hüls, d'un moment indéterminé entre 1977 et 1979 jusqu'en novembre 1983 au moins;
à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de l'année 1977, en vertu desquels les producteurs approvisionnant en polypropylène le territoire du Marché commun:
a) ont pris contact l'un avec l'autre et se sont rencontrés régulièrement (depuis le début de 1981, deux fois par mois) dans le cadre de réunions secrètes, en vue d'examiner et de définir leur politique commerciale;
b) ont fixé périodiquement des prix "cible" (ou minimaux) pour la vente du produit dans chaque État membre de la Communauté;
c) ont convenu de diverses mesures visant à faciliter l'application de tels objectifs de prix, y compris (et essentiellement) des limitations temporaires de la production, l'échange d'informations détaillées sur leurs livraisons, la tenue de réunions locales et, à partir de la fin de 1982, un système d''account management' ayant pour but d'appliquer les hausses de prix à des clients particuliers;
d) ont procédé à des hausses de prix simultanées, en application desdites cibles;
e) se sont réparti le marché en attribuant à chaque producteur un objectif ou un 'quota' annuel de vente (1979, 1980 et pendant une partie au moins de 1983) ou, à défaut d'un accord définitif pour l'année entière, en obligeant les producteurs à limiter leurs ventes mensuelles par référence à une période antérieure (1981, 1982).
Article 2
Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées (si elles ne l'ont pas déjà fait) et s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leur secteur polypropylène, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange de renseignements du type généralement couvert par le secret professionnel, au moyen duquel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des livraisons, du niveau des stocks, des prix de vente, des coûts ou des plans d'investissement d'autres producteurs individuels, ou qui leur permettrait de suivre l'exécution de tout accord exprès ou tacite ou de toute pratique concertée se rapportant aux prix ou au partage des marchés dans la Communauté. Tout système d'échange de données générales auquel les producteurs seraient abonnés (tel que le Fides) sera géré de manière à exclure toute donnée permettant d'identifier le comportement de producteurs déterminés; les entreprises s'abstiendront plus particulièrement d'échanger entre elles toute information supplémentaire intéressant la concurrence et non couverte par un tel système.
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées par la présente décision, en raison de l'infraction constatée à l'article 1er:
i) Anic SpA, une amende de 750 000 écus, soit 1 103 692 500 LIT;
ii) Atochem, une amende de 1 750 000 écus, soit 11 973 325 FF;
iii) BASF AG, une amende de 2 500 000 écus, soit 5 362 225 DM;
iv) DSM NV, une amende de 2 750 000 écus, soit 6 657 640 HFL;
v) Hercules Chemicals NV, une amende de 2 750 000 écus, soit 120 569 620 BFR;
vi) Hoechst AG, une amende de 9 000 000 écus, soit 19 304 010 DM;
vii) Hüls AG, une amende de 2 750 000 écus, soit 5 898 447,50 DM;
viii) ICI plc, une amende de 10 000 000 écus, soit 6 447 970 UKL;
ix) Chemische Werke Linz, une amende de 1 000 000 écus, soit 1 471 590 000 LIT;
x) Montedipe, une amende de 11 000 000 écus, soit 16 187 490 000 LIT;
xi) Petrofina SA, une amende de 600 000 écus, soit 26 306 100 BFR;
xii) Rhône-Poulenc SA, une amende de 500 000 écus, soit 3 420 950 FF;
xiii) Shell International Chemical Co. Ltd, une amende de 9 000 000 écus, soit 5 803 173 UKL;
xiv) Solvay & Cie, une amende de 2 500 000 écus, soit 109 608 750 BFR;
xv) Statoil, Den Norske Stats Oljeselskap AS (qui englobe aujourd'hui Saga Petrokjemi), une amende de 1 000 000 écus, soit 644 797 UKL.
Articles 4 et 5
(omissis)"
16 Le 8 juillet 1986, le procès-verbal définitif des auditions contenant les corrections, compléments et suppressions de textes demandés par les entreprises leur a été envoyé.
La procédure
17 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 6 août 1986, la requérante a introduit le présent recours, visant à l'annulation de la décision. Treize des quatorze autres destinataires de cette décision ont également introduit un recours visant à son annulation (affaires T-1-89 à T-4-89, T-6-89 à T-13-89 et T-15-89).
18 Par acte séparé introduit le même jour, Monte a demandé au président de la Cour, sur la base de l'article 83 du règlement de procédure de celle-ci, d'ordonner, en application de l'article 185 du traité CEE, le sursis à l'exécution de la décision. Par ordonnance du 24 septembre 1986, Monte/Commission (213-86 R, non publiée au Recueil), le président de la Cour a fait droit à cette demande, pour autant que la requérante constitue une garantie bancaire acceptée par la Commission garantissant le payement de l'amende infligée par l'article 3 de la décision et des intérêts de retards éventuels, dans un délai maximal de quinze jours à partir de la date de notification de ladite ordonnance, et il a réservé les dépens.
19 La procédure écrite s'est entièrement déroulée devant la Cour.
20 Par ordonnance du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé cette affaire ainsi que les treize autres devant le Tribunal, en application de l'article 14 de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (ci-après "décision du Conseil du 24 octobre 1988").
21 En application de l'article 2, paragraphe 3, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, un avocat général a été désigné par le président du Tribunal.
22 Par lettre du 3 mai 1990, le greffier du Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, en vue de déterminer les modalités d'organisation de la procédure orale. Cette réunion a eu lieu le 28 juin 1990.
23 Par lettre du 9 juillet 1990, le greffier du Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs observations sur une jonction éventuelle des affaires T-1-89 à T-4-89 et T-6-89 à T-15-89 aux fins de la procédure orale. Aucune partie n'a formulé d'objection sur ce point.
24 Par ordonnance du 25 septembre 1990, le Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 43 du règlement de procédure de la Cour, applicable alors mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988.
25 Par ordonnance du 15 novembre 1990, le Tribunal a statué sur les demandes de traitement confidentiel introduites par les requérantes dans les affaires T-2-89, T-3-89, T-9-89, T-11-89, T-12-89 et T-13-89 et les a partiellement accueillies.
26 Par lettres déposées au greffe du Tribunal entre le 9 octobre et le 29 novembre 1990, les parties ont répondu aux questions qui leur avaient été posées par le Tribunal par lettres du greffier du 19 juillet.
27 Au vu des réponses fournies à ses questions et sur rapport du juge rapporteur, l'avocat général entendu, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
28 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 10 au 15 décembre 1990.
29 L'avocat général a été entendu en ses conclusions à l'audience du 10 juillet 1991.
Les conclusions des parties
30 La société Montedipe conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
1) annuler la décision de la Commission du 23 avril 1986 (IV/31.149-Polypropylène), en tant qu'elle s'adresse à la requérante;
2) à titre subsidiaire, annuler la décision de la Commission du 23 avril 1986, en tant qu'elle inflige une amende à la requérante;
3) à titre encore plus subsidiaire, annuler la décision du 23 avril 1986 dans la mesure où elle inflige à la requérante une amende de 11 000 000 écus et ramener l'amende à un montant symbolique, ou en tout cas équitable, ou qui tienne au moins compte de la prescription;
4) dans tous les cas:
- condamner la Commission à l'ensemble des dépens;
- condamner la Commission à rembourser l'ensemble des dépens encourus dans le cadre de la procédure administrative;
- condamner la Commission à la réparation de tous les dommages liés à l'exécution de la décision attaquée ou à la constitution d'une garantie de cette exécution, y compris les intérêts et la revalorisation pour les sommes versées à titre d'exécution ou pour la constitution des garanties.
Avant tout cela, nous demandons que, dans le cadre de l'instruction, soit administrée la preuve par témoins de la véridicité des données comptables présentées par la requérante dans les tableaux produits en annexe, relatifs à la gestion à perte de la production de polypropylène.
Témoins:
- le responsable du contrôle de gestion de la société Montepolimeri au cours de la période en cause;
- le responsable de la comptabilité industrielle de la société Montepolimeri au cours de la période en cause;
- les membres du collège des commissaires aux comptes de la société Montepolimeri au cours de la période en cause.
La Commission, quant à elle, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner la requérante aux dépens.
Sur le fond
31 Il y a lieu d'examiner, en premier lieu, les griefs de la requérante tirés de la violation des droits de la défense, en ce que la Commission aurait manqué d'impartialité dans l'élaboration de la décision (1), en ce qu'elle aurait modifié ses griefs initiaux (2) et en ce qu'elle aurait fondé la second sur des documents étrangers à la procédure (3); en second lieu, les griefs relatifs à l'établissement de l'infraction, qui portent, d'une part, sur les constatations de fait opérées par la Commission (1) et, d'autre part, sur l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE à ces faits (2), en ce que la Commission n'aurait pas correctement qualifié l'infraction (A), en ce qu'elle n'aurait pas correctement apprécié l'effet restrictif sur la concurrence (B) et l'affectation du commerce entre États membres (C) et en ce qu'elle aurait omis de tenir compte d'un certain nombre de faits justificatifs (D); en troisième lieu, les griefs tirés de la violation de la liberté de réunion; en quatrième lieu, les griefs relatifs à la motivation de la décision, et en cinquième lieu, les griefs relatifs à la fixation de l'amende, qui serait partiellement prescrite (1) et ne serait adéquate ni à la durée (2) ni à la gravité (3) de l'infraction alléguée.
Sur les droits de la défense
1. Manque d'impartialité dans l'élaboration de la décision
32 La requérante fait valoir que la Commission a méconnu son devoir d'objectivité et a fait preuve d'une attitude préconçue dans le cadre de la présente affaire. En effet, la Commission aurait refusé, dès le départ, de considérer que les rencontres de producteurs de polypropylène pouvaient avoir un autre objet que la mise en œuvre d'une entente. Aussi aurait-elle retenu uniquement les éléments pouvant servir cette thèse et négligé ceux qui s'y opposaient ou ne l'étayaient pas. Cela serait corroboré par le fait qu'avant l'adoption formelle de la décision la Commission avait déjà fourni à la presse des informations la concernant.
33 Elle ajoute que la comparaison des procès-verbaux des auditions avec la décision fait apparaître clairement que des déclarations significatives du conseiller-auditeur et des représentants de la Commission n'ont trouvé aucune réponse dans la décision. Il en serait ainsi à propos de la clarté avec laquelle la Commission a formulé ses griefs, de l'éventualité que la Commission puisse abandonner certains de ceux-ci, du rôle des prix-cibles et de l'existence d'une vive concurrence pendant la période considérée. C'est pourquoi la requérante demande, dans sa réplique, que le Tribunal prenne connaissance du rapport du conseiller-auditeur, afin de vérifier si la Commission a intentionnellement négligé les éléments qui allaient à l'encontre de sa thèse.
34 La requérante conclut que le manque d'objectivité de la Commission se trouve encore corroboré par le fait que le projet de décision déposé par le membre de la Commission chargé de la concurrence n'a pu être adopté par la Commission qu'en seconde lecture, ainsi que l'aurait révélé la presse.
35 La Commission se défend, de son côté, d'avoir adopté une attitude préconçue et d'avoir sélectionné de manière partiale les éléments de preuve favorables à sa thèse. Elle souligne qu'il est inexact qu'elle ait divulgué le contenu de la décision à l'avance et fait remarquer que les informations parues dans la presse ont aussi bien pu être communiquées par les entreprises elles-mêmes. Elle considère qu'en tout état de cause il ne s'agit pas là d'un motif d'annulation de la décision (arrêts de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, point 286, 27-76, Rec. p. 207, et du 16 décembre 1975, Suiker Unie/Commission, points 91 et 103, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663).
36 Elle fait valoir, en ce qui concerne les déclarations du conseiller-auditeur, que la décision ne doit pas refléter le point de vue exprimé par chacun des fonctionnaires de la Commission lors de la procédure administrative. Elle ajoute que la demande tendant à faire produire le rapport du conseiller-auditeur a été rejetée par la Cour dans son ordonnance du 11 décembre 1986, ICI/Commission (212-86 R, non publiée au Recueil). Elle ajoute qu'en tout état de cause ce moyen est irrecevable, dans la mesure où il est invoqué pour la première fois au stade de la réplique.
37 La Commission expose, enfin, que le fait que la décision n'a pas été adoptée en première lecture par la Commission ne peut en aucun cas constituer un indice du manque d'objectivité de la Commission ou du caractère mal fondé de la décision.
38 Le Tribunal constate, tout d'abord, que la demande adressée, au stade de la réplique, par la requérante au Tribunal, invitant celui-ci à prendre connaissance du rapport du conseiller-auditeur, constitue une demande nouvelle qui doit être déclarée irrecevable aux termes des articles 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal et 40, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.
39 Le Tribunal relève, en ce qui concerne le conseiller-auditeur, que les dispositions pertinentes du mandat de celui-ci, qui a été annexé au Treizième rapport sur la politique de concurrence, sont les suivantes:
"Article 2
Le conseiller-auditeur a pour mission d'assurer le bon déroulement de l'audition et de contribuer par là au caractère objectif tant de l'audition que de la décision ultérieure éventuelle. Il veille notamment à ce que tous les éléments pertinents, qu'ils soient favorables ou défavorables aux intéressés, soient dûment pris en considération dans l'élaboration des projets de décision de la Commission en matière de concurrence. Dans l'exercice de ses fonctions, il veille au respect des droits de la défense, tout en tenant compte de la nécessité d'une application efficace des règles de concurrence, en conformité avec les règlements en vigueur et les principes retenus par la Cour de justice.
Article 5
Le conseiller-auditeur fait rapport au directeur général de la concurrence sur le déroulement de l'audition et sur les conclusions qu'il en tire. Il formule ses observations sur la poursuite de la procédure. Ces observations peuvent concerner, entre autres, la nécessité d'un complément d'information, l'abandon de certains points de griefs ou la communication de griefs supplémentaires.
Article 6
Dans l'exercice des fonctions définies à l'article 2 ci-avant, le conseiller-auditeur peut, s'il l'estime approprié, saisir directement de ses observations le membre de la Commission chargé des questions de concurrence lorsqu'est soumis à ce dernier l'avant-projet de décision destiné au comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes.
Article 7
Le cas échéant, le membre de la Commission chargé des questions de concurrence peut décider, sur demande du conseiller-auditeur, de joindre l'avis final émis par celui-ci au projet de décision dont est saisie la Commission, de manière à garantir que celle-ci, lorsqu'elle se prononce sur une affaire individuelle en tant qu'instance décisionnelle, soit pleinement informée de tous les éléments de l'affaire."
40 Il résulte des termes mêmes du mandat du conseiller-auditeur que son rapport ne doit obligatoirement être communiqué ni au comité consultatif ni à la Commission. En effet, aucune disposition ne prévoit la transmission dudit rapport au comité consultatif. S'il est vrai que le conseiller-auditeur doit faire rapport au directeur général de la concurrence (article 5) et qu'il a la faculté, s'il l'estime approprié, de saisir directement de ses observations le membre de la Commission chargé des questions de concurrence (article 6), lequel a lui-même la faculté de joindre, sur demande du conseiller-auditeur, l'avis final de ce dernier au projet de décision soumis à la Commission (article 7), il n'existe toutefois aucune disposition faisant obligation au conseiller-auditeur, au directeur général de la concurrence ou au membre de la Commission chargé des questions de concurrence de transmettre à la Commission le rapport du conseiller-auditeur.
41 Par conséquent, la requérante ne peut se prévaloir de ce que le rapport du conseiller-auditeur n'aurait pas été transmis aux membres du comité consultatif ou à ceux la Commission. A cet égard, la Cour a jugé que ce rapport a valeur d'avis pour la Commission, qu'elle n'est en aucune manière tenue de s'y ranger et que, dans ces conditions, ce rapport ne présente aucun aspect décisif dont le juge communautaire ait à tenir compte pour exercer son contrôle (ordonnance du 11 décembre 1986, précitée, 212-86 R, points 5 à 8). En effet, le respect des droits de la défense est assuré à suffisance de droit dès lors que les différentes instances concourant à l'élaboration de la décision finale ont été informées correctement de l'argumentation formulée par les entreprises, en réponse aux griefs que leur a communiqués la Commission ainsi qu'aux éléments de preuve présentés par la Commission pour étayer ces griefs (arrêt du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, point 7, 322-81, Rec. p. 3461).
42 Dès lors que le rapport du conseiller-auditeur ne présente aucun aspect décisif dont le juge communautaire ait à tenir compte pour exercer son contrôle, a fortiori, la Commission n'est en aucune manière tenue de se ranger aux considérations qui ont pu être exprimées par le conseiller-auditeur ou par d'autres représentants de la Commission lors des auditions et dont ses membres ont été informés à travers le procès-verbal des auditions.
43 Par ailleurs, il convient d'observer que, à supposer que les informations relatives à la décision qui ont été divulguées avant l'adoption de celle-ci aient été fournies à la presse par la Commission, aucun élément du dossier ne permet de présumer que la décision aurait eu un contenu différent si ces informations n'avaient pas été rendues publiques.
44 En outre, le fait que la décision n'ait pas été adoptée en première lecture ne peut en aucun cas être considéré comme l'indice d'un éventuel manque d'objectivité de la Commission.
45 Le Tribunal considère, enfin, que la question de savoir si la Commission a porté un jugement prématuré sur la base d'idées préconçues se confond avec celle de savoir si les constatations de fait opérées par la Commission dans la décision sont étayées par les éléments de preuve qu'elle a produits. S'agissant là d'une question de fond liée à l'établissement de l'infraction, il y a lieu de l'examiner ultérieurement avec les autres questions liées à l'établissement de l'infraction.
2. Modification des griefs initiaux
46 La requérante soutient que la Commission a retenu dans la décision des griefs qui n'avaient pas été formulés dans les communications des griefs qui lui ont été adressées. Dans celles-ci, en effet, la Commission serait partie de l'idée que les destinataires avaient fixé et observé des prix sur lesquels ils s'étaient concertés et/ou avaient mis en œuvre une pratique concertée. Ensuite, dans la lettre qu'elle a adressée aux destinataires de la communication des griefs le 29 mars 1985, la Commission aurait indiqué qu'il n'était pas nécessaire de qualifier juridiquement les griefs d'accords ou de pratiques concertées, en se fondant sur les arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, points 111 à 114 (41-69, Rec. p. 661), et du 29 octobre 1980, Van Landewyck/Commission, point 86 (209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125). Dans la décision, enfin, la Commission affirmerait désormais que le comportement des entreprises en cause réunissait les éléments constitutifs d'un véritable "accord" au sens de l'article 85, sauf pour certains de ses aspects marginaux qui relèveraient plutôt de la "pratique concertée".
47 La Commission répond qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour (arrêts du 15 juillet 1970, précité, 41-69, points 91 à 93, et du 29 octobre 1980, précité, 209-78 à 215-78 et 218-78, point 68) que la décision n'avait pas à être une reproduction de la communication des griefs, et qu'elle était en droit d'aménager et de compléter son argumentation. Elle expose cependant qu'elle n'a pas modifié, dans la décision, son appréciation de la nature de l'entente.
48 Le Tribunal constate que la qualification juridique opérée par la Commission dans la décision, telle qu'interprétée par la requérante, n'est en rien nouvelle, puisqu'elle se trouvait déjà dans la communication générale des griefs adressée à la requérante et aux autres entreprises destinataires de la décision, et en particulier dans ses points 1 et 128. Ainsi, le point 1 est libellé comme suit:
"La présente communication de griefs concerne l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE à un ensemble d'accords et/ou de pratiques concertées, par lesquels, de 1977 environ à octobre 1983, les producteurs qui approvisionnent le Marché commun en polypropylène (produit thermoplastique en vrac) ont coordonné leurs politiques de vente et de prix, de façon régulière et continue, en fixant et en appliquant des prix 'cibles' et/ou minimaux, en contrôlant les quantités mises sur le marché par l'adoption d''objectifs' et/ou de quotas et en se réunissant régulièrement afin de surveiller l'évolution de ces mesures restrictives",
et le point 128 précise:
"Si tant est que la collaboration permanente entre les participants dans le cadre des réunions ait pu, sur certaines questions et au cours de certaines périodes, manquer du degré de précision nécessaire pour constituer un accord proprement dit, il s'agissait néanmoins d'une pratique concertée."
49 Cette thèse a été reprise dans la lettre adressée par la Commission aux destinataires de la communication des griefs le 29 mars 1985, dans laquelle on peut lire que:
"Le degré de consensus atteint en matière de prix et de volumes ... amène à conclure que la collusion illicite entre les participants aux réunions est bien assimilable à un ou plusieurs accords au sens de l'article 85, paragraphe 1, ayant pour objet et pour effet de restreindre la concurrence ... Il est des cas où les arrangements issus de la collusion ... peuvent présenter les caractéristiques tant des accords que des pratiques concertées ... Dans le cas d'espèce, si certains arrangements pris par les producteurs assistant aux réunions ne présentent pas toutes les caractéristiques d'un 'accord' détaillé, ces producteurs ont néanmoins pris des mesures dans l'intention commune de coordonner leurs politiques commerciales ... Cette forme particulière de collusion pourrait être considérée comme une pratique concertée ... La Commission estime qu'en substance la forme exacte que revêt la collusion incriminée n'a qu'une importance secondaire et que les producteurs ont participé à une entente illicite dont les éléments relèvent à la fois de l''accord' et de la 'pratique concertée'."
Or, la lettre du 29 mars avait pour objet de compléter la communication générale des griefs quant à la qualification juridique de l'infraction, puisqu'on peut y lire:
"Par lettre datée du 28 novembre 1984, les conseils de certains producteurs de polypropylène mis en cause ont soutenu que la Commission, dans ses griefs, n'avait pas exposé clairement la position juridique contre laquelle les producteurs avaient à se défendre et qu'elle avait aggravé cette circonstance en modifiant sa position au cours de l'audition. Je ne puis admettre cet argument. Les griefs exposent intégralement les faits; les points de droit y sont exprimés succinctement, mais avec clarté ... Toutefois, pour lever tous les doutes qui subsisteraient et au risque de me répéter, je vous soumets ci-après quelques thèmes de réflexion." (suivent huit pages d'explications dont deux sont consacrées à la qualification juridique),
et que cette lettre se termine par les termes suivants:
"Il vous est loisible de présenter vos observations écrites sur les points soulevés par la présente lettre dans les six semaines de sa date de réception. Une audition orale supplémentaire est prévue à court terme en faveur de trois entreprises qui n'ont pas été en mesure de présenter leur dossier en novembre; vous auriez ainsi l'occasion de développer vos observations écrites non seulement à l'égard de ces points, mais aussi sur la lettre que je vous envoie séparément à la date d'aujourd'hui et qui traite de certains autres points de droit."
50 Par conséquent, la Commission a, tout au plus, aménagé et complété son argumentation dans la décision, mais elle n'a pas modifié ses griefs initiaux.
51 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
3. Fondement de la décision sur des éléments étrangers à la procédure
52 La requérante fait observer dans sa réplique que des représentants de la Commission ont, lors d'une conférence de presse, justifié la décision et le montant de l'amende en arguant de ce que, durant la période incriminée, les entreprises auraient bénéficié d'une augmentation du niveau des prix comprise entre 15 et 40 %. La requérante en déduit que la décision a été prise sur cette base, en fonction d'éléments ne figurant ni dans la communication des griefs, ni dans le dossier de la procédure, ni dans la décision elle-même. Or, elle estime que, en l'absence de ces éléments, au moins le montant des amendes aurait été nettement inférieur.
53 La Commission estime qu'il s'agit là d'un moyen nouveau invoqué pour la première fois au stade de la réplique et elle ajoute qu'en tout état de cause cet argument a été rejeté par la Cour dans son ordonnance du 11 décembre 1986, ICI/Commission, précitée, par laquelle celle-ci a refusé d'ordonner la production du dossier de la Commission.
54 Le Tribunal considère que les déclarations faites lors de la conférence de presse qui a suivi l'adoption de la décision, selon lesquelles les effets de l'infraction auraient consisté en une augmentation du niveau général des prix de 15 à 40 %, sont en contradiction avec les motifs de la décision elle-même. C'est pourquoi elles ne pourraient être utilisées qu'en vue de démontrer que la décision reposerait en réalité sur d'autres motifs que ceux qu'elle indique, ce qui constituerait un détournement de pouvoir (voir l'ordonnance de la Cour du 11 décembre 1986, ICI/Commission, précitée, points 11 à 16). Or, le seul moyen dont dispose le Tribunal en vue de vérifier l'existence d'un détournement de pouvoir en l'espèce est d'examiner si les motifs de la décision supportent son dispositif, en particulier en ce qui concerne le montant de l'amende. Il y a donc lieu d'examiner ce moyen ultérieurement avec les autres questions liées à l'établissement de l'infraction et à la fixation de l'amende.
Sur l'établissement de l'infraction
55 Selon la décision (point 80, premier alinéa), à partir de 1977, les producteurs de polypropylène approvisionnant la Communauté ont été parties à tout un ensemble de plans, dispositifs et mesures arrêtés dans le cadre d'un système de réunions périodiques et de contacts permanents. La décision (point 80, deuxième alinéa) ajoute que le plan d'ensemble des producteurs visait à organiser des rencontres pour parvenir à un accord exprès sur des points spécifiques.
56 Dans ces conditions, il y a lieu de vérifier, d'abord, si la Commission a établi à suffisance de droit ses constatations de fait relatives à l'accord sur les prix-planchers (A), au système des réunions périodiques (B), aux initiatives de prix (C), aux mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix (D) et à la fixation de tonnages cibles et de quotas (E), en rendant compte de l'acte attaqué (a) et des arguments des parties (b), avant de les apprécier (c); il y a lieu de contrôler, ensuite, l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE à ces faits.
1. Les constatations de fait
A - L'accord sur les prix-planchers
a) Acte attaqué
57 La décision (point 16, premier, deuxième et troisième alinéas; voir aussi le point 67, premier alinéa) indique qu'au cours de l'année 1977, après l'apparition de sept nouveaux producteurs de polypropylène en Europe occidentale, les producteurs en place ont entamé des discussions pour tenter d'éviter une chute brutale des prix et les pertes qui s'ensuivraient. Dans le cadre de ces discussions, les principaux producteurs, Monte, Hoechst, ICI et Shell auraient pris l'initiative d'un "accord sur les prix-planchers" qui devait entrer en vigueur le 1er août 1977. L'accord initial n'aurait comporté aucune régulation des volumes, mais, en cas de réussite, certaines restrictions de tonnages auraient été prévues pour 1978. Cet accord aurait dû être appliqué pendant une période initiale de quatre mois et les modalités de cet accord auraient été communiquées aux autres producteurs, et notamment à Hercules, dont le directeur du marketing relevait comme prix plancher pour les principales qualités, par État membre, un cours indicatif de 1,25 DM/kg pour la qualité raphia.
58 Selon la décision (point 16, cinquième alinéa), ICI et Shell admettent avoir eu des contacts avec d'autres producteurs pour étudier les moyens de juguler la chute des prix. D'après ICI, il est possible qu'une suggestion ait été émise quant à un niveau de prix en dessous duquel il serait interdit de descendre. ICI et Shell confirmeraient que la discussion n'était pas limitée aux "quatre grands". Aucun détail précis n'aurait pu être obtenu quant au fonctionnement de l'accord sur les prix-planchers. Toutefois, en novembre 1977, alors que le prix du raphia était, semble-t-il, tombé aux alentours de 1 DM/kg, Monte aurait annoncé son intention de le porter à 1,30 DM/kg à partir du 1er décembre et, le 25 novembre, la presse spécialisée aurait fait part du soutien apporté par les trois autres grands à cette initiative et de leur intention de procéder à des hausses similaires à la même date ou en décembre.
59 La décision (point 17, premier et deuxième alinéas) relève que c'est à peu près à ce moment qu'a débuté le système des réunions périodiques des producteurs de polypropylène et qu'ICI soutient qu'aucune réunion n'a eu lieu avant décembre 1977, mais admet que les producteurs maintenaient déjà le contact entre eux auparavant, probablement par téléphone et lorsque la nécessité s'en faisait sentir. Shell aurait admis la possibilité que ses cadres supérieurs "aient discuté des prix avec Montedison en novembre 1977 ou aux alentours de cette date et que Montepolimeri ait fait mention d'une éventuelle majoration des prix et suscité la réaction (de Shell) à cette éventualité". La décision (point 17, troisième alinéa) expose que, s'il n'existe aucune preuve directe que des réunions de groupe aient eu lieu avant décembre 1977 pour fixer les prix, les producteurs informaient déjà une association professionnelle de clients, la "European Association for Textile Polyolefins" (ci-après "EATP"), lors de ses réunions de mai et novembre 1977, de la nécessité qu'ils percevaient d'organiser une action commune pour améliorer le niveau des prix. Dès mai 1977, Hercules aurait souligné que l'initiative devrait venir des "chefs de file traditionnels" du secteur, tandis que Hoechst aurait laissé entendre que, à son avis, les prix devaient être relevés de 30 à 40 %.
60 C'est dans ce contexte que la décision (points 17, quatrième alinéa, 78, troisième alinéa, et 104, deuxième alinéa) fait grief à ICI, Hercules, Hoechst, Linz, Rhône-Poulenc, Saga et Solvay d'avoir déclaré qu'elles soutiendraient l'annonce faite par Monte, par la voie d'un article paru le 18 novembre 1977 dans la presse spécialisée (European Chemical News, ci-après "ECN"), de son intention de porter le prix du raphia à 1,30 DM/kg à partir du 1er décembre. Les différentes déclarations faites à cet égard lors de la réunion de l'EATP tenue le 22 novembre 1977, telles qu'elles ressortent du compte rendu, indiqueraient que le prix de 1,30 DM/kg fixé par Monte avait été adopté par les autres producteurs comme "objectif" pour le secteur tout entier.
b) Arguments des parties
61 La requérante soutient que la Commission n'avance qu'un seul élément de preuve pour prétendre qu'un accord sur les prix-planchers a été conclu en 1977, à savoir une note manuscrite rédigée par le directeur du marketing d'Hercules (annexe 2 à la communication générale des griefs, ci-après "g.g. ann. 2"). Or, ce document permettrait tout au plus d'établir que des contacts ont été établis entre six ou sept producteurs et qu'ils ont porté sur la détermination d'un niveau de prix permettant de couvrir les coûts de production et de vente et d'atténuer ainsi les graves difficultés économiques que ces entreprises connaissaient à cette époque.
62 Elle estime qu'on ne saurait voir dans ces contacts la preuve de l'existence d'un accord structuré et détaillé et encore moins d'un plan stipulant en détail les tâches confiées à chaque partie prenante à cet accord.
63 La requérante ajoute qu'on ne saurait rattacher ces contacts aux réunions qui ont eu lieu ultérieurement, dans la mesure où le concept de "prix-planchers" qui a été discuté dans le cadre de ces contacts n'a pas été repris au cours des réunions suivantes.
64 La requérante tire encore argument du fait que les prix dont il a été question lors des contacts de l'année 1977 n'ont pas été atteints sur le marché.
65 La Commission répond que la requérante n'avance aucun argument permettant de mettre en cause le contenu de la note d'Hercules qui, décrivant l'accord sur les prix-planchers (g.g. ann. 2), déclare que les "major producers made agreement" ("les principaux producteurs ont conclu un accord").
66 Elle ajoute que cette note se situe dans le contexte des contacts que les producteurs entretenaient à cette époque et dont Shell et ICI auraient reconnu l'existence.
67 La Commission affirme, par ailleurs, que les producteurs pouvaient déterminer, chacun de leur côté, leur seuil de rentabilité et que, par conséquent, ils n'avaient aucune raison de se concerter à ce propos.
c) Appréciation du Tribunal
68 Le Tribunal constate que le texte de la note de l'employé d'Hercules (g.g. ann. 2), auquel la Commission fait référence, est clair et dépourvu d'ambiguïté. En effet, on peut y lire:
"Major producers have made agreement (Mont., Hoechst, Shell, ICI) 1. No tonnage control; 2. System floor-prices - DOM less for importers; 3. Floor prices from July 1. definitely Aug. 1st when present contracts expire; 4. Importers restrict to 20 % for 1 000 tonnes; 5. Floor prices for 4 month period only - alternative is for existing; 6. Com.(panies) to meet Oct. to review progress; 7. Subject (of the) scheme working - Tonnage restrictions would operate next year."
[(("Les principaux producteurs (Mont., Hoechst, Shell, ICI) sont convenus des points suivants: 1. Aucun contrôle des tonnages; 2. Système de prix-planchers pour les DOM (producteurs nationaux) à l'exception des importateurs; 3. Prix planchers à partir du 1er juillet ou au plus tard au 1er août lorsque les contrats en cours expirent; 4. Les importateurs limitent à 20 % pour 1 000 tonnes; 5. Prix planchers pour une période de quatre mois seulement - l'alternative est ce qui existe; 6. Les sociétés doivent se rencontrer au mois d'octobre pour passer en revue les progrès réalisés; 7. Sujet du régime en vigueur - les restrictions de tonnages s'appliqueraient à partir de l'an prochain."))]
(suit une liste de prix pour trois qualités de polypropylène dans quatre monnaies nationales, dont 1,25 DM/kg pour le raphia).
69 Il y a lieu de relever que, face à cet élément de preuve, la requérante n'avance aucun élément de nature à ébranler la valeur probante attribuée par la Commission à cette note. En effet, si le terme "agreement" ("accord") peut traduire, le cas échéant, une identité de vues, il y a lieu de relever que, dans la note, il fait partie de l'expression "made agreement" qui, en anglais, ne peut signifier que "conclure un accord" et qui, par conséquent, traduit, par delà une identité de vues, un concours de volontés intervenu entre la requérante et trois autres producteurs portant sur des prix-planchers.
70 Le fait que les prix-planchers convenus n'aient pas pu être atteints n'est pas non plus de nature à infirmer l'adhésion de la requérante à l'accord sur les prix-planchers, puisque, même à supposer ce fait établi, il tendrait tout au plus à démontrer que les prix-planchers n'ont pas été mis en œuvre et non qu'ils n'ont pas été convenus. Or, la décision (point 16, dernier alinéa), loin d'affirmer que les prix-planchers ont été atteints, relève que le prix du raphia était tombé aux alentours de 1 DM/kg en novembre 1977.
71 Par ailleurs, le Tribunal considère que les prix-planchers ne diffèrent pas, quant à leur nature, des objectifs de prix qui, d'après la décision, ont été fixés ultérieurement par les producteurs de polypropylène.
72 Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que, vers le milieu de l'année 1977, un concours de volontés est intervenu entre plusieurs producteurs de polypropylène, parmi lesquels figure la requérante, portant sur la fixation de prix-planchers.
B - Le système des réunions périodiques
a) Acte attaqué
73 La décision (point 17) indique que le système des réunions périodiques des producteurs de polypropylène a débuté à peu près à la fin novembre 1977. Elle relève qu'ICI soutient qu'aucune réunion n'a eu lieu avant décembre 1977 (c'est-à-dire après l'annonce de Monte), mais qu'elle admet que les producteurs maintenaient déjà le contact entre eux auparavant.
74 Selon la décision (point 18, premier alinéa), six réunions au moins ont eu lieu au cours de l'année 1978 entre de hauts dirigeants chargés de la direction du secteur polypropylène de certains producteurs ("patrons"). Ce système aurait bientôt été complété par des réunions d'un niveau moins élevé entre des cadres plus spécialisés en marketing ("experts", référence est faite à la réponse d'ICI à la demande de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17, g.g. ann. 8). La décision reproche à la requérante d'avoir assisté régulièrement à ces réunions jusqu'à la fin septembre 1983 au moins (point 105, quatrième alinéa) et d'en avoir assuré la présidence jusqu'en août 1982 (point 19, deuxième alinéa).
75 La décision (point 21) affirme que ces réunions périodiques avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente et le contrôle de leur respect par les producteurs.
76 Selon la décision (point 68, deuxième et troisième alinéas), à la fin de 1982, les "quatre grands" ont commencé à se réunir en sessions restreintes la veille de chaque réunion de "patrons". Ces "préréunions" auraient offert aux quatre grands producteurs un cadre approprié pour convenir d'une position commune avant la session plénière, afin d'encourager un mouvement de stabilisation des prix en présentant un front unique. ICI aurait reconnu que les sujets discutés lors des préréunions étaient identiques à ceux évoqués aux cours des réunions de "patrons" qui leur faisaient suite; en revanche, Shell aurait nié que les réunions des "quatre grands" aient, de quelle que façon que ce soit, préparé les réunions plénières ou aient servi à dégager une position commune avant la réunion suivante. La décision affirme cependant que les comptes rendus de certaines de ces réunions (octobre 1982 et mai 1983) contredisent cette affirmation de Shell.
b) Arguments des parties
77 La requérante ne conteste pas la matérialité de sa participation aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène. Toutefois, elle fait valoir que la Commission a travesti la portée de ces réunions en y voyant l'indice d'une entente. En effet, elle prétend que ces réunions avaient uniquement pour objet de discuter de l'état catastrophique du marché.
78 La requérante affirme que la Commission s'est fondée aveuglément sur des notes d'ICI relatives aux réunions de producteurs pour étayer sa thèse selon laquelle celles-ci auraient été le théâtre de la conclusion d'accords de prix et de quotas. Or, il s'agirait de notes internes comportant des considérations et des appréciations personnelles de leur auteur, ni connues ni approuvées par les autres participants.
79 La Commission affirme, de son côté, que les réunions auxquelles la requérante a participé faisaient partie d'un système qui s'est plus fortement structuré au fil du temps.
80 Elle expose que l'objet de ces réunions était de décider d'initiatives de prix, de s'entendre sur des objectifs de volumes de vente, de comparer les parts de marché et d'arrêter des mesures d'accompagnement, telles que le système d'"account leadership". Il se serait donc agi de convenir d'une harmonisation des stratégies commerciales des participants à ces réunions.
81 La Commission ajoute que la requérante ne donne pas de raison valable de douter de la fiabilité des documents produits par la Commission, et en particulier des comptes rendus de réunions rédigés par les employés d'ICI.
c) Appréciation du Tribunal
82 Le Tribunal constate que la requérante ne conteste pas sa participation aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène et qu'il y a donc lieu de considérer qu'elle a participé à l'ensemble des réunions dont la décision allègue la tenue.
83 Le Tribunal considère que c'est à bon droit que la Commission a estimé, sur la base des éléments qui ont été fournis par ICI dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) et qui ont été confirmés par de nombreux comptes rendus de réunions, que l'objet des réunions était, notamment, de fixer des objectifs de prix, d'une part, et de volumes de vente, d'autre part. En effet, on peut lire dans cette réponse les passages suivants:
"Generally speaking however, the concept of recommending 'target prices' was developed during the early meetings which took place in 1978"; "'Target prices' for the basic grade of each principal category of polypropylene as proposed by producers from time to time since 1 January 1979 are set forth in schedule ...";
ainsi que:
"A number of proposals for the volume of individual producers were discussed at meetings."
("En général, l'idée de recommander des 'prix-cibles'a été élaborée pendant les premières réunions, qui ont eu lieu en 1978"; "Les 'prix-cibles' qui ont été proposés périodiquement par les producteurs depuis le 1er janvier 1979 pour la qualité de base de chacune des principales catégories de polypropylène figurent dans l'annexe ...")
ainsi que
"Un certain nombre de propositions relatives au volume des ventes des divers producteurs ont été discutées lors des réunions.")
84 Le Tribunal relève que le contenu des comptes rendus de réunions émanant d'ICI est confirmé par différents documents, comme un certain nombre de tableaux chiffrés relatifs aux volumes de vente des différents producteurs et comme des instructions de prix correspondant, quant à leur montant et à leur date d'entrée en vigueur, aux objectifs de prix mentionnés dans lesdits comptes rendus de réunions. De la même manière, les réponses des différents producteurs aux demandes de renseignements qui leur ont été adressées par la Commission corroborent, globalement, le contenu desdits comptes rendus.
85 Par conséquent, la Commission a pu considérer que les comptes rendus de réunions découverts chez ICI reflétaient assez objectivement le contenu de réunions dont la présidence était assurée à partir d'août 1982 par différents membres du personnel d'ICI, ce qui accroissait la nécessité pour eux d'informer correctement du contenu des réunions ceux des membres du personnel d'ICI qui ne participaient pas à l'une ou l'autre réunion, en établissant des comptes rendus de celles-ci.
86 Dans ces circonstances, c'est à la requérante de fournir une autre explication du contenu des réunions auxquelles elle a participé, en avançant des éléments précis, comme les notes prises par les membres de son personnel au cours des réunions auxquelles ils ont participé ou le témoignage de ces personnes. Force est de constater que la requérante n'a pas avancé ni offert d'avancer de tels éléments devant le Tribunal.
87 De surcroît, faisant état de l'organisation, en plus des réunions de "patrons", de réunions d'"experts" en marketing à partir de la fin de l'année 1978 ou du début de l'année 1979, la réponse d'ICI à la demande de renseignements révèle que les discussions relatives à la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente se faisaient de plus en plus concrètes et précises, alors que, en 1978, les "patrons" s'étaient bornés à développer le concept même des prix-cibles.
88 Outre les passages précédents, on peut lire l'extrait suivant dans la réponse d'ICI à la demande de renseignements: "Only 'Bosses' and 'Experts' meetings came to be held on a monthly basis" ("Seules les réunions de 'patrons' et d''experts' avaient lieu sur une base mensuelle"). C'est à bon droit que la Commission a pu déduire de cette réponse ainsi que de l'identité de nature et d'objet des réunions que celles-ci s'inscrivaient dans un système de réunions périodiques.
89 En ce qui concerne le rôle particulier joué par les "quatre grands" dans le système des réunions, il y a lieu de relever que Monte ne conteste pas que des réunions réunissant les "quatre grands" aient eu lieu le 15 juin 1981 en l'absence de Hoechst, les 13 octobre et 20 décembre 1982, les 12 janvier, 15 février, 13 avril, 19 mai et 22 août 1983 (décision, tableau 5, ainsi que g.g. ann. 64).
90 Or, ces réunions des "quatre grands" avaient lieu, à partir de décembre 1982, la veille des réunions de "patrons" et elles avaient pour objet de déterminer les actions qu'ils pourraient y prendre ensemble en vue d'aboutir à un relèvement des prix, comme le montre la note de synthèse rédigée par un employé d'ICI en vue d'informer un de ses collègues du contenu d'une préréunion du 19 mai 1983, à laquelle avaient participé les "quatre grands" (g.g. ann. 101). Cette note fait état d'une proposition devant être soumise à la réunion de "patrons" du 20 mai.
91 Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a participé régulièrement aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène entre la fin de l'année 1977 et septembre 1983, que ces réunions étaient présidées par des membres du personnel de la requérante jusqu'au mois d'août 1982, qu'elles avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente et qu'elles s'inscrivaient dans un système.
C - Les initiatives de prix
a) Acte attaqué
92 Selon la décision (points 28 à 51), un système de fixation d'objectifs de prix aurait été mis en œuvre à travers des initiatives de prix dont six ont pu être identifiées, la première allant de juillet à décembre 1979, la deuxième de janvier à mai 1981, la troisième d'août à décembre 1981, la quatrième de juin à juillet 1982, la cinquième de septembre à novembre 1982 et la sixième de juillet à novembre 1983.
93 A propos de la première de ces initiatives de prix, la Commission (décision, point 29) fait remarquer qu'elle ne possède aucun détail sur les réunions tenues ou les initiatives prévues au cours de la première partie de 1979. Le compte rendu d'une réunion tenue les 26 et 27 septembre 1979 indiquerait cependant qu'une initiative était prévue sur la base d'un prix, pour la qualité raphia, de 1,90 DM/kg à partir du 1er juillet et de 2,05 DM/kg à partir du 1er septembre. La Commission disposerait des instructions de prix de certains producteurs, parmi lesquels Monte, dont il ressortirait que ces producteurs avaient donné ordre à leurs bureaux de vente d'appliquer ce niveau de prix ou son équivalent en monnaie nationale à partir du 1er septembre, et ce, pour la plupart d'entre eux, avant que la presse spécialisée n'ait annoncé la hausse prévue (décision, point 30).
94 Toutefois, en raison de difficultés à majorer les prix, les producteurs auraient décidé, au cours de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, de reporter la date prévue pour atteindre la cible de plusieurs mois, soit au 1er décembre 1979, le nouveau plan consistant à "maintenir" pendant tout le mois d'octobre les niveaux déjà atteints, avec la possibilité d'une hausse intermédiaire en novembre, qui porterait le prix à 1,90 ou 1,95 DM/kg (décision, point 31, deux premiers alinéas).
95 Quant à la deuxième initiative de prix, la décision (point 32), si elle admet qu'aucun compte rendu des réunions tenues en 1980 n'a été découvert, affirme que les producteurs se sont réunis au moins sept fois au cours de cette année (référence est faite au tableau 3 de la décision). Au début de l'année, la presse spécialisée aurait annoncé que les producteurs étaient favorables à une forte poussée des prix dans le courant de l'année 1980. On aurait constaté cependant une baisse substantielle des cours du marché, qui seraient retombés au niveau de 1,20 DM/kg, voire moins encore, avant de se stabiliser, à partir de septembre environ. Les instructions de prix envoyées par certains producteurs (DSM, Hoechst, Linz, Monte, Saga et ICI) indiqueraient que, pour rétablir le niveau des prix, des cibles ont été fixées pour décembre 1980-janvier 1981 sur la base de 1,50 DM/kg pour le raphia, 1,70 DM/kg pour l'homopolymère et 1,95 à 2 DM/kg pour le copolymère. Un document interne de Solvay comporterait un tableau comparant les "prix réalisés" pour octobre et novembre 1980 avec les "prix de liste" pour janvier 1981, qui s'établiraient à 1,50-1,70-2 DM/kg. Initialement, il aurait été prévu d'appliquer ces niveaux à partir du 1er décembre 1980 - une réunion ayant eu lieu à Zurich du 13 au 15 octobre - mais cette initiative aurait été repoussée au 1er janvier 1981.
96 La décision (point 33) relève ensuite la participation de Monte à deux réunions de janvier 1981, au cours desquelles il se serait avéré nécessaire d'opérer une hausse des prix, fixée en décembre 1980 pour le 1er février 1981, sur la base de 1,75 DM/kg pour le raphia, en deux phases: l'objectif serait resté fixé à 1,75 DM/kg pour février et un objectif de 2 DM/kg serait introduit à partir du 1er mars "sans exception". Un tableau des prix-cibles de six grandes qualités aurait été élaboré dans six monnaies nationales et sa mise en œuvre aurait été prévue pour les 1er février et 1er mars 1981.
97 Selon la décision (point 34), le projet de relever les prix à 2 DM/kg au 1er mars ne paraît cependant pas avoir abouti. Les producteurs auraient modifié leurs perspectives et espéré atteindre le niveau de 1,75 DM/kg en mars. Une réunion d'"experts", dont il ne subsiste aucun compte rendu, se serait tenue à Amsterdam le 25 mars 1981, mais immédiatement après au moins BASF, DSM, ICI, Monte et Shell auraient donné instruction de porter les objectifs de prix (ou prix "de liste") à un niveau équivalent à 2,15 DM/kg pour le raphia, à partir du 1er mai. Hoechst aurait donné des instructions identiques pour le 1er mai, avec un retard d'environ quatre semaines sur les autres. Certains des producteurs auraient laissé à leurs bureaux de vente une certaine marge de manœuvre, en leur permettant d'appliquer des prix "minimaux" ou des "minima absolus" quelque peu inférieurs aux objectifs convenus. Au cours de la première partie de 1981, les prix auraient augmenté sensiblement, mais, bien que la hausse au 1er mai ait été fortement soutenue par les producteurs, le rythme se serait ralenti. Vers le milieu de l'année, les producteurs auraient envisagé soit de stabiliser les prix, soit même de les réduire quelque peu, la demande ayant fléchi pendant l'été.
98 En ce qui concerne la troisième initiative de prix, la décision (point 35) affirme que, en juin 1981, Shell et ICI auraient déjà envisagé une nouvelle initiative de prix pour septembre-octobre 1981, alors que la hausse des prix du premier trimestre aurait marqué un ralentissement. Shell, ICI et Monte se seraient rencontrées le 15 juin 1981 afin de discuter des méthodes à suivre pour majorer les prix sur le marché. Quelques jours après cette réunion, ICI et Shell auraient donné toutes deux instruction à leurs bureaux de vente de préparer le marché à une hausse substantielle en septembre, axée sur un nouveau prix de 2,30 DM/kg pour le raphia. Solvay aurait rappelé également à son bureau de vente du Benelux, le 17 juillet 1981, la nécessité d'aviser les clients d'une hausse substantielle au 1er septembre, dont le montant aurait été décidé au cours de la dernière semaine de juillet, alors qu'une réunion d'"experts" aurait été prévue pour le 28 juillet 1981. Le projet initial axé sur un prix de 2,30 DM/kg en septembre 1981 aurait été revu probablement à cette réunion; le niveau pour août aurait été ramené à 2 DM/kg pour le raphia. Celui de septembre aurait dû être de 2,20 DM/kg. Une note manuscrite recueillie chez Hercules et datée du 29 juillet 1981 (c'est-à-dire le lendemain de la réunion, à laquelle Hercules n'a sans doute pas assisté) citerait ces prix, qualifiés d'"officiels" pour août et septembre, et se référerait en termes voilés à la source de l'information. De nouvelles réunions auraient eu lieu à Genève le 4 août et à Vienne le 21 août 1981. A la suite de ces sessions, les producteurs auraient envoyé de nouvelles instructions fixant l'objectif à 2,30 DM/kg pour le 1er octobre. BASF, DSM, Hoechst, ICI, Monte et Shell auraient donné des instructions presque identiques en vue d'appliquer ces prix en septembre et en octobre.
99 Selon la décision (point 36), le nouveau projet aurait prévu, pour les mois de septembre et octobre 1981, le relèvement des prix à un "prix de base" de 2,20 à 2,30 DM/kg pour le raphia. Un document de Shell indiquerait qu'une étape supplémentaire, portant le prix à 2,50 DM/kg au 1er novembre, aurait été discutée, mais qu'il y aurait été renoncé par la suite. Les rapports des divers producteurs indiqueraient que les prix auraient augmenté en septembre et que l'initiative se serait poursuivie en octobre 1981, les prix réalisés sur le marché se situant aux alentours de 2 à 2,10 DM/kg pour le raphia. Une note d'Hercules montrerait qu'en décembre 1981 la cible de 2,30 DM/kg aurait été révisée à la baisse et fixée à un niveau plus réaliste de 2,15 DM/kg, mais cette note ajoute que "grâce à la détermination de tous, les prix auraient atteint 2,05 DM/kg, soit le montant le plus proche jamais atteint par rapport aux objectifs publiés (sic!)". A la fin de l'année 1981, la presse spécialisée aurait relevé sur le marché du polypropylène des prix de 1,95 à 2,10 DM/kg pour le raphia, soit quelque 20 pfennigs de moins que les objectifs de prix des producteurs. Quant aux capacités, elles auraient été utilisées à concurrence de 80 %, pourcentage jugé "sain".
100 La quatrième initiative de prix de juin-juillet 1982 se serait inscrite dans le contexte d'un retour du marché à l'équilibre entre l'offre et la demande. Cette initiative aurait été décidée à la réunion de producteurs du 13 mai 1982, à laquelle aurait participé Hoechst et au cours de laquelle un tableau détaillé des objectifs de prix au 1er juin aurait été élaboré pour différentes qualités de polypropylène, dans diverses monnaies nationales (2 DM/kg pour le raphia, décision, points 37 à 39, premier alinéa).
101 La réunion du 13 mai 1982 aurait été suivie d'instructions de prix émanant d'ATO, BASF, Hoechst, Hercules, Hüls, ICI, Linz, Monte et Shell, correspondant, sous réserve de quelques exceptions mineures, aux prix-cibles définis lors de la réunion (décision, point 39, deuxième alinéa). Lors de la réunion du 9 juin 1982, les producteurs n'auraient pu annoncer que des hausses modestes.
102 Selon la décision (point 40), la requérante aurait également participé à la cinquième initiative de prix de septembre-novembre 1982, décidée lors de la réunion des 20 et 21 juillet 1982 et visant à atteindre un prix de 200 DM/kg le 1er septembre et de 2,10 DM/kg le 1er octobre, dans la mesure où elle aurait été présente à la plupart, sinon à toutes les réunions tenues entre juillet et novembre 1982 au cours desquelles cette initiative a été organisée et contrôlée (décision, point 45). Lors de la réunion du 20 août 1982, la hausse prévue pour le 1er septembre aurait été reportée au 1er octobre et cette décision aurait été confirmée lors de la réunion du 2 septembre 1982 (décision, point 41).
103 A la suite des réunions du 20 août et du 2 septembre 1982, ATO, DSM, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte et Shell auraient donné des instructions de prix conformes au prix cible défini au cours de ces réunions (décision, point 43).
104 Selon la décision (point 44), à la réunion du 21 septembre 1982, à laquelle aurait participé la requérante, un examen des mesures prises pour atteindre l'objectif fixé précédemment aurait été opéré et les entreprises auraient exprimé, dans l'ensemble, leur soutien à une proposition visant à relever le prix à 2,10 DM/kg pour novembre-décembre 1982. Cette hausse aurait été confirmée lors de la réunion du 6 octobre 1982.
105 A la suite de la réunion du 6 octobre 1982, BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte, Shell et Saga auraient donné des instructions de prix appliquant la hausse décidée (décision, point 44, deuxième alinéa).
106 A l'instar de ATO, BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Linz et Saga, la requérante aurait fourni à la Commission des instructions de prix adressées à ses bureaux de vente locaux, qui correspondraient non seulement entre elles pour ce qui est des montants et des délais, mais correspondraient également au tableau de prix-cibles joint au compte rendu d'ICI de la réunion des "experts" du 2 septembre 1982 (décision, point 45, deuxième alinéa).
107 La réunion de décembre 1982 aurait, selon la décision (point 46, deuxième alinéa), abouti à un accord, selon lequel le niveau prévu pour novembre-décembre devrait être introduit pour la fin janvier 1983.
108 D'après la décision (point 47), la requérante aurait, enfin, participé à la sixième initiative de prix de juillet-novembre 1983. En effet, au cours de la réunion du 3 mai 1983, il aurait été convenu que les producteurs s'efforceraient d'appliquer un prix cible de 2 DM/kg en juin 1983. Toutefois, lors de la réunion du 20 mai 1983, l'objectif précédemment défini aurait été reporté à septembre et un objectif intermédiaire aurait été fixé pour le 1er juillet (1,85 DM/kg). Ensuite, lors d'une réunion du 1er juin 1983, les producteurs présents, dont Monte, auraient réaffirmé leur entière détermination à appliquer la hausse de 1,85 DM/kg. A cette occasion, il aurait été convenu que Shell prendrait publiquement l'initiative dans ECN.
109 La décision (point 49) relève que, après la réunion du 20 mai 1983, ICI, DSM, BASF, Hoechst, Linz, Shell, Hercules, ATO, Petrofina et Solvay ont donné instruction à leurs bureaux de vente d'appliquer au 1er juillet un tarif de 1,85 DM/kg pour le raphia. Elle ajoute que les instructions de prix retrouvées chez ATO et Petrofina ne sont que partielles, mais qu'elles confirment que ces sociétés ont relevé leur niveau de prix, avec un certain retard dans le cas de Petrofina et de Solvay. Elle relève cependant que Monte avait, dès le 17 mai, donné instruction à ses bureaux de vente d'appliquer une hausse à partir de juin et de la poursuivre en juillet. La décision conclut qu'il est ainsi démontré que, à l'exception de Hüls, pour qui la Commission n'a pas retrouvé trace d'instructions pour juillet 1983, tous les producteurs qui avaient participé aux réunions ou s'étaient engagés à soutenir la nouvelle cible de 1,85 DM/kg ont donné des instructions visant à faire appliquer le nouveau prix.
110 La décision (point 50) relève, par ailleurs, que d'autres réunions ont eu lieu les 16 juin, 6 et 21 juillet, 10 et 23 août ainsi que les 5, 15 et 29 septembre 1983, auxquelles tous les participants habituels ont pris part. A la fin juillet et au début août 1983, BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte, Solvay et Saga auraient envoyé à leurs divers bureaux nationaux de vente des instructions applicables au 1er septembre, basées sur un prix de 2 DM/kg pour le raphia, tandis qu'une note interne de Shell du 11 août, relative à ses prix au Royaume-Uni, indiquerait que sa filiale au Royaume-Uni travaillait à "promouvoir" des prix de base applicables au 1er septembre et conformes aux objectifs fixés par les autres producteurs. Dès la fin du mois, cependant, Shell aurait donné instruction à son bureau de vente au Royaume-Uni de différer la hausse complète jusqu'à ce que les autres producteurs aient atteint le niveau de base souhaité. La décision précise que, sous réserve d'exceptions mineures, ces instructions sont identiques par qualité et par devise.
111 Selon la décision (point 50, dernier alinéa), les instructions recueillies auprès des producteurs révèlent qu'il a été décidé ultérieurement de poursuivre sur la lancée du mois de septembre, avec de nouvelles étapes, sur la base d'un prix de 2,10 DM/kg au 1er octobre pour le raphia et d'un relèvement à 2,25 DM/kg le 1er novembre. La décision (point 51, premier alinéa) relève encore que BASF, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte et Solvay ont toutes envoyé à leurs bureaux de vente des instructions fixant des prix identiques pour les mois d'octobre et de novembre, Hercules fixant dans un premier temps des prix légèrement inférieurs.
112 La décision (point 51, troisième alinéa) relève qu'une note interne recueillie chez ATO et datée du 28 septembre 1983 comporterait un tableau intitulé "Rappel du prix de cota (sic)", donnant pour différents pays les prix applicables en septembre et octobre pour les trois principales qualités de polypropylène, prix identiques à ceux de BASF, DSM, Hoechst, Hüls, ICI, Linz, Monte et Solvay. Au cours de la vérification effectuée chez ATO en octobre 1983, les représentants de l'entreprise auraient confirmé que ces prix avaient été communiqués aux bureaux de vente.
113 Selon la décision (point 105, quatrième alinéa), quelle que soit la date de la dernière réunion, l'infraction a duré jusqu'en novembre 1983, dans la mesure où l'accord a continué à produire ses effets au moins jusqu'à ce moment, novembre étant le dernier mois pour lequel on sait que des objectifs de prix ont été convenus et que des instructions de prix ont été données.
114 La décision conclut (point 51, dernier alinéa) en relevant qu'à la fin de 1983, selon la presse spécialisée, les prix du polypropylène se sont raffermis, le prix du raphia sur le marché atteignant 2,08 à 2,15 DM/kg (pour un objectif cité de 2,25 DM/kg).
b) Arguments des parties
115 La requérante conteste globalement sa participation à l'ensemble des initiatives de prix mentionnées dans la décision.
116 Elle rappelle, tout d'abord, que les notes d'ICI relatives aux réunions ne sauraient suffire à établir l'existence d'accords au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE et que, en tout état de cause, ces notes contiennent de nombreuses allusions à l'absence de consensus entre les producteurs présents, comme c'est le cas des comptes rendus des réunions des 2 septembre, 21 septembre et 2 novembre 1982 ou des réunions des 27 mai et 15 juin 1981, ou encore des comptes rendus d'entretiens bilatéraux entre certains producteurs (respectivement g.g. ann. 29, 30, 32, 64, 95 et 99).
117 La requérante expose, ensuite, que l'absence d'accords de prix est confirmée par le fait, établi par un audit effectué par un cabinet d'experts-comptables indépendant, Coopers et Lybrand (ci-après "audit Coopers et Lybrand"), que la quasi-totalité des ventes réalisées par les différents producteurs, et en particulier par la requérante, ont été réalisées à des prix sensiblement inférieurs, d'une part, aux prix-cibles prétendument convenus entre les producteurs et, d'autre part, aux instructions de prix de la requérante qui constituaient des objectifs théoriques internes destinés à ses propres bureaux de vente.
118 Elle prétend avoir ainsi mis en évidence une série imposante de faits qui démontreraient qu'elle ne s'est jamais sentie liée par les résultats ou par les propositions sur lesquels ont débouché les réunions et qu'elle a déterminé son comportement sur le marché en toute autonomie.
119 La requérante estime que, en déduisant du fait que de nouveaux objectifs de prix étaient communiqués après les réunions que ces objectifs avaient été fixés au cours de ces réunions, la Commission a appliqué le critère du "post hoc ergo propter hoc" et méconnu ainsi la jurisprudence de la Cour (arrêt du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29-83 et 30-83, Rec. p. 1679). Ce faisant, elle aurait également méconnu des notions économiques élémentaires, comme le fait que les prix envisagés par les producteurs ne pouvaient être que peu différenciés en raison de l'augmentation constante, et presque identique pour tous, des coûts de production ou le fait que les entreprises moins importantes suivent les prix de l'entreprise "leader".
120 Elle fait valoir que les initiatives de prix ont été la résultante non des réunions, mais de la situation matérielle dans laquelle se trouvaient les producteurs. L'équilibre entre coûts et recettes aurait été l'unique objectif et il n'aurait pu être atteint qu'en tentant d'augmenter les prix. Si ces tentatives se sont répétées, c'est qu'elles étaient rejetées au fur et à mesure par les vagues du marché. Aucune entreprise n'aurait eu intérêt à accroître sa part de marché, parce qu'il en résultait uniquement une aggravation des pertes. Dans ces conditions, il n'y avait plus de concurrence sur le marché et les règles destinées à protéger la concurrence dans des circonstances normales ne trouvaient plus à s'appliquer.
121 Elle ajoute que, si chaque entreprise doit déterminer de façon autonome sa conduite, cela ne signifie pas que l'autonomie doit nécessairement conduire à la diversité. C'est pourquoi elle dénie, en l'espèce, toute valeur probante au parallélisme des instructions de prix internes données par les producteurs.
122 Elle soutient, enfin, que les producteurs étaient conscients d'être dans l'incapacité totale de contrôler les forces du marché, ce qui les aurait amenés à apprécier de manière identique les possibilités qu'offrait le marché.
123 La Commission rappelle, quant à elle, que c'est sur la base de documents probants qu'elle a établi l'existence d'un engagement des producteurs dans les initiatives de prix et la participation de Monte à cet engagement. Les allusions à l'absence de consensus, en ce qu'elles concerneraient d'autres producteurs que Monte et feraient état de reproches adressés à ceux-ci, mettraient en évidence l'existence d'engagements et démontreraient en particulier l'engagement de Monte.
124 Elle ajoute que le fait que les prix obtenus différaient des prix-cibles n'est pas déterminant, dès lors qu'une stratégie commune de négociation avec la clientèle restreint déjà la concurrence, parce que, même si elle ne garantit pas l'identité des prix effectivement facturés, elle conditionne le point de départ des négociations et donc indirectement leur résultat.
125 La Commission note qu'il n'est pas exact que la décision se fonde sur la simultanéité et la similarité des instructions de prix entre elles et avec les prix-cibles. En réalité, cette similarité ne ferait que confirmer les preuves documentaires. L'argument du "price leadership" invoqué par la requérante serait également sans valeur pour la même raison.
126 Elle conteste la démonstration par laquelle Monte cherche à prouver que le comportement des entreprises était imputable à la situation du marché et n'était pas le résultat des réunions de producteurs concurrents. En effet, si une entreprise augmente seule ses prix en situation de surproduction, elle ne vendra pas et devra revenir sur sa décision. C'est pourquoi elle ne pourrait espérer augmenter ses prix que si elle s'assure que les concurrents tenteront également de faire de même.
127 La Commission ne nie pas que le prix cible ait été différent du prix effectivement demandé aux clients ni que la situation du marché ait conditionné les négociations avec les clients. Il n'en resterait pas moins que l'engagement réciproque de prendre un certain prix comme point de départ pour les négociations conditionne ces négociations et conduit à des prix effectifs différents de ceux qui auraient résulté de négociations exemptes de tout engagement préalable.
c) Appréciation du Tribunal
128 Le Tribunal constate que les comptes rendus des réunions périodiques de producteurs de polypropylène montrent que les producteurs qui ont participé à ces réunions y ont convenu les initiatives de prix mentionnées dans la décision. Ainsi, on peut lire dans le compte rendu de la réunion du 13 mai 1982 (g.g. ann. 24):
"everyone felt that there was a very good opportunity to get a price rise through before the holidays + after some debate settled on DM 2 from 1st June (UK 14th June). Individual country figures are shown in the attached table".
[(("tout le monde pensait qu'il y avait une très bonne occasion d'obtenir une augmentation des prix avant les vacances. + fixation (après débat) à 2 DM à partir du 1er juin (14 juin pour le Royaume-Uni). Les chiffres par pays sont indiqués dans le tableau joint")).]
129 Dès lors qu'il est établi à suffisance de droit que la requérante a participé à ces réunions, celle-ci ne peut affirmer ne pas avoir souscrit aux initiatives de prix qui y ont été décidées, organisées et contrôlées, sans fournir d'indices de nature à corroborer cette affirmation. En effet, en l'absence de tels indices, il n'y a aucune raison de penser que la requérante n'aurait pas souscrit à ces initiatives, à la différence des autres participants aux réunions.
130 A cet égard, il y a lieu de relever que la requérante s'est référée à deux arguments tendant à démontrer qu'elle n'aurait pas souscrit, lors des réunions périodiques de producteurs de polypropylène, aux initiatives de prix convenues. Elle a exposé, d'une part, qu'elle n'a aucunement tenu compte des résultats des réunions pour déterminer son comportement sur le marché en matière de prix dont le caractère parfaitement concurrentiel ressortirait de l'audit Coopers et Lybrand et, d'autre part, que le contexte économique dans lequel ses instructions de prix ont été données expliquerait leur concordance avec celles des autres producteurs.
131 Aucun de ces deux arguments ne peut être retenu comme indice pouvant corroborer l'affirmation de la requérante selon laquelle elle n'a pas souscrit aux initiatives de prix convenues. En effet, il convient d'observer que le premier argument, même s'il était étayé en fait, ne serait pas de nature à infirmer la participation de la requérante à la fixation d'objectifs de prix lors des réunions, mais tendrait tout au plus à démontrer que la requérante n'a pas mis en œuvre le résultat de ces réunions. La décision n'affirme d'ailleurs nullement que la requérante a pratiqué des prix correspondant toujours aux objectifs de prix convenus lors des réunions, ce qui indique que l'acte attaqué ne s'appuie pas non plus sur la mise en œuvre par la requérante du résultat des réunions pour établir sa participation à la fixation de ces objectifs de prix.
132 En tout état de cause, la requérante ne peut se prévaloir du caractère purement interne de ses instructions de prix, puisque, si celles-ci sont certes purement internes en ce qu'elles sont adressées aux bureaux de vente par le siège central, elles n'en ont pas moins été envoyées en vue d'être exécutées et donc de produire directement ou indirectement des effets externes, ce qui leur fait perdre leur caractère interne.
133 En ce qui concerne le second argument avancé par la requérante, le Tribunal considère que le contexte économique dans lequel se sont inscrites les initiatives de prix ne permet pas d'expliquer la concordance des instructions de prix données par les différents producteurs entre elles et leur concordance avec les objectifs de prix fixés lors des réunions de producteurs. En effet, l'identité des contraintes pesant sur les différents producteurs et la situation de crise dans laquelle se trouvait le marché ne permettent pas d'expliquer l'identité de leurs instructions de prix en différentes monnaies nationales, dans la mesure où l'identité des contraintes était limitée à certains facteurs de production, comme le prix des matières premières, mais ne portait pas sur les frais généraux, les coûts salariaux ou les taux d'imposition, ce qui avait pour conséquence que les seuils de rentabilité des différents producteurs étaient sensiblement différents. C'est ce que montre, par exemple, le compte rendu de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 (g.g. ann. 6), dont il ressort que Hoechst souhaitait, pour atteindre le seuil de rentabilité, un prix de 1,85 DM/kg, ICI de 1,60 DM/kg, Rhône-Poulenc de 3,50 FF et Shell de 1,50 DM/kg.
134 Par ailleurs, cette identité de contraintes ne permet pas non plus d'expliquer la quasi-simultanéité des instructions de prix de la requérante et de celles des autres producteurs.
135 En outre, il ne saurait être question d'une quelconque forme de "price leadership" d'un producteur, dès lors que la Commission a établi à suffisance de droit que ce producteur a participé avec d'autres à une concertation portant sur les prix.
136 Il faut ajouter que c'est à bon droit que la Commission a pu déduire de la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), dans laquelle on peut lire que:
"'Target prices' for the basic grade of each principal category of polypropylene as proposed by producers from time to time since 1 January 1979 are set forth in schedule ..."
("Les 'prix-cibles' qui ont été proposés périodiquement depuis le 1er janvier 1979 par les producteurs pour la qualité de base de chacune des principales catégories de polypropylène figurent dans l'annexe ..."),
que ces initiatives s'inscrivaient dans un système de fixation d'objectifs de prix.
137 Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés portant sur les initiatives de prix mentionnées dans la décision, que celles-ci s'inscrivaient dans un système et que les effets de ces initiatives de prix se sont produits jusqu'en novembre 1983.
D - Les mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix
a) Acte attaqué
138 La décision ((article 1er, sous c), et point 27; voir aussi point 42)) fait grief à la requérante d'avoir convenu avec les autres producteurs de diverses mesures visant à faciliter l'application des objectifs de prix, comme des limitations temporaires de la production, des échanges d'informations détaillées sur leurs livraisons, la tenue de réunions locales et, à partir de septembre 1982, un système d'"account management" ayant pour but d'appliquer les hausses de prix à des clients particuliers.
139 En ce qui concerne le système d'"account management", dont la forme plus tardive et plus raffinée, remontant à décembre 1982, est connue sous le nom d'"account leadership", la requérante, comme tous les producteurs, aurait été nommée coordinateur ou "leader" d'au moins un gros client, dont elle aurait été chargée de coordonner secrètement les rapports avec ses fournisseurs. En application de ce système, des clients auraient été identifiés en Belgique, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni et un "coordinateur" aurait été désigné pour chacun d'eux. En décembre 1982, une version plus généralisée de ce système aurait été proposée et aurait prévu la désignation d'un chef de file ("leader"), chargé d'orienter, de négocier, d'organiser les mouvements de prix. Les autres producteurs, qui traitaient régulièrement avec les clients, étaient connus sous le nom de "contenders" et coopéraient avec l'"account leader", lorsqu'ils faisaient une offre au client en question. Pour "protéger" l'"account leader" et les "contenders", tout autre producteur contacté par le client aurait été amené à faire une offre à des prix supérieurs à la cible souhaitée. En dépit des affirmations d'ICI, selon lesquelles le plan se serait écroulé après quelques mois seulement d'une application partielle et inefficace, la décision affirme que le compte rendu complet de la réunion tenue le 3 mai 1983 indiquerait qu'à cette époque le cas de divers clients aurait été examiné en détail, de même que les offres de prix faites ou à faire par chaque producteur à ces clients et les volumes livrés ou en commande.
140 La décision (point 20) fait également grief à Monte d'avoir assisté à des réunions locales qui étaient consacrées à la mise en œuvre au niveau national des mesures convenues au cours des réunions plénières.
b) Arguments des parties
141 La requérante fait valoir qu'elle n'a pas participé au système d'"account leadership" et qu'un tel système n'a pas été mis en œuvre, même s'il a fait l'objet de discussions. Elle expose, à partir d'une étude fondée sur les comptes rendus des réunions du 2 septembre et du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 29 et 33), que ses ventes aux clients qui sont mentionnés dans ces comptes rendus et dont elle aurait dû être "l'account leader" n'ont constitué qu'entre 0 et 18 % des achats de ceux-ci. Dans ces conditions, il eût été impossible qu'elle joue le rôle d'"account leader" vis-à-vis de ces clients.
142 La Commission se réfère aux éléments de preuve mentionnés dans la décision pour affirmer que les participants aux réunions se sont entendus pour mettre en place le système d'"account leadership" et que, à supposer qu'il soit vrai que ce système n'a reçu qu'une exécution imparfaite, il n'en resterait pas moins qu'il a été adopté lors des réunions.
c) Appréciation du Tribunal
143 Le Tribunal considère qu'il y a lieu d'interpréter le point 27 de la décision à la lumière du point 26, deuxième alinéa, non comme faisant grief à chacun des producteurs de s'être engagé individuellement à prendre toutes les mesures qui y sont mentionnées, mais bien comme faisant grief à chacun de ces producteurs d'avoir, à divers moments lors des réunions, adopté avec les autres producteurs un ensemble de mesures, mentionnées dans la décision, destinées à créer des conditions favorables à une augmentation des prix, notamment en réduisant artificiellement l'offre de polypropylène, ensemble dont l'exécution, en ses diverses mesures, était répartie d'un commun accord entre les différents producteurs en fonction de leur situation spécifique.
144 Force est de constater que, en participant aux réunions au cours desquelles cet ensemble de mesures a été adopté [((notamment celles des 13 mai, 2 et 21 septembre 1982 (g.g. ann. 24, 29, 30) ))], la requérante a souscrit à celui-ci, puisqu'elle n'avance aucun indice de nature à établir le contraire. A cet égard, l'adoption du système d'"account leadership" ressort du passage suivant du compte rendu de la réunion du 2 septembre 1982:
"about the dangers of everyone quoting exactly DM 2 A.'s point was accepted but rather than go below DM 2 it was suggested & generally agreed that others than the major producers at individual accounts should quote a few pfs higher. Whilst customer tourism was clearly to be avoided for the next month or two it was accepted that it would be very difficult for companies to refuse to quote at all when, as was likely, customers tried to avoid paying higher prices to the regular suppliers. In such cases producers would quote but at above the minimum levels for October".
("la remarque d'A. à propos des risques qui existeraient si tout le monde proposait exactement 2 DM a été acceptée; toutefois au lieu de descendre en dessous de 2 DM, on a avancé l'idée - qui a été acceptée par tous - que des producteurs autres que les principaux fournisseurs d'un client donné devraient proposer un prix dépassant ce prix de quelques pfennigs. Tout en décidant clairement d'éviter toute nouvelle prospection pendant le mois ou les deux mois suivants, on a admis qu'il serait très difficile aux entreprises de refuser de présenter des offres, si, comme c'était probable, les clients essayaient d'éviter les prix plus élevés des fournisseurs réguliers. Dans ce cas, les producteurs devaient faire une offre, mais à un niveau supérieur aux niveaux minimaux d'octobre").
De même, lors de la réunion du 21 septembre 1982, à laquelle participait la requérante, il a été déclaré: "In support of the move, BASF, Hercules and Hoechst said they would be taking plant off line temporarily" ("Pour appuyer l'action, BASF, Hercules et Hoechst ont dit qu'elles mettraient une de leurs installations temporairement hors circuit") et à celle du 13 mai 1982, Fina a dit: "Plant will be shut down for 20 days in August" ("L'usine sera fermée pendant 20 jours en août").
145 En ce qui concerne l'"account leadership", le Tribunal constate qu'il ressort des comptes rendus des réunions du 2 septembre 1982 (g.g. ann. 29), du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33) et du printemps 1983 (g.g. ann. 37), auxquelles participait la requérante, qu'au cours de celles-ci les producteurs présents ont adhéré à ce système.
146 Il faut ajouter que l'étude produite par la requérante ne porte que sur sept clients dont la Commission soutient que Monte a été désignée comme "account leader", soit Eurofil, Seal, Sisal, T. Radici, Polymekon, Its Artea, Seeber, alors que son nom figure à côté de ceux de neuf clients supplémentaires, à savoir, dans le tableau joint au compte rendu de la réunion du 2 septembre 1982, Baumhueter, De Magistris, Uco, Bexer, Alfa et Bellotex et, dans le tableau joint au compte rendu de la réunion du 2 décembre 1982, Sekisni, Campanini, De Magistris et Sergal. Par conséquent, le Tribunal considère que le caractère excessivement limité de cette étude ne permet pas d'étayer les conclusions qu'en tire la requérante.
147 La mise en œuvre, à tout le moins partielle, de ce système est attestée par le compte rendu de la réunion du 3 mai 1983 (g.g. ann. 38), dans lequel on peut lire notamment ce qui suit:
"Belgium. A long discussion took place on the 5 Belgian A/Cs ... Generally speaking raffia prices appeared to be from BFR 32.50 to 34.50 and fibre prices from 37 to 37.50. The point was made that some other accounts were lower than the target-customers. It was agreed that contenders would quote BFR 36 in May with non-contenders offering 38."
("Belgique. Une longue discussion a eu lieu à propos des 5 A/Cs. belges ... D'une manière générale, il est apparu que les prix du raphia se situaient entre 32,50 et 34,50 BFR et les prix des fibres entre 37 et 37,50 BFR. Il a été signalé que certains autres clients étaient plus bas que les clients-cibles. Il a été convenu que les 'contenders' proposeraient 36 BFR en mai et que les 'non-contenders' feraient offre à 38.")
"Denmark. A long discussion took place on Jacob Holm who is asking for quotations for the 3rd quarter. It was agreed not to do this and to restrict offers to the end of June, April/May levels were at DKR 6.30 (DM 1.72). Hercules were definitely in and should not have been so. To protect BASF, it was agreed that CWH (uels) + ICI would quote DKR 6.75 from now to end June (DM 1.85) ..."
[(("Danemark. Une longue discussion a eu lieu à propos de Jacob Holm qui a demandé une remise de prix pour le troisième trimestre. Les participants à la réunion ont décidé de n'en rien faire et de clôturer les offres à la fin du mois de juin. Pour les mois d'avril et de mai, les prix se situaient au niveau de 6,30 DKR (1,72 DM). Il est clair qu'Hercules était candidate et qu'elle n'aurait pas dû. Pour protéger BASF, il a été convenu que CWH(uels) + ICI vendraient désormais à 6,75 DKR, et ce jusqu'à la fin du mois de juin (1,85 DM) ..."))]
Cette mise en œuvre est confirmée par la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), qui indique à propos de ce dernier passage:
"In the Spring of 1983 there was a partial attempt by some producers to operate the 'Account Leadership' scheme ... Since Hercules had not declared to the 'Account Leader' its interest in supplying Jacob Holm, the statement was made at this meeting in relation to Jacob Holm that 'Hercules were definitely in and should not have been so'. It should be made clear that this statement refers only to the Jacob Holm account and not to the Danish market. It was because of such action by Hercules and others that the 'Account Leadership' scheme collapsed after at most two months of partial and ineffective operation.
The method by which Hüls and ICI should have protected BASF was by quoting a price of DKR 6.75 for the supply of raffia grade polypropylene to Jacob Holm until the end of June."
("Au printemps 1983, certains producteurs ont essayé de mettre partiellement en œuvre le système d''account leadership'... Comme Hercules n'avait pas fait savoir à l''account leader' qu'elle était disposée à assurer les fournitures à Jacob Holm, il a été déclaré au cours de cette réunion à propos de Jacob Holm que 'il est clair qu'Hercules était candidate et qu'elle n'aurait pas dû l'être'. Il importe de souligner que cette affirmation se réfère uniquement au client Jacob Holm et non pas au marché danois. C'est à cause d'un tel comportement d'Hercules et d'autres que le système d''account leadership' a échoué après deux mois maximum de fonctionnement partiel et inefficace.
La méthode par laquelle Hüls et ICI auraient dû protéger BASF consistait à remettre prix à 6,75 DKR pour la fourniture de polypropylène, qualité raphia, à Jacob Holm jusqu'à la fin du mois de juin.")
148 Cette mise en œuvre est encore corroborée par le compte rendu d'une réunion du printemps 1983 (g.g. ann. 37), dans lequel se trouvent repris, sous le titre "key Accounts" ("clients-clés"), les chiffres des livraisons de la requérante à différentes entreprises dont elle avait été désignée comme "account leader" soit lors de la réunion du 2 septembre 1982, soit lors de celle du 2 décembre 1982, comme Baumhueter, Campanini, Polymekon, Eurofil et Bellotex.
149 Le Tribunal constate, par ailleurs, que la requérante ne conteste pas spécifiquement avoir pris part à la décision d'adopter d'autres mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix.
150 Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés portant sur les mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix mentionnées dans la décision.
E - Tonnages cibles et quotas
a) Acte attaqué
151 Selon la décision (point 31, troisième alinéa), "la nécessité d'un système rigoureux de quotas (aurait été) reconnue" au cours de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, dont le compte rendu mentionnerait un projet proposé ou convenu à Zurich en vue de limiter les ventes mensuelles à 80 % de la moyenne atteinte au cours des huit premiers mois de l'année.
152 La décision (point 52) relève encore que divers projets de répartition du marché avaient déjà été appliqués avant le mois d'août 1982. Si chaque producteur s'était vu allouer un pourcentage du volume total estimé des commandes, il n'aurait cependant existé aucune limitation systématique préalable de la production globale. Aussi les estimations du marché total auraient-elles été revues régulièrement et les ventes de chaque producteur, exprimées en tonnages, ajustées pour correspondre au pourcentage autorisé.
153 Des objectifs en matière de volume (exprimés en tonnes) auraient été fixés pour 1979; ils se seraient basés au moins partiellement sur les ventes réalisées au cours des trois années antérieures. Des tableaux découverts chez ICI indiqueraient l'"objectif ajusté" par producteur pour 1979, comparé au tonnage réellement vendu au cours de cette période en Europe occidentale (décision, point 54).
154 A la fin de février 1980, les producteurs auraient convenu d'objectifs de volumes pour 1980, exprimés cette fois encore en tonnages, sur la base d'un marché annuel total estimé à 1 390 000 tonnes. Selon la décision (point 55), des tableaux indiquant les "objectifs convenus" afférents à chaque producteur pour 1980 auraient été découverts chez ATO et ICI. Cette première estimation du marché global se révélant trop optimiste, le quota de chaque producteur aurait dû être ajusté à la baisse pour correspondre à une consommation totale pour cette année de 1 200 000 tonnes seulement. Sauf pour ICI et DSM, les ventes réalisées par les différents producteurs correspondraient grosso modo à leur cible.
155 Selon la décision (point 56), la répartition du marché pour 1981 aurait fait l'objet de négociations longues et complexes. Lors des réunions de janvier 1981, il aurait été convenu, à titre de mesure temporaire, que, pour aider à réaliser l'initiative de prix de février-mars, chaque producteur réduirait ses ventes mensuelles à 1-12 de 85 % de l'"objectif" de 1980. En attendant qu'un plan plus permanent soit mis au point, chaque producteur aurait communiqué à la réunion le tonnage qu'il espérait vendre en 1981. Toutefois, l'addition de ces "ambitions" aurait excédé largement les prévisions de la demande totale. En dépit de plusieurs formules de compromis avancées par Shell et ICI, aucun accord de quota définitif n'aurait pu être conclu pour 1981. Comme mesure provisoire, les producteurs se seraient assigné à chacun le même quota théorique que l'année précédente et auraient rendu compte des ventes réalisées chaque mois, au cours de la réunion. En conséquence, les ventes réalisées auraient été vérifiées à la lumière d'une répartition théorique du marché disponible sur la base du quota de 1980 (décision, point 57).
156 La décision (point 58) expose que, pour 1982, les producteurs ont soumis des propositions de quotas complexes, où ils ont tenté de concilier des facteurs divergents, tels que les résultats antérieurs, les ambitions sur le marché et les capacités disponibles. Le marché total à répartir aurait été estimé à 1 450 000 tonnes. Certains producteurs auraient soumis des plans détaillés de répartition du marché, d'autres se contentant de communiquer leurs propres ambitions en matière de tonnages. Lors de la réunion de 10 mars 1982, Monte et ICI auraient tenté d'aboutir à un accord. La décision (point 58, dernier alinéa) relève cependant que, comme en 1981, aucun accord définitif n'aurait pu être atteint et que, pendant le premier semestre de l'année, les ventes mensuelles de chaque producteur auraient été communiquées lors des réunions et comparées au pourcentage réalisé au cours de l'année précédente. Selon la décision (point 59), lors de la réunion d'août 1982, les pourparlers en vue d'arriver à un accord sur les quotas pour 1983 auraient été poursuivis et ICI aurait procédé avec chacun des producteurs à des discussions bilatérales, consacrées au nouveau système. Toutefois, en attendant l'introduction d'un tel système de quotas, les producteurs auraient été invités à limiter leurs ventes mensuelles, pendant le second semestre de 1982, au pourcentage du marché global réalisé par chacun d'entre eux pendant les six premiers mois de l'année 1982. Ainsi, en 1982, les parts de marché auraient atteint un certain équilibre qualifié par ATO de "quasi-consensus" et, parmi les grands, ICI et Shell se seraient maintenues à quelque 11 % et Hoechst à un niveau légèrement inférieur (10,5 %). Monte, qui serait restée le plus gros producteur, aurait progressé légèrement et occuperait 15 % du marché, contre 14,2 % l'année précédente.
157 D'après la décision (point 60), pour 1983, ICI aurait invité chaque producteur à communiquer ses propres ambitions et ses idées quant au pourcentage du marché qu'il conviendrait d'attribuer à chacun des autres. Ainsi, Monte, Anic, ATO, DSM, Linz, Saga et Solvay, de même que les producteurs allemands par le truchement de BASF, auraient fait parvenir des propositions détaillées. Après cela, ces diverses propositions auraient été traitées sur ordinateur pour obtenir une moyenne, qui aurait été comparée ensuite aux aspirations de chaque producteur. Ces opérations auraient permis à ICI de proposer des lignes directrices pour un nouvel accord-cadre pour 1983. Pour ICI, il aurait paru essentiel au succès de tout nouveau plan que les "quatre grands" présentent un front uni devant les autres producteurs. L'opinion de Shell, communiquée à ICI, aurait été que Shell, ICI et Hoechst devraient avoir chacune un quota de 11 %. La proposition d'ICI pour 1983 aurait donné 19,8 % aux producteurs italiens, 10,9 % à Hoechst et Shell et 11,1 % à ICI elle-même (décision, point 62). Ces propositions auraient été discutées lors des réunions de novembre et de décembre 1982. Une proposition, limitée dans un premier temps au premier trimestre de l'année, aurait été discutée lors de la réunion du 2 décembre 1982. Le compte rendu de cette réunion établi par ICI indiquerait qu'ATO, DSM, Hoechst, Hüls, ICI, Monte et Solvay, de même qu'Hercules, auraient trouvé "acceptable" le quota qui leur aurait été attribué (décision, point 63). Ces informations seraient corroborées par le résumé d'un entretien téléphonique d'ICI avec Hercules, daté du 3 décembre 1982.
158 La décision (point 63, troisième alinéa) affirme qu'un document découvert chez Shell confirmerait qu'un accord est intervenu, dans la mesure où cette entreprise se serait efforcée de ne pas dépasser son quota. Ce document confirmerait également qu'un système de régulation des volumes aurait continué à être appliqué pendant le deuxième trimestre de 1983, dans la mesure où, afin de maintenir sa part de marché aux alentours de 11 % durant le deuxième trimestre, les sociétés nationales de vente du groupe Shell auraient reçu l'ordre de réduire leurs ventes. L'existence de cet accord serait confirmée par le compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 qui, bien que ne mentionnant pas de quotas, relaterait un échange d'informations ayant eu lieu entre les "experts" sur les tonnages vendus par chaque producteur au cours du mois précédent, ce qui semblerait indiquer qu'un système de quotas était appliqué (décision, point 64).
159 La décision (point 65) relève que, bien qu'aucun système de pénalisation pour dépassement des quotas n'ait jamais été instauré, le système en vertu duquel chaque producteur faisait rapport aux réunions sur le tonnage qu'il avait vendu au cours du mois précédent, s'exposant ainsi aux critiques éventuelles d'autres producteurs pour avoir fait preuve d'indiscipline, aurait incité les producteurs à respecter le quota qui leur avait été attribué.
b) Arguments des parties
160 La requérante reconnaît que des discussions ont eu lieu à plusieurs reprises sur diverses hypothèses d'instauration de quotas-cibles. Toutefois, il n'y aurait pas eu d'accord, mais simplement des échanges d'informations, d'ailleurs non contrôlées et souvent mensongères, ainsi que l'indiqueraient des différences entre les chiffres disponibles à travers le système Fides d'échange de données et les statistiques établies ex post. Les producteurs auraient toujours fait prévaloir leurs intérêts individuels et ne se seraient jamais considérés comme engagés. La Commission elle-même assortirait la décision de nombreuses réserves reconnaissant que l'attribution de quotas-cibles n'était accompagnée d'aucun mécanisme de sanction en cas de non-respect de ces prétendus quotas, mais elle n'en conclurait pas moins à tort à l'existence d'un système de quotas.
161 Elle soutient que la Commission n'a pas prouvé que la prétendue concertation aurait eu un effet sur le marché. Il y aurait, en réalité, des différences sensibles entre les quotas-cibles prétendument attribués à Monte et sa part de marché constatée ex post. Des différences analogues, et parfois plus élevées, s'observeraient également pour les autres producteurs (g.g. ann. 17).
162 La requérante explique, en outre, que les parts de marché de chaque producteur ont varié significativement au cours de cette période, ce qui démontrerait l'indépendance des politiques menées par chacun d'entre eux.
163 Enfin, elle fait remarquer que la Commission oublie que, face à une demande stagnante et à une offre excédentaire, tout producteur sait que, s'il veut augmenter les prix, il devra renoncer à une partie de ses ventes.
164 La Commission, par contre, soutient que les accords de quotas ont été conclus pour les années 1979, 1980 et 1983. Pour les années 1981 et 1982, elle estime qu'aucun accord définitif n'a pu être conclu, mais que des solutions provisoires ont été adoptées.
165 Pour l'année 1979, la Commission estime qu'il ressort, sans aucun doute possible, du tableau intitulé "Producers Sales to West Europe" ("Ventes des producteurs en Europe occidentale") (g.g. ann. 55) que Monte a participé à un système de quotas. En effet, ce tableau contient, pour les différents producteurs, les ventes des années 1976, 1977 et 1978, qui auraient été prises comme base pour la répartition des parts de marché pour 1979. Ce tableau contiendrait également une colonne portant sur un "objectif révisé" pour cette même année. La Commission estime que les quotas-cibles pour 1979 auraient été élaborés en 1979 et non pas en 1980. En outre, ce document serait également corroboré par le compte rendu d'une réunion de producteurs tenue les 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12), qui montrerait que la question des tonnages-cibles aurait été débattue et que les participants auraient reconnu qu'un système strict de quotas était essentiel.
166 Pour l'année 1980, elle soutient qu'un accord de quotas a été conclu. Elle fonde cette affirmation essentiellement sur un tableau daté du 26 février 1980, intitulé "Polypropylene - Sales target 1980 (kt)" [(("Polypropylène - Objectif de vente 1980 (kt)"))], découvert chez ATO (g.g. ann. 60), qui compare pour tous les producteurs d'Europe occidentale, un "1980 target" ("objectif 1980"), des "opening suggestions" ("suggestions de départ"), des "proposed adjustments" ("ajustements proposés") et des "agreed targets 1980" ("objectifs convenus 1980"). Ce document montrerait le processus d'élaboration des quotas. Cette analyse serait confirmée par le compte rendu des deux réunions de janvier 1981 (g.g. ann. 17), au cours desquelles les objectifs de volumes de vente auraient été comparés aux quantités effectivement vendues par les différents producteurs. La Commission souligne que l'objectif du système de quotas était de stabiliser les parts de marché. C'est pourquoi les accords portaient sur les parts de marché, qui étaient ensuite converties en tonnages pour servir de chiffres de référence, car, à défaut d'une telle conversion, il n'aurait pas été possible de constater à partir de quel moment un participant à l'entente devait freiner ses ventes conformément aux accords. Dans ce but, il était indispensable de prévoir le volume total des ventes. Pour l'année 1980, les prévisions initiales s'étant révélées trop optimistes, le volume total des ventes initialement prévu aurait dû être adapté à plusieurs reprises, entraînant une adaptation des tonnages attribués à chacune des entreprises. Selon la Commission, la preuve d'un accord sur les quotas pour 1980 serait ainsi administrée.
167 Pour l'année 1981, la Commission reconnaît qu'il n'y a pas eu d'accord couvrant l'ensemble de l'année. Les producteurs se seraient toutefois entendus, à titre de mesure temporaire, pour limiter leurs volumes mensuels de vente des mois de février et de mars à 1-12 de 85 % des objectifs convenus pour l'année précédente, comme l'attesterait le compte rendu des deux réunions de janvier 1981. Pendant les autres mois de l'année, un système de contrôle continu des volumes mis sur le marché par les différents producteurs aurait fonctionné.
168 Pour l'année 1982, la situation se serait présentée de la même façon qu'en 1981. Bien qu'aucun accord sur les quotas n'ait été conclu, le contrôle des parts de marché des différents producteurs se serait poursuivi lors des réunions des 9 juin et 20 août 1982 (g.g. ann. 25 et 28) ainsi qu'aux réunions d'octobre, novembre et décembre 1982 (g.g. ann. 31 à 33). La Commission maintient qu'il y aurait eu pour cette période une stabilité relative des parts de marché. Cela serait mis en évidence dans un document d'ATO (g.g. ann. 72) qui qualifie la situation de "quasi-consensus". La Commission renvoie également aux constatations faites aux points 58 et 59 de la décision.
169 La Commission poursuit en affirmant qu'elle dispose des chiffres de vente que les différents producteurs souhaitaient réaliser et des propositions qu'ils ont faites en ce sens, pour eux-mêmes et pour les autres producteurs, à la demande d'ICI et qu'ils ont communiquées à cette dernière en vue de la conclusion d'un accord de quotas pour 1983 (g.g. ann. 74 à 76 et 78 à 84). Selon la Commission, les propositions ont été traitées sur ordinateur pour obtenir une moyenne, qui a été comparée ensuite aux aspirations de chaque producteur (g.g. ann. 85). A ces documents, la Commission ajoute une note interne d'ICI, intitulée "Polypropylene framework 1983" ("Schéma polypropylène 1983", g.g. ann. 86), dans laquelle ICI décrit les grandes lignes d'un futur accord sur les quotas ainsi qu'une autre note interne d'ICI, intitulée "Polypropylene framework" ("Schéma polypropylène", g.g. ann. 87), montrant que cette dernière considérait qu'un accord sur les quotas était indispensable.
170 La Commission soutient que de nombreux indices convergents font apparaître l'existence d'un accord sur les quotas pour le premier trimestre et elle se fonde, tout d'abord, à cet égard sur le tableau 2 joint au compte rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33). Ce tableau indique pour chaque producteur un quota qui, pour la plupart d'entre eux, serait marqué d'un astérisque renvoyant au terme "acceptable" qui figure au bas du tableau. On pourrait en déduire qu'un pas notable a alors été réalisé dans le sens d'un accord sur les quotas, puisque tous les producteurs auraient approuvé le principe d'un tel accord et que la plupart d'entre eux auraient accepté le quota individuel qui leur aurait été attribué. Il ressortirait, en outre, d'une note interne d'ICI de décembre 1982 (g.g. ann. 35) que, dès le début de l'année 1983, l'élaboration d'un accord sur les quotas aurait été considérée par ICI comme indispensable au bon fonctionnement de l'entente. Ces documents démontreraient que des efforts considérables auraient été consentis afin de parvenir à un accord sur les quotas pour le premier trimestre de 1983.
171 La Commission soutient que les propositions ont abouti à un accord et elle fonde son affirmation, pour le premier trimestre, sur un document interne de Shell (g.g. ann. 90), qui prouverait que cette dernière a souscrit à un accord de quota pour 1983, puisqu'elle a enjoint à ses filiales de réduire leurs ventes pour respecter son quota ("This compares with W.E. Sales in 1Q of 43 kt: and would lead to a market share of approaching 12 % and well above the agreed SHELL target of 11 %"; "ce chiffre est à comparer avec 43 kilotonnes de ventes pour l'Europe occidentale au cours du premier trimestre; et conduirait à une part de marché qui avoisinerait 12 % et qui serait très supérieure à l'objectif Shell convenu, de 11 %"). Or, pour pouvoir fonctionner et obtenir l'adhésion de toutes les entreprises intéressées, un tel accord de quotas devrait, selon la Commission, s'appliquer à toutes les entreprises d'un secteur. Par conséquent, Monte aurait nécessairement dû participer à cet accord.
172 Pour le deuxième trimestre de 1983, le même raisonnement s'appliquerait également et serait corroboré par le compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40) et par un tableau définissant des "1983 aspirations" à partir des chiffres de vente du premier semestre de 1982 (g.g. ann. 84) qui, selon la Commission, montrent que les échanges d'informations relatives aux quantités vendues servaient au contrôle des quotas.
173 La Commission affirme que le non-respect des quotas prévus ne fait pas disparaître l'infraction et que ces quotas ont au moins exercé un effet de frein sur les ventes. La Commission aurait constaté l'existence d'accords de quotas non pas par des déductions économiques abstraites, mais, en tout premier lieu, en se fondant sur les nombreuses preuves documentaires qu'elle a produites. Elle ajoute que la fixation de quotas était un instrument permettant d'accroître l'efficacité de l'entente sur les prix, en ce qu'elle incitait les différents partenaires à respecter le prix convenu et à limiter l'offre.
174 Elle ajoute que le caractère mensonger des informations échangées confirme plus qu'il n'infirme que celles-ci devaient servir à établir des quotas, car, sans cela, la manipulation des chiffres n'aurait pas eu de sens.
c) Appréciation du Tribunal
175 Le Tribunal rappelle que la requérante a participé, dès le début, aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène au cours desquelles des discussions relatives aux volumes de vente des différents producteurs ont eu lieu et des informations à ce sujet ont été échangées.
176 Il convient de relever, parallèlement à la participation de Monte aux réunions, que son nom figure dans différents tableaux (g.g. ann. 55 à 61), dont le contenu indique clairement qu'ils étaient destinés à la définition d'objectifs de volumes de vente. Or, la plupart des requérantes ont admis, dans leurs réponses à une question écrite posée par le Tribunal, qu'il n'aurait pas été possible d'établir les tableaux découverts chez ICI, ATO et Hercules sur la base des statistiques du système Fides. ICI a d'ailleurs déclaré dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) à propos d'un de ces tableaux que "the source of information for actual historic figures in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres de ce tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisés a dû être les producteurs eux-mêmes"). La Commission était donc en droit de considérer que le contenu de ces tableaux, en ce qui la concerne, avait été fourni par Monte dans le cadre des réunions auxquelles elle participait.
177 Quant au caractère mensonger de ces informations, qui serait établi notamment par les différences entre les chiffres repris dans ces tableaux et ceux contenus dans le système Fides, il convient de remarquer, d'une part, qu'il est en partie démenti par la mention, sous le tableau intitulé "Producers Sales to West Europe" ("Ventes des producteurs en Europe occidentale", g.g. ann. 55), d'une comparaison entre les chiffres fournis par certains et les chiffres du système Fides. Il y a lieu d'observer, d'autre part, que leur caractère éventuellement mensonger tend à confirmer qu'ils étaient destinés à une prise de décision suite à des négociations ayant pour objet de concilier des intérêts individuellement contraires mais globalement convergents.
178 La terminologie utilisée dans les tableaux relatifs aux années 1979 et 1980 [((comme "revised target" ("objectif révisé"), "opening suggestions" ("suggestions de départ"), "proposed adjustments" ("ajustements proposés"), "agreed targets" ("objectifs convenus"))] permet de conclure que des concours de volontés entre les producteurs sont intervenus.
179 En ce qui concerne plus particulièrement l'année 1979, il convient de relever, sur la base de l'ensemble du compte rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12) et sur la base du tableau, non daté, saisi chez ICI, intitulé "Producers Sales to West Europe", reprenant pour tous les producteurs de polypropylène d'Europe occidentale les chiffres de vente en kilotonnes pour 1976, 1977 et 1978 ainsi que des chiffres mentionnés sous les rubriques "1979 actual" ("chiffres effectifs de 1979"), "revised target" ("objectif révisé") et "79", que la nécessité de rendre le système de quotas convenu pour l'année 1979 plus rigoureux pour les trois derniers mois de cette année a été reconnue lors de cette réunion. En effet, le terme "tight" ("strict"), lu en combinaison avec la limitation à 80 % de 1-12 des ventes annuelles prévues, indique que le régime initialement envisagé pour l'année 1979 devait être rendu plus rigoureux pour ces trois derniers mois. Cette interprétation du compte rendu est corroborée par le tableau susmentionné, parce que celui-ci contient, sous le titre "79" dans la dernière colonne à droite de la colonne intitulée "revised target" ("objectif révisé"), des chiffres qui doivent correspondre aux quotas initialement fixés. Ceux-ci ont dû être révisés dans un sens plus rigoureux, parce qu'ils avaient été établis sur la base d'un marché évalué de manière trop optimiste, comme cela a également été le cas en 1980. Ces constatations ne sont pas infirmées par la référence, contenue au point 31, troisième alinéa, de la décision, à un projet "proposé ou convenu à Zurich en vue de limiter les ventes mensuelles à 80 % de la moyenne atteinte au cours des huit premiers mois de l'année". En effet, cette référence, lue en combinaison avec le point 54 de la décision, doit être comprise en ce sens que des objectifs de volumes de vente avaient déjà été définis initialement pour les ventes mensuelles des huit premiers mois de l'année 1979.
180 En ce qui concerne l'année 1980, le Tribunal constate que la fixation d'objectifs de volumes de vente pour l'ensemble de l'année ressort du tableau daté du 26 février 1980, trouvé chez ATO (g.g. ann. 60) et comportant une colonne "agreed targets 1980" ("objectifs convenus 1980"), ainsi que du compte rendu des réunions de janvier 1981 (g.g. ann. 17), au cours desquelles des producteurs, parmi lesquels figure la requérante, ont comparé les quantités effectivement vendues ("Actual kt") aux objectifs fixés ("Target kt"). A cet égard, il importe de relever que le fait que les chiffres repris pour la requérante comme "cible" pour 1980 diffèrent entre le tableau du 26 février 1980, où cette cible est de 205 kilotonnes, et le compte rendu des réunions de janvier 1981, où elle est de 177,6 kilotonnes, n'est pas de nature à infirmer cette constatation, dans la mesure où, au cours de l'année 1980, les prévisions des producteurs sur le volume du marché pour cette année ont dû être révisées à la baisse, ce qui a entraîné - dans la même proportion - une révision à la baisse des quotas attribués à la requérante et aux autres producteurs. En effet, en février 1980, les quotas définis étaient basés sur un marché de 1 390 kilotonnes dans la colonne "agreed targets 1980" ("objectifs convenus 1980") tandis qu'en janvier 1981 il s'est avéré que le marché s'était limité à 1 200 kilotonnes.
181 Il faut ajouter qu'il résulte du même compte rendu des réunions de janvier 1981 que Monte a fourni ses chiffres de vente de l'année 1980, afin de les comparer aux objectifs de volumes de vente définis et acceptés pour 1980.
182 Pour l'année 1981, le Tribunal relève qu'il est fait grief aux producteurs d'avoir participé aux négociations en vue d'aboutir à un accord de quotas pour cette année, d'avoir, dans ce cadre, communiqué leurs "ambitions" et, dans l'attente d'un tel accord, d'avoir convenu, à titre de mesure temporaire, de réduire leurs ventes mensuelles à 1-12 de 85 % de l'"objectif" convenu pour 1980 pendant les mois de février et de mars de 1981, de s'être assigné pour le reste de l'année le même quota théorique que l'année précédente, d'avoir chaque mois, lors des réunions, donné connaissance de leurs ventes, et, enfin, d'avoir vérifié si leurs ventes respectaient le quota théorique assigné.
183 L'existence de négociations entre les producteurs, en vue d'aboutir à l'instauration d'un régime de quotas, et la communication de leurs "ambitions" au cours de ces négociations sont attestées par différents éléments de preuve, comme des tableaux reprenant, pour chaque producteur, ses chiffres "actual" et ses "targets" pour les années 1979 et 1980, ainsi que ses "aspirations" pour 1981 (g.g. ann. 59 et 61); un tableau rédigé en italien (g.g. ann. 62) reprenant, pour chaque producteur, son quota pour 1980, les propositions d'autres producteurs quant au quota qu'il faut lui attribuer pour 1981 et ses propres "ambitions" pour 1981; ainsi qu'une note interne d'ICI (g.g. ann. 63) décrivant l'évolution de ces négociations dans laquelle on peut lire:
"Taking the various alternatives discussed at yesterday's meeting we would prefer to limit the volume to be shared to no more than the market is expected to reach in 1981, say 1.35 million tonnes. Although there has been no further discussion with Shell, the four majors could set the lead by accepting a reduction in their 1980 target market share of about 0.35 % provided the more ambitious smaller producers such as Solvay, Saga, DSM, Chemie Linz, Anic/SIR also tempered their demands. Provided the majors are in agreement the anomalies could probably be best handled by individual discussions at Senior level, if possible before the meeting in Zurich."
("Parmi les diverses solutions discutées pendant la réunion d'hier, nous préférerions que le volume à partager soit limité à un volume ne dépassant pas le marché qu'on escompte atteindre en 1981, soit 1,35 million de tonnes. Bien qu'il n'y ait pas eu d'autres discussions avec Shell, les 'quatre grands' pourraient donner l'exemple en acceptant une réduction d'environ 0,35 % de leur objectif de part de marché 1980, à condition que les plus ambitieux des producteurs moins importants, tels que Solvay, Saga, DSM, Chemie Linz, Anic/SIR tempèrent aussi leurs exigences. A condition que les grands soient d'accord, la meilleure façon de traiter les anomalies consisterait certainement à les discuter individuellement au niveau des 'patrons', si possible avant la réunion de Zurich.")
Ce document est accompagné d'une proposition de compromis chiffrée, comparant le résultat obtenu pour chacun par rapport à 1980 ("% of 1980 target").
184 L'adoption de mesures temporaires consistant en une réduction des ventes mensuelles à 1-12 de 85 % de l'objectif convenu l'année précédente pendant les mois de février et de mars 1981 résulte du compte rendu des réunions de janvier 1981, dans lequel on peut lire:
"In the meantime (février-mars) monthly volume would be restricted to 1-12 of 85 % of the 1980 target with a freeze on customers."
[(("Dans l'intervalle (février-mars) le volume mensuel serait réduit à 1-12 de 85 % de l'objectif 1980 avec un gel des clients."))]
185 Le fait que les producteurs se soient assigné, pour le reste de l'année, le même quota théorique que l'année précédente et aient vérifié si les ventes respectaient ce quota, en s'échangeant chaque mois les chiffres de leurs ventes, est établi par la combinaison de trois documents. Il s'agit, tout d'abord, d'un tableau daté du 21 décembre 1981 (g.g. ann. 67), reprenant pour chaque producteur ses ventes ventilées par mois, dont les trois dernières colonnes, relatives aux mois de novembre et de décembre ainsi qu'au total annuel, ont été ajoutées à la main. Il s'agit, ensuite, d'un tableau non daté, rédigé en italien, intitulé "Scarti per società" ("écarts ventilés par société") et découvert chez ICI (g.g. ann. 65), qui compare pour chaque producteur pour la période janvier-décembre 1981 les chiffres de vente "actual" avec les chiffres "theoretic(al)" ("théoriques"). Il s'agit, enfin, d'un tableau non daté, découvert chez ICI (g.g. ann. 68), comparant pour chaque producteur pour la période janvier-novembre 1981 les chiffres de vente et les parts de marché avec ceux de 1979 et de 1980, et ce en opérant une projection pour la fin de l'année.
186 En effet, le premier tableau montre que les producteurs ont échangé les chiffres de leurs ventes mensuelles. Lorsqu'il est combiné avec les comparaisons entre ces chiffres et ceux réalisés en 1980 - comparaisons qui ont été effectuées dans les deux autres tableaux, portant sur la même période - un tel échange d'informations, qu'un opérateur indépendant préserve rigoureusement comme secrets d'affaires, corrobore les conclusions auxquelles est parvenue la décision.
187 La participation de la requérante à ces différentes activités résulte, d'une part, de sa participation aux réunions au cours desquelles ces actions ont eu lieu, et notamment aux réunions de janvier 1981, et, d'autre part, de la mention de son nom dans les différents documents susmentionnés. Dans ces documents figurent d'ailleurs des chiffres dont ICI a déclaré dans sa réponse à une question écrite posée par le Tribunal - à laquelle d'autres requérantes font référence dans leur propre réponse - qu'il n'aurait pas été possible de les établir sur la base des statistiques du système Fides.
188 Pour l'année 1982, le Tribunal relève qu'il est fait grief aux producteurs d'avoir participé aux négociations en vue d'aboutir à un accord de quotas pour cette année; d'avoir, dans ce cadre, communiqué leurs ambitions en matière de tonnages; d'avoir, à défaut d'accord définitif, communiqué lors des réunions leurs chiffres de ventes mensuelles pendant le premier semestre, en les comparant au pourcentage réalisé au cours de l'année précédente, et de s'être, pendant le second semestre, efforcés de limiter leurs ventes mensuelles au pourcentage du marché global réalisé pendant le premier semestre de cette année.
189 L'existence de négociations entre les producteurs en vue d'aboutir à l'instauration d'un régime de quotas et la communication, dans ce cadre, de leurs ambitions sont attestées, en premier lieu, par un document intitulé "Scheme for discussions quota system 1982'" ("Schéma de discussion d'un système de quotas 1982", g.g. ann. 69), dans lequel figure, pour l'ensemble des destinataires de la décision, à l'exception d'Hercules, le tonnage auquel chacun estimait avoir droit et, en outre, pour certains (tous sauf Anic, Linz, Petrofina, Shell et Solvay), le tonnage qui, d'après eux, devrait être attribué aux autres producteurs; en second lieu, par une note d'ICI intitulée "Polypropylene 1982, Guidelines" ("Polypropylène 1982, lignes directrices", g.g. ann. 70, a), dans laquelle ICI analyse les négociations en cours; en troisième lieu, par un tableau daté du 17 février 1982 (g.g. ann. 70, b), dans lequel différentes propositions de répartition des ventes sont comparées - dont l'une, intitulée "ICI Original Scheme" ("Schéma initial ICI"), fait l'objet, dans un autre tableau, manuscrit, d'adaptations mineures par Monte dans une colonne intitulée "Milliavacca 27-1-82" (il s'agit du nom d'un employé de Monte, g.g. ann. 70, c) - et, en dernier lieu, par un tableau rédigé en italien (g.g. ann. 71) qui constitue une proposition complexe (décrite au point 58, troisième alinéa, in fine, de la décision).
190 Les mesures prises pour le premier semestre sont établies par le compte rendu de la réunion du 13 mai 1982 (g.g. ann. 24), dans lequel on peut lire notamment:
"To support the move a number of other actions are needed a) limit sales volume to some agreed prop. of normal sales."
[(("A titre de soutien, un certain nombre d'autres mesures sont nécessaires a) limiter le volume des ventes à une certaine prop.(ortion) convenue des ventes normales."))]
En outre, la requérante a déclaré elle-même lors de cette réunion que:
"Now taking 10 % of Feluy output but no problems as strikes in Italy have restricted output & they have increased overseas sales. Stocks low with particular problems on copolymer. Could be further industrial trouble in July when Government announces decisions on Enoxy/MP."
("Prenons maintenant 10 % de la production de Feluy, mais pas de problèmes, car des grèves en Italie ont réduit la production et elles ont augmenté les ventes outre-mer. Stocks bas avec des problèmes particuliers pour le copolymère. Il pourrait y avoir de nouveaux problèmes industriels en juillet lorsque le gouvernement annoncera les décisions relatives à l'Enoxy/MP.")
191 L'exécution de ces mesures est attestée par le compte rendu de la réunion du 9 juin 1982 (g.g. ann. 25), auquel est joint un tableau reprenant pour chaque producteur le chiffre "actual" de ses ventes pour les mois de janvier à avril 1982, comparé avec un chiffre "theoretical based on 1981 av(erage) market share" ("théorique calculé sur la base de la part de marché moyenne de 1981"), ainsi que par le compte rendu de la réunion des 20 et 21 juillet 1982 (g.g. ann. 26), en ce qui concerne la période janvier-mai 1982, et par celui du 20 août 1982 (g.g. ann. 28), en ce qui concerne la période janvier-juillet 1982.
192 Les mesures prises pour le second semestre sont prouvées par le compte rendu de la réunion du 6 octobre 1982 (g.g. ann. 31), dans lequel on peut lire, d'une part, "In October this would also mean restraining sales to the Jan/June achieved market share of a market estimated at 100 kt" ("En octobre, cela impliquerait aussi de limiter les ventes à la part réalisée pendant la période janvier/juin sur un marché estimé à 100 Kt") et, d'autre part, "Performance against target in September was reviewed" ("Les résultats atteints par rapport à l'objectif en septembre ont fait l'objet d'un examen"). A ce compte rendu est joint un tableau, intitulé "September provisional sales versus target (based on Jan-June market share applied to demand est(imated) at 120 Kt)" [(("Ventes prévisionnelles de septembre par rapport à l'objectif (calculé sur la base de la part de marché janvier-juin appliquée à une demande estimée à 120 Kt)"))]. Le maintien de ces mesures est confirmé par le compte rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33), auquel est joint un tableau comparant, pour le mois de novembre 1982, les ventes "Actual" avec les chiffres "Theoretical", calculés à partir de "J-June % of 125 Kt" ("j-juin pourcentage de 125 kt").
193 Le Tribunal constate que, en ce qui concerne l'année 1981 ainsi que les deux semestres de l'année 1982, c'est à bon droit que la Commission a déduit de la surveillance mutuelle, lors des réunions périodiques, de la mise en œuvre d'un système de limitation des ventes mensuelles par référence à une période antérieure, que ce système avait été adopté par les participants aux réunions.
194 Pour l'année 1983, le Tribunal constate qu'il résulte des documents produits par la Commission (g.g. ann. 33, 85 et 87) que, à la fin de l'année 1982 et au début de l'année 1983, les producteurs de polypropylène ont discuté d'un régime de quotas portant sur l'année 1983, que la requérante a participé aux réunions au cours desquelles les discussions ont eu lieu, qu'elle a fourni à cette occasion des données relatives à ses ventes et que, dans le tableau 2 joint au compte rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33), la mention "acceptable" figure à côté du quota mis en regard du nom de la requérante.
195 Il s'ensuit que la requérante a participé aux négociations organisées en vue de parvenir à un régime de quotas pour l'année 1983.
196 Quant à la question de savoir si ces négociations ont effectivement abouti en ce qui concerne les deux premiers trimestres de l'année 1983, comme l'affirme la décision (points 63, troisième alinéa, et 64), le Tribunal relève qu'il résulte du compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40) que la requérante a indiqué au cours de cette réunion les chiffres de ses ventes pour le mois de mai, tout comme neuf autres entreprises. On peut lire, par ailleurs, dans le compte rendu d'une réunion interne du groupe Shell du 17 mars 1983 (g.g. ann. 90) que:
"... and would lead to a market share of approaching 12 % and well above the agreed Shell target of 11 %. Accordingly the following reduced sales targets were set and agreed by the integrated companies".
("... et conduirait à une part de marché qui avoisinerait 12 % et qui serait très supérieure à l'objectif Shell convenu, de 11 %. C'est pourquoi les objectifs de vente suivants, plus réduits, ont été fixés et convenus par les sociétés du groupe").
Les nouveaux tonnages sont communiqués, après quoi il est noté que:
"this would be 11.2 Pct of a market of 395 kt. The situation will be monitored carefully and any change from this agreed plan would need to be discussed beforehand with the other PIMs members".
("cela représenterait 11,2 % d'un marché de 395 kt. La situation sera attentivement suivie et tout écart par rapport à ce qui a été ainsi convenu devra faire préalablement l'objet d'une discussion avec les autres membres du PIMS").
197 A cet égard, le Tribunal constate que c'est à bon droit que la Commission a déduit de la combinaison de ces deux documents que les négociations entre les producteurs avaient conduit à l'instauration d'un régime de quotas. En effet, la note interne du groupe Shell montre que cette entreprise demandait à ses sociétés nationales de vente de réduire leurs ventes non pour voir diminuer le volume global des ventes du groupe Shell, mais pour limiter à 11 % la part de marché globale de ce groupe. Une telle limitation exprimée en termes de part de marché ne peut s'expliquer que dans le cadre d'un régime de quotas. En outre, le compte rendu de la réunion du 1er juin 1983 constitue un indice supplémentaire de l'existence d'un tel régime, car un échange d'informations relatives aux ventes mensuelles des différents producteurs a pour but premier de contrôler le respect des engagements pris.
198 Il convient de relever enfin que le chiffre de 11 %, comme part de marché pour Shell, figure non seulement dans la note interne de Shell, mais également dans deux autres documents, à savoir, d'une part, une note interne d'ICI dans laquelle cette dernière relève que Shell propose ce chiffre pour elle-même, pour Hoechst et pour ICI (g.g. ann. 87) et, d'autre part, le compte rendu rédigé par ICI d'une réunion du 29 novembre 1982, entre ICI et Shell, durant laquelle la proposition précédente a été rappelée (g.g. ann. 99).
199 En outre, le fait que les ventes de la requérante n'aient pas toujours correspondu aux quotas qui lui avaient été attribués est sans pertinence, puisque l'acte attaqué ne s'appuie pas sur la mise en œuvre effective par la requérante du système de quotas sur le marché pour établir sa participation à ce système.
200 Il faut ajouter qu'en raison de l'identité d'objectif des différentes mesures de limitation des volumes de vente - à savoir diminuer la pression exercée sur les prix par l'excès d'offre - c'est à bon droit que la Commission a pu déduire que celles-ci s'inscrivaient dans un système de quotas.
201 Il y a lieu de conclure, au vu des considérations qui précèdent, que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés qui portaient sur les objectifs de volumes de vente pour les années 1979, 1980 et la première moitié de l'année 1983 et sur la limitation de leurs ventes mensuelles par référence à une période antérieure pour les années 1981 et 1982 mentionnés dans la décision et qui s'inscrivaient dans un système de quotas.
F - Conclusion
202 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit toutes les constatations de fait opérées par elle dans l'acte attaqué à l'encontre de la requérante et que, par conséquent, contrairement à ce qu'allègue la requérante, la Commission n'a pas porté un jugement prématuré sur la base d'idées préconçues.
2. L'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE
A - Qualification juridique
a) Acte attaqué
203 Selon la décision (point 81, premier alinéa), l'ensemble de plans et d'arrangements arrêtés dans le cadre du système des réunions périodiques et institutionnalisées a constitué un "accord" unique et continu au sens de l'article 85, paragraphe 1.
204 En l'espèce, les producteurs, en souscrivant à un plan commun de régulation des prix et des approvisionnements sur le marché du polypropylène, auraient participé à un accord-cadre, qui se serait traduit par une série de sous-accords plus détaillés, élaborés à intervalles périodiques (décision, point 81, troisième alinéa).
205 La décision (point 82, premier alinéa) poursuit que, dans l'exécution détaillée du plan d'ensemble, un accord exprès a été réalisé sur de nombreux points, comme les initiatives individuelles en matière de prix et les plans annuels de quotas. Parfois, sans doute, les producteurs ne seraient pas parvenus à un consensus sur un projet définitif, comme dans le cas des quotas pour 1981 et 1982. Toutefois, le fait qu'ils aient arrêté des mesures destinées à combler le vide, y compris l'échange d'informations et la comparaison des ventes mensuelles avec les résultats atteints au cours d'une période de référence antérieure, supposerait non seulement un accord exprès sur l'élaboration et l'application de pareilles mesures, mais indiquerait aussi l'existence d'un accord implicite visant à maintenir, dans toute la mesure du possible, les positions respectives des producteurs.
206 La conclusion selon laquelle il aurait existé un seul accord permanent ne serait aucunement affectée par le fait que certains producteurs, inévitablement, n'aient pas assisté à toutes les réunions. L'étude et la mise en œuvre d'une "initiative" auraient pris plusieurs mois et une absence occasionnelle n'empêcherait en rien un producteur d'y avoir participé (décision, point 83, premier alinéa).
207 Selon la décision (point 86, premier alinéa), la mise en œuvre de l'entente, du fait qu'elle s'appuyait sur un plan commun et détaillé, a constitué un "accord" au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
208 La décision (point 86, deuxième alinéa) affirme que la notion d'"accord" et celle de "pratique concertée" sont distinctes, mais qu'il arrive que la collusion présente des éléments de l'une et l'autre forme de coopération illicite.
209 La notion de "pratique concertée" viserait une forme de coordination entre entreprises qui, sans l'avoir poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substituent sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (décision, point 86, troisième alinéa).
210 Selon la décision (point 87, premier alinéa), en développant une notion de pratique concertée distincte, le traité visait à empêcher que les entreprises ne contournent l'application de l'article 85, paragraphe 1, en s'entendant sur des modalités contraires à la concurrence et non assimilables à un accord définitif, en s'informant, par exemple, mutuellement à l'avance de l'attitude envisagée par chacun, afin qu'il puisse régler son comportement commercial en sachant que ses concurrents agiront de la même manière (voir l'arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48-69, Rec. p. 619).
211 La Cour aurait soutenu, dans son arrêt du 16 décembre 1975, précité (40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56- 73, 111-73, 113-73 et 114-73), que les critères de coordination et de coopération définis par sa jurisprudence, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable "plan", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité CEE relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le Marché commun. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des entreprises de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou escompté de leurs concurrents, elle s'opposerait cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre elles ayant pour objet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé ou que l'on envisage d'adopter soi-même sur le marché (décision, point 87, deuxième alinéa). Un tel comportement pourrait tomber sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, en tant que "pratique concertée", même lorsque les parties ne se sont pas entendues au préalable sur un plan commun définissant leur action sur le marché, mais adoptent ou se rallient à des mécanismes collusoires qui facilitent la coordination de leur comportement commercial (décision, point 87, troisième alinéa, première phrase).
212 En outre, la décision (point 87, troisième alinéa, troisième phrase) relève que, dans une entente complexe, il est possible que certains producteurs n'aient pas toujours exprimé leur consentement formel à une conduite adoptée par les autres, tout en indiquant leur soutien global au plan en question et en agissant en conséquence. A certains égards, la coopération et la collusion constantes des producteurs dans la mise en œuvre de l'accord d'ensemble pourraient donc revêtir certaines caractéristiques propres à une pratique concertée (décision, point 87, troisième alinéa, cinquième phrase).
213 L'importance de la notion de pratique concertée ne résulterait donc pas, selon la décision (point 87, quatrième alinéa), tant de la distinction entre une telle pratique et un "accord" que de la distinction entre une collusion qui relève de l'article 85, paragraphe 1, et d'un simple comportement parallèle, en l'absence de tout élément de concertation. Peu importerait, dès lors, la forme précise que le comportement collusoire a revêtu en l'occurrence.
214 La décision (point 88, premier et deuxième alinéas) constate que la plupart des producteurs ont prétendu, au cours de la procédure administrative, que leur comportement dans le cadre de soi-disant "initiatives de prix" ne résultait d'aucun "accord" au sens de l'article 85 (voir décision, point 82) et qu'il ne prouve pas davantage l'existence d'une pratique concertée, cette notion supposant des "actes manifestés" sur le marché; or, ceux-ci feraient totalement défaut en l'occurrence, aucune liste de prix et aucun prix cible n'ayant jamais été communiqué aux clients. La décision rejette cet argument, car s'il était nécessaire, en l'espèce, de s'appuyer sur l'existence d'une pratique concertée, l'obligation pour les participants de prendre certaines mesures pour réaliser leur objectif commun serait pleinement établie. Les diverses initiatives en matière de prix seraient consignées dans les documents. Il serait également hors de doute que les divers producteurs ont agi parallèlement pour les mettre en œuvre. Les mesures prises par les producteurs, tant individuellement que collectivement, ressortiraient des documents: comptes rendus de réunions, notes internes, instructions et circulaires aux bureaux de vente et lettres aux clients. Il importerait peu qu'ils aient ou non "publié" des listes de prix. Les instructions de prix en soi fourniraient non seulement la meilleure preuve possible de l'action menée par chaque producteur pour réaliser l'objectif commun, mais aussi, par leur contenu et leur chronologie, la preuve d'une collusion.
b) Arguments des parties
215 La requérante soutient que la Commission n'a pas prouvé l'existence d'un "accord" entre les producteurs au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. En effet, si elle concède que, pour qu'il y ait "accord", il n'est pas nécessaire qu'il existe un contrat juridiquement contraignant, elle estime cependant qu'il faut que les parties manifestent d'une manière non équivoque leur volonté de s'engager et que les actes éventuellement mis en œuvre par elles soient l'expression fidèle de cette volonté (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, précité, 41-69, points 111 à 114). Selon la doctrine la plus autorisée et le sens littéral des termes du traité CEE, tant l'"accord" que la "pratique concertée" supposeraient un consensus et donc une manifestation de volonté. Ainsi, toutes les collusions stipulées par écrit devraient être classées dans la première catégorie, tandis que l'expression "pratique concertée" conviendrait davantage aux actions réalisées tacitement sur la base d'un accord de principe. Une fois prouvée l'existence de l'accord, écrit ou verbal, détaillé ou de principe, il suffirait que son objet soit interdit par l'article 85 pour qu'il soit susceptible de donner lieu à des poursuites.
216 Elle fait valoir, par contre, que l'existence d'une pratique dont l'effet est du genre que l'article 85 veut empêcher ne serait pas suffisante pour sanctionner les auteurs s'il n'est pas prouvé qu'elle est le fruit d'une concertation antérieure.
217 La requérante expose que, au lieu de cela, la Commission soutient qu'il y a "accord" dès qu'une entreprise se trouve dans une situation dans laquelle elle peut être amenée à hésiter à suivre une ligne de conduite profitable à ses propres intérêts à cause d'un engagement préalable, indépendamment du fait de savoir si cet engagement se place sur le plan juridique, social ou moral et qu'il y a "pratique concertée" lorsque subsiste une coopération pratique d'ordre purement factuel qui n'est, dès lors, pas censée découler d'un plan ou d'une concertation proprement dite.
218 Elle estime, enfin, que si la Commission refuse d'opérer une distinction entre ces notions, c'est en vue de dissimuler sa propre carence en matière de preuve, en prétendant successivement que, quand la preuve d'une pratique n'existe pas, "peu importe, il y a l'accord" et que, quand la preuve de l'accord n'existe pas, "peu importe, il y a un comportement de fait".
219 Selon la Commission, par contre, la question de savoir si une collusion ou une entente doit être qualifiée juridiquement d'accord ou de pratique concertée, au sens de l'article 85 du traité CEE, ou si cette collusion comporte des éléments de l'un et de l'autre revêt une importance négligeable. En effet, la Commission expose que les termes "accord" et "pratique concertée" englobent les différents types d'arrangements par lesquels des concurrents, au lieu de déterminer en toute indépendance leur ligne de conduite concurrentielle future, s'imposent mutuellement une limitation de leur liberté d'action sur le marché à partir de contacts directs ou indirects entre eux.
220 La Commission soutient que l'utilisation des différents termes dans l'article 85 a pour objet d'interdire toute la gamme d'arrangements collusoires et non de préciser un traitement différent pour chacun d'eux. Par conséquent, la question de savoir où tracer une ligne de démarcation entre des termes qui ont pour objectif d'appréhender l'ensemble des comportements interdits serait sans pertinence. La ratio legis de l'introduction dans l'article 85 de la notion de "pratique concertée" consisterait à viser, à côté des accords, des types de collusion qui ne reflètent qu'une forme de coordination de fait ou une coopération pratique et qui sont néanmoins susceptibles de fausser la concurrence (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, précité, 48-69, points 64 à 66).
221 Elle fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 16 décembre 1975, précité, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, points 173 et 174) qu'il s'agit de s'opposer à toute prise de contact, directe ou indirecte, entre des opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché. L'existence d'une pratique concertée se situerait donc déjà au niveau du contact entre concurrents, préalable à tout comportement de leur part sur le marché.
222 Pour la Commission, il y a pratique concertée dès qu'il y a concertation ayant pour objet de restreindre l'autonomie des entreprises les unes par rapport aux autres, et ce même si aucun comportement effectif n'a été constaté sur le marché. Selon la Commission, le débat porte en fait sur le sens du mot "pratique". Elle s'oppose à la thèse selon laquelle ce mot a le sens étroit de "comportement sur le marché". Ce mot pourrait, de l'avis de la Commission, couvrir le simple fait de participer à des contacts pour autant que ceux-ci aient pour objet de restreindre l'autonomie des entreprises.
223 Elle ajoute que si l'on exigeait les deux éléments - concertation et comportement sur le marché - pour qu'il y ait pratique concertée, cela conduirait à laisser hors du champ d'application de l'article 85 toute une gamme de pratiques qui ont pour objet, mais pas nécessairement pour effet, de fausser la concurrence sur le Marché commun. On aboutirait ainsi à mettre en échec une partie de la portée de l'article 85. En outre, cette thèse ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour relative à la notion de pratique concertée (arrêts du 14 juillet 1972, précité, 48-69, point 66; du 16 décembre 1975, précité, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, point 26, et du 14 juillet 1981, Züchner, point 14, 172-80, Rec. p. 2021). Si cette jurisprudence mentionne chaque fois des pratiques sur le marché, ce ne serait pas comme élément constitutif de l'infraction, mais bien comme élément de fait à partir duquel la concertation peut être induite. Selon cette jurisprudence, aucun comportement effectif sur le marché ne serait requis. Seule serait requise une prise de contact entre opérateurs économiques, caractéristique de leur renoncement à leur nécessaire autonomie.
224 Pour la Commission, il n'est donc pas besoin, pour qu'il y ait infraction à l'article 85, que les entreprises aient mis en pratique ce sur quoi elles se sont concertées. Ce qui est répréhensible au sens de l'article 85, paragraphe 1, existerait pleinement dès que l'intention de substituer une coopération aux risques de la concurrence se trouve matérialisée dans une concertation, sans que nécessairement il y ait, après coup, des comportements sur le marché pouvant être constatés.
225 La Commission en déduit, au niveau de la preuve, que l'accord et la pratique concertée peuvent être prouvés à l'aide de preuves directes et indirectes. En l'espèce, elle n'aurait pas eu besoin de recourir à des preuves indirectes, comme le parallélisme de comportement sur le marché, puisqu'elle disposait des éléments de preuve directe de la collusion que sont, notamment, les comptes rendus de réunions.
226 La Commission affirme qu'il ressort clairement des motifs de la décision qu'elle a constaté l'existence d'un accord-cadre, auquel viennent s'ajouter des éléments caractéristiques d'accords isolés et de pratiques concertées, le tout formant une situation complexe définie par les termes "accord" et "pratique concertée" à l'article 1er de la décision.
227 La Commission conclut en soulignant qu'elle était en droit de qualifier l'infraction constatée en l'espèce, à titre principal, d'accord et, à titre subsidiaire et en tant que de besoin, de pratique concertée.
c) Appréciation du Tribunal
228 Il y a lieu de constater que la Commission a qualifié chaque élément de fait retenu à l'encontre de la requérante soit d'accord soit de pratique concertée au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. En effet, il résulte d'une lecture combinée des points 80, deuxième alinéa, 81, troisième alinéa, et 82, premier alinéa, de la décision que la Commission a qualifié, à titre principal, d'"accord" chacun de ces différents éléments.
229 De la même manière, il résulte d'une lecture combinée des points 86, deuxième et troisième alinéas, 87, troisième alinéa, et 88 de la décision que la Commission a qualifié, à titre subsidiaire, de "pratiques concertées" les éléments de l'infraction, lorsque ceux-ci soit ne permettaient pas de conclure que les parties s'étaient entendues au préalable sur un plan commun définissant leur action sur le marché, mais avaient adopté ou s'étaient ralliées à des mécanismes collusoires qui facilitaient la coordination de leurs politiques commerciales; soit ne permettaient pas d'établir, en raison du caractère complexe de l'entente, que certains producteurs avaient exprimé leur consentement formel à une conduite adoptée par les autres, tout en indiquant leur soutien global au plan en question et en agissant en conséquence. Ainsi, la décision conclut que, à certains égards, la coopération et la collusion constantes des producteurs dans la mise en œuvre d'un accord d'ensemble peuvent revêtir certaines caractéristiques propres à une pratique concertée.
230 Le Tribunal constate que, dès lors qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu'il y ait accord, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir l'arrêt du 15 juillet 1970, précité, 41-69, point 112, et l'arrêt du 29 octobre 1980, précité, 209-78 à 215-78 et 218-78, point 86), la Commission était en droit de qualifier d'accords, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, les concours de volontés intervenus entre la requérante et d'autres producteurs de polypropylène, qu'elle a établis à suffisance de droit et qui portaient sur des prix-planchers en 1977, des initiatives de prix, des mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix, des objectifs de volumes de vente pour les années 1979 et 1980 et pour la première moitié de l'année 1983, ainsi que sur des mesures de limitation des ventes mensuelles par référence à une période antérieure pour les années 1981 et 1982.
231 En outre, c'est à bon droit que la Commission, ayant établi à suffisance de droit que les effets des initiatives de prix ont continué jusqu'à novembre 1983, a considéré que l'infraction s'est poursuivie jusqu'en novembre 1983 au moins. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'article 85 est également applicable aux accords qui ont cessé d'être en vigueur, mais qui poursuivent leurs effets au-delà de leur cessation formelle (arrêt du 3 juillet 1985, Binon, point 17, 243-83, Rec. p. 2015).
232 En vue de définir la notion de pratique concertée, il y a lieu de se référer à la jurisprudence de la Cour, dont il ressort que les critères de coordination et de coopération qu'elle a posés précédemment doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité CEE relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le Marché commun. Si cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché (arrêt du 16 décembre 1975, précité, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, points 173 et 174).
233 En l'espèce, la requérante a participé à des réunions ayant pour objet la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, réunions au cours desquelles étaient échangées entre concurrents des informations sur les prix qu'ils souhaitaient voir pratiquer sur le marché, sur les prix qu'ils envisageaient de pratiquer, sur leur seuil de rentabilité, sur les limitations des volumes de vente qu'ils jugeaient nécessaires, sur leurs chiffres de vente ou sur l'identité de leurs clients. Par sa participation à ces réunions, elle a pris part, avec ses concurrents, à une concertation ayant pour objet d'influencer leur comportement sur le marché et de dévoiler le comportement que chaque producteur envisageait d'adopter lui-même sur le marché.
234 Ainsi, la requérante a non seulement poursuivi le but d'éliminer par avance l'incertitude relative au comportement futur de ses concurrents, mais elle a nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement, les informations obtenues au cours de ces réunions pour déterminer la politique qu'elle entendait suivre sur le marché. De même, ses concurrents ont nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement, les informations que leur a dévoilées la requérante sur le comportement qu'elle avait décidé ou qu'elle envisageait d'adopter elle-même sur le marché pour déterminer la politique qu'ils entendaient suivre sur le marché.
235 Il s'ensuit que c'est à bon droit qu'en raison de leur objet la Commission a pu qualifier, à titre subsidiaire, de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE les réunions périodiques de producteurs de polypropylène, auxquelles a participé la requérante entre la fin de l'année 1977 et septembre 1983.
236 Quant à la question de savoir si la Commission était en droit de conclure à l'existence d'une infraction unique, qualifiée à l'article 1er de la décision d'"un accord et une pratique concertée", le Tribunal rappelle que les différentes pratiques concertées observées et les différents accords conclus s'inscrivaient, en raison de leur objet identique, dans des systèmes de réunions périodiques, de fixation d'objectifs de prix et de quotas.
237 Il faut souligner que ces systèmes s'inscrivaient dans une série d'efforts des entreprises en cause poursuivant un seul but économique, à savoir fausser l'évolution normale des prix sur le marché du polypropylène. Il serait donc artificiel de subdiviser ce comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes. En effet, la requérante a pris part - pendant des années - à un ensemble intégré de systèmes qui constituent une infraction unique qui s'est progressivement concrétisée tant par des accords que par des pratiques concertées illicites.
238 Il importe de relever que la Commission était, en outre, en droit de qualifier cette infraction unique d'"un accord et une pratique concertée", dans la mesure où cette infraction comportait à la fois des éléments devant être qualifiés d'"accords" et des éléments devant être qualifiés de "pratiques concertées". En effet, face à une infraction complexe, la double qualification opérée par la Commission à l'article 1er de la décision doit être comprise non comme une qualification exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments de fait présente les éléments constitutifs d'un accord et d'une pratique concertée, mais bien comme désignant un tout complexe comportant des éléments de fait, dont certains ont été qualifiés d'accords et d'autres de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d'infraction complexe.
239 Par conséquent, le grief de la requérante doit être rejeté.
B - Effet restrictif sur la concurrence
a) Acte attaqué
240 La décision (point 90, premier et deuxième alinéas) relève que, pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, il n'est pas absolument nécessaire, compte tenu de l'objet manifestement anticoncurrentiel de l'accord, de démontrer un effet contraire à la concurrence. Toutefois, en l'espèce, tout indiquerait que l'accord a bien eu un effet sensible sur les conditions de la concurrence.
b) Arguments des parties
241 La requérante soutient que les différentes études qu'elle a produites démontrent que les prétendus accords et pratiques concertées n'ont pas eu d'effet sur la concurrence, qui a joué à plein pendant la durée de ceux-ci, et qu'elle-même a eu un comportement concurrentiel sur le marché.
242 La Commission conteste le fait que les producteurs de polypropylène qui ont participé à l'entente n'ont pas adapté leur comportement sur le marché à la suite des accords et des contacts établis entre eux et que ceux-ci n'ont pas eu d'effet sur la concurrence. Ainsi, toutes les instructions de prix disponibles pour la requérante concorderaient parfaitement avec les accords conclus aux réunions et rien n'indiquerait qu'il en ait été autrement pour les périodes pour lesquelles on ne dispose pas de telles instructions. Ce comportement a pu ne pas toujours aboutir au résultat escompté, mais, même dans ces cas, les producteurs auraient basé leurs négociations avec les clients sur les prix convenus.
243 Elle conclut que l'élément essentiel ne réside pas tant dans le succès des initiatives convenues, mais bien dans l'objectif d'une restriction de la concurrence dont ces initiatives devaient permettre la réalisation. Il en serait de même pour les accords de quotas, comme le montrerait le tableau 8 de la décision. Si la Commission reconnaît que l'entente n'a pas toujours eu pour effet de restreindre la concurrence, elle rappelle que, pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, cela importe peu puisqu'il suffit que l'entente ait pour objet de parvenir à une restriction de la concurrence.
c) Appréciation du Tribunal
244 Le Tribunal constate que l'argumentation de la requérante tend, en substance, à démontrer que sa participation aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène ne tombait pas sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, dans la mesure où tant son propre comportement sur le marché que celui des autres producteurs attesteraient que cette participation était dépourvue d'effet anticoncurrentiel.
245 L'article 85, paragraphe 1, du traité CEE interdit, comme étant incompatibles avec le Marché commun, tous accords entre entreprises ou pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction et à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
246 Le Tribunal rappelle qu'il résulte de ses appréciations relatives aux constatations de fait opérées par la Commission que les réunions périodiques auxquelles la requérante a participé avec des concurrents avaient pour objet de restreindre la concurrence à l'intérieur du Marché commun, notamment par la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, et que, par conséquent, sa participation à ces réunions n'était pas dépourvue d'objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
247 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
C - Affectation du commerce entre États membres
a) Acte attaqué
248 La décision affirme (point 93, premier alinéa) que l'accord entre les producteurs était susceptible d'avoir un effet sensible sur les échanges entre États membres.
249 En l'espèce, le caractère universel des arrangements collusoires, qui recouvraient pratiquement l'ensemble des ventes d'un produit industriel de première importance à travers toute la Communauté (et dans d'autres pays d'Europe occidentale), aurait été susceptible en soi de détourner les échanges des circuits qui se seraient formés en l'absence de pareil accord (décision, point 93, troisième alinéa). Selon la décision (point 93, quatrième alinéa), la fixation de prix à un niveau artificiel par voie d'accord, plutôt qu'en laissant au marché le soin de trouver son propre équilibre, aurait altéré la structure de la concurrence dans l'ensemble de la Communauté. Les entreprises auraient été déchargées de la nécessité immédiate de réagir aux forces du marché et de s'attaquer au problème de surcapacités dont elles avaient constaté l'existence.
250 La décision (point 94) relève que les prix-cibles fixés par État membre, discutés à fond aux réunions nationales même s'il fallait tenir compte dans une certaine mesure de la situation locale, ont nécessairement altéré le schéma des échanges et réduit les écarts de prix liés à l'efficacité plus ou moins grande des producteurs. Le système de l'"account leadership", en orientant la clientèle vers certains producteurs nommément désignés, aurait encore aggravé l'effet des arrangements en matière de prix. La Commission admet que, en fixant des quotas ou des cibles, les producteurs n'ont pas ventilé les attributions de volumes par État membre ou par région. Toutefois, l'existence même d'un quota ou d'une cible contribuerait à restreindre les possibilités ouvertes à un producteur.
b) Arguments des parties
251 La requérante souligne qu'aucun préjudice n'a été porté aux échanges entre les États membres et que la Commission a complètement omis d'examiner ce point, qui est pourtant important au regard de la jurisprudence de la Cour (voir notamment l'arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française/Commission, points 86 et suivants, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825).
252 La Commission affirme qu'elle a examiné la condition du préjudice causé aux échanges entre États membres aux points 93 et 94 de la décision et vérifié que cette condition était bien remplie en l'espèce.
c) Appréciation du Tribunal
253 Il y a lieu de relever que, contrairement aux affirmations de la requérante, la Commission n'avait pas l'obligation de démontrer que sa participation à un accord et une pratique concertée avait eu un effet sensible sur les échanges entre États membres. En effet, l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE requiert seulement que les accords et les pratiques concertées restrictifs de la concurrence soient susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. A cet égard, force est de constater que les restrictions de concurrence constatées étaient susceptibles de détourner les courants commerciaux de l'orientation qu'ils auraient autrement connue (voir arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, précité, 209-78 à 215-78 et 218-78, point 172).
254 Il s'ensuit que la Commission a établi à suffisance de droit, aux points 93 et 94 de sa décision, que l'infraction à laquelle a participé la requérante était susceptible d'affecter le commerce entre États membres, sans qu'il ait été nécessaire qu'elle démontre que la participation individuelle de la requérante a affecté les échanges entre États membres.
255 Le grief de la requérante ne peut donc pas être accueilli.
D - Les faits justificatifs
256 La requérante fait valoir que l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE ne trouverait pas à s'appliquer en l'espèce, en raison des circonstances dans lesquelles les entreprises destinataires de la décision ont dû agir.
1) Le contexte économique de crise
257 La requérante soutient que la Commission devait examiner le contenu des accords au regard du contexte économique dans lequel ils s'inséraient, à savoir le fait que tous les fabricants de polypropylène produisaient à perte. La Commission aurait fait preuve d'une conception purement formaliste du droit de la concurrence, comme si la règle de l'article 85 du traité CEE se suffisait à elle-même et devait être appliquée et interprétée "per se", au lieu de la considérer comme une disposition de caractère instrumental destinée à mettre en œuvre les objectifs figurant dans le préambule du traité CEE et à réaliser les principes affirmés dans la première partie de celui-ci.
258 Elle expose dans sa réplique que, même si l'interprétation de certaines règles du traité CEE à des fins de répression n'était pas incompatible avec les objectifs et principes généraux exposés dans le préambule et la première partie du traité, il y aurait lieu, en tout cas, d'appliquer la "rule of reason", selon laquelle le véritable critère de la légalité d'une pratique restrictive est de savoir si la restriction qu'elle comporte ne fait que régir la concurrence, voire même la favorise, ou bien si elle a pour effet de la supprimer. Afin de trancher cette question, le juge devrait, normalement, examiner les faits spécifiques au secteur d'activités qui est visé par la restriction, sa situation avant et après que la restriction ait été imposée, la nature de la restriction et ses effets réels ou probables.
259 La requérante soutient que, si la Commission avait appliqué la "rule of reason" en l'espèce, elle aurait nécessairement conclu que le fait pour les producteurs de chercher à survivre dans une situation d'effondrement du marché revient à sauvegarder la concurrence et non à la restreindre. Sur la base d'une analyse de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis d'Amérique et de la Cour de justice, la requérante affirme que les interdictions énoncées à l'article 85 du traité CEE ne peuvent être définies dans l'abstrait, mais doivent être appréciées en fonction du contexte économique dans lequel elles s'insèrent. Par conséquent, il appartiendrait à la Commission de rassembler des données visant à démontrer que, la structure du marché ayant été réellement modifiée, les avantages offerts aux consommateurs ont été réduits et que la concurrence effective dans le Marché commun et les échanges intracommunautaires ont été altérés.
260 La Commission répond que l'évocation de la "rule of reason" constitue un moyen nouveau quant à la recevabilité duquel elle s'en remet à la sagesse du Tribunal.
261 Sur le fond, elle conteste l'analyse que la requérante fait des jurisprudences américaine et communautaire relatives à la "rule of reason". Elle admet que l'application de l'article 85, paragraphe 1, requiert une étude du contexte économique dans lequel s'inscrit l'entente ainsi que des conséquences probables ou réelles de celle-ci. En l'espèce, cette étude figurerait aux points 2 à 13 et 89 à 94 de la décision.
262 La Commission ajoute néanmoins qu'une entente portant, comme en l'espèce, sur les prix que chacune des entreprises appliquera à la vente de ses propres produits constitue une infraction "per se" au traité CEE, même en interprétant très largement la "rule of reason".
263 Le Tribunal considère que, étant donné la nature économique et téléologique de l'argumentation développée dans la requête, l'évocation de la "rule of reason" au stade de la réplique ne constitue pas un moyen nouveau, mais seulement un complément de l'argumentation exposée dans la requête.
264 Il convient de rappeler que la Commission a établi à suffisance de droit que les accords et les pratiques concertées constatés avaient un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Dès lors, la pertinence de la question de savoir s'ils ont eu un effet anticoncurrentiel se limite à l'appréciation du montant de l'amende avec laquelle elle doit donc être examinée.
265 Par ailleurs, il importe de souligner que le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, en particulier sous a), b) et c), du traité CEE s'oppose en tout état de cause à l'application d'une "rule of reason", à supposer qu'une telle règle trouve à s'appliquer dans le cadre du droit communautaire de la concurrence, puisqu'elle devrait, dans cette hypothèse, être considérée comme une infraction "per se" aux règles de la concurrence.
266 Par conséquent, le grief de la requérante ne peut être accueilli.
2) L'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE
267 La requérante fait remarquer dans sa réplique que, comme le montre la décision 84-387-CEE, du 19 juillet 1984, relative à un accord de restructuration entre ICI et BP (décision BPCL-ICI, JO L 212, p. 1), la Commission était parfaitement informée de la situation de crise du secteur pétrochimique, qui, caractérisé par des excédents de capacité et confronté à une forte concurrence extracommunautaire, subissait des pertes considérables et devait réduire ses capacités de production.
268 Elle soutient que le secteur du polypropylène présentait les mêmes caractéristiques et connaissait les mêmes difficultés, comme la Commission l'aurait indiqué dans la décision (points 6 à 11). Elle relève, en outre, que de 1973-1974 à 1983-1984, ses prix de vente sont restés au même niveau en dépit de l'inflation. Or, ces caractéristiques auraient été considérées comme suffisantes pour justifier la conclusion d'un accord dans l'affaire des Fibres Synthétiques (décision du 4 juillet 1984, Fibres synthétiques, JO L 207, p. 17), et dans l'affaire BPCL-ICI. Les remèdes que la Commission a autorisé les entreprises à mettre en œuvre dans les deux affaires précitées seraient en réalité similaires à ceux que les producteurs de polypropylène avaient en vue (limitation de la production contrôlée). La requérante conclut que l'identité entre, d'une part, les éléments qui ont conduit la Commission à approuver les accords conclus dans ces deux affaires et, d'autre part, les éléments réunis dans la présente espèce aurait dû conduire la Commission à adopter la même attitude.
269 La Commission relève que l'argument tiré de la discrimination par rapport à d'autres ententes conclues dans des situations de crise constitue un moyen nouveau, quant à la recevabilité duquel elle s'en remet à la sagesse du Tribunal.
270 Elle fait valoir, quant au fond, que la requérante ne saurait revendiquer le bénéfice de l'exemption prévue par l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE, puisque l'accord en cause n'a pas été notifié à la Commission. Si cette notification n'a pas eu lieu, ce serait d'ailleurs parce qu'il était clair que l'entente présentait des caractéristiques qui la distinguaient fondamentalement des accords cités par Monte et excluaient toute possibilité d'obtenir de la Commission une décision d'exemption. Ainsi en serait-il de la fixation des prix, dont la Commission avait déclaré, dans des décisions antérieures, qu'elle ne pourrait en aucun cas l'admettre.
271 Le Tribunal constate que la requérante ne saurait se prévaloir de ce que les accords qu'elle a conclus et les pratiques concertées auxquelles elle a participé auraient dû bénéficier de l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE. En effet, l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 17 précise que "les accords, décisions et pratiques concertées visés à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, intervenus après l'entrée en vigueur du présent règlement et en faveur desquels les intéressés désirent se prévaloir des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, doivent être notifiés à la Commission. Aussi longtemps qu'ils n'ont pas été notifiés, une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, ne peut être rendue". Or, la requérante n'a pas notifié les accords et les pratiques concertées constatés.
272 C'est pourquoi la requérante ne peut prétendre être victime d'une discrimination par rapport à des entreprises dont les accords auraient été exonérés en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE.
273 Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.
3) Les effets bénéfiques des mesures prises par les producteurs
274 La requérante expose que les effets extraordinairement bénéfiques des mesures prises par les producteurs ont été reconnus par la Commission elle-même. On aurait ainsi assisté à une augmentation des ventes en Europe et hors d'Europe, à une augmentation de la production et à une diminution des importations. Ces effets auraient été obtenus au prix de très lourdes pertes pour les producteurs, ce qui montrerait que le comportement de ces derniers n'avait ni pour objet ni pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Elle en déduit que la fonction que la Cour a attribuée à la concurrence en matière de prix dans son arrêt du 14 juillet 1972, précité (48-69), a été pleinement assumée, même si elle relève que la Cour a indiqué que la concurrence par les prix ne doit pas être élevée au rang de "fétiche" (arrêts du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875, et du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107-82, Rec. p. 3151). Là où le prix est devenu impossible parce qu'il ne peut plus couvrir les coûts, il n'y aurait plus lieu de parler de protection de la concurrence.
275 Elle soutient que si l'entente visait vraiment, comme le dit la Commission, à canaliser l'arrivée de nouveaux producteurs, il n'y aurait pas eu là de comportement anticoncurrentiel de la part des entreprises. En effet, celles-ci auraient pu, au contraire, aisément barrer le passage à ces nouveaux producteurs. C'est pourquoi le comportement des entreprises devrait être considéré comme très concurrentiel.
276 La Commission note tout d'abord que les accords ne peuvent avoir eu les effets bénéfiques que leur attribue Monte et que, s'il y a eu évolution positive du marché, c'est non pas grâce aux accords, mais malgré ceux-ci.
277 Elle souligne ensuite que la jurisprudence de la Cour sanctionne toute limitation consensuelle de la concurrence intermarques sur les prix (arrêt du 14 juillet 1972, précité, 48-69) et que les arrêts cités par Monte concernaient des accords verticaux et une concurrence intramarque.
278 Elle affirme, enfin, que l'entente avait notamment pour objet de canaliser l'arrivée massive de nouveaux producteurs et de minimiser les conséquences sur les prix des surcapacités qui en étaient résultées.
279 Le Tribunal constate que, à supposer que l'évolution positive du marché décrite par la requérante doive être considérée comme établie et à supposer qu'une telle évolution ait une quelconque pertinence en l'occurrence, la requérante n'a, en tout état de cause, pas démontré que cette évolution était imputable aux accords qu'elle a conclus et aux pratiques concertées auxquelles elle a participé.
280 A cet égard, il importe d'observer que l'argument de la requérante, selon lequel les producteurs établis sur le marché auraient pu faire obstacle à l'entrée des nouveaux venus sur le marché, omet de prendre en considération le fait que ces nouveaux venus étaient des entreprises de taille importante qui pouvaient se permettre de subir des pertes, même importantes, pendant plusieurs années pour pénétrer sur le marché du polypropylène, puisqu'elles disposaient d'autres secteurs d'activité leur permettant de compenser ces pertes.
281 Par conséquent, le grief de la requérante doit être rejeté.
4) Le principe de solidarité et de répartition des sacrifices
282 La requérante conteste à la Commission le droit de prétendre que l'état de nécessité ne légitime pas les comportements des entreprises. En l'espèce, les entreprises auraient appliqué le principe de la solidarité et de la répartition des sacrifices. Ce principe admis pour les entreprises sidérurgiques dans le cadre du traité CECA (article 58) devrait être admis dans le cadre du traité CEE. En l'absence, dans le traité CEE, d'une disposition correspondant à l'article 58 du traité CECA, il appartiendrait aux entreprises de prendre de telles mesures d'autodiscipline.
283 Elle soutient que c'est en contradiction avec l'arrêt du 28 mars 1984, précité (29-83 et 30-83), que la Commission oppose concurrence et solidarité. A la lumière de cet arrêt, la requérante considère que, même si les entreprises productrices de polypropylène s'étaient - quod non - assises à une table et avaient conclu un contrat par lequel elles s'engageaient à faire tout ce qui est possible pour vendre à des prix permettant de couvrir leurs frais et avaient, dès que cet objectif avait été atteint, suivi chacune leur propre route, leur comportement n'aurait pas été critiquable au regard de l'article 85 du traité CEE.
284 La Commission répond que le fait que le traité CEE ne contienne pas de disposition analogue à l'article 58 du traité CECA ne signifie pas que le législateur communautaire a délégué aux entreprises le soin de donner une forme concrète au principe de solidarité et de répartition des sacrifices.
285 Elle soutient que la requérante fait dire à l'arrêt de la Cour du 28 mars 1984, précité (29-83 et 30-83), pratiquement le contraire de ce qu'il dit en réalité. Cet arrêt aurait confirmé l'illégalité d'un contrat d'assistance entre entreprises, même si la Cour s'est réservée d'apprécier différemment des accords d'assistance limités à des cas de force majeure. Or, cette réserve serait sans pertinence en l'espèce. La Commission maintient que concurrence et solidarité sont antagonistes et que seuls les pouvoirs publics peuvent parfois intervenir pour les concilier.
286 Le Tribunal constate que le principe de répartition des sacrifices entre les entreprises d'un commun accord s'oppose à la concurrence que l'article 85 du traité CEE a pour objet de préserver. C'est pourquoi il appartient non pas aux entreprises, mais aux seules autorités communautaires, le cas échéant à la demande des entreprises, de les concilier dans des circonstances exceptionnelles et selon les procédures prévues à cet effet dans le traité CEE.
287 Par conséquent, il n'appartient pas aux entreprises de mettre en œuvre ce principe sans en référer à l'autorité compétente et sans respecter les procédures prévues à cet effet. A cet égard, il y a lieu de relever en particulier que, en juillet 1982, la requérante et huit autres producteurs de polypropylène ont été invités par la Commission à assister à une réunion consacrée au problème de restructuration de l'industrie plastique, qu'un groupe de travail a été constitué et un rapport rédigé et qu'à la suite de celui-ci les entreprises ont estimé qu'une entente de crise ne se justifiait pas.
288 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
5) La concurrence déloyale
289 La requérante soutient que l'article 85 du traité CEE vise à maintenir une concurrence efficace entre les entreprises (arrêt de la Cour du 5 avril 1984, Van de Haar et Kaveka de Meern, 177-82 et 178-82, Rec. p. 1797) et ne peut conduire à forcer les entreprises à instaurer ou à maintenir entre elles des rapports de concurrence déloyale.
290 Elle expose que le comportement d'entreprises qui vendent systématiquement à un prix inférieur au coût pour préserver leur part de marché ou, en tout cas, survivre, relève de la concurrence déloyale réciproque, conformément aux principes reçus dans tous les États membres, en ce que la concurrence déloyale tend à éliminer les conditions mêmes de la concurrence. Une telle situation de vente à perte relève, selon la requérante, du "predatory pricing". Il ne saurait donc y avoir de restriction de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, quand les limitations apportées à la concurrence sont imposées par le principe de loyauté et, a fortiori, quand la prétendue infraction vise à rendre possible l'existence même de l'entreprise ou de l'une de ses branches d'activités (arrêt de la Cour du 30 juin 1966, Maschinenbau Ulm, 56-65, Rec. p. 337). En utilisant ses pouvoirs pour s'opposer à la tentative d'assainissement d'un secteur industriel, risquant ainsi d'en provoquer la destruction, la Commission aurait manifestement commis un détournement de pouvoir.
291 La requérante estime que, en l'espèce, les raisons pour lesquelles les producteurs de polypropylène se sont réunis aussi souvent sont les mêmes que celles qui les poussent à conclure des accords d'autodiscipline. Ces raisons, admissibles au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, procédaient de leur volonté de substituer la rationalité économique et la loyauté commerciale à la loi de la jungle. En l'occurrence, des entreprises en situation de pertes chroniques, contraintes de pratiquer des prix autodestructeurs, se sont efforcées de réduire graduellement leur passif sans s'engager à avoir des comportements déterminés ni pour le présent ni pour le futur. Or, l'article 85 viserait à garantir le maintien des conditions normales du marché et non pas celui d'une concurrence qui bouleverserait ces conditions (arrêt de la Cour du 14 juillet 1981, précité, 172-80).
292 La Commission est prête à admettre que l'accord par lequel des entreprises s'engagent à ne pas utiliser des formes de concurrence déloyale n'est pas interdit par l'article 85, à la condition toutefois qu'il n'aboutisse pas à restreindre la concurrence tout court. Le problème résiderait dans la définition de la concurrence déloyale. Or, il ne serait pas vrai que la vente en dessous du prix de revient constitue, en soi, une forme de concurrence déloyale.
293 Elle rappelle la distinction à faire entre la vente en dessous du prix de revient comme instrument d'acquisition d'un monopole (qui seule pourrait être qualifiée de "predatory pricing") et la vente en dessous du prix de revient provoquée par une modification inattendue de la situation du marché. Le second phénomène n'étant pas une forme de concurrence déloyale, une entente qui viserait à y mettre fin n'échapperait pas à l'interdiction prévue à l'article 85. Ainsi, l'assertion de la requérante, selon laquelle l'entente visant à exclure la vente en dessous du prix de revient serait licite, apparaîtrait dénuée de tout fondement, tout comme sa comparaison avec les codes d'autodiscipline.
294 La Commission ajoute encore qu'il est inexact de dire que l'article 85 ne protégerait pas la concurrence lorsque l'offre et la demande ne sont pas équilibrées. Ainsi, la référence dans l'arrêt du 14 juillet 1981, précité (172-80), aux "conditions normales des marchés" ne devrait pas être entendue dans le sens de marché en "équilibre", mais plutôt dans le sens de marché qui n'est pas faussé "artificiellement".
295 Le Tribunal constate que la vente en dessous du prix de revient peut constituer une forme de concurrence déloyale si elle vise à renforcer la position concurrentielle d'une entreprise au détriment de ses concurrents. Il ne saurait être question de concurrence déloyale si la vente à un prix inférieur au prix de revient résulte du jeu de l'offre et de la demande, comme c'était le cas en l'espèce, ainsi que le reconnaît la requérante.
296 Par conséquent, les participants à une entente qui vise à faire passer les prix d'un niveau inférieur au prix de revient à un prix égal ou supérieur à celui-ci ne peuvent se prévaloir de ce que cette entente tendrait à mettre fin à une concurrence déloyale pour justifier leur comportement.
297 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
6) L'analogie avec les cartels légaux concernant les matières premières
298 La requérante se réfère aux associations de producteurs et-ou de consommateurs de matières premières qui ont réalisé, sauf exception malheureuse comme l'OPEP, un travail méritoire de stabilisation des marchés et qui n'ont jamais été poursuivis au titre des dispositions relatives à la concurrence. Elle souligne que la Communauté est d'ailleurs partie à certains de ces accords.
299 Elle soutient que la nécessité d'un échange constant d'informations et de fréquentes consultations entre producteurs de polypropylène était une caractéristique typique de ce produit qui est une quasi-matière première. La situation désastreuse du secteur n'était donc pas le seul facteur à l'origine de cette nécessité.
300 La Commission fait observer que les accords internationaux auxquels se réfère Monte sont des phénomènes de réglementation publique du marché et non des comportements d'entreprises.
301 Le Tribunal considère que l'analogie opérée par la requérante est dépourvue de tout fondement, dès lors que les accords auxquels elle se réfère constituent des réglementations publiques de marché, qui ne peuvent être comparées aux accords conclus en l'espèce par les producteurs de polypropylène.
302 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
7) Le contexte juridique, politique et social italien
303 La requérante fait valoir que les États peuvent conditionner le marché de telle façon que la concurrence même en soit dénaturée (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, précité, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73) et que parler de conduite normale de l'entreprise n'ait plus de sens. Ainsi, en l'espèce, Monte était liée par un accord syndical de maintien de l'emploi et soumise à la loi n° 675, du 12 août 1977, portant des "mesures en vue de la coordination de la politique industrielle", qui aurait eu notamment pour effet de l'empêcher de procéder aux licenciements qu'elle avait projetés.
304 Elle ajoute, dans sa réplique, qu'elle a fait l'objet d'un chantage des "brigades rouges", qui se vantaient de vouloir faire un "procès au projet de restructuration en mettant en évidence ses conséquences désastreuses pour la classe ouvrière".
305 Selon la requérante, Monte était donc confrontée à l'alternative suivante: soit adopter les comportements dénoncés par la Commission, soit procéder à une restructuration de l'entreprise avec les risques que cela comportait compte tenu des attaques des "brigades rouges" (deux dirigeants de Monte auraient été assassinés par ces dernières au motif qu'ils étaient responsables des projets de restructuration).
306 La Commission n'accepte pas la thèse de la requérante selon laquelle elle n'aurait pas pu éviter de s'entendre avec les autres producteurs de polypropylène parce qu'elle y était contrainte par l'ordre juridique italien. Les obligations qui lui sont imposées par le droit national ne sauraient en effet supplanter celles qui découlent de l'article 85 (arrêts de la Cour du 16 novembre 1977, GB-Inno, points 34 à 35, 13-77, Rec. p. 2115, et du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, point 40, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19).
307 La Commission fait valoir, d'une part, que les obligations prétendument imposées à Monte par le droit italien n'ont pris naissance qu'en 1981, alors que l'entente remonte à 1977 et, d'autre part, que Monte a volontairement souscrit à ces obligations, tant en ce qui concerne l'accord syndical qu'en ce qui concerne la loi n° 675-77, qui subordonnait l'octroi de subventions au maintien de l'emploi.
308 A cet égard, elle fait remarquer que, dans ses arrêts du 29 octobre 1980, Van Landewyck, précité, et du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie/Commission (240-82 à 242-82, 261-82, 262-82, 268-82 et 269-82, Rec. p. 3831), la Cour a estimé que les restrictions de concurrence étaient encore plus graves lorsque la concurrence était déjà réduite par des réglementations publiques.
309 La Commission soutient que l'argument des "brigades rouges" constitue un moyen nouveau, quant à la recevabilité duquel elle déclare s'en remettre à la sagesse du Tribunal. Elle ajoute que, si la décision ne traite pas de cette question, c'est qu'elle n'avait jamais été soulevée lors de la procédure administrative. Elle fait remarquer, enfin, que l'assassinat du directeur général de Monte est intervenu en 1981, alors que l'entente remonte à 1977.
310 Le Tribunal constate que les obligations auxquelles la requérante prétend avoir été soumise au titre du droit italien sont toutes nées plus de trois ans après la conclusion de l'accord sur les prix-planchers. En effet, l'accord syndical empêchant la requérante de procéder à des licenciements a été conclu le 19 février 1981 et la requérante a été déclarée en état de crise le 26 mars 1981, ce qui lui a permis de bénéficier des aides liées à l'application de la loi n° 675, du 12 août 1977, qui exigeait, en contrepartie, le maintien de l'emploi.
311 Il convient de souligner, en outre, que tant l'accord syndical que la déclaration de l'état de crise de la requérante par le Gouvernement italien sont des actes auxquels la requérante a consenti pour bénéficier des avantages corrélatifs aux engagements qu'elle prenait.
312 Par conséquent, la requérante ne peut prétendre que les obligations qui résultaient pour elle du droit italien l'ont placée dans une situation rendant inévitable sa participation à des accords et à des pratiques concertées contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
313 Le Tribunal considère, enfin, que l'argument pris du chantage que les "brigades rouges" auraient exercé sur la requérante constitue un moyen nouveau au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal et de l'article 42, paragraphe 2, de celui de la Cour, qui doit être déclaré irrecevable à ce titre. En effet, ce moyen se fonde sur un élément de fait qui s'est révélé dès 1981, soit bien avant le début de la présente procédure.
314 Les griefs de la requérante ne peuvent dès lors être accueillis.
3. Conclusion
315 Il résulte de tout ce qui précède que l'établissement de l'infraction repose sur les seuls motifs de la décision et que l'ensemble des griefs de la requérante relatifs aux constatations de fait et à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE opérées par la Commission dans l'acte attaqué doivent être rejetés.
Sur la liberté de réunion
316 La requérante fait remarquer que la Commission considère que les réunions de producteurs, l'échange d'informations et la création d'une association de fait sont nocifs pour la concurrence, indépendamment des finalités de ces activités. Ayant établi l'objet d'une de ces réunions ou d'un de ces contacts, la Commission considère que tous les autres contacts ou réunions auraient eu le même objet. A ce propos, Monte fait valoir que la Commission a défini l'objet des réunions en se fondant sur la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), mais en la travestissant complètement. En outre, elle qualifierait ces réunions de "secrètes" au seul motif qu'elles n'ont pas été préalablement autorisées par une autorité compétente quelconque.
317 Selon la requérante, il s'agirait là d'une violation du droit reconnu aux entreprises par les Constitutions de tous les États membres de se réunir et d'échanger des opinions et des informations. A fortiori en serait-il de même lorsqu'il s'agit pour elles d'assurer la survie d'un secteur industriel et de tenir les engagements pris en matière d'emplois vis-à-vis des autorités gouvernementales.
318 La Commission répond que le problème n'est pas de savoir s'il y a eu violation des libertés invoquées par la requérante, mais bien de savoir s'il y a eu violation de l'article 85. La requérante ne pourrait nier que les réunions des producteurs de polypropylène avaient les buts indiqués par la Commission. Ceux-ci ressortiraient clairement de preuves documentaires nombreuses et de la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), réponse que la Commission n'aurait nullement travestie. Elle ajoute que le caractère secret des réunions a été clairement établi.
319 Le Tribunal constate que la liberté de réunion a pour objet de permettre aux personnes de se réunir librement. Elle n'a pas pour objet de légitimer toutes les infractions qui peuvent être commises au cours ou à la suite de réunions.
320 En l'espèce, il y a lieu de rappeler que, au cours des réunions incriminées par la décision, l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE a été enfreint par les participants à ces réunions, puisque ceux-ci y ont notamment conclu des accords de prix et de quotas.
321 Il s'ensuit que le grief ne peut être accueilli.
Sur la motivation
322 La requérante soutient que la Commission a rejeté, sans motivation suffisante, toutes les preuves produites par les parties quant à l'absence d'effets de la prétendue entente sur le marché: il s'agit de l'audit Coopers et Lybrand, d'une étude économétrique relative au marché allemand réalisée par le professeur Albach de l'université de Bonn ainsi que de documents divers décrivant les comportements divergents des entreprises.
323 La Commission note que la motivation de la décision sur les points évoqués par Monte est claire et explicite (décision, points 72 à 74 et 90 à 94) et que la requérante n'explique pas en quoi elle serait insuffisante.
324 Le Tribunal rappelle qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour (voir notamment les arrêts du 29 octobre 1980, précité, 209-78 à 215-78 et 218-78, point 66, et du 10 décembre 1985, précité, 240-82 à 242-82, 261-82, 262-82, 268-82 et 269-82, point 88) que si, en vertu de l'article 190 du traité CEE, la Commission est tenue de motiver ses décisions, en mentionnant les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé au cours de la procédure administrative. Il s'ensuit que la Commission n'est pas tenue de répondre à ceux de ces points qui lui semblent dénués de toute pertinence.
325 Le Tribunal constate qu'il résulte de ses appréciations quant aux constatations de fait et à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE opérées par la Commission dans l'acte attaqué que la Commission a parfaitement pris en compte les arguments de la requérante relatifs aux effets de l'entente sur le marché et qu'elle a exposé de manière concluante dans la décision (points 72 à 74 et 89 à 92) les raisons qui l'avaient amenée à considérer que les conclusions que la requérante tirait de l'audit Coopers et Lybrand et de l'étude du professeur Albach étaient mal fondées.
326 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
Sur l'amende
327 La requérante reproche à la décision d'avoir violé l'article 15 du règlement n° 17, en n'ayant pas adéquatement apprécié la durée et la gravité de l'infraction retenue à son encontre.
1. La prescription
328 La requérante soutient que, même si un accord sur les prix-planchers avait été conclu en 1977, il serait couvert par la prescription quinquennale prévue par l'article 1er du règlement (CEE) n° 2988-74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d'exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1, ci-après "règlement n° 2988-74"), dans la mesure où, en raison de la nature différente de l'accord sur les prix-planchers et des réunions qui se seraient, comme le reconnaît la Commission, tenues après décembre 1977, celle-ci ne pourrait se prévaloir du caractère continu ou continué de l'infraction au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement précité.
329 La Commission fait valoir que la prescription n'était pas acquise pour l'accord conclu en 1977, puisqu'il existe un lien manifeste de fait et de circonstance entre l'ensemble des arrangements conclus pendant toute la période de l'entente et qu'on se trouve, par conséquent, en face d'une infraction unique et continue. En effet, le concept de "prix-planchers" ne différerait pas des concepts de "prix minimaux" ou de "prix-cibles".
330 Le Tribunal constate que, aux termes de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 2988-74, la prescription quinquennale du pouvoir de la Commission de prononcer des amendes ne court qu'à compter du jour où l'infraction a pris fin pour les infractions continues ou continuées.
331 En l'espèce, il résulte des appréciations du Tribunal relatives à l'établissement de l'infraction que la requérante a participé, sans interruption, à une infraction unique et continue à partir de la conclusion de l'accord sur les prix-planchers au milieu de l'année 1977 jusqu'au mois de novembre 1983.
332 Par conséquent, la requérante ne peut pas se prévaloir de la prescription des amendes.
2. La durée de l'infraction
333 La requérante fait valoir que la Commission n'est en mesure d'établir ni la date du début de l'infraction ni celle de sa fin et qu'elle ne pourrait donc pas soutenir que l'infraction a perduré pendant une période de sept années.
334 La Commission fait remarquer que la durée relativement longue de l'infraction - qui s'est prolongée du milieu de l'année 1977 jusqu'en novembre 1983 au moins - justifie de lourdes sanctions.
335 Elle affirme disposer de preuves de l'existence de rencontres avant 1979 et de la persistance des effets de l'entente jusqu'en novembre 1983, puisque des instructions de prix ont été données en septembre pour octobre et novembre.
336 Le Tribunal rappelle qu'il a constaté que la Commission a correctement apprécié la période pendant laquelle la requérante a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
337 Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté.
3. La gravité de l'infraction
A - La nouvelle politique de la Commission en matière d'amendes
338 La requérante reconnaît que la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation pour fixer le montant des amendes à infliger, mais elle indique qu'elle ne peut l'exercer d'une manière arbitraire (arrêts de la Cour du 16 novembre 1983, Thyssen/Commission, 188-82, Rec. p. 3721, et du 17 mai 1984, Denkavit, 15-83, Rec. p. 2171). Au titre de ce pouvoir d'appréciation, la Commission devrait non seulement apprécier l'existence de l'infraction, mais également le contexte dans lequel elle s'est inscrite.
339 Elle estime que c'est à tort que la Commission prétend qu'elle est dans la meilleure situation pour apprécier tous les facteurs pertinents en la matière. Elle en veut pour preuve le grand nombre d'arrêts de la Cour dans lesquels celle-ci a annulé ou réduit les amendes infligées aux entreprises (arrêts du 15 mars 1967, Cimenteries CBR/Commission, 8-66 à 11-66, Rec. p. 93; du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461; du 7 juin 1983, précité, 100-80 à 103-80, et du 10 décembre 1985, précité, 240-82 à 242-82, 261-82, 262-82, 268-82 et 269-82).
340 La requérante fait valoir que le rôle dissuasif de l'amende ne figure pas au nombre des éléments à prendre en considération pour fixer le montant de l'amende en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Ainsi, le "devoir principal" de la Commission ne serait pas "à tout moment et dans toutes les affaires d'infliger les sanctions efficaces afin d'assurer l'application du droit de la concurrence", comme celle-ci l'affirme sur la base de sa théorie inacceptable du "per se", qui fait abstraction des objectifs et du contexte du comportement et ne tient pas compte de la gravité des faits.
341 Elle relève encore que la décision est nettement discriminatoire par rapport aux décisions antérieures de la Commission, et notamment à celle qui a été rendue dans l'affaire Meldoc, relative à l'industrie laitière des Pays-Bas (décision du 26 novembre 1986, Meldoc, JO L 348, p. 50). Elle estime que cette discrimination est d'autant plus importante que les raisons qui auraient dû amener la Commission à éviter d'infliger une amende auraient été multiples en l'espèce, comme les faits justificatifs que constituent l'état de nécessité et la légitime défense, les engagements pris envers l'État italien de ne pas réduire la main-d'œuvre, l'absence de tout effet négatif, la présence d'avantages considérables pour le marché et le caractère indéniablement lacunaire des preuves.
342 La Commission affirme, de son côté, qu'en infligeant des sanctions dans la présente affaire elle a agi conformément à sa politique bien établie et aux principes énoncés par la Cour en matière d'amendes. Elle souligne que, dès 1979, elle s'est engagée dans une politique consistant à faire respecter les règles de concurrence en infligeant des sanctions plus lourdes, en particulier pour les catégories d'infractions bien définies en droit de la concurrence et pour les infractions particulièrement graves, comme c'est le cas en l'espèce, de manière notamment à accroître l'effet dissuasif des sanctions. Cette politique aurait été approuvée par la Cour (arrêt du 7 juin 1983, précité, 100-80 à 103-80, points 106 et 109), qui aurait également admis, à plusieurs reprises, que la fixation des sanctions implique l'appréciation d'un ensemble complexe de facteurs (arrêts du 7 juin 1983, précité, 100-80 à 103-80, point 120, et du 8 novembre 1983, IAZ/Commission, point 52, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369).
343 La Commission serait particulièrement qualifiée pour se livrer à une telle appréciation, qui ne pourrait être sanctionnée qu'en cas d'erreur significative de fait ou de droit. En outre, la Cour aurait confirmé que la Commission peut porter un jugement différent, selon les affaires, sur les sanctions qu'elle juge nécessaires, même si les affaires en question comportent des situations comparables (arrêts du 12 juillet 1979, BMW Belgium/Commission, point 53, 32-78, 36-78 à 82-78, Rec. p. 2435, et du 9 novembre 1983, précité, 322-81, points 111 et suivants).
344 La Commission indique que l'élément fondamental de sa nouvelle politique en matière d'amendes était l'adoption d'une position plus rigoureuse dans l'évaluation de la gravité des infractions commises et dans la fixation du degré de dissuasion nécessaire pour faire obstacle à des récidives de la part des mêmes entreprises ou d'autres entreprises. Elle indique que, dans son Treizième rapport sur la politique de concurrence, elle avait attiré spécialement l'attention sur son intention de renforcer les effets dissuasifs des amendes par une augmentation de leur niveau général dans le cas d'infractions graves et qu'elle avait défini en détail les types d'infractions qui seraient considérées comme particulièrement graves ainsi que les facteurs dont il serait tenu compte pour déterminer le montant des amendes.
345 La Commission fait valoir, enfin, que l'argumentation de la requérante relative à une discrimination par rapport à des affaires antérieures tend à comparer des choses qui ne sont pas comparables. Ainsi, elle fait remarquer, en particulier, que l'affaire Meldoc était toute différente de la présente affaire, puisqu'elle concernait une entente régionale entre de petites entreprises portant sur un produit agricole.
346 Le Tribunal constate qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour que le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d'accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comprend certainement la tâche d'instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais elle comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité CEE et à orienter en ce sens le comportement des entreprises. C'est pourquoi la Cour a jugé que, pour apprécier la gravité d'une infraction en vue de déterminer le montant de l'amende, la Commission doit prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l'espèce, mais également le contexte dans lequel l'infraction se place et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d'infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté. La Cour a encore considéré qu'il était loisible à la Commission de tenir compte du fait que, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière de concurrence, des infractions d'un type déterminé sont encore relativement fréquentes en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer et, partant, qu'il lui était loisible d'élever le niveau des amendes en vue de renforcer l'effet dissuasif de celles-ci. La Cour en a conclu que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt du 7 juin 1983, précité, 100-80 à 103-80, points 105 à 109).
347 A la lumière de ces considérations, le Tribunal constate que c'est à juste titre que la Commission a qualifié d'infractions particulièrement graves et patentes les fixations d'objectifs de prix et de volumes de vente ainsi que l'adoption de mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des objectifs de prix, visant à fausser l'évolution normale des prix sur le marché du polypropylène.
348 Le grief de la requérante doit, par conséquent, être rejeté.
B - La motivation de l'amende
349 La requérante soutient que la décision n'est pas suffisamment motivée en ce qui concerne l'amende. En effet, si la Commission a correctement défini les principes devant présider à la détermination des amendes, elle se serait totalement abstenue de motiver l'application de ces principes en l'espèce. Elle ajoute qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour (arrêts du 26 novembre 1975, Papiers Peints, 73-74, Rec. p. 1491; et du 15 mars 1967, précité, 8-66 à 11-66) que les décisions de la Commission en matière de concurrence doivent être motivées avec d'autant plus de soin qu'elles ne se situent pas dans une ligne décisionnelle constante. Or, tel serait le cas, de l'aveu même de la Commission, de la décision.
350 La Commission fait valoir, de son côté, que la décision comporte une motivation suffisante du montant des amendes en ses points 107 et suivants.
351 Le Tribunal constate que, pour déterminer le montant de l'amende infligée à la requérante, la Commission a, d'une part, défini les critères destinés à fixer le niveau général des amendes infligées aux entreprises destinataires de la décision (point 108 de la décision) et qu'elle a, d'autre part, défini les critères destinés à pondérer équitablement les amendes infligées à chacune de ces entreprises (point 109 de la décision).
352 Le Tribunal considère que les critères repris au point 108 de la décision justifient amplement le niveau général des amendes infligées aux entreprises destinataires de la décision. A cet égard, il convient de rappeler spécialement le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, en particulier sous a), b) et c), du traité CEE que n'ignoraient pas les producteurs de polypropylène, qui agissaient de propos délibéré et dans le plus grand secret.
353 Le Tribunal considère également que les quatre critères mentionnés au point 109 de la décision sont pertinents et suffisants en vue d'arriver à une pondération équitable des amendes infligées à chaque entreprise.
354 En ce qui concerne les deux premiers critères, mentionnés au point 109 de la décision, que sont le rôle joué par chacune des entreprises dans les arrangements collusoires et le laps de temps pendant lequel elles ont participé à l'infraction, il y a lieu de rappeler que les motifs relatifs à la détermination du montant de l'amende devant être interprétés à la lumière de l'ensemble des motifs de la décision, la Commission a suffisamment individualisé, à l'égard de la requérante, la prise en compte de ces critères.
355 En ce qui concerne les deux derniers critères que sont les livraisons respectives des différents producteurs de polypropylène dans la Communauté et le chiffre d'affaires total de chacune des entreprises, le Tribunal constate, sur la base des chiffres qu'il a demandés à la Commission et dont la requérante n'a pas contesté l'exactitude, que ces critères n'ont pas été appliqués de façon inéquitable lors de la détermination de l'amende infligée à la requérante par rapport aux amendes infligées à d'autres producteurs.
356 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
C - La gravité intrinsèque de l'infraction
357 La requérante considère que le caractère "intentionnel" de la violation de l'article 85 ne saurait constituer une circonstance aggravante pour la fixation de l'amende, puisqu'il s'agit en réalité de la condition première pour infliger une amende. Du reste, ce n'est pas le comportement mais l'infraction qui devrait être intentionnelle, c'est-à-dire qu'il devrait y avoir une violation délibérée du droit communautaire (arrêt de la Cour du 13 novembre 1975, General Motors/Commission, 26-75, Rec. p. 1367).
358 A cet égard, elle soutient que la Commission ne peut retenir le caractère secret des rencontres comme indice du caractère intentionnel des agissements des producteurs, puisque les prix-cibles ont été publiés dans la presse spécialisée, que des contacts ont eu lieu entre les entreprises et la Commission pour discuter de la situation du marché et que les premières réunions auraient eu lieu à l'assemblée générale de l'EATP. Quant au caractère prétendument "flagrant" de l'infraction, elle expose qu'il ne saurait pas davantage constituer un motif d'aggravation de l'amende.
359 La Commission fait valoir que la violation de l'article 85 était calculée et délibérée et que les fixations horizontales de prix et les partages horizontaux de marchés seraient depuis longtemps considérés comme figurant parmi les types d'infraction les plus graves au droit de la concurrence. En outre, l'infraction aurait été flagrante, en ce sens qu'elle était évidente et manifeste. Le comportement des entreprises aurait été intentionnel et il importerait peu, selon la jurisprudence de la Cour, de savoir si l'infraction a été commise par négligence et si la requérante avait ou non conscience d'enfreindre l'interdiction de l'article 85 (arrêt du 1er février 1978, Miller/Commission, 19-77, Rec. p. 131; la Commission souligne que les conclusions présentées par l'avocat général M. Mayras dans l'affaire 26-75, précitée, vont dans le même sens, contrairement à ce qu'affirme la requérante). Les accords auraient eu un caractère secret et n'auraient été connus ni de la presse spécialisée ni de la Commission, puisque seuls des prix étaient publiés et que, lors des contacts avec la Commission, les entreprises n'auraient pas fait état de leurs accords.
360 Par ailleurs, elle soutient que l'infraction aurait encore été aggravée par le fait que pratiquement tous les fabricants de polypropylène de la Communauté étaient impliqués et que, par conséquent, la dimension, le pouvoir économique et la part totale de marché des participants revêtaient une importance exceptionnelle.
361 Le Tribunal constate qu'il résulte de ses appréciations relatives à l'établissement de l'infraction que la Commission a correctement établi le rôle joué par la requérante dans l'infraction pendant la durée de sa participation à celle-ci et que c'est donc à bon droit que la Commission s'est basée sur ce rôle en vue du calcul de l'amende à infliger à la requérante.
362 En outre, le Tribunal constate que les faits qui ont été établis révèlent par leur gravité intrinsèque - notamment la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente - que la requérante n'a pas agi par imprudence ni même par négligence, mais qu'elle a agi de propos délibéré.
363 A cet égard, il faut relever que les entreprises ayant participé à l'infraction constatée dans la décision détiennent la quasi-totalité du marché concerné, ce qui indique à l'évidence que l'infraction qu'elles ont commise ensemble a pu restreindre la concurrence.
364 Par conséquent, le grief doit être rejeté.
D - La prise en compte des effets de l'infraction
365 La requérante soutient que la Commission aurait dû tenir compte du comportement effectif de Monte sur le marché, tant en ce qui concerne les prix que les volumes, et de l'absence totale d'effet de l'entente sur le marché et sur les échanges entre États membres.
366 Elle ajoute que les comportements incriminés n'ont porté aucun préjudice aux clients, qui n'ont d'ailleurs formulé aucune protestation ou réclamation contre ceux-ci. Ces clients présenteraient, en outre, des bilans très positifs pendant la période considérée, à la différence des producteurs de polypropylène, dont le secteur aurait été dévasté et dont la plupart auraient disparu s'ils n'avaient pas pris les initiatives incriminées.
367 La Commission rétorque que les protestations de Monte quant à l'absence d'effet de l'entente seraient sans portée puisque, d'une part, l'entente aurait eu un effet réel sur les prix et que, d'autre part, la Commission a tenu compte, pour évaluer le montant des amendes, du fait que les initiatives de prix n'ont généralement pas atteint pleinement leur but (décision, point 108). Ce faisant, elle serait d'ailleurs déjà allée au-delà de ce qu'elle était obligée de faire, puisque devraient être sanctionnées au titre de l'article 85 du traité CEE non seulement les ententes qui ont pour effet de faire obstacle à la concurrence, mais aussi celles qui ont un tel objet. Elle renvoie, pour le surplus, à ses constatations de fait et à son argumentation relative à l'effet de l'infraction sur la concurrence et à l'affectation du commerce entre États membres.
368 La Commission soutient que la requérante ne peut, sans se contredire, prétendre que l'entente n'a eu aucun effet sur les prix et soutenir dans le même temps qu'elle a eu des conséquences bénéfiques pour l'ensemble du secteur du polypropylène qu'elle aurait permis de sauver.
369 Le Tribunal constate que la Commission a distingué deux types d'effets de l'infraction. Le premier consiste dans le fait que, après avoir convenu des prix-cibles au cours des réunions, les producteurs ont tous invité leurs services de vente à réaliser ce niveau de prix, les "cibles" servant ainsi de base à la négociation des prix avec les clients. Cela a permis à la Commission de conclure qu'en l'espèce tout indique que l'accord a bien eu un effet sensible sur les conditions de la concurrence (décision, point 74, deuxième alinéa, renvoyant au point 90). Le second consiste dans le fait que l'évolution des prix facturés aux divers clients, comparée aux objectifs de prix fixés au cours d'initiatives de prix déterminées, concorde avec le compte rendu de la mise en œuvre des initiatives de prix, tel qu'il ressort des documents découverts chez ICI et chez d'autres producteurs (décision, point 74, sixième alinéa).
370 Il y a lieu de relever que le premier type d'effets a été établi à suffisance de droit par la Commission, à partir des nombreuses instructions de prix données par les différents producteurs, instructions qui concordent entre elles ainsi qu'avec les objectifs de prix fixés lors des réunions, lesquelles étaient manifestement destinées à servir de base pour négocier les prix avec les clients.
371 En ce qui concerne le second type d'effets, il y a lieu de relever que la Commission a indiqué au point 108, dernier tiret, de la décision qu'elle s'était fondée, pour modérer le montant des peines, sur le fait que les initiatives en matière de prix n'ont généralement pas atteint pleinement leur but et qu'il n'existait finalement aucune mesure de contrainte susceptible d'assurer le respect des quotas ou d'autres arrangements.
372 Les motifs de la décision relatifs à la détermination du montant des amendes devant être lus à la lumière des autres motifs de la décision, il convient de considérer que la Commission a, à juste titre, entièrement pris en compte le premier type d'effets et qu'elle a tenu compte du caractère limité du second type d'effets. A cet égard, il y a lieu de relever que la requérante n'a pas indiqué dans quelle mesure cette prise en compte du caractère limité de ce second type d'effets pour modérer le montant des amendes aurait été insuffisante.
373 Il résulte de ce qui précède que les motifs de la décision supportent son dispositif, tant en ce qui concerne l'établissement de l'infraction à l'encontre de la requérante qu'en ce qui concerne l'étendue des effets de l'infraction pris en compte pour fixer le montant des amendes. Par conséquent, il n'y a aucun indice permettant d'affirmer que la Commission aurait fondé sa décision sur la prise en compte d'effets plus étendus que ceux qui sont repris dans l'exposé des motifs, contrairement à ce que prétend la requérante en se référant à des commentaires faits par des fonctionnaires de la Commission, lors d'une conférence de presse concernant la décision. Il s'ensuit que la décision n'a pas été adoptée sur la base de motifs autres que ceux qui y sont repris et qu'il ne saurait, dès lors, être question de détournement de pouvoir.
374 Par conséquent, le grief de la requérante doit être rejeté.
E - La prise en compte insuffisante du contexte économique de crise
375 La requérante expose que la Commission n'a pas tenu compte de la situation de crise manifeste dans laquelle se trouvait l'industrie du polypropylène ni des pertes substantielles que cette crise a entraînées. En ce qui concerne l'étendue de ses pertes, la requérante demande que soit administrée par témoins la preuve de la véracité des données comptables qu'elles a présentées. Elle considère que la Commission aurait dû tenir compte de ces pertes, au moins à titre de circonstance atténuante (arrêt de la Cour du 14 février 1978, précité, 27-76).
376 Elle ajoute que, en soulignant que l'amende n'a pas dépassé la limite de 10 % du chiffre d'affaires fixé par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission a omis de considérer que cette limite théorique ne peut pas s'appliquer à des entreprises qui ont subi des pertes considérables.
377 La Commission répond qu'elle a admis, pour modérer le montant des amendes, que les entreprises concernées ont subi des pertes substantielles dans l'exploitation de leur secteur du polypropylène pendant une très longue période, bien qu'elle considère qu'elle n'avait pas l'obligation d'en tenir compte.
378 Elle estime que les sanctions peuvent être proportionnées au chiffre d'affaires non seulement lorsque les entreprises ont réalisé des profits, mais également lorsqu'elles ont essuyé des pertes.
379 Le Tribunal constate que la Commission a indiqué explicitement au point 108, dernier tiret, de la décision qu'elle a tenu compte du fait que les entreprises ont subi des pertes substantielles dans l'exploitation de leur secteur du polypropylène pendant une très longue période, ce qui démontre non seulement que la Commission a tenu compte des pertes, mais également qu'elle a, de ce fait, tenu compte des conditions économiques défavorables du secteur (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, précité, 322-81, points 111 et suivants) en vue de déterminer, eu égard également aux autres critères mentionnés au point 108, le niveau général des amendes.
380 Par ailleurs, la limite de 10 % du chiffre d'affaires inscrite à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne constitue pas un critère de fixation du montant des amendes, mais une limite maximale qui s'applique, en cette qualité, en toutes circonstances.
381 Le Tribunal considère, enfin, que la demande de la requérante visant à faire administrer par témoins la preuve de la véracité des données comptables qu'elle a produites est sans objet, dans la mesure où il constate que la Commission a suffisamment tenu compte de ces données, dont elle n'a pas contesté l'exactitude.
382 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
F - La prise en compte de circonstances atténuantes
383 La requérante fait valoir que les différents faits justificatifs qu'elle a invoqués et qui tiennent notamment au contexte politique et social national ou aux effets bénéfiques de l'entente auraient dû être pris en considération à titre de circonstances atténuantes.
384 En ce qui concerne le contexte national italien, la Commission rappelle que les éléments invoqués par la requérante sont largement postérieurs au début de l'entente et qu'ils manquent de pertinence sur le plan juridique.
385 Le Tribunal rappelle que les différents faits invoqués par la requérante comme faits justificatifs ne sont pas de nature à anéantir le caractère illicite de son comportement, puisqu'on ne saurait admettre que la participation à une entente illicite puisse constituer un moyen de légitime défense. Par conséquent, c'est tout au plus au stade de la fixation de l'amende que la Commission aurait pu éventuellement tenir compte de ces faits à titre de circonstance atténuante, sans toutefois en avoir l'obligation.
386 A cet égard, et pour autant que la requérante fasse appel à l'exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal rappelle que les critères repris au point 108 de la décision justifient amplement le niveau général des amendes infligées aux entreprises destinataires de la décision, eu égard en particulier au caractère particulièrement patent de l'infraction commise.
387 Par conséquent, le grief de la requérante doit être rejeté.
G - Conclusion
388 Il résulte de tout ce qui précède que l'amende infligée à la requérante est adéquate à la durée et à la gravité de la violation des règles de concurrence communautaires constatée. Étant donné que la décision de la Commission n'est entachée d'aucune illégalité ni d'aucune faute, la responsabilité de la Commission ne saurait être engagée.
Sur la réouverture de la procédure orale
389 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 6 mars 1992, la requérante a demandé au Tribunal de rouvrir la procédure orale et d'ordonner des mesures d'instruction, en raison des déclarations faites par la Commission lors de la conférence de presse que celle-ci a tenue le 28 février 1992, après que l'arrêt dans les affaires T-79-89, T-84-89 à T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-102-89 et T-104-89 ait été rendu.
390 Après avoir entendu à nouveau l'avocat général, le Tribunal considère qu'il n'y a pas lieu d'ordonner, conformément à l'article 62 de son règlement de procédure, la réouverture de la procédure orale ni d'ordonner les mesures d'instruction demandées par la requérante.
391 Il y a lieu de relever que l'arrêt du 27 février 1992, BASF ea/Commission (T-79-89, T-84-89 à T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-102-89 et T-104-89, Rec. p. II-0000) ne justifie pas en lui- même la réouverture de la procédure orale dans la présente affaire. En effet, le Tribunal constate qu'un acte notifié et publié doit être présumé valide. Il incombe donc à celui qui se prévaut du défaut de validité formelle ou de l'inexistence d'un acte de fournir au Tribunal des raisons de passer outre à l'apparence de validité de l'acte formellement notifié et publié. En l'espèce, les requérantes dans la présente affaire n'ont avancé aucun indice de nature à suggérer que l'acte notifié et publié n'avait pas été approuvé ou adopté par les membres de la Commission agissant comme collège. En particulier, contrairement aux affaires PVC (arrêt du 27 février 1992, précité, T-79-89, T-84-89 à T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-102-89 et T-104-89, points 32 et suivants), les requérantes n'ont avancé, en l'espèce, aucun indice de ce que le principe de l'intangibilité de l'acte adopté aurait été violé par une modification du texte de la décision après la réunion du collège des commissaires au cours de laquelle celle-ci a été adoptée.
Sur les dépens
392 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens, y compris ceux de la procédure introduite devant la Cour, au titre de l'article 83 du règlement de procédure de la Cour.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux de la procédure introduite devant la Cour, au titre de l'article 83 du règlement de procédure de la Cour.