Livv
Décisions

TPICE, 2e ch., 27 février 1992, n° T-79/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BASF (AG), Limburgse Vinyl Maatschappij (NV), DSM (NV), DSM Kunststoffen (BV), Hüls (AG), Atochem (SA), Société artésienne de vinyle (SA), Wacker Chemie (GmbH), Enichem (SpA), Hoechst (AG), Imperial Chemical Industries (plc), Shell International Chemical Company (Ltd), Montedison (SpA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barrington

Juges :

MM. Saggio, Yeraris, Briët, Biancarelli

Avocats :

Mes Hermanns, Cath, Deringer, Tessin, Herrmann, Sedemund, de Roux, Léger, Van de Walle de Ghelcke, Hellmann, Siragusa, Scassellati Sforzolini, Arcidiacono, Vaughan, Anderson, White, Coles, Ransom, Parker, Osborne, Aghina, Celona, Ferrari.

TPICE n° T-79/89

27 février 1992

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

Les faits à l'origine des recours, la décision attaquée et le déroulement général de la procédure

1 Suite à des vérifications effectuées dans le secteur du polypropylène, les 13 et 14 octobre 1983, fondées sur l'article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p 204 ci-après "règlement n° 17 "), la Commission des Communautés européennes (ci-après "Commission ") a ouvert un dossier concernant le polychlorure de vinyle (ci-après "PVC ") elle a alors opéré diverses vérifications dans les locaux des entreprises concernées et adressé plusieurs demandes de renseignements à ces dernières.

2 Le 24 mars 1988, la Commission a ouvert, au titre de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, une procédure d'office à l'encontre de quatorze producteurs de PVC, à savoir Atochem SA, BASF AG, NV DSM et DSM Kunststoffen BV, Enichem SpA, Hoechst AG, Hüls AG, Imperial Chemical Industries plc, NV Limburgse Vinyl Maatschappij, Montedison SpA, Norsk Hydro AS, Société artésienne de vinyle SA, Solvay et Cie, Shell International Chemical Company Ltd et Wacker Chemie GmbH. Le 5 avril 1988, elle a adressé à chacune de ces entreprises la communication des griefs prévue à l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p 2268). Toutes les entreprises destinataires de la communication des griefs ont présenté des observations dans le courant du mois de juin 1988. A l'exception de Shell International Chemical Company Ltd, qui n'en avait pas fait la demande, elles ont été entendues dans le courant du mois de septembre 1988. Le 1er décembre 1988, le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes a émis son avis sur le projet de décision de la Commission .

3 Le 17 mars 1989 a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes la "Décision 89-190-CEE de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31865, PVC)" qui avait été notifiée aux entreprises en février 1989. La décision ainsi notifiée et publiée comporte, dans son dispositif, notamment les trois articles suivants :

"Article premier

Atochem SA, BASF AG, DSM NV, Enichem SpA, Hoechst AG, Hüls AG, Imperial Chemical Industries plc, Limburgse Vinyl Maatschappij, Montedison SpA, Norsk Hydro AS, Société artésienne de vinyle, Shell International Chemical Co Ltd, Solvay & Cie et Wacker Chemie GmbH ont enfreint les dispositions de l'article 85 du traité en participant (pour les périodes indiquées dans la présente décision) à un accord et/ou à une pratique concertée remontant à août 1980 environ, en vertu desquels les producteurs approvisionnant en PVC le territoire du marché commun ont assisté à des réunions périodiques afin de fixer des prix cibles et des quotas cibles, de planifier des initiatives concertées visant à élever le niveau des prix et de surveiller la mise en œuvre de ces arrangements collusoires.

Article 2

Les entreprises mentionnées à l'article 1er, qui sont encore actives dans le secteur du PVC, mettent fin immédiatement aux infractions précitées (si elles ne l'ont pas déjà fait) et s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leur secteur PVC, de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange de renseignements du type généralement couvert par le secret professionnel, au moyen duquel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des livraisons, du niveau des stocks, des prix de vente, des coûts ou des plans d'investissement d'autres producteurs, ou qui leur permettrait de suivre l'exécution de tout accord exprès ou tacite ou de toute pratique concertée se rapportant aux prix ou au partage des marchés dans la Communauté. Tout système d'échange de données générales auquel les producteurs seraient abonnés pour le secteur du PVC est géré de manière à exclure toute donnée permettant d'identifier le comportement de producteurs déterminés les entreprises s'abstiennent plus particulièrement d'échanger entre elles toute information supplémentaire intéressant la concurrence et non couverte par un tel système.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées par la présente décision, en raison de l'infraction constatée à l'article 1er :

i) Atochem SA : une amende de 3 200 000 écus;

ii) BASF AG : une amende de 1 500 000 écus;

iii) DSM NV : une amende de 600 000 écus;

iv) Enichem SpA : une amende de 2 500 000 écus;

v) Hoechst AG : une amende de 1 500 000 écus;

vi) Hüls AG : une amende de 2 200 000 écus;

vii) Imperial Chemical Industries plc : une amende de 2 500 000 écus;

viii) Limburgse Vinyl Maatschappij : une amende de 750 000 écus;

ix) Montedison SpA : une amende de 1 750 000 écus;

x) Norsk Hydro AS : une amende de 750 000 écus;

xi) Société artésienne de vinyle : une amende de 400 000 écus;

xii) Shell International Chemical Company Ltd : une amende de 850 000 écus;

xiii) Solvay et Cie : une amende de 3 500 000 écus;

xiv) Wacker Chemie GmbH : une amende de 1 500 000 écus."

4 Toutes les entreprises visées par la décision, à l'exception de Solvay et Cie, ont déposé un recours devant la Cour de justice. Ces recours ont été enregistrés au greffe de la Cour entre le 30 mars 1989 pour BASF AG et le 25 avril 1989 pour Norsk Hydro AS. En application des articles 3, paragraphe 1, et 14 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988 instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes, la Cour a renvoyé les affaires devant le Tribunal, par ordonnances du 15 novembre 1989.

5 Par ordonnance du 19 juin 1990, le Tribunal (deuxième chambre) a déclaré irrecevable le recours de Norsk Hydro AS, en raison du caractère tardif de la requête introductive d'instance. Cette ordonnance a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de justice, dont la radiation a été prononcée suite au désistement de Norsk Hydro AS .

6 A l'issue de la procédure écrite qui s'est achevée par la production, entre le 29 juin et le 5 novembre 1990, des mémoires en duplique de la Commission, les affaires T-79-89, T-84-89, T-85-89, T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-98-89, T-102-89 et T-104-89 ont été jointes, aux fins de la procédure orale, par ordonnance du 11 juillet 1991 du président de la deuxième chambre du Tribunal. Une réunion préparatoire à la tenue de l'audience, organisée dans le cadre de l'article 64, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, s'est tenue le 11 juillet 1991. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et d'ordonner certaines mesures d'organisation de la procédure.

7 La procédure orale s'est déroulée du 18 au 22 novembre 1991 et le 10 décembre 1991 Au cours de cette procédure, le Tribunal a, par ordonnance du 19 novembre 1991, enjoint la Commission de produire, avant le 22 novembre 1991, certains documents. Par une nouvelle ordonnance du 22 novembre 1991, le délai initialement fixé a été reporté au 5 décembre 1991.

8 Les parties ayant été entendues sur ce point lors de la procédure orale, le Tribunal estime qu'il y a lieu de prononcer la jonction aux fins de l'arrêt de l'ensemble des affaires susvisées.

Les conclusions des parties

9 Les parties requérantes concluent, pour l'essentiel, à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre principal, annuler la décision de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV-31865, PVC) et, à titre subsidiaire, annuler ou réduire l'amende infligée à l'article 3 de ladite décision;

- condamner la Commission aux dépens;

- en outre, Montedison SpA a conclu à ce que la Commission soit condamnée, d'une part, à lui rembourser intégralement les frais exposés au cours de la procédure administrative et, d'autre part, à réparer l'ensemble des dommages ayant résulté, pour elle, de l'exécution de la décision attaquée.

10 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter la requête de Shell International Chemical Company Ltd comme tardive et, par suite, irrecevable;

- rejeter les requêtes comme non fondées;

- condamner les requérantes aux dépens.

Les mesures d'organisation de la procédure et d'instruction ordonnées par le Tribunal

A - L'argumentation écrite des parties ayant conduit le Tribunal à adopter la mesure d'organisation de la procédure du 11 juillet 1991

11 Au point 5 de sa requête, intitulé "Violation de l'obligation d'indiquer les motifs au moment où la décision attaquée est adoptée", BASF AG se prévaut de l'arrêt de la Cour du 23 février 1988, dit des "poules pondeuses" Royaume-Uni/Conseil (131-86, Rec p 905), pour soutenir que l'article 190 du traité fait obligation à la Commission, lorsqu'elle prend une décision, d'adopter les motifs qui font partie intégrante de celle-ci. La requérante en déduit qu'une décision serait nulle lorsqu'elle n'est pas motivée, ou lorsque ses motifs sont insuffisants ou incomplets lors de son adoption, ou encore lorsque ses motifs sont modifiés postérieurement à l'adoption de la décision.

12 En l'espèce, la requérante constate que la décision notifiée est datée du 21 décembre 1988 et est accompagnée d'une lettre de transmission datée du 5 janvier 1989, signée "Pour la Commission, P. Sutherland, membre de la Commission ". Or, elle expose que la Commission lui a envoyé, le 21 décembre 1988, un télex dans lequel elle prétendait avoir adopté une décision le 22 décembre 1988. Tout en n'écartant pas l'hypothèse qu'il puisse s'agir là d'une erreur matérielle, la requérante fait valoir qu'à la date du 21 décembre 1988 les motifs de la décision auraient été soit inexistants, soit différents de ceux figurant dans la décision notifiée. A l'appui de ses allégations, la requérante fait valoir que, en réponse à une demande de sa part, formée entre le 21 décembre 1988 et le 3 février 1989, date de la notification, tendant à ce que la décision lui soit signifiée, il lui aurait été répondu, par des agents de la Commission, que le texte de la décision en langue allemande n'était pas prêt et qu'en conséquence une telle signification n'était pas possible. Selon la requérante, le laps de temps qui se serait écoulé entre l'adoption de la décision et sa notification suffirait à établir qu'il aurait été procédé à un véritable remaniement des motifs de la décision. Il en résulterait que la décision serait nulle. Dans son mémoire en réplique, la requérante a souligné que "la défenderesse pourrait présenter le texte allemand, tel qu'il était en possession de la Commission le 21 décembre 1988. Tant la Cour que la requérante seraient ainsi en mesure de comparer (les deux textes) et de déterminer si les différences entre ce texte et celui qui a été communiqué à la requérante le 3 février 1989 résultent de simples rectifications linguistiques ".

13 Hüls AG a fait valoir, dans sa requête, qu'elle a tout lieu de croire que la décision qui lui a été notifiée diverge, sur des points essentiels, du projet qui est à la base de la décision de la Commission du 21 décembre 1988. Elle appuie ses présomptions sur le fait que, selon elle, il apparaît clairement, au vu de la présentation typographique de la décision notifiée, que des passages essentiels ont été ajoutés ou corrigés. Aussi a-t-elle demandé à la Cour d'ordonner à la Commission de "verser au dossier le projet de décision du 21 décembre 1988 et de le mettre à la disposition de la requérante, afin qu'il soit possible de vérifier si les divergences ne dépassent pas le cadre de ce qui est licite ".

14 Les requérantes Wacker Chemie GmbH et Hoechst AG ont soutenu, dans leurs requêtes et répliques, que la motivation de la décision, prévue à l'article 190 du traité, devrait expliciter les principaux points de droit et de fait servant de support à la décision. Cette motivation devrait, en outre, exister au moment de l'adoption de la décision. Il serait, en effet, incompatible avec l'article 190 du traité d'apporter à cette motivation des modifications a posteriori, si celles-ci vont au-delà de simples corrections orthographiques (arrêt de la Cour du 23 février 1988, précité). Les requérantes estiment qu'en l'espèce elles ont tout lieu de penser que ces principes ont été méconnus. Elles font état de rumeurs relatives à l'adoption de la décision antérieurement au 21 décembre 1988. Elles ont reçu, à cette date, un télex de la Commission comportant le dispositif de la décision et non ses motifs et faisant état d'une décision du 22 décembre 1988. Elles estiment qu'elles sont fondées à émettre des doutes sérieux, au vu des informations qui, par ailleurs, leur auraient été fournies par d'autres entreprises, également destinataires de la décision attaquée, sur le point de savoir si la décision est intervenue sur la base d'une proposition de décision complète, comportant la motivation nécessaire dans la langue faisant foi. Ces requérantes ont, dès lors, demandé que la Commission soit invitée à produire la proposition de décision sur la base de laquelle elle a pris, le 21 décembre 1988, la décision attaquée. Elles déduisent de la défense de la Commission qu'aucune décision n'aurait été adoptée en langues espagnole, italienne et néerlandaise. Or, selon les requérantes, la décision devait être adoptée dans chacune des langues des destinataires Dès lors, elles soumettent "au Tribunal la question de savoir si la décision de la Commission ne devait pas être arrêtée sur la base des textes correspondants". Elles estiment, en outre, que, compte tenu de l'exposé des faits effectué par la Commission dans son mémoire en défense, se pose la question de savoir si le membre de la Commission chargé des questions de concurrence pouvait valablement arrêter ou a valablement arrêté la décision dans les autres langues officielles, dès lors que son mandat expirait le 5 janvier 1989, soit onze jours avant la date à laquelle les traductions ont été remises au secrétariat général de la Commission. Elles en déduisent que "la décision, qui aurait dû être arrêtée sous la forme d'une décision unique à l'égard de tous les destinataires est contestable dans son entier".

15 Enichem SpA a fait valoir, dans sa requête, qu'un délai important s'est écoulé entre l'adoption de la décision et sa notification, de telle sorte que le texte notifié et publié pourrait ne pas correspondre au texte adopté, ce qui entraînerait la nullité de la décision notifiée aux parties Enichem SpA demande à la Cour d'enjoindre la Commission de produire le texte, dans la langue de travail de la Commission, sur la base duquel cette dernière a adopté la décision du 21 décembre 1988. Enichem SpA fait valoir, en outre, que la décision serait antérieure à l'établissement du procès-verbal définitif de l'audition des requérantes par la Commission, lequel n'aurait été rédigé que le 13 février 1989. La requérante souligne qu'en conséquence ni le comité consultatif, ni le collège des commissaires, ni le membre de la Commission chargé des questions de concurrence n'auraient pu prendre connaissance du texte du procès-verbal définitif de l'audition, de sorte que l'audition devant la Commission aurait été privée de toute portée.

16 En réponse à ces différentes argumentations, la Commission, dans ses mémoires en défense et en duplique, après avoir relevé que ce moyen est dénué de tout fondement et n'est étayé par aucun élément sérieux, a fait valoir que les propositions de décision ont été soumises à la délibération du collège des commissaires en six langues (allemand, anglais, espagnol, français, italien, néerlandais) qu'il ressort du procès-verbal de la séance n° 945 de la Commission que la décision a été adoptée dans les trois langues allemande, anglaise et française et que le collège des commissaires a chargé le membre compétent en matière de concurrence d'arrêter la décision dans les autres langues officielles qu'une telle habilitation est conforme à l'article 27 de son règlement intérieur, ainsi que la Cour l'aurait d'ailleurs jugé dans son arrêt du 23 septembre 1986, AKZO Chemie/Commission, point 40 (5-85, Rec. p. 2585). Selon la Commission, en effet, une telle habilitation inclurait nécessairement la possibilité de procéder aux harmonisations linguistiques nécessaires. A la suite de la délibération du collège des commissaires, il aurait été procédé à la traduction de la décision dans les trois langues officielles non encore disponibles (danois, grec, portugais). Ces traductions auraient été soumises au secrétariat général le 16 janvier 1989, date à laquelle les différentes versions de la décision, disponibles dans chacune des langues officielles de la Communauté, auraient été soumises aux juristes-linguistes, en vue d'assurer leur concordance. Ces travaux d'harmonisation se seraient eux-mêmes achevés à la fin du mois de janvier 1989. La Commission a tenu à préciser qu'elle était en mesure de soumettre au Tribunal, si celui-ci le désirait, les documents auxquels elle se référait dans ses mémoires. Elle a ajouté que la délégation a été conférée non à M. P Sutherland, nommément désigné, mais au commissaire en charge des questions de concurrence.

17 C'est dans ces conditions que, confronté à ces argumentations écrites divergentes, le Tribunal, placé devant la nécessité, aux fins de répondre aux moyens soulevés par les requérantes, de comparer, d'une part, l'acte notifié aux requérantes et publié au Journal officiel des Communautés européennes et, d'autre part, l'acte adopté et au vu, d'ailleurs, de l'offre de preuve formée par la Commission elle-même, a, dans le cadre de son pouvoir d'instruction (arrêt de la Cour du 23 septembre 1986, précité) enjoint la Commission, le 11 juillet 1991, au titre des mesures d'organisation de la procédure, de produire, d'une part, le procès-verbal de la réunion du collège des commissaires du 21 décembre 1988 et, d'autre part, le texte de la décision, telle qu'adoptée par le collège des commissaires.

18 En annexes IV et V à sa réponse à la mesure d'organisation de la procédure, enregistrée au greffe du Tribunal le 12 septembre 1991, la Commission a produit, d'une part, les pages 41 à 43 du procès-verbal, rédigé en langue française, de la séance n° 945 du collège des commissaires du 21 décembre 1988, coté COM (88) PV 945 (annexe IV), et, d'autre part, trois projets de décision, datés du 14 décembre 1988, rédigés en langues allemande, anglaise et française et cotés C (88) 2497 (annexe V).

19 A la suite de cette production, BASF AG a déposé, le 24 octobre 1991, un document par lequel la requérante déclarait étayer ses griefs énoncés à l'écrit et préparer un déroulement simplifié de la procédure orale. Ce document, notifié à la défenderesse le 29 octobre 1991, comportait en annexe un tableau comparatif récapitulant certaines discordances relevées par BASF AG, entre la version de la décision notifiée à la requérante et le projet de décision du 14 décembre 1988, en version allemande, produit le 12 septembre 1991.

B - L'argumentation des parties, lors de la procédure orale, ayant conduit le Tribunal à ordonner la mesure d'instruction du 19 novembre 1991

20 Lors de leur plaidoirie commune présentée le 18 novembre 1991, l'ensemble des entreprises requérantes, à l'exception de Shell International Chemical Company Ltd et de Montedison SpA, qui ne se sont pas associées aux plaidoiries communes, ont estimé qu'il convenait de distinguer entre deux "types" de vices qui affecteraient la décision.

21 Les entreprises requérantes ont fait valoir, en premier lieu, que l'acte notifié serait dépourvu de base légale, en tant qu'il aurait été notifié dans ses versions rédigées en langues italienne et néerlandaise, dès lors qu'il ressortirait des documents produits par la Commission le 12 septembre 1991 que ces versions de l'acte attaqué auraient été adoptées par le seul membre de la Commission chargé des questions de concurrence or, selon les requérantes, l'article 27 du règlement intérieur de la Commission du 31 janvier 1963, maintenu provisoirement en vigueur par l'article 1er de la décision du 6 juillet 1967 (ci-après "règlement intérieur de la Commission"), dans sa rédaction en vigueur résultant elle-même de la décision de la Commission 75-461-Euratom, CECA, CEE, du 23 juillet 1975 (JO L 183, p 63), et dont le premier alinéa est relatif aux délégations susceptibles d'être consenties aux membres de la Commission, n'offrirait aucune base légale à cet effet. Les requérantes ont notamment soutenu, lors de la procédure orale, que la pratique adoptée par la Commission serait contraire à l'article 12, premier et deuxième alinéas, du règlement intérieur de la Commission, parce qu'en l'absence d'une décision adoptée dans les langues italienne et néerlandaise la délibération ne serait pas "scellée" par les signatures du président et du secrétaire exécutif. En conclusion sur ce point, les requérantes ont soutenu que le respect de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission constituerait une forme substantielle, dont la violation devrait, en vertu des articles 173 et 174 du traité, être sanctionnée par l'annulation de la décision.

22 Les entreprises ont, en second lieu, fait valoir que des divergences apparaîtraient entre l'ensemble des actes notifiés aux requérantes et les pièces versées par la Commission le 12 septembre 1991 et qualifiées par elle de décision adoptée. En excluant les corrections syntaxiques et orthographiques, les requérantes ont distingué trois types de modifications importantes. Il s'agirait des adjonctions effectuées à la page 6 de l'acte notifié et qui concerneraient les entreprises allemandes, de l'ajout d'un alinéa nouveau effectué à la page 24 de l'acte notifié en langue allemande (page 22 de l'acte notifié en langue anglaise et page 23 de l'acte notifié en langue française) et d'autres modifications qui auraient altéré la version rédigée en langue allemande. En se référant, en particulier, à l'arrêt de la Cour du 23 février 1988, précité, les entreprises ont invoqué le caractère absolu de l'interdiction de procéder à des modifications ultérieures d'actes juridiques ayant fait l'objet d'une décision arrêtée par l'autorité compétente. Elles ont, en outre, soutenu que la confiance dans les organes des Communautés se trouverait ébranlée si l'intangibilité de ces principes juridiques n'était pas assurée sans aucune réserve.

23 Dans sa réponse à cette plaidoirie, prononcée le même jour, la Commission, sans contester l'adjonction d'un alinéa nouveau, au point 27 des motifs de l'acte notifié, a offert de justifier la licéité de cet ajout par la référence à un procès-verbal d'une réunion spéciale des chefs de cabinet des Commissaires qui se serait tenue le 19 décembre 1988. La Commission a toutefois indiqué que, compte tenu des informations confidentielles que contenait ce procès-verbal, elle n'était pas en mesure de le verser au dossier. Le Tribunal a proposé à la Commission soit d'abandonner toute référence à un document qui ne présentait pas un caractère contradictoire à l'égard des parties requérantes, soit de commenter ce document sans le verser aux débats.

24 La Commission ayant choisi cette dernière solution, les parties requérantes, après cet exposé du contenu de ce document, ont déclaré n'être qu'imparfaitement satisfaites de la réponse de la Commission, dès lors qu'elles n'avaient pas connaissance du document litigieux qui revêtait, à leurs yeux, une grande importance. En outre, elles ont, en premier lieu, demandé à la Commission si la décision avait été authentifiée dans les conditions prévues à l'article 12 du règlement intérieur de la Commission en second lieu, elles ont déclaré que les extraits de procès-verbaux produits ne constituaient pas une réponse appropriée à la demande du Tribunal enfin, elles ont demandé à voir le texte de la décision revêtu des signatures du président et du secrétaire général de la Commission.

25 Dans sa plaidoirie prononcée le 19 novembre 1991, la Commission a exposé qu'elle ne pourrait produire d'autres documents que ceux déjà en la possession du Tribunal que sur ordonnance de celui-ci. C'est dans ces conditions que, par ordonnance du 19 novembre 1991, le Tribunal a enjoint la Commission de produire, "au plus tard le 22 novembre 1991, à 12 heures, (une) copie certifiée conforme de l'original de la décision du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.865, PVC 89-190-CEE), telle qu'elle a été adoptée par le Collège des Commissaires au cours de sa réunion du 21 décembre 1988 et authentifiée dans les conditions prévues par le règlement intérieur de la Commission, et ceci dans les versions linguistiques dans lesquelles cette décision a été adoptée ".

26 En exécution de cette ordonnance, la Commission a produit, le 21 novembre 1991 :

- les pages 41 à 43 du procès-verbal de la réunion du collège des commissaires, déjà produites le 12 septembre 1991, certifiées conformes à l'original par le secrétaire général de la Commission (pages 2 à 4);

- des copies, certifiées conformes par le secrétaire général de la Commission, des projets de décision du 14 décembre 1988, en langues allemande, anglaise et française (pages 5 à 148);

- un document coté SEC(88) OJ 945, point 15, daté du 19 décembre 1988 et intitulé "Note à l'attention de MM les membres de la Commission", certifié conforme à l'original par le secrétaire général de la Commission (page 149);

- un document coté "annexe III" intitulé "modifications to be included in point 27 - PVC, in point 34 - LDPE" ("modifications à inclure au point 27 - PVC, au point 34 - PEBD")(page 150);

- un document signé par le secrétaire général de la Commission et ainsi libellé :

"I certify that the attached is a true copy of the decision of the Commission in case IV-31865-PVC, as adopted by the Commission at its meeting of 21 december 1988.

The text of the decision comprises the attached documents :

1) pages 41 to 43 of the minutes of the Commission's meeting of 21 december 1988, COM (88) PV 945;

2) the following documents which were before the Commission at that meeting :

i) document C(88) 2497 of 14 december 1988, being a draft decision, in the three language versions (German, English, French) available to the Commission;

ii) a document entitled "Modifications to be included in point 27 - PVC, in point 34-LDPE" and bearing the reference "ANNEXE III", which was attached as Annexe III to document SEC(88) 2033 referred to in point 2 of the abovementioned Commission minutes, page 41, being the minutes of the special meeeting of the Chefs de cabinet held on 19 december 1988."

(" Je certifie que les pièces annexées sont une copie conforme de la décision de la Commission dans l'affaire IV-31.865 - PVC, telle qu'adoptée par la Commission dans sa séance du 21 décembre 1988.

Le texte de la décision se compose des documents suivants :

1) pages 41 à 43 du procès-verbal de la Commission du 21 décembre 1988, COM (88) PV 945;

2) les documents suivants, qui étaient soumis à la Commission lors de cette réunion :

i) document C (88) 2497 du 14 décembre 1988, lequel est un projet de la décision dans les trois langues (allemand, anglais, français) dans lesquelles elle a été adoptée par la Commission;

ii) un document intitulé "Modifications à inclure au point 27 - PVC, au point 34 - PEBD" et portant la référence "Annexe III", qui était annexé comme Annexe III au document SEC(88) 2033 auquel il est fait référence au point 2, page 41, du procès-verbal de la Commission mentionné ci-avant et qui constitue le procès-verbal de la réunion spéciale des chefs de cabinet tenue le 19 décembre 1988.")

27 La défenderesse a indiqué à la barre que, compte tenu des opérations de déménagement du siège de la Commission alors en cours, elle ne pouvait produire, dans le délai imparti par l'ordonnance du 19 novembre 1991, précitée, d'autres documents que ceux versés ce jour au dossier, mais qu'une production complémentaire était possible pour le 5 décembre 1991. Dans ces conditions, il a été ordonné que, "eu égard aux circonstances particulières invoquées par la Commission, la date limite fixée par l'ordonnance du 19 novembre 1991 pour la production d'une copie certifiée conforme de la décision de la Commission du 21 décembre 1988 (était) reportée au 5 décembre 1991".

28 Le 5 décembre 1991, la Commission a produit :

- les pages 41 à 43 du procès-verbal de la séance n° 945 du collège des commissaires du 21 décembre 1988, accompagnées de la "page de couverture" de ce procès-verbal. Il en ressort, d'une part, que les pages 41 à 43 sont incluses dans la partie I de la réunion, dont le procès-verbal comporte 60 pages, et, d'autre part, que ce procès-verbal a été approuvé par le collège des commissaires le 22 décembre 1988. Cette première page est revêtue des signatures du président et du secrétaire général de la Commission. La copie produite est certifiée conforme à l'original par le secrétaire général de la Commission et revêtue d'un timbre à l'en-tête de la Commission.

- une attestation établie par M David F Williamson, secrétaire général de la Commission, datée du 5 décembre 1991, et ainsi rédigée :

"Pursuant to the Order of the Court of First Instance of 19 november 1991, I certify that the attached is a true copy of pages 41 to 43 of the authenticated minutes of the Commission's meeting of 19 december 1988, COM(88) PV 945, together with a copy of page 1 of those minutes, which bears the signatures of the President of the Commission and myself, in accordance with article 10 of the Commission's Rules of Procedure. These pages record the adoption by the Commission of the decision in Case IV-31.865 - PVC, which comprises this entry in the minutes, together with the documents before the Commission on that occasion and listed on page 41, of which certified copies were furnished to the Court on 21 november 1991."

("En exécution de l'ordonnance du Tribunal de première instance du 19 novembre 1991, je certifie que les documents annexés sont une copie conforme des pages 41 à 43 du procès-verbal authentifié de la réunion de la Commission du 19 décembre 1988, COM(88) PV 945, accompagné d'une copie de la page 1 de ce procès-verbal, laquelle est revêtue des signatures du Président de la Commission et de moi-même, conformément à l'article 10 du règlement intérieur de la Commission. Ces pages rendent compte de l'adoption par la Commission de la décision dans l'affaire IV-31.865 - PVC, laquelle se compose des documents consignés au procès-verbal et des documents qui étaient soumis à la Commission à cette occasion et énumérés à la page 41, et dont des copies certifiées ont été fournies au Tribunal le 21 novembre 1991.")

- une "lettre de couverture" signée par M. J. Currall, membre du service juridique de la Commission agissant en qualité d'agent, datée du 5 décembre 1991, et ainsi rédigée :

"In compliance with the Court's Order of 19 november 1991, please find enclosed a certified copy of the authenticated version of the minutes of the Commission's meeting of 21 december 1988, to be read with the other documents of which certified copies have already been supplied to the Court, the whole constituting the Commission' s decision as adopted that day."

("Conformément à l'ordonnance du Tribunal du 19 novembre 1991, veuillez trouver ci-jointe une copie certifiée de la version authentifiée du procès-verbal de la réunion de la Commission du 21 décembre 1988, qui doit être lue en combinaison avec les autres documents dont des copies certifiées ont déjà été remises au Tribunal, l'ensemble constituant la décision que la Commission a adoptée à cette date.")

29 Enfin, dans sa plaidoirie prononcée le 10 décembre 1991, Montedison SpA a estimé que, compte tenu des éléments nouveaux révélés par la procédure orale, elle était en droit de compléter ses conclusions initiales Montedison SpA a déclaré soumettre au Tribunal la question de la constatation de l'inexistence de l'acte attaqué et, partant, celle de la recevabilité de sa requête. A titre subsidiaire, Montedison SpA a déclaré maintenir ses conclusions initiales.

Au fond

30 Le Tribunal constate que, à l'appui de leurs conclusions, les requérantes ont essentiellement invoqué trois groupes de moyens, tirés de la violation des droits fondamentaux, de la méconnaissance des formes substantielles et de ce que la Commission aurait procédé à une appréciation et à une qualification juridique des faits insuffisantes ou erronées au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Parmi ces moyens, l'un était tiré de l'existence de discordances entre les décisions, telles qu'adoptées par le collège des commissaires, d'une part, et les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes, d'autre part. Lors de la procédure orale, il a été complété, à la suite des plaidoiries de la Commission et des pièces versées par elle, d'une part, par un autre moyen, déjà esquissé à l'écrit par certaines requérantes, tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte et, d'autre part, par un moyen tiré de l'inexistence de l'acte.

31 Le Tribunal estime qu'il convient, aux fins de répondre exactement aux moyens tels que soulevés par les requérantes, d'examiner, en premier lieu, le moyen tiré d'une violation du principe de l'intangibilité de l'acte adopté, en second lieu, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte et, enfin, le moyen tiré de l'inexistence de l'acte attaqué. Le Tribunal relève que l'examen des moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et de l'inexistence de la décision sont, en tout état de cause, des questions d'ordre public qui doivent, comme telles, être soulevées d'office.

A - Sur le moyen tiré de la violation du principe de l'intangibilité de l'acte adopté

32 Plusieurs des requérantes ont soutenu que l'acte notifié et publié au Journal officiel des Communautés européennes présentait certaines discordances par rapport à l'acte adopté. Ces discordances, allant au-delà de simples corrections d'ordre grammatical, traduiraient une violation manifeste du principe de l'intangibilité de l'acte adopté et entacheraient de nullité l'ensemble de la décision attaquée (voir ci-avant, points 11 à 15).

33 La Commission a fait valoir que ces modifications soit étaient des modifications d'ordre purement syntaxique ou grammatical, soit trouvaient leur origine dans les propositions faites par la réunion spéciale des chefs de cabinet du 19 décembre 1988. Au soutien de son argumentation, elle a produit l'ensemble des pièces précédemment analysées (voir ci-avant, points 16, 23, 26 et 28).

34 Le Tribunal estime qu'il convient de rappeler que, par son arrêt du 23 février 1988, dit des "poules pondeuses", précité, la Cour a jugé, à propos d'une directive adoptée par le Conseil et ultérieurement modifiée par les services du secrétariat général du Conseil, que la motivation d'un acte en constitue un élément essentiel, dès lors qu'elle permet au juge communautaire d'exercer son contrôle et aux États membres, ainsi qu'aux ressortissants intéressés, de connaître les conditions dans lesquelles les institutions communautaires ont fait application du traité, et que "par conséquent, ni le secrétaire général du Conseil ni le personnel de son secrétariat général n'ont le pouvoir de modifier la motivation des actes approuvés par le Conseil" (points 37 et 38). Cette considération était également fondée sur l'analyse du règlement intérieur du Conseil qui interdit de telles modifications. Pour ces motifs, la Cour a annulé la directive litigieuse.

35 En effet, le principe de l'intangibilité de l'acte, une fois adopté par l'autorité compétente, constitue un facteur essentiel de sécurité juridique et de stabilité des situations juridiques dans l'ordre communautaire, aussi bien pour les institutions communautaires que pour les sujets de droit qui voient leur situation juridique et matérielle affectée par une décision desdites institutions. Seul, le respect rigoureux et absolu de ce principe permet d'acquérir la certitude que, postérieurement à son adoption, l'acte ne pourra être modifié que dans le respect des règles de compétence et de procédure et que, par voie de conséquence, l'acte notifié ou publié constituera une copie exacte de l'acte adopté, reflétant ainsi fidèlement la volonté de l'autorité compétente.

36 En l'espèce, le Tribunal constate, en premier lieu, que les pièces produites par la Commission, le 12 septembre 1991, en réponse à la mesure d'organisation de la procédure susvisée du 11 juillet 1991, de même que les pièces produites, au cours de la procédure orale, les 21 novembre 1991 et 5 décembre 1991, et analysées ci-avant (voir points 26 et 28), établissent que les trois projets soumis à la délibération du collège des commissaires, datés du 14 décembre 1988, présentent certaines discordances avec les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes. Le Tribunal constate, d'ailleurs, que ces discordances ne sont pas, dans leur principe, contestées par la défenderesse, soit qu'elle estime, pour certaines, qu'elles sont de portée tout à fait mineure, soit qu'elle soutienne, pour d'autres, qu'elles s'expliquent par la circonstance, telle qu'elle ressort des attestations de MM. Williamson et Currall produites les 21 novembre et 5 décembre 1991 et analysées ci-avant (points 26 et 28), que les décisions adoptées par le collège des commissaires doivent ressortir du rapprochement de ces trois projets, du procès-verbal de la séance n° 945 du collège des commissaires et du procès-verbal de la réunion des chefs de cabinet du 19 décembre 1988, assortie de la proposition d'amendement qu'elle contiendrait, ainsi que des autres pièces produites par la Commission.

37 Le Tribunal constate, en second lieu, que, selon les termes mêmes du procès-verbal de la séance n° 945 du collège des commissaires, la Commission, saisie par M. P. Sutherland, commissaire en charge des questions de concurrence à la date du 21 décembre 1988, des projets de décision cotés C(88) 2497, a, à cette date :

- décidé que les quatorze entreprises désignées dans l'affaire PVC ont enfreint l'article 85 du traité, déterminé le montant des amendes qu'il convenait de leur infliger, et approuvé le principe de l'injonction à adresser aux entreprises d'avoir à mettre fin à l'infraction;

- adopté une décision concernant l'affaire IV-31.865 PVC dans chacune des trois langues allemande, anglaise et française, faisant foi à l'égard de certaines des requérantes, ces décisions étant "reprises" aux documents C(88) 2497, précités;

- habilité le membre de la Commission en charge des questions de concurrence à adopter le texte de la décision dans les autres langues officielles de la Communauté;

- pris connaissance de l'examen de l'affaire par les chefs de cabinet des commissaires, lors de la réunion spéciale et de la réunion hebdomadaire de ceux-ci du 19 décembre 1988.

38 C'est au vu de ces constatations de fait qu'il y a lieu, pour le Tribunal, de procéder à l'appréciation juridique du moyen tiré de la violation du principe de l'intangibilité de l'acte adopté. Pour l'examen de ce moyen, il convient de distinguer entre, d'une part, le texte adopté en langue allemande et, d'autre part, le texte adopté dans l'ensemble des langues faisant foi.

1 En ce qui concerne les modifications affectant le texte de la décision adoptée en langue allemande

39 S'agissant de la décision adoptée par le collège des commissaires, le 21 décembre 1988, en langue allemande, il ressort d'un examen comparatif du projet de décision du 14 décembre 1988, tel qu'adopté par le collège des commissaires, aux termes du procès-verbal de la séance n° 945, d'une part, et de la décision telle que notifiée et publiée, d'autre part, que la décision notifiée et publiée a subi de nombreuses modifications, postérieurement à son adoption. Cet examen comparatif confirme l'exactitude du tableau des discordances produit par BASF AG le 24 octobre 1991, d'ailleurs non contesté par la Commission, qui s'est limitée à souligner le caractère non substantiel des modifications apportées.

40 La comparaison entre les trois projets du 14 décembre 1988, rédigés en langues allemande, anglaise et française, et adoptés, selon les termes du procès-verbal de la séance n° 945, par la Commission le 21 décembre 1988, montre, en effet, que la décision adoptée en langue allemande présentait des discordances sensibles, d'une nature autre que grammaticale ou syntaxique, d'une part, avec la décision adoptée dans les langues anglaise et française et, d'autre part, avec la décision telle que notifiée et publiée. En admettant même que les modifications apportées à l'acte adopté en langue allemande par le collège des commissaires aient pu avoir pour objet d'harmoniser les textes notifiés et publiés dans les différentes langues faisant foi, ces modifications sont néanmoins irrégulières, dès lors qu'elles sont postérieures à l'adoption de l'acte, qu'elles excèdent largement, pour certaines d'entre elles, les limites de simples corrections orthographiques ou syntaxiques et qu'elles portent ainsi directement atteinte au principe de l'intangibilité de l'acte adopté par l'autorité compétente.

41 Parmi les discordances relevées, aussi bien dans le tableau comparatif établi par BASF AG que dans la plaidoirie commune des requérantes et dans celles du conseil de Wacker Chemie GmbH et Hoechst AG, plusieurs ne peuvent, en effet, être regardées comme des corrections d'ordre purement syntaxique ou orthographique :

- page 6, point 7, quatrième alinéa (les références sont données dans la version du projet de décision adopté en langue allemande, produit par la Commission le 12 septembre 1991, et daté du 14 décembre 1988): le projet du 14 décembre 1988 ne comporte ni la note 2 ("Jedenfalls wurden sowohl Hüls als auch Hoechst von ICI und BASF als Sitzungsteilnehmer identifiziert" - "De toute façon tant Hüls que Hoechst sont identifiées par ICI et BASF comme participants aux réunions") ni la phrase "Hoechst als der einzige andere in Frage kommende Hersteller war nur ein unbedeutender PVC - Produzent" ("Hoechst, la seule autre possibilité, n'était qu'un petit producteur de PVC") qui ont été ajoutées dans l'acte notifié et publié;

- page 17, point 21, premier alinéa : la formule "Die Unternehmen streiten offensichtlich nicht ab" ("les entreprises ne contestent visiblement pas") qui figure dans le projet du 14 décembre 1988 a été remplacée, dans l'acte notifié et publié, par "Die Unternehmen bestreiten zwar nicht" ("les entreprises ne nient certes pas");

- page 32, point 42, premier alinéa : la référence à un processus de "rationalisation", qui figure dans le projet du 14 décembre 1988, n'apparaît plus dans l'acte notifié et publié, ainsi qu'en témoigne la comparaison entre le texte adopté ("Die europaeische Petrochemie-Industrie einschliesslich des PVC - Sektors hat in dem von dieser Entscheidung erfassten Zeitraum einen grundlegenden Umstrukturierungs-und Rationalisierungsprozess durchlaufen, der von der Kommission unterstuetzt worden ist";"L'industrie pétrochimique européenne, y compris le secteur du PVC, a connu, pendant la période couverte par la décision, un processus de restructuration et de rationalisation fondamental, qui a été encouragé par la Commission ") et le texte notifié et publié (" Die europaeische Petrochemie-Industrie einschliesslich des PVC - Sektors hat in dem von dieser Entscheidung erfassten Zeitraum einen grundlegenden Umstrukturierungsprozess durchlaufen, der von der Kommission unterstuetzt worden ist";"L'industrie pétrochimique européenne, y compris le secteur du PVC, a connu, pendant la période couverte par la décision, un processus de restructuration fondamental, qui a été encouragé par la Commission").

42 Dès lors que les modifications ainsi apportées, d'une part, sont postérieures à l'adoption de l'acte le 21 décembre 1988 et, d'autre part, ne présentent pas un caractère purement orthographique ou syntaxique, elles ont nécessairement été ajoutées par une personne incompétente pour ce faire et, par suite, elles affectent le caractère intangible de l'acte adopté par le collège des commissaires, sans qu'il y ait lieu d'examiner la portée, l'importance ou le caractère substantiel de ces modifications, ainsi qu'il ressort de l'arrêt de la Cour du 23 février 1988, précité.

2 En ce qui concerne les modifications affectant l'ensemble des décisions adoptées par le collège des commissaires le 21 décembre 1988, selon les termes du procès-verbal de la séance n° 945

43 Il ressort de l'instruction que, outre les modifications qui viennent d'être analysées et qui affectent uniquement l'acte notifié et publié en langue allemande, certaines des modifications, qui apparaissent dans les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes, concernent l'ensemble des versions adoptées, selon les termes du procès-verbal de la séance n° 945, le 21 décembre 1988 en langues allemande, anglaise et française. Ces modifications affectent tant les motifs des actes que leur dispositif .

a) Sur la modification des motifs des actes notifiés et publiés

44 S'agissant, en premier lieu, des modifications apportées aux motifs des actes adoptés, selon les termes du procès-verbal de la séance n° 945, le Tribunal constate qu'au quatrième alinéa du point 27 des motifs des actes notifiés et publiés au Journal officiel des Communautés européennes figure un alinéa entièrement nouveau, ce qui, pour certaines des langues faisant foi, ressort d'ailleurs clairement d'une présentation typographique différente de l'acte notifié pour le passage en cause. Cette différence typographique est particulièrement manifeste, par exemple, dans la version italienne, et n'est pas contestée par la Commission, ainsi qu'il ressort des débats de la procédure orale. Cet alinéa nouveau concerne le point de savoir si, dans le cas où, comme en l'espèce, une procédure engagée au titre de l'article 85 du traité CEE concerne plusieurs entreprises, la Commission peut faire droit, à l'égard des autres entreprises intéressées par la même procédure, à la renonciation, formée par une des entreprises, à la confidentialité s'attachant aux informations la concernant ou si, au contraire, des considérations d'ordre public s'opposent à ce que, dans une telle hypothèse, la Commission accède à la demande dont elle est saisie par l'entreprise au bénéfice de laquelle joue la confidentialité. Ce problème, délicat et controversé, a été abordé par la Commission à la page 52 de son dix-huitième rapport sur la politique de concurrence.

45 Selon l'alinéa ajouté dans les décisions notifiées, "il faudrait préciser que tout renoncement de la part d'entreprises au caractère confidentiel de leurs documents d'affaires internes est subordonné à l'intérêt public, qui exige que des concurrents ne soient pas informés réciproquement de leurs activités et de leurs politiques commerciales, de telle manière que la concurrence entre eux soit restreinte". Par contre, la décision, telle que publiée, en langue allemande, au Journal officiel des Communautés européennes, ne contient pas la négation figurant dans le deuxième membre de la phrase, précitée, et dispose que l'intérêt public exige que des concurrents soient informés réciproquement de leurs activités et de leurs politiques commerciales.

46 Le procès-verbal de la réunion du collège des commissaires du 21 décembre 1988, produit au Tribunal les 12 septembre, 21 novembre et 5 décembre 1991, montre que, s'il est établi, selon les termes mêmes du procès-verbal de la séance n° 945, que la Commission a adopté les projets datés du 14 décembre 1988, lesquels, tels qu'adoptés dans chacune des trois langues faisant foi, ne comportent pas l'alinéa litigieux, il est seulement établi que la Commission a pris connaissance de l'examen de l'affaire par les chefs de cabinet, à l'occasion d'une réunion spéciale de ceux-ci du 19 décembre 1988. A cet égard, le Tribunal relève que, si la Commission a versé aux débats, le 21 novembre 1991, des documents qualifiés d'extraits certifiés conformes à l'original du procès-verbal de la réunion spéciale des chefs de cabinet du 19 décembre 1988 et si, au nombre de ces pièces, figure, en annexe III, un document reproduisant, en langues anglaise et française, l'alinéa litigieux, les documents produits n'établissent nullement - ainsi que la Commission l'a d'ailleurs admis au cours de la procédure orale - que cet amendement aurait été adopté ou proposé par les chefs de cabinet, en vue d'être soumis à la délibération du collège des commissaires.

47 En admettant même que l'amendement dont il s'agit ait pu être soumis et proposé au collège des commissaires, lors de sa délibération du 21 décembre 1988 - ce qui, de toute façon, ne saurait être le cas pour ce qui concerne le texte de la décision adoptée en langue allemande, dès lors que, ainsi qu'il vient d'être exposé et comme l'a soutenu Hüls AG lors de la procédure orale, l'annexe III n'est rédigée qu'en langues anglaise et française, il ressort des termes mêmes du procès-verbal de la réunion, précédemment analysés (voir ci-avant, point 37), que le collège des commissaires, en adoptant les projets du 14 décembre 1988 qui ne contiennent pas cet alinéa, a implicitement entendu ne pas adopter l'amendement. Par suite, l'incorporation de celui-ci dans l'ensemble des actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes, est nécessairement postérieure au 21 décembre 1988 et constitue une méconnaissance manifeste du principe de l'intangibilité de l'acte adopté par l'autorité compétente. Cette adjonction à la motivation de la décision, qui n'est ni d'ordre syntaxique ni d'ordre grammatical, affecte ainsi la validité de l'ensemble des actes notifiés comme celle de l'acte publié au Journal officiel des Communautés européennes, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 23 février 1988, précité, sans qu'il soit besoin d'examiner son caractère substantiel, au demeurant non contestable.

b) Sur la modification du dispositif des actes notifiés et publiés

48 S'agissant, en second lieu, des modifications affectant le dispositif des décisions, le Tribunal relève, comme l'a soutenu BASF AG et comme il a été souligné lors de la plaidoirie commune des entreprises, que, à l'article 1er du dispositif des décisions, telles que notifiées à l'ensemble des requérantes et publiées au Journal officiel des Communautés européennes, la référence à l'appartenance de la Société artésienne de vinyle SA au groupe de l'Entreprise chimique et minière ("EMC Groupe"), qui apparaît dans les projets du 14 décembre 1988, adoptés parle collège des commissaires le 21 décembre 1988 aux termes du procès-verbal n° 945, ne figure plus dans les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes.

49 Or, si des modifications qui affectent les motifs d'une décision présentent, comme la jugé la Cour, le caractère d'un vice de nature à affecter la légalité de l'ensemble de la décision modifiée, dès lors que, d'une part, de telles modifications tendent à ruiner l'effet utile de l'article 190 du traité et que, d'autre part, elles affectent, quant au fond du droit, le raisonnement qui constitue qui altère le dispositif d'un tel acte présente, de plus fort, un tel caractère. En effet, des modifications qui viennent affecter le dispositif d'une décision concernent directement la portée des obligations susceptibles d'être imposées aux sujets de droit par l'acte modifié, où, au contraire, la portée des droits qui leur sont conférés par l'acte modifié. En l'espèce, une telle modification est de nature à affecter l'imputabilité de l'infraction alléguée, voire à déplacer la charge financière de l'amende infligée. De telles modifications altérant, le dispositif de l'acte adopté doivent, dès lors, être regardées comme portant une atteinte particulièrement grave et manifeste au principe de l'intangibilité de l'acte adopté qui constitue l'un des fondements de la sécurité juridique dans l'ordre juridique communautaire.

50 Dès lors, la solution retenue par la Cour dans son arrêt du 23 février 1988, précité, devrait s'imposer de plus fort lorsque, comme en l'espèce, l'acte modifié inflige des amendes et impose des obligations aux destinataires de l'acte et où la modification apportée est susceptible d'affecter la désignation de la personne morale à laquelle ces obligations s'imposent. Une telle conséquence doit, en effet, être nécessairement tirée de la modification de l'article 1er, précité du dispositif des décisions, par lequel la Commission opère, par déduction consécutive au raisonnement exposé dans les motifs, la qualification juridique des faits litigieux au regard de l'article 85 du traité CEE et la désignation des entreprises en infraction. Une telle modification rejaillit, dès lors, directement et nécessairement sur les autres articles du dispositif qui, en soumettant les requérantes à des injonctions et à des sanctions pécuniaires et en déterminant les modèles selon lesquelles les destinataires des actes pourront se libérer de leurs obligations, ne font que tirer les conséquences nécessaires de l'article 1er du dispositif, lequel a, en l'espèce, précisément fait l'objet d'une modification.

B - Sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte

51 Certaines des entreprises requérantes ont expressément soulevé le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des actes notifiés et publiés. Ainsi, Wacker Chemie GmbH et Hoechst AG ont soutenu que la défense présentée par la Commission, en réponse au moyen soulevé par les requérantes et tiré de la violation de l'intangibilité de l'acte, conduit à poser la question de savoir si le membre de la Commission en charge des questions de concurrence pouvait valablement adopter les décisions dans certaines des langues faisant foi. Ces requérantes ont également relevé que le mandat de M. P. Sutherland expirait le 5 janvier 1989, alors que, d'après les indications fournies par la Commission, la décision, dans les différentes langues officielles, n'aurait été remise au secrétariat général de la Commission que le 16 janvier 1989 M. P. Sutherland n'était plus membre de la Commission.

52 La Commission a soutenu, au contraire, que les actes ont été régulièrement adoptés dans trois des langues faisant foi par le collège des commissaires et que l'article 27 de son règlement constitue la base légale des décisions adoptées en langues italienne et néerlandaise, qui ont été ainsi complètement adoptées par le commissaire en charge des questions de concurrence, dûment habilité à cet effet par le collège. Elle a précisé, à cet égard, que le mandat donné à M. P. Sutherland n'était pas personnel et qu'il était conféré au commissaire en charge des questions de concurrence.

53 L'examen du premier moyen a fait apparaître, comme il vient d'être dit, l'existence de discordances entre les actes adoptés, d'une part, et les actes notifiés et publiés, d'autre part, ces modifications provenant nécessairement de tiers par rapport au collège des commissaires et ayant été apportées postérieurement à l'adoption, par ce dernier, des actes attaqués. C'est à la lumière de ces constatations qu'il appartient au Tribunal d'examiner le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des actes notifiés et publiés, tel que soulevé par les requérantes. Ce moyen qui, en tout état de cause, est d'ordre public, comprend lui-même deux branches. Il convient, en effet, de distinguer entre la compétence matérielle et la compétence ratione temporis de l'auteur des actes notifiés et publiés, tels que des déférés au Tribunal par les requérantes.

En ce qui concerne la compétence matérielle du commissaire en charge des questions de concurrence pour adopter les actes notifiés et publiés en langues italienne et néerlandaise

54 En vertu des dispositions de l'article 3 du règlement n° 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté européenne (JO 1958, 17, p. 385), modifié, en dernier lieu, par le point XVII de l'annexe I à l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 242 ; ci-après "règlement n° 1 portant fixation du régime linguistique de la Communauté"), "les textes adressés par les institutions... à une personne relevant de la juridiction d'un Etat membre sont rédigés dans la langue de cet Etat". Par ailleurs, en application de l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, un acte adopté par la Commission, selon la procédure écrite ou en séance, doit être authentifié par les signatures du président et du secrétaire exécutif, dans la ou les langues où il fait foi.

55 Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, dans le cas où, comme en l'espèce, la Commission entend adopter, par un acte matériellement unique, une décision qui fait foi, à l'égard de plusieurs personnes morales relevant de régimes linguistiques différents, la décision doit, sauf à rendre toute authentification impossible, être adoptée dans chacune des langues où elle fait foi. En l'espèce, il ressort des termes même du procès-verbal de la séance n° 945 du collège des commissaires, approuvé par ce dernier le 22 décembre 1988, que la décision attaquée n'a pas été adoptée par le collège des commissaires dans les langues italienne et néerlandaise, qui seules font foi à l'égard, respectivement, des entreprises Enichem SpA et Montedison SpA, d'une part et NV Limburgse Vinyl Maastschappij, NV DSM et DSM Kunststoffen BV, d'autre part.

56 En vertu des dispositions de l'article 27, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, "la Commission peut, à condition que le principe de sa responsabilité collégiale soit pleinement respecté, habiliter ses membres à prendre en son nom et sous son contrôle, des mesures de gestion ou d'administration clairement définies".

57 Le Tribunal estime, à cet égard, qu'à la différence des mesures d'instruction et de procédure susceptibles d'intervenir lors de la phase administrative préparatoire à la décision, telles que la communication des griefs (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48-69, Rec. p. 619, points 16 à 19 ; du 17 octobre 1972, Cementhandelaren/Commission, 8-72, Rec. p. 977, points 10 à 14 ; du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43 et 63-82, Rec. p. 19) ou des mesures susceptibles d'intervenir dans le cadre des pouvoirs généraux d'investigation conférés à la Commission par le règlement n° 17 (arrêts de la Cour du 23 septembre 1986, précité, points 28 à 40 et du 17 octobre 1989, Dow Chemical Iberica e.a./Commission, 97-98 et 99-87, Rec. p. 3181, points 57 à 59), l'adoption d'une décision d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité ne présente pas le caractère d'une mesure de gestion ou d'administration au sens des dispositions précitées de l'article 27 du règlement intérieur de la Commission.

58 Il résulte, en effet, de l'examen des dispositions précitées de l'alinéa premier de l'article 27 du règlement intérieur de la Commission, en combinaison avec celles du deuxième alinéa du même article, relatif aux délégations susceptibles d'être accordées aux fonctionnaires, que le Collège des Commissaires pourrait seulement, le cas échéant, donner délégation à l'un de ses membres en vue de l'adoption de la décision dans les langues officielles de la Communauté, telles que définies à l'article 1er du règlement n° 1 portant fixation du régime linguistique de la Communauté, autres que les langues faisant foi, soit, en l'espèce, les langues danoise, espagnole, grecque et portugaise, dès lors que les décisions arrêtées dans ces quatre langues ne produisent aucun effet juridique et ne valent pas titre exécutoire à l'égard d'une ou plusieurs entreprises citées dans le dispositif de la décision.

59 Toute autre est la portée de l'adoption de la décision dans la langue faisant foi. En effet, une décision constatant une infraction à l'article 85 du traité, émettant des injonctions à l'égard de plusieurs entreprises, leur infligeant des sanctions pécuniaires importantes et valant titre exécutoire à cet effet affecte de façon caractérisée les droits et obligations de ces dernières, ainsi que leur patrimoine. Elle ne saurait être regardée comme une simple mesure d'administration ou de gestion et, par suite, être complètement adoptée par un seul Commissaire, sans méconnaître directement le principe de collégialité expressément rappelé par l'article 27, précité.

60 Il résulte de ce qui précède que l'acte adopté par le Commissaire en charge des questions de concurrence, en langues italienne et néerlandaise, dans les conditions définies par le mandat à lui conféré par la délibération du 21 décembre 1988 émane, en tout état de cause, d'une autorité incompétente.

2. En ce qui concerne la compétente ratione temporis du Commissaire en charge des questions de concurrence pour adopter les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes

61 Si le Commissaire en charge des questions de concurrence n'a pas, comme il vient d'être dit, qualité pour adopter seul, dans les langues faisant foi, une décision d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il a, sans nul doute, qualité pour signer les copies de l'acte arrêté par le Collège des Commissaires, en vue de leur notification aux destinataires de l'acte, dans les conditions prévues par l'article 12, troisièmes alinéa, du règlement intérieur de la Commission. Toutefois, en l'espèce, il ressort tant des mémoires de la Commission que des précisions fournies par cette dernière lors de la procédure orale, que le texte de l'acte préparé dans les différentes langues, qu'il s'agisse des cinq langues faisant foi ou des quatre autres langues officielles, n'a été définitivement établi et transmis aux juristes-linguistes pour révision, dans les conditions prévues par l'arrêt de la Cour du 23 février 1988, précité - que le 16 janvier 1989, les travaux des juristes-linguistes s'étant achevés à la fin du mois de janvier 1989.

62 Dans ces conditions, le Tribunal constate que la défenderesse, en réponse aux allégations précises des requérantes, n'a pas été en mesure d'établir l'existence d'un acte achevé et susceptible d'être notifié et publié, antérieurement à une date comprise entre le 16 janvier 1989 et le 31 janvier 1989. Dès lors, les actes notifiés dans chacune des cinq langues faisant foi doivent nécessairement être regardés comme ayant été adoptés postérieurement au 5 janvier 1989, date à laquelle venait à expiration le mandat de M. P. Sutherland.

63 Par suite, la mention dactylographiée "pour la Commission, Peter Sutherland, membre de la Commission", apposée au bas des actes notifiés, en admettant même qu'elle puisse, en l'absence de toute griffe manuscrite de M. P. Sutherland, valoir signature de ce dernier, a nécessairement été apposée soit postérieurement à la date d'expiration de son mandat, soit avant le 5 janvier 1989, c'est-à-dire à une date à laquelle les actes, tels que notifiés et publiés, n'existaient pas. La circonstance qu'à la date du 5 janvier 1989, M. P. Sutherland a signé la lettre d'envoi aux requérantes d'actes non encore définitivement arrêtés est sans aucune incidence juridique, dès lors que cette lettre d'accompagnement ne s'incorpore pas à l'acte litigieux et ne produit aucun effet juridique. De même, la circonstance alléguée par la Commission que l'habilitation a été conférée au Commissaire en charge des questions de concurrence et non personnellement à M. P.Sutherland est sans aucune incidence sur la réponse à apporter au moyen. En effet, en admettant même le bien-fondé de l'argumentation de la défenderesse, il aurait incombé alors au Commissaire en charge des questions de concurrence qui a été nommé à la suite de M. P. Sutherland, et dont le mandat a commencé le 6 janvier 1989, de procéder à la signature des actes, à supposer qu'il eût compétence pour ce faire. Tel n'a pas été le cas en l'espèce. Dès lors, le Tribunal constate que les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes, le 17 mars 1989, émanent nécessairement d'une autorité incompétente ratione temporis.

64 Il ne pourrait être remédié à ce vice que dans l'hypothèse où la défenderesse établirait qu'il n'affecte que la copie notifiée aux destinataires ou l'exemplaire transmis, aux fins de publication au Journal officiel des Communautés européennes, à l'Office des publications officielles, mais qu'en revanche la décision originale a été dûment et compétemment signée. Dans cette hypothèse, en effet, l'incompétence du signataire des actes notifiés et publiés pourrait être utilement combattue. Seule une telle production, venant confirmer la présomption de validité qui s'attache aux actes communautaires, corollaire du formalisme rigoureux qui caractérise leur adoption, aurait, en l'espèce, été de nature à effacer le vice d'incompétence manifeste qui entache la décision attaquée, telle que notifiée aux requérantes et publiée au Journal officiel des Communautés européennes. Pour les raisons qui seront exposées ci-après, le Tribunal ne peut que constater que cette preuve n'a pu, en l'espèce, être rapportée par la défenderesse, qui a admis ne pas être en mesure de produire une version originale et authentifiée de l'acte litigieux.

65 Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des vices affectant l'acte, tels qu'ils viennent d'être exposés, à savoir les modifications, postérieures à l'adoption de l'acte par le Collège des Commissaires aux termes du procès-verbal n° 945, de ses motifs et de son dispositif, et l'incompétence de son auteur, devraient entraîner l'annulation de la décision attaquée pour incompétence et violation des formes substantielles. Toutefois, en l'espèce, le Tribunal estime qu'avant de prononcer une telle annulation, il convient d'examiner le dernier moyen invoqué par les requérantes et tiré de l'inexistence de l'acte. En effet, si ce moyen s'avérait fondé, les recours devraient être rejetés comme irrecevables(arrêt de la Cour du 10 décembre 1957, Société des usines à tubes de la Sarre/Haute Autorité, 1-57 et 14-57, Rec. p. 201).

C. Sur le moyen tiré de l'inexistence de l'acte

66 Lors de la procédure orale, les requérantes, dans leur plaidoirie commune, ont fait valoir que l'article 12 du règlement intérieur de la Commission a été méconnu et que, par suite, il était impossible de procéder à une vérification de l'authenticité de l'acte attaqué (voir ci-dessus, points 21 et 24). Atochem SA a posé au Tribunal la question de savoir si une décision adoptée dans la forme requise existait bien en l'espèce. BASF AG s'est interrogée sur l'existence effective de la décision attaquée. Wacker Chemie GmbH et Hoechst AG ont fait valoir, lors de leur plaidoirie finale, à laquelle se sont expressément associées et ralliées Imperial Chemical Industries PLC et Société artésienne de vinyle SA, que la Commission n'a arrêté aucune décision le 21 décembre 1988, dès lors que toute signature ou authentification de l'acte fait défaut. Hüls AG a tenu à souligner, d'une part, qu'il lui a été notifié une décision qui n'a jamais été arrêtée et qui, dès lors, n'est pas exécutoire et, d'autre part, que sur cette décision ne figure qu'une simple signature sous forme dactylographiée et non une véritable griffe manuscrite de M. P. Sutherland. Montedison SpA a soutenu que la décision attaquée n'a jamais existé, dès lors qu'elle n'a été adoptée ni par le Collège des Commissaires, ni par le Commissaire en charge des questions de concurrence. Par suite, Montedison SpA a expressément déclaré vouloir modifier ses conclusions, au vu des données de fait nouvelles résultant des pièces produites par la Commission, et des précisions apportées par elle. A titre principal, cette requérante demande au Tribunal de se prononcer sur l'existence de la décision attaquée et sur la recevabilité de son recours (voir ci-dessus, point 29). Enfin, NV Limburgse Vinyl Maatschappij, NV DSM et DSM Kunststoffen BV ont excipé de la nullité de la décision à leur égard, au motif qu'une version néerlandaise de cette dernière faisait défaut lors de la délibération du 21 décembre 1988.

67 La Commission a fait valoir, à l'inverse, que la décision du 21 décembre 1988, telle qu'adoptée par le Collège des Commissaires, résulte, selon les attestations produites les 21 novembre et 5 décembre 1991 et précédemment analysées (voir ci-dessus, points 26 et 28), du rapprochement des projets de décision datés du 14 décembre 1988, du procès-verbal de la séance n° 945 du Collège des Commissaires et des documents qualifiés de procès-verbal de la réunion spéciale des chefs de cabinet du 19 décembre 1988. Elle a également soutenu que les requérantes n'étaient pas recevables à invoquer un moyen tiré de la violation de l'article 12 de son règlement intérieur. En outre, elle a fait valoir que les actes notifiés aux requérantes doivent, en tout état de cause, être regardés comme constituant des originaux de l'acte adopté. Enfin, elle a soutenu, lors de la procédure orale que, lors de sa délibération du 21 décembre 1988, le Collège des Commissaires, a arrêté le "fond", la "substance" et l'"essence" de la décision, et que les actes notifiés doivent être réputés conformes à cette volonté de l'auteur de l'acte.

68 Le Tribunal estime utile de rappeler, liminairement, que le juge communautaire, s'inspirant des principes dégagés par les ordres juridiques nationaux, déclare inexistants les actes qui sont entachés de vices particulièrement graves et évidents (sur la notion d'inexistence juridique des actes communautaires, voir les arrêts de la Cour du 10 décembre 1957, Société des usines à tubes de la Sarre, précité ; 21 février 1974, Kortner e.a./Conseil, Commission et Parlement, 15 à 33, 52, 53, 57 à 109, 116, 117, 123, 132 et 135 à 137-73, Rec. p. 177 ; du 26 février 1987, Consorzio Cooperative d'Abruzzo/Commission, 15-85, Rec. p. 1005 ; du 30 juin 1988, Commission/République hellénique, 226-87, Rec. p. 3611 et l'arrêt du Tribunal du 27 juin 1991, Valverde Mordt/Cour de justice, 156-89, non publié au Recueil). Ce moyen est d'ordre public et, comme tel, il peut être invoqué par les parties sans condition de délai au cours de la procédure et doit être soulevé d'office par le juge. Ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 26 février 1987, précité, "comme dans les droits nationaux des divers Etats membres, un acte administratif, même irrégulier, jouit, en droit communautaire, d'une présomption de validité, jusqu'à ce qu'il ait été annulé ou retiré régulièrement par l'institution dont il émane. Qualifier un acte d'inexistant permet de constater, en dehors des délais de recours, que cet acte n'a produit aucun effet juridique. Pour des raisons de sécurité juridique manifestes, cette qualification doit, dès lors, être réservée... aux actes affectés de vices particulièrement graves et évidents". Il convient d'examiner si, en l'espèce, l'acte attaqué est affecté de vices particulièrement graves et évidents, au sens de l'arrêt de la Cour du 26 février 1987, précité, de nature à conduire le Tribunal à le déclarer inexistant.

69 Le Tribunal estime utile de rappeler que, confronté à des moyens tirés de la discordance entre, d'une part, l'acte adopté et, d'autre part, l'acte notifié et publié, ainsi qu'à des allégations suffisamment étayées des requérantes (voir ci-dessus, points 11 à 15), il a demandé à la défenderesse, d'abord par la mesure d'organisation de la procédure arrêtée le 11 juillet 1991, puis par l'ordonnance du 19 novembre 1991, précitée, la communication de la décision adoptée, dans sa forme originale, dûment authentifiée selon les prescriptions du règlement intérieur de la Commission (voir ci-dessus, points 17 et 25).

70 En réponse à ces mesures d'organisation de la procédure et d'instruction, la Commission a produit trois projets de décision datés du 14 décembre 1988 et rédigés en langues allemande, anglaise et française, ainsi que deux extraits de procès-verbaux, précédemment décrits (voir ci-dessus, points 18, 26, 28). L'analyse de ces documents confirme que, comme la procédure orale l'a révélé, en dehors des procès-verbaux versés au dossier, la lettre de transmission, datée du 5 janvier 1989, jointe aux exemplaires des décisions notifiées aux requérantes, constitue le seul document qui a été signé par un membre de la Commission. Ce constat est, d'ailleurs, admis par la défenderesse, dès lors qu'elle a elle-même affirmé ne pas être en mesure de produire une décision originale dûment signée et authentifiée et que, selon les attestations établies les 21 novembre et 5 décembre 1991, tant par le Secrétaire Général de la Commission que par un membre de son service juridique agissant en qualité d'agent (voir ci-dessus, points 26 et 28), le texte de la décision litigieuse devrait résulter du rapprochement des différents documents précédemment cités.

1. En ce qui concerne la violation de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission

71. En vertu de l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission : "les actes adoptés par la Commission, en séance..., sont authentifiés, dans la langue ou les langues où ils font foi, par les signatures du président et du secrétaire exécutif". La violation de cette disposition a été invoquée par les requérantes dans leur plaidoirie du 18 novembre 1991, à la suite des productions effectuées par la défenderesse.

72 La procédure d'authentification des actes prévue par ces dispositions du règlement intérieur de la Commission, lequel trouve lui-même sa base légale directement dans les articles 15 et 16 du traité de fusion du 8 avril 1965, qui prévoient, en outre, la publicité de ce règlement, constitue un facteur essentiel de sécurité juridique et de stabilité des situations juridiques dans l'ordre normatif communautaire. Elle est seule de nature à garantir que les actes de l'institution ont été adoptés par l'autorité compétente dans le respect des règles de forme prévues par le traité et les textes pris pour son application, et spécialement dans le respect de l'obligation de motivation prévue à l'article 190 du traité. En garantissant l'intangibilité de l'acte adopté, qui ne peut être modifié ou abrogé que dans le respect de ces obligations, elle permet aux sujets de droit, qu'il s'agisse des personnes physiques ou morales, des Etats membres ou des autres institutions communautaires, de connaître avec certitude et à tout moment l'étendue exacte de leurs droits ou de leurs obligations et les raisons pour lesquelles la Commission a adopté une décision à leur égard.

73 C'est pourquoi la Cour a rappelé récemment que, dans les domaines où, comme dans le droit de la concurrence, la Commission doit effectuer des appréciations économiques complexes et dispose d'un large pouvoir d'appréciation, "le respect des garanties conférées par l'ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance d'autant plus fondamentale. Parmi ces garanties, figure notamment... le droit pour l'intéressé... de voir motiver la décision de façon suffisante", cette obligation étant elle-même une des conditions nécessaires à l'exercice effectif du contrôle juridictionnel (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universitat München, C-269-90, non encore publié au Recueil). Dès lors, toute procédure administrative d'élaboration et d'adoption des actes qui permettrait d'apporter des modifications ultérieures à la motivation de l'acte adopté conduirait ainsi à méconnaître directement ces garanties fondamentales.

74 C'est la raison pour laquelle le deuxième alinéa de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission dispose que "les textes de ces actes sont annexés au procès-verbal de la Commission où il est fait mention de leur adoption". Cette obligation revêt une importance essentielle puisqu'elle garantit la conformité de l'acte authentifié avec l'acte délibéré et, par suite, l'intangibilité de l'acte, dès lors qu'en vertu de l'article 10 du même règlement intérieur, le procès-verbal de la séance doit lui-même être approuvé par le Collège des Commissaires à la plus prochaine séance. A son tour, l'approbation du procès-verbal est, en vertu des mêmes dispositions, garantie par son authentification, à laquelle le Président et le Secrétaire Général de la Commission procèdent par l'apposition de leurs signature et contresignature. Ce n'est, en effet, que par la juxtaposition de l'acte adopté par le Collège des Commissaires et dûment authentifié par les signatures du Président et du Secrétaire Général, d'une part, et du procès-verbal de la séance de la Commission où il est fait mention de l'adoption de l'acte ainsi délibéré, d'autre part, qu'il est possible d'acquérir une connaissance certaine de l'existence matérielle de l'acte et de son contenu ainsi que la certitude que cet acte correspond très exactement à la volonté du Collège des Commissaires.

75 En premier lieu, l'authentification de l'acte certifie ainsi, de façon certaine, son existence et la correspondance exacte de son contenu avec celui de l'acte adopté par le Collège des Commissaires. En deuxième lieu, elle permet, par la datation de l'acte et l'apposition des signatures du Président et du Secrétaire Général, de s'assurer de la compétence de son auteur. En troisième lieu, en conférant à l'acte son caractère exécutoire, l'authentification assure sa pleine incorporation dans l'ordre juridique communautaire.

76 L'ensemble de ce formalisme rigoureux qui s'attache à l'élaboration, l'adoption et à l'authentification des actes est nécessaire à la garantie de la stabilité de l'ordre juridique et à la sécurité juridique des sujets auxquels s'imposent les actes des institutions communautaires. Un tel formalisme est strictement nécessaire au maintien d'un système juridique qui repose sur la hiérarchisation des normes. Il garantit le respect tout à la fois des principes de légalité, de sécurité juridique et de bonne administration (arrêts de la Cour du 5 décembre 1963, Lemmerz e.a./Haute Autorité, 23, 24 et 52-63, Rec. p. 439). Toute méconnaissance de ces règles aurait pour effet de créer un système essentiellement précaire, dans lequel la désignation des sujets auxquels s'imposent les actes des institutions, l'étendue de leurs droits et obligations et l'auteur des actes ne pourraient être connus qu'avec une approximation relative qui serait de nature à remettre en cause l'exercice même du contrôle juridictionnel. C'est pourquoi, comme la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, 68-86, Rec. p. 855, (affaire dite des "substances hormonales"), où, comme dans l'arrêt du même jour rendu à propos de l'affaire dite des "poules pondeuses", précité également, elle a rappelé la force contraignante qui s'attache aux règlements intérieurs des institutions communautaires, "les règles relatives à la formation de la volonté des institutions communautaires sont établies par le traité et... ne sont à la disposition ni des Etats membres, ni des institutions elles-mêmes".

77 Ces principes sont pleinement confirmés par une jurisprudence constante de la Cour qui a admis que les personnes physiques et morales sont recevables à invoquer la violation du règlement intérieur d'une institution communautaire au soutien de leurs conclusions dirigées contre un acte émanant de cette institution (voir, à cet égard, les nombreux arrêts intervenus dans le contentieux de la fonction publique communautaire : 9 juin 1964, Bernusset/Commission, 94 et 96-63, Rec. p. 587 ; 17 décembre 1981, Bellardi Ricci e.a./Commission, 178-80, Rec. p. 3187 ; 4 février 1987, Bouteiller/Commission, 324-85, Rec. p. 529, pour ce qui concerne le seul règlement intérieur de la Commission ; voir également, dans d'autres domaines du contentieux communautaire : 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil, 138-79, Rec. p. 3333, point 36 ; 30 juin 1988, CIDA/Conseil, 297/86, Rec. p. 3531 ; 11 octobre 1990, Funoc/Commission, C-200-89, Rec. p. I-3669).

78 Si, au cours de la procédure orale, la Commission a cru pouvoir déduire de l'arrêt de la Cour du 7 mai 1991 (Nakajima All Precision/Conseil, C-69-89, points 49 et 50, non encore publié au Recueil), que les règlements intérieurs des institutions communautaires sont dépourvus de force contraignante et que leur violation n'est pas susceptible d'être invoquée utilement par les personnes physiques ou morales, une telle argumentation ne saurait être retenue. En effet, le Tribunal estime que cet arrêt doit, en réalité, être interprété comme signifiant qu'il convient de faire le départ, parmi les dispositions du règlement intérieur d'une institution, entre celles dont la violation ne peut être invoquée par les personnes physiques et morales, parce qu'elles ne concernent que les modalités de fonctionnement interne de l'institution qui ne sont pas susceptibles d'affecter leur situation juridique, et celles dont la violation peut, au contraire, être invoquée, dès lors que, comme c'est le cas de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, elles sont créatrices de droits et facteur de sécurité juridique pour ces personnes.

79 D'ailleurs, pour apprécier la validité de la délégation donnée au Commissaire en charge des questions de concurrence le 5 novembre 1980, la Cour s'est assurée, dans ses arrêts des 23 septembre 1986 et 17 octobre 1989, précités, que cette délégation entrait dans le champ d'application de l'article 27 du règlement intérieur de la Commission. Au surplus, en l'espèce, la Commission elle-même a invoqué, dans ses mémoires, cet article 27 de son règlement intérieur pour justifier la validité de la délégation conférée au Commissaire en charge des questions de concurrence. Dès lors qu'il leur est opposé et opposable, le règlement intérieur de la Commission est donc susceptible d'être invoqué, par les requérantes, au soutien de leurs conclusions dirigées contre une décision de la Commission.

80 Enfin, le Tribunal estime que dans le cas des actes qui, comme en l'espèce, infligent une sanction pécuniaire, la notion d'acte exécutoire revêt, en vertu de l'article 192 du traité, une signification particulière. Il convient de rappeler, à cet égard, d'une part, qu'en vertu de l'article 189 du traité la décision émanant d'une institution communautaire est un acte "obligatoire en tous ses éléments pour les destinataires qu'elle désigne" et, d'autre part, que, comme d'ailleurs le mentionnent expressément les actes notifiés aux requérantes, et publiés au Journal officiel des Communautés européennes, les décisions litigieuses valent par elles-mêmes titre exécutoire, dès lors qu'elles infligent une sanction pécuniaire. En effet, en vertu du premier alinéa de l'article 192 du traité : "les décisions... de la Commission qui comportent, à la charge des personnes autres que les Etats, une obligation pécuniaire, forment titre exécutoire".

81 Or, selon le deuxième alinéa du même article : "l'exécution forcée est régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l'Etat sur le territoire duquel elle a lieu. La formule exécutoire est apposée, sans autre contrôle que celui de la vérification de l'authenticité du titre, par l'autorité nationale que le gouvernement de chacun des Etats membres désignera à cet effet et dont il donnera connaissance à la Commission et à la Cour de justice". Ainsi, il résulte des termes mêmes du traité que le moyen tiré de la violation de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, aux fins de vérification de l'authenticité de l'acte, est susceptible d'être soulevé par les requérantes, à l'occasion d'un recours formé devant la juridiction nationale, contre une décision de l'autorité nationale compétente relative au recouvrement forcé de la sanction pécuniaire infligée par la Commission, dans les conditions prévues par l'article 192, deuxième alinéa, du traité, précité. Les principes d'économie de procédure et de bonne administration de la justice commandent, dès lors, d'admettre que les requérantes sont recevables à soulever ce moyen à l'occasion du contentieux porté devant le juge communautaire dans les conditions précisées à l'article 173 du traité et relatif à la légalité de la décision infligeant la sanction susceptible de faire l'objet du recouvrement forcé. A cet égard, le Tribunal constate que, dès lors que l'instruction a établi que toute authentification de l'acte, conforme aux dispositions de l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, est impossible, la procédure de contrôle de la vérification de l'authenticité du titre, c'est-à-dire de l'acte original et authentifié, prévue à l'article 192, deuxième alinéa, du traité ne pourrait, en l'espèce, être mise en œuvre.

82 Pour l'ensemble des raisons qui viennent d'être exposées, l'argument soulevé par la Commission, à l'occasion de la procédure orale, et selon lequel les requérantes ne seraient pas recevables à se prévaloir de la violation de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, doit être écarté.

83 S'agissant du bien-fondé des allégations des requérantes, il suffit de constater que la Commission a admis elle-même ne pas être en mesure de produire au Tribunal une copie des actes originaux et authentifiés dans les conditions prévues par son règlement intérieur.

2. En ce qui concerne la qualification de "décision", au sens de l'article 189 du traité, de l'acte attaqué

84 Dès lors qu'il est établi que les actes qui ont été notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes ne peuvent être authentifiés dans les formes requises et ne sont ainsi pas susceptibles de former titre exécutoire, au bénéfice duquel pourrait être mise en œuvre la procédure prévue à l'article 192, deuxième alinéa, du traité, se pose, en vertu des termes mêmes du premier alinéa du même article, précité, la question de savoir si ces actes, tels que soumis au Tribunal, peuvent être juridiquement qualifiés de "décision".

85 Selon la Commission, qui, au cours de la procédure orale, a admis expressément qu'elle n'était pas en mesure de produire un exemplaire des décisions attaquées, authentifié dans les conditions prévues à l'article 12 de son règlement intérieur, les décisions devraient, selon les termes des attestations des 21 novembre et 5 décembre 1991 précédemment analysées, résulter du rapprochement des projets de décision et des extraits des procès-verbaux produits devant le Tribunal.

86 Le bien-fondé d'une telle solution ne saurait être admis tout à la fois pour des raisons de principe et pour des raisons tenant aux circonstances propres à l'espèce.

87 En premier lieu, le formalisme qui préside à l'adoption et à l'authentification des actes des institutions communautaires constitue une garantie qui touche aux fondements mêmes de l'ordre juridique communautaire. Ce formalisme garantit l'intangibilité de tout acte - règlement, directive ou décision - incorporé à l'ordre juridique communautaire et la certitude qu'il ne pourra, postérieurement à son adoption, être modifié ou abrogé que dans le respect des règles de compétence et de procédure, en particulier dans le respect du principe de collégialité. En prévoyant, d'une part, l'authentification des actes adoptés et, d'autre part, leur annexion au procès-verbal de la séance au cours de laquelle ils ont été adoptés, le formalisme précis et rigoureux prévu à l'article 12 du règlement intérieur de la Commission est seul de nature à permettre la vérification, de manière irréfutable, de la concordance exacte entre le procès-verbal de la séance approuvé ultérieurement et l'acte initialement adopté et authentifié. Dès lors, la structure même de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission s'oppose à ce qu'il puisse être admis que de simples extraits de procès-verbaux, assortis de projets de décision non identifiables, puissent tenir lieu de décision.

88 En deuxième lieu, le Tribunal rappelle qu'il n'est pas possible d'admettre, à la lecture des pièces produites au dossier, la thèse de la Commission selon laquelle elle aurait adopté, dans sa séance du 21 décembre 1988, sous forme d'amendement au projet du 14 décembre 1988, un alinéa tel que celui qui figure au point 27, quatrième alinéa, des motifs de l'acte notifié et publié (voir ci-dessus, point 47).

89 En conséquence, seule la production d'actes authentifiés dans les conditions prévues à l'article 12 du règlement intérieur de la Commission aurait été de nature à permettre de connaître l'exacte volonté du législateur communautaire. Cette volonté ne peut être source d'obligations pour les requérantes que pour autant qu'elle est connue et susceptible d'être exactement déterminée, à l'occasion de l'exercice, par le Tribunal, de son contrôle juridictionnel.

90 Au surplus, le Tribunal relève qu'en admettant même la solution proposée par l'institution défenderesse relative au rapprochement nécessaire des différents documents par elle produits, les actes notifiés et publiés au Journal officiel des Communautés européennes ne correspondraient pas, eux non plus, à l'"acte" résultant du rapprochement des procès-verbaux, tel que proposé par les attestations des 21 novembre et 5 décembre 1991, précitées, et des projets de décision en langues allemande, anglaise et française, tels qu'adoptés par le Collège des Commissaires le 21 décembre 1988, selon le procès-verbal de la séance n° 945. En effet, en admettant même, ce qui ne saurait être le cas, que les actes adoptés par le Collège des Commissaires le 21 décembre 1988 puissent résulter du rapprochement de plusieurs documents épars et, pour la plupart, non signés et authentifiés, de tels "actes" ne prendraient pas en compte, en tout état de cause, les modifications susanalysées ayant affecté la version de l'acte notifié et publié en langue allemande (voir ci-dessus, points 39 à 42). Ils ne prendraient pas davantage en considération la modification, ci-dessus décrite (voir ci-dessus, points 48 à 50), ayant affecté le dispositif des décisions notifiées et publiées. De tels actes laisseraient entière, enfin, la question des actes notifiés et publiés en langues italienne et néerlandaise, dont il résulte de l'instruction qu'ils n'ont été adoptés par aucune autorité (voir ci-dessus, points 54 à 65).

91 En outre, le Tribunal relève qu'au cours de la procédure orale, l'un des agents de la Commission a déclaré qu'aucune décision définitive n'a été adoptée par le Collège des Commissaires le 21 décembre 1988 et que c'est la raison pour laquelle il n'y a pas eu, à cette date, un texte annexé au procès-verbal de la séance de la Commission, ainsi que le prescrit l'article 12 de son règlement intérieur. Le Tribunal estime qu'en établissant ainsi que l'institution dont émane les actes litigieux n'a pas, elle-même, connaissance certaine de l'accord de volontés, effectif et définitif, qui s'est réalisé au sein du Collège des Commissaires, l'instruction a donc établi que de tels "actes" ne peuvent être opposables aux tiers et que, par suite, ils ne présentent pas le caractère d'une décision au sens de l'article 189 du traité.

92 L'argument tiré de la pratique de l'institution, à supposer d'ailleurs que tel soit le cas, est sans influence sur cette conclusion, dès lors qu'ainsi que l'a jugé la Cour, "une pratique... n'est pas susceptible de déroger aux règles du traité" (arrêt du 23 février 1988, précité, dit des "poules pondeuses").

93 En l'espèce, le Tribunal constate, en premier lieu, qu'il est placé dans l'impossibilité d'opérer une datation précise des actes et ce, alors même que leur adoption se situe à une date rapprochée de l'expiration du mandat du Commissaire en charge des questions de concurrence, dont il est constant qu'il avait été investi par le Collège, au moins pour partie, d'un tel pouvoir d'adoption ; ainsi, le Tribunal se trouve dans l'impossibilité de déterminer la date à laquelle les actes litigieux auraient, entre le 21 décembre 1988 et le 16 janvier 1989, été réellement adoptés et incorporés dans l'ordre juridique communautaire, acquérant ainsi force obligatoire.

94 Le Tribunal constate, en deuxième lieu, qu'il est placé dans l'impossibilité d'appréhender le contenu exact et certain des actes adoptés, du fait des modifications qui les ont affectés, dès lors qu'a été totalement méconnue la procédure d'authentificationprévue à l'article 12 du règlement intérieur, qui aurait été le seul moyen de faire, de façon certaine et conformément à ce qui était l'objet de la mesure d'organisation de la procédure du 11 juillet 1991 et de la mesure d'instruction du 19 novembre 1991, le départ entre la volonté de l'organe délibérant et les modifications ultérieures apportées par une personne et à une date non identifiables.

95 Le Tribunal constate, enfin, qu'il est placé dans l'impossibilité, en conséquence de la combinaison des deux vices précédents, d'identifier avec certitude l'auteur des actes arrêtés dans leurs version définitive, alors même, d'une part, qu'il s'agit d'une question d'ordre public, et, d'autre part, que les actes ont perdu, en raison des deux vices précédents, la présomption de légalité dont ils bénéficient en apparence.

96 Un acte dont le Tribunal ne peut ni fixer avec une certitude suffisante la date exacte à partir de laquelle il a été susceptible de produire des effets juridiques et, par suite, d'être incorporé dans l'ordre juridique communautaire, ni, en raison des modifications dont il a été l'objet, appréhender avec assurance le contenu précis de la motivation qu'il doit contenir en vertu de l'article 190 du traité, ni définir et contrôler sans ambiguïté l'étendue des obligations qu'il impose à ses destinataires ou la désignation de ces derniers, ni identifier avec certitude quel a été l'auteur de sa version définitive, et pour lequel il est établi que la procédure d'authentification prévue par la réglementation communautaire a été totalement méconnue et que celle prévue à l'article 192, deuxième alinéa, du traité ne serait pas susceptible d'être mise en œuvre, ne peut être qualifié de décision au sens de l'article 189 du traité, précité. Un tel acte est entaché de vices particulièrement graves et évidents, qui le rendent juridiquement inexistant.

3. En ce qui concerne l'apparence des actes notifiés et publiés

97 Enfin, la défenderesse ne saurait, comme elle l'a fait lors de la procédure orale, renvoyer les parties requérantes aux documents notifiés, en soutenant que ce sont ces derniers qui constituent l'original de l'acte, au motif qu'ils sont certifiés conformes à ce dernier. En effet, si, en principe, l'acte notifié et publié doit être réputé conforme à l'acte original et authentique, cette présomption n'est plus susceptible de s'appliquer en l'espèce, à partir du moment où la Commission, faute de production de tout document original authentifié, autres que des procès-verbaux assortis de simples projets de décision non signés ni authentifiés et ne permettant pas d'appréhender le contenu de l'acte, n'est pas en mesure d'infirmer les dires, suffisamment précis et concordants, des requérantes relatifs aux discordances entre l'"acte" adopté, d'une part, et l'"acte" notifié et publié, d'autre part. Bien plus, les documents produits par la défenderesse n'ont fait que confirme l'existence de telles discordances, telles qu'initialement alléguées par les requérantes, tout en faisant apparaître, en outre, d'une part, des discordances entre les trois versions délibérées par le Collège des Commissaires et, d'autre part, l'absence de toute délibération relative aux décisions à adopter dans deux des cinq langues faisant foi.

98 La Commission ne saurait davantage soutenir, comme elle l'a fait au cours de la procédure orale, que lors de sa délibération du 21 décembre 1988, le Collège des Commissaires aurait arrêté la "substance", le "fond" ou l'"essence" de l'acte attaqué et que, par suite, les actes notifiés devraient être réputés conformes à cette volonté de l'auteur de l'acte. Il convient, en effet, de relever que, d'une part, les articles 189 et 190 du traité et, d'autre part, l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, précité, ne se réfèrent et ne peuvent s'appliquer qu'aux actes adoptés par la Commission et non aux manifestations informelles de la volonté de cette institution qui se concrétiseraient par un accord sur la "substance", le "fond" ou l'"essence" d'un acte, ces concepts ne figurant pas au nombre de ceux que connaît l'ordre juridique communautaire.

99 Le mécanisme de la preuve conduit ainsi le juge communautaire à écarter l'acte sur lequel il devrait, en principe et au nom de la théorie de l'apparence des actes, s'arrêter du fait de la présomption de validité dont bénéficient les actes communautaires. Le Tribunal souligne, à cet égard, que cette théorie et cette présomption ne constituent que le corollaire direct et nécessaire des exigences formelles et précises édictées par le droit communautaire : c'est uniquement parce qu'un acte émanant d'une institution est réputé intangible et qu'il est censé avoir été adopté dans les formes requises qu'il est possible d'admettre que les copies qui en sont notifiées et publiées lui sont, en principe, conformes. En d'autres termes, et en tout état de cause, l'on ne saurait, dès lors qu'il est établi que l'"acte" a été modifié postérieurement à son adoption, soutenir que l'"acte" notifié ou publié est conforme à l'"acte" adopté dont il constituerait l'original. La Commission ne saurait donc se prévaloir utilement de la théorie de l'acte apparent, dès lors qu'en les confirmant et en les amplifiant par les pièces produites, elle n'a pas été en mesure de réfuter les allégations des requérantes relatives aux discordances entre les actes notifiés ou publiés, d'une part, et un acte authentique, d'autre part. Par suite, l'acte apparent cesse d'être présumé valide et doit être écarté par le Tribunal. En l'espèce, une fois écarté l'acte apparent, c'est-à-dire l'acte tel que notifié et publié, force est de constater qu'il n'est possible d'y substituer aucun acte original authentifié dans les formes requises et offrant toutes les garanties d'un acte authentique.

100 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en raison des vices particulièrement graves et évidents qui l'affectent, le Tribunal ne peut que constater que l'"acte" de la Commission publié au Journal officiel des Communautés européennes du 17 mars 1989, sous l'intitulé "Décision 89-190-CEE de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.865, PVC)", et notifié aux requérantes au cours du mois de février 1989, est inexistant.

101 Les recours dirigés contre un acte inexistant ne peuvent qu'être rejetés pour irrecevabilité (arrêt de la Cour du 10 décembre 1957, précité), sans qu'il soit besoin pour le Tribunal, d'une part, d'examiner la fin de non-recevoir soulevée à l'encontre de la requête introduite par Shell International Chemical Company Ltd et tirée de la tardiveté de ladite requête puisque, en tout état de cause, les actes inexistants peuvent être contestés sans considération de délai (arrêt de la Cour du 26 février 1987, précité) et que l'inexistence de l'acte est un moyen d'ordre public qu'il appartient au juge communautaire de soulever d'office ni, d'autre part, de statuer sur la recevabilité des "conclusions" nouvelles présentées par Montedison SpA au cours de la procédure orale.

102 Dès lors, l'ensemble des recours doivent être rejetés comme irrecevables, y compris les conclusions aux fins d'indemnité présentées par Montedison SpA, à l'appui desquelles, en tout état de cause, la requérante n'a présenté aucune argumentation non plus qu'aucune évaluation chiffrée, même approximative, du préjudice allégué.

Sur les dépens

103 Le Tribunal estime que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, de mettre les dépens à la charge de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1. L'acte notifié aux requérantes, publié au Journal officiel des Communautés européennes, L 74, du 17 mars 1989 (p. 1) et intitulé "Décision 89-190-CEE de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.865, PVC)", est déclaré inexistant.

2. Les recours sont rejetés comme irrecevables.

3. La Commission est condamnée aux dépens.