TPICE, 2e ch., 27 février 1992, n° T-19/91
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société d'Hygiène Dermatologique de Vichy (SNC)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Juges :
MM. Barrington, Saggio, Briët, Biancarelli
Avocats :
Mes Collin, Coignard, Henriot-Bellargen.
LE TRIBUNAL,
Les faits à l'origine du recours
1 Par lettre du 26 juillet 1985, les Laboratoires d'application dermatologique de Vichy et compagnie, filiale française de la société d'hygiène dermatologique de Vichy (ci-après "Vichy"), elle-même filiale à 100 % du groupe L'Oréal, ont notifié à la Commission un système, limité à la France, de distribution exclusive des produits cosmétiques Vichy en pharmacie d'officine. Cette notification tendait, à titre principal, à l'octroi d'une attestation négative, conformément aux termes de l'article 2 du règlement n° 17, et, à titre subsidiaire, à ce que la Commission déclare les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté économique européenne inapplicables au contrat-type notifié, dans les conditions prévues à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 17.
2 Dans le système ainsi notifié, l'agrément des distributeurs des produits Vichy était subordonné à la qualité de pharmacien d'officine. A la suite de la décision du Conseil de la concurrence français (décision n° 87-D-15 du 9 juin 1987 sur la situation de la concurrence dans la distribution en pharmacie de certains produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, premier rapport d'activité, 1987, p. 43) et de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988 qui a jugé que la distribution exclusive des produits dermatologiques en pharmacie était contraire à l'article 85 du traité CEE (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988 (section concurrence), Bulletin officiel de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, 1988, p. 33), Vichy a modifié son système de distribution en France. Cette modification a rendu caduque la notification faite à la Commission 1985.
3 Par lettre du 29 août 1989, Vichy a notifié à la Commission, d'une part, le nouveau système de distribution institué en France et, d'autre part, le système de distribution concernant l'ensemble des autres Etats membres, à l'exception du Danemark où les produits Vichy ne sont pas commercialisés. Pour la France, l'accord notifié subordonnait l'agrément du distributeur à la qualité de diplômé en pharmacie, dans les Etats membres autres que le Danemark et la France, l'agrément était subordonné à la qualité de pharmacien d'officine.
4 Le présent litige ne concerne que la notification relative au système de distribution sélective institué par Vichy pour les Etats membres autres que la France.
5 Après avoir adressé à Vichy, le 22 mai 1990, la communication des griefs prévue à l'article 2 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission du 25 juillet 1963 relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63") et procédé à l'audition de la société le 11 septembre 1990, la Commission a, par décision 91-153-CEE du 11 janvier 1991 (JO L 75, p. 57), estimé qu'"après examen provisoire au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17..., en ce qui concerne les dispositions des accords conclus entre la société d'hygiène dermatologique de Vichy et les grossistes-répartiteurs, ainsi que les pharmaciens détaillants, dans la mesure où ces accords prévoient la distribution exclusive des produits cosmétiques Vichy en pharmacie d'officine, à savoir le fait que l'agrément des distributeurs agréés des produits Vichy est subordonné à la qualité de pharmacien d'officine, les conditions d'application de l'article 85, paragraphe premier, du traité CEE sont remplies et une application de l'article 85, paragraphe 3, n'est pas justifiée".
La procédure
6 Contre cette décision qui lui a été notifiée le 15 mars 1991, Vichy a introduit un recours, enregistré au greffe du Tribunal le 25 mars 1991 sous le numéro T-19-91. La procédure écrite s'est achevée le 21 octobre 1991.
7 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalable. Il a toutefois demandé à la Commission de produire deux documents avant l'audience. Ces documents ont été produits le 19 novembre 1991. Il s'agit, d'une part, de la copie des pièces notifiées à la Commission par Vichy le 29 août 1989 et, d'autre part, d'un exemplaire d'une étude réalisée en 1988 pour la Commission par M. André-Paul Weber sur "les systèmes de distribution sélective dans la Communauté du point de vue de la politique de concurrence : le cas de l'industrie des parfums et des produits cosmétiques".
8 Le 24 avril 1991, a été enregistrée au greffe du Tribunal une demande présentée par Vichy et tendant à obtenir le sursis à l'exécution de la décision attaquée. La Commission a présenté le 13 mai 1991 ses observations relatives à cette dernière demande. Les observations orales dans le cadre de cette demande ont été présentées le 30 mai 1991, lors de l'audience de référé. Cette demande a été rejetée par une ordonnance du président du Tribunal du 7 juin 1991.
9 Le 31 juillet 1991, la société Cosimex a présenté une demande d'intervention au soutien des conclusions de la Commission et une demande d'assistance judiciaire gratuite. La demande d'assistance judiciaire gratuite a été rejetée par ordonnance du Tribunal du 24 septembre 1991. Par ordonnance du même jour, le président du Tribunal a constaté qu'il n'y avait lieu de statuer sur la demande d'intervention.
10 Les parties ont été entendues lors de la procédure orale qui 'est déroulée le 12 décembre 1991.
Conclusions des parties
11 Vichy demande qu'il plaise au Tribunal :
- annuler la décision attaquée,
- condamner la Commission aux dépens.
12 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter la requête en annulation,
- condamner la société Vichy aux dépens.
Sur le fond
13 Vichy soutient que la décision attaquée méconnaît les principes de non-discrimination et de sécurité juridique ; qu'elle est entachée de violation des formes substantielles ; que le contrat-type notifié est conforme aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité ; que les dispositions du paragraphe 3 du même article sont, en tout état de cause, applicables ; et, enfin, qu'il a été fait une application erronée des dispositions de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17.
14 A titre liminaire, le Tribunal rappelle, en premier lieu, que l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, en application duquel est intervenue la décision attaquée, prévoit que les dispositions du paragraphe 5 du même article "ne sont pas applicables dès lors que la Commission a fait savoir aux entreprises intéressées, après examen provisoire, [qu'] elle estime que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité sont remplies et qu'une application de l'article 85, paragraphe 3, n'est pas justifiée". Le paragraphe 5 dispose lui-même que "les amendes prévues au paragraphe 2... ne peuvent pas être infligées pour des agissements : a) postérieurs à la notification à la Commission et antérieurs à la décision par laquelle elle accorde ou refuse l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, pour autant qu'ils restent dans les limites de l'activité décrite dans la notification...".
15 Le Tribunal rappelle, en deuxième lieu, que la cour a jugé, d'une part, que les mesures prises en application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 "affectent les intérêts des entreprises en apportant à leur situation juridique une modification caractérisée ; que l'acte... par lequel la Commission arrête, de manière non équivoque, une mesure comportant des effets juridiques affectant les intérêts des entreprises concernées et s'imposant obligatoirement à elles, constitue non un simple avis, mais une décision" au sens de l'article 189 du traité (arrêt de la Cour du 15 mars 1967, Cimenteries Cementbedrijven e.a./Commission, 8 à 11-66, Rec. p. 93). La Cour a jugé, d'autre part, que les stipulations relatives à l'agrément d'un distributeur, dans le cas où le fabricant distribue ses produits par l'intermédiaire d'un réseau de distribution exclusive ou sélective, constituent un "accord entre entreprises", au sens de l'article 85 du traité, susceptible de relever de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56 et 58-64, Rec. p. 429). Il en est de même des conditions générales de vente, systématiquement reproduites au verso des factures, au dos des commandes et sur les listes de prix (arrêt de la Cour du 11 janvier 1990, Sandoz/Commission, C-277-87, Rec. p. I-47).
16 Il résulte des arrêts susanalysés que le contrat notifié par Vichy est susceptible d'entrer dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité et que la requérante est recevable à contester devant le Tribunal la décision prise au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 dont elle a fait l'objet. Il convient donc d'examiner les moyens soulevés par Vichy à l'encontre de cette décision, tels que précédemment énumérés.
Sur le moyen tiré de la violation des principes de non-discrimination et de sécurité juridique
Arguments des parties
17 Selon Vichy, celle-ci serait victime d'une attitude discriminatoire puisqu'elle serait la seule entreprise intervenant sur le marché des produits cosmétiques à avoir fait l'objet d'une décision de la Commission, alors même qu'elle serait la seule à avoir notifié ses accords de distribution, manifestant ainsi une volonté de coopération à l'égard de la Commission. La décision attaquée la placerait dans une situation d'insécurité juridique qui serait de nature à la défavoriser par rapport à ses concurrents, dans la mesure où elle la contraindrait à modifier son système de distribution, sauf à s'exposer au risque d'une amende, tout en ignorant la solution qui sera finalement arrêtée par la Commission. Or, Vichy ne pourrait, sans porter atteinte à sa position concurrentielle sur le marché, réorganiser, à plusieurs reprises et à intervalles rapprochés, sons système de distribution.
18 Selon la Commission, une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, ne peut, par hypothèse, concerner qu'une entreprise qui a notifié un accord. Dès lors, Vichy ne pourrait simultanément soutenir, d'une part, qu'elle est la seule à avoir notifié ses accords de distribution et, d'autre part, qu'elle serait victime d'une mesure discriminatoire. La Commission se prévaut, à cet égard, de l'ordonnance du président du Tribunal du 7 juin 1991.
Appréciation du Tribunal
19 Le Tribunal constate que, loin d'être une mesure discriminatoire, la mesure prise au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 a pour seul effet de rétablir l'entreprise dans la position dans laquelle elle serait demeurée si elle n'avait pas notifié son système de distribution exclusive à la Commission. Il constate, en outre, que les mesures prises par la Commission au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 ne peuvent, par hypothèse, que concerner un ou plusieurs accords qui ont été préalablement notifiés à celle-ci. Dès lors, la société requérante ne peut, toute à la fois, soutenir qu'elle est la seule à avoir notifié ses accords de distribution et qu'elle est la seule à faire l'objet d'une mesure provisoire au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17. Les difficultés d'ordre administratif ou commercial alléguées par la requérante, sont, à les supposer établies, sans aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée.
20 Au surplus, le Tribunal tient à rappeler, que, comme l'a déjà relevé l'ordonnance, précitée, du 7 juin 1991 rejetant la demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée formée par la requérante, "les mesures d'application de l'article 15, paragraphe 6, ont seulement pour effet de priver les opérateurs économiques du bénéfice de l'immunité qui s'attache normalement à la notification des accords" et n'ont "pas d'autre effet que de placer l'opérateur dans une situation identique à celle dans laquelle il se trouverait s'il n'avait procédé à la notification de ses accords" de distribution.
Le premier moyen soulevé par la requérante doit être écarté.
Sur le moyen tiré de la violation des formes substantielles
Arguments des parties
21 Selon Vichy, la Commission a méconnu les formes substantielles en omettant de procéder à la consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes (ci-après "comité consultatif"). Comme la Cour l'aurait jugé dans l'arrêt du 15 mars 1967, précité, la Commission, lorsqu'elle se prononce en application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, rendrait des décisions qui, si elles sont susceptibles en tant que telles de faire l'objet d'un recours contentieux, devraient intervenir dans le respect des garanties découlant du traité et des dispositions intervenues pour sa mise en œuvre. Or, les décisions prises en application de l'article 15, paragraphe 6, seraient consécutives à la procédure de notification visée à l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 17. Par suite, elles devraient être précédées de la consultation du comité consultatif, formalité prévue par cet article.
22 D'ailleurs, ajoute Vichy, dans la pratique, la Commission consulterait ce comité préalablement à l'intervention de décisions dont la portée serait moindre que celle qui s'attache aux décisions prises en application de l'article 15, paragraphe 6. Ainsi, la Commission aurait consulté le comité préalablement à l'intervention de mesures provisoires résultant de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, prononcées à l'encontre de la société Ford (décision du 18 août 1982, Ford Werke AG (IV-30.696), JO L 256, p. 20). Dans son ordonnance du 17 janvier 1980, la Cour aurait jugé qu'en adoptant des mesures provisoires, la Commission "doit respecter les garanties essentielles assurées aux parties concernées par le règlement n° 17, notamment par l'article 19" (ordonnance de la Cour du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission, 792-79R, Rec. p. 119). De même, les décisions d'infliction d'amendes pour renseignements inexacts, prises en application de l'article 15, paragraphe 1, du règlement n° 17, seraient, elles aussi, précédées de la consultation du comité, ainsi qu'il ressortirait des décisions de la Commission des 17 novembre 1981 (Comptoir commercial d'importation (IV-30.211), JO 1982, L 27, p. 31), 27 octobre 1982 (Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France (IV-AF 528), JO L 319, p. 12) et 25 septembre 1986 (Peugeot (IV-31.143), JO L 295, p. 19). La consultation du comité constituerait une garantie supplémentaire qui, venant s'ajouter au respect des droits de la défense visé à l'article 19, devrait être respecté dans le cadre des mesures prises en vertu de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17.
23 Vichy ajoute que la consultation du comité consultatif dans le cadre des décisions prises en vertu de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, correspondrait à la finalité même de l'article 15, laquelle conduirait à considérer que toute situation touchant au domaine des amendes comporte, par nature, de graves enjeux et ne peut faire l'objet d'une décision sans que le comité consultatif ait été entendu. L'interprétation inverse irait à l'encontre des droits fondamentaux de la défense en ignorant le point de vue des experts des Etats membres, élément important pour assurer la sécurité juridique des opérateurs.
24 Vichy soutient encore que l'argument de la Commission, selon lequel l'absence de consultation du comité consultatif, préalablement à l'intervention d'une mesure prise au titre de l'article 15, paragraphe 6, correspondrait à la pratique de la Commission, serait sans portée, dès lors qu'il ne serait pas établi que cette pratique serait conforme aux principes généraux du droit communautaire. De plus, la thèse exprimée par M. l'avocat général Roemer, dans ses conclusions sous l'arrêt de la Cour du 15 mars 1967, précité, à laquelle se réfère la Commission, n'engagerait que son auteur et participerait d'un raisonnement tendant à montrer que les communications intervenues sur le fondement de l'article 15, paragraphe 6, ne sont pas des décisions, solution qui n'aurait pas été retenue par la Cour.
25 Par ailleurs, selon Vichy, la référence à l'urgence qui pourrait être faite par la Commission pour se dispenser de l'obligation de consultation serait dépourvue de portée en l'espèce, compte tenu de la date de la première notification. Vichy soutient, à cet égard, que l'organisation de son audition a exigé des moyens plus lourds que ceux qu'aurait impliqués la consultation du comité consultatif.
26 Enfin, Vichy relève que la comparaison opérée par la Commission entre les décisions provisoires en matière d'astreintes et les décisions provisoires de l'article 15, paragraphe 6, est sans portée, dès lors qu'à la différence des premières, les communications intervenues sur le fondement de l'article 15, paragraphe 6, sont, en elles-mêmes, définitives. Seul serait provisoire l'examen auquel s'est livrée la Commission. S'agissant d'une décision définitive, elle devrait, dès lors, être précédée de l'avis du comité consultatif. L'arrêt de la Cour du 21 septembre 1989 (Hoechst/Commission, 46-87 et 227-88, Rec. p. 2859, point 55), invoqué par la Commission, viendrait confirmer cette analyse puisqu'il préciserait, au point 54 de ses motifs, que l'avis du comité consultatif et l'audition des entreprises sont nécessaires dans les mêmes situations.
27 La Commission estime que ce moyen doit être écarté. Il ressortirait clairement de la structure de l'article 15 du règlement n° 17 que l'avis du comité consultatif, prévu au paragraphe 3 de cet article, ne serait pas requis en cas d'application du paragraphe 6. La Commission ajoute que la solution retenue en l'espèce correspond à sa pratique (décision de la Commission du 5 mars 1975, Sirdar-Phildar (IV-27.879), JO L 125, p. 27 ; décision de la Commission du 25 juillet 1975, Bronbemaling/Heidemaatsqhappij (IV-28.967), JO L 249, p. 27 ; décision de la Commission du 12 juin 1978, SNPE-LEL (IV-29.453), JO L 191, p. 41). Le défaut de consultation ne résulterait donc ni d'une omission involontaire ni d'une attitude discriminatoire à l'égard de Vichy.
28 La Commission expose encore que la solution retenue par elle correspond également à la thèse exprimé par M. l'avocat général Roemer qui, dans ses conclusions sous l'arrêt de la Cour du 15 mars 1967, précité, estimait qu'"en raison de la nature et des fonctions particulières de la communication au sens de l'article 15, paragraphe 6, il n'est pas nécessaire d'exiger la consultation préalable du comité consultatif, parce qu'elle entraînerait un retard intolérable de la procédure à cause des formalités et des délais applicables.... Au demeurant, [cette conception] coïncide avec une interprétation judicieuse de l'article 10 du règlement n° 17".
29 La Commission précise que l'absence de consultation du comité consultatif caractériserait également les décisions prises en vertu de l'article 16, paragraphe 1, du règlement n° 17. Ces décisions seraient, comme la décision attaquée, des décisions provisoires, puisqu'elles fixent le montant provisoire des astreintes. Or, cette interprétation aurait été explicitement approuvée par la Cour dans l'arrêt Hoechst, précité. Dans l'un et l'autre cas, les décisions en cause seraient des décisions provisoires, préalables à une décision définitive qui, seule, devrait être soumise pour avis au comité consultatif (arrêt Hoechst, précité, point 56). La Commission estime abusive l'assimilation à une décision infligeant une amende d'une décision qui retire le bénéfice d'une immunité. L'ordonnance du président du Tribunal du 7 juin 1991, précitée, préciserait d'ailleurs bien, au point 17, les limites des effets des décisions prises au titre de l'article 15, paragraphe 6.
30 Quant aux exemples donnés par Vichy, ils ne seraient pas pertinents : l'ordonnance intervenue dans l'espèce Camera Care, précitée, qui se prononce sur l'application de l'article 19, ne permettrait de tirer aucune conclusion utile en ce qui concerne l'obligation de consultation du comité consultatif en cas d'application de l'article 15, paragraphe 6 ; de même, l'obligation de consultation du comité, préalablement à l'intervention des sanctions prévues à l'article 15, paragraphe 2, résulterait-elle du paragraphe 3 de cet article, lequel imposerait la consultation dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2.
Appréciation du Tribunal
31 L'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 17 dispose que : le "comité [consultatif] est consulté préalablement à toute décision consécutive à une procédure visée au paragraphe 1 et à toute décision concernant le renouvellement, la modification ou la révocation d'une décision prise en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité". Les paragraphes 4, 5 et 6 de l'article 10 sont relatifs à la composition et aux modalités de fonctionnement du comité consultatif.
32 La décision en cause dans la présente affaire ne concernant pas "le renouvellement, la modification ou la révocation" d'une déclaration d'inapplicabilité de l'article 85, paragraphe 1, du traité, prise en application de l'article 85, paragraphe 3, il convient donc de rechercher si une décision prise par la Commission au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 est "consécutive à une procédure visée au paragraphe 1" de l'article 10 du même règlement. Selon ce paragraphe : "la Commission transmet sans délai aux autorités compétentes des Etats membres copie des demandes et des notifications ainsi que des pièces les plus importantes qui lui sont adressées en vue de la constatation d'infractions aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, de l'octroi d'une attestation négative ou d'une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3".
33 La requérante expose, en substance, que les décisions provisoires prises par la Commission en application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 ne peuvent être que consécutives à la notification d'un accord à la Commission et que, dès lors qu'elles ont pour effet de faire perdre au pétitionnaire le bénéfice de l'immunité qui s'attache, en principe, à cette notification, elles valent constatation d'infraction au sens de l'article 10, paragraphe 1, précité, du règlement n° 17.
34 Cette interprétation ne résiste pas à une lecture exégétique de l'article 15 du règlement n° 17. Cet article, consacré aux amendes, comprend lui-même six paragraphes. Le paragraphe 1 est relatif aux amendes susceptibles d'être infligées aux entreprises à raison de renseignements inexacts qu'elles auraient fournis à la Commission ou à raison d'opposition de leur part aux opérations de contrôle. Le paragraphe 2 concerne les amendes pour infraction aux articles 85 ou 86. Le paragraphe 4 précise que les amendes infligées en vertu du règlement n° 17 ne présentent pas un caractère pénal. Enfin, le paragraphe 5, précité, précise que les entreprises qui ont notifié un accord à la Commission bénéficient d'une immunité et qu'une amende ne peut, en principe, leur être infligée à raison de cet accord.
35 Le paragraphe 3 dispose, quant à lui : "les dispositions de l'article 10, paragraphes 3 à 6, sont applicables". Ce paragraphe est immédiatement consécutif aux deux paragraphes susanalysés qui énumèrent les deux principales catégories d'amendes prévues par le règlement n° 17. Il résulte donc de la structure même de l'article 15, telle qu'elle vient d'être exposée que dans le cadre de l'application de l'article 15 du règlement n° 17, l'avis du comité consultatif n'est requis que préalablement à l'adoption d'une décision infligeant une amende. Or les décisions provisoires, prises au titre du paragraphe 6 de cet articles, ne sont pas au nombre de celles visées aux paragraphes 1 et 2 et n'ont ni pour objet ni pour effet d'infliger une amende à l'entreprise destinataire.
36 L'argument avancé par Vichy et tiré de la pratique suivie par la Commission en matière d'amendes pour renseignements inexacts ou de mesures provisoires est en lui-même inopérant, dès lors que cette pratique est sans influence sur l'application de la règle de droit, laquelle résulte seulement du traité et des textes pris pour son application. En tout état de cause, en admettant même que telle soit la pratique de la Commission, la constatation que celle-ci consulterait le comité consultatif en cas d'infliction d'amendes pour renseignements inexacts ou d'édiction de mesures provisoires ne permet de tirer aucune conclusion utile quant à la question de savoir si cette formalité est requise préalablement à l'intervention d'une décision provisoire prise au titre de l'article 15, paragraphe 6.
37 Au surplus, le Tribunal relève que l'obligation de recueillir l'avis du comité consultatif, préalablement à l'infliction d'amendes pour renseignements inexacts, résulte, ainsi qu'il vient d'être dit (voir ci-dessus, points 34 - 35), de la place même du paragraphe 3, applicable aux amendes prévues aux paragraphes 1 et 2, au sein de l'article 15 du règlement n° 17. Par ailleurs, ainsi que la Cour l'a jugé dans son ordonnance du 17 janvier 1980, précitée, les mesures provisoires ordonnées par la Commission en cas de violation des règles de concurrence ont pour base légale l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, qui, comme le paragraphe 1 de l'article 10 précédemment cité, est relatif aux constatations d'infractions. Dès lors, si la pratique de la Commission consiste bien à recueillir l'avis du comité consultatif préalablement à l'infliction d'une amende pour renseignements inexacts ou à l'intervention d'une mesure provisoire, il convient seulement d'en déduire que cette pratique est conforme aux dispositions, d'une part, de l'article 15, paragraphes 1 et 3, et, d'autre part, de l'article 3 du règlement n° 17. La requérante ne saurait donc se prévaloir du respect de ces dispositions pour soutenir que, par analogie, la consultation du comité consultatif devrait également précéder une décision arrêtée sur le fondement de l'article 15, paragraphe 6.
38 S'agissant de l'argument de la requérante tiré de la finalité de cette consultation, le Tribunal estime qu'il n'est pas davantage pertinent. Certes, les communications adoptées par la Commission au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 produisent des effets juridiques à l'égard de leurs destinataires. C'est pourquoi, ainsi qu'il a été précédemment rappelé, la Cour a admis, par l'arrêt du 15 mars 1967, précité, que ses destinataires sont recevables à se pourvoir contre de telles communications, dans les conditions prévues à l'article 173 du traité. Toutefois, si les communications de la Commission au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 doivent intervenir dans le respect des droits fondamentaux de l'entreprise intéressée, et, en particulier, dans le respect des droits de la défense garantis par l'article 19, paragraphe 1, de ce règlement, il n'en résulte pas pour autant que la Commission est tenue, préalablement à l'intervention d'une telle communication, de recueillir l'avis du comité consultatif, dont la finalité, comme le précisent le titre même et le contenu de l'article 10 du règlement n° 17, consiste à assurer une "liaison avec les autorités des Etats membres" dans le traitement des affaires de concurrence. Dès lors, la requérante ne peut soutenir qu'elle a été privée d'un droit fondamental au seul motif que l'avis des experts nationaux n'a pas été recueilli.
39 En effet, il résulte des dispositions combinées des paragraphes 1 et 3 de l'article 10 du règlement n° 17 que cet avis n'est requis que préalablement à l'intervention de la décision finale de la Commission, par laquelle celle-ci constate une infraction à l'article 85 du traité, ou, au contraire, conformément aux termes de la demande dont elle est saisie, délivre une attestation négative ou encore, sur le fondement de l'article 85, paragraphe 3, du traité, déclare le paragraphe 1 du même article inapplicable au contrat qui lui a été notifié. C'est donc au stade final de l'instruction de la demande dont elle est saisie par la requérante que la Commission est, dans tous les cas et quelle que soit la réponse qu'elle entend donner à cette demande, tenue de recueillir l'avis du comité consultatif. Ainsi que la Cour l'a jugé, "la consultation du comité consultatif représente le dernier stade de la procédure avant l'adoption de la décision et... l'avis est rendu sur la base d'un avant-projet de celle-ci" (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100 à 103-80, Rec. p. 1825, point 35).
40 Enfin, s'agissant de l'argument de Vichy selon lequel l'audition de l'entreprise intéressée doit toujours être suivie de la consultation du comité consultatif, il convient de rappeler que, selon l'article 1er du règlement n° 99-63, précité : "Avant de consulter le comité consultatif... la Commission procède à une audition [de l'entreprise intéressée] en application de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17". La portée de cette disposition est éclairée par les motifs du règlement, selon lesquels "le comité consultatif... doit être consulté sur une affaire une fois l'instruction de cette dernière terminée". Cette disposition signifie que, lorsqu'elle est requise, la consultation du comité consultatif, lequel doit être mis à même d'émettre un avis éclairé, ne peut être que postérieure à l'audition de l'entreprise, effectuée dans les conditions prévues à l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17. La requérante ne saurait cependant en déduire que l'audition de l'entreprise intéressée doit nécessairement être suivie de la consultation du comité. L'arrêt Hoechst, précité, par lequel la Cour a jugé : "qu'aux termes de l'article 1 du règlement n° 99-63... : avant de consulter le comité consultatif... la Commission procède à une audition en application de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17. Cette disposition confirme que l'audition des entreprises intéressées et la consultation du comité sont nécessaires dans les mêmes situations" doit, selon le Tribunal, être interprété comme signifiant que, comme il vient d'être dit, l'avis du comité consultatif ne peut être recueilli que pour autant que l'entreprise intéressée a été préalablement invitée à présenter ses observations, dans les conditions prévues à l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17. Aucun principe général du droit communautaire, non plus qu'aucune disposition du règlement n° 17 ou du règlement n° 99-63 n'imposent qu'à l'inverse l'audition de l'entreprise, lorsqu'elle est requise, doive nécessairement être suivie d'une consultation du comité consultatif. Il en est spécialement ainsi préalablement à l'intervention de la communication de la Commission prévue à l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17.
41 Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen, tiré d'une violation des formes substantielles, doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de ce que le système de distribution exclusive notifié par Vichy ne méconnaît pas l'article 85, paragraphe 1
Arguments des parties
42 Selon Vichy, la Commission n'aurait pas établi l'existence d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité parce que les éléments retenus pour qualifier l'infraction ne seraient pas probants, parce qu'il n'aurait pas été tenu compte de certains éléments pertinents et, enfin, parce que le critère retenu par Vichy pour constituer son réseau de distribution serait conforme au traité.
43 S'agissant, en premier lieu, du caractère non probant des éléments retenus par la Commission pour qualifier l'infraction, Vichy soutient que la Commission n'a pas établi l'existence d'une affectation sensible de la concurrence et du commerce entre les Etats membres, dès lors qu'aucun des éléments retenus par elle pour conclure à l'existence d'une affectation de la concurrence dans le Marché commun ne serait pertinent. Ces éléments seraient au nombre de trois. Ils concerneraient l'effet cumulatif des systèmes de distribution observé sur le marché considéré, la part de marché de la dermopharmacie dans l'ensemble du marché des cosmétiques et le caractère sensible de l'affectation de la concurrence sur le marché considéré.
44 Selon Vichy, l'argument retenu par la Commission et tiré de l'effet cumulatif des systèmes de distribution ne serait pas pertinent, en l'absence d'une définition claire du marché de référence. Le marché pertinent aurait été défini de façon formelle, sans autre examen qu'une analyse sommaire des conditions réelles de son fonctionnement, contrairement, notamment, aux principes posés par la Cour dans son arrêt du 25 octobre 1977, dit "Metro I" (Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875). Vichy soutient que la transposition des principes énoncés par cet arrêt ne serait pas pertinente, dès lors que le marché serait caractérisé par plusieurs circuits de distribution qui se feraient concurrence entre eux. Il résulterait certes de la jurisprudence de la Cour et, notamment, des arrêts des 30 juin 1966 (Société technique minière, 56-65, Rec. p. 337), 12 décembre 1967 (brasserie de Haecht, 23-67, Rec. p. 525) et 11 décembre 1980 (L'Oréal, 31-80, Rec. p. 3775), que l'appréciation des effets sur la concurrence d'un système de distribution doit tenir compte de l'effet cumulatif résultant éventuellement des autres systèmes de distribution. Mais, ainsi que la Cour l'aurait rappelé récemment à propos des contrats dits "contrats de bière" (arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I 935), il ne pourrait s'agir là que d'un élément d'appréciation parmi d'autres. Or, selon Vichy, la Commission n'aurait pu tenir compte d'autres éléments, en l'absence d'un examen de l'effet des accords litigieux dans le contexte réel dans lequel ils sont appliqués. Contrairement à ce que la Commission aurait constaté dans l'affaire Yves Rocher (décision de la Commission du 17 décembre 1986, Yves Rocher (IV-31.428 à 31.432), JO 1987, L 8, p. 49), il ne serait pas allégué que les accords de distribution conclus par Vichy interdiraient aux pharmaciens de distribuer d'autres marques. En réalité, le système de distribution mis en place par Vichy serait strictement conforme aux exigences posées par l'arrêt de la Cour du 28 février 1991, précité. En outre, Vichy, qui conteste certains des chiffres retenus par la Commission, en particulier en ce qui concerne les marchés allemand et britannique, soutient que, puisque la Commission a adopté une définition large du marché, l'on comprend mal ce qui l'a conduite ensuite à ne s'intéresser qu'aux restrictions de concurrence observées dans le circuit officinal.
45 Selon la requérante, ce serait également à tort que, pour justifier de l'attente à l'article 85, paragraphe 1, la Commission se prévaudrait de la part de marché de la dermopharmacie dans l'ensemble de la distribution des cosmétiques. L'affirmation de la Commission, selon laquelle la part de marché à retenir varie de 5 à 40 %, ne serait pas sérieuses. Lors de la procédure administrative, Vichy aurait proposé le chiffre approximatif de 10 %, chiffre retenu par la Commission dans la décision Yves Rocher, précitée. En outre, Vichy précise que la Commission n'aurait tenu aucun compte de ce que la part de marché des produits distribués en officine serait décroissante, cette évolution s'inscrivant dans l'histoire de la distribution des produits en officine.
46 Afin, Vichy fait valoir que la Commission ne justifierait pas, sur la base d'éléments vérifiés, que le système de distribution notifié affecte de manière sensible le commerce entre Etats membres et la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
47 Pour l'ensemble de ces trois raisons, la Commission n'aurait pas établi, par les motifs invoqués dans sa décision, une méconnaissance quelconque des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
48 S'agissant, en deuxième lieu, de l'absence de la prise en compte, par la Commission, de certains éléments pertinents pour l'appréciation de l'affaire, Vichy soutient que la Commission n'a pas tenu compte de la concurrence entre les marques qui s'exerce sur le marché des cosmétiques. Vichy relève que la Commission aurait dû, en effet, tenir compte de la présence, sur le marché, de plusieurs circuits de distribution qui se font concurrence. Les produits cosmétiques vendus en pharmacie ne constitueraient pas un marché en eux-mêmes et les études réalisées et produites par la société, lors de la procédure administrative, démontreraient que les produits vendus en grande surface sont aisément substituables aux produits vendus en pharmacie d'officine, le consommateur passant facilement d'un circuit de distribution à un autre. Le circuit pharmaceutique ne constituerait pas davantage un segment isolé du marché des produits cosmétiques et le marché ne serait pas segmenté par la politique de marques des producteurs. De l'ensemble de ces constatations, il ressortirait que la Commission n'aurait tenu aucun compte de la concurrence entre les marques, contrairement aux principes posés, selon Vichy, pour la Cour dans son arrêt dit Metro I, précité. En réalité, et contrairement à l'appréciation à laquelle se serait livrée à tort la Commission, le système de distribution mis en place par Vichy constituerait "une nouvelle proposition dans la concurrence", d'une part, en ce qu'il permettrait un enrichissement de l'offre et, d'autre part, en ce qu'il procurerait aux consommateurs des possibilités supplémentaires de choix.
49 S'agissant, en troisième lieu, de la validité du critère d'agrément retenu par Vichy, la requérante soutient que le critère du pharmacien d'officine qu'elle impose pour la distribution de ses produits est conforme aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Ce critère serait bien, conformément aux principes dégagés par la Cour, un critère qualitatif : le diplômé en pharmacie ne saurait être substitué ou assimilé au pharmacien d'officine, d'ont le distingueraient l'expérience professionnelle, l'obligation de déontologie, la personnalisation des rapports avec la clientèle et la remontée de l'information dont la société tiendrait le plus grand compte pour l'amélioration constante de ses produits. Le pharmacien d'officine ne pourrait être, par ailleurs, isolé du lieu dans lequel il exerce, lequel, en tant qu'"espace de santé, constituerait un point de vente privilégié qui contrasterait avec la "banalisation" qui caractériserait la distribution en grande surface.
50 Ce serait donc à tort que, pour conférer à ce critère qualitatif un caractère prétendument quantitatif, la Commission se prévaut du numerus clausus qui organise, dans six des dix Etats membres concernés, l'accès à la profession. A cet égard, la Commission ne pourrait utilement se prévaloir de l'arrêt de la Cour du 3 juillet 1985 (Binon, 243-83, Rec. p. 2015) qui s'inscrirait lui-même dans un courant jurisprudentiel prohibant tout critère quantitatif (arrêt dit "Metro I", précité ; arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Lancôme et Cosparfrance Nederland, 99-79, Rec. p. 2511 ; arrêt L'Oréal, précité ; arrêt de la Cour du 22 octobre 1986, Metro/Commission, 75-84, Rec. p. 3021). A la différence de la situation de fait constatée dans l'arrêt Binon, où la limitation du nombre des points de vente résultait d'une décision de l'entreprise elle même, la limitation du nombre des points de vente résultant du numerus clausus ne serait pas le fait de Vichy, mais le résultat de réglementations nationale préexistant au choix du circuit de distribution.
51 Enfin, le critère qualitatif et non quantitatif du pharmacien d'officine serait un critère nécessaire qui ne serait pas disproportionné par rapport aux objectifs que s'impose le producteur. Il respecterait ainsi les principes posés tant par les arrêts Saloni (arrêt de la Cour du 16 juin 1981, Salonia, 126-80, Rec. p. 1563) et Binon, précité, que par la décision de la Commission du 16 décembre 1985, rendue à propos de la diffusion des produits Villeroy et Boch (décision de la Commission du 16 décembre 1985, Villeroy et Boch, (IV-30.665), JO 1985 L 376, p. 15). L'exigence de la qualité de pharmacien d'officine serait étroitement associée à l'image de marque du produit Vichy. En tant que critère d'agrément des distributeurs, le critère du pharmacien d'officine supposerait seulement que la possibilité soit laissée au producteur de retenir un élément immatériel" pour définir les conditions de commercialisation de son produit, mais cette possibilité aurait été admise par la Commission dans sa communication relative à l'affaire Yves Saint Laurent (communication de la Commission concernant l'affaire IV-33.242, Yves Saint Laurent Parfums, JO 1990 C 320, p. 11).
52 La Commission soutient, pour sa part, qu'après avoir analysé la politique de prix et les systèmes de distribution des produits Vichy, elle a bien procédé à une description suffisante du marché des cosmétiques. En particulier, la décision ferait référence à la part des ventes de cosmétiques réalisée en pharmacie et à la part de marché détenue par Vichy dans la vente en pharmacie. La Commission aurait donc retenu une définition large du marché dont Vichy ne serait pas fondée à se plaindre. Une définition plus précise du marché ne serait nullement nécessaire, dès lors que l'affectation de la concurrence serait, de toute façon, suffisamment sensible, que l'on retienne comme marché pertinent le marché des seuls produits cosmétiques vendus en pharmacie ou le marché des produits cosmétiques en général. Dès lors, en effet, que la sensibilité de la restriction de concurrence serait évidente pour le marché le plus restreint sur lequel Vichy serait leader, il serait suffisant, aux fins de la décision attaquée, de constater la restriction de concurrence à l'égard du marché global. Au point 19 de la décision attaquée, la Commission aurait suffisamment indiqué qu'elle tenait compte, d'une part, de l'effet cumulatif des systèmes parallèles de distribution exclusive en pharmacie d'officine pour toutes les marques de cosmétiques vendues en pharmacie et, d'autre part, de ce que la part de marché de la dermopharmacie se situerait entre 5 et 40 %. La Commission constate que la société n'a avancé aucun élément tendant à établir que la concurrence entre les marques serait suffisamment vive pour compenser l'absence de concurrence au sein de la marque.
53 La Commission estime également avoir procédé à la qualification juridique des faits conformément aux principes dégagés par la jurisprudence de la Cour, en établissant successivement l'existence d'accords entre entreprises, puis les restrictions de concurrence résultant des accords, et enfin l'affectation sensible du commerce entre Etats membres. La Commission soutient ainsi avoir suivi le raisonnement tenu par la Cour lors de l'examen des systèmes de distribution sélective, à partir de l'arrêt Metro I, précité.
54 Selon la Commission, le critère retenu par Vichy, à savoir celui du "diplômé en pharmacie exerçant sa profession en officine", présente bien un caractère quantitatif et non qualitatif. Dans le cadre de la décision attaquée, la Commission ne mettrait pas en doute la possibilité, pour Vichy, de réserver la diffusion des produits Vichy aux diplômés en pharmacie : ce serait donc seulement la distinction entre le diplôme en pharmacie et le diplômé en pharmacie exerçant en officine qui serait en jeu. Or, du point de vue de sa qualification, rien ne distinguerait le diplômé en pharmacie d'un diplômé en pharmacie exerçant sa profession dans une officine. La question serait donc bien de savoir si l'officine répond nécessairement à des critères de qualité qu'aucun autre lieu de vente ne peut présenter. L'affirmation de vichy selon laquelle l'officine serait le lieu le plus favorable au sérieux et à la qualité du conseil serait une pétition de principe non démontrée. Au contraire, une démarche consistant à édicter des critères objectifs de caractère qualitatif reviendrait à définir ces critères, puis à vérifier que chaque distributeur potentiel répond à ces critères. Cette démarche conduirait alors éliminer certaines officines ne répondant pas aux critères retenus et à admettre des distributeurs qui, hors du circuit officinal, y répondent. Quant au caractère quantitatif du critère retenu, qui résulterait de l'existence d'un numerus clausus, il importerait peu de savoir s'il est le fait de Vichy ou 'il résulte d'une réglementation. Ce qui importerait, c'est qu'en choisissant ce mode de distribution, Vichy aurait délibérément opté pour un réseau constitué d'un nombre limité de points de vente. Le fait que les officines existent en grand nombre ne retirerait rien au caractère quantitatif du critère, ainsi que l'aurait jugé la Cour dans l'arrêt Binon, précité. La limitation quantitative du nombre des points de vente résulterait du mode de distribution choisi. Ainsi, un fabricant qui déciderait de ne distribuer ses produits que dans les aéroports ne saurait prétendre qu'il n'est pas maître du nombre des points de vente, au motif que ce sont les autorités compétentes qui ont limité le nombre des aéroports. Selon la Commission, ni elle-même ni la Cour n'auraient consacré, en faveur du fabricant, le principe du libre choix de son distributeur qualifié ; elles s'en seraient tenues à la nécessité, pour le fabricant, de choisir ses revendeurs en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif.
55 La Commission ajoute qu'il ressort du motif 19 de la décision attaquée que la condition de vente exclusive en pharmacie des produits Vichy entraîne une restriction sensible de la concurrence, notamment en tenant compte des parts de marché de Vichy et de l'effet cumulatif des systèmes de distribution sélective qui seraient caractéristiques du marché en cause. A cet égard, la Cour aurait précisé que, pour déterminer si un accord de distribution sélective doit être considéré comme prohibé en raison des altérations de la concurrence qui en sont l'objet ou l'effet, il y a lieu de prendre en considération, notamment, la nature et la quantité, limitée ou non, des produits faisant l'objet de l'accord, la position et l'importance des parties sur le marché concerné, le caractère isolé de l'accord litigieux ou, au contraire, la place de celui-ci dans un ensemble d'accords (voir l'arrêt L'Oréal, précité). La Cour aurait encore jugé que, pour déterminer si un accord est susceptible d'affecter de manière sensible le commerce entre Etats membres, il convient de démontrer que cet accord permet d'envisager, avec un degré de probabilité suffisant, qu'il peut exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d'échanges entre Etats membres (ibid., point 18). La Commission ajoute encore que, contrairement à la méthode retenue dans l'affaire Delimitis, précitée, invoquée à tort par la requérante et dans laquelle la Cour aurait distingué entre, d'une part, la distribution de la bière vendue dans les hôtels, cafés, restaurants et, d'autre part, la bière vendue dans les commerces alimentaires de détail, elle aurait retenu une définition large du marché, qui tiendrait compte des différents circuits de distribution.
56 Enfin, la Commission relève qu'au vu des éléments chiffrés en sa possession, elle a démontré, au point 19 de la décision attaquée, que l'ouverture du réseau de distribution de Vichy à des points de vente autres que les seules pharmacies d'officine entraînerait une augmentation du nombre des points de vente et une utilisation, par les revendeurs autres que les pharmaciens d'officine, des différences de prix de vente entre les Etats membres pour effectuer des "importations parallèles". La Commission a, relevé que le caractère sensible de l'affectation résulterait de l'effet cumulatif produit par l'existence de systèmes parallèles de distribution exclusive en pharmacie.
Appréciation du Tribunal
57 Le Tribunal rappelle, en premier lieu, que, par l'arrêt du 15 mars 1967, précité, la Cour a jugé que "pour exclure un accord du bénéfice de l'exemption d'amende de l'article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17, la Commission doit d'abord, en vertu de l'article 15, paragraphe 6, estimer que sont remplies les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité".
58 Le Tribunal souligne, en deuxième lieu, que la Cour a également jugé, d'une part, que "la structure du marché ne s'oppose pas à l'existence de canaux de distribution différenciés adaptés aux caractéristiques propres des différents producteurs et aux besoins des différentes catégories de consommateurs" (arrêt Metro I, précité) et, d'autre part, que "pour apprécier... si un accord [de distribution] doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l'objet ou l'effet, il y a lieu d'examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l'accord litigieux. A cet effet, il y a lieu de prendre en considération notamment la nature et la quantité limitée ou non des produits faisant l'objet de l'accord, la position et l'importance des parties sur le marché des produits concernés, le caractère isolé de l'accord litigieux ou, au contraire la place de celui-ci dans un ensemble d'accords" (arrêt L'Oréal, précité, point 19).
59 Le Tribunal relève, en troisième lieu, que la Cour a, en outre, jugé que "lorsque l'accès à un réseau de distribution sélective est subordonné à des conditions allant au-delà d'une simple sélection objective de caractère qualitatif, en particulier lorsqu'il est fondé sur des critères quantitatifs, le système de distribution tombe en principe sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, pour autant... que l'accord remplisse diverses conditions dépendant moins de sa nature juridique que de ses rapports, d'une part, avec le commerce entre les Etats membres, d'autre part, avec le jeu de la concurrence" (arrêt L'Oréal, précité, point 17). A cet égard, il convient également de rappeler que si l'atteinte à la concurrence à l'intérieur du Marché commun résultant, le cas échéant, d'un tel système de distribution, doit être suffisamment sensible (arrêt de la Cour du 9 juillet 1969, Völk/Vervaecke, 5-69, Rec. p. 295), il n'est nullement nécessaire qu'elle soit effective. L'atteinte à la concurrence sur le Marché commun peut n'être que potentielle (arrêts de la Cour des 13 juillet 1966, précité ; 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545 et 17 novembre 1987, British-American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142 et 156-84, Rec. p. 4487).
60 C'est à la lumière de ces principes que doit être examiné le présent moyen, tiré de ce que la Commission n'aurait pas établi, à suffisance de droit, que l'accord notifié entre dans le champ d'application de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Pour ce faire, le Tribunal estime qu'il convient d'examiner successivement la définition du marché de référence, la licéité du critère d'agrément des distributeurs et l'effet du contrat-type notifié sur la concurrence dans le Marché commun.
En ce qui concerne la définition du marché de référence
61 Ainsi qu'il ressort tant des motifs de la décision attaquée que du mémoire en défense de la Commission, le marché auquel il convient de se référer pour apprécier l'atteinte à la concurrence dans le Marché commun résultant, le cas échéant, du contrat-type notifié par la requérante est, selon la Commission, le marché des produits cosmétiques. Selon la défenderesse, le marché pertinent comprend, du point de vue de l'analyse par produits distribués, les produits de beauté et de toilette, les produits capillaires et la parfumerie alcoolique. La gamme des produits distribués par Vichy est une gamme complète de soins pour le visage et le corps, à l'exclusion de parfums alcoolisés. Du point de vue de l'analyse des circuits de distribution, il s'agit, selon la Commission, d'un marché qui prend en compte l'ensemble des circuits de distribution existant pour ce type de produits. Ces circuits sont, selon la décision attaquée, au nombre de quatre. Il s'agit du circuit de la grande distribution, qui se compose lui-même de supermarchés, de drogueries et de grandes surfaces, de celui de la distribution sélective dans les parfumeries et les grands magasins de luxe, du circuit de la distribution en pharmacie d'officine - sur lequel la requérante est exclusivement présente - et de la vente directe, en particulier de la vente par correspondance. Sur le plan géographique, enfin, il est constant que le marché pertinent couvre l'ensemble du Marché commun, étant rappelé toutefois que les produits Vichy ne sont pas distribués au Danemark. Le Tribunal constate que cette définition du marché est strictement identique à celle figurant dans la notification effectuée par Vichy.
62 Les produits cosmétiques sont vendus sous de multiples marques. En général, chaque marque est réservée à un circuit de distribution déterminé. Les marques vendues en pharmacie, comme celle de la requérante, ne se rencontrent pas dans le circuit de la distribution de luxe ou de la grande distribution. Certains producteurs offrent une grande variété de produits. Tel est le cas du groupe L'Oréal, qui sélectionne les circuits selon le prestige des marques. Vichy admet que les produits nouveaux et innovateurs sont, en général, d'abord distribués en pharmacie pour être ensuite, une fois les habitudes de consommation prises, diffusés à plus grande échelle, sous d'autres marques, dans la grande distribution et la parfumerie de luxe. Selon l'étude réalisée pour la Commission par M. André-Paul Weber, précitée, la segmentation en circuits de distribution correspondrait à un souci de moduler, en fonction des réseaux par lesquels ils sont commercialisés, les prix de produits substituables.
63 Selon les informations communiquées à la Commission par la requérante elle-même, le chiffre d'affaires total réalisé, sur le marché considéré s'élevait, en 1987, à 7,3 milliards de deutsche Marks en République fédérale d'Allemagne, à 30,3 milliards de francs en France, à 4 milliards de lires en Italie et à 1,1 milliard de livres sterling au Royaume-Uni. Pour chacun de ces quatre Etats membres, la part de ce chiffre d'affaires correspondant à des produits cosmétiques distribués en pharmacie d'officine s'élève respectivement, selon les mêmes sources, à 4,8 %, 9 %, 16,5 % et 44 %. Dans chacun de ces quatre Etats membres, le chiffre d'affaires réalisé par Vichy représente, respectivement, 1,5 %, 2,2 %, 3,5 % et 1 % du marché des produits cosmétiques et 32 %, 25 %, 21,4 % et 2,2 % des produits cosmétiques distribués en pharmacie. Toujours selon Vichy, la part de marché du groupe L'Oréal, appréciée cette fois sur l'ensemble de l'Europe occidentale, était de 14 % en 1986, ce chiffre variant de 25 % pour les produits capillaires à 7 % pour les produits de toilette. La même année, le concurrent le plus direct du groupe L'Oréal était le groupe Lever, qui représentait 6 % du marché. Le groupe L'Oréal, dont Vichy est une filiale à 100 %, occupe une position de leader en France et en Italie. Il est le quatrième opérateur en République fédérale d'Allemagne et au Royaume-Uni. Il a réalisé, en 1987, un chiffre d'affaires de 3,4 milliards d'Ecus, dont 116,5 millions ont été réalisés par la requérante. Toujours selon cette dernière, le marché serait, du point de vue de son évolution, caractérisé par un développement de la grande distribution, qui s'effectuerait aux dépens de la distribution en officine pharmaceutique. La part de marché de la distribution officinale, si elle est stable sur plusieurs créneaux, serait décroissante sur plusieurs autres. Il s'agit, en particulier, des produits pour enfants, des produits démaquillants et des shampooings. La décision attaquée relève, toutefois, que dans le cas du marché allemand, la part de marché du circuit pharmaceutique progresse plus fortement que le marché total.
64 C'est donc sur le marché ainsi défini, et dont la structure a été précisée d'un commun accord entre les parties, qu'il convient d'apprécier si la Commission a établi, à suffisance de droit, l'existence d'une atteinte sensible à la concurrence et susceptible, comme telle, de relever du champ d'application de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité. A cet égard, à ce stade provisoire de l'examen de l'accord-type notifié par la requérante, seul est en cause, selon la décision attaquée, le critère d'agrément à son réseau, tel que retenu par le fabricant pour l'ensemble des Etats membres de la Communauté dans lesquels ses produits sont distribués, à l'exception de la France. Selon la décision attaquée, ce critère, celui de pharmacien d'officine, d'une part, doit s'analyser comme un critère quantitatif contraire à la jurisprudence de la Cour (arrêt L'Oréal, précité) et, d'autre part, et en tout état de cause, n'est pas nécessaire à une distribution appropriée des produits. Il convient, dès lors, pour le Tribunal, d'examiner d'abord la licéité du critère d'agrément retenu par Vichy, puis, le cas échéant, les effets qu'il est susceptible de produire sur la concurrence et le commerce intracommunautaires.
En ce qui concerne la licéité du critère d'agrément
65 Ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 25 octobre 1983, (AEG/Commission, 107-82, Rec. p. 3151, point 33), les accords qui instituent un système de distribution sélective ou exclusive influencent, en principe, la concurrence. Toutefois, certains produits ont des propriétés telles qu'ils ne peuvent être offerts utilement au public sans l'intervention de distributeurs spécialisés. Ainsi, un système de distribution sélective ou exclusive peut constituer un élément de concurrence conforme à l'article 85, paragraphe 1, du traité, s'il est établi que les propriétés des produits en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, la mise en place d'un tel système (arrêt L'Oréal, précité, point 16) et à condition que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur et de son personnel, ainsi qu'à ses installations, et que ces critères soient fixés de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire (arrêt Metro I, précité, point 20). Enfin, par l'arrêt Binon du 3 juillet 1985, précité, la Cour a jugé qu'"un système de distribution sélective de produits de la presse qui affecte le commerce entre Etats membres est contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, si le choix des revendeurs est régi par des critères d'ordre quantitatif".
66 Le Tribunal relève, d'une part, que l'agrément au réseau de distribution de Vichy est, dans les Etats membres autres que la France et le Danemark, subordonné à la possession de la qualité de pharmacien d'officine et, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que dans six des autres Etats membres, un régime de numerus clausus caractérise l'accès à la profession de pharmacien d'officine.
67 Le Tribunal estime que, comme le soutient la Commission, peu importe que la limitation du nombre des points de vente résulte directement ou non de l'organisation du réseau de distribution mis en place par le fabricant. Certes, il est de l'essence même de tout système de distribution exclusive ou sélective d'affecter, en principe, le libre jeu de la concurrence (arrêt de la Cour AEG/Commission, précité). Toutefois, un critère d'agrément à un réseau de distribution exclusive ou sélective doit être regardé comme revêtant un caractère quantitatif au sens de l'arrêt Binon, précité, dès lors qu'il a pour objet ou pour effet d'entraîner, en dehors du jeu normal de l'offre et de la demande, une limitation quantitative du nombre des points de vente. Dès lors, en effet, que la limitation du nombre des points de vente ne résulte pas du jeu normal du marché, le critère d'agrément au réseau de distribution retenu par le fabricant doit être regardé comme revêtant un caractère quantitatif. Peu importe donc, à cet égard, que la limitation du nombre des points de distribution résulte d'une situation réglementaire préexistante ou de la seule volonté du fabricant, dès lors, du moins, que cette dernière n'est pas étrangère à la limitation constatée du nombre de points de vente.
68 Au cas d'espèce, il suffit de relever que, par l'effet de réglementations nationales que ne pouvait ignorer le fabricant et qu'il entend, au contraire, utiliser pleinement, le critère d'agrément des distributeurs acquiert nécessairement un caractère quantitatif. Certes, s'agissant des officines de pharmacie, le nombre de points de vente potentiels est relativement élevé, mais cette constatation n'altère en rien le caractère quantitatif du critère d'agrément retenu par Vichy. Comme l'a souligné à juste titre la Commission dans sa duplique, un producteur qui choisirait de ne distribuer ses produits que dans les seuls aéroports ne pourrait prétendre que la limitation du nombre des points de vente n'est pas de son fait.
69 En outre, et en admettant même que le critère d'agrément retenu par Vichy puisse être regardé comme un critère qualitatif - ce qui, selon le Tribunal, ne saurait être le cas, ainsi qu'il vient d'être dit -, il conviendrait de relever qu'en tout état de cause l'exigence de la qualité de pharmacien d'officine, à laquelle est subordonnée l'adhésion au réseau de distribution des produits Vichy, n'est nullement nécessaire à une distribution appropriée de ces produits. En effet, dès lors que Vichy, d'une part, admet que ceux-ci ne sauraient être assimilés à des médicaments et, d'autre part, prétend qu'ils sont substituables à des produits équivalents, distribués par un ou plusieurs des trois autres canaux de distribution présents sur le marché des produits cosmétiques et précédemment cités, un tel critère n'est nullement nécessaire à une distribution appropriée des produits en cause et acquiert, de ce fait, un caractère disproportionné. Si la présence sur le point de vente d'un conseil professionnel spécialisé constitue une exigence légitime, dans la mesure où certaines connaissances spécifiquement requises sont nécessaires pour aider le consommateur dans sa recherche du produit le mieux adapté à son goût et à ses besoins et pour lui apporter la meilleure information sur les conditions de son utilisation ou de sa conservation, cette fonction de conseil serait, comme le soutient la Commission, assurée dans des conditions offrant toute garantie au consommateur par la présence, sur le point de vente, d'un diplômé en pharmacie. Il est donc établi que, comme le soutient la Commission, les propriétés des produits en cause ne nécessitent nullement, aux fins de la protection du consommateur, un critère d'agrément aussi disproportionné que celui de pharmacien exerçant en officine.
70 A cet égard, il convient de relever, avec la Commission, qu'il existe une différence essentielle entre les produits cosmétiques et les médicaments. En effet, à la différence de la commercialisation des médicaments, la distribution des produits cosmétiques n'exige pas de précautions supplémentaires par rapport à celles prévues par les législations nationales et communautaire en matière de contrôle de l'innocuité des produits cosmétiques et, en particulier, à celles résultant de la directive n° 76-768-CEE du Conseil du 27 juillet 1976 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques (JO L 262, p. 169), modifiée. Cette réglementation garantit que les produits cosmétiques mis en vente ne présentent pas de danger pour la santé des consommateurs et que leur commercialisation n'exige pas de précautions supplémentaires, telles que celles qui existent pour les médicaments.
71 Enfin, comme la Commission l'a souligné à juste titre au point 18 de la décision attaquée, la diplôme en pharmacie certifie que le diplômé est considéré comme ayant toutes les connaissances professionnelles nécessaires en pharmacologie, biologie, toxicologie et dermatologie pour gérer une pharmacie d'officine. En ne se contentant pas de cette qualification professionnelle pour prodiguer des conseils à ses clients, la requérante ajoute ainsi au critère qualitatif du diplômé en pharmacie une exigence supplémentaire de nature à restreindre, sans justification objective, le nombre des points de vente et à en modifier la nature. Dès lors, le souci de Vichy d'offrir à ses clients un conseil identique à celui prévu pour l'utilisation des médicaments ne peut être considéré comme une nécessité découlant des propriétés des produits en cause, mais comme une stratégie de commercialisation destinée à créer et à maintenir une image de marque bénéficiant de la renommée de la pharmacie. La requérante n'a, du reste, pas contesté l'affirmation de la Commission, selon laquelle les produits de haut de gamme du groupe L'Oréal, qui comportent des gammes encore plus complètes et plus élaborées que celle de Vichy, sont distribués dans les parfumeries de luxe non par des vendeurs titulaires de diplômes scientifiques, mais par des vendeurs ayant la qualification professionnelle d'esthéticien.
72 Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que, dans le cadre de l'examen provisoire auquel elle a procédé, la Commission a estimé que le critère d'agrément retenu par Vichy est de nature quantitative et présente un caractère disproportionné.
73 Dès lors, et comme l'a jugé la Cour dans l'arrêt L'Oréal, précité, un tel critère d'agrément tombe, en principe, sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité, pour autant que le contrat-type "remplisse diverses conditions dépendant moins de sa nature juridique que de ses rapports, d'une part, avec le commerce entre les Etats membres et, d'autre part, avec le jeu de la concurrence".
En ce qui concerne l'effet sur la concurrence et le commerce intra-communautaires
74 Pour apprécier, au regard de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'effet restrictif de concurrence résultant, le cas échéant, du critère d'agrément retenu par le fabricant, il convient d'examiner s'il entraîne une altération suffisamment sensible de la concurrence intra-communautaire, c'est-à-dire qu'il convient notamment de vérifier si l'accord ont il s'agit, "sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, [permet] d'envisager, avec un degré de probabilité suffisant, qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation... d'un marché unique entre Etats" (voir l'arrêt de la Cour du 30 juin 1966, précité).
75 Il ressort de l'examen du contrat-type notifié à la Commission que, sauf en Grèce, le réseau de distribution de Vichy est organisé à partir de neuf agents généraux, qui ont l'exclusivité de la vente des produits Vichy sur le territoire de l'Etat membre dans lequel ils sont implantés. Sept d'entre eux sont des filiales à 100 % du groupe L'Oréal. En Espagne et en Irlande, les agents généraux sont des filiales du groupe à proportion, respectivement, de 70 % et de 50 %. Les agents généraux contractent soit avec des grossistes-répartiteurs, soit avec des détaillants qui, pour être agréés, doivent avoir la qualité de pharmacien d'officine. Les pharmaciens d'officine revendent eux-mêmes les produits contractuels au consommateur. Au total, sur le territoire de chacun des Etats membres concernés, le réseau de distribution de Vichy se compose, d'une part, de grossistes-répartiteurs, liés par des contrats dits "lettres-conventions", ou par les conditions générales de vente, et, d'autre part, de pharmaciens d'officine, liés à un grossiste-répartiteur ou à un agent général par des contrats individuels ou par les conditions générales de vente.
76 En vertu de la stipulation dite "clause CEE", insérée, suivant le cas, dans les contrats individuels de distribution, dans les "lettres-conventions" ou dans les conditions générales de vente, les ventes à l'intérieur du réseau de distribution sont admises, que l'acheteur soit établi sur le territoire de l'Etat membre d'implantation du vendeur ou qu'il soit situé sur le territoire de l'un quelconque des autres Etats membres. Toutefois, les ventes intermédiaires, c'est-à-dire celles qui ne concernent pas le consommateur final, sont interdites lorsque l'acheteur a la qualité de tiers par rapport au réseau de distribution. Il résulte notamment de cette interdiction que, sauf dans le cas de la France, un pharmacien d'officine établi sur le territoire de l'un quelconque des Etats membres concernés ne peut céder les produits contractuels qu'à un autre pharmacien d'officine ou à un consommateur. Les ventes effectuées en méconnaissance de cette interdiction sont sanctionnées par le retrait de l'agrément. Vichy s'assure du respect de cette stipulation par l'obligation qu'elle impose aux revendeurs de conserver pendant une durée minimale d'une année les factures correspondant à des ventes intermédiaires.
77 Le Tribunal estime que, s'il est en principe loisible au fabricant de s'assurer qu'aucune vente intermédiaire n'est effectuée au profit d'un revendeur ayant lui-même la qualité de tiers par rapport au réseau de distribution, le critère d'agrément retenu par le fabricant est de nature, en dépit de l'existence de la "clause CEE" qui vient d'être analysée, à affecter le commerce intra-communautaire. En effet, la stipulation relative à l'exigence de la qualité de pharmacien d'officine a pour objet et pour effet d'interdire à un pharmacien d'officine établi sur le territoire de l'un quelconque des Etats membres concernés de céder les produits contractuels à un revendeur autre qu'un pharmacien d'officine ou à un consommateur. Cette interdiction est, par suite, de nature à réduire les échanges entre les Etats membres concernés en éliminant les "importations parallèles" auxquelles il pourrait être procédé par d'autres opérateurs aux fins d'utiliser les écarts de prix constatés. De plus, si, pour être agréé, le revendeur établi en France doit seulement justifier de connaissances "en cosmétologie, biologie, dermatologie, pharmacie, sanctionnées par un diplôme universitaire à caractère scientifique", le critère d'agrément retenu dans les autres Etats membres a pour effet de limiter aux seules importations en provenance du circuit officinal de ces Etats les importations effectuées, au même stade de distribution, par les détaillants établis sur le territoire français. Elle limite également aux seules importations en provenance du territoire français la possibilité, pour un revendeur agréé établi sur le territoire des autres Etats membres concernés, d'acquérir les produits contractuels auprès d'un revendeur autre qu'un grossiste ou un pharmacien d'officine. Dans ces conditions, le critère d'agrément retenu par Vichy dans les Etats membres autres que la France affecte les échanges interétatiques.
78 Le critère d'agrément litigieux, non seulement affecte les échanges entre Etats membres, mais est également, en lui-même, restrictif de concurrence. En effet, compte tenu des obligations déontologiques qui s'imposent aux pharmaciens d'officine, la concurrence, et spécialement la concurrence par les prix, est, pour un produit donné, fortement réduite à l'intérieur du réseau de distribution officinale. Par suite, pour un produit donné, la concurrence par les prix trouve principalement à s'exercer à travers la concurrence entre le circuit de distribution officinale et les autres circuits de distribution. Elle est, en principe, susceptible d'être activée par les différences de prix moyens, au niveau du détaillant, constatées, pour un même produit, entre les différents Etats membres. Mais, dès lors que, d'une part, le critère d'agrément interdit la concurrence avec les autres circuits de distribution et que, d'autre part, à l'intérieur du circuit officinal, il limite au seul territoire français l'origine des produits contractuels susceptibles de concurrencer les produits distribués par ce circuit, le critère de pharmacien d'officine retenu par Vichy restreint la concurrence intra-communautaire.
79 Bien plus, ainsi que le soutient la Commission, l'affectation de la concurrence intra-communautaire résultant du critère d'agrément retenu par le fabricant est d'autant plus sensible qu'en raison, d'une part, du numerus clausus et, d'autre part, des obligations déontologiques, qui, dans la plupart des Etats membres concernés, s'imposent au pharmacien d'officine, la concurrence entre les officines est notoirement réduite. Le Tribunal relève, à cet égard, que, selon les termes de la décision attaquée, non contestée sur ce point, les différences de prix moyens de vente consentis par les agents généraux ou grossistes aux détaillants présente des variations qui, d'un Etat membre à l'autre, peuvent atteindre jusqu'à 30 %. Il en résulte que, comme le relève à juste titre la décision attaquée au point 19, la concurrence effective entre le réseau de distribution officinale et les autres modes de distribution qui serait, dans le cas d'espèce, particulièrement de nature, en activant, pour un même produit, la concurrence entre les circuits de distribution - et en particulier la concurrence par les prix -, à favoriser le développement des échanges interétatiques, se trouve réduite de façon suffisamment sensible, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
80 En outre, l'effet du contrat litigieux doit être apprécié en tenant compte de son "contexte économique et juridique" (arrêt de la Cour du 28 février 1991, précité). De ce dernier point de vue, "l'existence de contrats similaires est une circonstance qui, avec d'autres, peut former un ensemble constitutif du contexte économique et juridique dans lequel le contrat doit être apprécié" (arrêt de la Cour du 30 juin 1966, précité). Même si "le fait que le contrat litigieux relève, dans ce marché, d'un ensemble de contrats similaires qui produisent un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence, ne constitue qu'un facteur parmi d'autres pour apprécier" le fonctionnement du marché (arrêt de la Cour du 28 février 1991, précité), la Commission a relevé à juste titre, au point 19 de la décision attaquée, qu'en l'espèce, "pour évaluer le caractère sensible de la restriction de la concurrence ainsi que l'affectation du commerce entre Etats membres, il convient de prendre en considération l'effet cumulatif qui résulte de l'existence de systèmes parallèles de distribution exclusive en pharmacie d'officine pour toutes les marques de cosmétiques vendues dans le circuit pharmaceutique. La part de marché de la dermopharmacie se situe environ entre 5 et 40 % du marché total des cosmétiques. On peut donc constater que la restriction de concurrence et l'affectation du commerce entre Etats membres ont un caractère sensible, quelle que soit la délimitation du marché pertinent".
81 Vichy ne saurait, dès lors, se prévaloir de l'arrêt du 28 février 1991, précité, par lequel la Cour a notamment jugé, à propos de la clause "d'ouverture" contenue dans un contrat de fourniture exclusive de bière, qu'"un contrat de fourniture de bière qui autorise le revendeur à acheter de la bière en provenance d'autres Etats membres n'est pas susceptible d'affecter le commerce interétatique, lorsque cette autorisation correspond à une possibilité réelle, pour un fournisseur nationale ou étranger, d'approvisionner le revendeur en bières originaires d'autres Etats membres". En effet, dans le cas d'espèce, les restrictions au commerce interétatique résultent du critère d'agrément lui-même, lequel limite les échanges, en excluant, sans justification légitime, ainsi qu'il vient d'être démontré, certaines formes d'échanges.
82 Dans de telles circonstances, et compte tenu, d'une part, de la gamme très complète des produits distribués et de la position de la requérante sur le marché, telle que précédemment rappelée et, d'autre part, de ce que le contrat-type notifié concerne dix des douze Etats membres, la requérante n'est fondée à soutenir ni que la Commission n'aurait pas établi l'existence d'une altération suffisamment sensible de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, ni que les restrictions de concurrence apportées, par son réseau de distribution, seraient compensées par la concurrence exercée par les marques diffusées par d'autres circuits de distribution, dès lors que, dans les faits, cette concurrence reste très limitée.
83 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que c'est à juste titre que, dans le cadre de l'examen provisoire auquel elle a procédé, la Commission a pu estimer que le critère d'agrément retenu par Vichy dans le contrat-type notifié, illicite par nature et susceptible d'affecter de façon suffisamment sensible la concurrence et la commerce intra-communautaires, méconnaît l'article 85, paragraphe 1. Dès lors, le troisième moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3
Arguments des parties
84 Vichy soutient qu'en tout état de cause, c'est à tort que la Commission lui a refusé le bénéfice de l'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3. En effet, le critère du pharmacien d'officine répondrait tout à fait aux exigences édictées par cette disposition, alors que la position de la Commission serait mal fondée et que la restriction de concurrence résultant par nature du critère retenu serait indispensable. En effet, contrairement à ce que soutient la Commission, le système de distribution mis en place par Vichy contribuerait à l'amélioration de la production et de la distribution, ainsi qu'à la promotion du progrès technique et économique, tout en laissant aux utilisateurs une part équitable du profit en résultant. Au demeurant, si l'examen de la conformité du système de distribution de Vichy avec les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité a pu être effectuée par les juridictions nationales françaises, en revanche, l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3, relèverait de la compétence exclusive de la Commission. Selon Vichy, la décision attaquée encourrait donc l'annulation, dès lors que la Commission n'aurait pas procédé à l'examen du système de distribution au regard de l'article 85, paragraphe 3, alors surtout qu'elle était saisie tant d'une demande d'attestation négative que d'une demande de déclaration d'inapplicabilité. Enfin, l'argument de la Commission, selon lequel les pharmaciens d'officine n'offrent aucun avantage particulier par rapport aux diplômés en pharmacie exerçant en dehors de l'officine, déplacerait le débat en le réduisant aux caractéristiques d'un point de vente, à savoir l'officine.
85 Vichy estime que la contribution au progrès économique résultant du système de distribution exclusive en pharmacie provient de trois avantages liés à ce système.
- la garantie d'assortiment
Selon Vichy, qui relève une contradiction dans le raisonnement de la Commission, laquelle imputerait au fabricant les inconvénients de la distribution officinale tout en refusant de lui en reconnaître les avantages, la question ne serait pas de savoir si les avantages résultant du choix du circuit de distribution sont le fait du producteur. Il suffirait, selon la société, de constater que la distribution officinale présente pour le consommateur des avantages qui cesseraient dans le cas d'une ouverture du réseau à d'autres circuits. En outre, la requérante fait valoir, en substance, que le système de distribution de ses produits retenu par elle permettrait au consommateur de bénéficier d'une garantie de réassortiment rapide qui caractérise, pour des raisons liées à un impératif de protection de la santé publique, le système de distribution pharmaceutique.
- la récupération des investissements
Selon Vichy, il appartient à la Commission, conformément aux principes posés par la Cour dans son arrêt du 13 juillet 1966, précité, d'apprécier "l'efficacité au regard d'une amélioration objectivement constatable de la production et de la distribution des produits", condition satisfaite en l'espèce, dès lors que l'intérêt du producteur de minimiser les risques coïnciderait avec celui du consommateur.
- le concours du pharmacien
L'appréciation de la Commission selon laquelle la distribution des produits s'effectuerait d'abord en pharmacie puis, sous des marques différentes, en dehors du circuit officinal, serait erronée, dans la mesure où ce serait la "banalisation du concept innovant" qui permettrait la diffusion ultérieure en dehors du circuit officinal ; mais cette banalisation n'affecterait nullement la marque elle-même.
86 Selon la demanderesse, le même produit ne pourrait être distribué tout à la fois en pharmacie et en dehors du circuit officinal. Vichy ajoute que l'analyse de la Commission, selon laquelle la concurrence à l'intérieur du réseau officinal est nécessairement limitée en raison des obligations déontologiques imposées aux pharmaciens, est réductrice et désuète. Elle soutient, enfin, que le consommateur tire profit du service que rend le pharmacien auquel incombe une mission de conseil et d'explicitation. Ce service irait au-delà de la simple concurrence par les prix, à la quelle ne pourrait être réduit le concept de concurrence, et ne serait pas altéré par des considérations de prix.
87 Selon la Commission, il ne serait pas nécessaire, dans le cadre de la décision attaquée, de rechercher si les avantages découlant de la qualification professionnelle du pharmacien satisfont bien aux conditions d'une exemption, puisque la décision porte uniquement sur l'exclusion du réseau de distribution des points de vente dans lesquels se trouvent des diplômés en pharmacie. Puisque les points de vente dans lesquels se trouvent des diplômés en pharmacie présentent les mêmes avantages, au regard de la qualification professionnelle du revendeur, il serait donc logique de considérer que les pharmaciens d'officine n'offrent aucun avantage supplémentaire particulier. L'affirmation de Vichy, selon laquelle la pharmacien d'officine présenterait des qualités tenant à son expérience, à ses obligations en matière de déontologie, à son aptitude à personnaliser les rapports avec la clientèle et à assurer une remontée de l'information, que n'offrirait pas le diplômé en pharmacie n'exerçant pas en officine, relèverait de l'affirmation de principe et ne reposerait sur aucune démonstration.
88 Quant aux autres avantages de la distribution en officine, tels qu'allégués par Vichy, la Commission constate qu'à ce stade de la procédure la société n'apporte aucun élément nouveau par rapport aux arguments développés lors de la procédure administrative. La garantie d'assortiment ne résulterait pas du système de distribution. La société ne pourrait invoquer, au nom du progrès économique, l'intérêt individuel de l'entreprise tendant à récupérer les frais d'investissement exposés. L'ouverture du réseau de distribution de Vichy à des points de vente autres que les pharmacies d'officine ne priverait pas le fabricant du concours des pharmaciens pour le lancement des produits nouveaux. L'argument selon lequel les produits novateurs seraient d'abord vendus en pharmacie d'officine serait contredit par le fait que les ventes s'effectuent ultérieurement en dehors du réseau officinal sous des marques différentes. L'argumentation de Vichy, qui soutient tout à la fois, d'une part, que ses produits sont des produits cosmétiques innovants dont la vente devrait nécessairement s'accompagner de conseils particuliers dans le but d'éduquer le consommateur et, d'autre part, que celui-ci peut exercer librement son choix en achetant, s'il le souhaite, un produit comparable en grande surface, serait entachée de contradiction.
89 La Commission relève, enfin, que le choix du consommateur serait plus ouvert s'il disposait de la possibilité de se procurer le même produit dans d'autres circuits de distribution. Elle ajoute que le choix du consommateur ne peut s'exercer en toute connaissance de cause, dans la mesure où un même produit lui est présenté sous des marques différentes, selon le réseau de distribution auquel il s'adresse. Enfin, la Commission relève, en se référant à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988, précité, que la concurrence par les prix est nécessairement limitée par les obligations déontologies imposées aux pharmaciens exerçant en réseau officinal. Pour l'ensemble de ces raisons, il ne peut être soutenu, estime la Commission, que le consommateur bénéficie d'une part équitable d'un quelconque progrès technique ou économique. En réalité, la préoccupation principale de Vichy, à travers le système de distribution en cause, serait de conférer une certaine image de marque à ses produits et non de rechercher l'intérêt du consommateur.
Appréciation du Tribunal
En ce qui concerne la contribution au progrès économique
90 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que dans son arrêt du 15 mars 1967, précité, la Cour a jugé "qu'aux termes de l'article 15, paragraphe 6, la Commission doit... faire savoir aux parties qu'elle estime non justifiée une application de l'article 85, paragraphe 3, du traité ;... que si la Commission dispose à cet égard d'une certaine faculté d'appréciation, elle n'en est que plus obligée, dans le cadre particulier de l'article 15, paragraphe 6, du règlement (n° 17), de statuer pour déclarer qu'une application de l'article 85, paragraphe 3, n'est pas justifiée".
91 Il convient, pour le Tribunal, d'examiner successivement les trois arguments avancés par Vichy pour soutenir que la distribution exclusive en pharmacie contribue au progrès économique. Selon la société requérante, en effet, le mode de distribution retenu assurerait la garantie d'assortiment, garantirait la rentabilité de l'investissement et permettrait d'obtenir le concours du pharmacien.
92 Il importe de relever que le premier argument tiré de la garantie d'assortiment est, certes, un élément qui, selon les circonstances propres au produit distribué, peut être pris en considérant dans l'appréciation d'un système de distribution. Ainsi, dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt Metro I, précité, le contrat de coopération conclu entre le producteur et les grossistes-répartiteurs comportait, à la charge de ces derniers, l'obligation de souscrire, au moins six mois à l'avance, des contrats de livraison tenant compte de l'évolution probable du marché. L'arrêt de la Cour, précité, retient que "la conclusion de contrats de livraison pour une durée de six mois et compte tenu de la croissance probable du marché doit permettre à la fois d'assurer une certaine stabilité dans l'approvisionnement des produits concernés, d'où doit résulter une couverture plus adéquate des besoins de ceux qui s'approvisionnent chez le grossiste... ; ainsi est assurée une distribution plus régulière profitant à la fois au producteur..., au grossiste... et, enfin, aux entreprises..." (point 43).
93 En l'espèce, toutefois, et en admettant même que les garanties de réassortiment qui s'appliquent à la distribution des produits pharmaceutiques soient transposables, dans chacun des Etats membres concernés, à la distribution en officine des produits autres que les produits pharmaceutiques, la requérante n'établit nullement, par ses allégations, qu'une politique de gestion appropriée des stocks ne pourrait pas, dans n'importe quel circuit de distribution autre que le circuit officinal, permettre d'assurer au consommateur une garantie d'assortiment équivalente à celle dont il dispose dans ce circuit. A cet égard, le Tribunal constate que, comme la décision attaquée le relève justement au point 25, l'obligation d'offrir une gamme complète n'est pas une condition d'agrément du distributeur et ne figure même pas dans les conditions de vente. Dans ces conditions, la requérante ne peut prétendre qu'il existe un lien de causalité entre le critère d'agrément retenu et la contribution au progrès économique alléguée. A cet égard, la décision attaquée relève encore, à juste titre, que dans les circuits de distribution autres que le circuit officinal, des avantages équivalents peuvent résulter d'obligations contractuelles.
94 S'agissant du deuxième argument de la requérante, il convient également de relever que la rentabilité de l'investissement effectué par le fabricant à l'occasion du lancement d'un produit ou d'une gamme de produits nouveaux peut également, suivant les circonstances propres à l'espèce considérée, figurer au nombre des avantages susceptibles d'être pris en considération, au titre de la contribution au progrès économique. Bien que la Commission ait soutenu que tel ne pouvait être le cas, cette solution correspond d'ailleurs à sa pratique (voir, par exemple, la décision de la Commission du 12 janvier 1990 (IV-32.006), Alcatel Espace/Nachrichtentechnik (JO L 32, p. 19) dans laquelle la Commission tient compte expressément de l'optimisation des dépenses d'investissement pour exonérer un accord de recherche-développement dans le domaine des technique de communication spatiale). Mais, en l'espèce, la requérante n'a fourni, en tout état de cause, aucun élément de nature à établir que la rentabilité de l'investissement nécessité par le lancement d'un produit ou d'une gamme de produits serait supérieure, dans le circuit officinal, à celle qui pourrait être procurée par un autre canal de distribution. Au surplus, la décision attaquée souligne à juste titre, au point 26, qu'en élargissant son réseau de distribution à des diplômés en pharmacie, Vichy ne serait nullement privée du concours d'un pharmacien pour assurer le lancement de produits innovateurs.
95 Enfin, le troisième et dernier argument de la requérante, selon lequel elle bénéficierait du concours des pharmaciens exerçant en officine - dont elle tiendrait le plus grand compte pour l'amélioration de ses produits - est sans portée, dès lors qu'il n'est pas établi que ce concours est substantiellement différent de celui que pourrait apporter le diplômé en pharmacie n'exerçant pas en officine. En outre, c'est à juste titre que le point 27 de la décision attaquée souligne que cet argument est contredit par le fait que la commercialisation ultérieure de produits, en dehors du circuit officinal, s'effectue sous d'autres marques. Ainsi qu'il a déjà été exposé, cette situation résulte plus de la volonté du fabricant de créer pour ses produits une image de marque durable en pharmacie que du souci de préparer une commercialisation ultérieure des produits en dehors du circuit officinal. Le Tribunal relève d'ailleurs que, dans le cas de la France, l'abandon du critère d'agrément litigieux s'est traduit par l'insertion, dans les contrats de distribution, d'une clause dite d'environnement de marque qui fait obligation au distributeur, sous peine de retraite de l'agrément, de présenter ses produits dans un environnement d'au moins cinq marques d'image comparable.
96 D'une façon plus générale, le Tribunal observe, ainsi d'ailleurs que le souligne la Commission, que l'examen des deux derniers arguments de la requérante conduit à rappeler que la portée de la thèse de Vichy doit être relativisée. Il convient, en effet, de relever que la Commission ne conteste pas à la société requérante le droit de distribuer ses produits par l'intermédiaire de points de vente sur lesquels seraient présents des diplômés en pharmacie. Dès lors, le débat doit être limité à l'examen des avantages résultant de la distribution en circuit officinal par rapport à une distribution par un réseau commercial dans lequel la clientèle serait susceptible de recevoir le conseil d'un diplômé en pharmacie. Or, de ce point de vue, il apparaît que seul le premier des trois arguments avancés par la requérante concerne, en propre, le circuit de distribution officinale.
En ce qui concerne la part équitable du profit consentie au consommateur
97 Selon la société requérante, l'expérience professionnelle, les obligations déontologiques et la personnalisation des rapports avec la clientèle distingueraient le diplômé en pharmacie exerçant en officine du diplômé exerçant hors d'une officine, et contribueraient ainsi à améliorer la qualité du service offert au consommateur.
98 Le Tribunal relève que, comme il a été dit précédemment, le débat doit être limité à l'appréciation de la part des avantages consentis au consommateur qui est directement et strictement imputable au réseau officinal de distribution. Or, la requérante n'a nullement établi que la fonction de conseil et d'explicitation serait propre à la distribution officinale et qu'un service équivalent ne pourrait être assuré à la clientèle par un diplômé exerçant en dehors de ce circuit de distribution. Ainsi, la requérante n'a pas justifié que l'ouverture de son réseau de distribution à des revendeurs qui, sans être pharmaciens d'officine, seraient diplômés en pharmacie, ne permettrait pas l'introduction sur le marché de produits innovants ou le dév loppement de leur image de marque. Vichy n'a pas davantage établi que les diplômés en pharmacie, exerçant dans un réseau commercial et non en officine, ne seraient pas susceptibles de disposer d'une expérience professionnelle équivalente ou de parvenir à une personnalisation des relations avec la clientèle. En outre, et en tout état de cause, l'argument tiré des obligations déontologiques pesant sur les pharmaciens d'officine ne peut qu'être écarté, compte tenu des propriétés des produits en cause qui n'exigent nullement une commercialisation respectant une déontologie particulière, en admettant d'ailleurs que les obligations déontologiques qui pèsent sur les pharmaciens d'officine soient plus rigoureuses que celles auxquelles sont astreints les diplômés en pharmacie. Le Tribunal relève, en outre, que, comme le mentionne à juste titre la décision attaquée, la requérante ne peut utilement prétendre qu'un système de distribution qui a pour effet de permettre la distribution, en dehors de l'officine, de produits comparables et substituables à ceux distribués, sous d'autres marques, en pharmacie d'officine, et qui prive ainsi le consommateur de la possibilité d'effectuer un choix éclairé, réserve à ce dernier une part équitable du profit. Dès lors, comme l'a relevé à juste titre la décision attaquée au point 29, la requérante ne serait privée d'aucun des avantages allégués en ouvrant son réseau de distribution à des diplômés en pharmacie n'exerçant pas à l'officine.
99 Il résulte de ce qui précède qu'en estimant qu'une application de l'article 85, paragraphe 3, n'était pas justifiée en l'espèce, la Commission, dans le cadre de l'examen provisoire auquel elle a procédé, ne s'est pas fondée sur des faits matériellement inexacts et n'a commis aucune erreur de droit, non plus qu'aucune erreur manifeste d'appréciation. Dès lors, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen de la requête.
Sur le moyen tiré de l'inapplicabilité de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17
Arguments des parties
100 Vichy soutient que la Commission a méconnu les termes de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, dès lors que les conditions exceptionnelles auxquelles, selon la jurisprudence de la Cour, est subordonnée la mise en œuvre de ces dispositions ne sont pas satisfaites en l'espèce. Selon la société, ces conditions seraient au nombre de trois : une infraction grave et manifeste, la mauvaise foi de l'entreprise poursuivie et l'urgence.
101 En ce qui concerne ces deux dernières conditions, Vichy a admis, dans sa réplique, qu'elles ne sont pas réellement inhérentes à l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17. En invoquant les conditions d'urgence et de mauvaise foi, la requérante aurait seulement voulu attirer l'attention sur des circonstances de fait dont il conviendrait de tenir compte, à savoir l'attitude de la Commission qui, d'une part, tend à considérer que la société n'est pas de bonne foi et, d'autre part, a pris une décision provisoire, alors même que, dès le mois d'août 1989, elle disposait de tous les éléments pour procéder à un examen complet et au fond du système de distribution notifié par Vichy.
102 Selon Vichy, en ce qui concerne l'exigence d'une infraction grave et manifeste, la Cour aurait jugé, par son arrêt du 15 mars 1967, précité, que les décisions de l'article 15, paragraphe 6, enfreindraient le traité "dans le cas où les conditions d'application de cette disposition ne se trouveraient pas manifestement remplies". Or, la décision attaquée ne satisferait nullement à ces exigences jurisprudentielles : les considérations avancées par la Commission pour justifier la mise en œuvre de l'article 15, paragraphe 6, seraient étrangères au débat, dès lors que n'aurait pas été constatée l'atteinte à la concurrence sur un marché pertinent préalablement défini. En limitant son examen à l'exigence de la qualité de pharmacien d'officine, à laquelle est subordonné l'agrément des distributeurs, et en laissant de côté les autres modalités de mise en œuvre du contrat de distribution de Vichy, la Commission aurait méconnu les principes de sécurité juridique et de proportionnalité, sans justifier sa décision.
103 En effet, selon Vichy, aucune des justifications avancées par la Commission pour motiver sa décision ne serait fondée. Ni les références faites par la Commission à la jurisprudence nationale, à la plainte déposée par Cosimex et à sa décision du 14 décembre 1989 (Association pharmaceutique belge, dite "APB", IB-32.202, JO 1990, L 18, p. 35), ni l'existence de deux systèmes de distribution différents dans le Marché commun ne sauraient justifier la décision attaquée. Selon Vichy, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, précité, ne lui faisait pas obligation de modifier son système de distribution dans les Etats membres autres que la France, de sorte que ce précédent ne serait pas probant. De même, l'existence d'une platine déposée par la société Cosimex serait-elle insuffisante pour conclure au caractère grave et manifeste de l'infraction. En particulier cette plainte n'émanerait pas d'un opérateur qui aurait été exclu du réseau de distribution. Enfin la commission se prévaudrait à tort de la décision APB du 14 décembre 1989, précitée, qui n'aurait pas la portée qu'elle voudrait lui conférer. Par cette décision, dans laquelle étaient en cause des contrats de distribution en pharmacie de produits parapharmaceutiques en Belgique, la Commission aurait admis la possibilité, pour les fabricants, d'organiser librement le mode de commercialisation de leurs produits. Cette décision ne préjugerait pas la liberté du producteur de distribuer ses produits de manière sélective en pharmacie. Elle ne comporterait aucune appréciation d'un système de distribution mis en place par la producteur. Elle se limiterait, par ailleurs, à l'examen de la concurrence entre les marques à l'intérieur d'un même système de distribution, alors qu'en ce qui concerne les produits cosmétiques il conviendrait de tenir compte de la vive concurrence existant entre les différentes formes de distribution.
104 Vichy souligne que la coexistence de deux systèmes de distribution dans le Marché commun n'est pas de son fait mais résulte des solutions retenues en droit français, c'est-à-dire des injonctions reçues du Conseil de la concurrence de modifier, sur le marché français, le système de distribution. Vichy, pour sa part, aurait pris toutes dispositions pour assurer la libre circulation des produits à l'intérieur du Marché commun. La requérante souligne que la Commission ne justifierait par aucune donnée factuelle l'affirmation selon laquelle des revendeurs extérieurs au réseau officinal seraient mieux à même que les pharmaciens de faire jouer la concurrence par les prix. La société relève, par ailleurs, que ce grief n'aurait pas été articulé, en tant que tel, dans la communication des griefs. La décision attaquée devrait, dès lors, être annulée pour ce seul motif.
105 Selon la Commission, c'est à tort que Vichy estime que les conditions nécessaires à la mise en œuvre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 sont au nombre de quatre : le caractère évident de l'infraction, la gravité de celle-ci, la mauvaise foi de l'entreprise et l'urgence s'attachant à la mesure envisagée. En effet, la Commission soutient que ces deux dernières conditions n'ont jamais été exigées préalablement à la mise en œuvre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17. Les deux seules conditions nécessaires à cette mise en œuvre, telles que définies par l'arrêt de la Cour du 15 mars 1967, précité, seraient le caractère manifeste et la gravité de l'infraction.
106 La Commission justifie le bien-fondé de la décision attaquée, d'une part, par les précédents qu'elle invoque et, d'autre part, par le fait que la société requérante n'aurait pas apporté de justification à la coexistence de deux systèmes de distribution différents à l'intérieur du Marché commun. La Commission estime avoir suffisamment motivé sa décision en ce qui concerne l'une et l'autre de ces deux conditions : elle considère, compte tenu des éléments invoqués, que le maintien d'un système de distribution exclusive en pharmacie dans dix Etats membres constitue une infraction grave et manifeste. Elle n'aurait pas pris en considération ces éléments séparément mais, au contraire, en tenant compte de l'ensemble qu'ils forment, duquel ressortirait le caractère grave et manifeste de l'infraction.
107 Selon la Commission, le fait que le Conseil de la concurrence français, puis la Cour d'appel de Paris, puis la Cour de cassation française, ont jugé que le système de distribution exclusive en pharmacie des produits cosmétiques était contraire non seulement aux dispositions du droit national de la concurrence, mais également à l'article 85 du traité, lui permet de considérer que le maintien d'une tel système dans le reste de la Communauté confère à l'infraction un caractère manifeste.
108 La Commission estime, en outre, que la plainte formée par Cosimex a été prise en considération à juste titre, car elle démontrerait que l'infraction n'est pas purement théorique. Avec l'ensemble des autres éléments pris en considération, cette plainte participerait de la démonstration du caractère grave et manifeste de l'infraction.
109 La Commission soutient encore que, par sa décision "APB", précitée, elle aurait clairement indiqué qu'elle estimait que l'obligation imposée au producteur de ne pas vendre le produit concerné à travers d'autres réseaux de distribution que celui des pharmacies d'officine restreignait la concurrence et éliminait la possibilité pour le consommateur de choisir entre les différents réseaux de distribution, sans que ce dernier puisse bénéficier de l'amélioration de la distribution. Le fait que, dans la décision APB, le contrat notifié imposait au producteur de ne pas distribuer les produits en dehors du réseau officinal alors que, dans le cas de Vichy, c'est le producteur lui-même qui choisit de ne pas distribuer ses produits en dehors de ce réseau ne modifierait pas sensiblement l'appréciation au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité, dès lors que l'effet sur la concurrence serait identique dans les deux cas.
110 Enfin, c'est à juste titre, selon la Commission, qu'elle a invoqué l'argument tiré de la coexistence, dans l'ensemble du Marché commun, de deux systèmes de distribution différents, dès lors qu'une telle juxtaposition conduit à un cloisonnement et à une fragmentation du marché, contraires aux objectifs du traité. Quant à l'argument selon lequel un tel grief n'aurait pas été notifié à la société, il manquerait en fait, ainsi que le démontrerait le point 85 de la communication des griefs. De même, ne saurait-il être fait grief à la Commission d'avoir introduit, dans son mémoire en défense, une idée nouvelle relative au cloisonnement et à la fragmentation du marché, ainsi qu'il ressort du point 32 de la décision attaquée, selon lequel "Vichy n'a pas avancé des arguments susceptibles de justifier, au titre de l'article 85, la coexistence à l'intérieur du Marché commun, de deux systèmes de distribution différents".
Appréciation du Tribunal
111 A titre liminaire, le Tribunal rappelle que, par son arrêt du 15 mars 1967, précité, la Cour a jugé que la procédure instituée par l'article 15, paragraphe 6, précité, du règlement 17 "conduit en pratique à savoir s'il existe manifestement une infraction si grave à l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe premier, qu'une exception au titre de l'article 85, paragraphe 3, paraît exclue...". Il convient donc de rechercher si, en l'espèce, l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, constatée dans le cadre de l'examen provisoire auquel s'est livrée la Commission en adoptant la décision attaquée au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, présente le caractère de gravité manifeste, au sens de cette jurisprudence.
112 Pour conclure à l'existence d'une telle infraction, la Commission se prévaut, notamment, d'une part, de trois précédents et, d'autre part, du cloisonnement du Marché commun résultant de la mise en place de deux systèmes de distribution différents.
En ce qui concerne les précédents invoqués
113 Dans la décision attaquée, la Commission se prévaut de trois arguments : la plainte déposée par Cosimex ; sa propre décision concernant l'Association pharmaceutique belge (APB), précité, et les solutions retenues en droit national français. Lors de la procédure écrite, elle a précisé avoir entendu se prévaloir de ces trois motifs non pas séparément mais dans leur ensemble.
114 S'agissant, en premier lieu, de la plainte déposée auprès de la Commission par la société Cosimex en 1988 pour refus d'accès au réseau de distribution de Vichy, plainte dont Vichy a eu connaissance à la fin de l'année 1988, il convient de relever que certes, la société requérante soutient à juste titre qu'elle ne constitue pas une circonstance permettant d'estimer avec une certitude suffisante que son système de distribution était en infraction avec le traité. Toutefois, le Tribunal estime que cette plainte prouve qu'à tout le moins un opérateur économique s'est vu écarter du système de distribution de Vichy, au motif qu'il ne satisfaisait pas au critère d'agrément fondé sur la qualité de pharmacien d'officine. Même si la Commission a, antérieurement à l'intervention de la décision attaquée, pris une décision de classement de cette plainte, il n'en demeure pas moins que celle-ci démontre que l'affectation de la concurrence résultant du système de distribution mis en place par Vichy n'est pas seulement théorique et que la Commission pouvait légitimement tenir compte de cet élément, dans le cadre de l'appréciation provisoire à laquelle elle a procédé dans la décision attaquée.
115 S'agissant, en deuxième lieu, de la décision APB du 14 décembre 1989, précitée, le Tribunal estime que cette décision de la Commission, prise au titre de l'article 85, paragraphe 3, a pu légitimement être prise en compte par la Commission pour apprécier le caractère grave et manifeste de l'infraction, même si les circonstances de fait n'en sont pas strictement identiques à celles de la présente espèce, dès lors qu'elle concerne la diffusion, par le canal du réseau officinal, de produits parapharmaceutiques. En effet, aux points 28 et 29 de cette décision, la Commission a constaté que, dans le cas du marché belge, l'exclusivité de vente en pharmacie de produits parapharmaceutiques restreignait la concurrence entre les pharmaciens d'officine, d'une part, et les autres circuits de distribution, d'autre part, et faisait obstacle à ce que l'accord, dans sa version notifiée, puisse bénéficier d'une déclaration d'inapplicabilité de l'article 85, paragraphe 1, accordée sur le fondement du paragraphe 3 du même article. En effet, la décision relevait que le système de distribution notifié avait pour effet d'éliminer la possibilité pour le consommateur de choisir entre les différents circuits de commercialisation. Le Tribunal estime, par ailleurs, que la Commission, qui doit tenir compte de l'ensemble des éléments connus à la date à laquelle elle prend une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, pouvait à bon droit se référer à cette décision APB, en dépit de la circonstance que cette dernière a été adoptée postérieurement à la notification du contrat-type faite par Vichy. Dès lors, la Commission a pu, à bon droit, se fonder sur cette décision pour porter un jugement sur le caractère grave et manifeste de l'infraction constatée, dans le cadre de l'appréciation provisoire à laquelle elle a procédé.
116 S'agissant, en troisième lieu, du motif tiré des solutions retenues en droit national français, le Tribunal constate que la notification effectuée par Vichy et qui repose sur le distinction entre, d'une part, un système de distribution applicable en France et, d'autre part, un système de distribution applicable dans l'ensemble des autres Etats membres, est effectivement postérieure à l'arrêt de la Cour de cassation française du 25 avril 1989 ayant rejeté le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988, précité, par lequel cette dernière avait elle-même rejeté le recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence du 9 juin 1987, précitée. Ces trois décisions, intervenues entre juin 1987 et avril 1989, ont successivement constaté une infraction tant à l'article 7 de l'ordonnance française du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, qu'à l'article 85 du traité, résultant de la distribution exclusive en pharmacie d'officine de certains produits cosmétiques, dont les produits de la requérante. A cet égard, le Tribunal relève qu'en ce qui concerne les contrats de distribution de la requérante, le Conseil de la concurrence a, par sa décision du 9 juin 1987, précitée, enjoint celle-ci, d'une part, de modifier ses contrats en supprimant la clause qui interdit aux revendeurs de rétrocéder des produits à un autre revendeur et, d'autre part, de cesser de subordonner l'agrément de ses distributeurs à la détention de la qualité de pharmacien d'officine.
117 Certes, comme le souligne Vichy, la décision du Conseil de la concurrence et les arrêts de la Cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation n'imposaient, pour la société requérante, aucune autre obligation que celle de modifier son contrat de distribution en France, ce qu'elle a fait. Toutefois, la requérante n'ignorait pas, en notifiant le contrat-type applicable aux Etats membres autres que la France, que, compte tenu de la similitude des règles relatives à la licéité des systèmes de distribution exclusive ou sélective, telles qu'appliquées par les instances communautaires et par les autorités françaises compétentes, elle pouvait raisonnablement s'attendre à ce que le système notifié puisse être, en tant qu'il concernait les Etats membres autres que la France, déclaré contraire à l'article 85.
118 Le Tribunal relève, en outre, qu'il ressort des pièces versées au dossier que la requérante ignorait d'autant moins que les contrats-types notifiées à la Commission et concernant les Etats membres autres que la France pourraient être, selon toute vraisemblance, déclarés contraires à l'article 85 du traité, qu'à la différence de l'injonction relative au critère d'agrément des distributeurs, l'injonction concernant l'élimination de l'interdiction de rétrocession, émise par le Conseil de la concurrence, a été exécutée pour l'ensemble des contrats notifiés, qu'il s'agisse des contrats applicables en France ou des contrats applicables dans les autres Etats membres. Le Tribunal en conclut que c'est de propos délibéré et en pleine connaissance de cause que la seconde des deux injonctions émises par le Conseil de la concurrence n'a été exécutée qu'en ce qui concerne les contrats de distribution applicables en France. Par suite, la Commission n'a commis aucune erreur de droit non plus qu'aucune erreur d'appréciation en prenant en compte les solutions retenues en droit national français pour apprécier le caractère grave et manifeste de l'infraction constatée, dans le cadre de l'examen provisoire qu'elle a effectué.
En ce qui concerne le cloisonnement du marché
119 La Commission fait, en substance, grief à Vichy d'avoir, en notifiant deux systèmes de distribution différents à l'intérieur du Marché commun, contribué à le cloisonner. La décision attaquée relève, au point 32, que Vichy, après s'être conformée, pour la France, au droit communautaire, a notifié, pour les Etats membres autres que la France, un système de distribution exclusive en pharmacie, sans justifier, au titre de l'article 85, la coexistence de deux systèmes de distribution différents. La décision attaquée déduit de cette constation que "le maintien de la distribution exclusive en pharmacie pour dix Etats membres constitue une infraction grave et manifeste à l'article 85". Ce grief est contesté par la société à la fois pour des raisons procédurales et sur le fond.
120 Du point de vue procédural, la société soutient que la décision doit être annulée, dès lors que ce grief, qui figure dans les motifs de la décision, ne lui aurait pas été notifié, ce que conteste la Commission qui se prévaut, à cet égard, du point 85 de la communication des griefs selon lequel : "l'infraction contre l'article 85, paragraphe 1, a commencé il y a une trentaine d'années avec l'instauration en France du système de distribution exclusive en pharmacies d'officine. Au cours des années 1970, le système a été étendu au reste des Etats membres (hormis le Danemark). Le système a été notifié en 1985 (pour la France), et en 1989, la modification intervenue en France en 1988 n'a pas été étendue aux autres Etats membres. Dans cette situation, une communication de la Commission au sens de l'article 15, paragraphe 6, s'impose".
121 Le Tribunal rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour (voir l'arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Landewyck e.a./Commission (Fedetab), 209 à 215 et 218-78, Rec. p. 3125 ; arrêt du 7 juin 1983, précité), pour que la communication à l'entreprise des griefs articulés à son encontre soit régulière, il suffit qu'elle expose, même sommairement, mais de manière claire, l'essentiel des données de fait que lesquelles elle s'appuie à condition, toutefois, de fournir à l'entreprise, au cours de la procédure administrative, les éléments nécessaires à sa défense. Par suite, aucune sanction ne saurait être légalement infligée, qui reposerait sur un grief qui n'aurait pas été communique à l'entreprise sanctionnée et pour lequel celle-ci n'aurait pas été mise à même de faire valoir utilement son point de vue sur la portée des faits ou des documents retenus par la Commission ou sur les conclusions qu'elle en tire (voir l'arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, 461). Le Tribunal estime que, compte tenu des effets qui s'attachent aux communications prévues à l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, ces communications ne peuvent intervenir régulièrement que pour autant que, conformément aux termes de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et à la Commission observée dans la présente espèce, l'entreprise intéressée a été mise à même de faire valoir utilement son point de vue sur les griefs articulés à son encontre par la Commission. Si, en effet, les Faits et documents sur lesquels s'appuie la Commission sont connus de l'entreprise qui les a, au préalable, notifiés à la Commission, le respect des droits de la défense exige que, préalablement à l'intervention de la communication prévue à l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, la Commission fasse connaître à l'entreprise les conclusions qu'elle se propose de tirer de la notification effectuée par l'entreprise et le raisonnement qui est à la base de cette conclusion.
122 Pour répondre à la branche du moyen soulevée par la requérante et tirée de l'inapplicabilité, pour violation des formes substantielles, de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, il convient de rechercher si les principes qui viennent d'être exposés ont été, dans le cas particulier du grief tiré du cloisonnement du marché, exactement respectés par la Commission. Le Tribunal constate, à la lecture du point 85 de la communication des griefs, précité, que la formulation du point 32 de la décision attaquée n'est pas substantiellement différente du grief tel qu'articulé lors de la communication des griefs. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a pas été mise à même de faire valoir son point de vue sur le raisonnement qui est à la base de la décision de la Commission. Cette branche du moyen doit donc être écartée.
123 En ce qui concerne le bien-fondé du motif retenu par la Commission, le Tribunal relève, que, s'agissant de la France, la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988, précité, a clairement jugé que, comme l'avait d'ailleurs initialement décidé le Conseil de la concurrence, le contrat de distribution exclusive en pharmacie de Vichy était contraire, notamment, à l'article 85 du traité ; que, néanmoins, la requérante a notifié à la Commission, pour dix Etats membres, un contrat-type dont les stipulations relatives au critère d'agrément des distributeurs étaient identiques à celles qui avaient fait l'objet des décisions et arrêts précités des autorités françaises. Par suite, la requérante devait raisonnablement s'attendre à ce que la Commission adopte, à l'égard du contrat-type notifié, une attitude identique à celle des autorités et juridictions françaises. La requérante ne pouvait ignorer, en effet, que la solution retenue par les autorités et juridictions françaises, qui se sont expressément référées au droit communautaire de la concurrence et ont estimé que la question posée était s ffisamment claire pour ne pas justifier un renvoi préjudiciel au titre de l'article 177 du traité, lequel impose pourtant un tel renvoi, à tout le moins à la Cour de cassation, dans les conditions définies par l'arrêt de la Cour du 6 octobre 1982 (CILFIT et Canificio di Gavardo, 283-81, Rec. p. 3415), était conforme à la jurisprudence de la Cour en matière de distribution exclusive ou sélective. En effet, cette jurisprudence, rappellée au point 18 de la décision attaquée et précisée par le présent arrêt, particulièrement abondante dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques, fait partie intégrante du droit communautaire et, dès lors, est censée être connue, tout particulièrement par un opérateur qui, dans ce secteur, est présent dans onze des douze Etats membres et appartient à un groupe qui occupe une forte position sur le marché considéré. Dès lors, Vichy n'ignorait pas que le système de distribution notifié à la Commission, qui prévoyait un critère d'agrément quantitatif et disproportionné, était manifestement contraire à l'article 85.
124 Enfin, et en tout état de cause, Vichy ne saurait, dans le cadre du présent litige, qui concerne l'appréciation provisoire du contrat-type, applicable aux Etats membres autres que la France, notifié à la Commission le 29 août 1989, se prévaloir d'une quelconque violation de la confiance légitime qui résulterait du silence de la Commission consécutif à la notification, effectuée en 1985, du contrat-type de distribution concernant exclusivement la France, alors surtout, d'une part, que la Commission n'a réservé aucune suite à cette demande initiale d'attestation négative ou de déclaration d'inapplicabilité et, d'autre part, qu'entre 1985 et 1989 sont intervenues les trois décisions précitées du Conseil de la concurrence, de la Cour d'appel de Paris, et de la Cour de cassation française, remettant en cause la validité du système de distribution pour la France, initialement notifié par Vichy à la Commission.
125 Par suite, il est suffisamment établi que la requérante a notifié en pleine connaissance de cause le contrat-type à l'origine de la décision attaquée. En effet, si chacun des motifs de la décision attaquée, pris isolément, est insuffisant pour établir le caractère grave et manifeste de l'infraction à l'article 85 et le recours à l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, ce caractère ressort suffisamment de la combinaison de ces motifs.
126 Il résulte de ce qui précède qu'en estimant, dans le cadre de l'exmane provisoire qu'elle a effectué sur la base des arguments échangés ainsi que des éléments en sa possession, et compte tenu, d'une part, de l'ensemble des motifs de la décision attaquée constatant une infraction à l'article 85, paragraphe 1, et écartant le bénéfice de l'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3, et, d'autre part, des motifs propres de cette même décision relatifs au recours à la procédure de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, que la Commission ne s'est pas fondée sur des faits matériellement inexacts, n'a commis aucune erreur de droit, non plus qu'aucune erreur d'appréciation en estimant que, dans les circonstances de l'espèce, l'infraction constatée à l'article 85, paragraphe 1, revêtait un caractère suffisamment grave et manifeste pour qu'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, paraisse exclue et que, dès lors, une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 était justifiée.
127 Dès lors, le cinquième moyen, tiré de l'absence de caractère grave et manifeste de la violation de l'article 85, doit être écarté.
128 De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
129 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens ; la partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête :
1. Le recours est rejeté.
2. La requérante est condamnée aux dépens.