CCE, 26 février 1992, n° 92-213
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Aer Lingus / British Midland
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement (CEE) n° 3975-87 du Conseil, du 14 décembre 1987, déterminant les modalités d'application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens (1), vu la plainte déposée par British Midland Airways Limited le 26 avril 1990 contre Aer Lingus plc, vu la décision de la Commission, du 4 juin 1991, d'engager une procédure dans cette affaire, ayant donné aux entreprises concernées la possibilité de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 16 paragraphe 1 du règlement (CEE) n° 3975-87, en liaison avec le règlement (CEE) n° 4261-88 de la Commission, du 16 décembre 1988, relatif aux plaintes, aux demandes et aux auditions visées au règlement (CEE) n° 3975-87 du Conseil (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes dans le domaine des transports aériens, Considérant ce qui suit :
I. LES FAITS
A. Les parties
(1) Aer Lingus est la compagnie aérienne nationale de l'Irlande. Elle exploite une flotte de trente et un avions à réaction (qui sont tous sauf trois utilisés sur des liaisons courtes et moyennes) et à turbopropulsion. En 1990, elle a transporté en service régulier plus de 4 millions de passagers payants (plus de 3 millions sur des services européens) et a accompli plus de 4 milliards de passagers-kilomètres payants (plus de 1,7 milliard sur des services européens). Elle emploie plus de sept mille salariés. En 1990, ses recettes totales provenant du transport aérien se sont élevées à près de 700 millions de dollars des Etats-Unis, sur un chiffre d'affaires total de plus de 1,2 milliard de dollars des Etats-Unis, et ses bénéfices nets se sont chiffrés à plus de 8 millions de dollars des Etats-Unis (par rapport à 52 millions de dollars des Etats-Unis en 1989).
(2) British Midland est la principale société d'exploitation de Airlines of Britain Holdings plc, qui appartient pour 25 % à SAS. Elle exploite une flotte de vingt-trois avions à réaction, tous sur des services internes au Royaume-Uni et desservant les Etats membres voisins. Elle emploie quelque deux mille salariés. En 1990, elle a transporté plus de 3 millions de passagers. Ses recettes totales en 1990 ont dépassé les 300 millions de dollars des Etats-Unis, mais l'entreprise a perdu plusieurs millions de dollars des Etats-Unis. British Midland est l'une des compagnies aériennes européennes qui connaissent la croissance la plus rapide.
B. Le refus d'interligne
(3) Le système d'interligne est considéré comme l'une des principales réalisations de l'IATA. Il consiste essentiellement dans un accord (le Multilateral Interline Traffic Agreement - MITA, qui est défini dans la résolution 780 de l'IATA) autorisant chaque compagnie aérienne à vendre les services des autres. C'est ainsi qu'il est possible d'émettre un seul billet comprenant des tronçons à effectuer par des compagnies aériennes différentes. Les tarifs et les conditions applicables sont ceux de la partie sur la route de laquelle le passager doit être transporté. La compagnie aérienne qui émet le billet perçoit auprès du passager le prix de tous les tronçons. La compagnie émettrice paie ensuite le montant dû à la compagnie transporteuse (déduction faite d'un prélèvement de 9 % pour indemnisation des frais de vente, d'administration et de traitement du trafic d'interligne) par l'intermédiaire de la chambre de compensation de l'IATA.
Pour devenir partie au MITA, la compagnie aérienne intéressée (qui ne doit pas nécessairement être membre de l'IATA) adresse à l'IATA une demande, qui est diffusée à toutes les compagnies aériennes adhérentes. Traditionnellement, le consentement (" concurrence ") n'est pratiquement jamais refusé, sauf si la convertibilité de la monnaie ou la stabilité financière du candidat ne sont pas garanties. Si tel est le cas, les compagnies aériennes peuvent conclure des accords spécifiques, prévoyant par exemple l'interligne unilatéral (c'est-à-dire que le candidat donne pouvoir à la compagnie nationale d'émettre des billets pour son compte mais non l'inverse).
Le système d'interligne bénéficie de la participation de la grande majorité des compagnies aériennes dans le monde, qui représentent environ 95 % des vols réguliers.
(4) En outre, les compagnies aériennes acceptent de modifier les réservations à la demande des passagers. Techniquement, cette pratique relève plus des " changements volontaires " que de l'" interligne " (elle est régie par la résolution 736 de l'IATA sur les changements volontaires aux réservations), mais elle va normalement de pair avec l'interligne. Lorsque le transporteur qui effectue la modification n'est ni le transporteur émetteur ni celui qui est désigné comme transporteur pour le tronçon concerné, l'approbation du transporteur émetteur ou désigné est requise. De nombreuses compagnies aériennes sont cependant convenues de renoncer entre elles à cette procédure d'approbation.
(5) Les systèmes multilatéraux d'interligne et de changements volontaires (conjointement désignés ci-après, aux fins de la présente décision, par les termes " système d'interligne ") ont pour principaux avantages, d'une part, que les usagers peuvent acheter un seul billet couvrant les services de différents transporteurs (s'ils souhaitent, par exemple, utiliser à l'aller les services de la compagnie aérienne émettrice et au retour ceux d'une autre compagnie desservant la même route, ou partir avec la compagnie émettrice et continuer vers des destinations qui ne sont pas desservies par celle-ci) et, d'autre part, que les réservations, les itinéraires ou les compagnies mentionnées sur le billet peuvent être modifiés facilement à la demande des usagers.
Les compagnies aériennes apprécient le fait que le système d'interligne leur permet de rendre leurs réseaux et leurs fréquences complémentaires. Si le système d'interligne leur fait perdre certains passagers au bénéfice d'autres compagnies aériennes, il leur en fait aussi gagner au détriment de ces dernières.
Le système d'interligne concerne une part très importante du transport aérien mondial. D'après les estimations, environ 20 % des passagers voyageant sur les lignes intra-communautaires utilisent d'une manière ou d'une autre le système d'interligne et, selon la compagnie aérienne émettrice, près de la moitié des passagers détiennent des billets qui leur permettent de recourir aux services d'autres compagnies aériennes.
(6) Dans la pratique, les compagnies aériennes et leur personnel n'insistent pas toujours sur la conformité aux accords d'interligne et de renonciation à la procédure d'approbation. Si une agence de voyage émet un billet d'une compagnie sans y être dûment autorisée en vertu d'un accord d'interligne, il est possible que le personnel de la compagnie transporteuse accepte le billet et facture la compagnie émettrice. Si la facturation est compliquée ou coûteuse, la compagnie transporteuse peut renoncer à facturer en supposant que la compagnie émettrice détient probablement des créances similaires sur la compagnie transporteuse. De même, le représentant d'une compagnie aérienne à l'aéroport peut accepter des changements apportés volontairement à une réservation sans insister pour qu'ils soient approuvés par le transporteur émetteur ou désigné. La souplesse qui peut exister dans la pratique est néanmoins marginale et d'une utilité limitée ; elle risque de gêner le personnel et les passagers et ne peut remplacer de façon satisfaisante un véritable accord d'interligne.
L'absence d'accord d'interligne peut être un handicap sérieux pour les compagnies aériennes qu'elle affecte. La clientèle d'affaires (qui voyage en principe aux tarifs C et Y non restrictifs plus élevés et représente normalement environ 60 % des recettes des compagnies aériennes provenant du transport de passagers) est, en particulier, souvent amenée à combiner plusieurs destinations et à utiliser les services de plusieurs compagnies aériennes au cours d'un voyage, et elle doit pouvoir modifier un plan de voyage en subissant un minimum de contraintes. Cette clientèle apprécie au plus haut point la facilité et la souplesse d'un système qui lui permet d'acheter un seul billet " interlignable " plutôt que des billets séparés pour chaque vol et qui lui évite de devoir retourner les billets inutilisés en cas de modification du plan de voyage. En outre, les agences de voyage ne peuvent émettre un billet sur le papier d'une compagnie aérienne si certains vols figurant sur ce billet sont assurés par une autre compagnie aérienne qui a refusé de passer un accord d'interligne avec la première ; c'est ainsi qu'une agence de voyage ne pourrait émettre un billet comportant un voyage aller sur British Midland et un voyage retour sur Aer Lingus. Les agences préfèrent éviter la perte de temps et le surcroît de travail que représente l'émission de billets distincts. En outre, si un passager détient un billet sans possibilité d'interligne, le risque qu'il le retourne inutilisé (car il peut avoir été obligé de changer ses plans et d'acheter un autre billet), et donc, pour l'agence, celui de perdre sa commission, est plus grand.
(7) Depuis 1964, Aer Lingus était d'accord sur la participation de British Midland au MITA.
Après avoir reçu l'autorisation d'exploiter un service Londres (Heathrow)-Dublin, British Midland a annoncé le 22 février 1989 son intention d'ouvrir des services sur cette route à partir du 28 avril 1989. Le 7 avril 1989, Aer Lingus a annoncé qu'elle retirait son consentement à la participation de British Midland au MITA à compter du 7 mai. En outre, Aer Lingus n'acceptait pas l'interchangeabilité de ses billets avec ceux de British Midland sur la route Londres (Heathrow)-Dublin. British Midland a pu pratiquer l'interligne avec British Airways jusqu'à ce que cette dernière se retire de la route à la fin du mois de mars 1991.
Aer Lingus n'avait pas résilié son accord d'interligne avec l'autre compagnie aérienne desservant cette route, British Airways.
Dans des déclarations à la presse publiées à l'époque, Aer Lingus indiquait ceci :
" Nous nous sommes imposés comme le premier transporteur sur les routes entre les deux capitales et nous entendons le rester... British Midland n'ayant pas les ressources nécessaires pour offrir une fréquence et une qualité de service égales aux nôtres, elle veut que nous fournissions le produit à sa place par le biais d'un accord d'interligne. " (Airline World, 24 avril 1989).
C. Consultations tarifaires
(8) Les 7 et 8 février 1991, Aer Lingus a participé à la réunion spéciale des conférences pour la coordination des tarifs pour le transport de fret et de passagers (Special Composite Meeting of Cargo and Passenger Tariff Coordinating Conferences) organisée par l'IATA à Genève.
A l'ouverture de la conférence, le représentant d'Aer Lingus a indiqué que la compagnie ne participerait pas aux consultations concernant les routes de Dublin à Amsterdam, Londres et Paris. Les discussions ont porté sur le maintien des augmentations de prix exceptionnelles (résolutions IATA 003 w et 003 ww, 003 m et 003 mm) qui avait été examiné lors des conférences spéciales de l'IATA des 29 août et 31 octobre 1990. Ces discussions couvraient tous les transports à l'échelle mondiale, y compris les transports intra-communautaires. La conférence s'est conclue par une demande de prorogation des résolutions existantes.
Malgré sa déclaration, Aer Lingus a participé aux discussions qui ont eu lieu pendant la conférence ainsi qu'au vote final.
D. Les marchés concernés
i) Fourniture de transports aériens
(9) Lorsqu'en mars 1989, British Midland a annoncé son intention d'ouvrir un service Londres (Heathrow)-Dublin, seuls Aer Lingus et British Airways étaient présents sur cette route. A cette époque, Aer Lingus représentait environ 75 % des passagers transportés (3) et British Airways 25 %.
Dans l'année qui a suivi son entrée sur cette route, British Midland s'est taillé une part de marché de 15 % en moyenne ; Aer Lingus et British Airways ont perdu chacune environ un septième de leur part de marché, s'adjugeant en moyenne respectivement 64 et 21 %. Au cours de la deuxième année, la part de marché de British Midland est passée à 21 %, celle d'Aer Lingus est restée relativement stable et celle de British Airways est tombée à 17 %.
British Airways a mis fin à son service Londres (Heathrow)-Dublin en mars 1991. A cette époque, British Airways a passé avec Aer Lingus un accord commercial, grâce auquel Aer Lingus espérait pouvoir s'emparer de 160 000 passagers par an (soit environ 10 % du marché en volume). Au cours de la période d'avril à juin 1991, Aer Lingus a récupéré sa part initiale de 75 % des passagers transportés.
Entre 1989 et la mi-1991, les autorités britanniques et irlandaises n'ont permis à aucune compagnie aérienne autre qu'Aer Lingus, British Airways et British Midland d'exploiter des services réguliers entre Londres (Heathrow) et Dublin.
(10) Un certain nombre de services fonctionnent entre Dublin et des aéroports londoniens autres qu'Heathrow :
- au moment du refus d'interligne, Aer Lingus et Dan Air exploitaient des services Dublin-Londres (Gatwick). Aer Lingus détenait une part de 80 % de ce trafic et avait conclu un accord d'interligne avec Dan Air. Dan Air s'étant retirée en avril 1990, Aer Lingus est maintenant la seule compagnie aérienne sur cette route,
- au moment du refus d'interligne, Aer Lingus exploitait un service de Dublin à Londres (Stansted). Depuis lors, ce service a été repris par Ryan Air, qui est la seule compagnie aérienne sur cette route,
- un service entre Dublin et Luton a été exploité par Capital pendant quelques mois et, jusqu'à la mi-1991, par Ryan Air. Ce service n'est pas assuré pour le moment.
Le nombre annuel total de passagers voyageant par air entre les quatre aéroports de Londres, d'une part, et Dublin, d'autre part, est de l'ordre de 2 à 2,5 millions ; il a connu de fréquentes augmentations annuelles supérieures à 20 % au cours des dernières années. En 1990, environ 75 % de ce trafic est passé par Heathrow, 13 % par Luton, 10 % par Gatwick et 2 % par Stansted. La part d'Aer Lingus dans l'ensemble du trafic Londres-Dublin, qui s'élevait à 66 % au moment du refus d'interligne et a diminué en 1990, est de nouveau estimée à 66 % à l'heure actuelle.
(11) En 1989, aussi bien Aer Lingus que British Airways ont enregistré sur cette route des coefficients d'occupation relativement élevés, de l'ordre de 75 % (par rapport à une moyenne sur le réseau européen de 66 % pour ces compagnies aériennes et de 62 % pour l'industrie). Début 1990, leur coefficient d'occupation est descendu au niveau encore élevé de 70 %. Le coefficient d'occupation de British Midland était de l'ordre de 45 à 50 %. En 1991, aux périodes de pointe, Aer Lingus exploitait dix-huit services aller et retour quotidiens entre Londres (Heathrow) et Dublin et British Midland, huit. De son propre aveu, Aer Lingus subit de lourdes pertes sur ce service.
ii) Vente de transports aériens
(12) La part de passagers transportés sur la route Londres (Heathrow)-Dublin par les différentes compagnies est très proche de leur part des ventes de billets au Royaume-Uni et en Irlande. Les compagnies aériennes occupent en général une position plus forte sur leur marché intérieur qu'au dehors.
Quelque 15 à 20 % des ventes s'adressent à une clientèle d'affaires qui achète des billets aux tarifs non restrictifs plus élevés (principalement C ou Y).
(13) Les tarifs appliqués par British Airways, Aer Lingus et, à plusieurs exceptions près, par British Midland sur les services Dublin-Londres (Heathrow et Gatwick) sont pour l'essentiel identiques. Ryan Air appliquait des tarifs sensiblement moins élevés sur les routes Dublin-Londres (Stansted) et Luton.
II. APPRECIATION JURIDIQUE
A. Article 86
a) Position dominante
i) Marchés à prendre en considération
(14) Le comportement d'Aer Lingus a des conséquences sur les marchés de la fourniture et de la vente de transports aériens entre Dublin et Londres (Heathrow).
Les caractéristiques des transports de surface (rapidité, facilité, changements de moyens de transport) sont assez différentes sur cette route pour exclure la substituabilité de la demande émanant de la majeure partie des voyageurs. Si certains voyageurs - en particulier certains usagers en voyage d'agrément pour qui le prix est un élément important - peuvent considérer que le transport de surface et le transport aérien aux tarifs très restrictifs les moins élevés sont interchangeables, l'offre de transports aériens à ces tarifs est limitée. En outre, de nombreux voyageurs - et pas seulement ceux qui ne peuvent se permettre de consacrer une journée au voyage entre Dublin et Londres - ne sont pas intéressés par des transports de surface lents ou par des vols à des conditions très restrictives et ils ne considèrent pas les deux modes de transport comme interchangeables. Il existe une demande spécifique considérable pour un transport rapide, souple et facile entre les deux villes, qui ne peut être satisfaite que par le transport aérien. Ces usagers paient des prix qui sont sensiblement plus élevés que le prix du transport de surface et rien n'indique que la disponibilité de transports de surface moins coûteux ait un effet restrictif sur la vente de transports aériens à ces tarifs plus élevés. C'est précisément pour ce type d'usagers que la possibilité d'interligne est la plus importante.
Si le transport aérien entre Dublin et des aéroports londoniens autres qu'Heathrow peut parfois se substituer aux transports à destination d'Heathrow, ce n'est pas le cas pour de nombreux usagers. La clientèle d'affaires, en particulier, préfère traditionnellement Heathrow, notamment parce que les autres aéroports londoniens ne sont pas desservis aussi fréquemment qu'Heathrow et parce que, dans la mesure où ils n'offrent pas un éventail aussi large de correspondances, ces aéroports conviennent moins pour les voyages qui se poursuivent au-delà de Londres. En outre, il convient de tenir compte du fait que, au moment où la vente est effectuée, certains passagers peuvent choisir d'autres aéroports que Londres (Heathrow) dans la région. Le refus d'Aer Lingus d'accepter l'échange de réservations avec British Midland affecte cependant les passagers qui sont déjà en possession d'un titre de transport entre Londres (Heathrow) et Dublin et pour qui un changement d'aéroport peut être impossible (par exemple si leur voiture est garée à Heathrow) ou pour le moins incommode (parce que cela les oblige à prendre d'autres dispositions ou qu'il leur faudra plus de temps pour atteindre leur destination finale). Quoi qu'il en soit, inclure d'autres aéroports londoniens qu'Heathrow dans le marché concerné ne réduirait pas la part de marché d'Aer Lingus au point d'exclure la domination.
La substituabilité de l'offre est également limitée. De 1989 à la mi-1991, aucune autre compagnie n'était autorisée à exploiter des services réguliers entre Londres (Heathrow) et Dublin. En outre, il est notoire que l'aéroport d'Heathrow est surchargé ; s'il existait une possibilité d'obtenir des créneaux pour exploiter un service vers Dublin, leur coût d'opportunité serait très élevé.
(15) Aux fins de l'appréciation de l'incidence du refus d'interligne sur les ventes de billets des compagnies aériennes, le Royaume-Uni et l'Irlande sont considérés comme deux marchés géographiques distincts. La distribution des services de transport aérien est encore fortement organisée au niveau national : les agences de voyage travaillent toutes dans des conditions quasiment identiques au niveau national ; les compagnies aériennes organisent leur service commercial sur une base nationale ; les tarifs sont indiqués dans la monnaie locale ; les tarifs promotionnels et les tarifs réduits peuvent être limités à certains pays ; les ventes transfrontières sont rares et, lorsqu'elles ont lieu, les compagnies aériennes tendent à s'y opposer ; le traitement des billets s'effectue au moyen des plans de règlement bancaire (BSP) de l'IATA, qui sont organisés sur une base nationale, et la répartition des parts de marché pour des groupes de routes tend fortement à se faire pays par pays, les transporteurs nationaux détenant une part élevée de leur marché intérieur, mais une part beaucoup plus faible dans les autres pays.
Il existe, en l'espèce, des différences importantes entre les tarifs appliqués au départ de l'Irlande et au départ du Royaume-Uni, les écarts oscillant de 90 à 130 % par rapport au niveau appliqué dans l'autre Etat membre. La répartition des parts de marché varie aussi considérablement : la part des ventes du service Londres (Heathrow)-Dublin détenue par Aer Lingus au Royaume-Uni n'équivaut qu'aux trois quarts de la part détenue par cette compagnie sur son marché national. La part de marché revenant aux compagnies aériennes britanniques en Irlande n'atteint pas les deux tiers de leur part sur le marché national.
(16) En conséquence, la Commission apprécie l'abus sur le marché de la fourniture de transports aériens Londres (Heathrow)-Dublin et sur celui de la vente de transports aériens Londres (Heathrow)-Dublin en Irlande et au Royaume-Uni.
ii) Partie substantielle du marché commun
(17) Le service Londres (Heathrow)-Dublin est l'un des plus chargés de la Communauté. Le nombre de passagers sur cette route est de l'ordre de 1,7 million par an. Le refus d'interligne affecte donc un volume de trafic considérable.
Le Royaume-Uni et l'Irlande constituent l'un et l'autre une partie substantielle du marché commun. Le volume de ventes du service Dublin-Londres (Heathrow) dans chaque pays est important (de l'ordre de 50 à 100 millions d'écus par an).
iii) Position dominante
(18) Aer Lingus bénéficie de parts de marché anormalement élevées, même dans un secteur oligopolistique tel que celui du transport aérien :
- sa part de passagers transportés sur le service Londres (Heathrow)-Dublin, qui s'élevait à 75 % au moment du refus d'interligne, est tombée par la suite entre 60 et 65 %, pour remonter à plus de 75 % après le retrait de British Airways en mars 1991. Aer Lingus a repris l'essentiel de la part de marché détenue à ce moment-là par British Airways. Le fait d'inclure d'autres aéroports londoniens n'aurait pas d'effet sensible sur la part de marché d'Aer Lingus,
- sa part des ventes correspond étroitement à sa part des passagers transportés et dépassait, dans les deux marchés géographiques, 50 %. La Commission n'est pas en possession de données sur les parts de marché après le retrait de British Airways, mais l'augmentation sensible de la part du trafic entre Londres (Heathrow) et Dublin revenant à Aer Lingus implique que sa part des ventes a augmenté dans une proportion similaire.
(19) En outre, en vertu des politiques britannique et irlandaise en vigueur entre 1989 et la mi-1990, aucune compagnie aérienne autre qu'Aer Lingus, British Midland et British Airways n'était autorisée à exploiter des services de troisième et de quatrième liberté entre Londres (Heathrow) et Dublin. Il n'existait pas de service de cinquième liberté. En outre, Heathrow est un aéroport notoirement surchargé, où la demande de créneaux dépasse sensiblement l'offre. Les compagnies aériennes qui travaillent au départ d'Heathrow tendent par conséquent à utiliser les créneaux pour les services les plus rentables. Utiliser les créneaux d'Heathrow pour des services supplémentaires à destination de Dublin, une route qui est déjà relativement bien desservie et qui n'est pas rentable pour le moment, entraînerait dans la plupart des cas un coût d'opportunité élevé.
S'il existe des services vers d'autres aéroports londoniens, l'importance d'Heathrow est telle, en particulier pour la clientèle d'affaires et pour les passagers en transit, que la concurrence de ces services n'a qu'un effet limité sur le service à destination d'Heathrow. De toute façon, l'inclusion de ces aéroports laisserait Aer Lingus avec une part toujours considérable de deux tiers du marché.
(20) La part très élevée du marché en cause qui est détenue par Aer Lingus et la présence d'obstacles entravant l'accès aux routes concernées indiquent une position dominante. En outre, Aer Lingus étant la compagnie aérienne nationale de l'Irlande, elle a la préférence de la plupart des passagers sur cette route, qui sont des ressortissants irlandais. Aer Lingus dispose du réseau le plus vaste hors d'Irlande et représente une très grande part des transports aériens au départ de ce pays.Cette position lui donne sur le marché local une puissance commerciale que les compagnies plus petites, établies à l'étranger, ne possèdent pas.
(21) Le simple fait qu'Aer Lingus a pu ignorer les plaintes des agences de voyage et de la clientèle d'affaires qui pâtissent du refus d'interligne suggère que cette compagnie jouit d'une liberté d'action considérable.
Lorsque British Midland a annoncé son intention d'ouvrir un service sur la route Londres (Heathrow)-Dublin, Aer Lingus a pris des mesures pour améliorer son service et aligner certaines catégories de tarifs sur ceux de British Midland. La portée de ces changements a cependant été relativement limitée : Aer Lingus a essentiellement limité sa réaction à offrir l'équivalent de certains tarifs " loisirs " de British Midland. En fait, Aer Lingus a surtout agi en prévision de l'arrivée de British Midland ; après une période initiale de préparation à cet événement, la réaction d'Aer Lingus a été très atténuée.
(22) Même si British Midland a pu se tailler une part de marché importante dans les années qui ont suivi son entrée sur cette route, sa présence ne dément pas la domination évidente d'Aer Lingus. Aer Lingus a maintenu et même accru le nombre absolu de passagers transportés sur cette route. Sa part des passagers transportés et des ventes rapportée à celle des autres compagnies aériennes opérant sur cette route a diminué à la suite de l'arrivée de British Midland, mais seulement dans une mesure relativement limitée, et elle est remontée après le retrait de British Airways. Il semble que le succès de British Midland soit dû, dans une large mesure, au fait qu'elle a pu bénéficier de l'augmentation sensible du nombre de passagers sur cette route entre 1989 et 1990 en fournissant une capacité supplémentaire à un moment où il existait une demande pour celle-ci.
(23) Tout cela montre qu'Aer Lingus dispose d'une liberté d'action appréciable. Si Aer Lingus a été confrontée à une certaine concurrence, elle a réussi à la contenir en ne payant qu'un prix relativement modéré.
b) Abus
(24) La notion d'exploitation abusive est définie comme " les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence " (Arrêt de la Cour de justice, du 13 février 1979, dans l'affaire 85-76, Hoffmann-La Roche contre Commission, Recueil 1979, p. 541).
(25) Le refus d'interligne ne relève pas de la concurrence normale basée sur les mérites. L'interligne est une pratique sectorielle établie depuis de nombreuses années, qui comporte des avantages largement reconnus pour les compagnies aériennes et les usagers. Un refus d'interligne pour des raisons autres que des problèmes de convertibilité des monnaies ou des doutes sur la solvabilité de la compagnie aérienne bénéficiaire est une démarche tout à fait inhabituelle qui n'a pas été considérée jusqu'à présent comme une stratégie concurrentielle normale par l'industrie aérienne européenne. Aer Lingus elle-même a maintenu des accords d'interligne avec les autres compagnies aériennes qui lui ont fait concurrence sur les services Londres-Dublin, British Airways et Dan Air.
Aer Lingus a fait valoir que si, dans la plupart des cas, le système d'interligne est avantageux pour toutes les compagnies aériennes qui y participent, elle pâtirait de l'existence d'un accord d'interligne avec British Midland en perdant au bénéfice de cette dernière plusieurs points de part de marché. Même si cela pouvait être démontré, l'argument selon lequel l'interligne entraînerait une perte de recettes ne suffirait pas à rendre le refus légitime. Aer Lingus n'a pas argué du fait qu'un accord d'interligne avec British Midland aurait un effet sensible sur ses propres coûts, alors qu'il est prouvé qu'un refus d'interligne imposerait à British Midland un handicap important.
(26) Aussi bien le refus de conclure un nouvel accord d'interligne que la résiliation d'accords d'interligne existants peuvent, selon les circonstances, entraver le maintien ou le développement de la concurrence. L'application éventuelle d'une obligation d'interligne dépend des effets du refus d'interligne sur la concurrence ; elle s'imposerait notamment quand le refus ou la résiliation d'interligne par une compagnie en position dominante est objectivement susceptible d'avoir un effet sensible sur la capacité de l'autre compagnie à lancer un nouveau service ou à maintenir un service existant en raison des effets de cette stratégie sur les coûts et les recettes afférents au service en question, et quand la compagnie en position dominante ne peut invoquer, pour justifier son refus, aucune raison commerciale objective (telle que des préoccupations au sujet de la solvabilité) autre que sa volonté de ne pas aider ce concurrent en particulier. Il est peu probable que cette justification existe lorsque la compagnie aérienne en position dominante exclut une compagnie aérienne avec laquelle elle pratiquait auparavant l'interligne au moment où cette dernière commence à lui faire concurrence sur une route importante, mais continue de pratiquer l'interligne avec d'autres concurrents.
(27) Lorsqu'une compagnie aérienne ouvre un nouveau service, il est normal qu'elle subisse des pertes pendant une période initiale, au cours de laquelle elle doit organiser l'exploitation économique de son service et susciter un intérêt suffisant de la part des professionnels du voyage et des usagers. Elle ne peut espérer obtenir les coefficients d'occupation et le revenu nécessaires pour garantir la rentabilité du service dès l'ouverture de celui-ci. L'entrée sur un marché est donc toujours une opération difficile.
Refuser l'interligne risque d'accroître cette difficulté. Un nouvel entrant qui ne bénéficie pas du système d'interligne risque d'être considéré à cet égard comme une compagnie aérienne de deuxième ordre par les agences de voyages et par les usagers et il lui sera d'autant plus difficile d'acquérir la surface nécessaire pour rentabiliser l'exploitation du service. Les agences de voyages veulent s'épargner la perte de temps, le surcroît de travail et la perte potentielle de revenu que représente l'émission de billets d'une compagnie qui ne bénéficie pas du système d'interligne. En outre, de nombreux usagers voient dans la possibilité de modifier les réservations et d'organiser des voyages complexes moyennant un seul billet une nécessité ; un refus d'interligne aura pour effet de détourner nombre de ces usagers du nouvel entrant.A cet égard, un refus d'interligne affecte plus particulièrement la clientèle d'affaires bien informée, qui exige des billets entièrement flexibles et qui contribue d'une manière disproportionnée aux recettes du nouvel entrant ; le fait de réduire sensiblement ces recettes a des conséquences graves sur la rentabilité du service du nouvel entrant.
L'examen des résultats obtenus par British Midland sur la route Dublin-Londres (Heathrow) confirme l'importance de ces conséquences en l'espèce. Les coefficients d'occupation de British Midland sont sensiblement plus faibles que ceux d'Aer Lingus sur cette même route. La différence reflète dans une large mesure le handicap de British Midland dans le trafic d'interligne. Cela implique que les passagers qui souhaitent recourir à la possibilité d'interligne sur le service Londres (Heathrow)-Dublin et ne sont pas en mesure de le faire en raison du refus d'Aer Lingus d'accorder l'interligne à British Midland préfèrent jouer la sécurité et utiliser le service de la compagnie aérienne offrant la fréquence la plus élevée, à savoir Aer Lingus. La perte de recettes qui en résulte pour British Midland peut être estimée à plusieurs millions d'écus par an.
(28) Un refus d'interligne entrave également le maintien ou le développement de la concurrence lorsqu'il impose un coût important aux concurrents. Si une compagnie aérienne établie exploite un service à fréquence élevée sur une route, représente une part très importante de la capacité et refuse l'interligne à un nouvel entrant sur cette route, ce dernier a deux possibilités. Il peut lancer un service à basse fréquence pour réduire au minimum les pertes initiales, mais il connaîtra ensuite une longue période de démarrage peu rentable. L'autre possibilité qui s'offre au nouvel entrant consiste à offrir dès le début une fréquence élevée, que sa part de marché initiale ne justifie pas nécessairement, de manière à attirer des passagers (en particulier une clientèle d'affaires) qui exigent des fréquences élevées pour pouvoir organiser leur voyage avec un maximum de souplesse. Dans les deux cas de figure, le nouvel entrant devra supporter des frais de lancement plus élevés.
En l'espèce, British Midland ne pouvait pas raisonnablement affronter Aer Lingus en offrant un service à fréquence faible : elle se serait trouvée reléguée au rang de compagnie aérienne de moindre importance, sans espoir d'attirer l'importante clientèle d'affaires dont elle a besoin pour rentabiliser le service. Dans ces conditions, British Midland aurait peu de chances de devenir un concurrent fort et elle pourrait même être tentée de renoncer à son service vers Dublin pour faire un meilleur usage des créneaux dont elle dispose à Heathrow.
(29) Il est vrai que la stratégie d'Aer Lingus n'a pas entraîné, en l'occurrence, le retrait de British Midland de cette route et que British Midland a réussi à établir une fréquence raisonnable et à obtenir une part de marché importante. Il est également vrai que le refus d'interligne n'empêche pas complètement British Midland d'attirer une clientèle d'affaires : malgré le refus d'interligne opposé par Aer Lingus, les passagers de British Midland sur le service Dublin-Londres (Heathrow) peuvent néanmoins modifier leurs réservations compte tenu du nombre raisonnable de vols effectués par British Midland elle-même (et par British Airways jusqu'à son retrait de cette route) ; en outre, British Midland transporte certains passagers porteurs de billets émis par d'autres compagnies qu'Aer Lingus (par British Airways, jusqu'à ce que cette compagnie se soit retirée de cette route, et par d'autres - par exemple des compagnies aériennes de pays tiers qui transportent des passagers jusqu'à Londres, à partir d'où ils poursuivent leur voyage vers Dublin sur British Midland). Pourtant, si Aer Lingus avait continué d'accepter l'interligne, les coûts supportés par British Midland auraient été réduits, ses recettes auraient été plus élevées, ses services auraient été plus attrayants pour ses passagers et elle aurait été un concurrent plus fort et plus performant que ce n'est le cas actuellement.
Si British Midland a pu maintenir son service malgré le handicap qui lui a été imposé par Aer Lingus, c'est dû en premier lieu à sa volonté de réussir malgré des difficultés inhabituelles ; cela ne signifie pas que le refus n'a eu aucun effet sur la concurrence. Il ne fait aucun doute qu'au moment où il a été appliqué, le refus d'interligne était destiné à entraver le développement de la concurrence et était susceptible de le faire. La licéité du refus au moment où il est survenu ne peut dépendre de la question de savoir si le concurrent a voulu et a pu se maintenir ensuite sur la route malgré les désavantages qui lui ont été imposés.
(30) En conséquence, Aer Lingus a poursuivi une stratégie qui (même si elle n'est pas entièrement efficace) est à la fois sélective et exclusive et qui restreint le développement de la concurrence sur la route Londres (Heathrow)-Dublin.
Le refus d'interligne consiste, en l'espèce, essentiellement à imposer, contrairement à l'usage en vigueur dans l'industrie, un handicap important à un concurrent en augmentant ses frais et en le privant de recettes. Aer Lingus n'a pas pu faire valoir de gains en efficacité résultant du refus d'interligne ni invoquer aucune autre raison commerciale convaincante et légitime pour justifier son comportement. Ni son désir d'éviter une baisse de sa part de marché, ni le fait qu'il s'agit d'une route d'une importance vitale pour l'entreprise et que son résultat d'exploitation est menacé ne font de ce comportement une réaction légitime à l'entrée d'un concurrent sur le marché.
c) Effet sur les échanges entre les Etats membres
(31) Le refus d'interligne concerne des compagnies aériennes de deux Etats membres et a trait à un service de transport aérien d'une importance considérable entre ces Etats. Il affecte la possibilité pour les usagers de l'ensemble de la Communauté de bénéficier du système d'interligne et il empêche, dans toute la Communauté, les agences de voyages d'émettre des billets utilisant ce système. Les effets du refus d'interligne ne sont donc pas limités à un seul Etat membre, mais ils affectent les échanges entre les Etats membres.
d) Conclusion
(32) La Commission considère que le retrait par Aer Lingus du pouvoir accordé à British Midland :
i) d'émettre ou de délivrer des titres de transport valables entre Londres (Heathrow) et Dublin conformément aux conditions tarifaires d'Aer Lingus et aux autres conditions applicables prévues par la résolution 780 de l'IATA
et
ii) de modifier ses titres de transport conformément aux procédures généralement applicables prévues par la résolution 736 de l'IATA
constitue une infraction à l'article 86.
B. Article 85
(33) La Special Composite Meeting of Cargo and Passengers Tariffs Coordinating Conferences organisée par l'IATA les 7 et 8 février 1991 a réuni une cinquantaine de compagnies aériennes du monde entier, y compris Aer Lingus et les compagnies nationales de plus de dix autres Etats membres. A l'ordre du jour de la réunion figurait l'examen de l'évolution récente des coûts d'exploitation. La réunion avait pour objet de soumettre aux gouvernements un accord (concernant les nouveaux tarifs pour le transport de passagers et de marchandises) conclu sur la base de la situation la plus récente.
Cet échange d'informations sur les coûts des compagnies aériennes et sur les objectifs en matière de tarification, qui est organisé dans le but de définir une position commune sur les tarifs pour le transport de passagers et de marchandises, constitue sinon un accord, au moins une pratique concertée au moyen de laquelle les entreprises coordonnent leurs décisions en matière de fixation des prix. Les consultations tarifaires constituent donc une restriction de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1. Comme elles couvrent les transports aériens entre les Etats membres de la Communauté européenne, elles affectent également le commerce entre Etats membres. Les consultations tarifaires relèvent donc du champ d'application de l'article 85 paragraphe 1.
(34) Les transporteurs aériens ont néanmoins été autorisés à maintenir les consultations tarifaires aux conditions prévues à l'article 3 du règlement (CEE) n° 84-91 de la Commission (4) concernant les exemptions par catégorie, qui est entré en vigueur le 1er février 1991. Dans ce règlement, la Commission estimait que les consultations sur les tarifs pour le transport de passagers et de marchandises peuvent contribuer à l'acceptation généralisée des conditions d'interligne, au bénéfice aussi bien des transporteurs que des usagers.
Toutefois, les consultations ne doivent pas aller au-delà de l'objectif légitime qui consiste à faciliter l'interligne. En particulier, les transporteurs qui participent au mécanisme de consultation sont tenus de conclure des accords d'interligne avec tous les autres transporteurs concernés, conformément aux dispositions de l'article 3 paragraphe 1 points b) et d) du règlement.
Ces dispositions obligent les participants aux consultations sur les tarifs pour le transport de passagers et de marchandises à accepter l'interligne sur leur réseau communautaire avec tout autre transporteur qui effectue ou a demandé l'autorisation d'effectuer des services directs ou indirects sur les routes concernées par les consultations.
(35) Bien qu'étant présente à la consultation du début février 1991, Aer Lingus a déclaré au début de la réunion qu'elle ne participerait pas aux consultations concernant les routes de Dublin à Amsterdam, Londres et Paris (5). On peut supposer que cette déclaration était destinée à permettre à Aer Lingus de se soustraire à l'obligation d'interligne sur ces routes en excluant celles-ci de la discussion. D'autres transporteurs desservant ces lignes (en particulier Air France, British Airways et British Midland) n'ont cependant pas émis la même réserve et Aer Lingus ne s'est pas retirée physiquement de la réunion. Ces routes n'ont pas fait l'objet d'une discussion particulière à cette occasion, mais une discussion générale a eu lieu sur les tarifs, qui concernait ces routes au même titre que toutes les autres. Si Aer Lingus n'a pas exprimé de point de vue sur ces routes en particulier, elle a été informée des intentions de ses concurrents d'une manière générale et donc aussi en ce qui concerne ces routes. Si l'une des autres compagnies aériennes a fait des remarques portant spécifiquement sur ces routes, Aer Lingus a dû les entendre. Aer Lingus a participé à la discussion générale et a pris part au vote sur la question de savoir s'il convenait d'appliquer une augmentation de deux ou de trois pour cent sur les routes européennes. Les conclusions de la conférence sont donc applicables aux routes citées par Aer Lingus ; sa déclaration n'a eu aucune incidence effective sur l'identité de ceux qui étaient présents ou ont voté, ni sur le contenu ou sur l'issue des consultations. Les routes " exclues " par Aer Lingus étaient donc couvertes par les consultations.
(36) En outre, même en supposant que les routes de Dublin à Amsterdam, Londres et Paris étaient exclues des consultations auxquelles Aer Lingus a participé, cela n'aurait pas suffi pour permettre à cette compagnie de se soustraire à l'obligation d'interligne avec British Midland. La consultation tarifaire concernait les routes entre Dublin et certaines destinations desservies directement par Aer Lingus et indirectement par British Midland, soit avec un changement d'appareil à Londres (Heathrow) (par exemple Birmingham, East Midlands), soit avec un changement d'appareil et d'aéroport à Londres (par exemple les îles Anglo-Normandes, Bruxelles). En outre, British Midland a demandé l'autorisation de desservir certaines lignes au sujet desquelles Aer Lingus n'a pas émis de réserve, par exemple Londres (Heathrow) vers Bruxelles, Copenhague, Düsseldorf, Francfort, Malaga, Milan, Palma et Rome. Son service Dublin-Londres (Heathrow) permettrait à la compagnie d'offrir un service indirect de Dublin vers ces destinations.
(37) En conséquence, Aer Lingus n'a pas respecté les conditions précisées à l'article 3 paragraphe 1 points b) et d) du règlement (CEE) n° 84-91.
La Commission considère que le fait qu'Aer Lingus a participé à la consultation tarifaire des 7 et 8 février 1991 sans donner à British Midland pouvoir :
i) d'émettre ou de délivrer des titres de transport relatifs à son réseau communautaire conformément aux conditions tarifaires d'Aer Lingus ainsi qu'aux autres conditions applicables prévues par la résolution 780 de l'IATA
et
ii) de modifier ses titres de transport relatifs à son réseau communautaire conformément aux procédures généralement applicables prévues par la résolution 736 de l'IATA
constitue une infraction à l'article 85 paragraphe 1.
Aer Lingus n'a pas assisté aux consultations tarifaires suivantes, organisées du 2 au 11 septembre 1991, au cours desquelles ont été examinés les tarifs qui doivent entrer en vigueur le 1er avril 1992.
C. Article 12 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 3975-87 du Conseil (6)
(38) A la lumière des considérations énoncées ci-dessus, la Commission estime qu'il existe des raisons de considérer qu'Aer Lingus a enfreint l'article 85 paragraphe 1 et l'article 86.
(39) En vertu de l'article 12 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 3975-87, la Commission peut infliger des amendes d'un montant de mille à un million d'écus, ce dernier montant pouvant être majoré sans qu'il puisse pour autant dépasser 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par les entreprises ayant participé à l'infraction lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles contreviennent à l'article 85 paragraphe 1 ou à l'article 86 du traité. Pour déterminer le montant de l'amende, il est tenu compte de la gravité et de la durée de l'infraction.
(40) La Commission considère qu'Aer Lingus a enfreint l'article 85 paragraphe 1 en participant à une consultation tarifaire sans respecter les conditions imposées par le règlement (CEE) n° 84-91.
Cette infraction a eu lieu les 7 et 8 février 1991 et ses effets persistent au moins jusqu'à l'entrée en vigueur des tarifs examinés lors des consultations tarifaires suivantes, c'est-à-dire jusqu'au 1er avril 1992.
(41) La Commission considère qu'Aer Lingus a enfreint l'article 86 en retirant à British Midland le pouvoir :
i) d'émettre ou de délivrer des titres de transport relatifs au service entre Dublin et Londres (Heathrow) conformément aux conditions tarifaires d'Aer Lingus et aux autres dispositions applicables prévues par la résolution 780 de l'IATA
et
ii) de modifier ses titres de transport conformément aux procédures généralement applicables prévues par la résolution 736 de l'IATA.
Cette infraction dure depuis le 7 avril 1989.
(42) La Commission considère que la décision d'infliger une amende à Aer Lingus se justifie en ce qui concerne l'infraction à l'article 86. Etant donné que le règlement (CEE) n° 84-91 venait d'entrer en vigueur lorsque l'infraction à l'article 85 a été commise, la Commission considère qu'il n'y a pas lieu d'infliger une amende au titre de l'infraction parallèle à l'article 85.
Pour déterminer le montant de l'amende, elle tient compte du fait que le comportement d'Aer Lingus vise à influencer la structure de la concurrence en pénalisant un concurrent qui entre sur un marché important et que l'infraction a donc un caractère particulièrement grave. La Commission considère également que le comportement d'Aer Lingus n'a pas réussi à éliminer British Midland en tant que concurrent sur la route Londres (Heathrow)-Dublin, bien qu'il ne fasse aucun doute que British Midland exploite ce service avec beaucoup moins de succès que si Aer Lingus avait continué de lui accorder l'interligne.
D. Article 4 du règlement (CEE) n° 3975-87
(43) Le refus d'interligne opposé jusqu'à présent par Aer Lingus a privé British Midland de la possibilité de concourir sur un pied d'égalité avec Aer Lingus sans souffrir d'un handicap important. C'est pourquoi la Commission exige qu'Aer Lingus mette fin au refus d'interligne et ordonne à Aer Lingus d'accorder à British Midland le pouvoir d'interligne dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision.
Aer Lingus n'est pas seulement tenue de conclure un accord donnant à British Midland la possibilité d'appliquer l'interligne sur la route Londres (Heathrow)-Dublin, mais aussi de s'abstenir de tout comportement (consistant par exemple à refuser des réservations ou des confirmations qu'elle accepterait normalement d'autres partenaires d'interligne) qui ferait obstacle à la mise en œuvre normale de cet accord.
(44) La Commission admet cependant qu'Aer Lingus n'est pas obligée d'appliquer l'interligne de façon permanente avec British Midland sur cette route. Si une compagnie aérienne dominante a pu établir une fréquence élevée, cela constitue un avantage concurrentiel qu'elle ne doit pas nécessairement partager avec ses rivales. En outre, il ne faut pas que les nouveaux entrants puissent s'appuyer éternellement sur les fréquences et les réseaux de leurs concurrents, mais il convient de les encourager à établir eux-mêmes des réseaux d'envergure et des fréquences élevées et à acquérir une surface propre à susciter un intérêt suffisant de la part des agences de voyage et des usagers. C'est pourquoi la Commission considère que l'obligation d'interligne peut être limitée au laps de temps qui est nécessaire pour permettre à British Midland de développer son service sans pâtir d'un handicap injustifié qui lui est imposé par son concurrent dominant contrairement aux pratiques normales de l'industrie et de ce concurrent.
En l'espèce, plusieurs obstacles rendent difficile l'établissement de British Midland sur cette route. Aer Lingus jouit d'une puissance commerciale considérable dans son propre pays et elle détient une part des passagers et des fréquences très élevée par rapport à celle de British Midland. Compte tenu de la rareté des créneaux disponibles à Heathrow, British Midland ne pourrait augmenter rapidement la fréquence de son service vers Dublin sans réduire la fréquence de certains de ses autres services. Si British Midland veut obtenir une position comparable à celle d'Aer Lingus et exploiter aussi un service à très haute fréquence entre Londres (Heathrow) et Dublin, il lui faudrait assez de temps pour acquérir la puissance commerciale nécessaire et proposer un horaire adéquat. La Commission considère par conséquent que l'obligation à laquelle Aer Lingus était soumise en 1989 fait qu'il est raisonnable maintenant, à la lumière des faits qui se sont produits, d'imposer une obligation d'interligne pour une période de deux ans.
Si les conditions du marché se modifient sensiblement au cours de cette période, la Commission reconsidérera son ordonnance. A la lumière des conditions du marché qui prévaudront à l'expiration de cette période, des efforts accomplis par British Midland pour s'établir et des obstacles auxquels cette compagnie se sera heurtée, la Commission examinera s'il y a lieu de prolonger cette obligation,
A ARRETE LA PRESENTE DECISION :
Article premier
1. Aer Lingus plc a enfreint les dispositions de l'article 86 du traité CEE en retirant, le 7 mai 1989, à British Midland le pouvoir :
i) d'émettre ou de délivrer des titres de transport valables entre Dublin et Londres (Heathrow) conformément aux conditions tarifaires d'Aer Lingus et aux autres conditions applicables prévues par la résolution 780 de l'IATA
et
ii) de modifier ses titres de transport conformément aux procédures généralement applicables prévues par la résolution 736 de l'IATA.
2. Aer Lingus plc a enfreint les dispositions de l'article 85 du traité CEE en participant à une consultation tarifaire les 7 et 8 février 1991 sans accorder à British Midland pouvoir :
i) d'émettre ou de délivrer des titres de transport relatifs à son réseau communautaire conformément aux conditions tarifaires d'Aer Lingus et aux autres conditions applicables prévues par la résolution 780 de l'IATA
et
ii) de modifier ses titres de transport relatifs à son réseau communautaire conformément aux procédures généralement applicables prévues par la résolution 736 de l'IATA.
Article 2
Aer Lingus plc est tenue de mettre fin à l'infraction constatée à l'article 1er paragraphe 1 dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision et d'accorder, pour une période de deux ans à compter de cette date, à British Midland Airways Limited pouvoir :
i) d'émettre ou de délivrer des titres de transport valables entre Dublin et Londres (Heathrow) conformément à ses propres conditions tarifaires et aux autres conditions applicables prévues par la résolution 780 de l'IATA
et
ii) de modifier ses titres de transport conformément aux procédures généralement applicables prévues par la résolution 736 de l'IATA.
Aer Lingus est tenue d'informer la Commission de toute mesure prise en vue de se conformer à cette obligation.
Article 3
Pour les infractions constatées à l'article 1er paragraphe 1, Aer Lingus plc se voit infliger par la présente une amende de 750 000 écus.
L'amende doit être payée dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision au compte n° 310-0933000-43 auprès de la Banque Bruxelles Lambert, agence européenne, rond-point Schuman 5, B-1040 Bruxelles.
Le montant de cette amende porte intérêt de plein droit à compter de l'expiration du délai précité, au taux appliqué par le Fonds européen de coopération monétaire à ses opérations en écus le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de trois points et demi, soit 13,75 %.
Si le paiement est effectué dans la monnaie nationale de l'Etat membre où est établie la banque désignée pour le paiement, le taux de change applicable est celui en vigueur la veille du paiement.
Article 4
Aer Lingus plc, aéroport de Dublin, Dublin, Irlande, est destinataire de la présente décision.
La présente décision forme titre exécutoire conformément à l'article 192 du traité CEE.
(1) JO n° L 374 du 31. 12. 1987, p. 1.
(2) JO n° L 376 du 31. 12. 1988, p. 10.
(3) Quelque 10 à 20 % des passagers transportés continuent au-delà de Londres ou Dublin. Le fait d'exclure ces passagers en transit pour isoler les véritables passagers " origine/destination " ne modifierait pas sensiblement les parts respectives des compagnies aériennes.
(4) JO n° L 10 du 15. 1. 1991, p. 14.
(5) Cette déclaration a été suivie d'une déclaration d'un représentant de la Commission expliquant les conditions imposées par le règlement (CEE) n° 84-91 et confirmant que les transporteurs qui ne souhaitent pas accepter l'obligation d'interligne ne devraient pas être présents aux consultations.
(6) JO n° L 374 du 31. 12. 1987, p. 1.