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Décisions

CJCE, 4 février 1992, n° C-294/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

British Aerospace Public Limited Company, Rover Group Holdings (plc)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Gordon Slynn, Joliet, Schockweiler, Grévisse, Kapteyn

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias, Diez de Velasco, Zuleeg, Murray

Avocats :

Mes Lever, Lasok.

Comm. CE, du 17 juill. 1990

17 juillet 1990

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 septembre 1990, British Aerospace Public Limited Company (ci-après "BAe ") et Rover Group Holdings plc (ci-après "RG ") ont, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation partielle d'une décision de la Commission du 17 juillet 1990 (JO 1991, C 21, p. 2), dans la mesure où elle exige du Royaume-Uni la récupération d'une somme de 44,4 millions de UKL, considérée comme constituant une aide d'État.

2 Dans les considérants de la décision litigieuse, la Commission fait état d'une décision antérieure 89-58-CEE, du 13 juillet 1988, concernant les aides accordées par le gouvernement du Royaume-Uni au groupe Rover, entreprise produisant des véhicules automobiles (JO L 25, p. 92). Par cette décision, la Commission a autorisé une aide sous la forme d'un apport en capital destiné à résorber certaines dettes du groupe RG, dans le cadre de son acquisition par BAe, à la condition, entre autres,

- que le gouvernement du Royaume-Uni ne modifie pas les conditions de vente envisagées et, en particulier, celles prévoyant que le prix d'acquisition payé par BAe sera de 150 millions de UKL et que BAe supportera tous les coûts de restructuration futurs;

- que le gouvernement s'abstienne d'accorder à RG toute aide supplémentaire sous la forme d'apport en capital ou toute autre forme d'aide dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, à l'exception d'une aide régionale limitée.

3 A la suite de la publication, en novembre 1989, d'un rapport et d'un mémorandum secret du Controller and Auditor General of the United Kingdom National Audit Office, la Commission a constaté que le gouvernement du Royaume-Uni avait concédé à BAe et RG certains avantages financiers qui n'étaient pas visés par la décision 89-58.

4 Estimant que ces concessions supplémentaires constituaient des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité et qu'elles étaient incompatibles avec le Marché commun, étant donné qu'elles avaient été accordées en violation de l'article 1er de la décision 89-58, la Commission a adopté l'acte attaqué par lequel elle a décidé "que l'aide supplémentaire de 44,4 millions de UKL accordée dans le contexte de la cession de RG à BAe constitue une aide illégale qui a été payée en violation de la décision 89-58-CEE et que vos autorités (les autorités britanniques) sont invitées à procéder à sa récupération auprès des bénéficiaires (c'est-à-dire le paiement de 9,5 millions de UKL destiné à couvrir le coût d'acquisition des parts détenues par les actionnaires minoritaires et l'avantage de 33,4 millions de UKL dont a bénéficié BAe du fait du report de paiement du prix de vente), et 1,5 million de UKL auprès de RG (qu'il a obtenu afin de couvrir les coûts de consultation externe liés à la vente)".

5 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

6 Les parties requérantes invoquent la violation des dispositions des articles 92 et 93 du traité, l'existence d'une erreur dans le calcul de la somme à recouvrer, le non-respect du principe de proportionnalité, ainsi que l'absence d'une motivation suffisante.

7 En premier lieu, les parties requérantes font valoir que, si la Commission considérait que les avantages accordés à BAe et à RG constituaient des aides d'État incompatibles avec le Marché commun, elle aurait dû ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité et mettre ainsi les intéressées en mesure de présenter leurs observations. La Commission ne saurait dénier à la décision litigieuse un caractère autonome par rapport à la décision 89-58, étant donné qu'elle qualifie les avantages litigieux d'aides d'État, qu'elle constate leur incompatibilité avec le Marché commun, qu'elle procède à une évaluation de leur montant et qu'elle en ordonne la récupération.

8 La Commission se défend en faisant valoir que la décision litigieuse ne revêt aucun caractère autonome par rapport à la décision 89-58, précitée, qui aurait fixé un ensemble de conditions auxquelles était soumise l'approbation des aides communiquées à l'époque par le Royaume-Uni et que cette décision était directement exécutoire.

9 Pour examiner le bien-fondé de ce moyen, il convient de rappeler le régime établi par l'article 93, paragraphe 2, du traité et les pouvoirs dont la Commission est investie en vertu de cette disposition.

10 A cet égard, il y a lieu de relever que l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, confère à la Commission la responsabilité de mettre en œuvre, sous le contrôle de la Cour, une procédure spéciale organisant l'examen permanent et le contrôle des aides que les États membres ont l'intention d'instituer(voir arrêt du 14 février 1990, France/Commission, C-301-87, Rec. p. I-307). La reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le Marché commun ne peut intervenir qu'à l'issue de cette procédure, au cours de laquelle la Commission a notamment l'obligation de mettre les intéressés en demeure de présenter leurs observations.

11 Si l'État ne se conforme pas à une décision de la Commission constatant l'incompatibilité des aides projetées ou ne respecte pas les conditions auxquelles la Commission a soumis une décision d'approbation de ces aides, celle-ci peut, au titre de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, saisir directement la Cour de justice par dérogation aux articles 169 et 170 du traité.

12 Il résulte des développements qui précèdent que, dans l'hypothèse où elle considérait que le gouvernement du Royaume-Uni n'avait pas respecté certaines conditions auxquelles était soumise la décision 89-58, la Commission aurait dû, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, saisir directement la Cour d'un recours introduit contre le Royaume-Uni.

13 Dans l'hypothèse où elle estimait que le gouvernement du Royaume-Uni avait procédé au versement de nouvelles aides qui n'avaient pas fait l'objet d'un examen au cours de la procédure ayant abouti à la décision 89-58, la Commission avait l'obligation d'ouvrir la procédure spéciale prévue à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, et de mettre les intéressés en demeure de présenter leurs observations.

14 Il est vrai que la Cour a jugé dans l'arrêt du 3 octobre 1991, Italie/Commission, point 20 (C-261-89, Rec. p. I-0000), que, lorsque la Commission examine, dans une telle situation, la compatibilité d'une aide d'État avec le Marché commun, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant, le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure, ainsi que les obligations que cette décision antérieure a pu imposer à un État membre. Toutefois, un tel examen doit se faire dans le respect des procédures prévues par le traité.

15 Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, il y a lieu d'annuler la décision de la Commission du 17 juillet 1990, dans la mesure où elle exige du Royaume-Uni la récupération d'une somme de 44,4 millions de UKL, considérée comme constituant une aide d'État.

Sur les dépens

16 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR déclare et arrête:

1) La décision de la Commission du 17 juillet 1990 est annulée dans la mesure où elle exige du Royaume-Uni la récupération d'une somme de 44,4 millions de UKL, considérée comme constituant une aide d'État.

2) La Commission est condamnée aux dépens.