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Décisions

TPICE, 1re ch., 24 janvier 1992, n° T-44/90

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Cinq (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Union européenne de radiodiffusion

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Schintgen, Edward, Kirschner, Lenaerts

Avocat :

Me Parléani.

Comm. CE, du 14 août 1990

14 août 1990

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (première chambre),

LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS

1 Le présent recours est dirigé contre une décision de la Commission, du 14 août 1990, rejetant une demande de mesures provisoires présentées par la requérante dans le cadre des plaintes dont elle a saisi la Commission, en mettant en cause, au regard des articles 85 et 86 du traité CEE, les agissements de l'Union européenne de radiodiffusion (ci-après "UER").

2 La Cinq SA (ci-après "La Cinq") est une société de droit français constituée en 1987, qui a été autorisée par les autorités françaises compétentes à exploiter en France pour une période de dix années - jusqu'au 1er mars 1997 - un service de télévision privée diffusé en clair par voie hertzienne terrestre.

3 L'UER est une association professionnelle sans but commercial d'organismes de radiodiffusion, créée en 1950, ayant son siège social à Genève. Conformément à l'article 2 de ses statuts, l'UER a pour objet de promouvoir la coopération entre ses membres et avec les organismes de radiodiffusion du monde entier et de représenter les intérêts de ses membres en ce qui concerne les programmes, ainsi que les domaines juridiques, technique et autres. Elle comporte 39 membres actifs dans 32 pays situés dans la zone européenne de radiodiffusion.

4 A l'époque de la création de l'UER, les prestations de services de radiodiffusion et de télévision étaient assurées en Europe presque exclusivement par des organismes relevant du secteur publique ou chargés d'un service publique et bénéficiant souvent d'un monopole. Pendant la deuxième moitié des années 80 - qui ont été marquées par le développement des entreprises de radiodiffusion et de télévision à dominante commerciale - l'UER a admis en son sein des organismes de télévision privés, comme les sociétés françaises Canal Plus et TF1, laquelle a garde sa qualité de membre actif après sa privatisation intervenue en 1986. Pendant cette même période, à la suite d'importants développements de la technique dans la secteur de l'audiovisuel, celui-ci a perdu sa relative homogénéité initiale, de nouveaux types d'opérateurs à caractère national, régional ou transfrontalier, parfois spécialisés dans certains genres de programmes (culturels, sportifs, musicaux) ou financés par souscription à un abonnement (télévision "à péage"), ayant fait leur apparition sur le marché en vue d'exploiter la distribution de programmes de télévision par câble et par satellite.

5 Les statuts de l'UER ont été modifiés en 1988, afin d'insister, selon l'UER elle-même, "sur l'obligation pour les membres d'accomplir une mission particulière d'intérêt public, à laquelle ils sont soumis par leur législation et/ou par la pratique nationale et qui les caractérise comme étant un groupe particulier de radiodiffusion ayant des obligations et des intérêts communs". Pour tenir compte des droits acquis par les anciens membres, les statuts de l'UER, tels que modifiés, précisent dans leur article 21 que l'article 3, paragraphe 2, dans sa nouvelle rédaction, ne portera pas atteinte au statut des organismes qui, au moment de son entrée en vigueur - 1er mars 1988 -, ont déjà la qualité de membres actifs mais qui ne remplissent plus désormais toutes les conditions stipulées audit paragraphe.

6 La nouvelle version de l'article 3 des statuts de l'UER, pour autant qu'elle est pertinente pour la solution du présent litige, se lit comme suit :

"paragraphe 1. Les membres de l'UER sont répartis en deux catégories :

a) membres actifs;

b) membres associés.

Paragraphe 2. Peuvent être membres actifs de l'UER les organismes de radiodiffusion ou des groupement de tels organismes d'un pays membre de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT) situé dans la zone européenne de radiodiffusion annexé à la Convention internationale des télécommunications, qui assurent dans ce pays, avec l'autorisation des autorités compétentes, un service de radiodiffusion d'importance et de caractère nationaux et qui, en outre, donnent la preuve qu'ils remplissent toutes les conditions mentionnées ci-après :

a) ils ont pour obligation de desservir la totalité des habitants de leur pays, et en desservant effectivement déjà au moins une partie substantielle, tout en faisant tout leur possible pour en achever en temps utile la desserte totale;

b) ils ont l'obligation d'assurer, et assurent effectivement, une programmation diversifiée et équilibrée, destinée à toutes les couches de la population, incluant une proportion équitable de programmes répondant aux intérêt particuliers/minoritaires des différentes catégories du public, indépendamment du rapport entre le coût et les indices d'écoute des émissions;

c) ils produisent effectivement et/ou font produire sous leur propre contrôle du contenu une partie substantielle des émissions diffusées.

...

Paragraphe 6. Les membres associés et les non-membres de l'UER peuvent bénéficier d'un accès contractuel à l'Eurovision. L'accès sera attribué ou retiré par décision du Conseil d'administration."

7 L'Eurovision constitue le cadre principal des échanges de programmes entre les membres actifs de l'UER. Elle existe depuis 1954 et constitue une partie essentielle des objectifs de l'UER. Sa fonction est décrite à l'article 3, paragraphe 5, des statuts comme suit :

"L'Eurovision est fondée sur l'engagement des membres de s'offrir mutuellement, à charge de réciprocité, leur couverture des nouvelles importantes, ainsi que leurs reportages d'actualités et leur couverture des événements sportifs et culturels se déroulant sur leur territoire national, dans la mesure où ils peuvent intéresser les autres membres de l'Eurovision."

8 Jusqu'en 1987, le bénéfice des services de l'UER était exclusivement réservé à ses membres. Le paragraphe 6 de l'article 3 des statuts, ajouté lors de le révision de 1988, a prévu un accès contractuel à l'Eurovision dont pourraient bénéficier les membres associés et les non-membres de l'UER. Cet accès contractuel ou de sous-traitance au système d'échanges de programmes Eurovision permet aux non-membres de compléter leurs propres programmes (notamment sportifs et de nouvelles) dans la mesure où ils n'ont pas acquis eux-mêmes les droits de retransmission sur le marché. Selon le principe dit "de l'embargo", les non-membres n'obtiennent, en principe, que le droit à la retransmission en différé.

9 Le 3 avril 1989, l'UER a notifié à la Commission les règles qui régissent l'acquisition des droits de télévision des manifestations sportives, l'échange d'émissions sportives dans le cadre de l'Eurovision et l'accès contractuel des tiers à ces émissions et a sollicité, en même temps, une attestation négative ou, à défaut, une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE. Par communication faite conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 du conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), la Commission a publié l'essentiel du contenu de cette notification au JO 1990, C 251, p. 2, et a annoncé son intention de prendre une décision favorable à son égard. A l'audience, la Commission a toutefois informé le Tribunal que, s'étant rendu compte que les règles notifiées soulevaient plusieurs problèmes dans leur application pratique, elle avait envoyé, par la suite, une communication de griefs à l'UER.

10 il résulte du dossier que la requérante a présenté plusieurs fois depuis sa création (une fois en 1987, en 1988 et en 1990 et deux fois en 1989) des demandes d'admission à l'UER soit directement, soit à travers l'Organisme français de radiodiffusion et de télévision (ci-après "OFRT"), membre de l'UER, au sein duquel la requérante a été admise en 1987. La dernière demande d'admission, présentée directement à l'UER par la requérante en février 1990, a été rejetée par décision notifiée le 1er juin 1990.

11 C'est dans ces conditions que la requérante a déposé auprès de la commission, le 28 juillet 1989, une première plainte dans laquelle, après avoir rappelé les refus successifs qui avaient été opposés à son admission comme membre de l'UER, elle faisait valoir qu'elle était victime d'une, discrimination de la part de celle-ci, dans la mesure où seul accès contractuel indirect à ses services, notamment au réseau de l'Eurovision, lui était ouvert, et ce au plus à des conditions très désavantageuses. La requérante estimait que les pratiques qu'elle reprochait à l'UER pouvaient être qualifiées d'entente au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE ou d'exploitation abusive d'une position dominante, au sens de l'article 86 du traité. Elle demandait, à titre principal, à la Commission de constater l'existence de pratiques anticoncurrentielles incompatibles avec le Marché commun imputable à l'UER ou à ses membres, d'en tirer les conséquences de droit afin de les faire cesser et, à cet effet, d'enjoindre à l'UER d'intégrer La Cinq en son sein. A titre de mesures provisoires, justifiées par le préjudice résultant des restrictions auxquelles elle était confrontée dans l'accès aux marchés des images sportives et d'actualités et des effets de des restrictions sur le marché de la publicité télévisée, la requérante demandait à la Commission de constater qu'en dépit des dispositions de l'article 3 des statuts de l'UER, qui lui donnaient le droit de devenir membre actif de cette association, les organes de cette dernière avaient opposé un refus discrétionnaire et surtout discriminatoire à sa demande d'adhésion et, en conséquence, de leur enjoindre de se prononcer à nouveau, dans un délai à fixer, sur la demande d'adhésion de La Cinq ou, à tout le moins, d'assurer à la société plaignante une situation identique à celle qui serait la sienne si elle était reconnue comme membre actif.

12 Le 9 avril 1990, faisant suite à une demande qui lui avait été adressée par M. Overbury, directeur à la direction générale IV "Concurrence", la requérante a envoyé à la Commission une lettre dans laquelle elle faisait l'historique de ses rapports avec l'UER et rappelait la nécessité pour toute chaîne généraliste, comme la Cinq, d'être membre actif de l'UER afin de trouver en situation concurrentielle sur le marché pour deux catégories d'images en particulier : les actualités et le sport. Dans sa lettre, la requérante attirait l'attention sur la domination que l'UER exerçait sur les marchés de ces deux catégories d'images et s'efforçait de démontre qu'elle satisfaisait à toutes les conditions statutaires pour devenir membre actif de cette association, tout en soulignant, d'une part, la situation de discrimination dans laquelle elle se trouvait du fait du refus de l'UER de l'admettre en son sein et, d'autre part, le caractère d'"alibi" que constituait l'accès contractuel qui lui était réservé.

13 A la suite du dernier refus d'admission qui lui a été opposé par l'UER, la requérante a déposé auprès de la commission, le 12 juillet 1990, une "réitération de plainte avec demande de mesures conservatoires", dans laquelle elle se référait aux termes de sa plainte antérieure et demandait à nouveau, compte tenu de l'urgence et de l'imminence d'un préjudice irréparable, que soient prises des mesures conservatoires comportant une double injonction à l'encontre de l'UER et consistant, d'une part, à lui accorder, dans l'attente de l'issue définitive du contentieux, un "accès suffisant" pour préserver la concurrence à l'égard de l'ensemble des retransmissions des événements sportifs offerts en Eurovision et, d'autre part, à procéder sans délai, au sein d'une assemblée générale extraordinaire, à un débat complet et loyal sur sa candidature.

14 Dans la décision attaquée du 14 août 1990, la commission a rejeté la demande de mesures conservatoires, au motif que les conditions nécessaires pour leur octroi n'étaient pas réunies. Selon la Commission, l'existence a priori d'une infraction claire et flagrante aux articles 85 et 86 du traité CEE ne ressortirait pas d'un premier examen sommaire des faits, et aucun dommage irréparable pour La Cinq, du fait de la non-intervention de la Commission, ne paraîtrait probable, d'autant plus que La Cinq bénéficierait d'un accès contractuel aux images de l'UER et pourrait donc diffuser un nombre considérable d'événements sportifs majeurs; compte tenu de cette même circonstance, il n'y aurait non plus, l'avis de la Commission, aucune urgence particulière justifiant l'adoption des mesures sollicitées.

La procédure

15 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 12 octobre 1990, La Cinq a introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE le présent recours visant à l'annulation de la décision de la Commission du 14 août 1990 (IV/33.249 La Cinq SA/UER).

16 A la suite d'une réunion informelle avec les parties qui a eu lieu le 31 janvier 1991, sur convocation du Tribunal, la requérante a renoncé, par lettre du 11 février 1991, à présenter sa réplique.

17 L'UER a été admise à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse par ordonnance du Tribunal (première chambre) du 31 janvier 1991. Les observations de la partie intervenante ont été déposées au greffe le 13 mars 1991.

18 Par lettre du 8 avril 1991, la Commission a présenté ses observations écrites sur les mémoire en intervention de l'UER. La requérante a aussi présenté, le 15 avril 1991, des observations sur le mémoire déposé par la partie intervenante.

19 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables et a invité la partie requérante à fournir, pour l'audience, des éléments précis établissant le préjudice grave et irréparable qu'elle allègue. Par mémoire déposé au greffe le 27 juin 1991, la requérante a répondu aux questions qui lui avaient été posées par le Tribunal.

20 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience du 2 juillet 1991. Le président a prononcé la clôture de la procédure orale à l'issue de l'audience.

21 Dans son recours, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision de la Commission du 14 août 1990;

- renvoyer l'examen de la demande de mesures conservatoires à la Commission;

- condamner la Commission aux dépens.

22 La Commission, pour sa part, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme fondé;

- condamner la requérante aux dépens.

23 L'union européenne de radiodiffusion conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé;

- condamner la requérante aux dépens, y compris les dépens de la partie intervenante.

Sur le fond

24 A l'appui de ses conclusions en annulation, la requérante invoque en substance deux moyens. Selon la requérante, la décision litigieuse serait, d'une part, insuffisamment motivée et, d'autre part, entachée d'erreur manifeste de fait et de droit. Ces moyens sont invoqués à l'encontre des constatations de la Commission relatives aux différentes conditions que la défenderesse a considérées comme nécessaires pour pouvoir exercer la compétence qui lui est reconnue en vue de l'octroi de mesures provisoires.

25 Le tribunal relève, a cet égard, que la Commission, dans sa décision, a considéré que "les conditions nécessaire pour l'octroi de mesures provisoires dans une affaire comme la présente sont :

- la constatation d'une infraction par des éléments suffisamment clairs pour démontrer l'existence vraisemblable d'une infraction;

- la probabilité d'un dommage grave et irréparable pour le demandeur en l'absence d'intervention de la Commission;

- une urgence qui soit établie."

26 Dans ces circonstances, le Tribunal considère qu'avant d'examiner les moyens et les arguments des parties, il convient de préciser les conditions qui, selon la jurisprudence de la Cour, doivent être réunies pour que la Commission puisse exercer sa compétence pour octroyer des mesures provisoires dans le cadre de l'application des règles de concurrence du traité.

27 Le Tribunal rappelle, tout d'abord, que la compétence de la Commission dans ce domaine a été reconnu par la Cour dans son ordonnance du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission (792-79-R, Rec. p. 119), selon laquelle il appartient à la Commission, dans l'exercice du contrôle que lui confient, en matière de concurrence, le traité et le règlement n° 17, de décider en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, s'il y a lieu de prendre des mesures provisoires lorsqu'elle est saisi d'une demande à cet effet.

28 Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour (ordonnance Camera Care, précitée, points 14 et 18, et ordonnance du président de la Cour du 29 septembre 1982, Ford/Commission, 228 et 229-82-R, Rec. p.3091, point 13) que des mesures conservatoires ne sauraient être octroyées que lorsque les pratiques de certaines entreprises sont, à première vue de nature à constituer une violation des règles communautaires de concurrences susceptibles d'être sanctionnée par une décision de la Commission.Il faut en outre que de telles mesures ne soient prises qu'en prises qu'en cas d'urgence établie, en vue de parer à une situation de nature à cause un préjudice grave et irréparable à la partie qui les sollicite, ou intolérable pour l'intérêt général.

29 Il découle de ce qui précède que la condition relative à l'urgence, que la Commission a considéré, dans la décision litigieuse, comme une troisième condition pour l'octroi de mesures provisoires, n'est en réalité qu'un aspect de la condition relative au risque d'un préjudice grave et irréparable.

30 Il y a lieu d'observer en outre que, les deux conditions pour l'octroi de mesures provisoires étant cumulatives, il suffisait qu'une seule de ces conditions fasse défaut en l'espèce pour que la Commission se voit empêchée d'exercer sa compétence en la matière.

31 Le Tribunal relève afin qu'en l'espèce la Commission a basé son refus d'octroyer des mesures provisoires sur la considération qu'aucune des conditions auxquelles est subordonné l'exercice de sa compétence ne se trouvait remplie.

32 Afin de vérifier le bien-fondé des conclusions de la Commission, il incombe au Tribunal d'examiner les différents moyens et arguments invoqués par la requérante à l'encontre des constatations de la Commission sur chacune des deux conditions nécessaires pour l'octroi de mesures provisoires telles que le Tribunal vient de les définir, à savoir l'existence vraisemblable d'une infraction et la probabilité d'un dommage grave et irréparable établissant l'urgence de l'adoption de telles mesures.

A) Quant à la condition relative à l'existence vraisemblable d'une infraction

33 La requérante conteste la constatation de la Commission selon laquelle la condition relative à l'existence vraisemblable d'une infraction ne serait pas remplie en l'espèce. A cet égard, la décision litigieuse serait insuffisamment motivée et entachée d'erreur manifeste de fait et de droit.

Sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation

34 Selon la requérante, la Commission aurait gardé un silence absolu sur les arguments et les éléments de fait les plus décisifs qu'elle avait développés dans sa plainte. Concrètement, de l'avis la requérante, la décision attaquée, en ne traitant que de la seule question de savoir si La Cinq satisfait ou non aux conditions posées par l'article 3, paragraphe 2, des statuts de l'UER, esquiverait l'objet même de la plainte et la principale raison d'être de la demande de masures conservatoires, a savoir la discrimination manifeste dont la requérante serait victime par rapport à certaines de ses concurrences privées, notamment Canal Plus et TF 1, membres de plein droit de l'UER. En effet, Canal Plus, qui offre un service de télévision à péage, ne pourrait avoir, ne serait-ce que pour cette seule raison, l'obligation de "desservir la totalité des habitants d'un pays" et, de surcroît, ses programmes seraient déséquilibrés puisque centrés sur le cinéma; quant à TF 1, sa programmation aurait fait l'objet de la part du Conseil supérieur de l'audiovisuel français (ci-après "CSA") des mêmes critiques que celles qui ont visé la programmation de la requérante.

35 La requérante rappelle, dans ce contexte, la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle la Commission n'est pas obligée de répondre à toute l'argumentation développée par une partie, à condition qu'elle donne dans sa décision une motivation suffisante (arrêt du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142 et 156-84, Rec. p. 4487), pertinente, c'est à dire adaptée à l'ensemble de la situation de fait et de droit qui lui est soumise, et permettant à la Cour d'exercer son contrôle (arrêt du 4 juillet 1963, RFA/Commission, 24-62, Rec. p. 131, arrêt du 11 juillet 1985, Remia/Commission, 42-84, Rec. p. 2545). Or, selon la requérante, on ne trouve dans la décision litigieuse aucune allusion à l'argumentation centrale de la requérante concernant la discrimination grave et manifeste dont elle serait victime, ni à l'existence d'éléments de fait susceptibles d'infirmer ses allégations à cet égard. L'insuffisance de motivation serait dès lors patente et établie en droit.

36 La requérante relève également, dans ses observations sur le mémoire déposé par la partie intervenante, que ce mémoire, ainsi que le mémoire en défense de la Commission, tendent en réalité à "rectifier" a posteriori la motivation de la décision du 14 août 1990, apportant de la sorte au Tribunal, non seulement la preuve de ce que cette motivation était fragile et partielle, mais encore de ce qu'elle était manifestement insuffisante pour permettre au Tribunal d'exercer son contrôle juridictionnel.

37 En réponse au moyen tiré de l'insuffisance de motivation, la Commission commence par souligner la contradiction qui existerait entre l'insistance avec laquelle La Cinq a présenté sa candidature à l'UER le fait de qualifier la question des conditions d'adhésion de "secondaire et périphérique" par rapport à la question de la discrimination.

38 La Commission considère par ailleurs qu'il s'agit là, en réalité, de deux griefs étroitement liés, puisque la discrimination alléguée trouverait son origine dans le refus de l'UER d'admettre La Cinq en son sein, alors que d'autre chaîne ne rempliraient pas les conditions prévues par les statues de l'UER auraient été admises en tant que membres actifs.

39 La Commission fait valoir ensuite que, s'agissant en l'espèce d'une procédure d'urgence, il lui suffisait de montre, par une argumentation motivée, que l'un des éléments cumulatifs pour l'adoption des mesures provisoires (par exemple, le dommage irréparable) faisait défaut. toutefois, bien qu'elle n'ait pas, à son avis, été tenue à une telle obligation, elle aurait également procédé à l'analyse d'un des deux éléments susceptibles d'être considérés comme constitutifs d'une infraction prima facie, c'est-à-dire la question de savoir si la Cinq remplissait ou non les conditions d'adhésion à l'UER, sans que cela signifie pour autant qu'elle ait omis de se penser sur l'aspect "discrimination". Ce dernier aspect serait, au demeurant, suffisamment complexe pour mériter un examen plus approfondi que celui qui peut avoir lieu dans le cadre d'une procédure d'urgence.

40 Au vu des arguments développés par les parties sur ce premier moyen, il appartient au Tribunal, pour exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée, de vérifier si la Commission a respecté l'obligation, que lui impose l'article 190 du traité CEE, de motiver sa décision de rejet d'une demande de mesures provisoires.

41 Ainsi que la Cour l'a jugé à plusieurs reprises (arrêts du 14 juillet 1972, Cassella/Commission, 55-69, Rec. p. 887, et Hoechst/Commission, 56-69, Rec. p. 927, et du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43 et 63-82, Rec. p. 19), la Commission n'est pas obligée de prendre position, dans la motivation de ses décisions, sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l'appui de leur demande. Il lui suffit, en suffit, en effet, d'exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision.

42 Il résulte également d'une jurisprudence constante de la Cour (arrêts du 4 juillet 1963, RFA/Commission, 24-62, Rec. p. 133, du 30 septembre 1982, Roquette Frères/Conseil, 110-81, Rec. p. 3159, du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, précité), que la motivation d'une décision faisant grief doit être de nature à permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle de l'égalité et à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure prise, afin de pouvoir défendre ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée.

43 Le Tribunal constate, à cet égard, que, même si certains des arguments invoqués par la requérante n'ont pas été examinés dans la décision litigieuse, celle-ci indique les élément essentiels de fait et de droit relatifs aux différentes conditions auxquelles est subordonné l'octroi de mesures provisoires qui ont conduit la Commission à refuser les mesure sollicitées, permettant ainsi à la requérante de contester le bien-fondé de cette décision et au tribunal d'exercer son contrôle de l'égalité.

44 Il résulte des considérations qui précédent que ce premier moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste de fait et de droit

45 Selon la requérante, en négligeant de rechercher s'il y avait en fait discrimination et en concentrant son analyse sur un aspect périphérique, en l'occurrence, la question de savoir si La Cinq satisfait aux conditions requises par l'article 3, paragraphe 2, des statuts de l'UER, la Commission se serait contentée d'une vision partielle de la situation de fait, ce qui entacherait sa décision d'une erreur manifeste de fait; cette approche constituerait, en même temps, une erreur manifeste de droit, dans la mesure où la Commission aurait refusé d'envisager, alors que cela lui incombait en vue de préserver l'effet utile des règles de concurrence, l'application du droit communautaire à une situation caractérisée par le comportement d'un organisme associatif qui, occupant une position dominante sue le marché, a refusé d'accepter en son sein une société comme La Cinq, qui avait davantage vocation à devenir membre de l'UER que d'autres sociétés qui avaient été admises comme membres actifs.

46 La requérante s'oppose par ailleurs à l'affirmation de la Commission selon laquelle in n'est pas évident que La Cinq remplisse les conditions d'adhésion posées par les statuts de l'UER, en ce qui concerne la desserte des habitants du pays et le qualité de la programmation (article 3, paragraphe 2, sous a) et b), des statuts de l'UER).

47 La requérante fait valoir, à cet égard, qu'elle est une chaîne à vocation nationale qui dessert déjà plus de 72 % de la population et qui déploie des efforts pour assurer la desserte totale du territoire national, alors qu'aucune chaîne de télévision ne couvre 100 % d'un territoire national et/ou 100 % de la population. La requérante critique, par ailleurs, le fait que la Commission ait omis de procéder à une analyse comparative entre sa grille de programmation et celles des différentes chaînes membres de l'UER, ce qui lui aurait permis de constater leur grande similitude et, donc, de conclure que les conditions d'adhésion posées par les statuts de l'UER sont plus imprécises et moins rigoureuses que les exigences de la réglementation interne française, en ce qui concerne par exemple les quotas d'œuvre d'expression originale française, avec lesquelles la Commission aurait néanmoins établi un parallèle injustifié.

48 En réponse au arguments de la requérante, la Commission s'estime, en premier lieu, fondée à douter que La Cinq satisfasse incontestablement à toutes les conditions requises pour adhérer à l'UER.

49 Quant à l'obligation de desservir la totalité de la population, la Commission estime qu'une mission de service public (par opposition à une "mission" exclusivement commerciale) et ne doit pas être assimilée à une "vocation nationale" (par opposition à une "vocation locale"). Selon les données dont la Commission disposerait, La Cinq n'atteindrait à l'heure actuelle qu'environ 72 % des foyers français et ne se serait fixé comme objectif que d'en atteindre 92 %. Ces chiffres feraient clairement apparaître qu'elle ne satisfait pas à l'obligation de desservir la totalité de la population, même dans l'hypothèse où il faudrait entendre par "totalité" un chiffre de 95 %.

50 Pour ce qui est de la condition d'une "programmation diversifiée et équilibrée", la Commission se défend contre l'accusation de La Cinq selon laquelle elle aurait retenu des critères du CSA relatives aux manquements de la chaîne à certaines dispositions réglementaires nationales, en faisant valoir qu'elle n'aurait retenu, au contraire, que les critiques relatives au caractère peu diversifié et peu équilibré de la programmation de la chaîne, dont le profil plus thématique que généraliste serait pour l'essentiel dominé par la fiction et l'information.

51 En deuxième lieu, et sans écarter d'emblée la possibilité d'une discrimination - puisqu'il ne serait pas évident que Canal Plus remplisse parfaitement les conditions d'adhésion prévues aux statuts actuels de l'UER - la Commission soutient que les deux chaînes ne se trouvent pas a priori en véritable situation de concurrence, étant donné que Canal Plus bénéficie d'une concession de service public et est une chaîne "à péage" dont les revenus proviennent essentiellement de ses abonnement, alors que La Cinq tire presque exclusivement ses ressources de la publicité. Dans ces conditions, la Commission considère que l'existence et le degré éventuel de la discrimination alléguée, de même que la meilleure façon d'y remédier, ne sauraient être déterminés que dans une phase ultérieure et sur la base d'un examen minutieux.

52 La partie intervenante conteste, pour sa part, les arguments développés par la requérante dans sa plainte pour justifier sa demande visant à se faire admettre en tant que membre actif au sein de l'UER par le biais d'une décision de la Commission obligeant ladite union à accepter sa candidature. A cet égard, la partie intervenante observe que la requérante, en se basant sur les articles 85 et 86 du traité CEE, a marqué a priori de donner un fondement juridique suffisant à sa plainte, puisque ces disposition ne justifiant à sa plainte, puisque ces dispositions ne visent que les restrictions de concurrence et ne tendent pas au contrôle des activités d'une association professionnelle en tant que telle ; en outre, de l'avis de la partie intervenante, les dispositions précitées, si elles interdisent les actes de discrimination horizontale en tant que telle.

53 Dans ce contexte, la partie intervenante relève notamment ce qu'elle considère comme une contradiction fondamentale dans l'argumentation développée par la requérante pour démontrer qu'elle devrait obligatoirement être admise en tant que membre actif de l'UER, en vertu à la fois de l'article 85 et 86 et de l'article 86 du traité CEE. De l'avis de la partie intervenant, si - comme le soutient la requérante - on devait conclure que l'Eurovision constitue une entente qui ne serait pas susceptible d'une exemption en vertu du paragraphe 3 de l'article 85 et que l'UER, au demeurant, se trouve en position dominante sur le marché des droits de retransmission d'événements sportifs, on ne saurait remédier à cette situation en admettant une entreprise victime d'un traitement discriminatoire au sein de l'entente ou du groupement d'entreprises dominant le marché; une telle mesure reviendrait à fausser davantage le jeu de la concurrence en contribuant à l'extension de l'entente ou au renforcement de la position dominante.

54 La partie intervenante estime également qu'en sollicitant l'adoption de mesures conservatoires qui reviendraient à lui donner plein d'accès au système d'échanges de programmes de l'Eurovision, la requérante a demandé à la Commission d'adopter une décision que celle-ci ne pourrait prendre sans préjuger de la nature même du remède à apporter à la situation d'infraction présumé, sans préjuger de sa décision d'accorder ou non à l'UER une exemption en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE empiéter sur le champ de la liberté d'association. De l'avis de la partie intervenante, l'article 3 du règlement n° 17 ne permet à la Commission que d'obliger les entreprises à mettre fin à l'infraction, laissant à celles-ci le soin de décider de la manière dont elles s'acquittent de cette obligation négative.

55 L'UER relève, en outre, que la requérante n'a rempli à aucun moment, et ne remplit toujours pas, les critères d'adhésion à l'UER.

56 En ce qui concerne, en particulier, l'obligation de desservir la totalité des habitants d'un pays, la partie intervenante fait valoir qu'il s'agit d'un obligation particulièrement contraignante, comprenant non seulement l'obligation de desservir toute la population du pays, mais exigeant encore et cumulativement que l'organisme de radiodiffusion posant sa candidature en desserve effectivement déjà une partie substantielle, tout en faisant tout son possible pour en achever en temps utile la desserte totale. Etant donné que les coûts de la desserte de l'ultime auditeur montent d'une façon disproportionnée et extrême, injustifiable du point de vue de la stricte rentabilité, ce serait précisément la desserte obligatoire de toute la population d'un pays qui caractériserait les organismes de radiodiffusion à vocation d'intérêt général.

57 En ce qui concerne le deuxième critère d'adhésion à l'UER, à savoir l'obligation d'une programmation diversifiée et équilibrée destinée à toutes les couches de la population, la partie intervenante renvoie essentiellement aux constatations du CSA, tout en soulignant par ailleurs les différences entre les différences entre les réglementations auxquelles sont soumis en France les organismes de radiodiffusion à vocation d'intérêt général et les entreprises de radiodiffusion à caractère commercial, ce qui justifierait la légalité, au regard des règles de concurrence du traité CEE, du traitement différentiel appliqué par l'UER aux organismes de radiodiffusion.

58 La partie intervenante fait observer, par ailleurs, qu'elle a toujours adhéré à une pratique constante de non-admission de candidatures posées par des entreprises nouvelles de radiodiffusion à dominante commerciale, pratique qui s'explique par les objectifs et les principes de fonctionnement qui lui sont propres. A cet égard, le seul fait que TF1 et Canal Plus soient financées par des revenus commerciaux ne saurait être invoqué comme preuve de discrimination, les différences de traitement trouvant leur origine dans les caractéristiques propres à chaque chaîne. De plus, les deux entreprises mentionnées se distingueraient de la requérante en ce qu'il conviendrait de tenir compte de leurs droits acquis. En effet, elles auraient été admises comme membres actifs de l'UER bien avant la modification des statuts de celle-ci en 1988 et avant que le déploiement des entreprises de radiodiffusion à dominante commerciale soit devenu réalité. En outre, si des entreprises de radiodiffusion à dominante commerciale étaient admises en tant que membres actifs de l'UER, à côté des organismes de radiodiffusion à vocation d'intérêt général, le système d'échanges de programmes Eurovision lui-même ne pourrait pas demeurer ce qu'il est : un système de solidarité entre organismes de la même nature soutenant indirectement leurs membres les plus faibles.

59 Au vu de ce précède, le Tribunal considère que, pour exercer son contrôler sur la légalité de la décision litigieuse, il lui incombe d'examiner, en premier lieu, si la Commission s'est basée ou non sur une interprétation correcte en droit de la condition relative à l'existence vraisemblable d'une infraction et, en deuxième lieu, si, comme le prétend la requérante, la Commission a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des circonstance de fait, susceptible de l'avoir amenée à la conclusion que ladite condition n'était pas remplie en l'espèce.

60 Il y a lieu de rappeler, avant tout, que la Commission fonde sa conclusion concernant l'absence d'une infraction vraisemblable sur la considération qu'"il ne ressort pas d'un premier examen sommaire des faits qu'il y ait une infraction claire et flagrante (infraction a priori) aux articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité".

61 Or, ainsi que le Tribunal l'a jugé dans son arrêt du 12 juillet 1991 (Peugeot/Commission, T-23-90, non encore publié au Recueil) confirmant, par là-même, l'argumentation développée par la Commission au cours de la procédure (voir point 59 de l'arrêt), on ne saurait assimiler, dans le cadre d'un recours portant sur la légalité d'une décision de la Commission concernant l'octroi de mesures provisoires, l'exigence de la constatation d'une infraction prima facie avec l'exigence de certitude à laquelle doit satisfaire une décision finale. En l'espèce, la motivation retenue par la Commission dans la décision litigieuse - confirmée, par ailleurs, à l'audience - revient à exiger que, pour des mesures provisoires puissent être octroyées, l'existence d'une infraction claire et flagrante soit déjà établie au stade de la simple appréciation prima facie qui doit servir de base à l'octroi de telles mesures.

62 Il s'ensuit qu'en identifiant l'exigence d'une "infraction a priori" avec celle de la constatation d'une "infraction claire et flagrante" au stade des mesures provisoires, la Commission a fondé son raisonnement sur une interprétation erronée en droit de la condition relative à l'existence vraisemblable d'une infraction.

63 Le Tribunal estime que l'erreur de droit commise par la Commission dans l'interprétation de la condition relative à l'existence vraisemblable d'une infraction est de nature à affecter gravement la régularité et la pertinence de toute appréciation que la Commission a pu porter sur la point de savoir si cette première condition nécessaire pour l'octroi des mesures provisoires sollicitées était en fait remplie.

64 Ce jugement du Tribunal s'applique à l'appréciation portée par la Commission sur la question de savoir si la requérante satisfait aux conditions statuaires requises pour devenir membre actif de l'UER, notamment à celles fixées par l'article 3, paragraphe 2, sous a) et b), des statuts, seul argument que la Commission a abordé dans sa décision pour conclure à l'absence d'une infraction vraisemblable.

65 L'erreur intervenue dans le raisonnement de la Commission ressort à l'évidence du libellé même de la décision litigieuse, selon lequel "n'est pas évident que La Cinq remplisse les conditions d'adhésion et... il [n'] est donc pas manifeste que le refus soit discriminatoire et injustifié" (point 5 de la décision) et "il est difficile de soutenir de prime abord que La Cinq remplit incontestablement les conditions statuaires d'adhésion et qu'il y a manifestement une infraction de la part de l'UER" (point 8 de la décision).

66 Il résulte des considérations qui précèdent que la conclusion relative à l'existence vraisemblable d'une infraction n'était pas remplie en l'espèce est basée sur une interprétation erronée en droit de cette condition.

B) Quant à la condition relative à l'existence d'un risque de préjudice grave et irréparable établissant l'urgence et l'adoption de mesures provisoires

67 La requérante conteste la constatation de la Commission selon laquelle il n'y avait pas eu de préjudice grave et irréparable la menaçant et justifiant l'adoption urgente des mesures provisoires sollicitées. De l'avis de la requérante, cette conclusion est entachée d'une erreur manifeste de fait, aux motifs que la Commission n'a pas tenu compte des spécificités du dossier et de celles du secteur économique concerné et, de surcroît, a utilisé à l'appui de sa décision des données factuelles manifestement inexactes. Par ailleurs, selon la requérante, en ne tenant pas compte de l'ensemble des éléments d'appréciation, la Commission aurait également commis une erreur manifeste de droit.

Sur le moyen unique tiré d'une erreur manifeste de fait et de droit

68 Pour la requérante, dans les circonstances concrètes de son cas, le refus de lui accorder l'accès à l'Eurovision en tant que membre actif de l'UER ne peut que lui causer un préjudice grave et irréparable.

69 La requérante fait valoir, en particulier, que l'accès contractuel à l'Eurovision, auquel s'est référée la Commission dans la décision attaquée, dont elle bénéficie en vertu d'un contrat dit de sous-traitance conclu avec l'OFRT, ne lui a jamais permis d'obtenir des images des grands événement sportifs offert en l'Eurovision, à deux exceptions près, dont l'une seulement à la suite d'une procédure de référé devant les tribunaux français. De plus, cet accès contractuel au système d'échanges de programmes de l'Eurovision aurait été créé pour tenir compte des intérêts des chaînes ou organismes de radiodiffusion qui ne peuvent devenir membres actifs de l'UER, faute de remplir les conditions exigées à cette fin. Tel n'étant pas son cas, la requérante considère que le refus en question constitue une discrimination patente et notoire qui aurait, par ailleurs, déjà été reconnue par un arrêt du 15 novembre 1989 de la Cour d'appel de Paris.

70 De l'avis de la requérante, le risque de préjudice grave et irréparable ne doit pas forcément être identifié avec le risque de cessation d'activité ou de dépôt de bilan de l'entreprise. En l'espèce, ce serait plutôt le risque de non-renouvellement de son autorisation d'émettre - laquelle cessera de produire ses effets le 1er mars 1997 - qui devrait être pris en considération pour l'octroi de mesures conservatoire. Compte tenu du fait que la procédure administrative se poursuit devant la Commission, que la décision au fond interviendra à son terme fera probablement l'objet d'un recours devant le Tribunal et éventuellement d'un pourvoi devant la Cour de justice, la requérante estime qu'en l'absence de mesures provisoires, les dommages et intérêts compensatoires auxquels elle aura droit ne pourront lui être attribués, au mieux, qu'à une date relativement proche de l'expiration de l'autorisation d'émettre qui lui a été accordée par les pouvoirs publics français.

71 Dans ce contexte, la requérante souligne que l'image d'une chaîne dans le public constitue un facteur décisif, que ce soit en termes de taux d'écoute, de valorisation des recettes résultant des "écrans publicitaires" ou du point de vue du renouvellement de son autorisation d'émettre. Or, une image négative provenant d'une discrimination subie dans les retransmissions ne pourrait être corrigée que lentement, au rythme de l'évolution de l'opinion publique et non pas par simple allocation de dommages et intérêt, surtout parce que cette allocation, au moment où elle aurait lieu, ne permettrait plus à La Cinq de développer sa propre capacité concurrentielle. A l'audience, la requérante a, par ailleurs, fait valoir que, la concurrence sur le marché de la publicité étant directement liée au taux d'écoute d'une chaîne, une situation de désavantage concurrentiel telle que la sienne, en ce qu'elle ne permet pas de rentabiliser les "écrans publicitaires", peut en elle même être à l'origine d'un préjudice grave et irréparable qui n'est pas susceptible d'être démontré par des données chiffrées.

72 Selon la requérante, la Commission n'a pas pris non plus en considération une autre particularité de la présente affaire, découlant du fait que si le refus d'admission opposé par l'UER à La Cinq vient à être déclaré illicite, il faudra encore régler rétroactivement la situation de la requérante à l'égard des événements déjà diffusés, ou non encore diffusés mais déjà répartis entre les membres de l'UER, avant la décision de la Commission, en vertu des contrats pluriannuels conclus avec tous les grands organisateurs d'événements sportifs internationaux.

73 Les circonstances alléguées établissent, selon la requérante, l'urgence qu'il y avait et qu'il y a à prendre les mesures provisoires sollicitées. Cette urgence apparaîtrait plus clairement encore si l'on considère la liste des événements télévisés manifestement populaires qui seront diffusés dans le courant des années 1991 et 1992, dont la requérante se verra privée si les mesures provisoires demandées ne sont pas adoptées.

74 En réponse, la Commission souligne que La Cinq bénéficie d'un accès sans restriction aux actualités télévisées diffusées tous les jours par l'UER. De plus, il ressortirait du dossier que la requérante serait en position forte en ce qui concerne les images sportives, notamment pour le tennis et les rallyes automobiles et qu'elle disposerait d'une exclusivité quasi totale en matière de grand prix de formule 1 et de courses de motos sur circuit.

75 Selon la Commission, à supposer même que, comme le prétend La Cinq, cet accès ne soit qui théorique et n'ait donné lieu dans la pratique qu'à la retransmission de quelques matchs de football, on ne saurait constater sur la base de ce seul fait un dommage irréparable et irréversible justifiant des mesures conservatoires, d'autant plus qu'aucune preuve tangible, telles que des données chiffrées relatives à une éventuelle perte d'audience ou à une diminution des recettes publicitaires, n'en a été apportée par La Cinq. En tout état de cause, la requérante serait toujours libre de développer une politique de contre-programmation, en diffusant des émissions de grande qualité destinées à attirer la partie du public qui n'est pas intéressée par les événements sportifs.

76 Quant à l'urgence des mesures sollicitées, la Commission fait observer que La Cinq a présenté sa première demande d'adhésion à l'UER en février 1987 et que le dernier refus qui lui a été proposé en juin 1990 n'a en rien modifié la situation dans laquelle elle se trouvait déjà depuis trois ans. Il serait difficile, par conséquent, d'admettre que, tout d'un coup, la situation aurait revêtu un caractère d'urgence de nature à exiger une intervention de la part de la Commission pour y remédier.

77 Le Tribunal observe, à titre liminaire, que la Commission s'est basée dans sa décision sur les décisions sur les considérations suivantes pour réfuter la probabilité d'un dommage grave et irréparable pour la requérante susceptible de justifier l'urgente des mesures demandées. D'une part, elle affirme que La Cinq bénéficie d'un accès contractuel aux images de l'UER et qu'elle a été en position de retransmettre un nombre considérable d'événement sportifs majeurs, y compris des matchs de la dernière coupe du monde de football. D'autre part, la Commission soutient que ne peuvent être considérés comme dommages irréparables que les dommages auxquels il ne pourrait être remédié par aucune décision ultérieure, ce qui serait le cas si par exemple La Cinq, en raison de l'attitude de l'UER, était forcée de mettre fin à ses activités. La commission a estimé que ce danger était lointain et que les dommages financiers que la requérante risquait de subir pourraient être réparés grâce à des actions en dommages-intérêts intentées devant les tribunaux nationaux après qu'il ait été constaté que l'UER avait violé les règles de concurrence.

78 A l'instar de l'examen auquel le Tribunal a procédé ci-dessus a propos de la condition relative à l'existence vraisemblable d'une infraction, il convient ici d'examiner d'abord si la Commission est partie d'une interprétation correcte en droit de la condition relative à l'existence d'un risque de préjudice grave et irréparable établissant l'urgence de l'adoption de mesures provisoires.

79 A ce propos, il y a lieu de considérer qu'en affirmant dans sa décision que "ne peuvent être considérés comme dommages irréparable que des dommages auxquels il ne pourrait être remédié par aucune décision ultérieure", la Commission s'est basée sur une notion juridiquement incorrecte du préjudice irréparable dont l'existence ou le risque pourrait justifier l'octroi de mesures provisoires.

80 En effet, en formulant l'exigence qui est contenue dans sa notion de préjudice irréparable, la Commission est allée au-delà de ce qu'impose la jurisprudence de la Cour, qui se limite à faire référence aux dommages auxquels il ne pourrait plus être remédié par la décision que la Commission sera amenée à prendre au terme de la procédure administrative (ordonnant du 17 janvier 1980, Camera Care, précitée).

81 L'interprétation de la Commission rendrait par ailleurs presqu'impossible la vérification d'une telle condition, ce qui reviendrait dans la pratique à vider de contenu la compétence qui lui est reconnue pour l'octroi de mesures provisoires.

82 C'est dans ce contexte que la Commission a omis de prendre en compte, pour juger du caractère grave et irréparable du préjudice, la durée limitée de l'autorisation d'émettre accordée à La Cinq et l'influence que cette circonstance pourrait avoir sur les possibilités ouvertes à la requérante en temps utile - au regard notamment du renouvellement de son autorisation - pour remédier aux conséquences d'éventuels actes illicites la concernant et obtenir des réparations financières.

83 Il s'ensuit que la Commission a commis une erreur de droit dans l'interprétation de la condition relative à l'existence grave et irréparable établissant l'urgence de l'adoption des mesures provisoires sollicitées.

84 Il y a lieu d'examiner ensuite si, en invoquant l'accès contractuel aux images de l'UER dont il bénéficie La Cinq pour écarter la vérification de la condition relative à la probabilité d'un préjudice grave et irréparable, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation.

85 A ce propos, il convient que, ainsi que la Cour l'a précisé notamment dans ses arrêts du 11 juillet 1985 (Remia, 42-84, précité) et du 17 novembre 1987 (BAT et Reynolds, 142 et 156-84, précité), s'agissant de situation qui impliquent des appréciations économiques complexes, le contrôle juridictionnel doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.

86 Il faut ajouter que, comme la Cour l'a jugé récemment, dans un arrêt du 21 novembre 1991 (C-269-90, Technische Universitat München, non encore publié au Recueil, points 14, 26 et suivants), dans les cas où les institutions de la Communauté disposent d'un pouvoir d'appréciation afin d'être en mesure de remplir leurs fonctions, le respect des garanties conférées par l'ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importante d'autant plus fondamentale. Parmi ces garanties, figure notamment l'obligation pour l'institution compétente d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce.

87 Or, il convient de constater que bien qu'ayant invoqué l'accès contractuel aux images de l'Eurovision dont bénéficie la requérante, la Commission a toutefois négligé d'examiner les conditions dans lesquelles cet accès peut avoir lieu.

88 En effet, les éléments fournis par la requérante, soit dans ses plaintes du 28 juillet 1989 et du 12 juillet 1990, soit au cours de la procédure devant le Tribunal, qui étaient connus de la Commission ou dont celle-ci aurait normalement pu prendre connaissance sans difficulté, sont de nature à soulever des doutes sérieux quant à l'importance pratique et la signification réelle du système d'accès contractuel ou de sous-traitance aux fin de permettre aux organismes de télévision qui ne sont pas admis au sein de l'UER d'avoir un accès concurrentiel aux images de l'Eurovision.

89 A cet égard, il y a lieu de relever, tout d'abord, que l'article 3, paragraphe 6, des statuts de l'UER prévoit que l'accès contractuel à l'Eurovision "sera attribué ou retiré par décision du Conseil d'administration", ce qui place les organismes de télévision non-membre de l'UER dans la dépendance des décisions prises à ce sujet par un organe composé d'administrateurs représentant les membres actifs de l'UER.

90 Le Tribunal observe, en outre, que s'il est vrai que le schéma de sous-traitance ne concerne que l'accès indirecte aux droit déjà acquis par les membres de l'UER et que, par conséquent, il ne préjuge pas de l'accès direct aux droits de retransmission des événements sportifs internationaux et d'autres que les différentes chaînes peuvent obtenir sur le marché, la Commission a toutefois omis de prendre en considération l'influence que peut exercer sur l'accès effectif à l'Eurovision des chaînes qui ne sont pas des membres actifs de l'UER le poids dont tient compte du fait qu'elle regroupe la plupart des chaînes généraliste en Europe, qu'elle intervient souvent dans les négociations en vue de l'acquisition de droits de retransmission au nom de ses membres et qu'une pratique s'est développée, consistant à négocier des contrats pluriannuels avec les organisateurs d'événements sportifs internationaux. Toutes ces circonstances sont, à première vue, de nature à réduire sensiblement les possibilités concurrentielles dont peut disposer une chaîne agissant individuellement sur le marché des droits de retransmission des événements intéressant un large nombre de spectateurs, comme c'est le cas des grands événements sportifs internationaux.

91 Il faut remarquer également que la requérante a allégué dès sa première plainte, d'une part, qu'à l'initiative de l'UER, l'adhésion à l'OFRT l'empêchait d'acquérir à titre exclusif les droits de retransmission des grands événements sportifs se déroulant à l'étranger et, d'autre part, que le système d'accès contractuel à l'Eurovision était assorti de conditions financières complexes, discriminatoires et désavantageuses, définies dans une convention du 25 août 1987 entre l'OFRT et l'UER. Dans la lettre qu'elle a adressée le 26 septembre 1989 à M. Overbury, la requérante a préciser que ces conditions avaient été répercutées à son égard par l'OFRT, sans aucune négociation possible, par contrat du 1er octobre 1988.

92 Le Tribunal rappelle par ailleurs, à cet égard, que la requérante a allégué, sans être en cela contestée par la défenderesse, que pendant la période qui lui a précédé l'adoption de la décision litigieuse, à l'exception du match Stuttgart - Naples du 17 mai 1989, ce n'est qu'après l'introduction d'une demande en référé devant les juridictions nationales que La Cinq a pu diffuser, lors de la dernière coupe du monde de football, les images de quatre matchs de second ordre cédées par Antennes 2 et FR3.

93 Enfin, Le Tribunal relève que les doutes sur la capacité du système contractuel mis en place pour permettre aux organismes non-membres de l'UER d'avoir un accès alternatif, à des conditions concurrentielles, aux images de l'Eurovision ne sont que confirmés par le changement intervenu dans la position de la Commission par rapport à la communication qu'elle avait initialement publiée en vertu de l'article 19 paragraphe 3, du règlement n° 17. En effet, alors que dans cette communication la Commission se proposait de prendre une décision favorable concernant le système de l'Eurovision, elle a informé le Tribunal qu'elle avait envoyé entre-temps à l'UER une communication des griefs qui remplacerait sa communication précédente.

94 Il en résulte que la Commission a manqué à l'obligation qui lui incombait de prendre en considération tous les éléments pertinents du cas d'espèce en vue de déterminer l'existence d'un risque de préjudice grave et irréparable pour la requérante, établissant l'urgence de l'adoption des mesures sollicitées, et qu'en conséquence la décision litigieuse est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

95 Il découle des considérations qui précèdent que la conclusion de la Commission, selon laquelle la condition relative à l'existence d'un risque de préjudice grave et irréparable établissant l'urgence de l'adoption des mesures provisoires n'était pas remplie en l'espèce, est basée sur une interprétation erronée en droit de cette condition et sur une erreur manifeste d'appréciation des faits litigieux.

96 Il résulte des développement qui précèdent que c'est sur la base d'une interprétation erronée en droit des deux conditions auxquelles est subordonné l'exercice de sa compétence en vue de l'octroi de mesures provisoires que la Commission a conclu que ces conditions faisaient défaut en l'espèce. Il en résulte également, en ce qui concerne la deuxième de ces conditions, que la commission a commis, en outre, une erreur manifeste d'appréciation. Il s'ensuit que la décision litigieuse doit être annulée.

Sur les dépens

97 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. La partie intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre),

déclare et arrête :

1. La décision de la Commission, du 14 août 1990 (IV/33.249, La Cinq SA/Union européenne de radiodiffusion) est annulée.

2. La Commission est condamnée aux dépens. La partie intervenante supportera ses propres dépens.