TPICE, 2e ch., 12 décembre 1991, n° T-39/90
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Samenwerkende Elektriciteits-produktiebedrijven (NV)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Saggio
Juges :
MM. Briët, Barrington, Vesterdorf, Biancarelli
Avocats :
Mes van Empel, Brower.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),
Faits et procédure
1. Par requête déposée au greffe du Tribunal de première instance des Communautés européennes le 26 septembre 190, la société NV Samenwerkende Elektriciteits-produktiebedrijven (ci-après "SEP") a demandé l'annulation de la décision de la Commission du 2 août 1990, relative à une procédure au titre de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204 ; ci-après "règlement n° 17") (IV-33.539 - SEP/Gasunie ; ci-après "la décision").
2. La partie requérante, SEP, est une société anonyme regroupant les quatre producteurs néerlandais d'électricité d'utilité publique, responsables de la production et éventuellement de l'importation de courant électrique aux Pays-Bas. Selon les indications fournies par les parties, SEP a notamment pour mission - comme le confirme la loi néerlandaise sur l'électricité de 1989 (Elektriciteitswet, Staatsblad 1989, p. 535) - de parvenir à un prix de l'électricité aussi bas que possible pour le consommateur, tout en maintenant la sécurité de l'approvisionnement. Dans cette perspective, elle coordonne en particulier, pour le compte de ses actionnaires, la production d'électricité ainsi que les achats de combustibles, qui représentent la part la plus importante du coût de production de l'électricité. Actuellement, environ 50 % de l'électricité sont produits aux Pays-Bas à partir de gaz naturel.
3. La société NV Nederlandse Gasunie (ci-après "Gasunie") bénéficie aux Pays-Bas d'un monopole de fait pour la fourniture de gaz naturel : en effet, selon les informations figurant dans le dossier, l'ensemble du gaz naturel extrait sur le territoire néerlandais doit lui être offert à la vente. Elle est détenue à concurrence de 50 % par les compagnies pétrolières Shell et Esso et à concurrence de 50 %, directement ou indirectement, par l'Etat néerlandais. Les décisions essentielles en matière de politique de vente de Gasunie sont soumises à l'approbation du Ministre des affaires économiques. Il résulte du dossier que, selon la loi néerlandaise relative aux prix du gaz naturel (Wet Aardgasprijzen), ce dernier constitue un trésor national qui doit être exploité au mieux des intérêts néerlandais ; le gaz naturel fait l'objet d'une politique intégrée et les ressources qu'il procure alimentent le budget de l'Etat, directement ou par le truchement de la TVA.
4. C'est dans ce contexte qu'est intervenue la signature, le 16 juin 1989, du contrat de fourniture de gaz entre SEP et l'entreprise norvégienne Statoil (ci-après "le contrat Statoil"), qui accédait ainsi pour la première fois au marché néerlandais du gaz naturel. Il s'agit, suivant les observations des parties, du premier contrat de ce type entre SEP et une société autre que Gasunie. Néanmoins, Gasunie demeure le fournisseur de SEP pour la majeure partie du gaz qu'elle utilise.
5. Selon les indications fournies par les parties, la conclusion du contrat Statoil a conduit Gasunie à négocier un Code de collaboration avec SEP, au cours du second trimestre de 1989, dans le but de se prémunir, à l'avenir, contre tout effet de surprise lié à un éventuel futur contrat de fourniture de gaz entre SEP et un tiers, en cas de nouveaux besoins d'approvisionnement en gaz naturel. Ce Code de collaboration a été adopté, dans sa version finale, le 9 avril 190, ainsi qu'il ressort du dossier.
6. A la fin de l'année 1989, les services de la Commission ont eu connaissance à la fois du contrat Statoil et de nouveaux accords ou, à tout le moins, de négociations entre Gasunie et SEP en ce qui concerne le "Code de collaboration" prévoyant "la manière dont [ces deux entreprises] se concerteront sur d'éventuelles fournitures futures de gaz", évoqué au point précédent. A la suite de ces informations, la Commission a ouvert une enquête, sur la base de l'article 11 du règlement n° 17, pour apprécier la compatibilité des accords ou pratiques concertées entre SEP et Gasunie, en ce qui concerne la fourniture de gaz naturel, avec les règles de concurrence du traité CEE et notamment son article 85. La décision attaquée a été adoptée le 2 août 1990, dans le cadre desdites investigations.
7. La procédure d'enquête s'est déroulée de la manière suivante. Par lettre du 6 mars 1990, la Commission a demandé à la requérante, en application des dispositions de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17 - qui habilite la Commission à recueillir, dans l'accomplissement de sa mission consistant à veiller au respect des articles 85 et 86 du traité, "tous les renseignements nécessaires", notamment auprès des entreprises et associations d'entreprises - de lui communiquer :
"a) le contrat original de fourniture de gaz, conclu entre SEP et Statoil, et l'échange de lettres se rapportant à cet accord ;
b) le nouveau contrat entre SEP et Gasunie et les documents relatifs aux négociations préalables ;
c) les données relatives au rôle que l'Etat néerlandais a joué dans la conclusion de l'accord entre SEP et Gasunie et l'échange de lettres éventuel entre l'Etat néerlandais et SEP, se rapportant à cet accord."
En réponse à la demande précitée, la requérante a communiqué, par lettre du 9 avril 1990, le Code de collaboration avec Gasunie, tel qu'il avait été entre-temps définitivement adopté, ainsi qu'un projet antérieur dudit Code. Elle a toutefois refusé de transmettre les autres renseignements demandés, aux motifs, d'une part, que le contrat Statoil n'avait rien à voir avec le Code de collaboration et, d'autre part, que l'Etat néerlandais n'avait joué aucun rôle dans l'adoption dudit Code et qu'il n'existait d'ailleurs aucun échange de lettres à cet égard. La Commission a réitéré sa demande relative à la communication du contrat Statoil, par lettre du 23 avril 190, et la requérante lui a opposé un nouveau refus, le 1er mai 1990.
8. C'est dans ces conditions que la Commission a arrêté la décision du 2 août 190, en vertu de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, aux termes duquel "si une entreprise ou association d'entreprises ne fournit pas les renseignements requis dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de façon incomplète, la Commission les demande par voie de décision. Cette décision précise les renseignements demandés, fixe un délai approprié dans lequel les renseignements doivent être fournis et indique les sanctions prévues à l'article 15, paragraphe 1, alinéa b), et à l'article 16, paragraphe 1, alinéa c), ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision". La décision du 2 août 1990 enjoint la requérante de fournir à la Commission, dans un délai de dix jours, le contrat original de fourniture de gaz conclu entre SEP et Statoil, ainsi que la correspondance s'y rapportant. Ladite décision n'impose pas d'amende ou d'astreinte à défaut de communication des renseignements dans les délais qu'elle prévoit.
- A la suite de la décision susvisée du 2 août 1990, le requérante a persisté dans son refus, demandant, par lettre du 16 août 1990, un entretien personnel avec le directeur général de la concurrence, M. Ehlermann, en vue de lui expliquer les raisons de son attitude et de rechercher un règlement amiable du différend. Dans cette lettre, la requérante a invoqué pour la première fois le caractère confidentiel du contrat Statoil à l'égard de tout tiers et a annoncé son intention d'introduire un recours contre ladite décision, afin de sauvegarder ses droits.
- Le 30 août 1990, par lettre du directeur général de la concurrence, la Commission a répondu que la proposition de discussion de SEP ne pouvait pas constituer une solution appropriée et que le caractère confidentiel du contrat Statoil ne saurait justifier le refus de SEP de le communiquer, en raison du secret professionnel liant la Commission en vertu de l'article 20 du règlement n° 17.
- Dans une lettre du 12 septembre 1990, SEP a précisé qu'en invoquant la confidentialité du contrat Statoil à l'égard de tout tiers, elle visait essentiellement l'Etat néerlandais, dans la mesure où l'article 10 du règlement n° 17 prévoit que la Commission transmet sans délai aux autorités compétentes des Etats membres copie des pièces les plus importantes qui lui sont adressées en vue de la constatation d'infractions aux articles 85 et 86. Elle a en conséquence proposé à la Commission de prendre connaissance du contrat Statoil, à condition qu'il n'en soit fait aucune copie, afin de lui permettre de vérifier que ce contrat n'est pas nécessaire pour porter une appréciation sur le Code de collaboration convenu avec Gasunie.
- Par lettre du directeur général de la concurrence du 24 septembre 1990, la Commission a rejeté cette proposition au motif qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 11 du règlement n° 17. Elle a par ailleurs souligné que l'article 10 lui laisse une marge d'appréciation suffisante en ce qui concerne la transmission des pièces aux Etats membres et a relevé qu'elle n'aurait aucune raison de leur communiquer le contrat Statoil, si, comme le soutient la requérante, celui-ci ne peut pas être influencé par le Code de collaboration.
9. La Commission a défini le but de sa demande de renseignements de la manière suivante. Dans sa lettre du 6 mars 1990, précitée, mentionnant en objet l'"accord entre SEP et Gasunie", la Commission a indiqué que ses services avaient appris que "SEP a conclu avec Gasunie un Code de conduite concernant les fournitures de gaz, et cela à la suite de certaines pressions du ministère des affaires économiques". Elle a relevé que la mise en œuvre du contrat Statoil "semble être influencée" par ce Code de conduite. Sa demande de renseignements relative au contrat Statoil et au Code de conduite aurait donc pour but de lui permettre d'apprécier la compatibilité dudit Code de conduite avec l'article 85 du traité CEE, "sur la base d'une pleine connaissance des faits et de leur interdépendance économique".
Dans les motifs de la décision du 2 août 1990, la Commission a précisé que le Code de conduite, qui fait l'objet de son enquête et que SEP lui a transmis, "donne à Gasunie un droit préférentiel sur les fournitures de gaz. En vertu d'un projet antérieur de ce Code...., les négociations avec Gasunie seraient menées sur une base d'exclusivité et des offres de prix ne seraient demandées à des tiers que si les négociations avec Gasunie n'ont pas abouti, dans un délai de six mois, à un résultat satisfaisant pour SEP. Le contrat... Statoil [peut être influencé ] par ce Code de collaboration et les fournitures par Statoil peuvent être subordonnées à l'approbation de Gasunie ou faire l'objet d'une concertation. Il est dès lors important de prendre connaissance du contrat de fourniture de gaz en question... Ce contrat peut être un accord susceptible d'affecter la concurrence à l'intérieur du Marché commun" (sixième considérant).
10. Parallèlement au présent recours tendant à l'annulation de la décision du 2 août 1990, formé le 26 septembre 1990, SEP a également introduit, par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, une demande en référé visant à obtenir le sursis,à l'exécution de la décision incriminée. Par ordonnance du président du Tribunal du 21 novembre 1990, cette demande a été rejetée (T-39/90 R, Rec. p. II - 649).
11. Par décision du 26 novembre 1990, la Commission a imposé à SEP, en vertu de l'article 11, paragraphe 5, et de l'article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17, une astreinte de 1 000 écus, à compter du cinquième jour suivant sa notification, pour chaque jour de retard apporté à satisfaire aux obligations énoncées dans la décision du 2 août 1990. En conséquence, SEP a communiqué le contrat Statoil à la Commission, sous réserve expresse de tous ses droits.
12. Le 14 décembre 190, la requérante a formé un pourvoi devant la Cour contre l'ordonnance en référé du président du Tribunal, susvisée (affaire C-373-90 P). Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le même jour, elle a en outre introduit une demande de sursis à l'exécution de la décision du 2 août 1990 et/ou de mesures provisoires. A cet égard, la requérante a demandé à la Cour, à titre subsidiaire, "d'interdire à la Commission de fournir aux Etats membres une copie du contrat Statoil... jusqu'à ce que le Tribunal ait statué.... sur le recours en annulation introduit.. contre [la] décision de la Commission du 2 août 1990 ou, dans l'hypothèse où la Cour serait plus prompte à statuer que le Tribunal, jusqu'à ce que la Cour ait rendu un arrêt définitif dans l'affaire T-39-90 R sur le pourvoi introduit par SEP à l'encontre de l'ordonnance du président du Tribunal de première instance" (affaire C-372-90 P-R).
Enfin, le 23 janvier 1991, la requérante a formé, à titre conservatoire, un second pourvoi contre cette même ordonnance du président du Tribunal, tendant, de surcroît, à ce que la Cour ordonne à la Commission de lui restituer le contrat Statoil, qu'elle avait transmis à cette institution à la suite de sa décision du 26 novembre 190 précitée, imposant une astreinte. Subsidiairement, la requérante a demandé à la Cour d'enjoindre la Commission de ne pas communiquer copie du contrat en cause aux autorités des Etats membres (affaire C-22-91 P).
13. Par ordonnance du 3 mai 191, le président de la Cour a pris acte du désistement de la requérante, consécutif à l'engagement de la Commission "de ne communiquer en aucune manière le contenu du contrat Statoil aux autorités des Etats membres avant que le Tribunal de première instance n'ait statué sur le recours en annulation introduit par SEP", et a radié les affaires C-372-90 R, C-372-90 P-R et C-22-91 P.
14. Dans le cadre du présent recours en annulation, la procédure écrite s'est achevée le 19 décembre 1990. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
Conclusions des parties
15. La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
" - annuler ou du moins déclarer nulle la décision de la Commission des Communautés européennes du 2 août 1990, relative à une procédure au titre de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17-62 du Conseil (IV-33.539 - SEP - Gasunie) ;
- condamner la Commission aux dépens."
La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
" - rejeter le recours ;
- condamner SEP aux dépens."
Arguments des parties et appréciation en droit
16. Au soutien de sa demande en annulation de la décision, la requérante invoque trois moyens tirés respectivement de la violation de l'article 11 du règlement n° 17, de l'insuffisance de motivation et de la violation du principe de proportionnalité.
Sur la violation de l'article 11 du règlement n° 17
Arguments des parties
17. A l'appui du premier moyen, la requérante fait successivement valoir que le contrat Statoil ne contient pas de renseignements nécessaires, au sens de l'article 11 du règlement n° 17, et que la Commission n'était pas en droit d'en exiger la communication, dès lors qu'elle n'a pas établi la nécessité de cette communication aux fins de l'enquête.
18. Quant au premier aspect, la requérante soutient que la communication du contrat Statoil n'est pas nécessaire au sens de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17. Elle relève que la décision attaquée a été adoptée dans le cadre d'investigations uniquement destinées à vérifier si le Code de collaboration entre SEP et Gasunie est conforme à l'article 85 du traité. Dans ces conditions, le contrat Statoil, qui n'a aucun lien, estime la requérante, avec le Code de collaboration, ne serait absolument pas nécessaire à l'enquête menée en l'espèce par la Commission.
Au soutien de cette thèse, la requérante observe en premier lieu que la négociation du Code de collaboration, précisément à cause du contrat Statoil, n'implique pas que ce contrat soit nécessaire pour pouvoir apprécier le Code de collaboration. En effet, ce dernier aurait été adopté en raison de la simple existence du contrat Statoil, et non en raison de sa teneur, que Gasunie ignorait. En outre, le Code de collaboration n'ayant été élaboré avec Gasunie qu'après la conclusion du contrat Statoil, ce Code n'a pu et ne pourra exercer, selon la requérante, aucune influence sur la négociation ou sur les stipulations de ce contrat. Elle estime donc que seule une modification du contrat Statoil, postérieure à l'élaboration du Code de collaboration, aurait pu être influencée par ce dernier. Or, a-t-elle précisé lors de l'audience, l'unique modification du contrat Statoil, le 27 décembre 1990, a été communiquée à la Commission et déterminerait uniquement le mode de transport du gaz, qui n'avait pas été fixé dans le contrat initial, sans aucune incidence sur le prix dudit transport.
La requérante allègue en second lieu qu'il ressort de l'examen de la teneur du Code de collaboration que la communication du contrat Statoil n'était pas nécessaire dans le cadre de l'enquête ayant pour objet le seul Code. Celui-ci se limiterait, en effet, à instituer un cadre pour les négociations futures entre SEP et Gasunie sur d'éventuelles nouvelles fournitures de gaz. Il définirait les modalités selon lesquelles SEP comparera à l'avenir les offres émanant de Gasunie et celles provenant des tiers, y compris, le cas échéant, Statoil. Il ressortirait donc clairement du Code de collaboration qu'il n'entraînera pas de modification du comportement de SEP dans le cadre de la mise de collaboration au regard de l'article 85, il suffirait donc d'examiner le comportement éventuel de SEP et de Gasunie à l'égard de futures fournisseurs potentiels, auxquels SEP demanderait de faire une offre de prix, en exécution du Code de collaboration.
19. Sous le second aspect, la requérante fait valoir que la Commission ne pouvait pas exiger la communication du contrat Statoil, dans la mesure précisément où elle n'a pas prouvé que ledit contrat contient des renseignements nécessaires pour apprécier la licéité du Code de conduite. Elle rappelle, en effet, que la Commission peut uniquement demander des informations, en application de l'article 11 du règlement n° 17, pour vérifier une présomption d'infraction aux articles 85 ou 86, laquelle délimite le cadre de l'enquête. En l'occurrence, la présomption d'irrégularité mentionnée dans la lettre du 6 mars 190, ouvrant la procédure d'enquête, concernerait uniquement le Code de collaboration et l'enquête pourrait donc exclusivement porter sur la licéité dudit Code. A l'inverse, la décision attaquée du 2 août 1990 n'indiquerait pas clairement les présomptions d'infraction que la Commission entendait vérifier au moyen de sa demande de production du contrat Statoil.
20. A cet égard, la requérante estime qu'en exigeant, dans la décision entreprise, la communication du contrat Statoil, la Commission a modifié l'objet de son enquête. Cela ressortirait, en particulier, du sixième considérant de ladite décision, qui suggère que le contrat Statoil est, en tant que tel, susceptible de constituer une infraction indépendante à l'article 85 et qu'il fait lui-même l'objet de l'enquête. Or, pour pouvoir exiger la communication du contrat Statoil, en vue d'apprécier sa régularité, la Commission serait tenue, selon la requérante, d'ouvrir une nouvelle procédure au titre de l'article 11 du règlement n° 17, par l'envoi d'une nouvelle demande de renseignements motivée par une suspicion d'infraction. Par conséquent, en exigeant, dans la décision attaquée, la production du contrat Statoil dans le cadre d'une enquête sur les relations commerciales entre SEP et Gasunie, la Commission chercherait à faire accréditer une nouvelle interprétation de ses pouvoirs d'investigation au titre de l'article 11, la mettant à l'abri de tout contrôle juridictionnel. Au vu des éléments qui précèdent, il semblerait d'ailleurs que la Commission veuille mener une enquête plus générale sur le marché néerlandais du gaz. Il s'agirait alors d'une enquête de secteur, régie par l'article 12 du règlement n° 17, dans le cadre de laquelle la Commission ne serait pas tenue d'établir l'existence d'une présomption d'infraction individuelle à l'article 85 ou à l'article 86.
21. Pour sa part, la Commission soutient que le premier moyen est dépourvu de fondement. Elle récuse tout d'abord le grief selon lequel elle aurait donné une nouvelle interprétation à l'article 11, en s'arrogeant le droit de demander des renseignements même en l'absence d'indice laissant présumer une infraction. Elle déclare que l'enquête en cause porte sur les relations entre SEP et Gasunie. A cet égard, elle fait valoir que le refus de SEP - dans une première phase de ses négociations avec Gasunie en vue d'élaborer un Code de collaboration - de se situer dans un rapport d'achat exclusif à l'égard de Gasunie, précisément parce que cela aurait été contraire aux dispositions de l'article 85, constitue un indice de ce que le Code de collaboration, dans sa version finale, est susceptible de constituer une infraction à ce même article.
22. La Commission réfute également l'argument selon lequel elle aurait modifié l'objet de son enquête dans la décision attaquée. Elle fait valoir qu'elle a, dès le départ, inclus le contrat Statoil dans son enquête. Elle allègue en particulier qu'il résulte clairement, notamment du sixième considérant de la décision litigieuse, que la demande de fournir le contrat Statoil dans son enquête. Elle allègue en particulier qu'il résulte clairement, notamment du sixième considérant de la décision litigieuse, que la demande de fournir le contrat Statoil est destinée avant tout à permettre à la Commission d'apprécier l'incidence du Code de conduite sur la concurrence, en vérifiant ses effets sur les contrats avec des tiers fournisseurs tels que Statoil. C'est donc bien cette considération qui aurait justifié ladite demande, indépendamment du fait que le contrat Statoil lui-même soit susceptible d'être contraire à l'article 85. A ce propos, la Commission a souligné, lors de l'audience, l'absence de portée, en ce qui concerne le but de l'enquête considérée, de la référence aux effets du contrat Statoil sur la concurrence, au sixième considérant de la décision.
23. En ce qui concerne la nécessité de la communication du contrat Statoil pour contrôler la licéité du Code de conduite, la Commission soutient que c'est à elle, et non à l'entreprise concernée, qu'il appartient d'apprécier si certains renseignements sont "nécessaires" au sens de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 18 octobre 1989 (Orkem/Commission, 374-87, Rec. p. 3283, point 15). Elle souligne qu'elle dispose à cette fin d'une large marge d'appréciation, ce qui implique un contrôle marginal par le Tribunal.
24. L'institution défenderesse relève que, pour analyser l'incidence du Code de conduite sur la concurrence, il lui faut tenir compte du contexte économique global dans lequel il s'insère et, par conséquent, de la situation sur le marché du gaz naturel aux Pays-Bas. Sous cet aspect, elle invoque l'arrêt de la Cour du 13 juillet 1966 (Grundig/Commission, 56 et 58-64, Rec. p. 429).
Dans cette perspective, le contrat Statoil représenterait, prima facie, un élément indispensable pour déterminer dans quelle mesure le Code de conduite induit, en pratique, une relation exclusive ou préférentielle entre SEP et Gasunie. La Commission allègue, à cet égard, que le Code de conduite a été conclu "à cause du" contrat Statoil. Le fait que ledit contrat soit antérieur au Code de conduite n'aurait donc aucune incidence. Elle affirme vouloir vérifier en particulier si l'application de ce contrat est influencée par le Code de conduite, notamment en ce qui concerne les quantités de gaz achetées par SEP à Statoil et le transport de ce gaz sur le territoire néerlandais, pour lequel la collaboration de Gasunie est indispensable. A cet égard, la Commission a déclaré, lors de l'audience, que, contrairement à ce qu'affirme la requérante, la modification du contrat Statoil intervenue le 27 décembre 1990 et communiquée à la Commission au mois de janvier 1991, comporte, selon ses informations, des dispositions sur les prix de vente aux grands acheteurs et prévoit une bonification pour le transport. La Commission en déduit que le contrat Statoil, tel qu'il a été amendé, se réfère bien au prix de vente du gaz néerlandais. De surcroît, il ressortirait du contrat Statoil ainsi modifié que la vente de gaz n'est pas seulement le fait de Statoil. D'autres sociétés pétrolières importantes, parmi lesquelles figurerait notamment la société Shell Nederland, c'est-à-dire une des sociétés-mère de Gasunie, feraient également partie, avec Statoil, d'un consortium vendant du gaz à la requérante ; ces sociétés seraient donc parties prenantes au contrat Statoil tel que modifié.
Appréciation en droit
25. S'agissant du premier moyen - dans le cadre duquel la requérante allègue, en substance, que la communication du contrat Statoil n'est pas "nécessaire", car il ne présenterait aucun lien avec le Code de conduite faisant l'objet de l'enquête -, il y a lieu de rappeler, liminairement, l'exigence d'un lien entre les renseignements demandés par la Commission, en application de l'article 11 du règlement n° 17, et l'infraction recherchée, mentionnée dans la demande. En effet, l'article 11, paragraphe 1, habilite la Commission à recueillir, notamment auprès des entreprises, "tous les renseignements nécessaires", aux fins de l'application, par cette institution, des principes énoncés aux articles 85 et 86 du traité. En outre, ce même article prévoit, en son paragraphe 3, que, dans sa demande de renseignements, la Commission indique notamment "les bases juridiques et le but de sa demande". Il résulte donc de la combinaison des deux dispositions précitées, ainsi que des exigences relatives au respect des droits de la défense des entreprises concernées, que le critère de nécessité, énoncé à l'article 11, doit s'apprécier en fonction de la finalité de l'enquête, telle qu'elle est obligatoirement précisée dans la demande de renseignements elle-même. En effet, comme la Cour l'a jugé dans un domaine comparable à celui de l'article 11, dans son arrêt du 21 septembre 1989, relatif aux pouvoirs de vérification conférés à la Commission à l'article 14 du règlement n° 17, "l'obligation imposée à la Commission d'indiquer l'objet et le but de la vérification... constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître la caractère justifié de l'intervention envisagée à l'intérieur des entreprises concernées mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de défense" (Hoechst/Commission, 46-87 et 227-88, Rec. p. 2859, point 29). Il en découle que seule peut être requise par la Commission la communication de renseignements susceptibles de lui permettre de vérifier les présomptions d'infraction qui justifient la conduite de l'enquête et sont indiquées dans la demande de renseignements.
26. A cet égard, le Tribunal constate que, dans la présente espèce, la décision attaquée a été adoptée dans le cadre d'une enquête portant sur les relations entre la requérante et la société Gasunie, comme le relève à juste titre la Commission. Ceci résulte clairement du contenu de la demande de renseignements initiale, du 6 mars 1990, qui a ouvert la procédure d'investigations au titre de l'article 11 du règlement n° 17, et se trouve confirmé par la décision entreprise ainsi que par les déclarations de l'institution défenderesse lors de l'audience. En l'occurrence, la procédure en deux phases prévue à l'article 11, à savoir une demande de renseignements initiale indiquant le but de l'enquête, suivie, en cas de refus de l'entreprise destinataire, d'une décision imposant la transmission de ces mêmes renseignements, sans modifier le but de la demande, a donc bien été respectée.
27. En effet, le contenu de la demande du 6 mars 1990 - qui, de surcroît, indique expressément en objet "l'accord entre SEP et Gasunie" - fait apparaître que la communication du contrat Statoil a, en l'espèce, été demandée par la Commission dans le seul but de mettre en évidence les effets du Code de conduite sur la concurrence. Ceci ressort manifestement de la motivation de ladite demande, aux termes de laquelle " les renseignements demandés doivent permettre à la Commission d'apprécier la compatibilité de cet accord (ces accords) [entre SEP et Gasunie ] avec les règles de concurrence du traité CEE, en particulier l'article 85, sur la base d'une pleine connaissance des faits et de leur interdépendance économique" (point 1 de la demande). De même, dans la décision attaquée, la Commission précise-t-elle que la demande de transmission du contrat Statoil intervient dans le cadre des investigations auxquelles elle procède "parce qu'elle soupçonne l'existence d'accords et/ou pratiques concertées entre SEP et NV Nederlandse Gasunie, contraires aux règles de concurrence du traité CEE, en particulier son article 85 " (deuxième considérant de la décision). En particulier, la communication dudit contrat Statoil est exigée, dans la décision attaquée, au motif explicite que celui-ci représente un élément important pour apprécier la régularité du Code de conduite au regard des règles communautaires de la concurrence, en vérifiant l'incidence dudit Code sur le contrat Statoil (sixième considérant de la décision) (voir le point 9, ci-dessus).
28. Dans ce contexte, les allégations de la requérante, selon lesquelles la décision entreprise modifie l'objet de l'enquête ou, à tout le moins, ne définit pas clairement la présomption d'infraction que la Commission entend vérifier, ne sont pas fondées.
A cet égard, il est à noter que la Commission a reconnu, au cours de l'audience, le risque d'erreur introduit par le passage de la décision énonçant que le contrat Statoil "peut être un accord susceptible d'affecter la concurrence à l'intérieur du Marché commun". Elle a toutefois souligné que, malgré cette ambiguïté, la demande de production du contrat Statoil est destinée, en l'espèce, à permettre l'analyse du contexte économique des relations entre SEP et Gasunie, ainsi qu'il résulte de la motivation de la décision.
Il y a lieu, dès lors, de constater, au vu du contenu clair et explicite de la demande initiale et de la décision attaquée, exposé ci-dessus, ainsi que des mises au point effectuées par la Commission lors de l'audience, que la référence supplémentaire, dans la décision attaquée, à l'éventualité d'une irrégularité du contrat Statoil ne saurait, malgré l'ambiguïté qu'elle peut présenter pour l'entreprise concernée, avoir pour effet de modifier l'objet de la procédure d'enquête. Cette dernière est, en effet, manifestement destinée, dans la présente espèce, à apprécier la régularité du Code de conduite, indépendamment de la question de savoir si le contrat Statoil est susceptible, en tant que tel, de constituer une infraction à l'article 85 du traité.
29. Dans ce contexte, il appartient au Tribunal de vérifier si, comme le soutient la Commission, le contrat Statoil présente un lien suffisant avec le Code de conduite, qui fait l'objet de l'enquête. Sur ce point, il convient de relever, au préalable, que la notion de "renseignements nécessaires" figurant à l'article 11, paragraphe 1, doit être interprétée en fonction des finalités en vue desquelles les pouvoirs d'investigation en cause ont été conférés à la Commission. Il est satisfait à l'exigence d'une corrélation entre la demande de renseignements et l'infraction présumée, dès lors que, à ce stade de la procédure, ladite demande peut être légitimement regardée comme présentant un rapport avec l'infraction présumée.
30. Cette analyse est confirmée par la jurisprudence de la Cour, qui a jugé, dans ses arrêts du 18 octobre 1989, que "le règlement n° 17 a conféré à la Commission un large pouvoir d'investigation et de vérification en précisant, dans son huitième considérant, qu'elle doit disposer... du pouvoir d'exiger les renseignements et de procéder aux vérifications qui sont nécessaires pour déceler les infractions aux articles 85 et 86 du traité. Il appartient à la Commission... d'apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence" (Orkem, 374-87, précité, point 15, et Solvay/Commission, 27-88, Rec. p. 3355, publication sommaire, ainsi que les conclusions de l'avocat général Darmon, Rec. p. 3301, spécialement p. 3320 ; voir également l'arrêt du 26 juin 19810, National Panasonic/Commission, 136-79, Rec. p. 2033, point 13).
31. En ce qui concerne la présente espèce, le Tribunal constate que la Commission a pu raisonnablement estimer qu'il existait un lien entre le contrat Statoil et le Code de conduite. Plusieurs éléments permettent, en effet, de présumer que ce dernier est susceptible d'avoir une incidence sur le contrat Statoil.
Il convient, tout d'abord, de relever que les deux accords considérés, c'est-à-dire le Code de conduite et le contrat Statoil, ont été conclus par la même entreprise, la société requérante, avec deux de ses fournisseurs en gaz naturel, à savoir respectivement les sociétés Gasunie et Statoil. A cette première coïncidence entre les deux accords - conclus par SEP et intervenus dans le même domaine d'activités économiques, l'approvisionnement en gaz naturel -, s'ajoute une coïncidence dans le temps, dans la mesure où le Code de conduite a été négocié et adopté peu après la conclusion du contrat Statoil. Dans ces circonstances, la Commission était en droit de considérer que le contrat Statoil constituait un renseignement nécessaire aux fins de l'enquête, en vue d'apprécier le contexte économique dans lequel s'inscrit le Code de conduite.
En outre, il y a lieu de souligner que la requérante a expressément admis, dans ses observations écrites, que c'est la conclusion du contrat Statoil qui, en portant atteinte à la position du fait de la société Gasunie - jusqu'à cette date fournisseur exclusif de la requérante en gaz naturel -, a conduit Gasunie à négocier un Code de conduite avec la requérante, en vue de régler leurs relations, à l'avenir, en cas de nouveaux besoins de la requérante en fourniture de gaz naturel. Dans ces conditions, bien que le Code de conduite vise uniquement les approvisionnements futurs et ne concerne pas, en principe, ceux qui ont été prévus dans le contrat Statoil, la communication dudit contrat pouvait être jugée nécessaire pour vérifier, en particulier, si le Code de conduite était susceptible d'avoir une incidence sur l'exécution de ce même contrat qui régit, selon les déclarations des parties, les relations commerciales entre la requérante et Statoil jusqu'en l'an 2000. La relation entre l'existence même du contrat Statoil, indépendamment de son contenu, et l'élaboration du Code de conduite est donc de nature à confirmer que ledit contrat Statoil a légitimement pu être considéré comme un renseignement nécessaire, au sens de l'article 11 du règlement n° 17, pour contrôler la régularité du Code de conduite.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la Commission n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation en estimant que les accords entre SEP et Gasunie étaient susceptibles d'influencer la mise en œuvre du contrat Statoil, tel que modifié.
32. Au vu des considérations qui précèdent, le premier moyen doit être rejeté.
Sur l'insuffisance de motivation de la décision attaquée
Arguments des parties
33. La requérante soutient que la décision attaquée est insuffisamment motivée parce que les raisons invoquées par la Commission ne peuvent pas, estime-t-elle, justifier la demande de production du contrat Statoil, dans la mesure où elles modifieraient l'objet de l'enquête.
34. La Commission écarte ce grief en rappelant qu'elle a, dès le départ, inclus le contrat Statoil dans son enquête. Dans ces conditions, la décision attaquée serait suffisamment motivée.
Appréciation en droit
35. En invoquant l'insuffisance de motivation de la décision, la requérante suggère que la Commission n'a pas établi, dans ladite décision, l'existence d'un lien entre le contrat Statoil et le Code de conduite.
36. Dans cette perspective, il convient, d'abord, de rappeler que le Tribunal a déjà constaté, lors de l'examen du premier moyen, que l'enquête en cause porte sur le Code de conduite et que la Commission se fonde expressément, dans la décision attaquée, sur l'existence d'un lien entre le contrat Statoil et ce même Code de conduite, afin de justifier sa demande de transmission dudit contrat Statoil (voir notamment les points 26 et 27, ci-dessus).
37. En outre, en ce qui concerne les motifs ayant conduit la Commission à soupçonner l'existence d'un tel lien entre le contrat Statoil et le Code de conduite, il y a lieu de relever que la Commission fait expressément état, dans ladite décision, de la nécessité de connaître le contexte économique du Code de conduite. Elle mentionne, à cet égard, certains indices l'ayant conduite à présumer que le contrat Statoil est susceptible d'être influencé par ledit Code. Elle se fonde en particulier sur un premier projet du Code de conduite, qui tendait à instaurer des relations commerciales exclusives entre SEP et Gasunie, et envisage l'hypothèse selon laquelle les fourniture par Statoil pourraient être subordonnées à l'approbation de Gasunie ou faire l'objet d'une concertation (voir le point 9, ci-dessus).
38. Il résulte de cette analyse que la Commission a motivé à suffisance de droit, dans la décision attaquée, la demande de communication du contrat Statoil, en mettant clairement en évidence les liens entre ce contrat et le Code de conduite, qui fait l'objet de l'enquête.
39. Il s'ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté.
Sur la violation du principe de proportionnalité
Arguments des parties
40. Dans le cadre du troisième et dernier moyen, la requérante soutient que la décision attaquée enfreint manifestement le principe de proportionnalité, qui s'impose à la Commission dans le cadre des investigations nécessaires à l'accomplissement de sa mission, ainsi qu'il résulte de l'arrêt de la Cour du 4 avril 1960 (Acciaieria e Tubificio di Brescia/Haute Autorité, 31/59, Rec. p. 147). Elle relève que la doctrine considère généralement que ce principe s'applique aussi en ce qui concerne les demandes de renseignements régies par l'article 11 du règlement n° 17. La Commission aurait d'ailleurs admis l'applicabilité du principe de proportionnalité à ses décisions prises au sens de l'article 11, paragraphe 5, en précisant, dans l'affaire Deutsche Castrol Vertriebsgesellschaft GmbH, que les questions posées "n'excèdent ni ce qui est requis par le cas d'espèce, ni ce qui est acceptable par l'entreprise intéressée" (décision 83-205-CEE de la Commission du 10 janvier 1983, JO L 114, p. 26).
41. En l'espèce, la violation du principe de proportionnalité résulte, selon la requérante, de ce que le contrat Statoil, dont la production est requise par la Commission dès le stade initial de la procédure, présente un caractère particulièrement confidentiel. Or, par le biais de la communication dudit contrat à la Commission, les Etats membres, y compris l'Etat néerlandais, prendraient connaissance de ce contrat, en application de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 17. Aux termes de cette disposition, "la Commission transmet sans délai aux autorités compétentes des Etats membres copie... des pièces les plus importantes qui lui sont adressées en vue de la constatation d'infractions aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, de l'octroi d'une attestation négative ou d'une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3. La transmission du contrat aux autorités néerlandaises porterait atteinte aux intérêts de la requérante, en raison des circonstances propres à l'espèce, qui se caractérisent par le fait que les autorités publiques néerlandaises seraient parties au litige, en leur qualité de principal fournisseur de gaz de SEP, par l'intermédiaire de la société Gasunie, contrôlée par l'Etat néerlandais. La connaissance de la teneur du contrat Statoil par les pouvoirs publics néerlandais compromettrait à la fois la marge de manœuvre de SEP dans ses négociations avec Gasunie et sa crédibilité, en tant qu'acheteur, à l'égard d'autres fournisseurs qui seraient informés de ce que les pouvoirs publics disposent du contrat Statoil.
42. La requérante souligne que les Etats membres ont le droit de recevoir copie des pièces adressées à la Commission, sans que cette dernière puisse se prévaloir à leur égard des dispositions de l'article 20 du règlement n° 17 relatives au secret professionnel, pour refuser de leur transmettre en l'occurrence l'intégralité du contrat Statoil. Elle fait valoir que la Commission ne dispose d'aucune marge d'appréciation dans l'application de l'article 10, paragraphe 1. Cette thèse serait confirmée par la jurisprudence de la Cour, qui a jugé, dans son ordonnance du 13 juillet 190 - relative à une demande d'entraide judiciaire adressée à la Commission par une autorité judiciaire en vue de l'application du droit communautaire dans l'ordre juridique national-, que la Commission pourrait uniquement refuser de communiquer des documents aux Etats membres dans le cas où une telle communication mettrait en péril le fonctionnement et l'indépendance des Communautés européennes (Zwartveld e.a., C-2-88 Imm., Rec. p. I-3365). D'ailleurs, la Commission exclurait elle-même, à juste titre, toute assurance que le contrat Statoil ne sera pas, tôt ou tard, transmis aux autorités néerlandaises.
43. La requérante explique à cet égard que ses intérêts ne sont pas sauvegardés du fait que les autorités des Etats membres sont tenues, en vertu de l'article 20 du règlement n° 17, au respect du secret professionnel. En effet, il n'existerait, au sein du ministère des affaires économiques, aucune règle administrative permettant effectivement de garantir que, si le contrat Statoil est transmis aux autorités néerlandaises compétentes - en l'occurrence la direction de la concurrence du ministère néerlandais des affaires économiques -, un autre service du ministère, tel que la direction générale de l'énergie, n'en prendra pas connaissance. Sous cet aspect, la requérante observe qu'elle ne prétend pas que les autorités néerlandaises abuseraient du contrat Statoil en leur qualité d'actionnaire majoritaire de Gasunie. Elle estime qu'il lui suffit de démontrer qu'il n'est pas déraisonnable de penser qu'il existe un risque que le contrat soit communiqué à Gasunie, précisément en raison du fait que les autorités néerlandaises interviennent simultanément, dans la présente espèce, en qualité d'autorités publiques et de partie. En outre, la requérante souligne que, indépendamment de la connaissance effective ou de l'usage du contrat Statoil par les autorités néerlandaises, c'est sa marge de manœuvre en tant qu'acheteur, face à d'autres fournisseurs, qui est en jeu, dès lors que ceux-ci savent que les pouvoirs publics sont en possession du contrat Statoil.
44. Pour sa part, la Commission admet qu'elle est liée par le principe de proportionnalité dans les enquêtes en matière de concurrence. Elle estime cependant, à l'inverse de la requérante, que ce principe a été respecté en l'espèce.
45. L'institution défenderesse fait valoir, en premier lieu, qu'elle dispose d'"une marge discrétionnaire considérable" pour apprécier si un document qui lui a été adressé doit être transmis aux Etats membres, dans la mesure où, aux termes de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 17, seules "les pièces les plus importantes doivent leur être communiquées". Elle note que, dans la pratique, elle attend souvent, pour décider de transmettre ou non un document, d'avoir engagé une procédure conformément à l'article 9, paragraphe 3, de ce même règlement. La Commission relève donc que "la décision de transmettre ou non le contrat Statoil...dépendra de la décision d'engager ou non une procédure dans la présente affaire et, dans l'affirmative, de l'importance que revêtira le contrat pour l'objet d'une telle procédure (à définir dans une communication des griefs)".
46. En deuxième lieu, la Commission soutient que la confidentialité d'un renseignement ne justifie pas le refus de le communiquer, dans la mesure où le respect du secret professionnel - protégé par les articles 214 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n° 17 - constitue le pendant de l'obligation de collaboration des entreprises. Elle observe que le secret professionnel visé par cette disposition s'étend expressément aux "autorités compétentes des Etats membres". Aux Pays-Bas, ces autorités sont, poursuit-elle, les fonctionnaires de la direction "concurrence économique", au ministère des affaires économiques. Si lesdits fonctionnaires jugeaient utile de transmettre le contrat en cause à des collègues d'autres services ministériels, ces derniers seraient à leur tour tenus par le même secret professionnel.
47. En troisième lieu, la Commission fait valoir que l'article 20, paragraphe 1, du règlement n° 17 prévoit que les informations recueillies en application de l'article 11 "ne peuvent être utilisées que dans le but pour lequel elles ont été demandées", à savoir, précise-t-elle, "la procédure devant la Commission sur la base du règlement n° 17". La Commission ajoute que, même si l'on interprète l'article 20, paragraphe 1, en ce sens que les Etats sont autorisés à se servir des renseignements obtenus par l'intermédiaire de la Commission pour l'application de leurs règles nationales de la concurrence, ceci n'entraînerait pas les conséquences redoutées par la requérante.
48. En quatrième lieu, la Commission relève que la requérante n'a pas fourni d'indice permettant de présumer une confusion des compétences des autorités néerlandaises qui seraient également concernées par le litige. Les risques qu'implique la transmission du contrat Statoil sont donc, selon la Commission, de nature purement spéculative. L'argument selon lequel des fonctionnaires de la direction "énergie" du ministère néerlandais des affaires économiques participent aux délibérations à Bruxelles sur des questions relatives à la concurrence sur le marché de l'énergie ne serait pas pertinent en ce qui concerne le problème posé par la transmission du contrat Statoil. La requérante elle-même aurait d'ailleurs insisté pour que la direction "énergie" soit également représentée au sein de la délégation néerlandaise assistant à l'audition dans le cadre de la présente affaire.
49. En cinquième lieu, et en tout état de cause, les conséquences préjudiciables d'une telle transmission, telles qu'elles sont décrites par le requérante, ne sauraient résulter que d'une violation par les autorités néerlandaises de leurs obligations au titre de l'article 20 du règlement n° 17, ce qui constitue, selon la Commission, une hypothèse singulière. Mais même dans ce cas, la requérante disposerait, en droit néerlandais, de moyens juridiques pour défendre ses intérêts. Elle pourrait, en effet, prétendre à des dommages-intérêts, dans le cas où sa position d'acheteur sur le marché du gaz naturel serait effectivement compromise par suite de comportements illégaux de fonctionnaires nationaux.
50. Enfin, la Commission estime avoir fait preuve de réserve dans la décision attaquée, dans la mesure où, d'une part, elle a limité sa demande, à ce stade initial de l'enquête, au Code de conduite et au contrat Statoil, dont elle connaît l'existence et, d'autre part, elle n'a imposé - avant le prononcé de l'ordonnance du Tribunal du 21 novembre 1990 - ni astreinte, ni amende.
Appréciation en droit
51. S'agissant du troisième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité, il convient de rappeler, à titre liminaire, que la mise en œuvre de l'article 11 du règlement n° 17 est subordonnée au respect de ce principe. En effet, il ne suffit pas que l'information demandée soit liée à l'objet de l'enquête. Il importe également que l'obligation de fournir un renseignement, imposée à une entreprise, ne représente pas pour cette dernière une charge disproportionnée par rapport aux nécessités de l'enquête.
52. Cette analyse est confirmée par une jurisprudence bien établie. Dans son arrêt du 26 juin 1980, la Cour a vérifié si, dans la mise en œuvre de l'article 11 du règlement n° 17, la Commission n'avait pas "agi de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi et... de ce fait méconnu le principe de proportionnalité" (National Panasonic, 136/79, précité, point 30). Dans cette même ligne, elle a expressément reconnu, dans son arrêt du 21 septembre 1989, relatif à une procédure d'application de l'article 14 du règlement n° 17, que l'exigence d'une protection, face à des interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans la sphère d'activité de toute personne physique ou morale, constitue un principe général du droit communautaire (Hoechst, 46-87 et 227-88, précité, point 19).
53. En l'espèce, le Tribunal constate que la demande de communication du contrat Statoil à la Commission ne présente pas de caractère disproportionné. En effet, les allégations de la requérante, relatives au prétendu risque que le contrat Statoil parvienne à la connaissance de la société Gasunie, par l'intermédiaire de l'Etat néerlandais qui le contrôle, ne sauraient être accueillies. A supposer que le contrat Statoil soit communiqué aux autorités compétentes des Etats membres par la Commission, tenue, en vertu de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 17, de leur transmettre les pièces les plus importantes qui lui sont adressées en vue de la constatation d'infractions aux articles 85 et 86 du traité, le respect de la confidentialité de ce contrat, notamment à l'égard de Gasunie, est garanti par les dispositions de l'article 20 du règlement n° 17, lequel vise non seulement la Commission mais également les autorités compétentes des Etats membres ainsi que leurs fonctionnaires et autres agents.
54. A cet égard, doit être rejeté l'argument avancé par la requérante, selon lequel, au-delà d'une garantie formelle, l'article 20 n'offrirait, en pratique, aucune garantie effective que le contenu du contrat Statoil ne sera pas porté à la connaissance d'un tiers, notamment de la société Gasunie, s'il est transmis aux autorités néerlandaises. Le caractère approprié de la garantie prévue par le droit communautaire afin d'éviter le risque dénoncé par la requérante résulte des considérations qui suivent.
55. La protection prévue à l'article 20 se manifeste sous deux formes. D'une part, cet article interdit, en son paragraphe 2, la divulgation des informations recueillies en application du règlement n° 17 et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel. D'autre part, l'article 20 prohibe, en son paragraphe 1, l'utilisation des informations recueillies en application du règlement n° 17, dans un but autre que celui pour lequel elles ont été demandées. Ces deux garanties, qui présentent un caractère complémentaire, sont destinées à assurer le respect de la confidentialité des informations transmises aux Etats membres, en application de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 17.
56. En l'espèce, dans l'hypothèse d'une transmission du contrat Statoil aux autorités compétentes des Etats membres, les dispositions de l'article 20 feraient obstacle non seulement à la divulgation d'informations relatives audit contrat à l'extérieur du secteur de l'administration concerné, mais également à la circulation de telles informations au sein même de ce secteur. En effet, aussi bien les responsables au plus haut niveau que les fonctionnaires et autres agents des services compétents en matière de concurrence, qui, en qualité d'autorités compétentes au sens de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 17, prendraient connaissance du contenu du contrat Statoil à la suite de sa transmission par la Commission, seraient tenus de ne pas le divulguer, notamment auprès des services chargés des questions de l'énergie, à l'intérieur de ce secteur de l'administration.
Ces mêmes dispositions permettent d'écarter, en l'espèce, le risque spécifique qui résulterait, selon la requérante, de la confusion des compétences en matière de concurrence et d'énergie, au sein de l'administration néerlandaise. Elles interdisent, en effet, aux autorités compétentes des Etats membres, au sens de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 17, auxquelles le contrat Statoil est susceptible d'être transmis par la Commission, d'utiliser les informations qu'il contient, en vue de définir la politique commerciale suivie par certaines entreprises publiques.
57. Au vu des considérations qui précèdent, le Tribunal constate que l'argument relatif à l'absence d'efficacité de la garantie de confidentialité résultant de l'article 20, invoqué par la requérante pour refuser de transmettre le contrat Statoil à la Commission, est dénué de tout fondement. En effet, les Etats membres sont tenus, en vertu du devoir de coopération énoncé à l'article 5 du traité, de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de s'acquitter de leurs obligations découlant, en l'occurrence, de l'article 20. Par conséquent, en cas de transmission du contrat Statoil aux Etats membres, il incombe à chacun d'entre eux d'assurer la pleine efficacité des dispositions de cet article, en veillant à ce qu'elles ne soient pas méconnues au profit ou au détriment de toute entreprise et notamment de celles qu'ils contrôlent.
A cet égard, il y a lieu de relever, en ce qui concerne l'accent mis par la requérante sur la spécificité du présent litige, que la question soulevée en l'espèce est de nature à se présenter chaque fois qu'une enquête de la Commission met en cause des rapports commerciaux qui se nouent entre une entreprise privée et une entreprise publique ou une société d'économie mixte. Une circonstance de ce type, appelée, en pratique, à se vérifier fréquemment, ne confère aucune spécificité à l'enquête de la Commission et, partant, ne peut se traduire par aucune prise en considération particulière dans le cadre de l'application du règlement n° 17. Les obligations des Etats membres, énoncées en termes généraux et absolus à l'article 20, n'admettent, en effet, aucune dérogation.
58. En particulier, il y a lieu de rejeter la thèse de la requérante, selon laquelle l'analyse de l'organisation administrative néerlandaise ferait apparaître l'existence d'un risque de violation du secret professionnel. En effet, l'absence alléguée de règles administratives tendant à garantir, dans la présente espèce, que des informations confidentielles relatives au contenu du contrat Statoil ne circulent pas entre les différentes directions du ministère néerlandais des affaires économiques, et plus spécialement entre la direction générale de la concurrence et celle de l'énergie, ne permet pas de présumer, a priori, que les autorités nationales compétentes ne veilleront pas, le moment venu, au respect de leurs obligations au titre de l'article 20 du règlement n° 17 .
59. Sous cet aspect, il convient de rappeler que les Etats membres sont en droit, conformément au principe de leur autonomie institutionnelle, de s'acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du droit communautaire selon les modalités de leur choix, dès lors que ces modalités ne portent pas atteinte aux droits conférés par le droit communautaire auxdites entreprises (voir les arrêts du 15 décembre 1971, International Fruit Company, 51 à 54-71, Rec. p. 1107, point 4 ; du 27 octobre 1971, Rheinm|hlen/Einfuhr- und Vorratsstelle Getreide, 6-71, Rec. p. 823, point 8, et, dans le cadre de la collaboration des Etats avec la Commission dans l'exercice de ses pouvoirs d'investigation de la Commission en application du règlement n° 17, les arrêts du 17 octobre 1989, Dow Chemical Iberica e.a./Commission, 97 à 99-87, Rec. p. 3165, point 30, et Dow Benelux/Commission, 85-87, Rec. p. 3137, point 44 ; ainsi que du 21 septembre 1989, Hoechst, 46-87 et 227-88, précité, point 33).
60. Pour l'ensemble de ces raisons, le Tribunal estime que les limites imposées aux Etats membres à l'article 20 du règlement n° 17, tant en ce qui concerne la divulgation que l'utilisation des informations qui leurs sont transmises en application de l'article 10, paragraphe 1, dudit règlement, représentent une garantie suffisante pour la requérante. Il en résulte que la décision attaquée, par laquelle la Commission lui demande la communication du contrat Statoil, n'implique pas le risque excessif allégué par la requérante et, partant, ne méconnaît pas le principe de proportionnalité.
61. Il s'ensuit que l'ensemble du recours doit être rejeté.
Sur les dépens
62. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses trois moyens, il convient de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête :
1. Le recours est rejeté.
2. La partie requérante est condamnée aux dépens.