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Décisions

CJCE, 21 novembre 1991, n° C-354/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires, Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon

Défendeur :

Etat français

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Schockweiler, Grévisse, Kapteyn

Avocat général :

M. Jacobs.

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Díez de Velasco, Zuleeg

CJCE n° C-354/90

21 novembre 1991

LA COUR,

1 Par décision du 26 octobre 1990, parvenue à la Cour le 30 novembre suivant, le Conseil d'État français a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question relative à l'interprétation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase du traité CEE.

2 Cette question a été soulevée à l'occasion de deux recours introduits respectivement par la Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et par le Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon. Ces recours tendent à l'annulation de l'arrêté interministériel du 15 avril 1985 (publié au Journal officiel de la République française du 20 avril 1985) portant application du décret n° 84-1297, du 31 décembre 1984, instituant des taxes parafiscales au profit du comité central des pêches maritimes, des comités locaux des pêches maritimes et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (publié au Journal officiel de la République française du 12 janvier 1985).

3 Il résulte du dossier qu'en 1982 la Commission des Communautés européennes a informé les autorités françaises de son intention d'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité à l'égard des actions et interventions du Fonds d'intervention et d'organisation des marchés des produits de la pêche maritime et des cultures marines (ci-après "FIOM") dans le secteur de la pêche maritime. A la suite d'un premier examen des informations transmises par les autorités françaises, la Commission a décidé, le 27 juillet 1984, d'ouvrir la procédure en question et a mis le gouvernement français en demeure de présenter ses observations à propos des modalités détaillées de perception de la taxe parafiscale instituée, notamment, au profit du FIOM. Les autorités françaises ont transmis leur réponse, en septembre et en décembre 1984, à la Commission tout en informant celle-ci de la préparation d'un nouveau décret instituant des taxes parafiscales au profit du FIOM. Ce décret a été adopté le 31 décembre 1984. L'arrêté interministériel fixant le taux de ces taxes a été pris le 15 avril 1985. La Commission, par lettre du 25 octobre 1985, a fait savoir qu'elle avait décidé de clore la procédure engagée en 1982, à l'exception de certains aspects des activités du FIOM, qui ne font pas l'objet de la procédure devant la juridiction de renvoi.

4 Les requérants au principal ont contesté la validité de l'arrêté interministériel du 15 avril 1985 pour méconnaissance, par les autorités françaises, notamment des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase du traité.

5 Estimant qu'une interprétation de cette disposition lui était nécessaire pour trancher le litige, le Conseil d'État français a sursis à statuer et a posé à la Cour la question de savoir "si la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, du traité, du 25 mars 1957, doit être interprétée comme imposant aux autorités des États membres une obligation dont la méconnaissance affecte la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d'aide, compte tenu notamment de l'intervention ultérieure d'une décision de la Commission déclarant ces mesures compatibles avec le Marché commun".

6 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des termes du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

7 Le paragraphe 3 de l'article 93 du traité a la teneur suivante : "la Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le Marché commun, aux termes de l'article 92, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale".

8 Afin d'apprécier la portée de ce paragraphe, il y a lieu de rappeler que la mise en œuvre du système de contrôle des aides étatiques, tel qu'il résulte de l'article 93 du traité et de la jurisprudence de la Cour y afférente, incombe, d'une part, à la Commission et, d'autre part, aux juridictions nationales.

9 En ce qui concerne le rôle de la Commission, la Cour a relevé dans l'arrêt du 22 mars 1977, Steinike et Weinlig, point 9 (78-76, Rec. p. 595), que le traité, en organisant par l'article 93 l'examen permanent et le contrôle des aides par la Commission, entend que la reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le Marché commun résulte, sous le contrôle de la Cour de justice, d'une procédure appropriée dont la mise en œuvre relève de la responsabilité de la Commission.

10 Pour ce qui est des juridictions nationales, la Cour a déclaré dans le même arrêt qu'elles peuvent être saisies de litiges les obligeant à interpréter et à appliquer la notion d'aide, visée à l'article 92, en vue de déterminer si une mesure étatique instaurée sans tenir compte de la procédure de contrôle préalable de l'article 93, paragraphe 3, devrait ou non y être soumise.

11 L'intervention des juridictions nationales est due à l'effet direct reconnu à la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 93 du traité. A cet égard, la Cour a précisé dans l'arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471), que le caractère immédiatement applicable de l'interdiction de mise à exécution visée par cet article s'étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée et, en cas de notification, se produit pendant la phase préliminaire et, si la Commission engage la procédure contradictoire, jusqu'à la décision finale.

12 Au vu de ces développements, il y a lieu de considérer que la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d'aide est affectée par la méconnaissance, de la part des autorités nationales, de la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 93 du traité. Les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables qui sont en mesure de se prévaloir d'une telle méconnaissance que toutes les conséquences en seront tirées, conformément à leur droit national, tant en ce qui concerne la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d'aide, que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d'éventuelles mesures provisoires.

13 Il est vrai que par les arrêts du 14 février 1990, France/Commission (C-301-87, Rec. p. I-351), et du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C-142-87, Rec. p. I-1005), la Cour n'a pas reconnu à la Commission le pouvoir de déclarer des aides illégales au seul motif que l'obligation de notifier n'a pas été respectée et sans avoir à rechercher si l'aide est ou non compatible avec le Marché commun. Toutefois, cette constatation n'a aucune incidence sur les obligations incombant aux juridictions nationales et dérivant de l'effet direct reconnu à l'interdiction édictée à l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité.

14 A cet égard, il y a lieu de relever, tout comme l'a fait l'avocat général au paragraphe 24 de ses conclusions, que le rôle central et exclusif réservé par les articles 92 et 93 du traité à la Commission pour la reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le Marché commun est fondamentalement différent de celui qui incombe aux juridictions nationales quant à la sauvegarde des droits que les justiciables tiennent de l'effet direct de l'interdiction édictée à la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, du traité. Alors que la Commission est tenue d'examiner la compatibilité de l'aide projetée avec le Marché commun, même dans les cas où l'État membre méconnaît l'interdiction de mise à exécution des mesures d'aide, les juridictions nationales, elles, ne font que sauvegarder, jusqu'à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l'interdiction visée à l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité. Lorsque lesdites juridictions prennent une décision à cet égard, elles ne se prononcent pas pour autant sur la compatibilité des mesures d'aides avec le Marché commun, cette appréciation finale étant de la compétence exclusive de la Commission, sous le contrôle de la Cour de justice.

15 Par la seconde partie de sa question, le Conseil d'État français demande quelle est l'incidence éventuelle de la décision finale de la Commission, déclarant les mesures d'aides compatibles avec le marché commun, sur la validité des actes comportant mise à exécution de ces mesures.

16 A cet égard, il y a lieu de constater que, sous peine de porter atteinte à l'effet direct de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité et de méconnaître les intérêts des justiciables que les juridictions nationales ont, comme il a été dit ci-avant, pour mission de préserver, ladite décision finale de la Commission n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution qui étaient invalides du fait qu'ils avaient été pris en méconnaissance de l'interdiction visée par cet article.Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation, par l'État membre concerné, du paragraphe 3, dernière phrase, de cet article et le priverait de son effet utile.

17 Au vu de l'ensemble de ces considérations, il y a donc lieu de répondre à la question posée par le Conseil d'État français que la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, du traité doit être interprétée en ce sens qu'elle impose aux autorités des États membres une obligation dont la méconnaissance affecte la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d'aides, et que l'intervention ultérieure d'une décision finale de la Commission, déclarant ces mesures compatibles avec le Marché commun, n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes invalides.

Sur les dépens

18 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent pas faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le Conseil d'État français, par décision du 26 octobre 1990, dit pour droit :

La dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE doit être interprétée en ce sens qu'elle impose aux autorités des États membres une obligation dont la méconnaissance affecte la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d'aides, et que l'intervention ultérieure d'une décision finale de la Commission, déclarant ces mesures compatibles avec le Marché commun, n'a pas pour conséquence de régulariser a posteriori les actes invalides.