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Décisions

TPICE, 1re ch., 24 octobre 1991, n° T-1/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rhône-Poulenc (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Schintgen, Edward, Kirschner, Lenaerts

Avocat :

Me Saint-Esteben.

TPICE n° T-1/89

24 octobre 1991

LE TRIBUNAL (première chambre),

Les faits à l'origine du litige

1 La présente affaire concerne une décision de la Commission infligeant à quinze producteurs de polypropylène une amende pour avoir violé l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Le produit faisant l'objet de la décision attaquée (ci-après "décision") est l'un des principaux polymères thermoplastiques bruts. Le polypropylène est vendu par les producteurs aux transformateurs, qui le convertissent en produits finis ou semi-finis. Les principaux producteurs de polypropylène ont une gamme de plus de cent qualités différentes, recouvrant un vaste éventail d'utilisations finales. Les principales qualités de base du polypropylène ont pour noms raphia, homopolymère pour moulage par injection, copolymère pour moulage par injection, copolymère high impact et film. Les entreprises destinataires de la décision sont toutes d'importants fabricants de produits pétrochimiques.

2 Le marché du polypropylène ouest-européen est approvisionné presque exclusivement à partir d'unités de production installées en Europe. Avant 1977, ce marché était approvisionné par dix producteurs, à savoir Montedison (devenue Montepolimeri SpA, elle-même devenue ensuite Montedipe SpA), Hoechst AG, Imperial Chemical Industries plc et Shell International Chemical Company Ltd (appelés les "quatre grands"), représentant ensemble 64 % du marché, Enichem Anic SpA en Italie, Rhône-Poulenc SA en France, Alcudia en Espagne, Chemische Werke Huels et BASF AG en Allemagne et Chemie Linz AG en Autriche. A la suite de l'expiration des brevets de contrôle détenus par Montedison, sept nouveaux producteurs sont apparus en Europe occidentale en 1977 : Amoco et Hercules Chemicals NV en Belgique, ATO Chimie SA et Solvay et Cie SA en France, SIR en Italie, DSM NV aux Pays-Bas et Taqsa en Espagne. Saga Petrokjemi AS et Cie, producteur norvégien, a commencé ses activités au milieu de l'année 1978 et Petrofina SA en 1980. Cette arrivée de nouveaux producteurs ayant une capacité nominale de quelque 480 000 tonnes, a entraîné une augmentation substantielle de la capacité de production en Europe occidentale, qui, pendant plusieurs années, n'a pas été suivie par un accroissement correspondant de la demande, ce qui a eu pour conséquence une faible utilisation des capacités de production, qui se serait cependant redressée progressivement entre 1977 et 1983, passant de 60 % à 90 % Selon la décision, l'offre et la demande se seraient retrouvées plus ou moins en équilibre à partir de 1982. Toutefois, pendant la plus grande partie de la période de référence (1977-1983), le marché du polypropylène se serait caractérisé soit par une faible rentabilité, soit par des pertes substantielles en raison, notamment, de l'importance des coûts fixes et de l'augmentation du coût de la matière première, le propylène. Selon la décision (point 8), en 1983, Montepolimeri détenait 18 % du marché européen du polypropylène, Imperial Chemical Industries, Shell International Chemical Company Ltd et Hoechst AG en auraient détenu chacun 11 %, Hercules Chemicals NV un peu moins de 6 %, ATO Chimie SA, BASF AG, DSM NV, Chemische Werke Huels, Chemie Linz AG, Solvay et Cie SA et Saga Petrokjemi AS et Cie, de 3 à 5 % chacun et Petrofina SA environ 2 %. Le polypropylène aurait fait l'objet d'un vaste courant d'échanges entre les États membres, parce que chacun des producteurs établis à l'époque dans la Communauté vendait dans tous les États membres ou presque.

3 Rhône-Poulenc SA (ci-après "Rhône-Poulenc") faisait partie des producteurs approvisionnant le marché avant 1977. Sa position sur le marché du polypropylène était celle d'un petit producteur, dont la part de marché se situait entre 2,8 et 3 %. Elle a abandonné le marché à la fin de l'année 1980 en cédant son affaire de polypropylène à BP Chimie.

4 Les 13 et 14 octobre 1983, des fonctionnaires de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ont procédé à des vérifications simultanées dans les entreprises suivantes, productrices de polypropylène et approvisionnant le Marché communautaire :

- ATO Chimie SA, actuellement Atochem (ci-après "ATO");

- BASF AG (ci-après "BASF");

- DSM NV (ci-après "DSM");

- Hercules Chemicals NV (ci-après "Hercules");

- Hoechst AG (ci-après "Hoechst");

- Chemische Werke Huels (ci-après "Huels");

- Imperial Chemical Industries plc (ci-après "ICI");

- Montepolimeri SpA, actuellement Montedipe (ci-après "Monte");

- Shell International Chemical Company Ltd (ci-après "Shell");

- Solvay et Cie SA (ci-après "Solvay");

- BP Chimie (ci-après "BP").

Aucune vérification n'a été effectuée chez Rhône-Poulenc, ni chez Enichem Anic SpA.

5 A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements, au titre de l'article 11 du règlement n° 17 (ci-après "demandes de renseignements"), non seulement aux entreprises précitées, mais aussi aux entreprises suivantes :

- Amoco;

- Chemie Linz AG (ci-après "Linz");

- Saga Petrokjemi AS et Cie, qui fait actuellement partie de Statoil (ci-après "Statoil");

- Petrofina SA (ci-après "Petrofina");

- Enichem Anic SpA (ci-après "Anic").

Linz, entreprise établie en Autriche, a contesté la compétence de la Commission et refusé de répondre à la demande. Conformément à l'article 14, paragraphe 2, du règlement précité, les fonctionnaires de la Commission ont ensuite procédé à des vérifications chez Anic et chez Saga Petrochemicals UK Ltd, filiale anglaise de Saga, ainsi qu'auprès des agences de vente de Linz établies au Royaume-Uni et en Allemagne. Aucune demande de renseignements n'a été adressée à Rhône-Poulenc.

6 Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements ont amené la Commission à conclure qu'entre 1977 et 1983, les producteurs concernés avaient, en violation de l'article 85 du traité CEE, par une série d'initiatives de prix, fixé régulièrement des objectifs de prix et élaboré un système de contrôle annuel des volumes de vente en vue de se répartir le marché disponible sur la base de tonnages ou pourcentages convenus. C'est ainsi que le 30 avril 1984, la Commission a décidé d'engager la procédure prévue par l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 et, au cours du mois de mai 1984, elle a adressé une communication écrite des griefs aux entreprises précitées à l'exception d'Anic et de Rhône-Poulenc. Tous les destinataires y ont répondu par écrit.

7 Le 24 octobre 1984, le conseiller-auditeur désigné par la Commission a réuni les conseillers juridiques des destinataires de la communication des griefs pour convenir de certaines dispositions de procédure en vue de l'audition, prévue dans le cadre de la procédure administrative, qui devait débuter le 12 novembre 1984. Lors de cette réunion, la Commission a, par ailleurs, annoncé qu'au vu de l'argumentation développée par les entreprises dans leurs réponses à la communication des griefs, elle leur adresserait incessamment des éléments de preuve complétant ceux dont elles disposaient déjà en ce qui concerne la mise en œuvre des initiatives de prix. C'est ainsi que le 31 octobre 1984, la Commission a envoyé aux conseillers juridiques des entreprises une liasse de documents réunissant des copies des instructions de prix données par les producteurs à leurs bureaux de vente, ainsi que des tableaux résumant ces documents. Afin de garantir le respect du secret des affaires, la Commission a assorti cette communication de certaines conditions en particulier, les documents communiqués ne devaient pas être portés à la connaissance des services commerciaux des entreprises. Les avocats de plusieurs entreprises ont refusé d'accepter lesdites conditions et ont renvoyé la documentation avant l'audition.

8 Au vu des informations fournies dans les réponses écrites à la communication des griefs, la Commission a décidé d'étendre la procédure à Anic et Rhône-Poulenc. A cette fin, une communication des griefs semblable à celle adressée aux quinze autres entreprises leur a été envoyée le 25 octobre 1984.

9 Une première session d'auditions s'est déroulée du 12 au 20 novembre 1984. Au cours de celle-ci, toutes les entreprises ont été entendues, à l'exception de Shell (qui avait refusé de participer à toute audition), Anic, ICI et Rhône-Poulenc (qui estimaient n'avoir pas été en mesure de préparer leur dossier).

10 Lors de cette session, plusieurs entreprises ont refusé d'aborder les points soulevés dans la documentation qui leur avait été adressée le 31 octobre 1984, faisant valoir que la Commission avait radicalement changé l'orientation de son argumentation et qu'elles devaient, à tout le moins, être mises en mesure de présenter des observations écrites. D'autres entreprises ont soutenu n'avoir pas eu assez de temps pour étudier les documents en question avant l'audition. Une lettre commune en ce sens a été adressée à la Commission le 28 novembre 1984 par les avocats de BASF, DSM, Hercules, Hoechst, ICI, Linz, Monte, Petrofina et Solvay. Par lettre du 4 décembre 1984, Huels a déclaré se rallier au point de vue ainsi exprimé.

11 C'est pourquoi, le 29 mars 1985, la Commission a adressé aux entreprises une nouvelle série de documents, reproduisant des instructions de prix données par les entreprises à leurs bureaux de vente, accompagnés de tableaux concernant les prix, ainsi qu'un résumé des preuves ayant trait à chacune des initiatives de prix pour laquelle des documents étaient disponibles. Elle invitait les entreprises à y répondre, tant par écrit qu'au cours d'une autre session d'auditions et précisait qu'elle levait les restrictions prévues initialement concernant la communication aux services commerciaux.

12 Par une autre lettre du même jour, la Commission a répondu aux arguments avancés par les avocats, selon lesquels elle n'avait pas donné une définition juridique précise de l'entente alléguée, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et elle a invité les entreprises à lui soumettre leurs observations écrites et orales.

13 Une seconde session d'auditions s'est déroulée du 8 au 11 juillet 1985, et le 25 juillet 1985. Anic, ICI et Rhône-Poulenc y ont présenté leurs observations et les autres entreprises (à l'exception de Shell) ont commenté les points soulevés dans les deux lettres de la Commission datées du 29 mars 1985.

14 Le projet de procès-verbal des auditions, accompagné de la documentation utile, a été transmis aux membres du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes (ci-après "comité consultatif") le 19 novembre 1985 et a été envoyé aux entreprises le 25 novembre 1985. Le comité consultatif a rendu son avis lors de sa 170e réunion, les 5 et 6 décembre 1985.

15 Au terme de cette procédure, la Commission a pris la décision litigieuse du 23 avril 1986, qui comporte le dispositif suivant :

"Article premier

Anic SpA, ATO Chemie SA (actuellement Atochem), BASF AG, DSM NV, Hercules Chemicals NV, Hoechst AG, Chemische Werke Huels (actuellement Huels AG), ICI PLC, Chemische Werke Linz, Montepolimeri SpA (actuellement Montedipe), Petrofina SA, Rhône-Poulenc SA, Shell International Chemical Co Ltd, Solvay & Cie et Saga Petrokjemi AG & Co (actuellement fusionnée avec Statoil) ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, en participant :

- pour Anic, à partir de novembre 1977 environ jusqu'à la fin de 1982 ou au début de 1983;

- pour Rhône-Poulenc, de novembre 1977 environ jusqu'à la fin de 1980;

- pour Petrofina, de 1980 jusqu'en novembre 1983 au moins;

- pour Hoechst, ICI, Montepolimeri et Shell, du milieu de l'année 1977 jusqu'à novembre 1983 au moins;

- pour Hercules, Linz, Saga et Solvay, de novembre 1977 environ jusqu'en novembre 1983 au moins;

- pour ATO, de 1978 au moins jusqu'à novembre 1983 au moins;

- pour BASF, DSM et Huels, d'un moment indéterminé entre 1977 et 1979 jusqu'en novembre 1983 au moins;

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de l'année 1977, en vertu desquels les producteurs approvisionnant en polypropylène le territoire du Marché commun :

a) ont pris contact l'un avec l'autre et se sont rencontrés régulièrement (depuis le début de 1981, deux fois par mois) dans le cadre de réunions secrètes, en vue d'examiner et de définir leur politique commerciale;

b) ont fixé périodiquement des prix 'cible' (ou minimaux) pour la vente du produit dans chaque État membre de la Communauté;

c) ont convenu de diverses mesures visant à faciliter l'application de tels objectifs de prix, y compris (et essentiellement) des limitations temporaires de la production, l'échange d'informations détaillées sur leurs livraisons, la tenue de réunions locales et, à partir de la fin de 1982, un système d''account management' ayant pour but d'appliquer les hausses de prix à des clients particuliers;

d) ont procédé à des hausses de prix simultanées, en application desdites cibles;

e) se sont réparti le marché en attribuant à chaque producteur un objectif ou un 'quota' annuel de vente (1979, 1980 et pendant une partie au moins de 1983) ou, à défaut d'un accord définitif pour l'année entière, en obligeant les producteurs à limiter leurs ventes mensuelles par référence à une période antérieure (1981, 1982).

Article 2

Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées (si elles ne l'ont pas déjà fait) et s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leur secteur polypropylène, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange de renseignements du type généralement couvert par le secret professionnel, au moyen duquel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des livraisons, du niveau des stocks, des prix de vente, des coûts ou des plans d'investissement d'autres producteurs individuels, ou qui leur permettrait de suivre l'exécution de tout accord exprès ou tacite ou de toute pratique concertée se rapportant aux prix ou au partage des marchés dans la Communauté. Tout système d'échange de données générales auquel les producteurs seraient abonnés (tel que le Fides) sera géré de manière à exclure toute donnée permettant d'identifier le comportement de producteurs déterminés les entreprises s'abstiendront plus particulièrement d'échanger entre elles toute information supplémentaire intéressant la concurrence et non couverte par un tel système.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées par la présente décision, en raison de l'infraction constatée à l'article 1er :

i) Anic SpA, une amende de 750 000 écus, soit 1 103 692 500 LIT;

ii) Atochem, une amende de 1 750 000 écus, soit 11 973 325 FF;

iii) BASF AG, une amende de 2 500 000 écus, soit 5 362 225 DM;

iv) DSM NV, une amende de 2 750 000 écus, soit 6 657 640 HFL;

v) Hercules Chemicals NV, une amende de 2 750 000 écus, soit 120 569 620 BFR;

vi) Hoechst AG, une amende de 9 000 000 écus, soit 19 304 010 DM;

vi) Huels AG, une amende de 2 750 000 écus, soit 5 898 447,50 DM;

viii) ICI plc, une amende de 10 000 000 écus, soit 6 447 970 UKL;

ix) Chemische Werke Linz, une amende de 1 000 000 écus, soit 1 471 590 000 LIT;

x) Montedipe, une amende de 11 000 000 écus, soit 16 187 490 000 LIT;

xi) Petrofina SA, une amende de 600 000 écus, soit 26 306 100 BFR;

xii) Rhône-Poulenc SA, une amende de 500 000 écus, soit 3 420 950 FF;

xiii) Shell International Chemical Co Ltd, une amende de 9 000 000 écus, soit 5 803 173 UKL;

xiv) Solvay & Cie, une amende de 2 500 000 écus, soit 109 608 750 BFR;

xv) Statoil, Den Norske Stats Oljeselskap AS (qui englobe aujourd'hui Saga Petrokjemi), une amende de 1 000 000 écus, soit 644 797 UKL.

Articles 4 et 5

(omissis)"

16 Le 8 juillet 1986, le procès-verbal définitif des auditions contenant les corrections, compléments et suppressions de textes demandés par les entreprises, leur a été envoyé.

La procédure

17 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 18 juillet 1986, la requérante a introduit le présent recours, visant à l'annulation de la décision. Treize des quatorze autres destinataires de cette décision ont également introduit un recours visant à son annulation (affaires T-2-89 à T-4-89 et T-6-89 à T-15-89).

18 La procédure écrite s'est entièrement déroulée devant la Cour.

19 Par ordonnance du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé cette affaire ainsi que les treize autres devant le Tribunal, en application de l'article 14 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (ci-après "décision du Conseil du 24 octobre 1988").

20 En application de l'article 2, paragraphe 3, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, un avocat général a été désigné par le président du Tribunal.

21 Par lettre du 3 mai 1990, le greffier du Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, en vue de déterminer les modalités d'organisation de la procédure orale. Cette réunion a eu lieu le 28 juin 1990.

22 Par lettre du 9 juillet 1990, le greffier du Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs observations sur une jonction éventuelle des affaires T-1-89 à T-4-89 et T-6-89 à T-15-89 aux fins de la procédure orale. Aucune partie n'a formulé d'objection sur ce point.

23 Par ordonnance du 25 septembre 1990, le Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 43 du règlement de procédure de la Cour, applicable alors mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988.

24 Par ordonnance du 15 novembre 1990, le Tribunal a statué sur les demandes de traitement confidentiel introduites par les requérantes dans les affaires T-2-89, T-3-89, T-9-89, T-11-89, T-12-89 et T-13-89 et les a partiellement accueillies.

25 Par lettres déposées au greffe du Tribunal entre le 9 octobre et le 29 novembre 1990, les parties ont répondu aux questions qui leur avaient été posées par le Tribunal par lettres du greffier du 19 juillet.

26 Au vu des réponses fournies à ses questions et sur rapport du juge rapporteur, l'avocat général entendu, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

27 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 10 au 15 décembre 1990.

28 L'avocat général a été entendu en ses conclusions à l'audience du 10 juillet 1991.

Les conclusions des parties

29 Rhône-Poulenc SA conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

1) Annuler la décision de la Commission du 23 avril 1986 (IV-31149, polypropylène);

2) subsidiairement, annuler ladite décision dans la mesure où elle a infligé une amende à Rhône-Poulenc;

3) plus subsidiairement encore, réduire cette amende.

La Commission, quant à elle, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- Rejeter le recours;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur le fond

30 Le Tribunal considère qu'il y a lieu d'examiner, en premier lieu, les griefs de la requérante relatifs à l'établissement de l'infraction qui portent, d'une part, sur les constatations de fait opérées par la Commission (1) et, d'autre part, sur leur qualification juridique (2); en second lieu, les griefs de la requérante relatifs à la motivation de la décision qui portent sur le fait qu'elle est commune à plusieurs entreprises (1), qu'elle serait insuffisamment motivée (2) et que sa motivation serait contradictoire (3) en troisième lieu, les griefs tirés de la violation du principe d'égalité de traitement et, en quatrième lieu, les griefs relatifs à la fixation de l'amende qui ne serait adéquate ni à la durée (1) ni à la gravité (2) de l'infraction alléguée.

Sur l'établissement de l'infraction

31 Selon la décision (point 80, premier alinéa), à partir de 1977, les producteurs de polypropylène approvisionnant la Communauté ont été parties à tout un ensemble de plans, dispositifs et mesures arrêtés dans le cadre d'un système de réunions périodiques et de contacts permanents. La décision (point 80, deuxième alinéa) ajoute que le plan d'ensemble des producteurs visait à organiser des rencontres pour parvenir à un accord exprès sur des points spécifiques.

32 Dans ces conditions, il y a lieu de vérifier d'abord si la Commission a établi à suffisance de droit ses constatations de fait relatives à la réunion d'une association professionnelle de clients, la European Association for Textile Polyolefins (ci-après "EATP"), du 22 novembre 1977 (A), au système des réunions périodiques de producteurs de polypropylène (B), à l'initiative de prix de juillet à décembre 1979 (C) et à la fixation de tonnages cibles et de quotas (D), en rendant compte de l'acte attaqué (a) et des arguments des parties (b) avant de les apprécier (c), il y a lieu de contrôler, ensuite, la qualification juridique de ces faits opérée par la Commission.

1 Les constatations de fait

A - La réunion de l'"EATP" du 22 novembre 1977

a) Acte attaqué

33 La décision (points 17, quatrième alinéa, 78, troisième alinéa, et 104, deuxième alinéa) fait grief à la requérante d'avoir déclaré, tout comme Hercules, Hoechst, ICI, Linz, Saga et Solvay, qu'elle soutiendrait l'annonce faite par Monte, par la voie d'un article paru le 18 novembre 1977 dans la presse spécialisée (European Chemical News, ci-après "ECN"), de son intention de porter le prix du raphia à 1,30 DM/kg à partir du 1er décembre. Les différentes déclarations faites à cet égard lors de la réunion de l'EATP tenue le 22 novembre 1977, telles qu'elles ressortent du compte-rendu, indiqueraient que le prix de 1,30 DM/kg fixé par Monte avait été adopté par les autres producteurs comme "objectif" pour le secteur tout entier.

34 Selon la décision (point 16, premier et deuxième alinéas), cette déclaration de soutien s'inscrivait dans la perspective de discussions entamées entre les producteurs pour éviter une chute brutale des prix du polypropylène et les pertes qui s'ensuivraient, discussions dans le cadre desquelles les principaux producteurs, Monte, Hoechst, ICI et Shell, auraient pris l'initiative d'un "accord sur les prix planchers", qui devait entrer en vigueur le 1er août 1977, et dont les modalités auraient été communiquées aux autres producteurs et notamment à Hercules.

35 La décision (point 16, cinquième et sixième alinéas) expose, en outre, qu'ICI et Shell admettent avoir eu des contacts avec d'autres producteurs pour étudier les moyens de juguler la chute des prix. Toutefois, la Commission reconnaît qu'à l'exception des "quatre grands" (Hoechst, ICI, Monte et Shell), d'Hercules et de Solvay, elle n'a pas été en mesure d'établir l'identité des producteurs impliqués dans les discussions à ce moment, ni d'obtenir de détails quant au fonctionnement de l'"accord sur les prix planchers ".

36 La décision (point 17, premier alinéa) affirme encore que c'est à peu près au moment de l'annonce par Monte de son intention d'augmenter ses prix qu'a débuté le système des réunions périodiques de producteurs de polypropylène. Elle relève toutefois que, de l'aveu même d'ICI, les producteurs maintenaient déjà des contacts entre eux auparavant, probablement par téléphone, lorsque la nécessité s'en faisait sentir.

b) Arguments des parties

37 La requérante fait valoir que le compte-rendu de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 (communication générale des griefs, annexe 6, ci-après "g.g. ann.") ne peut être retenu, dans la mesure où on ne saurait raisonnablement soutenir que cette réunion a servi de cadre à la conclusion d'un accord sur les prix. En effet, d'une part, il serait difficile de croire que des entreprises poussent l'audace jusqu'à souscrire à un accord constituant une entente illicite en présence de leurs clients et, d'autre part, les déclarations faites par les participants lors de cette réunion ne révéleraient de la part des entreprises aucun engagement relatif aux prix, mais simplement la conscience qu'elles avaient de la nécessité objective d'augmenter leurs prix, compte tenu des difficultés que connaissait le secteur en cause. Rhône-Poulenc ajoute que si elle a déclaré soutenir l'action de Monte en vue d'augmenter ses prix, il s'est agi là de l'annonce d'une décision individuelle qui avait déjà été prise d'une manière autonome.

38 La Commission affirme, de son côté, que sa constatation, selon laquelle Rhône-Poulenc a commencé à participer à l'entente alléguée en novembre 1977, est basée sur le fait que cette entreprise a soutenu l'initiative, annoncée publiquement par Monte, d'une hausse de prix à compter de décembre 1977. Or, cette initiative et le soutien qu'elle a trouvé, n'auraient pas été un comportement parallèle dû au hasard ou aux forces du marché, mais bien une action concertée. En effet, le compte-rendu de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 établirait que la fixation du prix du raphia à 1,30 DM/kg, annoncée par Monte, avait déjà été acceptée préalablement comme prix cible commun, puisqu'on peut y lire que Rhône-Poulenc a déclaré :

"1977 saw in France and in Europe the drop in prices of polypropylene for extrusion-stretching speed up, and this drop has influenced in no small way, as one of my colleagues said previously, the price of other polypropylene applications.

The lowest prices indicated in our opinion for all producers hardly reach the level of the variable cost of polypropylene, a situation which can no longer be accepted.

On Friday we learnt in the press, as previously mentioned, that a rise had been announced by one of the main European polypropylene producers.

We think that it is impossible to return, in one go, to the economically acceptable level which is around 350 FF, but we, at Rhône-Poulenc have decided to follow this announcement. We have, therefore, informed our commercial agencies of the new price level of Napryl polypropylene, our brand, which as from 28th November, 1977 next will be 300 FF "

("1977 a été marquée, en France et en Europe, par une accélération de la chute des prix du polypropylène destiné à l'extrusion et, comme l'a dit précédemment un de mes collègues, cette chute des prix a eu une influence non négligeable sur le prix d'autres applications de polypropylène.

Les prix minimaux qui nous paraissent indiqués pour tous les producteurs atteignent à peine le niveau du coût variable du polypropylène, situation qui n'est plus acceptable.

Vendredi, nous avons appris par la presse, comme cela a déjà été dit, qu'une augmentation avait été annoncée par un des principaux producteurs de polypropylène européens.

Nous pensons qu'il est impossible de revenir d'une seule traite au niveau acceptable du point de vue de la rentabilité, niveau qui se situe autour de 3,50 FF, mais notre société, Rhône-Poulenc, a décidé de suivre cette annonce. Nous avons donc informé nos agences commerciales du nouveau prix du polypropylène Napryl, notre marque, qui sera de 3,00 FF à partir du 28 novembre 1977")

39 De l'avis de la Commission, le fait que la déclaration de Rhône-Poulenc a été faite quatre jours après la publication des hausses de prix de Monte dans ECN (le 18 novembre 1977) n'affaiblirait pas cette conclusion puisque, ultérieurement, il serait apparu que ECN était utilisée comme instrument de l'entente (comme le montrerait le compte-rendu d'une réunion de producteurs du 1er juin 1983, dans lequel on peut lire "Shell was reported to have committed themselves to the move and would lead publicly in ECN" (g.g. ann. 40; "Il a été indiqué que Shell s'était engagée dans ce mouvement et le lancerait publiquement dans ECN").

40 La Commission ajoute que, si l'on tient compte du fait que les premiers contacts entre les producteurs avaient déjà eu lieu au moment où cette annonce a été faite publiquement, il n'est tout simplement pas crédible que Rhône-Poulenc ait adhéré à cette initiative sans avoir eu des contacts préalables.

41 Pour étayer - de façon indirecte - sa thèse selon laquelle des contacts entre producteurs ont dû avoir lieu avant la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977, la Commission se réfère à une note relatant une conversation téléphonique qu'aurait eue un cadre d'Hercules avec un employé de l'un des "quatre grands" (g.g. ann. 2), car elle estime que si Hercules a été informée de la conclusion de cet accord, tous les autres (dont Rhône-Poulenc) ont dû l'être également.

42 Lors de l'audience, la Commission a souligné que le but des déclarations parallèles des différents producteurs lors de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 était de présenter à leurs clients un front uni et de convaincre ces derniers du caractère inéluctable d'une hausse des prix de l'ordre de celle annoncée par Monte.

c) Appréciation du Tribunal

43 Le Tribunal constate que les déclarations faites par la requérante lors de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 (g.g. ann. 6) constituent, d'une part, l'expression d'un soutien global à la politique d'augmentation des prix amorcée par Monte et constituent, d'autre part, une indication précise, destinée à ses concurrents, sur le comportement qu'elle avait décidé d'adopter sur le marché. Ces constatations sont corroborées par le compte-rendu de la réunion suivante de l'EATP, du 26 mai 1978 (g.g. ann. 7), à laquelle participait également la requérante, compte-rendu dans lequel on peut lire les appréciations faites par les différents producteurs sur les résultats obtenus sur le marché à la suite de la réunion du 22 novembre 1977. Le fait que la Commission a reconnu au cours de l'audience qu'en dehors de la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 et d'une autre, postérieure, du 26 mai 1978, elle ne disposait d'aucune preuve directe de l'existence de contacts entre Rhône-Poulenc et les autres producteurs, n'est pas de nature à ébranler ces constatations.

44 Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a exprimé en présence de ses concurrents un soutien global à la politique d'augmentation des prix amorcée par Monte (décision, points 17, quatrième alinéa, première phrase, et 78, troisième alinéa, deuxième phrase) et qu'elle leur a donné une indication précise sur le comportement qu'elle avait décidé d'adopter sur le marché.

B - Le système des réunions périodiques

a) Acte attaqué

45 Selon la décision (point 18, premier alinéa), six réunions au moins ont eu lieu au cours de 1978 entre de hauts dirigeants chargés de la direction du secteur polypropylène de certains producteurs ("patrons"). Ce système aurait bientôt été complété par des réunions d'un niveau moins élevé entre des cadres plus spécialisés en marketing ("experts" référence est faite à la réponse d'ICI à la demande de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17, g.g. ann. 8). La décision reproche à la requérante d'avoir assisté régulièrement à ces réunions jusqu'au transfert de son affaire de polypropylène à BP à la fin de 1980 (points 18, troisième alinéa, et 19, premier alinéa).

46 La décision (point 21) affirme que ces réunions périodiques avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente et le contrôle de leur respect par les producteurs.

b) Arguments des parties

47 La requérante expose que la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) - dans laquelle celle-ci affirme que Rhône-Poulenc, Anic et SIR ont participé régulièrement aux réunions entre 1979 et 1983 lorsqu'elles étaient engagées dans le secteur du polypropylène d'Europe occidentale - ne permet pas à elle seule d'établir sa présence aux réunions. Elle ajoute que le compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12) est une note manuscrite, difficile à interpréter, qui ne mentionne pas le nom des participants à celle-ci et qui ne permet dès lors pas d'établir sa participation.

48 La Commission estime que la réponse d'ICI à la demande de renseignements établit la participation de Rhône-Poulenc aux réunions entre 1979 et 1980. Elle ajoute que la valeur probante de la réponse d'ICI est corroborée par le fait que Rhône-Poulenc n'a jamais nié formellement sa présence aux réunions pendant cette période.

49 La Commission poursuit en exposant que la présence de Rhône-Poulenc aux réunions implique son adhésion à l'objet de ces réunions qui était notamment de fixer des prix et des quotas cibles.

50 La Commission admet cependant que les comptes-rendus en sa possession concernent pour la plupart des réunions tenues à partir du milieu de l'année 1982, mais elle estime qu'il est parfaitement légitime de conclure que les réunions de la période antérieure portaient sur les mêmes thèmes de discussion et aboutissaient aux mêmes résultats. A cet égard, elle fait valoir que le compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 confirme que les réunions tenues en 1979 avaient le même objet que les réunions tenues ultérieurement.

c) Appréciation du Tribunal

51 Le Tribunal constate qu'il résulte d'une lecture combinée du point 18, premier alinéa, première phrase, de la décision, et de la communication des griefs adressée à la requérante (point 74, dernier alinéa), qu'il n'est pas fait grief à celle-ci d'avoir participé aux six réunions qui auraient eu lieu au cours de l'année 1978 entre de hauts dirigeants chargés de la direction du secteur polypropylène de certains producteurs. La communication des griefs indique en effet que "il n'est pas établi si les représentants de Rhône-Poulenc ont assisté à ces réunions en 1978 ". Il s'ensuit que la requérante n'est visée qu'à partir de la période immédiatement consécutive (décision, point 18, premier alinéa, deuxième phrase), qui commence, selon la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) à laquelle il est fait référence dans la décision, à la fin de l'année 1978 ou au début de l'année 1979, à savoir la période pendant laquelle le système des réunions de "patrons" a été complété par des réunions d'"experts ".

52 Il y a lieu de relever que la réponse d'ICI à la demande de renseignements classe la requérante, à la différence de deux autres producteurs, parmi les participants réguliers aux réunions de "patrons" et "d'experts" entre 1979 et la cession de ses activités dans le secteur du polypropylène à BP. Cette réponse doit être interprétée comme faisant remonter la participation de la requérante au début du système des réunions de "patrons" et d'"experts", qui a été instauré à la fin de l'année 1978 ou au début de l'année 1979.

53 La réponse d'ICI à la demande de renseignements se trouve corroborée sur ce point par la mention, à côté du nom de la requérante dans différents tableaux retrouvés chez ICI et ATO (g.g. ann. 55 à 61 et ann lettre du 3 avril 1985), de ses chiffres de vente pour différents mois et différentes années, alors que, comme l'ont admis la plupart des requérantes dans leur réponse à une question écrite posée par le Tribunal, il n'aurait pas été possible d'établir les tableaux découverts chez ICI, ATO et Hercules sur la base des statistiques du système Fides d'échange de données. Dans sa réponse à la demande de renseignements, ICI a d'ailleurs déclaré à propos d'un de ces tableaux que "the source of information for actual historic figures in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres de ce tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisés a dû être les producteurs eux-mêmes"). En outre, au cours de la procédure devant le Tribunal, la requérante, confrontée à ces indices sérieux présentés par la Commission, n'a jamais nié sa présence aux réunions, dont elle n'a pas contesté qu'elles aient eu lieu.

54 Ensuite, c'est à bon droit que la Commission a estimé, sur la base de la réponse d'ICI à la demande de renseignements, confirmée par le compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12), que les réunions qui ont eu lieu à l'époque où la requérante était encore présente sur le marché avaient notamment pour objet de fixer des objectifs de prix, d'une part, et de volumes de vente, d'autre part. En effet, on peut lire dans cette réponse : "'Target prices'for the basic grade of each principal category of polypropylene as proposed by producers from time to time since 1 January 1979 are set forth in Schedule ", ainsi que : "A number of proposals for the volume of individual producers were discussed at meetings" ("Les 'prix cibles' qui ont été proposés périodiquement par les producteurs depuis le 1er janvier 1979 pour la qualité de base de chacune des principales catégories de polypropylène figurent dans l'annexe " ainsi que : "un certain nombre de propositions relatives au volume des ventes des divers producteurs ont été discutées lors des réunions").

55 De surcroît, faisant état de l'organisation, en plus des réunions de "patrons", de réunions d'"experts" en marketing à partir de la fin de l'année 1978 ou du début de l'année 1979, la réponse d'ICI à la demande de renseignements révèle que les discussions relatives à la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente se faisaient de plus en plus concrètes et précises, alors que, en 1978, les "patrons" s'étaient bornés à développer le concept même des prix cibles.

56 Outre le passage précédent, on peut lire l'extrait suivant dans la réponse d'ICI à la demande de renseignements : "Only 'Bosses' and 'Experts' meetings came to be held on a monthly basis" ("Seules les réunions de 'patrons' et d''experts' étaient tenues sur une base mensuelle"). C'est à bon droit que la Commission a pu déduire de cette réponse, ainsi que de l'identité de nature et d'objet des réunions, que celles-ci s'inscrivaient dans un système de réunions périodiques.

57 Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a participé régulièrement aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène entre la fin de l'année 1978 ou le début de l'année 1979 et la fin de l'année 1980, que ces réunions avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente et qu'elles s'inscrivaient dans un système.

C - L'initiative de prix de juillet à décembre 1979

a) Acte attaqué

58 Selon la décision (point 28), un système de fixation d'objectifs de prix aurait été mis en œuvre à travers des initiatives de prix, dont la première qui a pu être identifiée serait celle de juillet à décembre 1979.

59 La décision (point 29) concède ne posséder aucun détail sur les réunions tenues ou les initiatives prévues au cours de la première partie de 1979. Le compte-rendu d'une réunion tenue les 26 et 27 septembre 1979 indiquerait cependant qu'une initiative était prévue sur la base d'un prix, pour la qualité raphia, de 1,90 DM/kg à partir du 1er juillet et de 2,05 DM/kg à partir du 1er septembre. La Commission disposerait des instructions de prix de certains producteurs, dont il ressortirait que ces producteurs avaient donné ordre à leurs bureaux de vente d'appliquer ce niveau de prix ou son équivalent en monnaie nationale à partir du 1er septembre, et ce pour la plupart d'entre eux, avant que la presse spécialisée n'ait annoncé la hausse prévue (décision, point 30).

60 Toutefois, en raison de difficultés à majorer les prix, les producteurs auraient décidé, au cours de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, de reporter la date prévue pour atteindre la cible de plusieurs mois, soit au 1er décembre 1979, le nouveau plan consistant à "maintenir" pendant tout le mois d'octobre les niveaux déjà atteints, avec la possibilité d'une hausse intermédiaire en novembre, qui porterait le prix à 1,90 ou 1,95 DM/kg (décision, point 31, premier et deuxième alinéas).

61 La décision (point 83, troisième alinéa) admet qu'aucune instruction de prix n'a pu être trouvée chez Rhône-Poulenc, mais cela serait sans importance, dans la mesure où la présence de la requérante aux réunions ainsi que sa participation à la fixation d'objectifs de volume et aux plans de quotas ressortiraient des documents retrouvés.

b) Arguments des parties

62 La requérante soutient que l'absence de preuve de sa présence aux réunions dément sa participation à la fixation d'objectifs de prix, d'autant plus que la Commission a reconnu lors de l'audience avoir vainement cherché des instructions de prix émanant de Rhône-Poulenc dans les locaux de celle-ci.

63 De son côté, la Commission relève, d'une part, que, dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), ICI a indiqué que "generally speaking the concept of recommending 'target prices' was developed during the early meetings which took place in 1978" ("en général, l'idée de recommander des 'prix cibles' a été élaborée pendant les premières réunions, qui ont eu lieu en 1978") et, d'autre part, que le compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12) indique qu'une initiative destinée à atteindre 2,05 DM/kg le 1er septembre 1979 a été reportée au 1er décembre 1979. A ces éléments, la Commission ajoute l'existence d'instructions de prix concordantes provenant de différents producteurs qui établiraient que les objectifs de prix convenus ont été effectivement mis en œuvre.

64 Par conséquent, la Commission soutient que la participation de Rhône-Poulenc à la fixation d'objectifs de prix ressort de sa participation à des réunions dont tel était l'objet.

c) Appréciation du Tribunal

65 Le Tribunal constate qu'il résulte des instructions de prix concordantes données par ATO, BASF, Hoechst, ICI, Linz et Shell (annexe A, lettre du 29 mars 1985) que l'initiative destinée à atteindre 2,05 DM/kg le 1er septembre 1979 avait été décidée et annoncée fin juillet. L'existence de cette initiative et le report de sa mise en œuvre au 1er décembre 1979 sont établis par le compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12), dans lequel on peut lire "2,05 remains the target Clearly 2,05 not achievable in Oct., not in Nov. Plan now is 2,05 on 1/12" ("2,05 reste la cible. Manifestement, il n'est pas possible de réaliser 2,05 en octobre, ni en novembre. Projet actuel : 2,05 le 1er décembre").

66 Dès lors qu'il est établi à suffisance de droit que la requérante a été une participante régulière aux réunions de producteurs de polypropylène à partir de la fin de l'année 1978 ou du début de l'année 1979 et qu'elle a donc participé à la réunion des 26 et 27 septembre 1979, dont le compte-rendu indique que ceux qui y ont participé y ont convenu des étapes de la mise en œuvre de l'initiative de prix en cause, la requérante ne peut affirmer ne pas avoir souscrit à cette initiative sans fournir d'indices de nature à corroborer cette affirmation. En effet, en l'absence de tels indices il n'y a aucune raison de penser que la requérante n'y aurait pas souscrit, à la différence des autres participants à la réunion. Or force est de constater que la requérante n'a fourni aucun indice en ce sens.

67 Il y a lieu de relever encore que, même si la Commission n'a pu obtenir d'instructions de prix émanant de la requérante et qu'elle ne disposait donc pas de la preuve de la mise en œuvre par celle-ci de l'initiative de prix en cause, cela n'infirme en rien la constatation de la participation de la requérante à cette initiative puisqu'elle a participé à la réunion des 26 et 27 septembre 1979.

68 Il faut ajouter que c'est à bon droit que la Commission a pu déduire de la réponse d'ICI à la demande de renseignements, dans laquelle on peut lire que "'Target prices' for the basic grade of each principal category of polypropylene as proposed by producers from time to time since 1 January 1979 are set forth in Schedule " ("Les 'prix cibles' qui ont été proposés périodiquement depuis le 1er janvier 1979 par les producteurs pour la qualité de base de chacune des principales catégories de polypropylène figurent dans l'annexe"), que cette initiative s'inscrivait dans un système de fixation d'objectifs de prix.

69 Il convient dès lors de conclure que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels s'est manifesté, lors de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, un concours de volontés portant sur l'initiative de prix mentionnée dans la décision pour la période de juillet à décembre 1979 et que cette initiative s'inscrivait dans un système.

D - Tonnages cibles et quotas

a) Acte attaqué

70 Selon la décision (point 31, troisième alinéa), "la nécessité d'un système rigoureux de quotas (aurait été) reconnue" au cours de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, dont le compte-rendu mentionnerait un projet proposé ou convenu à Zurich en vue de limiter les ventes mensuelles à 80 % de la moyenne atteinte au cours des huit premiers mois de l'année.

71 La décision (point 52) relève encore que divers projets de répartition du marché avaient déjà été appliqués avant le mois d'août 1982. Si chaque producteur s'était vu allouer un pourcentage du volume total estimé des commandes, il n'aurait cependant existé aucune limitation systématique préalable de la production globale.

Aussi les estimations du marché total auraient-elles été revues régulièrement et les ventes de chaque producteur, exprimées en tonnages, ajustées, pour correspondre au pourcentage autorisé.

72 Des objectifs en matière de volume (exprimés en tonnes) auraient été fixés pour 1979 ; ils se seraient basés au moins partiellement sur les ventes réalisées au cours des trois années antérieures. Des tableaux découverts chez ICI indiqueraient l'"objectif ajusté" par producteur pour 1979, comparé au tonnage réellement vendu au cours de cette période en Europe occidentale. L'existence d'un plan de répartition du marché pour 1979 serait confirmée par les documents découverts chez ATO, qui indiqueraient, par marché national, les objectifs des quatre producteurs français (ATO, Rhône-Poulenc, Solvay, et Hoechst France ; décision, point 54).

73 A la fin de février 1980, les producteurs auraient convenu d'objectifs de volumes pour 1980, exprimés cette fois encore en tonnages, sur la base d'un marché annuel total estimé à 1 390 000 tonnes. Selon la décision (point 55), des tableaux indiquant les "objectifs convenus" afférents à chaque producteur pour 1980 auraient été découverts chez ATO et ICI. Cette première estimation du marché global se révélant trop optimiste, le quota de chaque producteur aurait dû être ajusté à la baisse pour correspondre à une consommation totale pour cette année de 1 200 000 tonnes seulement. Sauf pour ICI et DSM, les ventes réalisées par les différents producteurs correspondraient grosso modo à leur cible.

b) Arguments des parties

74 La requérante fait valoir que c'est à tort que la Commission a qualifié de quotas ce qui, en l'absence de toute preuve d'engagement de la part de la requérante, ne pouvait constituer que des objectifs de vente internes. A cet égard, la requérante expose en particulier que le terme "target" qui figure dans certains tableaux, désignait le volume que chaque entreprise escomptait réaliser pendant l'année en cause. Cela expliquerait les révisions intervenues en cours d'années, les entreprises adaptant leurs ambitions aux réalités du marché. De telles révisions auraient été dépourvues de signification dans un système de quotas, dans la mesure où il serait de l'essence d'un tel système non pas de s'adapter aux réalités du marché, mais d'adapter les quantités mises sur le marché aux quotas préalablement définis.

75 La requérante ajoute que la mention de son nom dans une série de tableaux chiffrés (g.g. ann. 56 à 61 et ann lettre du 3 avril 1985), découverts chez certains concurrents, portant sur les années 1979 et 1980 et reprenant pour chaque entreprise des données relatives à ses activités commerciales, ne saurait suffire à elle seule à établir sa participation à une entente sur des quotas. En effet, on ignorerait tout des conditions dans lesquelles ces tableaux ont été élaborés.

76 Par ailleurs, la requérante estime que le fait que son nom figure dans les tableaux aux côtés des noms d'entreprises à l'encontre desquelles la Commission n'a retenu aucune infraction constitue la preuve que la défenderesse elle-même a estimé que cet élément était suffisant pour établir la participation à une entente.

77 La Commission soutient, de son côté, que la participation de la requérante à la fixation d'objectifs de volumes de vente résulte de la mention de son nom dans plusieurs tableaux chiffrés reprenant pour les différents producteurs des volumes de vente antérieurs et des quotas. Par mi ces documents, la Commission en relève plus spécifiquement quatre.

78 Le premier est un tableau non daté, intitulé "Producers' Sales to West Europe" ("Ventes des producteurs en Europe occidentale"), retrouvé chez ICI (g. g. ann. 55), reprenant pour tous les producteurs de polypropylène d'Europe occidentale les chiffres de vente en kilotonnes pour 1976, 1977 et 1978, ainsi que des chiffres mentionnés sous les rubirques "1979 actual" ("chiffres effectifs de 1979") et "revised target 79" ("objectif 1979 révisé"). Rhône-Poulenc s'y serait vue attribuer un objectif révisé de 37,3 kilotonnes. Selon la Commission, ce document établit la participation de Rhône-Poulenc à un plan de répartition du marché pour 1979, puisqu'il définirait les quotas pour chaque producteur pour cette année.

79 Le deuxième document est constitué d'une série de tableaux découverts chez ATO (ann. lettre du 3 avril 1985) reprenant pour les quatre producteurs français (ATO, Rhône-Poulenc, Solvay et Hoechst France) leurs chiffres de vente, dans différents Etats d'Europe occidental, pour chacun des quatre derniers mois de l'année 1979. Sous certains de ces tableaux se trouve une comparaison entre les chiffres réalisés et les quotas : "85 % des quotas" ou "84,7 % des quotas ". Ce document établirait la participation de Rhône-Poulenc non seulement à un plan de répartition du marché pour 1979, mais aussi au contrôle de l'exécution de ce plan entre les quatre producteurs français.

80 Le troisième document est un tableau daté du 26 février 1980, intitulé "Polypropylene - Sales target 1980 (kt)" ["Polypropylene-Objectif de ventes 1980 (kt)"], découvert chez ATO (g. g. ann 60), qui compare pour tous les producteurs d'Europe occidentale, un "1980 target" ("objectif 1980"), des "opening suggestions" ("suggestions de départ"), des "porposed adjustments" ("ajustements proposés") et des "agreed targets 1980 ("objectifs convenus 1980"). Ce document montrerait le processus des quotas.

81 Ces éléments seraient corroborés par un quatrième tableau trouvé à la fois chez ATO et ICI (g. g. ann. 59 et 61) comparant, pour tous les producteurs, leurs ventes en termes de tonnages et de parts de marché, dans les rubriques suivantes : "1979 actual", "1980 target", "(1980) actual" et "1981 aspirations". La Commission fait valoir qu'ICI a déclaré à propos de ce document, dans sa réponse à la demande de renseignements (g. g. ann. 8), que "the source of information for actual historic figures in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres de ce tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisées a du être les producteurs eux-mêmes").

82 Selon la Commission, ces documents démontrent que les producteurs sont parvenus à se mettre d'accord sur les volumes de vente de chacun, en utilisant comme base de négociation des chiffres reflétant les ambitions de chacun. La fluctuation des tonnages attribués aux différents producteurs résulterait de ce que, en raison d'une estimation initialement trop optimiste de l'importance du marché, il a fallu adapter les tonnages correspondant aux quotas convenus en termes de parts de marché en fonction de la nouvelle estimation du marché global.

83 En outre, les chiffres repris dans les différents tableaux démontreraient qu'en 1980, Rhône-Poulenc s'en est tenue quasi parfaitement à la part de marché qui lui avait été initialement impartie (2,98 % au lieu convenus).

84 La Commission fait enfin valoir qu'Amoco et BP, contrairement à Rhône-Poulenc, n'ont pas assisté aux réunions de producteurs, ce qui ne serait pas sans conséquence quant à leur participation à l'élaboration des tableaux susmentionnés. Elle expose ensuite que nombre d'éléments de preuve (g. g. ann. 8, 17, 33, 55, 59, 73 à 87, 88) établissent que les chiffres repris dans les différentes tableaux concernant Amoco constituent des estimations en gros de sa position. La Commission en déduit qu'Amoco n'a jamais communiqué de données individualisées aux entreprises membres de l'entente, ce qui serait confirmé par la réponse d'ICI à la demande de renseignements. Ainsi, la mention dans les différents tableaux de Rhône-Poulenc, d'une part, et d'Amoco, d'autre part, ne serait pas de la même nature.

c) Appréciation du Tribunal

85 Il y a lieu de rappeler que, à partir de la fin de l'année 1978 ou du début de l'année 1979, la requérante a participé régulièrement aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène au cours desquelles les différents producteurs ont discuté des volumes de vente et échangé des informations à ce sujet.

86 Il convient de relever, parallèlement à la participation de Rhône-Poulenc aux réunions, que son nom figure dans différents tableaux (g. g. ann. 55 à 61 et ann. lettre du 3 avril 1985) dont le contenu indique clairement qu'ils étaient destinés à la définition d'objectifs de volumes de vente. Or, la plupart des requérantes ont admis dans leurs réponses à une question écrite posée par le Tribunal qu'il n'aurait pas été possible d'établir les tableaux découverts chez ICI, ATO et Hercules sur la base des statistiques du système Fides, et ICI a déclaré à propos d'un de ces tableaux dans sa réponse à la demande de renseignements (g. g. ann. 8) que "the source of information for actual historic in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres de ce tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisés a dû être les producteurs eux-mêmes). La Commission était donc en droit de considérer que le contenu de ces tableaux avait été fourni par Rhône-Poulenc dans le cadre des réunions auxquelles elle participait.

87 La terminologie utilisée dans les tableaux relatifs aux années 1979 et 1980 [ comme "revised target" ("objectif révisé"), "opening suggestions" ("suggestions de départ"), "proposed adjustments" (ajustements proposés"), "agreed targets" ("objectifs convenus")] permet de conclure que des concours de volontés entre les producteurs sont intervenus.

88 En ce qui concerne plus particulièrement l'année 1979, il convient de relever, que la base de l'ensemble du compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g. g. ann. 12) et sur la base du tableau non daté, saisi chez ICI (g. g. ann. 55), intitulé "Producers' Sale to West Europe" ("Ventes des producteurs en Europe occidentale"), reprenant pour tous les producteurs de polypropylène d'Europe occidentale les chiffres de vente en kilotonnes pour 1976, 1977 et 1978, ainsi que des chiffres mentionnés sous les rubriques "1979 actual" ("Chiffres effectifs de 1979"), "revised target" et "79", que la nécessité de rendre le système de quotas convenu pour l'année 1979 plus rigoureux pour les trois derniers mois de cette année a été reconnue lors de cette réunion. En effet, le terme" tight" (strict) lu en combinaison avec la limitation à 80 % de 1/12 des ventes annuelles prévues indique que le régime initialement envisagée pour l'année 1979 devait être rendu plus rigoureux pour ces trois derniers mois. Cette interprétation du compte-rendu est corroborée par le tableau susmentionné, parce que celui-ci contient, sous le titre "79" dans la dernière colonne à droite de la colonne intitulée "revised target", des chiffres qui doivent correspondre aux quotas initialement fixés. Ceux-ci ont dû être révisés dans un sens plus rigoureux parce qu'ils avaient été établis sur la base d'un marché évaluée de manière trop optimiste, comme cela a également été le cas en 1980. Ces constatations ne sont pas infirmées par la référence, contenue au point 31, troisième alinéa, de la décision, à un projet "proposé ou convenu à Zurich en vue de limiter les ventes mensuelles à 80 % de la moyenne atteinte au cours des huit premiers mois de l'année". En effet, cette référence lue en combinaison avec le point 54 de la décision doit être comprise en ce sens que des objectifs de volumes de vente avaient déjà été définis initialement pour les ventes mensuelles des huit premiers mois de l'année 1979.

89 En outre, les producteurs français, parmi lesquels la requérante, ont échangé systématiquement, mois par mois, leurs chiffres de vente durant les quatre derniers mois de l'année 1979 et les ont comparés avec des "quotas" (ann. lettre du 3 avril 1985). Il est permis d'en déduire que les producteurs français ont, à tout le moins, tenté de vérifier le respect des objectifs convenus.

90 En ce qui concerne l'année 1980, le Tribunal constate que la fixation d'objectifs de volumes de vente pour l'ensemble de l'année résulte du tableau daté du 26 février 1980, trouvé chez ATO (g. g. ann. 60) et comportant une colonne "agreed targets 1980" et du compte-rendu des réunions de janvier 1981 (g. g. ann. 17), au cours desquelles des producteurs, parmi lesquels ne figure pas la requérante, ont comparé les quantités effectivement vendues ("Actual kt") aux objectifs fixés ("Target kt"). En outre, ces documents se trouvent confirmés par un tableau daté du 8 octobre 1980 (g. g. ann. 57), comparant deux colonnes dont l'une reprend la "1980 Nameplate Capacity" ("capacité nomilane 1980") et l'autre le "1980 Quota" pour les différents producteurs.

91 Ces constatations ne sont pas infirmées par le fait que la Commission n'a pas opéré les mêmes constatations à la charge d'Amoco dont le nom figure également dans les tableaux susmentionnés. Le cas d'Amoco se distingue de celui de la requérante, en ce que cette entreprise n'a pas participé aux réunions de producteurs qui avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de volumes de vente. La Commission pouvait par conséquent estimer que les chiffres repris dans les différents tableaux concernant Amoco étaient seulement des estimations en gros de sa position, opérées par les autres producteurs en l'absence de données individualisées communiquées par cette entreprise. La réponse d'ICI à la demande de renseignements confirme d 'ailleurs cette conclusion puisqu'on peut y lire que "however figures for Amoco/Hercules... would have been estimated from industry figures generally available from FIDES" ("Néanmoins, les chiffres indiqués pour Amoco/Hercules... devraient correspondre à des estimations fondées sur des chiffres relatifs à l'ensemble de la branche, accessibles à tous par le système Fides").

92 Il faut ajouter qu'en raison de l'identité d'objectif des différentes mesures de limitation des volumes de vente - à savoir diminuer la pression exercée sur les prix par l'excès d'offre - c'est à bon droit que la Commission a pu déduire que celles-ci s'inscrivaient dans un système de quotas.

93 Il y a lieu de conclure, au vu des considérations qui précèdent, que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés qui portaient sur les objectifs de volumes de vente pour les années 1979 et 1980 mentionnés dans la décision et qui s'inscrivaient dans un système de quotas.

2. La qualification juridique

A - Acte attaqué

94 Selon la décision (point 81, premier alinéa), l'ensemble de plans et d'arrangements arrêtés dans le cadre du système des réunions périodiques et institutionnalisées a constitué un accord unique et continu au sens de l'article 85, paragraphe 1.

95 En l'espèce, les producteurs, en souscrivant à un plan commun de régulation des prix et des approvisionnements sur le marché de polypropylène, auraient participé à un accord-cadre qui se serait traduit par une série de sous-accords plus détaillés, élaborés à intervalles périodiques (décision, point 81, troisième alinéa). Dans l'exécution détaillée du plan d'ensemble, un accord exprès aurait été réalisé sur de nombreux points, comme les initiatives en matière de prix et les plans annules de quotas (décision, point 82, premier alinéa).

86 La Commission estime dans la décision (point 82, deuxième alinéa) que, même avant 1979, les diverses initiatives mentionnées comme ayant été "dirigées" par l'un ou l'autre producteur et " suivies " par les autres résultaient également d'un accord entre eux.

97 En ce qui concerne plus spécifiquement l'initiative de décembre 1977, la décision (point 82, troisième alinéa) affirme qu'aux réunions de l'EATP, des producteurs comme Hercules, Hoeschst, ICI, Linz, Rhône-Poulenc, Saga et Solvay soulignaient, même vis-à-vis des clients, la nécessité qu'ils ressentaient de mener une action concertée en vue de majorer les prix. Les producteurs poursuivaient leurs contacts sur la fixation des prix en dehors du cadre des réunions de l'EATP. A la lumière de ces contacts avérés, la Commission estime que le mécanisme en vertu duquel un ou plusieurs d'entre eux se plaignaient de leurs marges de rentabilité "insuffisantes" et proposaient une action conjointe, alors que les autres exprimaient leur "soutien" à pareilles actions, reposait sur l'existence d'un accord sur les prix. Elle ajoute que, même en l'absence de tout autre contact, pareil mécanismes pourrait indiquer en soi un consensus suffisant pour réaliser un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1.

98 La conclusion selon laquelle il aurait existé un seul accord permanent ne serait aucunement affectée par le fait que certains producteurs, inévitablement, n'aient pas assisté à toutes les réunions. L'étude et la mise en œuvre d'une "initiative" auraient pris plusieurs mois et une absence occasionnelle n'empêcherait en rien un producteur d'y avoir participé (décision, point 83, premier alinéa).

99 Selon la décision (point 86, premier alinéa), la mise en œuvre de l'entente, du fait qu'elle s'appuyait sur un plan commun et détaillé, a constitué un "accord" au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

100 La décision (point 86, deuxième alinéa) affirme que la notion d'"accord" et celle de "pratique concertée" sont distinctes, mais qu'il arrive que la collusion présente des éléments de l'une et de l'autre forme de coopération illicite.

101 La notion de "pratique concertée" viserait une forme de coordination entre entreprises qui, sans l'avoir poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, subsidiairement sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (décision, point 86, troisième alinéa).

102 Selon la décision (point 87, premier alinéa), en développant une notion de pratique concertée distincte, le traité visait à empêcher que les entreprises ne contournent l'application de l'article 85, paragraphe 1, en s'entendant sur des modalités contraires à la concurrence et non assimilables à un accord définitif, en s'informant, par exemple, mutuellement à l'avance de l'attitude envisagée par chacun, afin qu'il puisse régler son comportement commercial en sachant que ses concurrents agiront de la même manière (voir l'arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48-69, Rec. 619).

103 La Cour aurait soutenu, dans son arrêt du 16 décembre 1975 (Suiker Unie/ Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 11-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663), que les critères de coordination et de coopération définis par la jurisprudence de la Cour, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable "plan", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le Marché commun. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des entreprises de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou escompté de leurs concurrents, elle s'opposerait cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre elles ayant pour objet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé ou que l'on envisage d'adopter soi-même sur le marché (décision, point 87, deuxième alinéa). Un tel comportement pourrait tomber sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, en tant préalable sur un plan commun définissant leur action sur le marché, mais adoptent ou se rallient à des mécanismes collusoires qui facilitent la coordination de leur comportement commercial (décision, point 87, troisième alinéa, première phrase).

104 En outre, la décision (point 87, troisième alinéa, troisième phrase) relève que, dans une entente complexe, il est possible que certains producteurs n'aient pas toujours exprimé leur consentement formel à une conduite adoptée par les autres, tout en indiquant leur soutien global au plan en question et en agissant en conséquence. A certains égards, la coopération et la collusion des producteurs dans la mise en œuvre de l'accord d'ensemble pourraient donc revêtir certaines caractéristiques propres à une pratique concertée (décision, pont 87, troisième alinéa, cinquième phrase).

105 L'importance de la notion de pratique concertée ne résulterait donc pas tant, selon la décision (point 8, quatrième alinéa), de la distinction entre une telle pratique et un "accord" que de la distinction entre une collusion qui relève de l'article 85 paragraphe 1, et d'un simple comportement parallèle, en l'absence de tout élément de concertation. Peu importerait, dès lors, la forme précise que le comportement collusoire a revêtu en l'occurrence.

106 La décision (point 88, premier et deuxième alinéas) constate que la plupart des producteurs ont prétendu, au cours de la procédure administrative, que leur comportement dans le cadre de soi-disant "initiatives de prix" ne résultait d'aucun "accord" au sens de l'article 85 (voir décision point 82) et qu'il ne prouve pas davantage l'existence d'une pratique concertée, cette notion supposant des "actes manifestés" sur le marché ; or, ceux-ci feraient totalement défaut en l'occurrence, aucune liste de prix et aucun "prix cible" n'ayant jamais été communiqués aux clients. La décision rejette cet argument, car s'il était nécessaire, en l'espèce, de s'appuyer sur l'existence d'une pratique concertée, l'obligation pour les participants de prendre certaines mesures pour réaliser leur objectif commun serait pleinement établie. Les diverses initiatives en matière de prix seraient consignées dans les documents. Il serait également hors de doute que les divers producteurs ont agi parallèlement pour les mettre en œuvre. Les mesures prises par les producteurs tant individuellement que collectivement ressortiraient des documents : comptes-rendus de réunions, notes internes, instructions et circulaires aux bureaux de vente et lettres aux clients. Il importerait peu qu'ils aient ou non "publié" des listes de prix. Les instructions de prix en soi fourniraient non seulement la meilleure preuve possible de l'action menée par chaque producteur pour réaliser l'objectif commun, mais aussi, par leur contenu et leur chronologie, la preuve d'une collusion.

B - Arguments des parties

107 La requérante fait grief à la Commission de n'avoir pas qualifié clairement l'infraction d' "accord" ou de "pratique concertée" et d'estimer que la qualification précise d'une entente importe peu, alors que la jurisprudence exigerait une qualification précise (arrêt du 3 juillet 1985, Binon, points 14 à 16, 243-83, Rec. p. 2015). La qualification de l'entente serait essentielle en ce que les éléments constitutifs dont il convient de démontrer l'existence seraient différents dans le cas de l' "accord" et de la "pratique concertée". Dans le cas de l' "accord", l'infraction serait réalisée dès lors que les entreprises se sont engagées, même si l'engagement est simplement moral ou s'il ne s'est pas traduit sur le marché par un comportement restrictif de la concurrence. La "pratique concertée", en revanche, exigerait de la part des entreprises une action commune parallèle ou coordonnée sur le marché. Seul un tel comportement sur le marché pourrait constituer, pour des entreprises qui n'ont assumé aucune obligation, la concrétisation de leur concertation anticoncurrentielle et dont la réalisation même de l'entente.

108 Selon la requérante, à défaut d'engagement anticoncurrentiel, les entreprises ne sauraient être condamnées pour avoir participé à une pratique concertée que si elles ont agi d'une manière anticoncurrentielle sur le marché lui-même. En effet, ce serait nécessairement au niveau du comportement sur le marché que se situe la pratique concertée ayant pour objet d'affecter la concurrence, même si cette pratique contrairement à la pratique concertée ayant pour effet d'affecter la concurrence, n'atteint pas son objectif anticoncurrentiel.

109 Ainsi, la requérante soutient que la pratique concertée requiert nécessairement comme élément constitutif l'adoption effective par les entreprises participantes d'un comportement coordonné sur le marché. Réduire la notion de pratique concertée à ce qui n'en est qu'un élément constitutif (la concertation) en oubliant le second élément (le comportement), comme le fait la Commission, donnerait à celle-ci la possibilité de condamner une entreprise sous prétexte qu'elle aurait eu un contact avec ses concurrents sans même qu'un tel contact ait eu la moindre incidence sur son comportement ni même que l'entreprise ait eu l'intention de lui donner une telle suite. De l'avis de la requérante, une analyse correcte de la jurisprudence de la Cour irait dans le sens de sa thèse (arrêts du 14 juillet 1972, 48-69, précité, point 65 ; du 16 décembre 1975, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 11-73, 113-73 et 114-73, précité ; du 14 juillet 1981, Züchner, point 12, 172-80, Rec. 2021 ; du 21 février 1984, Hasselblad/Commission, points 24 et suivants, 86-82, Rec. p. 883 ; du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29-83 et 30-83, rec. p. 1679 ; du 3 juillet 1985, 243-83, précité, points 11 et suivants), en ce qu'elle exigerait un comportement sur le marché. Tel serait également le cas de la décision en son point 88.

110 La requérante relève que, en l'espèce, l'intérêt de la question de la qualification et de la définition de l'infraction résiderait dans le fait que la Commission n'aurait apporté la preuve de la participation de Rhône-Poulenc ni à un accord ni à une pratique concertée, si l'on considère, comme Rhône-Poulenc, qu'une pratique concertée suppose l'adoption effective d'un comportement coordonné sur le marché. Pour la requérante, la définition de la notion de "pratique concertée" s'avère donc d'une importance particulière. Cette importance serait encore accrue dans la mesure où c'est la première fois que cette question se pose dans ces termes devant le juge communautaire. En effet, dans les espèces soumises jusqu'alors à la Cour, le comportement sur le marché n'était pas contesté dans sa matérialité et il s'agissait uniquement de s'avoir s'il suffisait à faire présumer une concertation.

111 Selon la Commission par contre, la question de savoir si une collusion ou une entente doit être qualifiée juridiquement d'accord ou de pratique concertée, au sens de l'article 85 du traité CEE, ou si cette collusion comporte des éléments de l'un et de l'autre, revêt une importance négligeable. En effet, la Commission expose que les termes "accord" et "pratique concertée" englobent les différents types d'arrangements par lesquels des concurrents, au lieu de déterminer en toute indépendance leur ligne de conduite concurrentielle future, s'imposent mutuellement une limitation de leur liberté sur le marché à partir de contacts directs ou indirects entre eux.

112 La Commission soutient que l "utilisation des différents termes dans l'article 85 a pour objet d'interdire toute la gamme d'arrangements collusoires et non de préciser un traitement différent pour chacun d'eux. Par conséquent, la question de savoir où tracer une ligne de démarcation entre des termes qui ont pour objectif d'appréhender l'ensemble des comportements interdits, serait sans pertinence. la ratio legis de l'introduction dans l'article 85 de la notion de "pratique concertée" consisterait à viser, à côté des accords, des types de collusion qui ne reflètent qu'une forme de coordination de fait ou une coopération pratique et qui sont néanmoins susceptibles de fausser la concurrence (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, 48-69, précité, points 64 à 66).

113 Elle fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 16 décembre 1975, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 11-73, 113-73 et 114-73, précité, points 173 et 174) qu'il s'agit de s'opposer à toute prise de contact, directe ou indirecte, entre des opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché. L'existence d'une pratique concertée se situerait donc déjà au niveau du contact entre concurrents, préalable à tout comportement de leur part sur le marché.

114 Pour la Commission, il y a pratique concertée, dès qu'il y a concertation ayant pour objet de restreindre l'autonomie des entreprises les unes par rapport aux autres, et ce même si aucun comportement effectif n'a été constaté sur le marché. Selon la Commission, le débat porte en fait sur le sens du mot "pratique". Elle s'oppose à la thèse avancée par la requérante, selon laquelle ce mot a le sens étroit de "comportement sur le marché". Ce mot pourrait, de l'avis de la Commission, couvrir le simple fait de participer à des contacts pour autant que ceux-ci aient pour objet de restreindre l'autonomie des entreprises.

115 Elle ajoute que si l'on exigeait les deux éléments - concertation et comportement sur le marché - pour qu'il y ait pratique concertée, comme le fait la requérante, cela conduirait à laisser hors du champ d'application de l'article 85 toute une gamme de pratiques qui ont pour objet, mais pas nécessairement pour effet, de fausser la concurrence sur le Marché commun. On aboutirait ainsi à neutraliser une partie de la portée de l'article 85. En outre, la thèse de la requérante ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour relative à la notion concertée (arrêts du 14 juillet 1972, 48-69, précité, point 66 ; du 16 décembre 1975, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, précité, point 26 ; du 14 juillet 1991, 172-80, précité, point 14). Si cette jurisprudence mentionne chaque fois des pratiques sur le marché, ce ne serait pas comme élément constitutif de l'infraction, comme le soutient la requérante, mais bien comme élément de fait à partir duquel la concertation peut être induite. Selon cette jurisprudence, aucun comportement effectif sur le marché ne serait requis. Seule serait requise une prise de contact entre opérateurs économiques, caractéristique de leur renoncement à leur nécessaire autonomie.

116 Pour la Commission, il n'est donc pas besoin, pour qu'il y ait infraction à l'article 85, que les entreprises aient mis en pratique ce sur quoi elles se sont concertées. Ce qui est répréhensible au sens de l'article 85, paragraphe 1, existerait pleinement dès que l'intention de substituer une coopération aux risques de la concurrence se trouve matérialisée dans une concertation, sans que nécessairement il y ait, après coup; des comportements sur le marché pouvant être constatés.

117 Elle conclut en soulignant qu'elle était en droit de qualifier l'infraction constatée en l'espèce, à titre principal, d'accord et, à titre subsidiaire et en tant que de besoin, de pratique concertée.

C - Appréciation du Tribunal

118 Il y a lieu de constater, à titre liminaire, que la question de savoir si la Commission avait l'obligation de qualifier chaque élément de fait retenu à l'encontre de la requérante soit d'accord soit de pratique concertée, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, est dépourvue de pertinence. En effet, il résulte d'une lecture combinée des points 80, deuxième alinéa, 81, troisième alinéa, et 82, premier alinéa, de la décision, que la Commission a qualifié, à titre principal, d' "accord" chacun de ces différents éléments.

119 De la même manière, il résulte d'une lecture combinée des points 86, deuxième et troisième alinéas, 87, troisième alinéa, et 88, de la décision, que la Commission a qualifié, à titre subsidiaire, de "pratiques concertées" les éléments de l'infraction lorsque ceux-ci, soit ne permettaient pas de conclure que les parties s'étaient entendues au préalable sur un plan commun définissant leur action sur le marché, mais avaient adopté ou s'étaient ralliées à des mécanismes collusoires qui facilitaient la coordination de leurs politiques commerciales, soit ne permettaient pas d'établir en raison du caractère complexe de l'entente, que certains producteurs avaient exprimé leur consentement formel à une conduite adoptée par les autres, tout en indiquant leur soutient global au plan en question et en agissant en conséquence. Ainsi, la décision conclut que, à certains égards, la coopération et la collusion constantes des producteurs dans la mise en œuvre d'un accord d'ensemble peuvent revêtir certaines caractéristiques propres à une pratique concertée.

120 Le Tribunal constate que , dès lors qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu'il y ait accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir les arrêts du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, point 112, 41-69, Rec. 661, et du 29 octobre 1980, Van Landewyck/Commission, point 86, 209-78 à 215-78 et 218-78, rec. p. 3125), la Commission était en droit de qualifier d'accords au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, les concours de volontés entre la requérante et d'autres producteurs de polypropylène qu'elle a établis à suffisance de droit et qui portaient sur des objectifs de prix pour la période de juillet à décembre 1979 et sur des objectifs de volumes de vente pour les années 1979 et 1980.

121 En vue de définir la notion de pratique concertée, il y a lieu de se référer à la jurisprudence de la Cour, dont il ressort que les critères de coordination et de coopération qu'elle a posés précédemment doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le Marché commun. Si cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché (arrêt du 16 décembre 1975, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 11-73, 113-73 et 114-73, précité, points 173 et 174).

122 En l'espèce, la requérante a participé à des réunions ayant pour objet la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, réunions au cours desquelles étaient échangées entre concurrents des informations sur les prix qu'ils souhaitaient voir pratiquer sur le marché, sur les prix qu'ils envisageaient de pratiquer, sur leur seuil de rentabilité, sur les limitations des volumes de vente qu'ils jugeaient nécessaires ou sur leurs chiffres de vente. Par sa participation à ces réunions, elle a pris part, avec ses concurrents, à une concertation ayant pour objet d'influencer leur comportement sur le marché et de dévoiler le comportement que chaque producteur envisageait d'adopter lui-même sur le marché.

123 Ainsi, la requérante a non seulement poursuivi le but d'éliminer par avance l'incertitude relative au comportement futur de ses concurrents, mais elle a nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement, les informations obtenues aux cours de ces réunions pour déterminer la politique qu'elle entendait suivre sur le marché. De même, ses concurrents ont nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement, les informations que leur a dévoilées la requérante sur le comportement qu'elle avait décidé qu'elle envisageait d'adopter elle-même sur le marché, pour déterminer la politique qu'ils entendaient suivre.

124 Il s'ensuit que c'est à bon droit que, en raison de leur objet, la Commission a pu qualifier à titre subsidiaire de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, la réunion de l'EATP du 22 novembre 1977 à laquelle a participé la requérante et les réunions périodiques de producteurs de polypropylène auxquelles a participé la requérante entre la fin de l'année 1978 ou le début de l'année 1979 et la fin de l'année 1980.

125 Quant à la question de savoir si la Commission était en droit de conclure l'existence d'une infraction unique, qualifiée à l'article 1er de la décision d'"accord et une pratique concertée", le Tribunal rappelle que les différentes pratiques concertées observées et les différents accords conclus s'inscrivaient, en raison de leur identité d'objet, dans des systèmes de réunions périodiques, de fixation d'objectifs de prix et de quotas.

126 Il faut souligner que ces systèmes s'inscrivaient dans une série d'efforts des entreprises en cause poursuivant un seul but économique, à savoir de fausser l'évolution normale des prix sur le marché du polypropylène. Il serait donc artificiel de subdiviser ce comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes. En effet, la requérante a pris part - pendant des années - à un ensemble intégré de systèmes qui constituent une infraction unique qui s'est progressivement concrétisée tant par des accords que par des pratiques concertées illicites.

127 Il importe de relever que la Commission était en outre, en droit de qualifier cette infraction unique d'"accord et une pratique concertée", dans la mesure où cette infraction comportait à la fois des éléments devant être qualifiés d' "accords" et des éléments devant être qualifiés de "pratiques concertées ". En effet, face à une infraction complexe, la double qualification opérée par la Commission à l'article 1er de la décision doit être comprise non comme une qualification exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments de fait présente les éléments constitutifs d'un accord et d'une pratique concertée, mais bien comme désignant un tout comportant des éléments de fait dont certains ont été qualifiés d'accords et d'autres de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d'infraction complexe.

128 Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des griefs de la requérante relatif aux constatations de fait et à leur qualification juridique opérées par la Commission dans l'acte attaqué doit être rejeté.

Sur la motivation

1. Adoption d'une décision unique

129 La requérante reproche à la Commission d'avoir statué par une décision commune à l'ensemble des entreprises concernées. Si elle reconnaît que la Commission est en droit de prendre une décision unique, elle estime que c'est à la condition que chaque entreprise puisse trouver dans la décision la démonstration du bien-fondé des griefs qui lui sont faits (arrêt du 16 décembre 1975, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73; 111-73, 113-73 et 114-73, précité, point 111 ; du 29 octobre 1980, 209-78 à 215-78 et 218-78, précité, point 77). Tel ne serait pas le cas en l'espèce. En effet, la globalisation des griefs aurait gravement dissimulé la situation particulière de Rhône-Poulenc, qui résulterait essentiellement du fait qu'elle a quitté le secteur du polypropylène au moment (fin 1980) où, selon la décision, l'entente alléguée aurait commencé à s'organiser. Cette globalisation aurait ainsi masqué l'absence de preuves sérieuses contre Rhône-Poulenc, dans la mesure où la quasi-totalité des éléments de preuve se rapporterait à la période postérieure au départ de Rhône-Poulenc.

130 La Commission rétorque que la requérante n'a pas réussi à démontrer qu'elle n'a pas été en mesure de dégager avec précision de la décision unique les griefs retenus à son encontre. Par ailleurs, il serait erroné de prétendre que l'entente ne se serait organisée qu'après le départ de Rhône-Poulenc du marché. En réalité, la Commission, aurait tout au plus, reconnu que, bien que l'infraction remontât au milieu de l'année 1977, son mécanisme d'application n'aurait pu être entièrement établi que vers le début de l'année 1979 (voir décision, point 105, dernier alinéa).

131 Le Tribunal considère que le fait qu'il ait été mis en mesure de controler le bien-fondé des griefs retenus contre la requérante dans la décision démontre que la requérante a pu, comme le Tribunal, dégager avec une précision suffisante les griefs retenus à son égard. Le caractère unique de la décision n'a eu ni pour objet ni pour effet de masquer une absence de preuves sérieuses à l'encontre de Rhône-Poulenc.. A cet égard, il y a lieu de relever que si, parmi l'énumération , en son point 15, des principaux éléments de preuve servant à fonder la décision , seul un très petit nombre d'entre eux concerne Rhône-Poulenc comme celle-ci l'indique, ceux-ci ont néanmoins permis d'étayer à suffisance de droit les constatations de fait opérées par la Commission à l'encontre de la requérante. En outre, le Tribunal constate que la requérante a parfaitement identifier et discuté ces éléments dans ses mémoires devant le Tribunal. Il s'ensuit que le grief ne peut être accueilli.

2. Motivation insuffisante

132 La requérante fait grief à la Commission de n'avoir pas répondu suffisamment dans la décision à ses moyens et arguments. Elle soutient que l'article 190 du traité CEE viserait, d'une part, à obliger la Commission à motiver suffisamment ses décisions pour permettre au juge communautaire d'exercer un contrôle sur la légalité de celles-ci et, d'autre part, à fournir aux entreprises des indications suffisantes pour savoir si la décision est entachée d'un vice permettant d'en contester la légalité (arrêts du 8 novembre 1983, IAZ/Commission, point 37, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369 ; du 11 juillet 1985, Remia/Commission, point 26, 42-84, Rec. p. 2545 ; du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission , point 22, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19 ; du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, point 6, 6-72, Rec. p. 215). En l'espèce, cette exigence aurait été méconnue en ce que la Commission, en répondant globalement aux producteurs, n'aurait pas tenu compte de la situation spécifique dans laquelle se serait trouvée la requérante. Ainsi, elle n'aurait pas apporté de réponse particulière aux arguments de la requérante concernant : l'absence d'instructions de prix émanant d'elle le caractère évolutif de l'entente et de la situation du marché, l'absence d'analyse réelle des prix du marché avant la fin de l'année 1980 et l'inapplicabilité à Rhône-Poulenc des éléments de preuve utilisés par la Commission.

133 La Commission estime n'être pas tenue de réfuter tous les moyens présentés par les entreprises concernées et être en droit de ne pas répondre à ceux qui lui semblent dénués de pertinence(arrêt du 29 octobre 1980, 209-78 à 215-78 et 218-78, précité, point 66).

134 Le Tribunal relève d'abord que, dans sa requête, la requérante fait grief à la décision d'avoir répondu à une série de moyens et d'arguments qui ne la concernaient pas, comme ceux relatifs à la véracité des comptes-rendus de réunions, à l'étude du marché allemand et à l'audit Coopers et Lybrand portant sur les prix pratiqués.

135 Ce grief doit être rejeté, dans la mesure où il ne peut être reproché à la Commission d'avoir répondu aux différents moyens et arguments avancés par d'autres entreprises et qu'elle considérait comme pertinents, dès lors que la Commission était en droit de prendre une décision unique commune à plusieurs entreprises.

136 Le Tribunal constate ensuite qu'il y a lieu de rejeter également le grief fait par la requérante à la Commission de n'avoir pas, dans sa décision, motivé le rejet de l'argument tiré par la requérante de l'absence d'instructions de prix. En effet, les points 77, dernier alinéa, de la décision constituent une motivation suffisante du rejet de cet argument, en ce que ces points indiquent que la Commission s'est référée à d'autres éléments de preuve pour établir l'infraction à l'encontre de la requérante. Ici encore, il faut constater que la requérante a parfaitement identifié et discuté ces éléments dans les mémoires qu'elle déposée devant le Tribunal.

137 En ce qui concerne l'argument selon lequel la Commission aurait méconnu le caractère évolutif de l'entente qui ne se serait organisée qu'après le départ de Rhône-Poulenc du marché et aurait ainsi été contrainte, pour impliquer la requérante, de recourir à une présomption rétroactive, en déduisant de preuves relatives à une période postérieure au départ de Rhône-Poulenc du marché l'objet de l'entente alléguée pendant sa présence sur le marché, il y a lieu d'observer, d'une part, que les comptes-rendus de réunions postérieures à 1980 n'ont été utilisés par la Commission que pour corroborer les éléments de preuve se rapportant aux années 1979 et 1980, comme le montre le point 70, dernier alinéa, de la décision, et, d'autre part, qu'il résulte indubitablement de la lecture combinée des points 18, premier alinéa, et 105, dernier alinéa, de la décision, que le mécanisme d'application de l'infraction a été entièrement établi vers le début de l'année 1979, soit d'eux ans avant le départ de la requérante du marché. Par conséquent, cet argument est dépourvu de pertinence et doit être rejeté.

138 En ce qui concerne la prétendue absence de réfutation de l'argument de la requérante selon lequel le caractère évolutif de la situation du marché aurait interdit à la Commission de lui opposer l'état actuel du marché, il convient de relever que c'est à tort que la requérante fait grief à la Commission de lui avoir opposé l'état actuel du marché, dans la mesure où la décision, en ses points 11 à 13, a procédé à une analyse de l'évolution du marché qui, loin d'amalgamer la situation du marché qu'a connue la requérante avec celle postérieure à son départ, les a distinguées. Or, il convient de considérer que la Commission a traité la requérante de la même manière que les autres producteurs en ce qui concerne cette première période. Par conséquent, ce grief n'est pas fondé.

139 En ce qui concerne l'absence alléguée de réfutation de l'argument de la requérante selon lesquels la Commission n'aurait procédé à aucune analyse réelle des prix du marché pour la période qui l'intéresse, puisque le tableau 9 annexé à la décision ne porte que sur les années 1981 à 1983, le Tribunal constate que les points 17, dernier alinéa, et 31, dernier alinéa, de la décision constituent, pour les années 1977 à 1979, une analyse de la même nature que celle figurant dans le tableau 9 annexé à la décision et que la requérante n'a pas contredit spécifiquement cette analyse des prix pratiqués à l'époque. Par conséquent, ce grief n'est pas fondé.

3. Motivation contradictoire

140 La requérante fait valoir que les motifs de la décision sont, en premier lieu, contradictoires entre eux, en ce que, à deux occasions (d'une part, points 74, deuxième alinéa, et 90, troisième alinéa, et d'autre part, point 18, in fine), la décision comporte des affirmations relatives à "tous" les producteurs alors qu'ailleurs dans la décision (d'une part, points 77, dernier alinéa, et 83, dernier alinéa, et d'autre part, point 14, a contrario), Rhône-Poulenc se trouve être exclue explicitement de la totalité des producteurs. Elle soutient, en second lieu, que les motifs de la décision sont en contradiction avec le dispositif en ce qu'ils portent sur l'existence d'accords entre entreprises, alors que le dispositif distingue "accords" et "pratiques concertées" pour les placer sur le même pied et en faire grief à la requérante.

141 Selon la Commission, cet argument résulte d'une lecture erronée ou incomplète de la décision et d'une divergence d'interprétation de la décision quant à la qualification juridique de l'entente en cause.

142 Le Tribunal constate que l'argument de la requérante procède d'une lecture de la décision qui isole artificiellement certains motifs de celles-ci, alors que, la décision constituant un tout, chacun de ses motifs doit être lu à la lumière des autres afin de surmonter les contradictions apparentes contenues dans la décision. Ainsi, il y a lieu de considérer que les points 77, dernier alinéa, et 83, dernier alinéa, de la décision précisent les points 74, deuxième alinéa, et 90, troisième alinéa, de la décision. De la même manière, le point 14 de la décision précise le point 18, in fine, de la décision.

143 Par ailleurs, il résulte de l'appréciation du tribunal relative à la qualification juridique des constatations de fait opérée par la Commission que les motifs de la décision ne sont pas en contradiction avec le dispositif.

144 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

Sur le principe d'égalité de traitement

145 La requérante soutient que le principe d'égalité de traitement aurait été méconnu par la Commission dans la mesure où elle n'aurait pas sanctionné les entreprises Amoco et BP, alors qu'elle disposait contre elles d'autant, voire de plus d'éléments de preuve d'une infraction que contre elle-même. En effet, la décision révérerait que la Commission disposait contre ces deux entreprises d'un plus grand nombre d'éléments de preuve que contre la requérante (contacts concernant les prix et les quotas, soutien apporté à ICI et constat d'un certain alignement du comportement de ces entreprises sur celui des parties à l'entente), mais que ceux-ci n'ont pas été considérés comme suffisants (voir décision, point 78, dernier alinéa). Par ailleurs, la Commission aurait, sans justifier cette différence d'appréciation, apprécié de manière différente à l'égard de Rhone-Poulenc, d'une part, et d'Amoco et BP, d'autre part, la valeur d'un même élément de preuve, à savoir la mention dans les tableaux relatifs aux quotas (décision, tableau 8).

146 La Commission expose, à titre préalable, que la requérante ne saurait invoquer le principe d'égalité de traitement pour se justifier de l'infraction constatée à son encontre. Quant à Amoco et BP, la Commission indique qu'elle leur a laissé le bénéficie du doute en raison du fait que ces entreprises n'ont participé à aucune réunion périodique de producteurs de polypropylène (décision, point 78, dernier alinéa, première phrase). La seule circonstance que ces deux entreprises ont eu des contacts téléphoniques avec d'autres participants à l'entente n'a pas été jugée suffisante puisque tout "contacts" constitutifs de pratique concerté seraient la participation aux réunions ayant pour objet des mesures anticoncurrentielles. Or, la preuve de la participation d'Amoco et de BP à ces réunions ferait défaut. Par ailleurs, les tableaux faisant état de quotas par entreprise n'auraient pas été les seuls éléments retenus comme preuve de la participation à une pratique concertée. Dès lors, le comportement sur le marché d'Amoco et de BP, reflétant de manière occasionnelle le respect des quotas et l'alignement de leurs prix sur ceux des autres producteurs, ne pourrait, en l'absence de preuve décisive de leur participation à la concertation, suffire pour sanctionner ces entreprises, au titre de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

147 Le Tribunal constate que, pour qu'il y a ait violation du principe d'égalité de traitement, il faut que des situations comparables aient été traitées de manière différente. Or, en l'espèce, il y a lieu de relever que les situations de Rhône-Poulenc, d'une part, et d'Amoco et BP, d'autre part, n'étaient pas comparables, dans la mesure où ces dernières n'ayant participé à aucune réunion périodique de producteurs de polypropylène, la Commission a pu légitimement considère qu'elle ne disposait pas de preuves suffisantes de leur participation à une concertation ayant un objet anticoncurrentiel, ce qui n'était pas le cas de la requérante. Or, l'existence d'une telle concertation constitue la base du système de preuve retenu dans la décision. Par conséquent, le Tribunal constate que la différence de situation observée entre ces entreprises et la requérante justifiait le traitement différent qui leur a été réservé.

148 Par ailleurs, en ce qui concerne plus particulièrement de la requérante concernant la mention d'Amoco dans les tableaux relatifs aux objectifs de volumes de vente, le Tribunal rappelle qu'il a déjà rejeté cet argument.

149 Par conséquent, ce grief ne saurait être accueilli.

Sur l'amende

150 La requérante reproche à la décision d'avoir violé l'article 15 du règlement n° 17 en n'ayant pas adéquatement apprécié la durée et la gravité de l'infraction retenue à son encontre.

1. La durée de l'infraction

151 La requérante soutient que, pour déterminer le montant de l'amende qu'elle lui a infligée, la Commission n'a pas apprécié correctement la durée de l'infraction, la faisant remonter à 1977 alors que la participation de Rhône-Poulenc remonterait à 1979 au plus tôt.

152 La Commission répond que ce dont il est fait grief à la requérante est une participation à un seul accord-cadre unique et continu remontant à 1977, mais que, néanmoins, pour fixer le montant des amendes, elle a tenu compte du fait que le mécanisme d'application de l'infraction n'a été entièrement établi que vers le début de l'année 1979.

153 Le Tribunal rappelle qu'il a constaté que la Commission a correctement apprécié la période pendant laquelle la requérante a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

154 Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté.

2. La gravité de l'infraction

A - L'absence de différenciation entre les entreprises

155 La requérante fait valoir que pour déterminer le montant de l'amende, la Commission n'a pas suffisamment différentié la gravité des infractions commises par chacune des entreprises concernées en méconnaissant le caractère évolutif de l'entente qui se serait manifesté par une accélération du rythme des réunions (une en 1979, six en 1980 et 48 de 1981 à 1983) et par la précision croissante de leur objet.

156 La Commission rétorque qu'elle n'a jamais admis le caractère évolutif de l'entente et que nulle part elle n'a reconnu qu'il n'y aurait eu qu'une seule réunion en 1979. En effet, le fait que la Commission n'ait pas pu déterminer les dates et lieux des réunions tenues en 1979 n'indiquerait pas qu'elles n'ont pas eu lieu. En outre, l'objet des réunions pendant la période initiale n'aurait pas du tout été incertain.

157 Le Tribunal relève que, dès lors qu'il est établi que la requérante a adhéré à un système de réunions périodiques de producteurs de polypropylène dont il est établi que l'objet était anticoncurrentiel, le fait que la Commission n'ait pu établir le lieu et la date que d'un nombre limité de réunions est sans incidence sur l'appréciation de la gravité de l'infraction. Il y a lieu de rappeler, en outre, qu'il résulte de la réponse d'ICI à la demande renseignements (g. g. ann. 8) qu'un "système" de réunions de "patrons" et "experts" a été mis en place à la fin de l'année 1978 ou au début de l'année 1979.

158 Il s'ensuit que ce grief ne peut être retenu.

B - La prise en compte insuffisante du contexte économique de crise

159 La requérante reproche également à la Commission de n'avoir pas, pour déterminer le montant des amendes, suffisamment prix en compte le contexte économique dans lequel s'est inscrite l'infraction, à savoir la situation longtemps déficitaire des activités de production de polypropylène, alors que dans ses décisions antérieures (notamment sa décision du 19 juillet 1984 (IV-30,863 - BPCL/ICI, JO L 212, p. 1, point 36-2), elle aurait admis que la surcapacité structurelle d'un secteur pouvait rendre des hausses de prix à la fois nécessaires et inévitables.

160 La Commission rétorque que la référence au contexte économique est sans pertinence puisque l'entente n'a rien à voir avec une entente dite "de crise".

161 Le Tribunal constate, à titre liminaire, que la référence faite par la requérante aux décisions, antérieures de la Commission est dépourvue de pertinence, dans la mesure où celles-ci portent sur l'exemption d'une entente dite "de crise" au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE. Or, en l'espèce, l'infraction constatée n'avait pas fait l'objet d'aucune demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE.

162 En outre, le Tribunal considère que, pour apprécier ce grief, il convient d'analyser au préalable la manière dont la Commission a déterminé le montant de l'amende infligée à la requérante.

163 La requérante constate que la Commission a, d'une part, défini les critères destinés à fixer le niveau général des amendes infligées aux entreprises destinataires de la décision (point 108 de la décision) et qu'elle a, d'autre part, défini les critères destinés à pondérer équitablement les amendes infligées à chacune de ces entreprises (point 109 de la décision).

164 Le Tribunal considère que les critères repris au point 108 justifient amplement le niveau général des amendes infligées aux entreprises destinataires de la décision. A cet égard, il convient de souligner spécialement le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, en particulier sous a), b) et c), du traité, que n'ignoraient pas les producteurs de polypropylène, lesquels ont agi de propos délibéré et dans le plus grand secret.

165 Le Tribunal considère également que les quatre critères mentionnés au point 109 sont pertinents et suffisants en vue d'arriver à une pondération équitable des amendes infligées à chaque entreprise.

166 Dans ce contexte, il faut constater que la Commission n'avait pas à individualiser, ni à préciser la manière dont elle avait tenu compte des pertes substantielles qu'auraient subies les différents producteurs dans le secteur du polypropylène, dans la mesure où il s'agit d'un des éléments mentionnés au point 108 ayant concouru à la détermination du niveau général des amendes que le Tribunal a jugé justifié.

167 Il s'ensuit que le grief formulé par la requérante ne peut être accueilli.

C - L'absence de toute preuve quant à la politique réelle de Rhône-Poulenc

168 La requérante fait grief à la décision de n'avoir pas tenu compte, pour déterminer le montant de l'amende, de l'absence de toute preuve quant à sa politique réelle, notamment en matière de prix.

169 La Commission expose qu'en indiquant que, en 1980, les chiffres de vente de la requérante ont quasi parfaitement correspondu aux quotas qui lui avaient été impartis, elle a déjà répondu à cet argument. Elle considère que ce type de "comportement" est révélateur du fait que la requérante prenait au sérieux les accords atteints lors des réunions.

170 Le Tribunal considère que si la Commission n'a pu produire de preuves relatives à la politique de prix de Rhône-Poulenc, c'est en raison du fait que celle-ci n'a conservé aucune trace de cette politique. Par contre, la Commission a pu établir qu'en 1980, la politique de la requérante en ce qui concerne le volume de ses ventes avait correspondu, en termes de part de marché, au résultat des réunions de producteurs de polypropylène auxquelles elle avait participé. En effet, un tableau reprenant les ventes réalisées par les différents producteurs pour les années 1979 et 1980 et les comparant aux objectifs de volumes de vente convenus pour les mêmes années (g. g. ann. 59) montre que la part de marché de la requérante a correspondu au quota qui lui avait initialement été attribué, traduit en termes de part de marché, même si en tonnages elle est restée en-dessous de ce quota, en raison d'une contradiction du marché prévue par les producteurs (1207,9 kilotonnes au lieu de 1382 kilotonnes). Dans ces conditions, le Tribunal conclut que la Commission disposait de preuves suffisantes de la politique réelle de Rhône-Poulenc et que, dès lors, ce griefs doit être rejeté.

D - Le degré de coopération de la requérante

171 La requérante fait grief à la Commission d'avoir tenu compte, dans la fixation des amendes, du degré de coopération des différentes entreprises à son enquête sans avoir au préalable sollicité sa coopération.

172 Le Tribunal relève, d'une part, que la requérante n'avait nul besoin d'être sollicitée pour coopérer de sa propres initiative avec la Commission durant la procédure déclarer dans sa réponse à la communication des griefs, qu'elle ne disposait plus d'aucun employé qui aurait connu les faits litigieux, ni même d'aucun document ou dossier concernant le secteur du polypropylène puisqu'elle avait quitté ce secteur depuis plusieurs années au moment où cette communication lui a été adressée, et qu'elle n'a pas fait état de la moindre démarche en vue d'interroger ses anciens employés ou de récupérer ces documents.

173 Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté.

174 Il résulte de tout ce qui précède que l'amende infligée à la requérante est adéquate à la durée et à la gravité de la violation des règles de concurrence communautaires constatée à l'encontre de la requérante.

Sur les dépens

175 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.