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Décisions

TPICE, 1re ch., 24 octobre 1991, n° T-3/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Atochem (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Schintgen, Edward, Kirschner, Lenaerts

Avocats :

Mes de Roux, Léger.

TPICE n° T-3/89

24 octobre 1991

LE TRIBUNAL (première chambre),

Les faits à l'origine du recours

1 La présente affaire concerne une décision de la Commission infligeant à quinze producteurs de polypropylène une amende pour avoir violé l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Le produit faisant l'objet de la décision attaquée (ci-après "décision") est l'un des principaux polymères thermoplastiques bruts. Le polypropylène est vendu par les producteurs aux transformateurs, qui le convertissent en produits finis ou semi-finis. Les principaux producteurs de polypropylène ont une gamme de plus de 100 qualités différentes, recouvrant un vaste éventail d'utilisations finales. Les principales qualités de base de polypropylène ont pour noms raphia, homopolymère pour moulage par injection, copolymère pour moulage par injection, copolymère high impact et film. Les entreprises destinataires de la décision sont toutes d'importants fabricants de produits pétrochimiques.

2 Le marché du polypropylène ouest-européen est approvisionné presque exclusivement à partir d'unités de production installées en Europe. Avant 1977, ce marché était approvisionné par dix producteurs, à savoir Montedison (devenue Montepolimeri SpA, elle-même devenue ensuite Montedipe SpA), Hoechst AG, Imperial Chemical Industries plc et Shell International Chemical Company Ltd (appelés les "quatre grands"), représentant ensemble 64 % du marché, Enichem Anic SpA en Italie, Rhône-Poulenc SA en France, Alcudia en Espagne, Chemische Werke Huels et BASF AG en Allemagne et Chemie Linz AG en Autriche. A la suite de l'expiration des brevets de contrôle détenus par Montedison, sept nouveaux producteurs sont apparus en Europe occidentale en 1977 : Amoco et Hercules Chemicals NV en Belgique, ATO Chimie SA et Solvay et Cie SA en France, SIR en Italie, DSM NV aux Pays-Bas et Taqsa en Espagne. Saga Petrokjemi AS et Cie, producteur norvégien, a commencé ses activités au milieu de l'année 1978 et Petrofina SA en 1980. Cette arrivée de nouveaux producteurs ayant une capacité nominale de quelque 480 000 tonnes, a entraîné une augmentation substantielle de la capacité de production en Europe occidentale, qui, pendant plusieurs années, n'a pas été suivie par un accroissement correspondant de la demande, ce qui a eu pour conséquence une faible utilisation des capacités de production, qui se serait cependant redressée progressivement entre 1977 et 1983, passant de 60 % à 90 %. Selon la décision, l'offre et la demande se seraient retrouvées plus ou moins en équilibre à partir de 1982. Toutefois, pendant la plus grande partie de la période de référence (1977-1983), le marché du polypropylène se serait caractérisé soit par une faible rentabilité, soit par des pertes substantielles en raison, notamment, de l'importance des coûts fixes et de l'augmentation du coût de la matière première, le propylène. Selon la décision (point 8), en 1983, Montepolimeri détenait 18 % du marché européen du polypropylène, Imperial Chemical Industries, Shell International Chemical Company Ltd et Hoechst AG en auraient détenu chacun 11 %, Hercules Chemicals NV un peu moins de 6 %, ATO Chimie SA, BASF AG, DSM NV, Chemische Werke Huels, Chemie Linz AG, Solvay et Cie SA et Saga Petrokjemi AS et Cie, de 3 à 5 % chacun et Petrofina SA environ 2 %. Le polypropylène aurait fait l'objet d'un vaste courant d'échanges entre les États membres, parce que chacun des producteurs établis à l'époque dans la Communauté vendait dans tous les États membres ou presque.

3 ATO Chimie SA fait partie des sept nouveaux producteurs apparus en 1977 sur le marché. Sa position sur le marché du polypropylène était celle d'un petit producteur, dont la part de marché se situait entre 3,1 % et 3,2 %.

4 Les 13 et 14 octobre 1983, des fonctionnaires de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ont procédé à des vérifications simultanées dans les entreprises suivantes, productrices de polypropylène et approvisionnant le Marché communautaire :

- ATO Chimie SA, actuellement Atochem (ci-après "ATO");

- BASF AG (ci-après "BASF");

- DSM NV (ci-après "DSM");

- Hercules Chemicals NV (ci-après "Hercules");

- Hoechst AG (ci-après "Hoechst");

- Chemische Werke Huels (ci-après "Huels");

- Imperial Chemical Industries plc (ci-après "ICI");

- Montepolimeri SpA, actuellement Montedipe (ci-après "Monte");

- Shell International Chemical Company Ltd (ci-après "Shell");

- Solvay et Cie SA (ci-après "Solvay");

- BP Chimie (ci-après "BP").

Aucune vérification n'a été effectuée chez Rhône-Poulenc SA (ci-après "Rhône-Poulenc"), ni chez Enichem Anic SpA.

5 A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements, au titre de l'article 11 du règlement n° 17 (ci-après "demandes de renseignements"), non seulement aux entreprises précitées, mais aussi aux entreprises suivantes :

- Amoco;

- Chemie Linz AG (ci-après "Linz");

- Saga Petrokjemi AS et Cie, qui fait actuellement partie de Statoil (ci-après "Statoil");

- Petrofina SA (ci-après "Petrofina");

- Enichem Anic SpA (ci-après "Anic").

Linz, entreprise établie en Autriche, a contesté la compétence de la Commission et refusé de répondre à la demande. Conformément à l'article 14, paragraphe 2, du règlement précité, les fonctionnaires de la Commission ont ensuite procédé à des vérifications chez Anic et chez Saga Petrochemicals UK Ltd, filiale anglaise de Saga, ainsi qu'auprès des agences de vente de Linz établies au Royaume-Uni et en Allemagne. Aucune demande de renseignements n'a été adressée à Rhône-Poulenc.

6 Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements ont amené la Commission à conclure qu'entre 1977 et 1983, les producteurs concernés avaient, en violation de l'article 85 du traité CEE, par une série d'initiatives de prix, fixé régulièrement des objectifs de prix et élaboré un système de contrôle annuel des volumes de vente en vue de se répartir le marché disponible sur la base de tonnages ou pourcentages convenus. C'est ainsi que le 30 avril 1984, la Commission a décidé d'engager la procédure prévue par l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, et, au cours du mois de mai 1984, elle a adressé une communication écrite des griefs aux entreprises précitées à l'exception d'Anic et de Rhône-Poulenc. Tous les destinataires y ont répondu par écrit.

7 Le 24 octobre 1984, le conseiller-auditeur désigné par la Commission a réuni les conseillers juridiques des destinataires de la communication des griefs pour convenir de certaines dispositions de procédure en vue de l'audition, prévue dans le cadre de la procédure administrative, qui devait débuter le 12 novembre 1984. Lors de cette réunion, la Commission a par ailleurs annoncé que, au vu de l'argumentation développée par les entreprises dans leurs réponses à la communication des griefs, elle leur adresserait incessamment des éléments de preuve complétant ceux dont elles disposaient déjà en ce qui concerne la mise en œuvre des initiatives de prix. C'est ainsi que le 31 octobre 1984, la Commission a envoyé aux conseillers juridiques des entreprises une liasse de documents réunissant des copies des instructions de prix données par les producteurs à leurs bureaux de vente, ainsi que des tableaux résumant ces documents. Afin de garantir le respect du secret des affaires, la Commission a assorti cette communication de certaines conditions; en particulier, les documents communiqués ne devaient pas être portés à la connaissance des services commerciaux des entreprises. Les avocats de plusieurs entreprises ont refusé d'accepter lesdites conditions et ont renvoyé la documentation avant l'audition.

8 Au vu des informations fournies dans les réponses écrites à la communication des griefs, la Commission a décidé d'étendre la procédure à Anic et Rhône-Poulenc. A cette fin, une communication des griefs semblable à celle adressée aux quinze autres entreprises leur a été envoyée le 25 octobre 1984.

9 Une première session d'auditions s'est déroulée du 12 au 20 novembre 1984. Au cours de celle-ci, toutes les entreprises ont été entendues, à l'exception de Shell (qui avait refusé de participer à toute audition), Anic, ICI et Rhône-Poulenc (qui estimaient n'avoir pas été en mesure de préparer leur dossier).

10 Lors de cette session, plusieurs entreprises ont refusé d'aborder les points soulevés dans la documentation qui leur avait été adressée le 31 octobre 1984, faisant valoir que la Commission avait radicalement changé l'orientation de son argumentation et qu'elles devaient, à tout le moins, être mises en mesure de présenter des observations écrites. D'autres entreprises ont soutenu n'avoir pas eu assez de temps pour étudier les documents en question avant l'audition. Une lettre commune en ce sens a été adressée à la Commission le 28 novembre 1984 par les avocats de BASF, DSM, Hercules, Hoechst, ICI, Linz, Monte, Petrofina et Solvay. Par lettre du 4 décembre 1984, Huels a déclaré se rallier au point de vue ainsi exprimé.

11 C'est pourquoi, le 29 mars 1985, la Commission a adressé aux entreprises une nouvelle série de documents, reproduisant des instructions de prix données par les entreprises à leurs bureaux de vente, accompagnés de tableaux concernant les prix, ainsi qu'un résumé des preuves ayant trait à chacune des initiatives en matière de prix pour laquelle des documents étaient disponibles. Elle invitait les entreprises à y répondre, tant par écrit qu'au cours d'une autre session d'auditions et précisait qu'elle levait les restrictions prévues initialement concernant la communication aux services commerciaux.

12 Par une autre lettre du même jour, la Commission a répondu aux arguments avancés par les avocats, selon lesquels elle n'avait pas donné une définition juridique précise de l'entente alléguée, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et elle a invité les entreprises à lui soumettre leurs observations écrites et orales.

13 Une seconde session d'auditions s'est déroulée du 8 au 11 juillet 1985, et le 25 juillet 1985. Anic, ICI et Rhône-Poulenc y ont présenté leurs observations et les autres entreprises (à l'exception de Shell) ont commenté les points soulevés dans les deux lettres de la Commission datées du 29 mars 1985.

14 Le projet de procès-verbal des auditions, accompagné de la documentation utile, a été transmis aux membres du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes (ci-après "comité consultatif") le 19 novembre 1985 et a été envoyé aux entreprises le 25 novembre 1985. Le comité consultatif a rendu son avis lors de sa 170e réunion, les 5 et 6 décembre 1985.

15 Au terme de cette procédure, la Commission a pris la décision litigieuse du 23 avril 1986, qui comporte le dispositif suivant :

"Article premier

Anic SpA, ATO Chemie SA (actuellement Atochem), BASF AG, DSM NV, Hercules Chemicals NV, Hoechst AG, Chemische Werke Huels (actuellement Huels AG), ICI plc, Chemische Werke Linz, Montepolimeri SpA (actuellement Montedipe), Petrofina SA, Rhône-Poulenc SA, Shell International Chemical Co. Ltd, Solvay & Cie et Saga Petrokjemi AG & Co. (actuellement fusionnée avec Statoil) ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, en participant :

- pour Anic, à partir de novembre 1977 environ jusqu'à la fin de 1982 ou au début de 1983;

- pour Rhône-Poulenc, de novembre 1977 environ jusqu'à la fin de 1980;

- pour Petrofina, de 1980 jusqu'en novembre 1983 au moins;

- pour Hoechst, ICI, Montepolimeri et Shell, du milieu de l'année 1977 jusqu'à novembre 1983 au moins;

- pour Hercules, Linz, Saga et Solvay, de novembre 1977 environ jusqu'en novembre 1983 au moins;

- pour ATO, de 1978 au moins jusqu'à novembre 1983 au moins;

- pour BASF, DSM et Huels, d'un moment indéterminé entre 1977 et 1979 jusqu'en novembre 1983 au moins;

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de l'année 1977, en vertu desquels les producteurs approvisionnant en polypropylène le territoire du Marché commun :

a) ont pris contact l'un avec l'autre et se sont rencontrés régulièrement (depuis le début de 1981, deux fois par mois) dans le cadre de réunions secrètes, en vue d'examiner et de définir leur politique commerciale;

b) ont fixé périodiquement des prix "cible" (ou minimaux) pour la vente du produit dans chaque État membre de la Communauté;

c) ont convenu de diverses mesures visant à faciliter l'application de tels objectifs de prix, y compris (et essentiellement) des limitations temporaires de la production, l'échange d'informations détaillées sur leurs livraisons, la tenue de réunions locales et, à partir de la fin de 1982, un système d''account management' ayant pour but d'appliquer les hausses de prix à des clients particuliers;

d) ont procédé à des hausses de prix simultanées, en application desdites cibles;

e) se sont réparti le marché en attribuant à chaque producteur un objectif ou un "quota" annuel de vente (1979, 1980 et pendant une partie au moins de 1983) ou, à défaut d'un accord définitif pour l'année entière, en obligeant les producteurs à limiter leurs ventes mensuelles par référence à une période antérieure (1981, 1982).

Article 2

Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées (si elles ne l'ont pas déjà fait) et s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leur secteur polypropylène, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange de renseignements du type généralement couvert par le secret professionnel, au moyen duquel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des livraisons, du niveau des stocks, des prix de vente, des coûts ou des plans d'investissement d'autres producteurs individuels, ou qui leur permettrait de suivre l'exécution de tout accord exprès ou tacite ou de toute pratique concertée se rapportant aux prix ou au partage des marchés dans la Communauté. Tout système d'échange de données générales auquel les producteurs seraient abonnés (tel que le Fides) sera géré de manière à exclure toute donnée permettant d'identifier le comportement de producteurs déterminés; les entreprises s'abstiendront plus particulièrement d'échanger entre elles toute information supplémentaire intéressant la concurrence et non couverte par un tel système.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées par la présente décision, en raison de l'infraction constatée à l'article 1er :

i) Anic SpA, une amende de 750 000 écus, soit 1 103 692 500 LIT;

ii) Atochem, une amende de 1 750 000 écus, soit 11 973 325 FF;

iii) BASF AG, une amende de 2 500 000 écus, soit 5 362 225 DM;

iv) DSM NV, une amende de 2 750 000 écus, soit 6 657 640 HFL;

v) Hercules Chemicals NV, une amende de 2 750 000 écus, soit 120 569 620 BFR;

vi) Hoechst AG, une amende de 9 000 000 écus, soit 19 304 010 DM;

vii) Huels AG, une amende de 2 750 000 écus, soit 5 898 447,50 DM;

viii) ICI plc, une amende de 10 000 000 écus, soit 6 447 970 UKL;

ix) Chemische Werke Linz, une amende de 1 000 000 écus, soit 1 471 590 000 LIT;

x) Montedipe, une amende de 11 000 000 écus, soit 16 187 490 000 LIT;

xi) Petrofina SA, une amende de 600 000 écus, soit 26 306 100 BFR;

xii) Rhône-Poulenc SA, une amende de 500 000 écus, soit 3 420 950 FF;

xiii) Shell International Chemical Co. Ltd, une amende de 9 000 000 écus, soit 5 803 173 UKL;

xiv) Solvay & Cie, une amende de 2 500 000 écus, soit 109 608 750 BFR;

xv) Statoil, Den Norske Stats Oljeselskap AS (qui englobe aujourd'hui Saga Petrokjemi), une amende de 1 000 000 écus, soit 644 797 UKL.

Articles 4 et 5

(omissis)"

16 Le 8 juillet 1986, le procès-verbal définitif des auditions contenant les corrections, compléments et suppressions de textes demandés par les entreprises, leur a été envoyé.

La procédure

17 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 25 juillet 1986, la requérante a introduit le présent recours, visant à l'annulation de la décision. Treize des quatorze autres destinataires de cette décision ont également introduit un recours visant à son annulation (affaires T-1-89, T-2-89, T-4-89 et T- 6-89 à T-15-89).

18 La procédure écrite s'est entièrement déroulée devant la Cour.

19 Par ordonnance du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé cette affaire ainsi que les treize autres devant le Tribunal, en application de l'article 14 de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (ci-après "décision du Conseil du 24 octobre 1988").

20 En application de l'article 2, paragraphe 3, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, un avocat général a été désigné par le président du Tribunal.

21 Par lettre du 3 mai 1990, le greffier du Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, en vue de déterminer les modalités d'organisation de la procédure orale. Cette réunion a eu lieu le 28 juin 1990.

22 Par lettre du 9 juillet 1990, le greffier du Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs observations sur une jonction éventuelle des affaires T-1-89 à T-4-89 et T-6-89 à T-15-89 aux fins de la procédure orale. Aucune partie n'a formulé d'objection sur ce point.

23 Par ordonnance du 25 septembre 1990, le Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 43 du règlement de procédure de la Cour, applicable alors mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988.

24 Par ordonnance du 15 novembre 1990, le Tribunal a statué sur les demandes de traitement confidentiel introduites par les requérantes dans les affaires T-2-89, T-3-89, T-9-89, T-11-89, T-12-89 et T-13-89 et les a partiellement accueillies.

25 Par lettres déposées au greffe du Tribunal entre le 9 octobre et le 29 novembre 1990, les parties ont répondu aux questions qui leur avaient été posées par le Tribunal par lettres du greffier du 19 juillet.

26 Au vu des réponses fournies à ses questions et sur rapport du juge rapporteur, l'avocat général entendu, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

27 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 10 au 15 décembre 1990.

28 L'avocat général a été entendu en ses conclusions à l'audience du 10 juillet 1991.

Les conclusions des parties

29 La SA Atochem conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- dire et juger que la société Atochem n'a pas violé l'article 85, paragraphe 1er, du traité CEE;

- annuler la décision de la Commission du 23 avril 1986, en ce qu'elle a retenu un comportement fautif de la requérante et l'a condamnée à une amende;

- au cas où, par improbable, le Tribunal devrait estimer que le comportement d'Atochem devrait entrer dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, et constaterait qu'en l'absence de notification, l'article 85, paragraphe 3, ne peut lui être appliqué, il déciderait cependant une très forte réduction de l'amende infligée, compte tenu des faits relatés par la requérante.

La Commission, quant à elle, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours;

- condamner la requérante aux dépens."

Sur le fond

30 Le Tribunal considère qu'il y a lieu d'examiner, en premier lieu, le grief de la requérante tiré de la violation des droits de la défense, en ce que la Commission se serait fondée sur des éléments de preuve manquant de fiabilité; en second lieu, les griefs de la requérante relatifs à l'établissement de l'infraction qui portent, d'une part, sur les constatations de fait opérées par la Commission (1) et, d'autre part, sur l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE (2); en troisième lieu, les griefs de la requérante relatifs à la motivation de la décision qui portent sur le fait qu'elle est commune à plusieurs entreprises (1) et qu'elle serait insuffisamment motivée (2); et, en quatrième lieu, les griefs relatifs à la fixation de l'amende qui ne serait pas adéquate à la gravité de l'infraction alléguée.

Sur les droits de la défense

31 La requérante soutient que les documents internes saisis chez ICI sur lesquels se fonderait entièrement la Commission, ne sont pas probants à son égard. Ces prétendus comptes-rendus de réunions de producteurs de polypropylène seraient des manuscrits difficilement déchiffrables revêtant la nature de notes personnelles d'un auteur d'ailleurs inconnu. Ces documents ne sauraient être assimilés à des comptes-rendus objectifs de réunions, reflétant les prises de position réelles des participants à celles-ci. Le parti pris par la Commission de considérer que ces documents fournissent un compte-rendu exact des réunions placerait les producteurs dans la position impossible de devoir faire une preuve négative, c'est-à-dire de démontrer que certains propos n'ont pas été tenus et que certains accords n'ont pas été passés.

32 La Commission affirme qu'elle n'a aucune raison sérieuse de douter de la véracité des documents saisis chez ICI. En outre, la Commission constate qu'ATO ne conteste pas que d'autres documents découverts chez d'autres producteurs, dont ATO elle-même, tendent à confirmer les faits consignés dans les comptes-rendus d'ICI, bien que la Commission l'ait mise au défi de le contester.

33 La Commission ajoute que, pour ne pas ébranler sa thèse selon laquelle elle serait victime d'une sorte de présomption de culpabilité, la requérante passe sous silence un certain nombre de preuves apportées par la Commission et fait une analyse incomplète, sélective ou erronée de la décision.

34 La Commission conclut qu'en vertu de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, point 16, 29-83 et 30-83, Rec. p. 1679), il appartient à ATO de "substituer une autre explication des faits" à celle, la plus cohérente et la plus vraisemblable qui soit, donnée par la Commission sur la base des nombreux éléments qu'elle a mis en lumière.

35 Le Tribunal relève, tout d'abord, que l'identité des auteurs de la plupart des comptes-rendus de réunions émanant d'ICI est connue puisque cette dernière les a identifiés dans sa réponse à la demande de renseignements qui a été jointe à la communication générale des griefs comme annexe 8 (ci-après "g.g. ann.").

36 Il y a lieu d'observer, ensuite, que le contenu de ces comptes-rendus est confirmé par différents documents, comme un certain nombre de tableaux chiffrés relatifs aux volumes de vente des différents producteurs - dont certains ont été découverts chez la requérante - et comme des instructions de prix correspondant, quant à leur montant et à leur date d'entrée en vigueur, aux objectifs de prix mentionnés dans lesdits comptes-rendus de réunions. De la même manière, les réponses de différents producteurs aux demandes de renseignements qui leur ont été adressées par la Commission corroborent, globalement, le contenu desdits comptes-rendus.

37 Par conséquent, la Commission a pu considérer que les comptes-rendus de réunions découverts chez ICI reflétaient assez objectivement le contenu de réunions dont la présidence était assurée par différents membres du personnel d'ICI, ce qui accroissait la nécessité pour eux d'informer correctement du contenu des réunions ceux des membres du personnel d'ICI qui ne participaient pas à l'une ou l'autre réunion en établissant des comptes-rendus de celles-ci.

38 Dans ces circonstances, c'est à la requérante de fournir une autre explication du contenu des réunions auxquelles elle a participé, en avançant des éléments précis, comme les notes qu'elle aurait prises elle-même au cours des réunions auxquelles elle participait ou le témoignage des membres de son personnel ayant participé aux réunions. Force est de constater que la requérante n'a pas avancé, ni offert d'avancer de tels éléments devant le Tribunal.

39 Par ailleurs, il faut relever que la question de savoir si la Commission s'est fondée sur une présomption générale de culpabilité se confond avec celle de savoir si les constatations de fait opérées par la Commission dans la décision sont étayées par les éléments de preuve qu'elle a produits. S'agissant là d'une question de fond liée à l'établissement de l'infraction, il y a lieu de l'examiner ultérieurement avec les autres questions liées à l'établissement de l'infraction.

Sur l'établissement de l'infraction

40 Selon la décision (point 80, premier alinéa), à partir de 1977, les producteurs de polypropylène approvisionnant la Communauté ont été parties à tout un ensemble de plans, dispositifs et mesures arrêtés dans le cadre d'un système de réunions périodiques et de contacts permanents. La décision (point 80, deuxième alinéa) ajoute que le plan d'ensemble des producteurs visait à organiser des rencontres pour parvenir à un accord exprès sur des points spécifiques.

41 Dans ces conditions, il y a lieu de vérifier, d'abord, si la Commission a établi à suffisance de droit ses constatations de fait relatives au système des réunions périodiques (A), aux initiatives de prix (B), aux mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix (C) et à la fixation de tonnages cibles et de quotas (D), en rendant compte de l'acte attaqué (a) et des arguments des parties (b), avant de les apprécier (c); il y a lieu de contrôler ensuite l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, à ces faits.

1. Les constatations de fait

A - Le système des réunions périodiques

a) Acte attaqué

42 La décision (point 18, premier et troisième alinéas) fait grief à ATO d'avoir participé au système des réunions périodiques de producteurs de polypropylène en assistant régulièrement aux réunions qui se sont tenues depuis 1978 jusqu'à la fin de septembre 1983 au moins (point 105, quatrième alinéa). Elle se fonde sur la réponse donnée par ATO à la demande de renseignements, dans laquelle celle-ci aurait admis avoir assisté aux réunions à partir de 1978 (point 78, quatrième alinéa, note 1).

43 La décision (point 21) affirme que ces réunions périodiques avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente et le contrôle de leur respect par les producteurs.

b) Arguments des parties

44 La requérante ne conteste pas avoir participé aux réunions, mais estime que sa participation n'avait pas la portée que lui attribue la Commission, dans la mesure où elle était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, ce qu'attesterait son comportement concurrentiel sur le marché, tant en termes de prix que de volumes de vente. Elle expose que si elle a participé aux réunions incriminées, c'était simplement pour permettre un échange d'informations en vue d'avoir une meilleure connaissance de l'évolution prévisible du marché.

45 La Commission fait valoir, quant à elle, que la participation de la requérante à des réunions de producteurs dont l'objet était anticoncurrentiel, est établie.

46 Elle relève que, en ce qui concerne l'objet des réunions, la position d'ATO a varié au cours de la procédure. La requérante aurait d'abord indiqué que ces réunions étaient simplement destinées à des échanges d'informations statistiques ou techniques. Puis elle aurait indiqué que les discussions portaient sur la possibilité de définir des objectifs quantitatifs optimaux qui n'auraient jamais été atteints. Enfin, dans sa requête, la requérante soutiendrait désormais que les producteurs, sans même avoir tenté de se mettre d'accord sur quoi que ce soit, se seraient seulement informés mutuellement et gratuitement de leur comportement futur sur le marché. Selon la Commission, les termes figurant dans les documents de preuve qu'elle a rassemblés, seraient clairs et démontreraient l'existence d'une entente.

47 Quant aux considérations de la requérante affirmant qu'elle n'était animée d'aucun esprit anticoncurrentiel en participant à ces réunions, la Commission est d'avis qu'elles sont sans pertinence, puisque le simple fait que les prix et les quotas prévisibles et/ou souhaités étaient discutés entre concurrents lors des réunions auxquelles participait la requérante, constituerait à tout le moins une concertation ayant pour objet de restreindre la concurrence.

c) Appréciation du Tribunal

48 Le Tribunal constate, d'une part, que la requérante a déclaré, tant dans sa réponse à la demande de renseignements (annexe 1 à la communication spécifique des griefs adressée à ATO, (ci-après "ann. g. ATO") que dans ses mémoires devant le Tribunal, avoir "participé de 1978 à 1983 à un certain nombre de réunions avec d'autres producteurs" et, d'autre part, que, dans la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), la requérante est classée parmi les participants réguliers aux réunions. C'est à bon droit que la Commission a déduit de la combinaison de ces éléments que la requérante était présente aux réunions dont la décision allègue la tenue depuis 1978 (voir, notamment, les points 18 et 29 ainsi que le tableau 3).

49 Le Tribunal considère que c'est à bon droit que la Commission a estimé, sur la base des éléments qui ont été fournis par ICI dans sa réponse à la demande de renseignements et qui ont été confirmés par de nombreux comptes-rendus de réunions, que l'objet des réunions était notamment de fixer des objectifs de prix, d'une part, et de volumes de vente, d'autre part. En effet, on peut lire dans cette réponse les passages suivants : "Generally speaking however, the concept of recommending "Target Prices" was developed during the early meetings which took place in 1978"; "Target prices" for the basic grade of each principal category of polypropylene as proposed by producers from time to time since 1 January 1979 are set forth in Schedule..."; ainsi que "A number of proposals for the volume of individual producers were discussed at meetings" ("En général, l'idée de recommander des "prix cibles" a été élaborée pendant les premières réunions, qui ont eu lieu en 1978"; "Les "prix cibles" qui ont été proposés périodiquement par les producteurs depuis le 1er janvier 1979 pour la qualité de base de chacune des principales catégories de polypropylène figurent dans l'annexe..." ainsi que "Un certain nombre de propositions relatives au volume des ventes des divers producteurs ont été discutées lors des réunions").

50 De surcroît, faisant état de l'organisation, en plus des réunions de "patrons", de réunions d'"experts" en marketing à partir de la fin de l'année 1978 ou du début de l'année 1979, la réponse d'ICI à la demande de renseignements révèle que les discussions relatives à la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente se faisaient de plus en plus concrètes et précises, alors que, en 1978, les "patrons" s'étaient bornés à développer le concept même des prix cibles.

51 Outre les passages précédents, on peut lire l'extrait suivant dans la réponse d'ICI à la demande de renseignements : "Only" Bosses "and" Experts "meetings came to be held on a monthly basis" ("Seules les réunions de 'patrons' et d''experts' avaient lieu sur une base mensuelle"). C'est à bon droit que la Commission a pu déduire de cette réponse, ainsi que de l'identité de nature et d'objet des réunions, que celles-ci s'inscrivaient dans un système de réunions périodiques.

52 Quant à l'argument de la requérante tendant à établir que sa participation aux réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, il convient de faire observer que, dès lors qu'il est établi que la requérante a pris part à ces réunions et que celles-ci avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, la requérante a donné à ses concurrents, à tout le moins, l'impression qu'elle y participait dans la même optique qu'eux.

53 Dans ces conditions, c'est à la requérante qu'il appartient d'avancer des indices de nature à établir que sa participation aux réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel en démontrant que ses concurrents savaient qu'elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur.

54 A cet égard, il convient de relever que les arguments de la requérante, tirés de son comportement sur le marché et destinés à établir que sa participation aux réunions aurait eu pour seul but de lui permettre de s'informer de l'évolution prévisible du marché, ne constituent pas des indices de nature à prouver l'absence chez elle d'esprit anticoncurrentiel, dans la mesure où la requérante n'avance aucun élément susceptible d'établir que ses concurrents savaient que son comportement sur le marché serait indépendant du contenu des réunions. A supposer même que ses concurrents l'aient su, le seul fait de chercher à obtenir de ceux-ci des informations qu'un opérateur indépendant préserve rigoureusement comme secrets d'affaires, suffit à manifester l'existence chez elle d'un esprit anticoncurrentiel.

55 Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a participé régulièrement aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène entre 1978 et septembre 1983, que ces réunions avaient pour objet, notamment, la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente, qu'elles s'inscrivaient dans un système et que la participation de la requérante à ces réunions n'a pas été dépourvue d'esprit anticoncurrentiel.

B - Les initiatives de prix

a) Acte attaqué

56 Selon la décision (points 28 à 51), un système de fixation d'objectifs de prix aurait été mis en œuvre à travers des initiatives de prix dont six ont pu être identifiées, la première allant de juillet à décembre 1979, la deuxième de janvier à mai 1981, la troisième d'août à décembre 1981, la quatrième de juin à juillet 1982, la cinquième de septembre à novembre 1982 et la sixième de juillet à novembre 1983.

57 A propos de la première de ces initiatives de prix, la Commission (décision, point 29) fait remarquer qu'elle ne possède aucun détail sur les réunions tenues ou les initiatives prévues au cours de la première partie de 1979. Le compte-rendu d'une réunion tenue les 26 et 27 septembre 1979 indiquerait cependant qu'une initiative était prévue sur la base d'un prix, pour la qualité raphia, de 1,90 DM/kg à partir du 1er juillet et de 2,05 DM/kg à partir du 1er septembre. La Commission disposerait des instructions de prix de certains producteurs, parmi lesquels ATO, dont il ressortirait que ces producteurs avaient donné ordre à leurs bureaux de vente d'appliquer ce niveau de prix ou son équivalent en monnaie nationale à partir du 1er septembre, et ce pour la plupart d'entre eux, avant que la presse spécialisée n'ait annoncé la hausse prévue (décision, point 30).

58 Toutefois, en raison de difficultés à majorer les prix, les producteurs auraient décidé, au cours de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, de reporter la date prévue pour atteindre la cible de plusieurs mois, soit au 1er décembre 1979, le nouveau plan consistant à "maintenir" pendant tout le mois d'octobre les niveaux déjà atteints, avec la possibilité d'une hausse intermédiaire en novembre, qui porterait le prix à 1,90 ou 1,95 DM/kg (décision, point 31, deux premiers alinéas).

59 Quant à la deuxième initiative de prix, la décision (point 32), si elle admet qu'aucun compte-rendu des réunions tenues en 1980 n'a été découvert, affirme que les producteurs se sont réunis au moins sept fois au cours de cette année (référence est faite au tableau 3 de la décision). Au début de l'année, la presse spécialisée aurait annoncé que les producteurs étaient favorables à une forte poussée des prix dans le courant de 1980. On aurait constaté cependant une baisse substantielle des cours du marché, qui seraient retombés au niveau de 1,20 DM/kg, voire moins encore, avant de se stabiliser, à partir de septembre environ. Les instructions de prix envoyées par certains producteurs (DSM, Hoechst, Linz, Monte, Saga et ICI) indiqueraient que pour rétablir le niveau des prix, des cibles ont été fixées pour décembre 1980/janvier 1981 sur la base de 1,50 DM/kg pour le raphia, 1,70 DM/kg pour l'homopolymère et 1,95 à 2 DM/kg pour le copolymère. Un document interne de Solvay comporterait un tableau comparant les "prix réalisés" pour octobre et novembre 1980 avec les "prix de liste" pour janvier 1981, qui s'établiraient à 1,50 / 1,70 / 2 DM/kg. Initialement, il aurait été prévu d'appliquer ces niveaux à partir du 1er décembre 1980 - une réunion ayant eu lieu à Zurich du 13 au 15 octobre - mais cette initiative aurait été repoussée au 1er janvier 1981.

60 La décision (point 33) relève ensuite la participation d'ATO à deux réunions de janvier 1981, au cours desquelles il se serait avéré nécessaire d'opérer une hausse des prix, fixée en décembre 1980 pour le 1er février 1981, sur la base de 1,75 DM/kg pour le raphia, en deux phases : l'objectif serait resté fixé à 1,75 DM/kg pour février et un objectif de 2 DM/kg serait introduit à partir du 1er mars "sans exception ". Un tableau des prix cibles de six grandes qualités aurait été élaboré dans six monnaies nationales et sa mise en œuvre aurait été prévue pour les 1er février et 1er mars 1981.

61 Selon la décision (point 34), le projet de relever les prix à 2 DM/kg au 1er mars ne paraît cependant pas avoir abouti. Les producteurs auraient modifié leurs perspectives et espéré atteindre le niveau de 1,75 DM/kg en mars. Une réunion des "experts", dont il ne subsiste aucun compte-rendu, se serait tenue à Amsterdam le 25 mars 1981, mais immédiatement après au moins BASF, DSM, ICI, Monte et Shell auraient donné instruction de porter les objectifs de prix (ou prix "de liste") à un niveau équivalent à 2,15 DM/kg pour le raphia, à partir du 1er mai. Hoechst aurait donné des instructions identiques pour le 1er mai, avec un retard d'environ quatre semaines sur les autres. Certains des producteurs auraient laissé à leurs bureaux de vente une certaine marge de manœuvre en leur permettant d'appliquer des prix "minimaux" ou des "minima absolus" quelque peu inférieurs aux objectifs convenus. Au cours de la première partie de 1981, les prix auraient augmenté sensiblement, mais, bien que la hausse au 1er mai ait été fortement soutenue par les producteurs, le rythme se serait ralenti. Vers le milieu de l'année, les producteurs auraient envisagé soit de stabiliser les prix, soit même de les réduire quelque peu, la demande ayant fléchi pendant l'été.

62 En ce qui concerne la troisième initiative de prix, la décision (point 35) affirme qu'en juin 1981, Shell et ICI auraient déjà envisagé une nouvelle initiative de prix pour septembre/octobre 1981, alors que la hausse des prix du premier trimestre aurait marqué un ralentissement. Shell, ICI et Monte se seraient rencontrées le 15 juin 1981 afin de discuter des méthodes à suivre pour majorer les prix sur le marché. Quelques jours après cette réunion, ICI et Shell auraient donné toutes deux instruction à leurs bureaux de vente de préparer le marché à une hausse substantielle en septembre, axée sur un nouveau prix de 2,30 DM/kg pour le raphia. Solvay aurait rappelé également à son bureau de vente du Benelux, le 17 juillet 1981, la nécessité d'aviser les clients d'une hausse substantielle au 1er septembre, dont le montant aurait été décidé au cours de la dernière semaine de juillet, alors qu'une réunion d'experts aurait été prévue pour le 28 juillet 1981. Le projet initial axé sur un prix de 2,30 DM/kg en septembre 1981 aurait été revu probablement à cette réunion; le niveau pour août aurait été ramené à 2 DM/kg pour le raphia. Celui de septembre aurait dû être de 2,20 DM/kg. Une note manuscrite recueillie chez Hercules et datée du 29 juillet 1981 (c'est-à-dire le lendemain de la réunion, à laquelle Hercules n'a sans doute pas assisté) citerait ces prix, qualifiés d'"officiels" pour août et septembre, et se référerait en termes voilés à la source de l'information. De nouvelles réunions auraient eu lieu à Genève le 4 août et à Vienne le 21 août 1981. A la suite de ces sessions, les producteurs auraient envoyé de nouvelles instructions fixant l'objectif à 2,30 DM/kg pour le 1er octobre. BASF, DSM, Hoechst, ICI, Montepolimeri et Shell auraient donné des instructions presque identiques en vue d'appliquer ces prix en septembre et en octobre.

63 Selon la décision (point 36), le nouveau projet aurait prévu pour les mois de septembre et octobre 1981 le relèvement des prix à un "prix de base" de 2,20 à 2,30 DM/kg pour le raphia. Un document de Shell indiquerait qu'une étape supplémentaire, portant le prix à 2,50 DM/kg au 1er novembre, aurait été discutée, mais qu'il y aurait été renoncé par la suite. Les rapports des divers producteurs indiqueraient que les prix auraient augmenté en septembre et que l'initiative se serait poursuivie en octobre 1981, les prix réalisés sur le marché se situant aux alentours de 2,00 à 2,10 DM/kg pour le raphia. Une note d'Hercules montrerait qu'en décembre 1981, la cible de 2,30 DM/kg aurait été révisée à la baisse et fixée à un niveau plus réaliste de 2,15 DM/kg, mais cette note ajoute que "grâce à la détermination de tous, les prix auraient atteint 2,05 DM/kg, soit le montant le plus proche jamais atteint par rapport aux objectifs publiés (sic !)". A la fin de l'année 1981, la presse spécialisée aurait relevé sur le marché du polypropylène des prix de 1,95 à 2,10 DM/kg pour le raphia, soit quelque 0,20 DM de moins que les objectifs de prix des producteurs. Quant aux capacités, elles auraient été utilisées à concurrence de 80 %, pourcentage jugé "sain ".

64 La quatrième initiative de prix de juin/juillet 1982 se serait inscrite dans le contexte d'un retour du marché à l'équilibre entre l'offre et la demande. Cette initiative aurait été décidée à la réunion de producteurs du 13 mai 1982, à laquelle aurait participé ATO et au cours de laquelle un tableau détaillé des objectifs de prix au 1er juin aurait été élaboré pour différentes qualités de polypropylène, dans diverses monnaies nationales (2 DM/kg pour le raphia; décision, points 37 à 39, premier alinéa).

65 La réunion du 13 mai 1982 aurait été suivie d'instructions de prix émanant d'ATO, BASF, Hoechst, Hercules, Huels, ICI, Linz, Monte et Shell, correspondant, sous réserve de quelques exceptions mineures, aux prix cibles définis lors de la réunion (décision, point 39, deuxième alinéa). Lors de la réunion du 9 juin 1982, les producteurs n'auraient pu annoncer que des hausses modestes.

66 Selon la décision (point 40), la requérante aurait également participé à la cinquième initiative de prix de septembre/novembre 1982 décidée lors de la réunion des 20 et 21 juillet 1982 et visant à atteindre un prix de 2 DM/kg le 1er septembre et de 2,10 DM/kg le 1er octobre, dans la mesure où elle aurait été présente à la plupart, sinon à toutes les réunions tenues entre juillet et novembre 1982 au cours desquelles cette initiative a été organisée et contrôlée (décision, point 45). Lors de la réunion du 20 août 1982, la hausse prévue pour le 1er septembre aurait été reportée au 1er octobre et cette décision aurait été confirmée lors de la réunion du 2 septembre 1982 (décision, point 41).

67 A la suite des réunions du 20 août et du 2 septembre 1982, ATO, DSM, Hercules, Hoechst, Huels, ICI, Linz, Monte et Shell auraient donné des instructions de prix conformes au prix cible défini au cours de ces réunions (décision, point 43).

68 Selon la décision (point 44), à la réunion du 21 septembre 1982, à laquelle aurait participé la requérante, un examen des mesures prises pour atteindre l'objectif fixé précédemment aurait été opéré et les entreprises auraient exprimé dans l'ensemble leur soutien à une proposition visant à relever le prix à 2,10 DM/kg pour novembre/décembre 1982. Cette hausse aurait été confirmée lors de la réunion du 6 octobre 1982.

69 A la suite de la réunion du 6 octobre 1982, BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Huels, ICI, Linz, Monte, Shell et Saga auraient donné des instructions de prix appliquant la hausse décidée (décision, point 44, deuxième alinéa).

70 A l'instar de BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Huels, ICI, Linz, Monte et Saga, la requérante aurait fourni à la Commission des instructions de prix adressées à ses bureaux de vente locaux, qui correspondraient non seulement entre elles pour ce qui est des montants et des délais, mais correspondraient également au tableau de prix cibles joint au compte-rendu d'ICI de la réunion des "experts" du 2 septembre 1982 (décision, point 45, deuxième alinéa).

71 La réunion de décembre 1982 aurait, selon la décision (point 46, deuxième alinéa), abouti à un accord, selon lequel le niveau prévu pour novembre/décembre devrait être introduit pour la fin janvier 1983.

72 D'après la décision (point 47), la requérante aurait enfin participé à la sixième initiative de prix de juillet/novembre 1983. En effet, au cours de la réunion du 3 mai 1983, il aurait été convenu que les producteurs s'efforceraient d'appliquer un prix cible de 2 DM/kg en juin 1983. Toutefois, lors de la réunion du 20 mai 1983, l'objectif précédemment défini aurait été reporté à septembre et un objectif intermédiaire aurait été fixé pour le 1er juillet (1,85 DM/kg). Ensuite, lors d'une réunion du 1er juin 1983, les producteurs présents, dont ATO, auraient réaffirmé leur entière détermination à appliquer la hausse de 1,85 DM/kg. A cette occasion, il aurait été convenu que Shell prendrait l'initiative publiquement dans une revue professionnelle spécialisée, European Chemical News (ci-après "ECN").

73 La décision (point 49) relève qu'après la réunion du 20 mai 1983, ICI, DSM, BASF, Hoechst, Linz, Shell, Hercules, ATO, Petrofina et Solvay ont donné instruction à leurs bureaux de vente d'appliquer au 1er juillet un tarif de 1,85 DM/kg pour le raphia. Elle ajoute que les instructions de prix retrouvées chez ATO et Petrofina, ne sont que partielles, mais qu'elles confirment que ces sociétés ont relevé leur niveau de prix, avec un certain retard dans le cas de Petrofina et de Solvay. La décision conclut qu'il est ainsi démontré que, à l'exception de Huels, pour qui la Commission n'a pas retrouvé trace d'instructions pour juillet 1983, tous les producteurs qui avaient participé aux réunions ou s'étaient engagés à soutenir la nouvelle cible de 1,85 DM/kg ont donné des instructions visant à faire appliquer le nouveau prix.

74 La décision (point 50) relève par ailleurs que d'autres réunions ont eu lieu les 16 juin, 6 et 21 juillet, 10 et 23 août ainsi que les 5, 15 et 29 septembre 1983, auxquelles tous les participants habituels ont pris part. A la fin juillet et au début août 1983, BASF, DSM, Hercules, Hoechst, Huels, ICI, Linz, Solvay, Monte et Saga auraient envoyé à leurs divers bureaux nationaux de vente des instructions applicables au 1er septembre, basées sur un prix de 2 DM/kg pour le raphia, tandis qu'une note interne de Shell du 11 août, relative à ses prix au Royaume-Uni, indiquerait que sa filiale au Royaume-Uni travaillait à "promouvoir" des prix de base applicables au 1er septembre et conformes aux objectifs fixés par les autres producteurs. Dès la fin du mois, cependant, Shell aurait donné instruction à son bureau de vente au Royaume-Uni de différer la hausse complète jusqu'à ce que les autres producteurs aient atteint le niveau de base souhaité. La décision précise que, sous réserve d'exceptions mineures, ces instructions sont identiques par qualité et par devise.

75 Selon la décision (point 50, dernier alinéa), les instructions recueillies auprès des producteurs révèlent qu'il a été décidé ultérieurement de poursuivre sur la lancée du mois de septembre, avec de nouvelles étapes, sur la base d'un prix de 2,10 DM/kg au 1er octobre pour le raphia, et d'un relèvement à 2,25 DM/kg le 1er novembre. La décision (point 51, premier alinéa) relève encore que BASF, Hoechst, Huels, ICI, Linz, Monte et Solvay ont toutes envoyé à leurs bureaux de vente des instructions fixant des prix identiques pour les mois d'octobre et de novembre, Hercules fixant dans un premier temps des prix légèrement inférieurs.

76 La décision (point 51, deuxième et troisième alinéas) relève qu'ATO et Petrofina ont assisté à toutes les réunions en cause, mais qu'elles affirment que toute instruction interne qui aurait été donnée pour la période couvrant l'initiative de prix de juillet/novembre 1983 l'a été verbalement. Toutefois, une note interne recueillie chez ATO, et datée du 28 septembre 1983, comporterait un tableau intitulé "Rappel du prix de cota (sic)", donnant pour différents pays les prix applicables en septembre et octobre pour les trois principales qualités de polypropylène, prix identiques à ceux de BASF, DSM, Hoechst, Huels, ICI, Linz, Monte et Solvay. Au cours de la vérification effectuée chez ATO en octobre 1983, les représentants de l'entreprise auraient confirmé que ces prix avaient été communiqués aux bureaux de vente.

77 Selon la décision (point 105, quatrième alinéa), quelle que soit la date de la dernière réunion, l'infraction a duré jusqu'en novembre 1983, dans la mesure où l'accord a continué à produire ses effets au moins jusqu'à ce moment, novembre étant le dernier mois pour lequel on sait que des objectifs de prix ont été convenus et que des instructions de prix ont été données.

78 La décision conclut (point 51, dernier alinéa) en relevant qu'à la fin de 1983, selon la presse spécialisée, les prix du polypropylène se sont raffermis, le prix du raphia sur le marché atteignant 2,08 DM à 2,15 DM/kg (pour un objectif cité de 2,25 DM/kg).

b) Arguments des parties

79 La requérante soutient, de manière générale, que les prix cibles n'étaient pas des objectifs que se fixaient les producteurs, mais des prévisions faites par eux sur les niveaux de prix qui devaient s'établir sur le marché à la date considérée, compte tenu des conditions du marché et de l'évolution prévisible du coût des différents facteurs de production. Ces prévisions auraient été d'autant plus nécessaires pour les producteurs qu'ils étaient en position de faiblesse par rapport à leurs clients, l'offre dépassant la demande. De l'avis de la requérante, ces tentatives de prévisions ne sont pas assimilables à une fixation de prix. La requérante en conclut qu'elle n'a jamais pris l'engagement de pratiquer un prix déterminé et que les réunions auxquelles elle a participé, n'ont jamais eu, pour elle, un tel objet.

80 Elle relève qu'entre 1979 et 1981, la décision identifie trois initiatives de prix, mais que ATO n'est mise en cause que pour une de celles-ci, à savoir l'initiative de juillet/décembre 1979.

81 La requérante fait valoir ensuite, en ce qui concerne cette initiative de prix, que c'est tout à fait légitimement qu'elle a décidé le 29 août 1979 d'augmenter ses prix à compter du 1er septembre 1979 en fonction d'informations publiques, parues dans la presse professionnelle le 6 août 1979, selon lesquelles les principaux producteurs, Monte et ICI, s'apprêtaient à augmenter leurs prix. Elle relève, en outre, que la Commission n'allègue d'ailleurs pas qu'elle aurait participé à une quelconque réunion de producteurs à cette époque et qu'elle a reconnu dans la décision (point 29) ignorer l'objet des réunions entre producteurs à cette époque.

82 Quant à l'initiative de prix de juin/juillet 1982, elle explique que c'est à la suite des informations données par la presse professionnelle, le 24 mai 1982 (annexe 5 à la requête), qu'elle a décidé d'augmenter ses prix à compter du 1er juin 1982, suivant ainsi un relèvement des prix appliqué par les grands producteurs et tenant compte de la hausse du prix de la matière première. De plus, ses prix auraient été plus élevés que ceux de ses concurrents pour l'homopolymère et le copolymère (annexe ATO F1 à la lettre de la Commission du 29 mars 1985, ci-après "ann. ATO, lettre du 29 mars 1985").

83 Quant à l'initiative de prix de septembre/novembre 1982, selon la requérante, la Commission incriminerait un telex adressé par ATO le 17 septembre 1982 (ann. ATO G2, lettre du 29 mars 1985) à son bureau de vente en Allemagne, alors que ce telex, loin de prévoir une augmentation des prix, contiendrait une instruction de maintenir les prix et de contrôler l'évolution du marché. De surcroît, la Commission retiendrait comme prix cibles pour cette période une liste officielle de prix du polypropylène émanant d'ICI (g.g. ann. 29) dont rien n'indiquerait qu'elle ait fait l'objet d'un quelconque débat entre producteurs.

84 Quant à l'initiative de prix de juillet/novembre 1983, la requérante fait valoir que le telex qu'elle a adressé le 14 juin 1983 (ann. ATO H1, lettre du 29 mars 1985) à son agent en Grande-Bretagne, ne permet pas de tirer la conclusion d'un quelconque accord de prix, dans la mesure où ce telex indiquerait le niveau de prix souhaité pour juillet 1983, "sauf tendance du marché à la baisse", et où les instructions de prix des différentes entreprises seraient échelonnées du 17 mai au 26 juillet 1983. Elle soutient que ces instructions peuvent aussi bien résulter d'une appréciation commune par les différents producteurs de la tendance qui prévalait alors sur le marché. En ce qui concerne l'étape finale de cette initiative, la Commission se fonderait sur l'identité des prix d'ATO avec ceux du marché à la date du 28 septembre 1983, alors que ces prix avaient déjà été annoncés publiquement en juillet/août 1983 par d'autres producteurs.

85 La Commission estime, quant à elle, qu'en qualifiant les prix dits "cibles" de simples prévisions individuelles, la requérante se livre à un jeu purement sémantique destiné à justifier a posteriori un comportement contraire à l'article 85 du traité CEE. Elle expose que, comme l'indique ATO, les producteurs étant en position de faiblesse vis-à-vis de leurs clients, ils ont cherché à maîtriser et à relever les niveaux de prix en formant un front uni face à leurs clients. Certes, cela n'aurait pas supprimé toute possibilité de négociations individuelles avec les clients, mais ces négociations se seraient faites sur la base des prix convenus lors des réunions de producteurs.

86 La Commission soutient que l'instruction de prix donnée par ATO le 29 août 1979 (ann. ATO A1, lettre du 29 mars 1985) établit sa participation à la première initiative de prix. Elle reconnaît que cette instruction de prix a été donnée après la parution dans ECN, les 30 juillet et 6 août 1979 (annexe 4 à la requête), de l'annonce d'une augmentation de prix de Monte, mais elle estime que cela sans importance, dans la mesure où d'autres producteurs ont donné leurs instructions de prix avant l'annonce de Monte, ce qui établirait l'existence d'une concertation préalable qui a dû avoir lieu lors d'une des réunions qui avaient lieu à l'époque et auxquelles la requérante participait.

87 Elle ajoute qu'il est établi que les producteurs de polypropylène, y compris ATO, se réunissaient régulièrement à l'époque et que les réunions portaient déjà sur la définition de prix cibles, comme l'aurait indiqué ICI dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8).

88 La Commission fait observer que le compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12) indique que 2,05 DM/kg "remains the target" ("reste la cible"), et elle en déduit que la cible avait donc été fixée auparavant. Elle conclut que l'augmentation simultanée des prix de juillet/août 1979 trouve son origine dans une concertation entre les producteurs.

89 Elle ajoute que, si elle ne dispose pas de preuves que ATO a participé à la mise en œuvre des deuxième et troisième initiatives de prix, elle sait néanmoins que ATO était présente aux réunions au cours desquelles ces initiatives furent convenues.

90 Quant à la quatrième initiative de prix, de juin/juillet 1982, la Commission soutient que le compte-rendu de réunion du 13 mai 1982 (g.g. ann. 24) montre que l'objectif de prix de 2 DM/kg pour le 1er juin 1982 a été établi à cette réunion, soit avant la publication de ce prix dans ECN le 24 mai 1982 et que, dès lors, peu importe que l'instruction de prix d'ATO ait été donnée le 27 mai 1982, soit après la parution d'ECN.

91 Quant à la cinquième initiative de prix, de septembre/novembre 1982, elle fait observer, d'une part, que le telex du 17 septembre 1982, cité par ATO, faisait suite à un autre telex envoyé quelques jours plus tôt, le 7 septembre 1982 (ann. ATO G1, lettre du 29 mars 1985), à la suite d'une réunion de producteurs tenue le 2 septembre 1982, et, d'autre part, que les prix fixés dans ce telex coïncident avec ceux de la liste dressée par ICI après cette réunion (g.g. ann. 29).

92 Quant à la sixième initiative de prix, de juillet/novembre 1983, la Commission souligne que le compte-rendu de la réunion du 3 mai 1983 (g.g. ann. 38) établit, d'une part, qu'il a été convenu que les producteurs pratiqueraient le prix maximal autorisé par les autorités françaises de contrôle de prix, ATO signalant à ce propos qu'il pourrait être possible d'obtenir une autorisation de majorer les prix de 4 %, et, d'autre part, qu'un prix cible de 2 DM/kg pour juin 1983 avait été convenu.

93 Elle ajoute qu'une note interne d'ICI, qui ferait suite à une réunion de producteurs du 20 mai 1983 (g.g. ann. 39), indique qu'ICI cherchera à atteindre le prix de 2 DM/kg pour septembre, mais qu'il lui sera manifestement impossible de le faire en une fois, de sorte qu'il faudra procéder à un mouvement intermédiaire en juin au plus tard. Lors de la réunion du 1er juin 1983, il aurait été fait écho à ce mouvement intermédiaire et il ressortirait du compte-rendu de cette réunion (g.g. ann. 40) que ce mouvement avait été convenu entre les producteurs et que Shell le ferait débuter en annonçant publiquement une hausse dans ECN. De ces différents éléments, la Commission déduit qu'il paraît raisonnable de croire que cet accord a été atteint lors de la réunion du 20 mai 1983. La Commission souligne que les prix communiqués par ATO à son agent britannique dans son telex du 14 juin 1983 sont semblables à ceux de ses concurrents.

94 La Commission soutient, enfin, que la note interne d'ATO datée du 28 septembre 1983, intitulée "Rappel du prix du cota (sic)", indique pour quatre pays, pour la période octobre/novembre 1983 et pour les principales qualités de polypropylène, des prix identiques à ceux de ses concurrents et qu'au cours de la vérification effectuée en octobre 1983, les représentants de l'entreprise ont confirmé que ces prix avaient été communiqués aux bureaux de vente.

c) Appréciation du Tribunal

95 Le Tribunal constate à propos de la nature des objectifs de prix, que la requérante qualifie de "prévisions", que la requérante n'a pas été en mesure de répondre, lors de l'audience, à une question du Tribunal, qui souhaitait savoir pour quelle raison lesdites "prévisions" faites par les producteurs pressentaient systématiquement une hausse des prix par rapport au niveau atteint sur le marché au moment de la prévision alors que, l'offre dépassant la demande, les producteurs étaient en position de faiblesse par rapport à leurs clients - ce que n'a pas contesté la requérante - et auraient donc pu prévoir des baisses de prix.

96 Dans ces circonstances, les objectifs de prix définis au cours des réunions n'étaient pas de simples prévisions sur les niveaux de prix qui devaient s'établir à une date donnée, mais bien la fixation des niveaux de prix que les producteurs s'efforceraient d'atteindre ensemble à une date déterminée (décision, point 21, sous a)) et qui devaient leur servir de base commune pour négocier les prix avec leurs clients respectifs (décision, point 74, deuxième alinéa, in fine).

97 Le Tribunal constate que les comptes-rendus des réunions périodiques de producteurs de polypropylène montrent que les producteurs qui ont participé à ces réunions y ont convenu les initiatives de prix mentionnées dans la décision. Ainsi, on peut lire dans le compte-rendu de la réunion du 13 mai 1982 (g.g. ann. 24):

"everyone felt that there was a very good opportunity to get a price rise through before the holidays + after some debate settled on DM 2.00 from 1st June (UK 14th June). Individual country figures are shown in the attached table ".

("tout le monde pensait qu'il y avait une très bonne occasion d'obtenir une augmentation des prix avant les vacances. + fixation (après débat) à 2 DM à partir du 1er juin (14 juin pour le Royaume-Uni). Les chiffres par pays sont indiqués dans le tableau joint").

98 Dès lors qu'il est établi à suffisance de droit que la requérante a participé à ces réunions, celle-ci ne peut affirmer ne pas avoir souscrit aux initiatives de prix qui y ont été décidées, organisées et contrôlées, sans fournir d'indices de nature à corroborer cette affirmation. En effet, en l'absence de tels indices, il n'y a aucune raison de penser que la requérante n'aurait pas souscrit à ces initiatives, à la différence des autres participants aux réunions.

99 A cet égard, il y a lieu de relever que la requérante s'est référée à deux arguments tendant à démontrer en général qu'elle n'aurait pas souscrit, lors des réunions périodiques de producteurs de polypropylène, aux initiatives de prix convenues. Elle a exposé, en premier lieu, que sa participation aux réunions était dépourvue d'esprit anticoncurrentiel et, en second lieu, qu'elle n'a aucunement tenu compte des résultats des réunions pour déterminer son comportement sur le marché en matière de prix.

100 Aucun de ces deux arguments ne peut être retenu comme indice pour corroborer l'affirmation de la requérante qui prétend n'avoir pas souscrit aux initiatives de prix convenues. En effet, le Tribunal rappelle que la Commission a établi à suffisance de droit que la participation de la requérante aux réunions n'a pas été dépourvue d'esprit anticoncurrentiel, de sorte que le premier argument exposé par la requérante ne peut trouver de fondement dans les faits. En ce qui concerne le second argument, il convient d'observer tout d'abord que même s'il était étayé en fait, il ne serait pas de nature à infirmer la participation de la requérante à la fixation d'objectifs de prix lors des réunions, mais tendrait tout au plus à démontrer que la requérante n'a pas mis en œuvre le résultat de ces réunions. La décision n'affirme d'ailleurs nullement que la requérante a pratiqué des prix correspondant toujours aux objectifs de prix convenus lors des réunions, ce qui indique que l'acte attaqué ne s'appuie pas non plus sur la mise en œuvre par la requérante du résultat des réunions pour établir sa participation à la fixation de ces objectifs de prix.

101 Il faut examiner ensuite les indices spécifiques présentés par la requérante pour démontrer qu'elle n'aurait pas participé aux différentes initiatives de prix.

102 En ce qui concerne la participation de la requérante à l'initiative de prix de juillet à décembre 1979, il convient, d'une part, de relever que, contrairement à ce qu'affirme la requérante, la décision (point 29) allègue bien que des réunions de producteurs se sont tenues durant la première moitié de l'année 1979 et, d'autre part, de rappeler que le Tribunal a constaté que la Commission a établi à suffisance de droit la participation de la requérante à ces réunions. Il résulte, en outre, des instructions de prix concordantes données par la requérante, ainsi que par BASF, Hoechst, ICI, Linz et Shell que l'initiative destinée à atteindre 2,05 DM/kg le 1er septembre 1979 avait été décidée et annoncée fin juillet. L'existence de cette initiative et son report au 1er décembre 1979 sont établis par le compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12), dans lequel on peut lire : "2,05 remains the target. Clearly 2,05 not achievable in Oct., not in Nov. Plan now is 2.05 on 1/12" ("2,05 reste la cible. Manifestement, il n'est pas possible de réaliser 2,05 en octobre, ni en novembre. Projet actuel : 2,05 le 1er décembre").

103 Il s'ensuit que la Commission a établi à suffisance de droit que la hausse de prix de septembre 1979 n'était pas la conséquence d'une forme de "price leadership" d'un producteur suivi de manière autonome par la requérante, mais le résultat de la fixation d'objectifs de prix par la requérante et d'autres producteurs pour la période allant de juillet à décembre 1979.

104 Par ailleurs, le Tribunal constate qu'en participant aux réunions durant l'année 1980 et aux réunions de janvier 1981 au cours desquelles a été décidée, organisée et contrôlée l'initiative de prix du début de l'année 1981, la requérante a pris part à cette initiative de prix.

105 De la même manière, le Tribunal constate qu'en participant aux réunions au cours desquelles l'initiative de prix de août/décembre 1981 a été décidée, organisée et contrôlée, la requérante a participé à cette initiative de prix.

106 Quant à l'initiative de prix de juin/juillet 1982, le Tribunal constate qu'il résulte du compte-rendu de la réunion du 13 mai 1982 (g.g. ann. 24) que cette initiative a été décidée lors de cette réunion, à laquelle participait la requérante. Il est dès lors sans importance que la requérante n'ait donné ses instructions de prix, consécutives à cette réunion, qu'après que l'initiative de prix ait été rendue publique dans ECN.

107 Quant à l'initiative de septembre/novembre 1982, le Tribunal relève que le telex incriminé dans le cadre de cette initiative est celui du 7 septembre 1982 (ann. ATO G1, lettre du 29 mars 1985), dont celui du 17 septembre suivant (ann. ATO G2, lettre du 29 mars 1985) constitue simplement la confirmation, indiquant un prix correspondant à celui contenu dans une note d'ICI jointe au compte-rendu de la réunion du 2 septembre 1982 (g.g. ann. 29) à laquelle participait la requérante. Dès lors, il est permis de considérer que ce telex constituait la mise en œuvre de l'initiative de prix convenue par la requérante et d'autres producteurs.

108 Il ressort du compte-rendu de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40) à laquelle participait la requérante, compte-rendu qui est corroboré par une note interne établie par ICI le 23 mai 1983, à la suite d'une réunion tenue le 20 mai 1983 (g.g. ann. 39), qu'une initiative de prix a été convenue au cours de ces réunions pour le mois de septembre 1983 et que la requérante en a informé ses services de vente en Grande-Bretagne le 14 juin 1983 (ann. ATO H1, lettre du 29 mars 1985).

109 L'argument de la requérante tiré de l'identité des contraintes pesant sur les différents producteurs ne permet pas d'expliquer l'identité de leurs instructions de prix en différentes monnaies nationales, dans la mesure où l'identité des contraintes était limitée à certains facteurs de production, comme le prix des matières premières, mais ne portait pas sur les frais généraux, les coûts salariaux ou les taux d'imposition, ce qui avait pour conséquence que le seuil de rentabilité des différents producteurs était sensiblement différent. C'est ce que montre par exemple le compte-rendu de la réunion de la "European Association for Textile Polyolefins" du 22 novembre 1977 (g.g. ann. 6), à laquelle n'a pas participé la requérante, selon lequel Hoechst souhaitait, pour atteindre le seuil de rentabilité, un prix de 1,85 DM/kg, ICI de 1,60 DM/kg, Rhône-Poulenc de 3,50 FF/Kg et Shell de 1,50 DM/kg.

110 En ce qui concerne l'étape définitive de l'initiative de prix juillet/novembre 1983, le Tribunal estime que la requérante ne peut se prévaloir de l'annonce publique des prix dans ECN pour expliquer l'identité de ses prix avec ceux de ses concurrents à la date du 28 septembre 1983, dans la mesure où il résulte clairement du compte-rendu de la réunion du 1er juin 1983 qu'à l'époque, lorsqu'une initiative de prix était décidée, elle était annoncée dans la presse spécialisée. En effet, on peut lire dans ce compte-rendu : "Shell was reported to have committed themselves to the move and would lead publicly in ECN" ("Il a été indiqué que Shell s'était engagée dans ce mouvement et (le) 'lancerait' publiquement dans ECN").

111 Il y a lieu de relever encore que la concordance des instructions de prix données par différents producteurs permet d'établir que ces initiatives de prix ont été mises en œuvre par les producteurs.

112 Il faut ajouter que c'est à bon droit que la Commission a pu déduire de la réponse d'ICI à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), dans laquelle on peut lire que "Target prices" for the basic grade of each principal category of polypropylene as proposed by producers from time to time since 1 January 1979 are set forth in Schedule..." ("Les "prix cibles" qui ont été proposés périodiquement depuis le 1er janvier 1979 par les producteurs pour la qualité de base de chacune des principales catégories de polypropylène figurent dans l'annexe..."), que ces initiatives s'inscrivaient dans un système de fixation d'objectifs de prix.

113 Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés portant sur les initiatives de prix mentionnées dans la décision et que celles-ci s'inscrivaient dans un système.

C - Les mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix

a) Acte attaqué

114 La décision (article 1er, sous c), et point 27; voir aussi point 42) fait grief à la requérante d'avoir convenu avec les autres producteurs de diverses mesures visant à faciliter l'application des objectifs de prix, comme des limitations temporaires de la production, des échanges d'informations détaillées sur ses livraisons, la tenue de réunions locales et, à partir de la fin septembre 1982, un système d'"account management" ayant pour but d'appliquer les hausses de prix à des clients particuliers.

115 En ce qui concerne le système d'"account management" dont la forme plus tardive et plus raffinée remontant à décembre 1982 est connue sous le nom d'"account leadership", la requérante, comme tous les producteurs, aurait été nommée coordinateur ou "leader" d'au moins un gros client, dont elle aurait été chargée de coordonner secrètement les rapports avec ses fournisseurs. En application de ce système, des clients auraient été identifiés en Belgique, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni et un "coordinateur" aurait été désigné pour chacun d'eux. En décembre 1982, une version plus généralisée de ce système aurait été proposée et aurait prévu la désignation d'un chef de file ("leader"), chargé d'orienter, de négocier, d'organiser les mouvements de prix. Les autres producteurs, qui traitaient régulièrement avec les clients, étaient connus sous le nom de "contenders" et coopéraient avec l'"account leader", lorsqu'ils faisaient une offre au client en question. Pour "protéger" l'"account leader" et les "contenders", tout autre producteur contacté par le client aurait été amené à faire une offre à des prix supérieurs à la cible souhaitée. En dépit des affirmations d'ICI, selon lesquelles le plan se serait écroulé après quelques mois seulement d'une application partielle et inefficace, la décision affirme que le compte-rendu complet de la réunion tenue le 3 mai 1983 indiquerait qu'à cette époque le cas de divers clients aurait été examiné en détail, de même que les offres de prix faites ou à faire par chaque producteur à ces clients et les volumes livrés ou en commande.

116 La décision (point 20) fait également grief à ATO d'avoir assisté à des réunions locales qui étaient consacrées à la mise en œuvre au niveau national des mesures convenues au cours des réunions plénières.

b) Arguments des parties

117 La requérante nie avoir pris des mesures visant à assurer le respect des objectifs de prix pour la simple raison qu'elle n'avait pas de politique de prix commune avec les autres producteurs. Elle souligne d'ailleurs que la Commission se limite, dans sa décision, à établir une liste d'accusations portées contre des producteurs non identifiés, pour leur comportement à des dates généralement non précisées. En tout cas, aucune preuve de la participation d'ATO à de tels agissements ne serait rapportée par la Commission.

118 Elle conteste avoir ordonné à ses bureaux de vente de renoncer à certains volumes de vente plutôt que de céder sur les prix, avoir fait pression sur d'autres producteurs pour qu'ils adoptent une prétendue politique de prix commune, avoir dérouté des approvisionnements vers des marchés d'outre-mer, ou avoir échangé des informations sur des fermetures d'usines.

119 La requérante fait valoir à propos de la renonciation à certains volumes de vente que, sur tout marché où les prix baissent, chaque vendeur est placé devant le choix de maintenir ses prix en sacrifiant le volume de ses ventes ou de maintenir le volume de ses ventes en sacrifiant ses prix et que la Commission ne peut voir dans le choix d'une de ces stratégies la conséquence d'une participation à une entente.

120 Quant à sa prétendue participation à un système d'"account management" ou d'"account leadership", la requérante objecte que les griefs de la Commission à cet égard ne sont pas fondés, d'une part, parce qu'elle n'aurait pu être désignée comme "account leader" de la société Bihr qui n'était plus son client depuis des années et avec laquelle elle n'avait, par conséquent, aucun moyen de négocier les prix et, d'autre part, parce que le compte-rendu d'une réunion du printemps 1983 (g.g. ann. 37), auquel se réfère la Commission pour reprocher à ATO sa participation à un système d'"account leadership" en Italie, ne serait pas probant puisqu'il rend uniquement compte a posteriori de deux ventes ponctuelles.

121 La Commission soutient, de son côté, que la requérante a admis, lors de la réunion du 2 septembre 1982, que pour atteindre les objectifs de prix convenus, il fallait renoncer à certains volumes de vente. Elle se réfère à cet égard au compte-rendu de cette réunion (g.g. ann. 29), où il est dit :

"The ground rules were restated and the meaning of commitment to the proposals clarified. It was made clear that companies should be prepared to lose business rather than break the prices."

("Les règles de base ont été reformulées et la signification de l'adhésion aux propositions a été précisée. Il a été clairement expliqué que les entreprises devaient être prêtes à perdre des affaires plutôt que casser les prix.")

122 Selon la Commission, le compte-rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33) établirait la participation d'ATO au système d'"account leadership" en la faisant apparaître à côté de Shell comme "account leader" auprès de la société Bihr. La Commission explique le fait que le nom de ATO figure entre parenthèses, en exposant que le rôle d'ATO était probablement d'assister Shell grâce à ses connaissances particulières de la structure du marché français et de la réglementation des prix française. Cela serait confirmé par le compte-rendu de la réunion du 3 mai 1983 rédigé par ICI (g.g. ann. 38), qui fait état du rôle d'ATO pour montrer les possibilités de faire fonctionner le système d'"account leadership" dans le cadre du système français de contrôle des prix.

123 La Commission estime, en outre, que le compte-rendu d'une réunion tenue au printemps 1983 (g.g. ann. 37) établit la participation d'ATO au système d'"account leadership" et sa collaboration à celui-ci en Italie. ATO se serait vue attribuer certains volumes à livrer à deux clients, dont Monte avait été nommée "account leader", à un prix déterminé pour le mois d'avril. Elle aurait ainsi agi en qualité de "contender" vis-à-vis de ces deux entreprises.

124 Enfin, elle fait valoir qu'un système d'"account leadership", comme celui conçu par les producteurs de polypropylène, ne pouvait fonctionner efficacement qu'à la condition que tous y coopèrent.

c) Appréciation du Tribunal

125 Le Tribunal considère qu'il y a lieu d'interpréter le point 27 de la décision à la lumière du point 26, deuxième alinéa, non comme faisant grief à chacun des producteurs de s'être engagé individuellement à prendre toutes les mesures qui y sont mentionnées, mais bien comme faisant grief à chacun de ces producteurs d'avoir, à divers moments lors des réunions, adopté avec les autres producteurs un ensemble de mesures, mentionnées dans la décision, destinées à créer des conditions favorables à une augmentation des prix, notamment en réduisant artificiellement l'offre de polypropylène, ensemble dont l'exécution, en ses diverses mesures, était répartie d'un commun accord entre les différents producteurs en fonction de leur situation spécifique.

126 Force est de constater qu'en participant aux réunions au cours desquelles cet ensemble de mesures a été adopté (notamment celles des 13 mai, 2 et 21 septembre 1982 (g.g. ann. 24, 29, 30)), la requérante a souscrit à celui-ci, puisqu'elle n'avance aucun indice de nature à établir le contraire. A cet égard, l'adoption du système d'"account leadership" ressort du passage suivant du compte-rendu de la réunion du 2 septembre 1982 :

"about the dangers of everyone quoting exactly DM 2.00 A.' s point was accepted but rather than go below DM 2.00 it was suggested & generally agreed that others than the major producers at individual accounts should quote a few pfs higher. Whilst customer tourism was clearly to be avoided for the next month or two it was accepted that it would be very difficult for companies to refuse to quote at all when, as was likely, customers tried to avoid paying higher prices to the regular suppliers. In such cases producers would quote but at above the mimimum levels for October ".

("la remarque d'A. à propos des risques qui existeraient si tout le monde proposait exactement 2 DM a été acceptée; toutefois au lieu de descendre au-dessous de 2 DM, on a avancé l'idée - qui a été acceptée par tous - que des producteurs autres que les principaux fournisseurs d'un client donné devraient proposer un prix dépassant ce prix de quelques pfennigs. Tout en décidant clairement d'éviter toute nouvelle prospection pendant le mois ou les deux mois suivants, on a admis qu'il serait très difficile aux entreprises de refuser de présenter des offres, si, comme c'était probable, les clients essayaient d'éviter les prix plus élevés des fournisseurs réguliers. Dans ce cas, les producteurs devaient faire une offre, mais à un niveau supérieur aux niveaux minimaux d'octobre").

De même, lors de la réunion du 21 septembre 1982, à laquelle participait la requérante, il a été déclaré : "In support of the move, BASF, Hercules and Hoechst said they would be taking plant off line temporarily" ("Pour appuyer l'action, BASF, Hercules et Hoechst ont dit qu'elles mettraient une de leurs installations temporairement hors circuit") et à celle du 13 mai 1982, Fina a dit : "Plant will be shut down for 20 days in August" ("L'usine sera fermée pendant 20 jours en août").

127 En ce qui concerne l'"account leadership", le Tribunal constate, d'une part, que ATO est mentionnée dans le tableau 3 joint au compte-rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33), à laquelle elle participait, comme "account leader" de la société Bihr aux côtés de Shell, même si son nom figure entre parenthèses, et, d'autre part, que son nom figure dans deux comptes-rendus de réunions du printemps 1983 (g.g. ann. 37 et 38) dont le contenu indique qu'elles étaient consacrées notamment à l'examen du système d'"account leadership".

128 Il résulte de la participation d'ATO à ces réunions et de la mention, dans les comptes-rendus de celles-ci, à côté de son nom, du nom d'autres entreprises ou de quantités vendues, que la requérante a joué un rôle actif dans le système d'"account leadership", sans qu'il soit nécessaire de préciser si c'est en qualité d'"account leader", de "contender", de "supplier" ou simplement en fournissant des indications relatives à ses ventes ou au système français de contrôle des prix qu'elle a pris part à ce système.

129 Le Tribunal constate, par ailleurs, que la requérante ne conteste pas avoir pris part à des réunions locales pour le marché français et que l'objet de ces réunions est attesté par le compte-rendu de la réunion du 12 août 1982 (g.g. ann. 27), qui montre que ces réunions étaient destinées à assurer au niveau local l'application d'une initiative de prix particulière.

130 Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés portant sur les mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix mentionnées dans la décision.

D - Tonnages cibles et quotas

a) Acte attaqué

131 Selon la décision (point 31, troisième alinéa), "la nécessité d'un système rigoureux de quotas (aurait été) reconnue" au cours de la réunion des 26 et 27 septembre 1979, dont le compte-rendu mentionnerait un projet proposé ou convenu à Zurich en vue de limiter les ventes mensuelles à 80 % de la moyenne atteinte au cours des huit premiers mois de l'année.

132 La décision (point 52) relève encore que divers projets de répartition du marché avaient déjà été appliqués avant le mois d'août 1982. Si chaque producteur s'était vu allouer un pourcentage du volume total estimé des commandes, il n'aurait cependant existé aucune limitation systématique préalable de la production globale. Aussi les estimations du marché total auraient-elles été revues régulièrement et les ventes de chaque producteur, exprimées en tonnages, ajustées pour correspondre au pourcentage autorisé.

133 Des objectifs en matière de volume (exprimés en tonnes) auraient été fixés pour 1979; ils se seraient basés au moins partiellement sur les ventes réalisées au cours des trois années antérieures. Des tableaux découverts chez ICI indiqueraient l'"objectif ajusté" par producteur pour 1979, comparé au tonnage réellement vendu au cours de cette période en Europe occidentale. L'existence d'un plan de répartition du marché pour 1979 serait confirmée par les documents découverts chez ATO, qui indiqueraient, par marché national, les objectifs des quatre producteurs français (ATO, Rhône-Poulenc, Solvay et Hoechst France; décision, point 54).

134 A la fin de février 1980, les producteurs auraient convenu d'objectifs de volumes pour 1980, exprimés cette fois encore en tonnages, sur la base d'un marché annuel total estimé à 1 390 000 tonnes. Selon la décision (point 55), des tableaux indiquant les "objectifs convenus" afférents à chaque producteur pour 1980 auraient été découverts chez ATO et ICI. Cette première estimation du marché global se révélant trop optimiste, le quota de chaque producteur aurait dû être ajusté à la baisse pour correspondre à une consommation totale pour cette année de 1 200 000 tonnes seulement. Sauf pour ICI et DSM, les ventes réalisées par les différents producteurs correspondraient grosso modo à leur cible.

135 Selon la décision (point 56), la répartition du marché pour 1981 aurait fait l'objet de négociations longues et complexes. Lors des réunions de janvier 1981, il aurait été convenu, à titre de mesure temporaire, que pour aider à réaliser l'initiative de prix de février/mars, chaque producteur réduirait ses ventes mensuelles à 1/12 de 85 % de l'"objectif" de 1980. En attendant qu'un plan plus permanent soit mis au point, chaque producteur aurait communiqué à la réunion le tonnage qu'il espérait vendre en 1981. Toutefois, l'addition de ces "ambitions" aurait excédé largement les prévisions de la demande totale. En dépit de plusieurs formules de compromis avancées par Shell et ICI, aucun accord de quota définitif n'aurait pu être conclu pour 1981. Comme mesure provisoire, les producteurs se seraient assigné à chacun le même quota théorique que l'année précédente et auraient rendu compte des ventes réalisées chaque mois, au cours de la réunion. En conséquence, les ventes réalisées auraient été vérifiées à la lumière d'une répartition théorique du marché disponible sur la base du quota de 1980 (décision, point 57).

136 La décision (point 58) expose que, pour 1982, les producteurs ont soumis des propositions de quotas complexes, où ils ont tenté de concilier des facteurs divergents, tels que les résultats antérieurs, les ambitions sur le marché et les capacités disponibles. Le marché total à répartir aurait été estimé à 1 450 000 tonnes. Certains producteurs auraient soumis des plans détaillés de répartition du marché, d'autres se contentant de communiquer leurs propres ambitions en matière de tonnages. Lors de la réunion du 10 mars 1982, Monte et ICI auraient tenté d'aboutir à un accord. La décision (point 58, dernier alinéa) relève cependant que, comme en 1981, aucun accord définitif n'aurait pu être atteint et que, pendant le premier semestre de l'année, les ventes mensuelles de chaque producteur auraient été communiquées lors des réunions et comparées au pourcentage réalisé au cours de l'année précédente. Selon la décision (point 59), lors de la réunion d'août 1982, les pourparlers en vue d'arriver à un accord sur les quotas pour 1983 auraient été poursuivis et ICI aurait procédé avec chacun des producteurs à des discussions bilatérales, consacrées au nouveau système. Toutefois, en attendant l'introduction d'un tel système de quotas, les producteurs auraient été invités à limiter leurs ventes mensuelles, pendant le second semestre de 1982, au pourcentage du marché global réalisé par chacun d'entre eux pendant les six premiers mois de l'année 1982. Ainsi, en 1982, les parts de marché des producteurs de taille moyenne, comme ATO, auraient atteint un certain équilibre (qualifié par ATO de "quasi-consensus") et seraient restées stables par rapport aux années antérieures, pour la plupart des producteurs.

137 D'après la décision (point 60), pour 1983, ICI aurait invité chaque producteur à communiquer ses propres ambitions et ses idées quant au pourcentage du marché qu'il conviendrait d'attribuer à chacun des autres. Ainsi, Monte, Anic, ATO, DSM, Linz, Saga et Solvay, de même que les producteurs allemands par le truchement de BASF, auraient fait parvenir des propositions détaillées. Après cela, ces diverses propositions auraient été traitées sur ordinateur pour obtenir une moyenne, qui aurait été comparée ensuite aux aspirations de chaque producteur. Ces opérations auraient permis à ICI de proposer des lignes directrices pour un nouvel accord-cadre pour 1983. Ces propositions auraient été discutées lors des réunions de novembre et de décembre 1982. Une proposition limitée dans un premier temps au premier trimestre de l'année aurait été discutée lors de la réunion du 2 décembre 1982. Le compte-rendu de cette réunion établi par ICI indiquerait qu'ATO, DSM, Hoechst, Huels, ICI, Monte et Solvay, de même qu'Hercules auraient trouvé "acceptable" le quota qui leur aurait été attribué (décision, point 63). Ces informations seraient corroborées par le résumé d'un entretien téléphonique d'ICI avec Hercules, daté du 3 décembre 1982.

138 La décision (point 63, troisième alinéa) affirme qu'un document découvert chez Shell confirmerait qu'un accord est intervenu, dans la mesure où cette entreprise se serait efforcée de ne pas dépasser son quota. Ce document confirmerait également qu'un système de régulation des volumes aurait continué à être appliqué pendant le deuxième trimestre de 1983, dans la mesure où, afin de maintenir sa part de marché aux alentours de 11 % durant le deuxième trimestre, les sociétés nationales de vente du groupe Shell auraient reçu l'ordre de réduire leurs ventes. L'existence de cet accord serait confirmée par le compte-rendu de la réunion du 1er juin 1983 qui, bien que ne mentionnant pas de quotas, relaterait un échange d'informations ayant eu lieu entre les experts sur les tonnages vendus par chaque producteur au cours du mois précédent, ce qui semblerait indiquer qu'un système de quotas était appliqué (décision, point 64).

b) Arguments des parties

139 La requérante expose, à titre liminaire, que sa participation à des accords de quotas est démentie par l'accroissement rapide et constant de sa part de marché qui serait passée de 3,27 % en 1979 à 3,35 % en 1980, 3,36 % en 1981, 3,51 % en 1982 et 3,59 % en 1983, par la saturation de sa capacité de production et par le fait que ses performances réelles auraient toujours été largement supérieures aux prétendus quotas.

140 Elle soutient que, pour prouver sa participation à un système de quotas, la Commission se fonde sur des tableaux dont on ne connaît ni l'auteur, ni les règles de composition, ni l'origine des chiffres y figurant. La Commission ne pourrait affirmer que ces tableaux représenteraient des accords de partage du marché sans apporter la preuve que l'ensemble des producteurs se seraient entendus pour que la part de chacun soit limitée à un certain niveau. Ce niveau n'aurait, en tout état de cause, pas pu être celui fixé dans les tableaux incriminés, car le total de l'addition des objectifs propres de chacun ne correspond pas au marché réel, mais à un marché idéal, qui satisferait les désirs de chacun. En réalité, la requérante fait valoir que la Commission a confondu une simple opération statistique d'observation de l'évolution du marché faite chez ICI avec la preuve d'une entente en matière de quotas.

141 Plus spécifiquement, la requérante est d'avis que, pour l'année 1979, d'une part, le tableau découvert chez ICI (g.g. ann. 55) reprenant en face des volumes de vente des différents producteurs pour les années 1976 à 1979, des "revised targets" ("objectifs révisés") pour 1979 et que, d'autre part, l'indication des objectifs que se fixaient les producteurs français dans un document découvert chez ATO (ann. lettre du 3 avril 1985), ne constitueraient en rien une preuve de la répartition effective d'un marché, puisqu'on ignore tout de l'auteur ainsi que de l'origine des chiffres et l'usage auquel était destiné le premier de ces documents, alors que le second de ces documents constituerait uniquement la juxtaposition des objectifs que se fixait pour lui-même chaque producteur français pour 1979.

142 Pour l'année 1980, elle fait valoir que les tableaux produits par la Commission sont contradictoires puisqu'ils indiquent des valeurs différentes. Cela ne pourrait s'expliquer par des aménagements des propositions initiales puisqu'il ne pourrait y avoir d'accord de répartition que dans l'hypothèse d'un marché préalablement défini. Or, en l'espèce, le total des chiffres de chaque producteur varierait dans chaque hypothèse. C'est pourquoi ces tableaux ne seraient rien d'autre que la juxtaposition des objectifs individuels de chaque producteur.

143 Pour l'année 1981, la requérante relève que la Commission a reconnu, pour cette année-là, l'absence d'accord de quotas définitif, mais qu'elle prétend que les producteurs auraient, cette année-là, communiqué des chiffres représentant leurs "ambitions" et dont le total excédait largement la demande totale prévisible. En déduisant du fait qu'ICI comparait les ventes réalisées par chaque producteur en 1981 à sa part de marché de 1980 l'existence d'une mesure positive aux termes de laquelle chaque producteur se serait assigné comme quota un pourcentage de sa part de marché de l'année précédente, la Commission confondrait une simple opération d'observation de l'évolution du marché avec la preuve d'une entente en matière de quotas.

144 La requérante souligne spécifiquement que, pour 1982, la Commission elle-même reconnaît l'absence d'accord de quotas et elle répète que les chiffres que se communiquaient les producteurs correspondaient simplement à leurs propres objectifs de vente.

145 Elle fait valoir que, pour 1983, les documents retenus contre elle par la Commission ne sont pas probants. En effet, l'existence chez un tiers d'un document (g.g. ann. 85), résultant d'un traitement informatique de données de conception et de référence inconnues d'ATO, ne permettrait pas d'affirmer que la requérante et d'autres producteurs ont fait parvenir à ICI des propositions de quotas par producteur. ATO nie avoir fait de telles propositions. En outre, elle expose que le lien que fait la Commission entre le chiffre figurant en regard du nom d'ATO dans ledit document informatique et le chiffre figurant dans une note manuscrite non datée et difficilement lisible, découverte chez ATO (ann. 17, g. ATO), est gratuit.

146 La requérante estime que la mention du nom d'ATO dans une note interne d'ICI, datée du 8 décembre 1982 (g.g. ann. 77), dont l'auteur suppute si ATO accepterait un quota donné pour un trimestre de 1983, ne constitue pas la preuve d'un accord d'ATO sur un quota.

147 Elle soutient, enfin, que le document interne de Shell (g.g. ann. 90), sur lequel se base la Commission pour établir qu'un accord de quotas a été conclu pour le deuxième trimestre de 1983, ne mentionne pas le nom d'ATO et ne permet dès lors pas d'établir sa participation à un système de quotas pour cette période. Par ailleurs, la requérante expose que la Commission ne peut déduire de l'existence d'un échange d'informations entre producteurs sur les ventes qu'ils ont réalisées, échange attesté par le compte-rendu de de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40), qu'un système de quotas était appliqué.

148 La Commission estime, quant à elle, que la croissance d'ATO, si croissance il y a, n'est pas susceptible d'infirmer sa conclusion selon laquelle cette entreprise participait à l'entente visant à répartir équitablement le marché entre les producteurs. Une telle croissance indiquerait au mieux, mais pas nécessairement, qu'ATO ne se serait pas pleinement engagée dans la mise en œuvre de cette entente. Or, l'infraction serait constituée non pas par la réalisation effective de tel ou tel quota, mais par la participation à la concertation sur la répartition du marché. En tout état de cause, selon les chiffres dont dispose la Commission, la part de marché d'ATO serait restée plus ou moins stable entre 1979 et 1983, évoluant selon les années de 3,14 à 3,20 %.

149 Elle fait valoir que c'est à la faveur d'une présentation partielle et partiale des documents de preuve relatifs à l'attribution de quotas que ATO peut soutenir que ces documents ne contiennent en réalité que les objectifs propres de chaque producteur, ne correspondant pas au marché réel mais à un marché idéal où les désirs de chacun seraient satisfaits. D'ailleurs, on verrait mal pourquoi un producteur, une fois fixé son objectif de vente pour tel ou tel exercice, ressentirait le besoin d'en informer "gratuitement" ses concurrents.

150 La Commission soutient ensuite que la participation de la requérante à la fixation de quotas pour les années 1979 et 1980 et de mesures provisoires pour 1981 résulte de la mention de son nom dans plusieurs tableaux chiffrés reprenant pour les différents producteurs des volumes de vente antérieurs et des quotas. Parmi ces documents, la Commission en relève plus spécifiquement cinq.

151 Le premier est un tableau non daté, intitulé "Producers' Sales to West Europe" ("Ventes des producteurs en Europe occidentale"), retrouvé chez ICI (g.g. ann. 55), reprenant pour tous les producteurs de polypropylène d'Europe occidentale les chiffres de vente en kilotonnes pour 1976, 1977 et 1978, ainsi que des chiffres mentionnés sous les rubriques "1979 actual" ("chiffres effectifs de 1979") et "revised target" ("objectif révisé"). ATO s'y serait vue attribuer un "revised target" de 38,3 kilotonnes. Selon la Commission, ce document établit la participation d'ATO à un plan de répartition du marché pour 1979, puisqu'il définirait les quotas pour chaque producteur pour cette année.

152 Le deuxième est le compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12) qui établirait qu'un accord serait intervenu lors de cette réunion sur 80 % des quotas initialement prévus dans le premier document.

153 Le troisième document est constitué d'une série de tableaux découverts chez ATO (ann. lettre du 3 avril 1985) reprenant pour les quatre producteurs français (ATO, Rhône-Poulenc, Solvay et Hoechst France) leurs chiffres de vente dans différents États d'Europe occidentale, pour chacun des quatre derniers mois de l'année 1979. Sous certains de ces tableaux se trouve une comparaison entre les chiffres réalisés et les quotas : "85 % des quotas" ou "84,7 % des quotas". Ce document établirait la participation d'ATO non seulement à un plan de répartition du marché pour 1979, mais aussi au contrôle de l'exécution de ce plan entre les quatre producteurs français.

154 Ces éléments seraient corroborés par un quatrième document, à savoir un tableau trouvé à la fois chez ATO et ICI (g.g. ann. 59 et 61) comparant, pour tous les producteurs, leurs ventes en termes de tonnages et de parts de marché dans les rubriques suivantes : "1979 actual", "1980 target" ("objectif 1980"), "(1980) actual" et "1981 aspirations" ("aspirations 1981"). La Commission fait valoir que, dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8), ICI a déclaré à propos de ce document que "the source of information for actual historic figures in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres du tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisés a dû être les producteurs eux-mêmes").

155 Selon la Commission, ces documents démontrent que les producteurs sont parvenus à se mettre d'accord sur les volumes de vente de chacun, en utilisant comme base de négociation des chiffres reflétant les ambitions de chacun. La fluctuation des tonnages attribués aux différents producteurs résulterait de ce que, en raison d'une estimation initialement trop optimiste de l'importance du marché, il a fallu adapter les tonnages correspondant aux quotas convenus en termes de parts de marché en fonction de la nouvelle estimation du marché global. Cette conclusion serait corroborée par un dernier document, à savoir le compte-rendu de deux réunions de janvier 1981 (g.g. ann. 17), selon lequel "compared with target tonnages based on a 1,2 million tonne market in Western Europe in 1980 individual companies performances were reported as follows :... ATO : Target (kt) 37,2/Actual (kt) 38,2" ("comparés avec des objectifs de volumes calculés sur la base d'un marché ouest-européen de 1,2 million de tonnes en 1980, les résultats individuels suivants ont été rapportés :... ATO : objectif 37,2 kt/chiffre effectif 38,2 kt").

156 La Commission reconnaît qu'aucun accord de quotas n'a pu être conclu pour 1981. Toutefois, elle estime que des mesures provisoires ont été prises. Ainsi, la Commission expose qu'il résulte du compte-rendu des réunions susmentionnées de janvier 1981 que les producteurs comparaient leurs performances réelles avec les cibles définies, et d'un tableau découvert chez ICI (g.g. ann. 65), mais émanant d'un producteur italien, que les producteurs comparaient leurs ventes pour l'année 1981 avec celles de l'année précédente. Elle en déduit que des mesures provisoires ont été prises pour 1981 à défaut d'accord général de répartition des volumes de vente pour cette année.

157 La Commission soutient que, pour 1982, différents documents émanant de Monte et ICI (g.g. ann. 69 à 71) attestent que des propositions de quotas ont été formulées par ces producteurs, mais qu'elles n'ont pas pu aboutir.

158 Elle expose qu'il résulte des tableaux joints aux comptes-rendus des réunions du 9 juin 1982 et du 20 août 1982 (g.g. ann. 25 et 28) que durant le premier semestre de 1982, les producteurs comparaient leurs ventes mensuelles avec celles réalisées en 1981. Elle ajoute, pour le second semestre, qu'il ressort du second de ces comptes-rendus que les producteurs ont été invités à limiter leurs ventes mensuelles au niveau de celles du premier semestre. Il résulterait des tableaux annexés aux comptes-rendus des réunions des 6 octobre, 2 novembre et 2 décembre 1982 (g.g. ann. 31 à 33) que les producteurs ont comparé les ventes du second semestre avec celles du premier.

159 La Commission poursuit en affirmant qu'elle dispose des ambitions et des propositions exprimées à la demande d'ICI par différents producteurs, pour eux-mêmes et pour les autres producteurs, et communiquées à ICI (g.g. ann. 74 à 76 et 78 à 84) en vue de conclure un accord de quotas pour 1983. Selon la Commission, ces propositions ont été traitées sur ordinateur pour obtenir une moyenne, comparée ensuite aux aspirations de chaque producteur. Le document résultant de ce traitement aurait été commenté dans une note interne d'ICI, intitulée "Polypropylene Framework" ("Schéma pour le polypropylène"; g.g. ann. 87), qui aurait qualifié les aspirations d'ATO notamment de totalement "déraisonnables ". Le chiffre des aspirations d'ATO se retrouverait non seulement dans le document informatique mais également dans une note manuscrite d'ATO (ann. 17, g. ATO). A ces documents, la Commission ajoute une note interne d'ICI intitulée "Polypropylene framework 1983" ("Schéma pour le polypropylène 1983"; g.g. ann. 86) dans laquelle cette dernière décrit les grandes lignes d'un futur accord sur les quotas.

160 Elle affirme que le compte-rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33) montre que les experts ont examiné une proposition de quotas limitée au premier trimestre de 1983. En outre, une note interne d'ICI, datée du 8 décembre 1982 (g.g. ann. 77), indiquerait qu'ATO (entre autres) trouvera "acceptable" le quota qui lui est attribué malgré le fait qu'ATO trouve le quota trop faible et qu'elle s'opposerait à ce quota trimestriel s'il constituait la base d'un accord couvrant l'année entière.

161 Enfin, la Commission fait valoir qu'il ressort du document interne recueilli chez Shell (g.g. ann. 90) qu'un accord de quotas a été conclu pour le deuxième trimestre de 1983. En effet, selon ce document, Shell aurait ordonné à ses sociétés nationales de vente de réduire leurs ventes en vue de respecter le quota qui lui avait été attribué. A cela, la Commission ajoute que le compte-rendu de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40) montre que des échanges d'informations sur les volumes de vente au mois de mai ont eu lieu à cette réunion.

c) Appréciation du Tribunal

162 Il y a lieu de rappeler que la requérante a participé régulièrement, à partir de l'année 1978, aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène au cours desquelles des discussions relatives aux volumes de vente des différents producteurs ont eu lieu et des informations à ce sujet ont été échangées.

163 Il convient de relever, parallèlement à la participation d'ATO aux réunions, que son nom figure dans différents tableaux dont le contenu indique clairement qu'ils étaient destinés à la définition d'objectifs de volumes de vente (g.g. ann. 55 et suivantes). Or la plupart des requérantes ont admis dans leurs réponses à une question écrite posée par le Tribunal qu'il n'aurait pas été possible d'établir les tableaux découverts chez ICI, ATO et Hercules sur la base des statistiques du système Fides d'échange de données. ICI a d'ailleurs déclaré à propos d'un de ces tableaux dans sa réponse à la demande de renseignements (g.g. ann. 8) que "the source of information for actual historic figures in this table would have been the producers themselves" ("la source dont proviennent les chiffres du tableau qui correspondent à des chiffres déjà réalisés a dû être les producteurs eux- mêmes"). La Commission était donc en droit de considérer que le contenu de ces tableaux avait été fourni par ATO dans le cadre des réunions auxquelles elle participait.

164 La terminologie utilisée dans les différents documents relatifs aux années 1979 et 1980 produits par la Commission (comme "revised target" ("objectif révisé"), "opening suggestions" ("suggestions de départ"), "proposed adjustments" ("ajustements proposés"), "agreed targets" ("objectifs convenus")) permet de conclure que des concours de volontés entre les producteurs sont intervenus.

165 En ce qui concerne plus particulièrement l'année 1979, il convient de relever, sur la base de l'ensemble du compte-rendu de la réunion des 26 et 27 septembre 1979 (g.g. ann. 12) et sur la base du tableau non daté, saisi chez ICI (g.g. ann. 55), intitulé "Producers' Sales to West Europe" ("Ventes des producteurs en Europe occidentale"), reprenant pour tous les producteurs de polypropylène d'Europe occidentale, les chiffres de vente en kilotonnes pour 1976, 1977 et 1978 ainsi que des chiffres mentionnés sous les rubriques "1979 actual" ("chiffres effectifs de 1979"), "revised target" et "79", que la nécessité de rendre le système de quotas convenu pour l'année 1979 plus rigoureux pour les trois derniers mois de cette année a été reconnue lors de cette réunion. En effet, le terme "tight" (strict) lu en combinaison avec la limitation à 80 % de 1/12 des ventes annuelles prévues indique que le régime initialement envisagé pour l'année 1979 devait être rendu plus rigoureux pour ces trois derniers mois. Cette interprétation du compte-rendu est corroborée par le tableau susmentionné, parce que celui-ci contient, sous le titre "79" dans la dernière colonne à droite de la colonne intitulée "revised target", des chiffres qui doivent correspondre aux quotas initialement fixés. Ceux-ci ont dû être révisés dans un sens plus rigoureux parce qu'ils avaient été établis sur la base d'un marché évalué de manière trop optimiste, comme cela a également été le cas en 1980. Ces constatations ne sont pas infirmées par la référence, contenue au point 31, troisième alinéa, de la décision, à un projet "proposé ou convenu à Zurich en vue de limiter les ventes mensuelles à 80 % de la moyenne atteinte au cours des huit premiers mois de l'année". En effet, cette référence lue en combinaison avec le point 54 de la décision doit être comprise en ce sens que des objectifs de volumes de vente avaient déjà été définis initialement pour les ventes mensuelles des huit premiers mois de l'année 1979.

166 En outre, les producteurs français, parmi lesquels la requérante, ont échangé systématiquement, mois par mois, leurs chiffres de vente durant les quatre derniers mois de l'année 1979 et les ont comparés avec des "quotas" (ann. lettre du 3 avril 1985). Il est permis d'en déduire que les producteurs français ont, à tout le moins, tenté de vérifier le respect des objectifs convenus.

167 En ce qui concerne l'année 1980, le Tribunal constate que la fixation d'objectifs de volumes de vente pour l'ensemble de l'année ressort du tableau daté du 26 février 1980, trouvé chez ATO (g.g. ann. 60) et comportant une colonne "agreed targets 1980" ("objectifs convenus 1980") ainsi que du compte-rendu des réunions de janvier 1981 (g.g. ann. 17) au cours desquelles des producteurs, parmi lesquels figure la requérante, ont comparé les quantités effectivement vendues ("Actual kt") aux objectifs fixés ("Target kt"). En outre, ces documents se trouvent confirmés par un tableau daté du 8 octobre 1980 (g.g. ann. 57), comparant deux colonnes dont l'une reprend la "1980 Nameplate Capacity" ("capacité nominale") et l'autre le "1980 Quota" pour les différents producteurs.

168 Pour l'année 1981, le Tribunal relève qu'il est fait grief aux producteurs d'avoir participé aux négociations en vue d'aboutir à un accord de quotas pour cette année et d'avoir, dans ce cadre, communiqué leurs "ambitions" et, dans l'attente d'un tel accord, d'avoir convenu, à titre de mesure temporaire, de réduire leurs ventes mensuelles à 1/12 de 85 % de l'"objectif" convenu pour 1980 pendant les mois de février et de mars de 1981, de s'être assignés pour le reste de l'année le même quota théorique que l'année précédente, d'avoir chaque mois, lors des réunions, donné connaissance de leurs ventes, et, enfin, d'avoir vérifié si leurs ventes respectaient le quota théorique assigné.

169 L'existence de négociations entre les producteurs en vue d'aboutir à l'instauration d'un régime de quotas et la communication de leurs "ambitions" au cours de ces négociations sont attestées par différents éléments de preuve comme des tableaux reprenant, pour chaque producteur, ses chiffres "actual" et ses "targets" pour les années 1979 et 1980, ainsi que ses "aspirations" pour 1981 (g.g. ann. 59 et 61); un tableau rédigé en italien (g.g. ann. 62) reprenant, pour chaque producteur, son quota pour 1980, les propositions d'autres producteurs quant au quota qu'il faut lui attribuer pour 1981 et ses propres "ambitions" pour 1981 ainsi qu'une note interne d'ICI (g.g. ann. 63) décrivant l'évolution de ces négociations dans laquelle on peut lire :

"Taking the various alternatives discussed at yesterday' s meeting we would prefer to limit the volume to be shared to no more than the market is expected to reach in 1981, say 1.35 million tonnes. Although there has been no further discussion with Shell, the four majors could set the lead by accepting a reduction in their 1980 target market share of about 0.35 % provided the more ambitious smaller producers such as Solvay, Saga, DSM, Chemie Linz, Anic/SIR also tempered their demands. Provided the majors are in agreement the anomalies could probably be best handled by individual discussions at Senior level, if possible before the meeting in Zurich."

("Parmi les diverses solutions discutées pendant la réunion d'hier, nous préférerions que le volume à partager soit limité à un volume ne dépassant pas le marché qu'on escompte atteindre en 1981, soit 1,35 million de tonnes. Bien qu'il n'y ait pas eu d'autres discussions avec Shell, les quatre grands ont réussi à donner l'exemple en acceptant une réduction d'environ 0,35 % de leur objectif de part de marché 1980 à condition que les plus ambitieux des producteurs moins importants, tels que Solvay, Saga, DSM, Chemie Linz, Anic/SIR tempèrent aussi leurs exigences. A condition que les grands soient d'accord, la meilleure façon de traiter les anomalies consisterait certainement à les discuter individuellement au niveau des 'patrons' , si possible avant la réunion de Zurich.")

Ce document est accompagné d'une proposition de compromis chiffrée, comparant le résultat obtenu pour chacun par rapport à 1980 ("% of 1980 target").

170 L'adoption de mesures temporaires consistant en une réduction des ventes mensuelles à 1/12 de 85 % de l'objectif convenu l'année précédente pendant les mois de février et de mars 1981 résulte du compte-rendu des réunions de janvier 1981, dans lequel on peut lire :

"In the meantime (février-mars) monthly volume would be restricted to 1/12 of 85 % of the 1980 target with a freeze on customers."

("Dans l'intervalle (février/mars) le volume mensuel serait réduit à 1/12 de 85 % de l'objectif 1980 avec un gel des clients.")

171 Le fait que les producteurs se soient assigné, pour le reste de l'année, le même quota théorique que l'année précédente et aient vérifié si les ventes respectaient ce quota, en s'échangeant chaque mois les chiffres de leurs ventes, est établi par la combinaison de trois documents. Il s'agit, tout d'abord, d'un tableau daté du 21 décembre 1981 (g.g. ann. 67), reprenant pour chaque producteur ses ventes ventilées par mois, dont les trois dernières colonnes relatives aux mois de novembre et de décembre ainsi qu'au total annuel ont été ajoutées à la main. Il s'agit, ensuite, d'un tableau non daté, rédigé en italien, intitulé "Scarti per società" ("écarts ventilés par société") et découvert chez ICI (g.g. ann. 65), qui compare pour chaque producteur pour la période janvier- décembre 1981 les chiffres de vente "actual" avec les chiffres "theoretic" ("théoriques"). Il s'agit, enfin, d'un tableau non daté, découvert chez ICI (g.g. ann. 68), comparant pour chaque producteur pour la période janvier- novembre 1981 les chiffres de vente et les parts de marché avec ceux de 1979 et de 1980 et ce, en opérant une projection pour la fin de l'année.

172 En effet, le premier tableau montre que les producteurs ont échangé les chiffres de leurs ventes mensuelles. Lorsqu'il est combiné avec les comparaisons entre ces chiffres et ceux réalisés en 1980 - comparaisons qui ont été effectuées dans les deux autres tableaux, portant sur la même période - un tel échange d'informations, qu'un opérateur indépendant préserve rigoureusement comme secrets d'affaires, corrobore les conclusions auxquelles est parvenue la décision.

173 La participation de la requérante à ces différentes activités résulte, d'une part, de sa participation aux réunions au cours desquelles ces actions ont eu lieu et notamment aux réunions de janvier 1981 et, d'autre part, de la mention de son nom dans les différents documents susmentionnés. Dans ces documents figurent d'ailleurs des chiffres dont il convient de rappeler qu'ICI a déclaré dans sa réponse à une question écrite posée par le Tribunal - à laquelle d'autres requérantes font référence dans leur propre réponse - qu'il n'aurait pas été possible de les établir sur la base des statistiques du système Fides.

174 Pour l'année 1982, le Tribunal relève qu'il est fait grief aux producteurs d'avoir participé aux négociations en vue d'aboutir à un accord de quotas pour cette année; d'avoir, dans ce cadre, communiqué leurs ambitions en matière de tonnages; d'avoir, à défaut d'accord définitif, communiqué lors des réunions leurs chiffres de ventes mensuelles pendant le premier semestre, en les comparant au pourcentage réalisé au cours de l'année précédente et de s'être, pendant le second semestre, efforcés de limiter leurs ventes mensuelles au pourcentage du marché global réalisé pendant le premier semestre de cette année.

175 L'existence de négociations entre les producteurs en vue d'instaurer un régime de quotas et la communication, dans ce cadre, de leurs ambitions sont attestées, en premier lieu, par un document intitulé "Scheme for discussions 'quota system 1982'" ("Schéma de discussion d'un système de quotas 1982"; g.g. ann. 69), dans lequel figure, pour l'ensemble des destinataires de la décision, à l'exception d'Hercules, le tonnage auquel chacun estimait avoir droit et, en outre, pour certains (tous sauf Anic, Linz, Petrofina, Shell et Solvay), le tonnage qui, d'après eux, devrait être attribué aux autres producteurs; en second lieu, par une note d'ICI intitulée "Polypropylene 1982, Guidelines" ("Polypropylène 1982, lignes directrices"; g.g. ann. 70, sous a)); dans laquelle ICI analyse les négociations en cours; en troisième lieu, par un tableau daté du 17 février 1982 ((g.g. ann. 70, sous b))), dans lequel différentes propositions de répartition des ventes sont comparées - dont l'une, intitulée "ICI Original Scheme" ("Schéma initial ICI"), fait l'objet, dans un autre tableau, manuscrit, d'adaptations mineures par Monte dans une colonne intitulée "Milliavacca 27/1/82" (il s'agit du nom d'un employé de Monte; g.g. ann. 70, sous c)) - et, en dernier lieu, par un tableau rédigé en italien (g.g. ann. 71) qui constitue une proposition complexe (décrite au point 58, troisième alinéa, in fine, de la décision).

176 Les mesures prises pour le premier semestre sont établies par le compte-rendu de la réunion du 13 mai 1982 (g.g. ann. 24), dans lequel on peut lire notamment :

"To support the move a number of other actions are needed a) limit sales volume to some agreed prop. of normal sales."

("A titre de soutien, un certain nombre d'autres mesures sont nécessaires a) limiter le volume des ventes à une certaine prop.(ortion) convenue des ventes normales.")

L'exécution de ces mesures est attestée par le compte-rendu de la réunion du 9 juin 1982 (g.g. ann. 25) auquel est joint un tableau reprenant pour chaque producteur le chiffre "actual" de ses ventes pour les mois de janvier à avril 1982, comparé avec un chiffre "theoretical based on 1981 av(erage) market share" ("théorique calculé sur la base de la part de marché moyenne de 1981"), ainsi que par le compte-rendu de la réunion des 20 et 21 juillet 1982 (g.g. ann. 26) en ce qui concerne la période janvier/mai 1982 et par celui du 20 août 1982 (g.g. ann. 28) en ce qui concerne la période janvier/juillet 1982.

177 Les mesures prises pour le second semestre sont prouvées par le compte-rendu de la réunion du 6 octobre 1982 (g.g. ann. 31), dans lequel on peut lire, d'une part, "In October this would also mean restraining sales to the Jan/June achieved market share of a market estimated at 100 kt" ("En octobre, cela impliquerait aussi de limiter les ventes à la part réalisée pendant la période janvier/juin sur un marché estimé à 100 Kt") et, d'autre part, "Performance against target in September was reviewed" ("Les résultats atteints par rapport à l'objectif en septembre ont fait l'objet d'un examen"). A ce compte-rendu est joint un tableau, intitulé "September provisional sales versus target (based on Jan-June market share applied to demand est[imated] at 120 Kt)" ("Ventes prévisionnelles de septembre par rapport à l'objectif (calculé sur la base de la part de marché janvier/juin appliquée à une demande estimée à 120 Kt)"). Le maintien de ces mesures est confirmé par le compte-rendu de la réunion du 2 décembre 1982 (g.g. ann. 33) auquel est joint un tableau comparant, pour le mois de novembre 1982, les ventes "Actual" avec les chiffres "Theoretical", calculés à partir de "J-June % of 125 Kt" ("j-juin pourcentage de 125 kt").

178 Le Tribunal constate que, en ce qui concerne l'année 1981 ainsi que les deux semestres de l'année 1982, c'est à bon droit que la Commission a déduit de la surveillance mutuelle, lors des réunions périodiques, de la mise en œuvre d'un système de limitation des ventes mensuelles par référence à une période antérieure, que ce système avait été adopté par les participants aux réunions.

179 Pour l'année 1983, le Tribunal constate qu'il résulte des documents produits par la Commission (g.g. ann. 33, 77, 85 et 87) qu'à la fin de l'année 1982 et au début de l'année 1983, les producteurs de polypropylène ont discuté d'un régime de quotas portant sur l'année 1983, que la requérante a participé aux réunions au cours desquelles ces discussions ont eu lieu, qu'elle a fourni à cette occasion des données relatives à ses ventes, que, dans le tableau joint au compte-rendu de la réunion du 2 décembre 1982, la mention "acceptable" figure à côté du quota mis en regard du nom de la requérante et, enfin, qu'ICI a relevé dans une note interne que la requérante "feels that the proposed figure is too low. If the intention is to drift from the first quarter into an agreement for the whole year, ATO would not accept" (g.g. ann. 77; "pense que le chiffre proposé est trop bas. Si l'intention est de passer du premier trimestre à un accord sur l'ensemble de l'année, ATO n'accepterait pas").

180 Il s'ensuit que la requérante a participé aux négociations en vue de parvenir à un régime de quotas pour l'année 1983.

181 Quant à la question de savoir si ces négociations ont effectivement abouti en ce qui concerne les deux premiers trimestres de l'année 1983, comme l'affirme la décision (points 63, troisième alinéa, et 64), le Tribunal relève qu'il résulte du compte-rendu de la réunion du 1er juin 1983 (g.g. ann. 40) que la requérante a indiqué au cours de cette réunion les chiffres de ses ventes pour le mois de mai, tout comme neuf autres entreprises. On peut lire, par ailleurs, dans le compte-rendu d'une réunion interne du groupe Shell du 17 mars 1983 (g.g. ann. 90) que :

"... and would lead to a market share of approaching 12 % and well above the agreed Shell target of 11 %. Accordingly the following reduced sales targets were set and agreed by the integrated companies ".

("... et conduirait à une part de marché qui avoisinerait 12 % et qui serait très supérieure à l'objectif Shell convenu, de 11 %. C'est pourquoi les objectifs de ventes suivants, plus réduits, ont été fixés et convenus par les sociétés du groupe").

Les nouveaux tonnages sont communiqués, après quoi il est noté que :

"this would be 11,2 Pct of a market of 395 kt. The situation will be monitored carefully and any change from this agreed plan would need to be discussed beforehand with the other PIMS members ".

("cela représenterait 11,2 % d'un marché de 395 kt. La situation sera attentivement suivie et tout écart par rapport à ce qui a été ainsi convenu devra faire préalablement l'objet d'une discussion avec les autres membres du PIMS").

182 A cet égard, le Tribunal constate que c'est à bon droit que la Commission a déduit de la combinaison de ces deux documents que les négociations entre les producteurs avaient conduit à l'instauration d'un régime de quotas. En effet, la note interne du groupe Shell montre que cette entreprise demandait à ses sociétés nationales de vente de réduire leurs ventes, non pour voir diminuer le volume global des ventes du groupe Shell, mais pour limiter à 11 % la part de marché globale de ce groupe. Une telle limitation exprimée en termes de part de marché ne peut s'expliquer que dans le cadre d'un régime de quotas. En outre, le compte-rendu de la réunion du 1er juin 1983 constitue un indice supplémentaire de l'existence d'un tel régime, car un échange d'informations relatives aux ventes mensuelles des différents producteurs a pour but premier de contrôler le respect des engagements pris.

183 Il convient de relever enfin que le chiffre de 11 %, comme part de marché pour Shell, figure non seulement dans la note interne de Shell, mais également dans deux autres documents, à savoir, d'une part, une note interne d'ICI dans laquelle cette dernière relève que Shell propose ce chiffre pour elle-même, pour Hoechst et pour ICI (g.g. ann. 87) et, d'autre part, le compte-rendu rédigé par ICI d'une réunion du 29 novembre 1982, entre ICI et Shell, durant laquelle la proposition précédente a été rappelée (g.g. ann. 99).

184 Il faut ajouter qu'en raison de l'identité d'objectif des différentes mesures de limitation des volumes de vente - à savoir diminuer la pression exercée sur les prix par l'excès d'offre - c'est à bon droit que la Commission a pu déduire que celles-ci s'inscrivaient dans un système de quotas.

185 Les arguments présentés par la requérante ne sont pas de nature à infirmer les constatations de fait opérées par la Commission.

186 En effet, premièrement, l'argument de la requérante tiré de l'augmentation de sa part de marché, de la saturation de sa capacité de production et du dépassement des prétendus quotas ne permet pas d'infirmer les affirmations de la décision selon lesquelles des quotas de vente ont été convenus, sans qu'il ait été affirmé qu'ils avaient été respectés. Par ailleurs, les quotas convenus étaient des quotas de vente et non des quotas de production. C'est pourquoi la saturation des capacités de production de la requérante n'est pas pertinente.

187 Deuxièmement, quant aux fluctuations des chiffres repris dans les différents tableaux relatifs à l'année 1980, il importe d'observer qu'elles sont négligeables et n'infirment pas l'existence d'un système de quotas. L'adaptation des tonnages correspondant aux parts de marché attribuées aux différents producteurs en fonction de l'évolution du marché total doit être considérée comme une opération normale dans le cadre d'un système de quotas, dès lors que les participants à ce système ont incorrectement évalué la demande totale, comme cela a été le cas en l'espèce pour l'année 1980.

188 Troisièmement, il n'est pas nécessaire que l'auteur de chaque document ait été identifié et que la méthode d'élaboration de chaque document ait été décrite pour que la Commission puisse retenir des documents contre une entreprise donnée, à tout le moins lorsque ceux-ci s'inscrivent dans le contexte de réunions dont il est établi qu'elles avaient notamment pour objet de définir des objectifs de prix et de volumes de vente.

189 Quatrièmement, l'affirmation de la requérante, selon laquelle la Commission aurait confondu dans l'analyse des documents de preuve une simple opération statistique d'observation de l'évolution du marché avec la preuve d'une entente, n'est étayée par aucune argumentation ni par aucun élément de fait et manque, en outre, de crédibilité.

190 Cinquièmement, enfin, le fait que, dans certains tableaux, la somme des parts de marché ou des quotas attribués aux différents producteurs dépasse 100 % ou l'estimation du marché global n'ôte pas à ces tableaux leur valeur probante. En effet, ce dépassement ne se retrouve pas dans les tableaux dans lesquels la Commission voit l'expression d'un concours de volontés ("revised" ou "agreed target"; g.g. ann. 55 et 60) et le fait qu'il apparaît dans des tableaux qui constituent des stades intermédiaires de la négociation est parfaitement normal puisque les producteurs y exprimaient leurs "ambitions ".

191 Il y a lieu de conclure, au vu des considérations qui précèdent, que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante figurait parmi les producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés qui portaient sur les objectifs de volumes de vente pour les années 1979, 1980 et la première moitié de l'année 1983, et sur la limitation de leurs ventes mensuelles par référence à une période antérieure pour les années 1981 et 1982 mentionnés dans la décision et qui s'inscrivaient dans un système de quotas.

2. L'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE

A - Acte attaqué

192 La décision (point 89, premier alinéa) rappelle que l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE cite expressément comme restreignant la concurrence les accords fixant de façon directe ou indirecte les prix de vente ou répartissant les marchés entre producteurs. Or, telles seraient justement les caractéristiques essentielles des accords à l'examen.

193 Selon la décision (point 89, deuxième, troisième et quatrième alinéas), l'instauration du système des réunions périodiques et la collusion permanente des producteurs auraient eu pour objectif fondamental de réaliser des hausses de prix au moyen d'un ensemble d'accords et d'arrangements. En organisant une action commune dans le cadre d'initiatives où des prix cibles étaient fixés par qualité et par devise et entraient en vigueur à une date convenue de commun accord, les producteurs auraient cherché à éliminer les risques inhérents à des tentatives unilatérales de majoration des prix. Ainsi, les divers systèmes de quotas et les autres mécanismes élaborés pour concilier les intérêts divergents des producteurs établis et des nouveaux venus auraient tous eu pour objectif ultime la création de conditions de stabilité artificielles, favorables à une hausse des prix.

194 Dans la poursuite de ces objectifs, les producteurs auraient visé à organiser le marché du polypropylène sur une base qui substituerait au libre jeu des forces concurrentielles une collusion institutionnalisée et systématique entre les producteurs, équivalant à une entente (décision, point 89, cinquième alinéa).

195 La décision (point 90, premier et deuxième alinéas) relève que pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, il n'est pas absolument nécessaire, compte tenu de l'objet manifestement anticoncurrentiel de l'accord, de démontrer un effet contraire à la concurrence. Toutefois, en l'espèce, tout indiquerait que l'accord a bien eu un effet sensible sur les conditions de la concurrence.

196 Selon la décision (point 90, troisième et quatrième alinéas), l'accord réalisé lors des réunions sur des objectifs de prix distincts par qualité et par devise aurait été mis en œuvre par les producteurs, qui auraient tous transmis des instructions de prix à leurs bureaux de vente ou agents nationaux, en les chargeant d'informer les clients de ces modifications. Ainsi, les clients se seraient vu appliquer un prix de base uniforme pour chaque qualité et dans chaque devise. S'il est vrai que certains clients bénéficiaient de conditions spéciales ou de remises, que certains producteurs appliquaient l'augmentation prévue avec retard ou faisaient des concessions et que certains producteurs fixaient parfois leurs prix effectifs, pour certaines qualités ou pour certains pays, légèrement en dessous des cibles, tout en les déterminant dans le contexte d'une action générale des autres producteurs, il n'en resterait pas moins que la fixation d'un niveau de prix déterminé, qui était ensuite présenté au marché comme étant le "prix de liste" ou le "prix officiel", signifiait que les possibilités pour les clients de négocier avec les producteurs étaient déjà réduites et qu'ils étaient privés d'un grand nombre des avantages qu'ils auraient eus si la concurrence avait joué librement.

197 La décision (point 90, dernier alinéa) souligne que les documents recueillis, notamment les rapports de marché établis par les producteurs eux-mêmes, démontrent l'existence sur le marché d'initiatives de prix concertées, impliquant tous les producteurs, ainsi qu'un lien étroit entre ces initiatives et le système des réunions périodiques.

198 Si la décision (point 91, premier alinéa) concède que le niveau réel des prix accusait un retard par rapport aux "objectifs" et que les initiatives de prix ont tendu à perdre de leur vigueur, au point parfois de déboucher sur une chute brutale des prix, elle relève toutefois que les graphiques sur lesquels les producteurs eux-mêmes se basaient font ressortir, au fil des ans, un schéma régulier d'évolution étroitement parallèle entre le niveau des objectifs et le niveau des prix pratiqués. Pendant la période couverte par les initiatives de prix dont on a connaissance, le prix réalisé se serait rapproché, de mois en mois, de l'objectif convenu. En cas d'"effondrement" soudain des prix (à la suite, par exemple, d'une baisse des prix du propylène), la chute aurait été jugulée par la fixation d'un nouvel objectif à un niveau bien inférieur, et les hausses auraient repris leur cours, le succès de la tactique étant particulièrement marqué en juillet/novembre 1983.

199 Selon la décision (point 91, deuxième alinéa), les livraisons de la plupart des producteurs pendant les années où un système a été en vigueur auraient correspondu en général aux attributions de quotas ou de cibles.

200 La décision (point 91, troisième alinéa) répond à la requérante qui a fait état de divergences entre son tonnage cible initial et les livraisons qu'elle a réellement effectuées au cours de l'année de référence (notamment en 1980) pour conclure à l'absence de tout système de quotas, qu'au cours de l'année en question, les objectifs en matière de tonnages avaient été constamment révisés et que la répartition initiale du marché avait été maintenue globalement en termes de parts de marché. Ainsi, si la requérante a soutenu que ses ventes en Europe occidentale ont progressé d'année en année, passant de 39 000 tonnes en 1979 à 45 000 tonnes en 1982, sa part de marché serait en fait restée constante pendant toute la période (entre 3,1 et 3,2 %) et aurait coïncidé d'une manière presque absolue avec ses objectifs annuels. De même, les modifications intervenues dans la part de marché de certains producteurs depuis 1977 ne prouveraient pas l'existence d'une concurrence libre de toute restriction, dans la mesure où des quotas ou des objectifs auraient été fixés pour tenir compte des ambitions des nouveaux venus et où les grandes firmes auraient accepté de réduire quelque peu leur part de marché pour favoriser un relèvement des prix (décision, point 91, dernier alinéa).

201 La décision (point 92, premier alinéa) conclut que le fait que cette cartellisation du marché ait été incomplète et n'ait pas entièrement éliminé le jeu des forces concurrentielles, n'empêche pas l'application de l'article 85 du traité CEE. Vu le grand nombre de producteurs, la divergence de leurs intérêts commerciaux et l'absence de toute mesure de contrainte légale à l'encontre des producteurs qui ne respectaient pas les arrangements, aucune entente n'aurait pu contrôler totalement les activités de ses participants. En outre, la décision (point 92, dernier alinéa) rejette l'argument des entreprises selon lequel l'évolution du marché aurait été la même en l'absence de leurs arrangements, en indiquant que l'on peut spéculer sur la situation qui aurait existé en l'absence d'accord, mais que le fait est que les producteurs eux-mêmes auraient reconnu l'efficacité de leurs réunions en refusant d'y mettre un terme, comme l'idée en avait été lancée en mai 1982, estimant préférable, du moment où l'offre et la demande étaient en équilibre, de prendre des mesures actives pour relever les prix, plutôt que de laisser agir les forces du marché.

202 Par ailleurs, la décision (point 73) indique qu'en toute hypothèse, la Commission n'a jamais soutenu que le système des réunions périodiques ait entièrement contrôlé les opérations et les ventes des producteurs ou qu'il ait constitué le seul facteur affectant les niveaux de prix du polypropylène. Au contraire, les éléments de preuve sur lesquels elle s'appuie, indiqueraient que les producteurs reconnaissaient l'influence exercée sur le marché par des éléments tels que les fluctuations de la demande ou les hausses du prix des matières premières, qui échappaient à leur contrôle. Dans leurs décisions relatives au montant, à la date, aux modalités et aux chances de succès d'une initiative de prix projetée, les producteurs devaient tenir compte de ces facteurs. Toutefois, l'un des principaux objectifs des réunions aurait été de coordonner, si possible, la réaction des producteurs à de tels éléments. Il se pourrait même que le prix ait été déterminé dans une large mesure par les conditions de l'offre et de la demande; les preuves recueillies n'en indiqueraient pas moins qu'en contrôlant les volumes ou en établissant des systèmes de quotas, les producteurs tentaient d'agir sur ces conditions.

B - Arguments des parties

203 La requérante soutient que l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE interdit les "ententes et pratiques concertées" non seulement lorsqu'elles affectent le commerce entre États membres, mais encore lorsqu'elles ont un objet ou un effet anticoncurrentiel. Elle affirme qu'aucun de ces deux éléments n'existerait dans le cas d'ATO, dans la mesure où l'indépendance de sa politique commerciale exclurait que son comportement ait pu avoir pour objet de faire échec à la libre concurrence.

204 Selon la requérante, la Commission n'aurait pas pu démontrer non plus l'existence d'un effet sur le marché, sa démonstration se composant uniquement d'affirmations de principe (décision, points 90 à 92), alors que la Commission reconnaîtrait ailleurs dans sa décision (point 73) que le prix a pu être déterminé par les conditions de l'offre et de la demande. Ainsi, il serait fait grief aux producteurs d'avoir "tenté d'agir" sur ces conditions en contrôlant les volumes ou en établissant des systèmes de quotas.

205 La requérante fait valoir qu'elle ne saurait se voir appliquer l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, parce que, à supposer qu'une telle tentative d'action ait existé, elle n'aurait pas eu d'effet sur le marché et parce qu'ATO n'y aurait pas participé et ne se serait pas soumise à des contrôles de volumes ni à des systèmes de quotas ou de fixation de prix.

206 La requérante soutient que la Commission se trouve confrontée à une contradiction qu'elle ne parvient pas à surmonter. En effet, la Commission estimerait avoir trouvé dans les documents qu'elle détient, et tout particulièrement dans les écrits de l'un des participants, la preuve absolue de l'existence de l'accord tel qu'elle le décrit par ailleurs, mais cette description théorique ne correspondrait pas du tout à ce qui a été réellement constaté dans le comportement de la requérante, ni dans le fonctionnement du marché du polypropylène.

207 La Commission se réfère, quant à elle, aux points de la décision mentionnés par la requérante pour contredire les affirmations selon lesquelles, d'une part, il n'y aurait pas eu d'effet sur le marché et, selon lesquelles, d'autre part, l'absence d'effet sur le marché s'opposerait à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

C - Appréciation du Tribunal

208 Le Tribunal constate que l'argumentation de la requérante tend uniquement à démontrer que sa participation aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène ne tombait pas sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où son comportement concurrentiel sur le marché attesterait que cette participation était dépourvue tant d'objet que d'effet anticoncurrentiel.

209 L'article 85, paragraphe 1, du traité CEE interdit comme étant incompatibles avec le Marché commun tous accords entre entreprises ou pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction et à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.

210 Le Tribunal rappelle qu'il résulte de ses appréciations relatives aux constatations de fait opérées par la Commission que les réunions périodiques auxquelles la requérante a participé avec des concurrents avaient pour objet de restreindre la concurrence à l'intérieur du Marché commun, notamment par la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente et que, par conséquent, sa participation à ces réunions n'était pas dépourvue d'objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

211Il s'ensuit que c'est à bon droit que la Commission a considéré qu'en prenant part aux réunions périodiques de producteurs de polypropylène entre 1978 et septembre 1983, la requérante s'est associée aux producteurs de polypropylène entre lesquels sont intervenus des concours de volontés qui portaient sur des initiatives de prix, des mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des initiatives de prix et des objectifs de volumes de vente pour les années 1979, 1980 et la première moitié de l'année 1983 ainsi que sur des mesures de limitation des ventes mensuelles par référence à une période antérieure pour les années 1981 et 1982, et qu'elle a ainsi enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, en participant à un accord et une pratique concertée.

212 Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des griefs de la requérante relatifs aux constatations de fait et à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, opérées par la Commission dans l'acte attaqué doit être rejeté.

Sur la motivation

1. Adoption d'une décision unique

213 La requérante soutient que la Commission n'a pas apporté correctement la preuve de la participation d'ATO à une entente. En effet, il serait à la fois difficile, périlleux et artificiel, en raison des situations économiques différentes des destinataires de la décision, de placer toutes les entreprises sur le plan unique de l'entente "horizontale". Pourtant, c'est ce qu'aurait fait la Commission en incriminant le comportement des producteurs de polypropylène en des termes souvent très généraux, qui, dans leur ensemble, étendent à la totalité ou à une grande majorité d'entre eux des reproches fondés sur le comportement de quelques-uns. Cette méthode de description globale des agissements reprochés aux producteurs de polypropylène rendrait difficile la détermination précise des faits et actes imputés à chacun d'eux, et sur le fondement desquels la Commission a déterminé leur degré de responsabilité respectif. La décision serait ainsi insuffisamment individualisée et serait excessivement générale, comme le montrerait d'ailleurs le petit nombre de passages de la décision dans lesquels le comportement propre d'ATO est incriminé distinctement, ainsi que l'absence de réponse spécifique aux arguments d'ATO.

214 Elle fait encore grief à la Commission de se fonder sur une présomption générale de culpabilité. La décision interpréterait systématiquement les faits et documents dans le sens de l'existence d'une entente, sans jamais considérer que les mêmes faits sont explicables par d'autres raisons. Ainsi, ATO se trouverait insérée dans un réseau de preuves à la faveur duquel chaque producteur serait considéré comme complice des comportements adoptés par d'autres producteurs, ces comportements - aussi anodins soient-ils - étant eux- mêmes systématiquement interprétés dans un sens anticoncurrentiel.

215 La Commission estime, pour sa part, que les passages de la décision concernant la requérante sont suffisamment précis pour lui permettre de comprendre la portée des griefs qui lui ont été adressés. La Commission ajoute que la décision est basée non seulement sur la communication générale des griefs, mais également sur les communications spécifiques adressées aux différentes entreprises, dont une concerne exclusivement la requérante. Par ailleurs, la Commission fait remarquer que la requérante apparaît à de nombreuses reprises dans la décision et dans les tableaux qui y sont annexés.

216 Le Tribunal considère que ses appréciations relatives à l'établissement de l'infraction démontrent que la requérante a pu, comme le Tribunal, dégager avec une précision suffisante les griefs retenus à son égard.

217 De même, il faut souligner que le caractère unique de la décision n'a pas eu pour effet d'étendre à la requérante des reproches fondés sur le comportement d'autres producteurs puisque la Commission a établi à suffisance de droit l'ensemble des griefs retenus à l'encontre de la requérante dans la décision.

218 Enfin, il convient de relever qu'il résulte des appréciations du Tribunal relatives à l'établissement de l'infraction que celle-ci constitue une entente "horizontale", à laquelle les différents producteurs de polypropylène ont participé chacun avec ses caractéristiques économiques propres, et que la requérante n'a pas indiqué en quoi ces caractéristiques s'opposaient à ce que la Commission place les différents producteurs sur le plan unique de l'entente "horizontale".

219 Il résulte de ce qui précède que le grief ne peut être accueilli.

2. Motivation insuffisante

220 La requérante fait valoir que la décision ne lui permet pas de déterminer dans quelle mesure la Commission a tenu compte des explications qu'ATO lui avait données en réponse aux communications des griefs qui lui avaient été adressées. En effet, la Commission reprendrait dans la décision la plupart de ces griefs sans aucune référence aux éléments que la requérante lui avait communiqués, ne serait-ce que pour les rejeter, en particulier ceux concernant sa croissance sur le marché jusqu'à la saturation de son outil de production et ceux établissant que ses instructions de prix étant consécutives à des publications dans la presse spécialisée, elle n'avait fait que suivre les indications du marché.

221 La Commission soutient, de son côté, qu'elle a réfuté tous les arguments de la requérante qui méritaient de l'être.

222 Le Tribunal rappelle qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour (voir notamment les arrêts du 29 octobre 1980, Van Landewyck/Commission, point 66, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, et du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie/Commission, point 88, 240-82 à 242-82, 261-82, 262-82, 268-82 et 269-82, Rec. p. 3831) que si, en vertu de l'article 190 du traité CEE, la Commission est tenue de motiver ses décisions, en mentionnant les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé au cours de la procédure administrative. Il s'ensuit que la Commission n'est pas tenue de répondre à ceux de ces points qui lui semblent dénués de toute pertinence.

223 A cet égard, il y a lieu de relever que le premier argument invoqué par la requérante a reçu une réponse au point 91, troisième alinéa, de la décision. Cette réponse était spécifiquement adressée à la requérante puisqu'elle concerne expressément la croissance de ses ventes. Comme le Tribunal l'a constaté dans son appréciation relative à l'établissement de l'infraction, ce premier argument est dépourvu de pertinence en ce qu'il concerne la saturation de son outil de production. Le second argument, quant à lui, a été pris en considération dans la décision (point 30) sans être retenu. En outre, il résulte des appréciations du Tribunal quant à l'établissement de l'infraction que cet argument est dénué de fondement.

224 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

Sur l'amende

225 La requérante soutient que, si elle a pu se montrer imprudente en participant aux réunions de producteurs de polypropylène et en ne marquant pas suffisamment de réserve par rapport au contenu de ces réunions, cette imprudence éventuelle ne serait pas de nature à justifier l'amende beaucoup trop lourde que lui a infligée la Commission. Elle relève qu'elle voyait dans ces réunions le moyen de s'informer sur un marché qu'elle découvrait. A cet égard, elle ajoute que la circulation de l'information est l'une des conditions de la concurrence.

226 La Commission estime que la gravité de l'infraction qu'elle a établie justifie amplement l'amende infligée à la requérante et que l'argument de la requérante selon lequel la circulation d'informations a une influence bénéfique sur la concurrence est inacceptable, en ce que la concurrence exige une transparence du marché vis-à-vis de tous les opérateurs économiques, tant du côté de l'offre que du côté de la demande, alors que l'échange d'informations incriminé se limitait aux seuls offreurs.

227 Le Tribunal constate que les faits qui ont été établis révèlent par leur gravité intrinsèque - notamment la fixation d'objectifs de prix et de volumes de vente - que la requérante n'a pas agi par imprudence, ni même par négligence, mais qu'elle a agi de propos délibéré. A cet égard, il convient de souligner spécialement le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, et en particulier sous a), b) et c), du traité CEE, que les producteurs de polypropylène n'ignoraient pas.

228 Par ailleurs, il convient de rejeter catégoriquement l'argument de la requérante relatif à la circulation de l'information, d'une part, pour les motifs exposés par la Commission et, d'autre part, parce que, s'il devait être retenu, il aboutirait à vider les dispositions du traité relatives à la concurrence de tout effet utile.

229 Il résulte de tout ce qui précède que l'amende infligée à la requérante est adéquate à la durée et à la gravité de la violation des règles de concurrence communautaires constatée.

Sur les dépens

230 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.