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Décisions

TPICE, 1re ch., 12 juillet 1991, n° T-23/90

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Peugeot SA, Peugeot SA

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Centre Wagner Kirchberg, Eco System SA, Bureau Européen des Unions de Consommateurs

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Schintgen, Edward, Kirschner, Garcia-Valdecasas

Avocats :

Mes de Roux, Collin, Decker, Bentley, Adamantopoulos.

Comm. CE, du 26 mars 1990

26 mars 1990

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS

1. La décision litigieuse a été adoptée à la suite d'une plainte, déposée auprès de la Commission par la société Eco System, le 19 avril 1989, dirigée contre Automobiles Peugeot SA et contre trois de ses revendeurs agréés en Belgique, au motif que, depuis le mois de mars 1989, ils faisaient obstacle à l'exercice par Eco System, en Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg, de son activité de mandataire agissant pour le compte d'utilisateur finals français disposés à acheter des véhicules Peugeot par son intermédiaire. Dans sa plainte, Eco System avait également demandé à la Commission d'arrêter des mesures provisoires mettant fin au préjudice grave qui résulterait pour elle des obstacles précités.

2. Le 9 mai 1989, Peugeot SA a diffusé, par l'intermédiaire des sociétés filiales d'Automobiles Peugeot SA, une circulaire demandant aux concessionnaires et revendeurs agréés en France, en Belgique et au Luxembourg de suspendre leurs livraisons à Eco System et de ne plus enregistrer de commandes de véhicules neufs de marque Peugeot émanant de ladite société, qu'elle agisse pour son propre compte ou pour le compte de ses mandants. Le texte de cette circulaire avait été transmis trois semaines environ auparavant aux services de la Commission.

3. Le 27 novembre 1989, la Commission a engagé contre Automobiles Peugeot SA et Peugeot SA la procédure prévue par le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17").

4. Par décision du 26 mars 1990, la Commission a enjoint à Peugeot SA et Automobiles Peugeot SA, sous peine d'astreinte, d'adresser, dans un délai de deux semaines, à tous leurs concessionnaires et agents une lettre suspendant l'exécution de la circulaire du 9 mai 1989 jusqu'à ce qu'une décision définitive soit adoptée dans la procédure principale engagée sur plainte d'Eco System, et a fixé le contingent - 1211 véhicules par an ne devant pas excéder 150 par mois - des transactions que, pendant cette même période, Eco System pourrait réaliser, pour le compte de ses clients et sur la base d'un mandat écrit préalable, avec le réseau Peugeot et auxquelles les parties requérantes ne pourraient pas s'opposer. Enfin, la Commission a ordonné aux requérantes de donner instruction aux membres agréés de leur réseau en France, en Belgique et au Luxembourg de l'informer du nombre et des modèles des véhicules vendus par l'intermédiaire d'Eco System.

5. Dans sa décision, la Commission a justifié l'adoption de ces mesures provisoires par la constatation, sur la base des faits établis, qu'il existait une probabilité suffisante d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, que des dommages graves et irréversibles étaient susceptibles d'être causés à Eco System à moins que des mesures conservatoires ne fussent ordonnées et que, par conséquent, il était urgent d'adopter de telles mesures.

6. Pour fixer le volume de transactions annuel qu'Eco System pourrait effectuer avec le réseau Peugeot pendant la période d'application desdites mesures, la Commission s'est basée sur celui qui avait été réalisé au cours des 12 mois ayant précédé le 9 mai 1989, date à laquelle a été envoyée la circulaire précitée de Peugeot. Le contrôle de ces transactions serait fait au moyen d'une double communication, d'une part, par les concessionnaires concernés à la Commission - qui à son tour informerait Peugeot sans identification de l'acheteur - et, d'autre part, par Eco System qui informerait parallèlement la Commission, comme elle s'y est engagée à toutes fins utiles à la demande de la Commission.

7. Le Tribunal relève par ailleurs qu'Eco System avait déposé, le 25 août 1985, une première plainte contre Peugeot-Talbot SA, visant le refus de vente de véhicules neufs qui lui était opposé par des distributeur s du réseau Peugeot en Belgique. L'instruction de cette plainte, qui a donné lieu à plusieurs demandes de renseignements ainsi qu'à une prise de position provisoire de la part des services de la Commission, a été clôturée suite au retrait par Eco System, le 18 janvier 1988, de sa plainte

La procédure

8. Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 24 avril 1990, les sociétés Automobiles Peugeot SA et Peugeot SA (ci-après "Peugeot") ont introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, le présent recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, du 26 mars 1990, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/33.157 Ecosystem/Peugeot - mesures provisoires).

9. Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont également introduit, en vertu de l'article 186 du traité CEE, une demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution de la décision litigieuse.

10. Par ordonnance du 21 mai 1990, le président du Tribunal a rejeté cette demande.

11. Par ordonnance du Tribunal (première chambre) du 5 juillet 1990, la société Eco System SA (ci-après "Eco System") a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la partie défenderesse. Par ordonnances du Tribunal (première chambre) du 24 septembre 1990, le Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC) et le gouvernement du Royaume-Uni ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la partie défenderesse.

12. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience du 17 avril 1991. Le président a prononcé la clôture de la procédure orale à l'issue de l'audience.

13. Dans leur recours, les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision du 26 mars 1990 de la Commission des Communautés européennes ;

- condamner la Commission aux dépens.

14. La Commission, pour sa part, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner les requérantes aux dépens.

15. Eco System conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner les requérantes aux dépens.

16. Le Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC) conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux occasionnés par l'intervention de BEUC.

17. Le gouvernement du Royaume-Uni conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux relatifs à l'intervention du Royaume-Uni.

Sur le fond

18. A l'appui de leurs conclusions, les requérantes invoquent en substance deux moyens. Dans le premier moyen, elles soutiennent que, faute d'avoir établi en droit l'existence prima facie d'une infraction, la Commission n'était pas habilitée à prendre des mesures provisoires. Dans le deuxième moyen, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir rapporté la preuve de l'urgence et de l'existence d'un préjudice grave et irréparable pour Eco System.

19. Avant d'analyser les différents arguments invoqués par les requérantes à l'appui de leurs moyens tendant à l'annulation de la décision litigieuse, il convient de rappeler qu'ainsi que la Cour l'a affirmé dans son ordonnance du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission, (792-79-R, Rec. p. 119), il appartient à la Commission, dans l'exercice du contrôle que lui confient, en matière de concurrence, le traité et le règlement n° 17, de décider en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, s'il y a lieu de prendre des mesures provisoires lorsqu'elle est saisie d'une demande à cet effet. Ces mesures doivent toutefois être de caractère intérimaire et conservatoire et rester limitées à ce qu'il est nécessaire dans la situation donnée.

20. Par ailleurs, comme la Cour l'a également précisé dans son arrêt du 28 février 1984, Ford/Commission (228 et 229-82, Rec. p. 1129), les mesures provisoires que la Commission peut arrêter à titre provisoire doivent entrer dans le cadre de la décision susceptible d'être prise à titre définitif par la Commission.

21. En l'espèce, pour exercer un contrôle sur la légalité de la décision de la Commission, il appartiendra au Tribunal de vérifier, tout d'abord, si la Commission, dans sa décision, était en droit de considérer que le comportement de Peugeot, en ordonnant à ses concessionnaires de refuser de vendre à un intermédiaire professionnel dûment mandaté, dépassait, à première vue, le cadre de ce qui est permis par les dispositions de droit communautaire applicables et soulevait ainsi des doutes sérieux quant à s compatibilité avec de telles dispositions.

22. Il conviendra, en outre, d'examiner si les mesures ordonnées ont un caractère intérimaire et conservatoire et sont limitées à ce qui est nécessaire pour préserver l'exercice efficace du droit de décision de la Commission, c'est-à-dire s'il y avait urgence à les arrêter en vue d'éviter, jusqu'à ce qu'une décision sur le fond soit adoptée par la Commission, le risque de dommages graves et irréparables résultant, en l'absence de telles mesures provisoires, de la continuation des pratiques litigieuses.

A) Sur le moyen relatif au défaut d'établissement, en droit, d'une infraction prima facie

23. De l'avis des requérantes, la Commission a fait une fausse interprétation des règlements communautaires et a dépassé les limites de sa compétence. A cet égard, elles invoquent pour l'essentiel quatre arguments.

24. Les requérants font, en premier lieu, valoir que le règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16, ci-après "règlement n° 123-85") exempte de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, les contrats de distribution exclusifs et sélectifs conclus dans le secteur des véhicules automobiles, dès lors qu'ils remplissent un certain nombre de conditions fixées par ledit règlement, notamment celles prévues à son article 3, point 11, lequel dispose que l'exemption s'applique également lorsque le distributeur s'engage à "ne vendre les véhicules automobiles de la gamme visée par l'accord ou des produits correspondants à des utilisateurs finals utilisant les services d'un intermédiaire que si ces utilisateurs ont auparavant mandaté par écrit l'intermédiaire pour acheter... un véhicule automobile déterminé". Selon les requérantes, ces conditions sont reprises dans le contrat-type de concession que Peugeot conclut avec ses distributeurs.

25. En outre, la Commission ayant interprété, dans sa communication 85-C 17-03, du 12 décembre 1984, concernant son règlement n° 123-85 (JO 1985, C 17, p. 4, ci-après "communication du 12 décembre 1984"), l'article 3, point 11, dudit règlement en ce sens qu'un intermédiaire "qui exerce une activité équivalente à la revente ne peut invoquer le bénéfice de l'article 3, point 11, et peut se voir opposer les restrictions contractuelles du fabricant à ces conditions", les requérantes considèrent qu'elles ont pu à bon droit estimer prima facie que l'activité d'Eco System équivalait à la revente au sens même de la communication de la Commission. En effet, selon les requérantes, Eco System offre au consommateur une source alternative de véhicules de marque Peugeot dans des conditions équivalentes à celles de n'importe qu'elle commerçant de l'automobile, puisqu'elle prend des engagements quant aux prix maximums et aux délais de livraison de ces véhicules, paye elle-même le véhicule qu'elle procure au client final, trouve et offre le financement de l'achat, et ouvre des points de vente, notamment dans les grandes surfaces (en l'occurrence, dans la chaîne de magasins "Carrefour"), où sont exposés des véhicules. Il en résulterait que les mesures que Peugeot a prises dans la circulaire du 9 mai 1989 en vue de protéger son système de distribution sélective sont, à première vue, compatibles avec l'exemption accordée par le règlement n° 123-85.

26. La Commission rétorque en soulignant, tout d'abord, que la Cour dans son arrêt du 18 décembre 1986, VAG France (10-86, Rec. p. 4071) a précisé, à propos du règlement n° 123-85, que le principe régissant les accords restrictifs de concurrence susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres est celui de l'interdiction, sauf si les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE ont été déclarées inapplicables par la Commission conformément au paragraphe 3 du même article.

27. De l'avis de la défenderesse, il est indispensable, pour que la possibilité pour un utilisateur final d'acheter un véhicule auprès de n'importe quel membre du réseau agréé, dans n'importe quel Etat membre, ait une efficacité réelle, que l'utilisateur final puisse recourir à un intermédiaire préalablement mandaté par écrit pour acheter et, le cas échéant, pour prendre livraison d'un véhicule automobile déterminé. Or, le règlement n° 123-85 n'établirait à aucun moment une distinction quant à la qualité, professionnelle ou occasionnelle, de l'intermédiaire que l'utilisateur final a mandaté pour acheter un véhicule en son nom et pour son compte.

28. La partie intervenante Eco System souligne que c'est dans le règlement n° 123-85 que se trouvent les cadres juridiques de la profession de mandataire dans le secteur des véhicules automobiles. Selon Eco System, ce règlement définit les trois conditions essentielles dans lesquelles la distribution sélective est compatible avec l'article 85 du traité CEE. En premier lieu, le libre choix par l'utilisateur final, à l'intérieur du territoire de la Communauté, de l'endroit où il décide d'acquérir son véhicule ; en deuxième lieu, l'interdiction d'opposer des obstacles abusifs à cette acquisition ; finalement, la possibilité, pour un utilisateur final, de recourir au service d'un intermédiaire professionnel offrant son assistance pour l'achat d'un véhicule dans un autre Etat membre. Par ailleurs, de l'avis d'Eco System, exclure le mandataire professionnel du bénéfice des dispositions du règlement n° 123-85 reviendrait à empêcher l'utilisateur final de se procurer le véhicule souhaité au meilleur prix auprès de n'importe quel concessionnaire agréé dans n'importe quel Etat membre, vu la multiplicité des démarches qui doivent être effectuées et la complexité des formalités relatives au passage d'un véhicule automobile d'un pays de la Communauté à l'autre.

29. Lors de l'audience, Eco System a nié avoir disposé d'un quelconque stock de voitures aux fins de l'exposition et de la vente. Les seules voitures en sa possession auraient été celles achetées au nom et pour le compte de ses mandants. Ce n'aurait été que pendant le court laps de temps, compris entre l'arrivée des véhicules et l'accomplissement des formalités administratives à régler avant la remise à leur propriétaire, que lesdits véhicules seraient restés sous le contrôle d'Eco System et auraient fait éventuellement l'objet d'une exposition dans ses installations. Une seule voiture Peugeot, prêtée par un des mandats d'Eco System, aurait, par ailleurs, été exposée dans les magasins "Carrefour", et cela pendant une période de dix jours environ. Les parties requérantes n'ont pas contesté ces affirmations.

30. Le Royaume-Uni soutient que des éléments sérieux militent, à première vue, en faveur de l'existence d'une violation des règles de concurrence, puisqu'il résulte clairement des termes exprès de l'article 3, point 11, du règlement n° 123-85 que l'exemption conférée par cette disposition ne s'applique pas dans les cas où un refus de livraison est opposé à un intermédiaire qui a été auparavant mandaté par écrit pour acheter un véhicule automobile déterminé et, le cas échéant, pour prendre livraison de celui-ci au nom de l'utilisateur final.

31. Il convient de rappeler qu'en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE, le règlement n° 123-85 déclare l'article 85, paragraphe 1, inapplicable à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, pour autant que ces accords remplissent un certain nombre de conditions fixées par ledit règlement.

32. En vertu de l'article 3, point 11, de ce règlement, l'exemption accordée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE s'applique également lorsque le distributeur s'engage à "ne vendre les véhicules automobiles de la gamme visée par l'accord ou des produits correspondants à des utilisateurs finals utilisant les services d'un intermédiaire que si ces utilisateurs ont auparavant mandaté par écrit l'intermédiaire pour acheter et, en cas d'enlèvement par celui-ci, pour prendre livraison d'un véhicule automobile déterminé".

33. Il résulte de l'économie de cette disposition que son objectif est de préserver la possibilité d'intervention d'un intermédiaire à condition qu'il existe un lien contractuel direct entre le distributeur et l'utilisateur final. Ce lien contractuel direct doit être établi, selon le règlement n° 123-85, par l'existence d'un mandat écrit préalable donné par l'acquéreur du véhicule à l'intermédiaire.

34. Par sa circulaire du 9 mai 1989, Peugeot a donné instruction à ses concessionnaires, d'une part, de ne pas enregistrer de commande de véhicules de la marque Peugeot, neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois, émanant d'Eco System agissant soit en son nom et pour son compte, soit au nom et pour le compte de ses mandants et, d'autre part, de ne pas lui livrer de tels véhicules.

35. Il y a lieu de souligner que la possibilité de refuser l'enregistrement de commandes de véhicules émanant d'un intermédiaire, et de ne pas lui livrer de tels véhicules, lorsque celui-ci agit au nom et pour le compte de ses mandants, n'est pas prévue par l'article 3, point 11, du règlement n° 123-85.

36. Or, il n'a pas été démontré qu'en l'espèce Eco System, même dans le cas des véhicules exposés dans ses installations et dans les magasins "Carrefour", serait intervenue auprès des concessionnaires du réseau Peugeot en dehors du cadre des mandats qui lui ont été confiés par les utilisateurs finals.

37. C'est donc à juste titre que la Commission a considéré qu'à première vue, ladite circulaire ne remplit pas les conditions posées par l'article 3, point 11, du règlement n° 123-85 pour échapper à la prohibition édictée à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

38. En deuxième lieu, les requérantes font valoir que la Commission a également violé le principe de la sécurité juridique en ce qu'elle s'est écartée de l'interprétation qu'elle même avait donnée de l'article 3, point 11, du règlement n° 123-85 dans sa communication du 12 décembre 1984. Cette méconnaissance du principe de la sécurité juridique est encore renforcée, de l'avis des requérantes, par le fait qu'en l'espèce, le projet de circulaire avait été préalablement soumis aux services compétents de la Commission qui ne s'y étaient pas opposés.

39. La Commission estime, pour sa part, que l'argument tiré par les requérantes de la sécurité juridique attachée à la communication du 12 décembre 1984 est sans pertinence, ladite communication s'étant limitée à préciser que, dès lors qu'un intermédiaire agit pour le compte d'un utilisateur final, les dispositions de l'article 3, points 10 et 11, du règlement n° 123-85 ne permettent pas d'interdire aux membres d'un réseau agréé de lui livrer. La Commission ajoute qu'à supposer même qu'il faille considérer que la communication va au-delà du texte de l'article 3, point 11, précité, en ce sens qu'un intermédiaire dûment mandaté pourrait se voir interdit de livraison, ladite communication ne pourrait en tout état de cause prévaloir sur la disposition normative qui figure dans le règlement n° 123-85.

40. En ce qui concerne le grief fondé sur la circonstance que le projet de circulaire avait été préalablement soumis aux services compétents de la Commission, celle-ci observe que ce projet avait été adressé vers le 18 avril 1989, sur une base personnelle, à M. Cadieux, directeur général adjoint de la direction générale de la concurrence (DG IV). Celui-ci s'étant borné à répondre qu'il ferait examiner la circulaire par ses services, de manière à identifier les problèmes qu'elle posait, Peugeot a indiqué, le 25 avril de a même année, à M. Cadieux que la circulaire en question devait être considérée comme étant transmise à titre officiel. M. Cadieux a répondu à cette précision des requérantes en déclarant qu'il n'était pas en mesure de prendre une quelconque position, l'examen par les services compétents n'étant pas encore terminé.

41. La Commission soutient, par ailleurs, que l'envoi même du projet de circulaire affaiblit la thèse des requérantes, selon laquelle le contenu de ladite circulaire serait clairement couvert par l'interprétation des dispositions réglementaires qui a été donnée dans la communication du 12 décembre 1984. Elle ajoute que les requérantes auraient dû procéder à une notification en bonne et due forme pour s'assurer une sécurité juridique absolue quant à la nécessité, pour ses services, de réagir.

42. La partie intervenante Eco System remarque, à cet égard, que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission, dans sa communication du 12 décembre 1984, a clairement délimité les cas dans lesquels un refus de vente peut être légitimement opposé à certains tiers et celui dans lequel un tiers dûment habilité ne peut être empêché d'exercer son activité. La deuxième partie du point I, 3, de la communication établirait, en effet, une distinction entre, d'une part, certaines activités justifiant un refus de vente et, d'autre part, une activité ne justifiant pas un tel refus, aucun doute n'étant permis, au regard du règlement n° 123-85, quant au fait qu'un tiers, dont l'existence a été révélée préalablement par écrit au distributeur du réseau et qui agit au nom et pour le compte de l'utilisateur final, doit pouvoir exercer son activité sans entrave.

43. La partie intervenante BEUC souligne, pour sa part, que le règlement n° 123-85, et en particulier son article 3, points 10 et 11, est assez clair pour qu'il ne soit pas nécessaire de recourir à l'interprétation qui en est donnée dans la communication du 12 décembre 1984. En tout état de cause, de l'avis du BEUC, ladite communication ne saurait modifier le contenu du règlement, la Commission ne pouvant prendre d'engagements qui iraient à l'encontre de dispositions normatives. Le BEUC souligne, par ailleurs, que Peugeot avait déjà été avertie de l'illégalité de son comportement par une lettre - introduite dans les débats par la défenderesse au stade de son mémoire n duplique - du 15 juin 1987 de M. Stöver, chef de service à la DG IV de la Commission, adressée à Peugeot-Talbot SA dans le cadre de la procédure d'instruction entamée à la suite de la plainte déposée par Eco System le 25 octobre 1985 (voir ci-dessus, point 7). Le BEUC conclut ainsi que les requérantes savaient qu'à supposer que la communication eût une valeur juridique, quod non, elle ne leur permettait pas de refuser de vendre des véhicules automobiles aux clients d'un mandataire dûment mandaté préalablement par écrit.

44. Le Royaume-Uni considère que la communication de la Commission ne saurait déroger aux dispositions du règlement n° 123-85 et que, correctement interprétée, elle ne se propose pas de la faire. Il estime par conséquent que les arguments de Peugeot à cet égard, s'ils étaient suivis, priveraient largement l'article 3, point 11, du règlement de sa signification et limiteraient sérieusement le champ d'action laissé aux intermédiaires professionnels pour opérer dans ce domaine.

45. En présence de ces éléments de fait et de droit, et sans qu'il soit nécessaire à ce stade de se prononcer sur la valeur juridique de la communication du 12 décembre 1984, ni sur l'interprétation qu'il convient de donner à la notion d'"activité équivalente à la revente", le Tribunal souligne que, d'après les termes mêmes de la communication de la Commission, "l'utilisateur européen doit pouvoir recourir aux services de personnes ou d'entreprises qui l'assistent dans l'achat d'un véhicule neuf dans un autre Etat membre" (point I, 3). Rien ne s'oppose, à première vue, à ce que l'utilisateur final puisse avoir recours à un intermédiaire professionnel pour l'achat d'un véhicule neuf. La seule obligation que l'utilisateur final puisse avoir recours à un intermédiaire professionnel pour l'achat d'un véhicule neuf. La seule obligation que l'article 3, point 11, du règlement n° 123-85 impose à l'intermédiaire ou à l'utilisateur final - obligation énoncée également au point I, 3, de la communication - est celle d'exposer préalablement, par écrit, au distributeur du réseau que l'intermédiaire, lors de l'achat et de la réception du véhicule, agit au nom et pour le compte de l'utilisateur final.

46. On ne saurait par conséquent conclure, à première vue, qu'en se référant à "... un tiers... (exerçant) une activité équivalente à la revente" la communication du 12 décembre 1984 viserait l'exclusion des intermédiaires professionnels préalablement mandatés par écrit par l'acheteur.

47. Il est, en outre, à souligner que, bien qu'ayant communiqué le projet de circulaire aux services de la Commission trois semaines environ avant son envoi aux concessionnaires du réseau Peugeot, les requérantes n'ont pas procédé à une notification formelle aux fins d'obtenir une déclaration individuelle d'inapplicabilité de l'article 85, paragraphe 1, en ce qui concerne ladite circulaire. En l'espèce, seule une telle notification aurait été de nature à obliger les services de la Commission à réagir et, partant, à assurer aux requérantes la sécurité juridique dont elles entendent se prévaloir quant à la légalité de la circulaire litigieuse au regard de l'article 85 du traité CEE et des dispositions du règlement n° 123-85. En tout état de cause, après réception de la plainte déposée par Eco System et du projet de circulaire de Peugeot, la Commission a, à deux reprises, demandé des renseignements aux requérantes et leur a ultérieurement envoyé, le 6 décembre 1989, deux communications de griefs concernant, respectivement, l'imposition de mesures provisoires et la procédure principale.

48. Il y a, finalement, lieu de relever à cet égard qu'ainsi qu'il ressort de la lettre précitée du 15 juin 1987 de M. Stöver, les requérantes connaissaient déjà l'avis des services de la Commission sur la question de l'assimilation des activités de certains intermédiaires à des activités de revendeur non agréé, et en particulier sur la notion d'"activité équivalente à la revente" au sens de la communication du 12 décembre 1984. Au point 3, deuxième paragraphe, de cette lettre il était, en effet, clairement mentionné que "dans la mesure où un intermédiaire assume la forme de risque d'entreprise qui est propre à une entreprise de service, et non un risque d'entreprise de même nature... que celui qui est propre à l'activité d'achat et de revente, l'activité de cet intermédiaire ne peut pas être qualifiée d'"activité équivalente à la revente" au sens de la communication...". Dans ladite lettre, les services de la Commission parvenaient à la conclusion que Peugeot, ainsi que les entreprises faisant partie de son réseau de distribution, devaient s'abstenir d'opposer ou de faire opposer des refus de livraison à des intermédiaires, tels qu'Eco System, dûment mandatés, et demandaient à Peugeot d'en informer par circulaire les membres de son réseau en Belgique et au Luxembourg.

49. Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sauraient invoquer une violation du principe de la sécurité juridique à l'encontre de la décision litigieuse.

50. Les requérantes font valoir en troisième lieu que, d'après la jurisprudence de la Cour (arrêt du 28 février 1984, Ford, 228 et 229-82, précité, point 17), les mesures que la Commission peut arrêter à titre provisoire doivent entrer dans le cadre de la décision susceptible d'être prise à titre définitif et que, par conséquent, la Commission n'est pas autorisée à transformer, par le biais d'une décision provisoire, une condition à laquelle est subordonné l'octroi ou le maintien d'une exemption en une injonction exécutoire distincte, n'offrant aucun choix à l'entreprise concernée. Or, ce serait pourtant ce que la Commission aurait fait en arrêtant la décision litigieuse.

51. La Commission, tout en rappelant que l'arrêt Ford a été rendu antérieurement à l'entrée en vigueur du règlement n° 123-85, remarque que la situation présente est totalement différente de celle qui a été à l'origine de l'arrêt invoqué par les requérantes, la décision provisoire entrant, en l'espèce, exactement dans le cadre de la décision finale envisagée. Selon la Commission, la décision finale comporte, outre la constatation que la circulaire constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, le retrait pour les pays en cause (Belgique, Luxembourg et France) du bénéfice de l'exemption accordée par le règlement n° 123-85, comme l'article 10, paragraphe 2, de ce règlement en prévoit la possibilité.

52. Le BEUC souligne à cet égard que la pratique concertée que la circulaire du 9 mai 1989 vise à mettre en œuvre n'entre pas dans le champ de l'exemption par catégorie conférée par le règlement n° 123-85 et n'a pas fait, non plus, l'objet d'une demande d'exemption individuelle. Le BEUC considère que, dans ces conditions, la Commission peut se limiter à constater l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité en ce qui concerne cette pratique, indépendamment du retrait éventuel du bénéfice de l'exemption par catégorie en ce qui concerne le contrat-type de concession exclusive. Une mesure provisoire obligeant les entreprises intéressées à mettre fin à une infraction se situe, de l'avis du BEUC, tout à fait dans le cadre de la décision susceptible d'être prise à titre définitif.

53. Le Royaume-Uni, pour sa part, soutient que les mesures provisoires adoptées entrent dans le cadre de toute décision définitive que la Commission pourrait arrêter et que la situation présente est entièrement différente de celle qui devait être prise en considération dans l'affaire Ford.

54. Il y a lieu de rappeler qu'ainsi qu'il résulte de l'arrêt Ford, précité (point 19), "... les mesures provisoires doivent entrer dans le cadre de la décision susceptible d'être prise à titre définitif en vertu de l'article 3 [ du règlement n° 17]. Dans cette affaire, la Cour a souligné que, l'objet de la procédure principale étant le contrat de concession entre Ford AG et ses concessionnaires, une injonction visant à mettre fin à "un refus [de livrer] qui, selon la Commission, n'est contraire ni à l'article 85 ni à l'article 86 du traité", n'entrait pas dans le cadre d'une éventuelle décision définitive que la Commission pourrait adopter en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 (points 20 et 21 de l'arrêt).

55. Dans la décision litigieuse, par contre, la Commission se limite, dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 3 du règlement n° 17, ayant pour objet d'apprécier la légalité de la circulaire adressée par Peugeot à ses concessionnaires au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE et, plus particulièrement, des dispositions du règlement n° 123-85, à enjoindre aux requérantes de surseoir, dans les limites que la décision fixe elle-même, à l'exécution de ladite circulaire jusqu'à ce qu'une décision sur le fond soit prononcée, c'est-à-dire à rétablir, partiellement et provisoirement, la situation préexistante en ce qui concerne l'enregistrement de commandes et la livraison de véhicules à Eco System, intermédiaire agissant au nom et pour le compte de ses mandants.

56. A la différence de la situation dont a eu à connaître la Cour dans l'affaire Ford, la circulaire litigieuse, en l'occurrence, fait l'objet de la procédure principale. En effet, la décision que la Commission doit prendre à titre définitif à l'issue de la procédure porte sur la question de savoir si ladite circulaire constitue ou non une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

57. Il s'ensuit que les mesures conservatoires arrêtées par la Commission entrent dans le cadre de la décision définitive qu'elle sera amenée à adopteret que, par conséquent, c'est à tort que les requérantes reprochent à la Commission d'avoir transformé, par le biais de ces mesures, une condition à laquelle est subordonné le maintien d'une exemption en une injonction exécutoire distincte.

58. Les requérantes font finalement valoir qu'en l'espèce, la Commission n'était pas habilitée à prendre des mesures provisoires, parce que la situation n'était pas suffisamment claire en droit et que la Commission n'a pas démontré que l'on se trouvait en présence d'une infraction hautement vraisemblable. Elles invoquent, à l'appui de leur thèse, les conclusions de l'avocat général Slynn dans l'affaire Ford (sous arrêt du 28 février 1984, précité, Rec. p. 1164, 1168), ainsi que l'ordonnance rendue par le président du Tribunal dans la procédure en référé dans la présente affaire (ordonnance du 21 mai 1990, Peugeot/Commission, T-23/90R, Rec. p. II-195), selon laquelle certaines des questions qui se posent dans la présente affaire suscitent de sérieux problèmes d'interprétation.

59. La Commission, tout en reprochant aux requérantes d'avoir détourné les termes de l'ordonnance du président du Tribunal de leur contexte, rétorque que la thèse des requérantes revient à assimiler totalement l'exigence de la constatation d'une infraction prima facie dans le cadre d'une décision de mesures provisoires avec l'exigence de certitude inhérente à la décision finale, ce qui serait contraire à une jurisprudence constante de la Cour (ordonnances du 16 janvier 1975, Johnson et Firth Brown/Commission, 3-75R, Rec. p. 6 ; du 21 août 1981, Agricola Commerciale Olio srl. e.a./Commission, 232-81R, Rec. p. 2199 ; du 4 mars 1982, Commission./France, 42-82R, Rec. p. 856, et du 21 mai 1990, Peugeot, T-23-90R, précitée). La défenderesse conclut ainsi que d'éventuels problèmes d'interprétation quant à la notion d'activité équivalente à la revente ne sont en rien incompatibles avec la constatation d'un infraction prima facie, permettant d'ordonner des mesures provisoires de portée limitée.

60. Pour le Royaume-Uni, il apparaît qu'il existe des éléments sérieux tendant à établir que le comportement de Peugeot contrevient aux règles de concurrence du traité CEE. La Commission aurait, dès lors, été justifiée à agir ainsi qu'elle l'a fait en attendant l'établissement définitif des éléments de fait et des solutions pertinentes aux questions juridiques soulevées.

61. Il a lieu de relever que, dans le cadre d'un recours portant sur la légalité d'une décision par laquelle la Commission a arrêté des mesures provisoires, on ne saurait assimiler l'exigence de la constatation d'une infraction prima facie avec l'exigence de certitude à laquelle doit satisfaire une décision finale.

62. Ainsi que le Tribunal l'a constaté ci-dessus au point 37, la circulaire que Peugeot a envoyée à ses concessionnaires dépasse, à première vue, le cadre de ce qui est permis par les dispositions du règlement n° 123-85 et, en particulier, par son article 3, point 11, dans la mesure où elle fait obstacle à ce que les utilisateurs finals aient la possibilité de se procurer des véhicules par l'intermédiaire d'un tiers dûment mandaté par écrit.

63. La Commission a pu ainsi à juste titre considérer que la circulaire litigieuse suscitait, à première vue, des doutes sérieux quant à sa légalité au regard des règles de concurrence du traité, ce qui l'autorisait à adopter des mesures provisoires jusqu'à ce qu'une décision sur le fond soit arrêtée.

64. Il résulte de ce qui précède que le moyen relatif au défaut d'établissement, en droit, d'une infraction prima facie invoqué par les requérantes n'est pas fondé.

B) Sur le moyen relatif au défaut de motivation de la décision en ce qui concerne la preuve de l'urgence et de l'existence d'un préjudice grave et irréparable pour Eco System

65. Les requérantes font également grief à la Commission de ne pas avoir rapporté la preuve de l'urgence et de l'existence d'un préjudice grave et irréparable pour Eco System. A cet égard, elles invoquent en substance deux arguments.

66. En premier lieu, les requérantes font valoir que la Commission n'a pas apporté la preuve ni de ce que Eco System serait au bord du dépôt de bilan, ni du lien de causalité existant entre cette prétendue situation financière et la circulaire incriminée de Peugeot. Au contraire, les requérantes soutiennent que les comptes d'Eco System, tels qu'arrêtés au 31 août 1989, reflètent une situation d'exploitation non seulement normale, mais en nette progression, apportant ainsi la preuve "flagrante" qu'Eco System n'est pas en voie de disparition. En outre, les requérantes remarquent qu'Eco System continue de proposer à la vente dans ses publicités des véhicules Peugeot. Cette disponibilité commerciale et cette situation financière prospère sont à l'évidence, de l'avis des requérantes, exclusives de la notion d'urgence sur laquelle sont fondées les mesures provisoires ordonnées.

67. La Commission souligne, à titre liminaire, que, s'il est exact qu'elle ne peut prendre de mesures provisoires qu'en cas d'urgence établie, il n'en reste pas moins que cette urgence peut résulter du risque que se produise une situation de nature à causer un préjudice grave et irréparable(ordonnances de la Cour du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission, précitée, point 1, et du 29 septembre 1982, Ford/Commission, précitée, point 1, et du 29 septembre 1982, Ford/Commission, 229 et 228-82 R, Rec. p. 3091, 3101, point 13).

68. En ce qui concerne la preuve de l'urgence, la défenderesse soutient qu'il ressort de la décision attaquée, et en particulier de ses points 15 et 21, que les circonstances sur lesquelles elle s'est fondée pour constater l'urgence d'une intervention tiennent à l'impact direct et indiscutable de la circulaire sur les activités d'Eco System. La Commission relève à cet égard qu'à la suite de la diffusion de la circulaire litigieuse, le nombre de véhicules Peugeot importés par Eco System en provenance de la Belgique et du Luxembourg a diminué de 93 %. En outre, ajoute-t-elle, alors qu'en 1988 les opérations d'importation de véhicules Peugeot représentaient 35,25 % des activités d'Eco System, ce chiffre est passé à 5,36 % pour la période comprise entre mai et décembre 1989.

69. La défenderesse considère, en outre, que la circonstance que, postérieurement à la diffusion de la circulaire, Eco System continue de proposer des véhicules Peugeot est sans pertinence, étant donné qu'il est normal qu'Eco System, confrontée à des problèmes d'approvisionnement qu'elle considère comme découlant d'un comportement illicite, continue à promouvoir des transactions dans lesquelles elle intervient en qualité de mandataire protégé par les dispositions du droit communautaire. Il en irait de même pour ce qui est des arguments tirés des bilans d'Eco System, dans la mesure où ces bilans portent sur l'exercice clôturé au 31 août 1989 et qu'il ressort tant du tableau figurant au point 15 de la décision, que de ceux repris dans le mémoire en défense que l'impact négatif de la circulaire s'est fait surtout sentir à partir du mois de juillet 1989.

70. Eco System se borne à rappeler que la baisse des ventes qu'elle a enregistrée à la suite de la diffusion de la circulaire litigieuse a été extrêmement sensible puisque, après avoir baissé de moitié les trois premiers mois, son chiffre d'affaires a continué de décroître pour atteindre le tiers, puis le quart du chiffre d'affaires correspondant au même mois de l'année précédente.

71. Le Royaume-Uni estime que, même si Eco System pouvait survivre sans l'adoption de mesures provisoires, il est très douteux que l'octroi ultérieur de dommages-intérêts puisse compenser de façon appropriée le préjudice causé entre-temps à son activité.

72. Il convient de constater qu'ainsi qu'il ressort des données figurant au point 15 de la décision de la Commission, qui n'ont pas été contestées par les parties, le nombre de véhicules Peugeot importés par Eco System en provenance de la Belgique et du Luxembourg à la suite de la diffusion de la circulaire litigieuse a diminué de 93 %, alors que les opérations d'importation de véhicules de cette marque représentaient jusqu'alors un tiers environ de l'activité d'Eco System. Une telle situation est susceptible de mettre en danger l'existence même de cette entreprise, qui se voit amputée d'une partie substantielle de ses sources de revenus et qui, si la situation se prolonge, risque de devoir cesser ses activités et de subir, de ce fait, un préjudice grave et irréparable.A cet égard, l'argument selon lequel les comptes d'Ecosystème arrêtés au 31 août 1989 refléteraient des résultats non seulement normaux, mais en nette progression, ne saurait être retenu, ces comptes ne pouvant pas refléter les effets de la circulaire adressée aux concessionnaires du réseau moins de quatre mois auparavant.

73. Les requérantes soutiennent, en deuxième lieu, que les mesures provisoires ordonnées par la Commission frappent non pas Eco System, mais au contraire Peugeot, en ce qu'elles créent de façon irréversible un désordre grave dans le réseau et portent atteinte à l'image de marque du groupe et à la crédibilité de son réseau d'exclusivité, qui perd ainsi son étanchéité. De l'avis des requérantes, la décision de la Commission revient à suspendre provisoirement le bénéfice des droits reconnus aux membres du réseau de distribution par le règlement n° 123-85 et, par voie de conséquence, à anéantir la raison d'être du réseau d'exclusivité Peugeot. Les requérantes en concluent que les dommages qu'elles ont subis dépassent les conséquences admissibles d'une application normale des règles du traité CEE en matière de concurrence.

74. La Commission rétorque que le grief des requérantes selon lequel ce serait Peugeot qui subirait un préjudice grave et irréparable a été l'un des arguments principaux invoqués dans le cadre de la procédure en référé et, en tant que tel, a déjà été rejeté par l'ordonnance du président du Tribunal du 22 mai 1990. En outre, la Commission souligne que le nombre de véhicules concernés par les mesures provisoires qu'elle a arrêtées ne représente que 0,24 % du nombre total d'immatriculations de véhicules Peugeot en France en 1988. La balance des intérêts en présence confirmerait ainsi le bien-fondé de la décision litigieuse. La défenderesse remarque, par ailleurs, que la balance d'intérêts à laquelle elle est tenue de se référer doit également tenir compte, d'une part, de l'intérêt des utilisateurs finals français qui souhaitent s'approvisionner, conformément aux principes régissant l'article 85 du traité CEE et le règlement n° 123-85, dans d'autres Etats membres et, d'autre part, de l'intérêt général que revêt le maintien d'une structure de concurrence efficace tant "intrabrand" qu'"interbrand".

75. Le BEUC conteste l'existence d'un quelconque préjudice pour Peugeot en observant, d'une part, que les mesures provisoires permettent aux requérantes de ne pas vendre aux clients d'Eco System plus de 1211 véhicules par an, même si celle-ci agit sur la base d'un mandat écrit préalable, et, d'autre part, que l'activité d'Eco System apporte des clients au réseau des requérantes, non seulement en ce qui concerne la vente de voitures Peugeot, mais aussi en ce qui concerne l'entretien et le service après-vente.

76. Il y a lieu de relever qu'en fixant un volume de transactions annuel égal à celui qu'Eco System avait réalisé au cours des douze mois ayant précédé l'envoi de la circulaire litigieuse, la décision de la Commission se limite, à ce stade de la procédure, à reconduire, au seul bénéfice d'Eco System et cela jusqu'à l'adoption de la décision finale, une situation préexistante qui, du point de vue de l'impact sur le nombre total de ventes du réseau Peugeot en France, représente un pourcentage de 0,24 % environ et qui, par conséquent, n'a qu'une incidence minime sur le fonctionnement du réseau d'exclusivité de Peugeot. On ne saurait, par conséquent, faire valoir que les mesures provisoires décidées par la Commission seraient de nature à causer aux requérantes un préjudice grave et irréparable, en ce qu'elles porteraient atteinte de façon irréversible à l'image de marque de Peugeot et à la crédibilité de son réseau d'exclusivité.

77. Il résulte de ce qui précède que le moyen relatif au défaut de motivation en ce qui concerne la preuve de l'urgence et de l'existence d'un préjudice grave et irréparable pour Eco System est également non fondé et que, par conséquent, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

78. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement de procédure du Tribunal, en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le règlement de procédure du Tribunal (JO 1991, L 136, p. 1), arrêté le 2 mai 1991, est entré en vigueur le 1er juillet 1991, conformément à son article 130. L'article 87 du règlement de procédure du Tribunal, bien qu'il prescrive également, dans son paragraphe 2, que la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens, prévoit, toutefois, dans son paragraphe 4, de la différence du règlement de procédure de la Cour, que les Etats membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Royaume-Uni étant partie intervenante dans la présente procédure, il y a lieu de décider quelles sont les règles de procédure applicables en l'espèce à la répartition des dépens.

79. En vertu de l'article 73, sous b), du règlement de procédure de la Cour (article 91, sous b), du règlement de procédure du Tribunal), sont considérés comme dépens récupérables les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d'un agent, conseil ou avocat.

80. Les règles établissant les critères applicables à la répartition des dépens relèvent en partie du droit matériel dans la mesure où elles affectent directement les intérêts des parties au litige. Au moment de l'entrée en vigueur du règlement de procédure du Tribunal, la procédure orale dans la présente affaire était déjà clôturée et l'affaire avait été mise en délibéré. En l'espèce, on ne saurait admettre que les règles applicables en la matière puissent varier en fonction de la date aléatoire du prononcé de l'arrêt, alors que l'ensemble de la procédure s'est déroulé sous le régime de l'ancien règlement de procédure. Il y a, dès lors, lieu d'appliquer les dispositions pertinentes du règlement de procédure de la Cour.

81. Les parties requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu, en application de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de la Cour, de les condamner solidairement aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure de référé ainsi que ceux des parties intervenantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1. Le recours est rejeté.

2. Les requérantes sont condamnées solidairement aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure de référé ainsi que ceux des parties intervenantes.