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Décisions

TPICE, 2e ch., 10 juillet 1991, n° T-76/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Independent Television Publications (Ltd)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Magill TV Guide (Ltd)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Juges :

MM. Yeraris, Briët, Barrington, Biancarelli

Avocats :

Mes Tyrrell, Cooke.

TPICE n° T-76/89

10 juillet 1991

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

Faits et procédure

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 mars 1989, la société Independent Television Publications Limited (ci-après "ITP") a demandé l'annulation de la décision de la Commission du 21 décembre 1988 (ci-après "la décision"), constatant que les politiques et pratiques suivies par ladite société, au moment des fait considérés, en ce qui concerne la publication de ses programmes hebdomadaires d'émissions de télévision et de radio captables en Irlande et en Irlande du Nord, constituent des infractions à l'article 86 du traité, dans la mesure où elles faisaient obstacle à l'édition et à la vente de guides de télévision généraux hebdomadaires sur ce territoire. Le présent recours s'inscrit parmi les recours en annulation introduits parallèlement, contre cette même décision, par ses autres destinataires, à savoir, d'une part, Radio Telefis Eireann (ci-après "RTE") et, d'autre part, la British Broadcasting Corporation et BBC Entreprises Limited (ci-après "la BBC") (affaires T-69-89 et T-70-89).

2 Le contexte général de la décision peut être résumé comme suit. La plupart des foyers en Irlande et 30 à 40 % des foyers en Irlande du Nord peuvent capter au moins six chaînes de télévision : RTE1 et RTE2, alimentées par RTE, qui jouit d'un monopole légal pour la fourniture d'un service national de radiotélédiffusion par voie hertzienne en Irlande, BBC1 et BBC2, alimentées par la BBC, ainsi que ITV et Channel 4, qui étaient alimentées, au moment des faits considérés, par les sociétés de télévision ayant obtenu une franchise de l'Independent Broadcasting Authority (ci-après "IBA") en vue de fournir des émissions pour la télévision privée. Au Royaume-Uni, la BBC et l'IBA étaient en position de duopole pour la fourniture des services nationaux de télévision par voie hertzienne. En outre, de nombreux téléspectateurs de Grande-Bretagne et d'Irlande pouvaient capter, soit directement soit par l'intermédiaire de réseaux câblés, plusieurs chaînes distribuées par satellite. Il n'existait toutefois pas de télévision câblée en Irlande du Nord.

Au moment des faits, aucun guide général hebdomadaire de télévision n'était disponible sur le marché en Irlande et en Irlande du Nord, en raison de la politique suivie par les sociétés destinataires de la décision, en ce qui concerne la diffusion de l'information relative aux programmes des six chaînes évoquées précédemment. En effet, chacune de ces sociétés publiait un guide de télévision exclusivement consacré à ses propres programmes individuels et revendiquait, au titre du United kingdom Copyright Act de 1956 (loi britannique que le droit d'auteur) et du Irish Copyright Act de 1963 (loi irlandaise sur le droit d'auteur), la protection du droit d'auteur sur ses grilles de programmes hebdomadaires, pour s'opposer à leur reproduction par des tiers.

Quant auxdites grilles, elles reflètent le contenu des programmes, en indiquant la chaîne ainsi que les date, heure et titre des émissions. Elles font l'objet de plusieurs projets successifs de plus en plus précis, jusqu'à la mise au point définitive de la grille hebdomadaire, environ deux semaines avant la diffusion. A ce stade, les grilles de programmes deviennent un produit commercialisable, comme l'indique la décision (point 7).

3 En ce qui concerne plus particulièrement la présente espèce, il est à noter que ITP se réservait l'exclusivité de la publication des grilles de programmes hebdomadaires de ITV et de Channel 4 dans son magazine de télévision, le "TV Times", spécialisé dans la présentation des programmes des deux chaînes susvisées.

4 Il ressort du dossier que la société requérante a été constituée en 1967 pour éditer un magazine national d'information sur les programmes de la télévision privée au Royaume-Uni. Au moment de l'adoption de la décision, ses actionnaires étaient les sociétés de télévision franchises par l'IBA en vue de fournir des émissions destinées à la chaîne de télévision ITV. (Entre-temps, ITP a été vendue à une société d'édition privée, Reed International PLC, entièrement indépendante des sociétés de télévision). Aux termes de leurs contrats, les sociétés de télévision franchisées par l'IBA étaient tenues de céder à ITP, pendant la durée desdits contrats, leur droit d'auteur sur les programmes des émissions d'ITV. Elles recevaient en contrepartie 70 % des bénéfices nets d'ITP attribuables aux ventes de son magazine de télévision. A l'inverse, la société Channel 4 Television Compagny Limited, qui était une filiale de l'IBA, cédait à ITP son droit d'auteur sur ses programmes d'émissions, diffusées sur Channel 4, sans contrepartie financière, compte tenu des coûts supportés par ITP pour assurer la publication et la publicité des programmes de Channel 4.

5 Conformément à son objet social,ITP édite au Royaume-Uni, à des fins commerciales, le magazine hebdomadaire de télévision "TV Times". Au moment des faits, le "TV Times", ne contenait aucune information sur les programmes diffusés par des chaînes autres que ITV et Channel 4. Publié en treize éditions régionales, il était vendu non seulement au Royaume-Uni, mais également en Irlande. Son prix s'élevait respectivement à 0,37 livre sterling et à 0,52 livre irlandaise. Le "TV Times" était diffusé chaque semaine, en moyenne, à 3 millions d'exemplaires. Il possédait, avec le guide de télévision de la BBC, le "Radio Times", le plus grand tirage hebdomadaire au Royaume-Uni, où l'achetaient environ 16 % des ménages possédant un poste de télévision. En Irlande, le "TV Times" était acheté par environ 2 % des ménages. Pour l'exercice 1985/1986, le "TV Times" a réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 59 millions de livres sterling et un bénéfice avant d'impôt de plus de 3,9 millions de livres sterling.

6 Au moment des faits, ITP pratiquait la politique suivante en ce qui concerne l'exploitation de son droit d'auteur sur les grilles de programmes d'ITV et de Channel 4. Elle diffusait gratuitement, sur demande, auprès de la presse quotidienne ou périodique, les programmes de ses émissions, accompagnés d'une licence non assortie du paiement d'une redevance, qui fixait les conditions dans lesquelles ces informations pouvaient être reproduites. Les programmes quotidiens et, la veille des jours fériés, les programmes de deux jours pouvaient ainsi être publiés dans la presse, sous réserve de certaines conditions relatives au format de cette publication. Etait en outre autorisée la publication des "points forts" des programmes télévisés de la semaine. ITP veillait au strict respect des conditions énoncées dans la licence en engageant, le cas échéant, une action judiciaire contre les publications qui ne s'y conformaient pas.

7 La mission d'édition Magill TV Guide Ltd (ci-après "Magill"), société constituée selon le droit irlandais, est une filiale à 100 % de la société Magill Publications Holding Ltd. Elle a été créée pour éditer en Irlande et en Irlande du Nord un magazine hebdomadaire d'informations sur les émissions de télévision captables par les téléspectateurs de la région, le "Magill TV Guide". Selon les indications fournies par les parties, cette publication a commencé en mai 1985. A l'origine, la revue se serait limitée à donner des informations sur les programmes de fin de semaine de la BBC, de RTE, de ITV et de Channel 4, ainsi que sur les temps forts de leurs programmes hebdomadaires. C'est à la suite de la publication, le 28 mai 1986, d'un numéro du "Magill TV guide" reproduisant l'intégralité des grilles de programmes hebdomadaires de l'ensemble des chaînes de télévision captables en Irlande - y compris ITV et Channel 4 - que le juge irlandais enjoint à la société Magill, par voie d'ordonnances provisoires rendues à la demande de la BBC, de RTE et de ITP, de cesser la publication des grilles de programmes hebdomadaires de ces trois sociétés. Consécutivement à cette injonction, Magill a mis fin à ses activités d'édition. L'affaire a été partiellement examinée au fond par la High Court, qui s'est prononcée, dans un jugement rendu le 26 juillet 1989 par le juge Lardner, sur la portée, en droit irlandais, du droit d'auteur en ce qui concerne les grilles de programmes. A cet égard, le jugement est ainsi libellé : "Les éléments de preuve produits m'ont convaincu que les grilles de programmes hebdomadaires, telles qu'elles sont publiées par "TV Times", constituent une œuvre littéraire originale et une 'compilation' au sens des articles 2 et 8 du Copyright Act de 1963, sur laquelle ITP était et est un droit de se prévaloir du droit d'auteur" ([1990] ILRM, p. 534, spécialement p. 557).

8 Auparavant déjà, dans la perspective de publier les grilles hebdomadaires complètes, Magill avait déposé une plainte devant la Commission, le 4 avril 1986, au titre de l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204 ; ci-après "règlement n° 17), en vue de faire constater que ITP, la BBC et RTE abusent de leur position dominante en refusant d'octroyer des licences pour la publication de leurs grilles de programmes hebdomadaires respectives. La Commission a décidé d'engager la procédure le 16 décembre 1987 et a adressé, le même mois, une communication des griefs à ITP. C'est à l'issue de cette procédure que la Commission a adopté, le 21 décembre 1988, la décision qui fait l'objet du présent recours.

9 Dans la décision, les produits en cause sont définis de la manière suivante à l'égard des trois entreprises visées. Il s'agit des grilles de programmes hebdomadaires publiées par ITP, la BBC et RTE, ainsi que des guides de télévision dans lesquels ces programmes sont publiés (point 20, premier alinéa, de la décision). Une grille des programmes comporte, selon la définition de la Commission, "une liste des émissions qui seront diffusées par ou pour le compte d'un organisme de radio ou télédiffusion au cours d'une période donnée et comprenant les informations suivantes : titre de chaque émission à diffuser, chaîne, date et heure de la diffusion" (point 7 de la décision).

La Commission constate qu'en raison du monopole de fait des organismes de radiotélédiffusion sur leurs grilles de programmes hebdomadaires respectives, les tiers intéressés par la publication d'un guide hebdomadaire de télévision "se trouvent dans une situation de dépendance économique caractéristique de l'existence d'une position dominante". De surcroît, poursuit la Commission, ce monopole est renforcé par un monopole légal dans la mesure où lesdits organismes revendiquent la protection du droit d'auteur sur leurs grilles respectives. Dans ces conditions, la Commission observe qu'"il ne peut exister sur les marchés en cause aucune concurrence de la part des tiers". La Commission en déduit que "ITP, la BBC et RTE occupent chacune une position dominante au sens de l'article 86" (point 22 de la décision).

10 Pour établir l'existence d'un abus, la décision se fonde plus spécialement sur les dispositions de l'article 86, deuxième alinéa, sous b), du traité, en vertu desquelles un abus est commis si une entreprise qui occupe une position dominante limite la production ou les débouchés au préjudice des consommateurs (point 23, alinéa premier, de la décision). La Commission estime en particulier qu'il existe sur le marché une "demande potentielle substantielle de guides TV généraux" (ibid., quatrième alinéa). Elle constate qu'en utilisant sa position dominante "pour empêcher l'introduction sur le marché d'un nouveau produit, à savoir un guide TV général hebdomadaire", la requérante abuse de cette position. Elle ajoute qu'un autre élément de l'abus est constitué par le ait que la requérante se réserve, grâce à la politique qui lui est reprochée en matière d'information sur ses programmes, le marché dérivé des guides hebdomadaires pour ces programmes (point 23 de la décision).

Dans ces conditions, la Commission récuse l'idée selon laquelle les faits incriminés seraient justifiés par la protection du droit d'auteur, en déclarant qu'en l'espèce ITP, la BBC et RTE "utilisent le droit d'auteur comme un instrument de l'abus, d'une manière telle qu'il sort du champ de l'objet spécifique de ce droit de propriété intellectuelle" (point 23, avant-dernier alinéa).

11 Quant aux mesures destinées à faire cesser l'infraction, l'article 2 du dispositif de la décision est libellé comme suit : "ITP, la BBC et RTE sont tenus de mettre fin immédiatement à l'infraction mentionnée à l'article premier en se fournissant mutuellement et en fournissant aux tiers sur demande et sur une base non discriminatoire leurs programmes d'émissions hebdomadaires établis à l'avance et en permettant la reproduction de ces programmes par ces parties. Cette exigence ne s'étend pas aux renseignements fournis en plus des programmes eux-mêmes, tels que définis dans la présente décision. S'ils choisissent de fournir et de permettre la reproduction de ces programmes au moyen de licences, les éventuelles redevances demandées par ITP, la BBC, et RTE doivent être d'un montant raisonnable. En outre, ITP, la BBC et RTE peuvent inclure dans les éventuelles licences accordées à des tiers des conditions qui seraient considérées comme nécessaires pour assurer une couverture complète et de grande qualité de toutes leurs émissions, y compris celles à destination de minorités et/ou à vocation régionale, et celles d'intérêt culturel, historique et éducatif. En conséquence, il est exigée des parties que, dans un délais de deux mois à compter de la notification de la présente décision, elles soumettent à la Commission des propositions pour approbation sur les conditions auxquelles elles considèrent que les tiers devraient être autorisés à publier les programmes hebdomadaires d'émissions établis à l'avance qui font l'objet de la présente décision".

12 Parallèlement au présent recours en annulation de la décision, la requérante a demandé, dans un recours formé le même jour, c'est-à-dire le 17 mars 1989, le sursis à l'exécution de l'article 2 de ladite décision, tout au moins en ce qu'il impose à ITP de fournir à des tiers sur demande et sur une base non discriminatoire ses grilles de programmes hebdomadaires, en vue de leur publication. Par ordonnance du 11 mai 1989, le président de la Cour a ordonné "le sursis à l'exécution de l'article 2 de la décision contestée, dans la mesure où cette disposition oblige les requérantes à mettre fin immédiatement à l'infraction constatée par la Commission en se fournissant mutuellement en en fournissant aux tiers sur demande et sur une base non discriminatoire leurs programmes d'émissions hebdomadaires établis à l'avance et en permettant la reproduction de ces programmes par ces parties" (affaires jointes 76, 77 et 91-89, Rec. p. 1141, point 20).

Dans le cadre du présent recours en annulation de la décision, la Cour a admis, par ordonnance du 6 juillet 1989, l'intervention de la société Magill a l'appui des conclusions de la Commission. La procédure écrite s'est partiellement déroulée devant la Cour, qui a renvoyé cette affaire devant le Tribunal par ordonnance du 15 novembre 1989, en application des dispositions de l'article 3, paragraphe 1, et de l'article 14 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé, à la fin de la procédure écrite, d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

Conclusions des parties

13 ITP, partie requérante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer la décision nulle et de nul effet ;

- condamner la Commission aux dépens exposés par ITP dans la présente procédure ;

- prescrire toute autre mesure qui lui paraîtra appropriée.

La Commission, partie défenderesse, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la requérante à payer les frais exposés par la Commission.

Sur la demande en annulation de la décision dans son ensemble

14 La requérante invoque deux moyens, pris respectivement de la violation de l'article 86 du traité et de l'insuffisance de motivation, à l'appui de sa demande en annulation de la décision, en ce qu'elle constate l'existence d'une infraction audit article.

Sur la violation de l'article 86 du traité

Arguments des parties

15 En premier lieu, la requérante soutient que la condition d'application de l'article 86 relative à la détention d'une position dominante n'est pas remplie. Elle conteste à cet égard la définition du marché en cause retenue dans la décision. Selon la requérante, les produits en cause sont représentés par l'ensemble des "guides de télévision". A la différence de la Commission, elle prétend, en effet, que les grilles de programmes hebdomadaires et les guides de télévision dans lesquels elles sont publiées ne constituent pas un sous-marché du marché de l'information relative aux programmes de télévision en général, sur lequel, souligne-t-elle, elle ne détient pas de position dominante.

16 La requérante allègue en ce sens que de multiples sources d'information sur les programmes télévisuels, comme la presse quotidienne ou hebdomadaire, ainsi que les journaux du dimanche, qui publient tous une rubrique complète des programmes du jour ou du week-end, peuvent se substituer à "TV Times", tant du point de vue des annonceurs que des usagers. En ce qui concerne ces derniers, l'intensité de la concurrence à laquelle est exposé "TV Times", sur le marché de la presse en général, serait attestée par le fait que 80 % des téléspectateurs obtiennent leurs informations sur les programmes d'ITV et de Channel 4 auprès de sources autres que "TV Times". Un raisonnement similaire s'appliquerait également aux grilles de programmes elles-mêmes. La requérante considère en effet que les "listings" des programmes valables pour un ou deux jours constituent des produits de substitution par rapport aux grilles hebdomadaires, qui ne pourraient donc être considérées comme un marché distinct.

17 La requérante fait subsidiairement valoir que, même si le marché en cause était constitué par les grilles de programmes hebdomadaires d'ITV et de Channel 4, elle n'occuperait pas une position dominante au sens de l'article 86, puisque lesdites grilles ne sont pas fournies par elle, mais par les sociétés de télévision. En outre, elle observe que le monopole légal découlant de son droit d'auteur sur lesdites grilles ne doit pas être confondu avec la notion économique de position dominante aux fins de l'application de l'article 86. Elle se fonde à cet égard sur l'arrêt rendu par la Cour le 8 juin 1971, dans l'affaire Deutsche Grammaphon (78-70, Rec. p. 487, spécialement point 16).

18 En second lieu, la requérante conteste le caractère abusif, au sens de l'article 86, de sa politique en matière d'information sur ses programmes. Elle fait essentiellement valoir qu'en adoptant le comportement qui lui est reproché dans la décision, elle s'est limitée à protéger l'objet spécifique de son droit d'auteur sur ses propres grilles de programmes, ce qui ne saurait constituer un abus au sens de l'article 86. A cet égard, elle relève que la décision a pour effet de priver le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle de son droit exclusif de reproduction et de premier commercialisation du produit protégé, ce qui reviendrait à substituer au droit d'auteur, tel qu'il est défini en droit national, un autre droit, à savoir "le droit d'accorder des licences".

19 A l'appui de sa thèse, la requérante développe l'argumentation suivante. Elle invoque tout d'abord la distinction établie par la Cour entre, d'une part, l'existence d'un droit de propriété intellectuelle - c'est-à-dire la nature et le contenu dudit droit -, qui relève du droit national et, d'autre part, l'exercice d'un tel droit, qui relève du droit communautaire et notamment des règles de la concurrence (v. notamment l'arrêt du 29 février 1968, Parke Davis, 24-67, p. 81, spécialement p. 110 et 111). A cet égard, elle rappelle que la Cour a jugé, dans son arrêt du 14 septembre 1982, que, en l'absence d'harmonisation ou d'unification au niveau communautaire, c'est la réglementation nationale qui est compétente pour fixer les conditions et les modalités de la protection conférée par un droit de propriété intellectuelle, et notamment pour déterminer quels sont les produits protégés (Keurkoop, 144-81, Rec. p. 2853, point 18). Poursuivant sa démonstration, elle remarque que l'utilisation d'un droit de propriété intellectuelle conformément à la législation nationale ne constitue pas, en soi, une infraction à l'article 86 (arrêts du 9 avril 1987, Basset, 402-85, Rec. p. 1747, point 18, et du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon 78-70, précité). Elle observe en particulier que la Cour a consacré le principe suivant lequel l'exercice d'un droit de propriété intellectuelle n'enfreint pas le traité lorsqu'il est justifié par "la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique" de ce droit de propriété intellectuelle (ibid., point 11). Or, précise-t-elle, il ressort de l'analyse de la jurisprudence de la Cour que l'objet spécifique du droit d'auteur comprend le droit exclusif de reproduction et de première commercialisation du produit protégé, ainsi que le droit de l'opposer à toute contrefaçon (les arrêts du 20 janvier 1981, Musik-Vertrieb Membran, 55 et 57-80, Rec. p. 147, point 25 ; du 17 mai 1988, Warner Brothers, 158-86, Rec. p. 2605, et du 24 janvier 1989, EMI Electrola, 341-87, Rec. p. 79). Ceci a pour corollaire, ajoute la requérante, que le titulaire du droit d'auteur n'est pas tenu d'accorder des licences à des tiers, même en contrepartie d'une redevance acceptable, comme la Cour l'a confirmé, il est vrai, en matière de brevet pour modèle ornemental, dans son arrêt du 5 octobre 1988 (Volvo, 238-87, Rec. p. 6211).

20 En ce qui concerne la présente espèce, la requérante en déduit que le fait que sa politique empêche l'apparition d'un nouveau produit sur le marché, à savoir un magazine hebdomadaire de télévision, et lui permet de se réserver le marché dérivé des guides hebdomadaires de télévision, ne transforme pas en abus l'usage légitime qu'elle fait de son droit d'auteur, puisqu'elle se serait limitée à exercer son droit exclusif de première mise ne circulation. La question de savoir s'il existe, sur le marché, une demande potentielle pour des guides hebdomadaires généraux serait donc dénuée de pertinence.

21 En effet, pour que l'exploitation d'un droit de propriété intellectuelle puisse être qualifiée d'abusive au sens de l'article 86, il faut, selon la requérante, un élément supplémentaire, qui se matérialise par "une action abusive touchant les modalités d'exercice [dudit] droit". La requérante allègue, à l'appui de sa thèse, que la Cour a jugé, dans l'arrêt Deutsche Grammophon, que l'exercice d'un droit de propriété intellectuelle peut tomber sous la prohibition énoncée par l'article 85, paragraphe 1, du traité, "chaque fois qu'il apparaîtrait comme étant l'objet, le moyen ou la conséquence d'une entente qui, en interdisant les importations en provenance d'autres Etats membres de produits licitement mis en commerce dans ces Etats, aurait pour effet de cloisonner le marché" (78-80, précité, point 6). A cet égard, elle estime qu'en l'espèce, la condition relative à la présence d'un élément supplémentaire, constitutif d'un abus, n'est pas remplie. En effet, ITP n'aurait pas agi de façon abusive ou anormale dans l'exercice de son droit d'auteur et la Commission n'alléguerait d'ailleurs rien de tel dans la décision. Plus précisément, la façon dont ITP a mis en œuvre son droit d'auteur aurait été cohérente et non discriminatoire. ITP n'aurait pas non plus fait usage de ses droits de manière illicite ou dans le but de faire obstacle au commerce interétatique. Enfin, elle n'aurait pas pratiqué des prix excessifs.

22 En outre, la requérante argue que les actes incriminés ne correspondent pas à l'hypothèse d'abus visée à l'article 86, deuxième alinéa, sous b), sur lequel se base la décision. A cet égard, elle fait grief à la Commission de ne présenter aucune preuve suffisante du préjudice causé aux consommateurs. Elle soutient que pour déterminer si un tel préjudice existe, il convient de faire le bilan des avantages et des inconvénients de la pratique litigieuse, en confrontant notamment les intérêts des diverses catégories de consommateurs. Pour dresser ce bilan, il faudrait également, estime la requérante, vérifier si, en cas de délivrance à titre onéreux d'autorisations de publier les grilles hebdomadaires, le maintien des autorisations, à titre gratuit, de publier les grilles de programmes quotidiens, ne présenterait pas un caractère discriminatoire.

23 Enfin, la requérante fait valoir que l'octroi, à des tiers, de licences pour les grilles de programmes hebdomadaires risquerait de compromettre la viabilité commerciale du "TV Times" sur une base régionale et, par voie de conséquence, la promotion des programmes s'adressant à une minorité ou présentant un caractère historique, culturel ou éducatif, qui remplissent une mission de service public.

24 La Commission rejette l'ensemble de l'argumentation de la requérante en ce qui concerne le moyen pris de la violation de l'article 86.

25 En vue d'établir l'existence d'une position dominante, la Commission reprend les arguments à la base de la motivation de la décision. Elle affirme en substance que chacune des requérantes détient une position dominante sur deux marchés étroits. Le premier concerne ses propres grilles de programmes pour la semaine suivante, dont elle détient le monopole. Le second est le marché des magazines hebdomadaires de télévision, qui constitue, selon la Commission, un sous-marché distinct du marché général des publications quotidiennes et hebdomadaires, car il est le seul à offrir un produit spécifique - en l'occurrence des informations complètes sur les programmes hebdomadaires de ITV et de Channel 4 - pour lequel existerait une demande spécifique de la part des téléspectateurs. La Commission souligne à cet égard qu'au moment des faits, l'Irlande et le Royaume-Uni étaient les seules Etats membres dans lesquels il n'existait aucun guide hebdomadaire général de télévision, susceptible de concurrencer la revue "TV Times", qui se trouvait ainsi en situation de monopole.

26 Pour démonter le caractère abusif du comportement incriminé, la Commission développe son raisonnement en partant de la prémisse - qu'elle a expressément admise durant la procédure orale - selon laquelle les grilles de programmes bénéficient, en droit interne, de la protection du droit d'auteur. Elle soutient, en premier lieu, que, même dans ces conditions, les politiques et pratiques litigieuses suivies par la requérante ne sont pas couvertes de la protection du droit d'auteur telle qu'elle est reconnue en droit communautaire.

27 Dans cette perspective, la Commission met tout d'abord en relief, de manière générale, l'incompatibilité, avec les règles communautaires, du droit national consacrant l'existence d'un droit d'auteur sur les grilles de programmes. Elle rappelle au préalable que, selon une jurisprudence bien établie, l'industrie de la télévision est soumise aux règles communautaires (voir notamment l'arrêt de la Cour du 6 octobre 1982, Coditel, 262-81, Rec. p. 3381). Elle souligne qu'une réglementation nationale instituant un droit d'auteur sur les grilles de programmes permettrait aux sociétés de radiotélédiffusion d'utiliser un monopole légal légitime en matière de diffusion des programmes radiotélévisuels sur une fréquence particulière, pour conserver un monopole illégitime sur le marché annexe, situé en aval, des publications de ce, Rec. p. 93).

La requérante soutient, en particulier, que l'argumentation de la défenderesse, fondée sur la mise en cause de a comptabilité, avec le droit communautaire, de la législation nationale prévoyant la couverture des grilles de programmes par le droit d'auteur, est irrecevable au stade de la procédure judiciaire, en raison de sa nouveauté. Dans cette perspective, elle souligne l'irrecevabilité de l'argument selon lequel le droit d'auteur sur les grilles de programmes constitue un "droit d'auteur sur les faits et les idées". Seraient de même irrecevables les allégations de la Commission relatives au caractère arbitraire et discriminatoire du comportement incriminé qui, elles aussi, ne figurent ni dans la communication des griefs ni dans la décision. Sous ce dernier aspect, la requérante observe que les motifs exposés au point 23 de la décision ne seraient pas infirmés, à supposer qu'ils soient fondés, si ITP n'avait jamais accordé aucune licence à des tiers. Cela démontrerait que la décision n'est pas fondée que la constatation d'une discrimination. Il en résulterait, selon la requérante, que l'existence d'une discrimination ne peut pas justifier la décision puisqu'elle ne constitue pas son fondement. En outre, la requérante conteste la recevabilité du moyen, uniquement invoqué par Magill, tiré de l'existence alléguée d'un accord tacite entre la BBC, ITP et RTE. Ledit moyen est pris, note la requérante, d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité et s'avère dès lors irrecevable.

38 Quand au fond, la requérante observe que, en ce qui concerne le caractère prétendument abusif de sa politique en matière de licences, la Commission n'affronte pas la difficulté inhérente au fait que le refus d'autoriser la reproduction des grilles de programmes ne peut pas constituer un abus, car une telle solution impliquerait la perte, pour le titulaire, de la substance de son droit d'exclusivité. A cet égard, la nature du bien protégé par le droit d'auteur et la valeur relative de celui-ci seraient dépourvues de pertinence, pour apprécier la portée de ce droit. La requérante note, en effet, que l'objet essentiel et la justification du droit d'auteur sont les mêmes que les produits protégés soient ou non inédits ou liés au "secret d'affaires" ou à une activité de recherche. Ainsi, la réglementation relative au droit d'auteur, en Irlande et au Royaume-Uni, ne prendrait-elle pas en considération le caractère, selon l'expression de la Commission, "banal" ou non de l'œuvre, qui relève d'ailleurs, estime la requérante, d'une appréciation purement subjective.

39 A cet égard, la requérante ajoute que la question n'est pas en droit, dans le cadre d'une procédure en constatation d'une infraction au droit communautaire de la concurrence, dirigée contre une entreprise, de mettre en cause la comptabilité d'une réglementation nationale, relative au droit d'auteur, avec le droit communautaire. Selon la requérante, une telle question ne peut être examinée que dans le cadre d'une action en manquement, en vertu de l'article 169 du traité.

40 En outre, la requérante rejette la thèse de la Commission, relative à sa prétendue "politique discriminatoire d'octroi de licences", qui consisterait à réserver l'autorisation de publier les éléments protégés à certaines catégories de tiers et à exclure, parmi ces derniers, ceux désirant publier un magazine général hebdomadaire de télévision. Après avoir précisé que la discrimination se définit essentiellement comme une différence de traitement de situations objectivement similaires, elle conteste le caractère discriminatoire de sa politique, en faisant valoir qu'elle est déposée à accorder des licences à tout journal, périodiquement ou magazine, dans les conditions appliquées jusqu'alors. Dans le même ordre d'idées, elle rejette l'argument avancé par la partie intervenante, selon lequel le comportement incriminé aurait dépassé l'objet spécifique du droit d'auteur, parce qu'après avoir consenti à la publication de ses grilles de programmes par des tiers, ITP a restreint les conditions auxquelles ceux-ci pouvaient les publier. La requérante fait valoir à cet égard que, juridiquement, le titulaire d'un droit d'auteur poursuivant une politique libérale et accordant des licences sous certaines conditions, ne s'assujettit pas, de ce fait, à une obligation d'octroyer des licences sans restrictions.

41 Pour réfuter l'idée selon laquelle le comportement incriminé reviendrait à étendre un monopole légal légitime en matière de radiotélédiffusion au domaine annexe de la publication des programmes télévisuels, ITP soutient qu'elle en détient aucun monopole légale en matière de radiotélédiffusion.

42 La Commission, pour sa part, écarte cet argument en faisant valoir qu'au moment de l'adoption de la décision, ITP appartenait aux diverses sociétés de radiotélédiffusion privées alimentant la chaîne de télévision ITV.

43 Par ailleurs, la Commission estime, à l'inverse de la requérante, que les arguments de droits et de fait qu'elle avance dans le cadre de la présente procédure se limitent à amplifier, clarifier et renforcer les considérations sous-jacentes aux motifs de la décision, avec lesquels ils coïncideraient donc parfaitement. En serait-il autrement, la Commission considère que cela n'affecterait nullement, contrairement aux allégations de la requérante, les droits de la défense de la société requérante devant le Tribunal ou au cours de la procédure administrative, mais conduirait tout au plus à une insuffisance ou à une erreur de motivation de la décision, ce qui ne serait en l'occurrence pars le cas. L'institution défenderesse rappelle en effet que la Cour a jugé qu'il n'est pas nécessaire de "motiver d'une manière indépendante et exhaustive" chaque partie de la décision lorsqu'"une motivation suffisante peut être déduite du contexte de toutes les constatations invoquées à l'appui de l'ensemble de la décision" (arrêt du 20 mars 1957, Geitling/Haute Autorité, 2-56, Rec. p. 9, spécialement p. 36). En l'occurrence, les principaux points de fait et d droit à la base de la décision, même s'ils ont été exposés de manière succincte, auraient été clairement explicités.

44 La Commission observe en particulier que le fait de présumer, dans la décision, que les données en question restent couvertes par le droit d'auteur, est entièrement compatible avec le fait d'évoquer, au stade du contrôle juridictionnel, la possibilité qu'un tel droit d'auteur ne devrait pas exister en ce qui concerne les compilations de données banales.

Quant à la constatation du caractère abusif du comportement de la requérante, la Commission soutient que les qualificatifs d'arbitraire et de discriminatoire, appliqués à ce comportement, ne relèvent aucun concept nouveau, même s'ils n'ont pas été utilisés au cours de la procédure administrative. Ils décrivent l'abus résultant de ce que la politique d'octroi de licences de la requérante établissait "une discrimination à l'encontre d'un nouveau produit, apparu sous forme d'un magazine général qui concurrencerait le magazine de [la requérante], tout en encourageant la publicité de ses émissions dans les quotidiens".

45 Sur le fond, la Commission a relevé, lors de l'audience, que les inquiétudes exprimées par la requérante, à propos de la viabilité du magazine "TV Times", au cas où il serait confronté à la concurrence de magazines généraux de télévision, ont té démenties, dans l'intervalle, à la suite de l'adoption, en 1990, du Broadcasting Act par le législateur britannique. Les modifications introduites par cette loi auraient en effet conduit la BBC et ITP à publier, dès le mois de mars 1991, leurs guides respectifs sous la forme de magazines multichaînes, informent les téléspectateurs sur les programmes de la BBC, de ITV, de Channel 4 et des chaînes distribuées par satellite.

Appréciation en droit

46 Au vu des arguments échangés par les parties, exposés ci-dessus, le contrôle du Tribunal, en ce qui concerne le bien-fondé du moyen pris de la violation de l'article 86 doit porter sur trois points. Il convient tout d'abord d'examiner la définition du marché des produits en cause, avant de déterminer, en second lieu, la position de la requérante sur ledit marché. Dans un troisième temps, le Tribunal doit vérifier si le comportement incriminé présente ou non un caractère abusif.

La définition des produits en cause

47 En ce qui concerne la délimitation du marché des produits en cause, constitués, aux termes de la décision, par les grilles de programmes hebdomadaires de la requérante ainsi que les guides de télévision dans lesquels lesdites grilles sont publiées, le Tribunal constate que, contrairement aux allégations de la requérante, les produits ainsi définis représentent des marchés spécifiques, qui ne sauraient être assimilés au marché de l'information sur les programmes de télévision en général.

48 En effet, le marché des grilles hebdomadaires et celui des magazines de télévision, dans lesquels elles sont publiées, constituent des sous-marchés du marché de l'information sur les programmes télévisés en général. Ils offrent un produit, l'information sur les programmes hebdomadaires, pour lequel existe une demande spécifique, tant de la part des tiers désireux de publier et de commercialiser un guide général de télévision que de la part des téléspectateurs. Les premiers se trouvent dans l'impossibilité d'éditer un tel guide s'ils ne disposent pas de l'ensemble des grilles de programmes hebdomadaires qui peuvent être captés sur le marché géographique concerné. En ce qui concerne les seconds, il est à noter, comme l'a établi à juste titre la Commission dans la décision, que les informations sur les programmes disponibles sur le marché au moment de l'adoption de la décision, à savoir la liste complète des programmes pour une période de 24 heures, voire de 48 heures en fin de semaine ou la veille des jours fériés, publiée dans certains quotidiens et journaux du dimanche, ainsi que les rubriques de télévision de certains magazines, renfermant, en outre, les "points forts" des programmes de la semaine, ne sont que dans une faible mesure susceptibles de se substituer à une information préalable des téléspectateurs sur l'ensemble des programmes hebdomadaires. En effet, seuls des guides hebdomadaires de télévision, contenant l'intégralité des grilles de programmes de la semaine à venir, permettent aux usagers de prévoir à l'avance les émissions qu'ils souhaitent suivre et, le cas échéant, de planifier en conséquence leurs activités de loisirs de la semaine.

Cette faible substituabilité des informations sur les programmes hebdomadaires est attestée en particulier par le succès remporté, à l'époque considérée, par les magazines de télévision spécialisés, qui étaient seuls présents sur le marché des guides hebdomadaires en Irlande et au Royaume-uni et, dans le reste de la Communauté, par les guides généraux de télévision disponibles sur le marché dans les autres Etats membres. Ceci démontre clairement l'existence d'une demande potentielle spécifique, constante et régulière, de la part des téléspectateurs, en l'occurrence d'Irlande et d'Irlande du Nord, pour des guides de télévision contenant l'ensemble des grilles de programmes télévisés de la semaine, quelles que soient par ailleurs les autres sources d'informations sur les programmes disponibles sur le marché.

L'existence d'une position dominante

49 Quant à la position de la requérante sur le marché en cause, le Tribunal relève que ITP disposait, grâce au droit d'auteur sur les grilles de programmes des chaînes ITV et Channel 4, qui lui avait été cédé par les sociétés télévision alimentant lesdites chaînes, du droit exclusif de reproduire et de mettre sur le marché les grilles susvisées. Cette circonstance lui a permis, au moment des faits incriminés, de s'assurer le monopole de la publication de ces mêmes grilles hebdomadaires dans un magazine spécialisé dans les propres programmes de ITV et de Channel 4, le "TV Times". Il en résulte que la requérante occupait manifestement, à l'époque considérée, une position dominante, tant sur le marché représenté par ses grilles hebdomadaires, que sur celui des magazines dans lesquels elles étaient publiée, en Irlande et en Irlande du Nord. En effet, les tiers, tels que la société Magill, désireux d'éditer un magazine général de télévision, se trouvaient dans une situation de dépendance économique à l'égard de la requérante, qui avait ainsi la possibilité de s'opposer à l'apparition de toute concurrence effective sur le marché de l'information sur ses programmes hebdomadaires (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 30).

L'existence d'un abus

50 Après avoir établi que la requérante occupait une position dominante au moment des faits incriminés, il y a lieu de vérifier si sa politique en matière de diffusion de l'information sur les programmes hebdomadaires de ITV et de Channel 4, fondée sur l'exploitation de son droit d'auteur sur les grilles de programmes, présentait ou non un caractère abusif au sens de l'article 86. A cette fin, il convient d'interpréter l'article 86 en liaison avec le droit d'auteur sur les grilles de programmes.

51 En l'absence d'harmonisation des règles nationales ou d'unification dans le cadre de la Communauté, la fixation des conditions et des modalités de la protection du droit d'auteur relève de la compétence nationale. Cette répartition des compétences en matière de droits de propriété intellectuelle a été expressément consacrée par la Cour dans l'arrêt du 14 septembre 1982 (Keurkoop, 144-81, précité, point 18) et confirmée notamment dans les arrêts du 5 octobre 1988 (Renault, 53-87, précité, point 10, et Volvo, 238-87, précité, point 7).

52 Les rapports entre les droits nationaux de propriété intellectuelle et les règles générales de droit communautaire sont expressément régis par l'article 36 du traité, qui prévoit la possibilité de déroger aux règles relatives à la libre circulation des marchandises pour des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, cette dérogation est explicitement assortie de certaines réserves. En effet, la protection des droits de propriété intellectuelle conférée par les législations nationales est uniquement reconnue, en droit communautaire, dans les conditions énoncées à l'article 36, deuxième phrase. Aux termes de cette disposition, les restrictions à la libre circulation résultant de la protection de la propriété intellectuelle "ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres". L'article 36 souligne ainsi que la conciliation neutre les exigences de la libre circulation des marchandises et le respect dû aux droits de propriété intellectuelle doit être opérée de manière à protéger l'exercice légitime de ces droits, qui seul est justifié au sens de cet article, et à exclure tout exercice abusif, de nature à cloisonner artificiellement le marché ou à porter atteinte au régime de la concurrence dans la Communauté. L'exercice des droits de propriété intellectuelle conférés par la législation nationale doit, par conséquent, être limité dans la mesure nécessaire à cette conciliation (voir l'arrêt du 14 septembre 1982, Keurkoop, 144-81, précité, point 24).

53 En effet, dans le système du traité, l'article 36 doit être interprété "dans la perspective des objectifs et des actions de la Communauté, tels qu'ils sont définis par les articles 2 et 3 du traité", comme l'a rappelé la Cour dans son arrêt du 9 février 1982 (Polydor, 270-80, Rec. p. 329, point 16). Il doit, en particulier, être apprécié compte tenu des exigences liées à l'établissement d'un régime de libre concurrence à l'intérieur de la Communauté, visé à ce même article 3,; sous f), lesquelles s'expriment notamment à travers les interdictions énoncées aux articles 85 et 86 du traité.

54 A cet égard, il résulte de l'article 36, tel qu'il a été interprété par la Cour à la lumière des objectifs poursuivis par les articles 85 et 86 ainsi que par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises ou des services, que seules les restrictions à la libre concurrence ou à la libre circulation des marchandises ou des services, inhérentes à la protection de la substance même du droit de propriété intellectuelle, sont admises en droit communautaire. La Cour a en effet jugé, dans son arrêt du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, relatif à un droit voisin du droit d'auteur, que, "s'il permet des interdictions ou restrictions à la libre circulation des produits justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale, l'article 36 n'admet de dérogations à cette liberté que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété" (78-70, précité, point 11 ; voir également les arrêts du 18 mars 1980, Coditel, 62-79, Rec. p. 881, point 14 ; du 22 janvier 1981, Dansk Supermarked, 58-80, Rec. p. 181, point 11 ; du 6 octobre 1982, coditel, 262-81, précité, point 12 ; en ce qui concerne les droits intellectuels autres que le droit d'auteur, voir les arrêts du 31 octobre 1974, Centrafarm, 16-74, Rec. p. 1183 ; du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche, 102-77, Rec. p. 1139, point 8 ; du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193-83, Rec. p. 611, point 45 ; du 5 octobre 1988, Renault, 53-87, point 11, et Volvo, 238-87, point 8, précités, et du 17 octobre 1990, Hag GF, C-10-89, Rec. p. I-3711, point 12).

55 Il est constant que la protection de l'objet spécifique du droit d'auteur confère, en principe, à son titulaire, le droit de se réserver l'exclusivité de la reproduction de l'œuvre protégée. La Cour l'a expressément admis dans son arrêt du 17 mai 1988, Warner Brothers, dans lequel elle a jugé que "les deux prérogatives essentielles de l'auteur, le droit exclusif de représentation et le droit exclusif de reproduction, ne sont pas mises en cause par les règles du traité" (158-86, précité, point 13 ; voir également l'arrêt du 24 janvier 1989, EMI Electrola, 341-87, précité, points 7 et 14).

56 Néanmoins, s'il est certain que l'exercice du droit exclusif de reproduction de l'œuvre protégée ne présente pas, en soi, un caractère abusif, il en va différemment lorsqu'il apparaît, au vu des circonstances propres à chaque cas d'espèce, que les conditions et modalités d'exercice du droit exclusif de reproduction de l'œuvre protégée poursuivent, en réalité, un but manifestement contraire aux objectifs de l'article 86. En effet, dans une telle hypothèse, l'exercice du droit d'auteur ne répond plus à la fonction essentielle de ce droit, au sens de l'article 36 du traité, qui est d'assurer la protection morale de l'œuvre et la rémunération de l'effort créateur, dans le respect des objectifs poursuivis en particulier par l'article 86 (voir, en matière de brevets, les arrêts de la Cour du 14 juillet 1981, Mer, 187-80, Rec. p. 2063, point 10, et du 9 juillet 1985, Pharmon, 19-84, Rec. p. 2281, point 26, et, en matière de droit d'auteur, l'arrêt du 17 mai 1988, Warner Brothers, 158-86, précité, point 15). Dans ce cas, la primauté qui s'attache au droit communautaire, notamment pour des principes aussi fondamentaux que ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence, l'emporte sur une utilisation, non conforme à ces principes, d'une règle nationale édictée en matière de propriété intellectuelle.

57 Cette analyse est confirmée par la jurisprudence de la Cour, qui a jugé, dans ses arrêts du 5 octobre 1988, Volvo, invoqué par la Commission, et Renault, précités, que l'exercice d'un droit exclusif, relevant, en principe, de la substance du droit intellectuel en cause, peut toutefois être interdit par l'article 86, s'il donne lieu, de la part de l'entreprise en position dominante, à certains comportements abusifs. Les questions posées à la Cour dans le cadre de ces deux recours préjudiciels portaient sur la régularité du comportement des deux constructeurs d'automobiles, qui se réservaient l'exclusivité de la fabrication et de la commercialisation des pièces de rechange pour les véhicules qu'ils produisaient, en faisant valoir leurs modèles déposés sur lesdites pièces. A cet égard, la Cour a cité, à titre d'exemples de comportements abusifs au sens de l'article 86, le refus arbitraire de livrer lesdites pièces à des réparateurs indépendants, la fixation des prix des pièces de rechange à un niveau inéquitable ou la décision de ne plus produire de pièces de rechange pour un certain modèle alors que beaucoup de voitures de ce modèle circulent encore (Volvo, 238-87, point 9, Renault, 53-87, point 18, précités).

58 Dans la présente espèce, il y a lieu de noter que la société requérante, en se réservant l'exclusivité de la publication de ses grilles de programmes hebdomadaires de télévision, faisait obstacle à la venue sur le marché d'un produit nouveau, à savoir un magazine général de télévision, susceptible de concurrencer son propre magazine, le "TV Times". La requérante exploitait de la sorte son droit d'auteur - qui lui avait été cédé par les sociétés de télévision - sur les grilles de programmes élaborées dans le cadre de l'activité de télédiffusion, pour s'assurer un monopole sur le marché dérivé des guides hebdomadaires de télévision, en Irlande et en Irlande du Nord. A cet égard, il apparaît significatif que, par ailleurs, la requérante autorisait gratuitement la publication de ses grilles quotidiennes et des points forts de ses programmes hebdomadaires, dans la presse, en Irlande et au Royaume-Uni. En outre, dans les autres Etats membres, elle autorisait également, sans exiger de redevance, la publication de ses grilles hebdomadaires.

Un comportement de ce type - qui se caractérise par l'obstacle mis à la production et à la commercialisation d'un produit nouveau, pour lequel existe une demande potentielle de la part des consommateurs, sur le marché annexe des guides hebdomadaires de télévision, et par l'exclusion corrélative de toute concurrence dudit marché, dans le seul but de maintenir le monopole de la requérante - va manifestement au-delà de ce qui est indispensable à la réalisation de la fonction essentielle du droit d'auteur, telle qu'elle est admise en droit communautaire. En effet, le refus de la requérante d'autoriser les tiers à publier ses grilles hebdomadaires présentait, en l'occurrence, un caractère arbitraire, dans la mesure où il n'était pas justifié par les exigences propres à l'activité d'édition de magazines de télévision. La requérante avait donc la possibilité de s'adapter aux conditions d'un marché des magazines de télévision ouvert à la concurrence, pour assurer la viabilité commerciale de son hebdomadaire, le "TV Times". Dans ces conditions, les faits incriminés ne peuvent pas être couverts, en droit communautaire, par la protection résultant du droit d'auteur sur les grilles de programmes.

59 A l'appui de cette constatation, il convient encore de souligner que, contrairement aux allégations de la requérante, son refus d'autoriser les tiers à publier ses grilles hebdomadaires de programmes se distingue du refus des sociétés Volvo et Renault, examiné dans les arrêts du 5 octobre 1988, précités, d'accorder à des tiers des licences pour la fabrication et la mise sur le marché de pièce de rechange. En effet, dans la présente espèce, la reproduction exclusive de ses grilles de programmes par la requérante avait pour objet et pour effet d'exclure toute concurrence potentielle sur le marché dérivé représenté par l'information relative aux programmes hebdomadaires diffusés sur les chaînes ITV et Channel 4, afin d'y maintenir le monopole détenu par la requérante, à travers la publication du magazine "TV Times". Du point de vue des entreprises tierces intéressées par la publication d'un magazine de télévision, le refus de la requérante d'autoriser, sur demande et de manière non discriminatoire, tout tiers à publier ses grilles de programmes s'apparentait donc, comme le souligne à juste titre la Commission, au refus arbitraire d'un constructeur automobile de livrer des pièces de rechange - produites dans le cadre de son activité principale de construction automobile - à un réparateur indépendant, exerçant son activité sur le marché dérivé de l'entretien et des réparations des véhicules automobiles. En outre, le comportement reproché à la requérante s'opposait radicalement à l'apparition sur le marché d'un certain type de produits, les magazines généraux de télévision. Par conséquent, dans la mesure où il se caractérisait plus particulièrement, sous cet aspect, par l'absence de prise en considération des besoins des consommateurs, le comportement incriminé présentait aussi une certaine similitude avec l'hypothèse - envisagée par la Cour dans les arrêts précités - de la décision éventuelle d'un constructeur automobile de ne plus fabriquer de pièces de rechange pour certains modèles, alors que subsiste encore une demande sur le marché (Volvo, 238-87, précité, point 9, et Renault, 53-87, point 18, précités). Il ressort donc de cette comparaison que les faits reprochés à la requérante ne relèvent pas, selon les critères consacrés dans la jurisprudence invoquée par les parties, de la substance même du droit d'auteur.

60 Au vu des considérations qui précèdent, le Tribunal constate que, bien que les grilles de programmes aient été couvertes, au moment des faits litigieux, par le droit d'auteur, tel qu'il est consacré par le droit national qui demeure compétent pour déterminer les modalités de cette protection, le comportement incriminé n'était pas susceptible de bénéficier de cette protection, dans le cadre de la nécessaire conciliation qui doit s'opérer entre les droits de propriété intellectuelle et les principes fondamentaux du traité relatifs à la libre circulation des marchandises et à la libre concurrence. En effet, ce comportement poursuivait des objectifs manifestement antinomiques avec ceux de l'article 86.

61 Pour l'ensemble de ces motifs, le moyen fondé sur la violation de l'article 86 doit être rejeté comme non fondé.

Sur l'insuffisance de motivation

62 La requérante soutient que la décision méconnaît l'obligation de motivation, énoncée à l'article 190 du traité, sous deux aspects. D'une part, en ce qui concerne la position de la requérante sur le marché, la Commission n'aurait pas clairement défini, aux points 20 et 22 de la décision, le marché ou les marchés considérés. Cette confusion se serait encore accrue durant la présente procédure en raison de l'utilisation, dans le mémoire en défense, de termes divers, désignant des catégories d'articles légèrement différents pour décrire les produits en cause et, en particulier, à cause de la référence à "un type de marché entièrement nouveau, celui de l'information". Dans ces conditions, la Commission aurait manqué à son obligation essentielle de définir le marché concerné et il serait impossible de déterminer si ITP détient une position dominante. D'autre part, avant d'établir l'existence d'un abus, la Commission n'aurait pas suffisamment analysé le rapport entre le droit d'auteur et l'article 86, bien que cette question ait été au centre de l'argumentation développée par la requérante durant la procédure administrative. L'institution défenderesse se serait en particulier abstenue de définir "le champ de l'objet spécifique du droit d'auteur". Elle n'aurait pas non plus indiqué les motifs pour lesquels elle a estimé que le comportement incriminé dépassait l'objet spécifique dudit droit. La requérante allègue que la décision fait intervenir à cet égard des principes juridiques inédits et nécessite par conséquent un exposé des motifs particulièrement clair.

63 La Commission fait valoir, pour sa part, que la décision attaquée contient tous les éléments nécessaires aux parties pour savoir quelle est leur situation et au Tribunal pour exercer son contrôle sur la décision.

64 A cet égard, le Tribunal constate que la Commission a clairement défini au point 20, alinéa premier, de la décision, les produits en cause : il s'agit des grilles de programmes hebdomadaires de la requérante ainsi que des guides de télévision dans lesquels ces grilles sont publiées.

Le grief selon lequel le marché en cause n'a pas été défini ou l'a été de manière équivoque, dans la décision, ne saurait donc être accueilli. De même, en ce qui concerne la notion d'abus, la Commission a clairement indiqué, dans la décision, les raisons pour lesquelles elle a constaté qu'en utilisant son droit exclusif de reproduction des grilles comme l'instrument d'une politique contraire aux objectifs visés par l'article 86, la requérante est allée au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la substance même du droit d'auteur et a commis un abus au sens de l'article 86. Contrairement aux allégations de la requérante, la motivation de la décision attaquée permet donc aux intéressés de connaître les principaux éléments de fait et de droit à la base des constatations effectuées par la Commission, et donne au Tribunal la possibilité d'exercer son contrôle juridictionnel. Elle remplit de ce fait les conditions liées au respect des droits de la défense, telles qu'elles sont définies de manière constante par la jurisprudence. La Cour a ainsi jugé, notamment dans son arrêt du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, que, "si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait don dépend la justification de la décision et les considérations juridiques qui l'ont amenée à prendre celle-ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative" (43 et 63-82, Rec. p. 19, point 22 ; voir également l'arrêt du 11 juillet 1989, Belasco e. a./Commission, 246-86, Rec. p. 2117, points 55 et 56).

65 En conséquence, le moyen fondé sur l'insuffisance de motivation de la décision doit être rejeté comme non fondé.

66 Il s'ensuit que la demande en annulation de la décision dans son ensemble doit être rejetée.

Sur la demande subsidiaire en annulation de l'article 2 du dispositif de la décision

67 Au soutien de ses conclusions subsidiaires, la requérante invoque successivement la violation de l'article 3 du règlement n° 17, la violation de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, de 1886, telle que modifiée par l'acte de Bruxelles de 1948 et l'acte de Paris de 1971, (ci-après "convention de Berne"), ainsi que la méconnaissance du principe de proportionnalité, en vue d'obtenir l'annulation partielle de la décision, limitée à l'article 2 du dispositif en ce qu'il impose une licence obligatoire.

Sur la violation de l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17 du Conseil

Arguments des parties

68 La requérante conteste, à titre subsidiaire, l'obligation qui lui est faite, à l'article 2 du dispositif de la décision, d'autoriser les tiers, sur demande et de manière non discriminatoire, à publier ses grilles de programmes hebdomadaires. Elle prétend que la Commission a abusé de ses pouvoirs et enfreint l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17, aux termes duquel, "si la Commission constate, sur demande ou d'office, une infraction aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée". Cet article autoriserait uniquement la Commission à enjoindre aux entreprises de mettre fin à l'infraction. A cet égard, la requérante fait valoir que l'institution défenderesse ne s'est pas limitée à l'obliger à mettre fin à l'infraction constatée, mais a déterminé les modalités précises de la cessation de l'infraction, en prévoyant l'octroi de "licences obligatoires d'exploitation des œuvres protégées". Elle souligne que la solution retenue par la Commission prive ainsi le titulaire du droit intellectuel de la substance même de son droit, dans le but de permettre à des tiers de créer un marché entièrement nouveau, en utilisant, en l'espèce, ses grilles de programmes protégées par le droit d'auteur.

69 La Commission soutient, quant à elle, que l'article 2 de la décision n'excède pas les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 3 du règlement n° 17. Elle rappelle que l'article 2 propose deux moyens de mettre fin à l'infraction : la fourniture aux tiers, sur demande et sur une base non discriminatoire, des programmes litigieux, en vue de leur publication - qu' a la préférence de la Commission -, ou l'octroi de licences à des conditions répondant aux préoccupations légitimes des parties. La décision n'imposerait donc pas, contrairement aux allégations de la requérante, une solution unique, mais proposerait, de manière souple, certains types de comportements destinés à mettre fin à l'infraction, conformément à une jurisprudence et à une pratique bien établies (voir l'arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Commercial Solvents/Commission, 6 et 7-73, Rec. p. 223).

Appréciation en droit

70 Il convient d'interpréter l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17, afin de vérifier si la Commission est en droit d'enjoindre à la requérante d'autoriser la publication de ses grilles hebdomadaires par des tiers, sur demande et de manière non discriminatoire, le cas échéant au moyen de licences. A cet égard, le Tribunal relève que le pouvoir d'obliger les entreprises intéressées à faire cesser l'infraction constatée, conféré à la Commission audit article 3, implique, selon une jurisprudence bien établie, le droit d'adresser à ces entreprises certaines injonctions, de faire ou de ne pas faire, en vue de mettre fin à l'infraction. Dans cette perspective, les obligations mises à la charge des entreprises doivent être définies en fonction des exigences liées au rétablissement de la légalité, compte tenu des caractéristiques de l'espèce concernée. La Cour a, en effet, jugé, dans son arrêt du 6 mars 1974, Commercial Solvents, que "l'application de [l'article 3 du règlement n° 17] doit se faire en fonction de la nature de l'infraction constatée et peut aussi bien comporter l'ordre d'entreprendre certaines activités ou prestations, illégalement omises, que l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, contraires au traité". Elle a précisé qu'"à cette fin, la Commission peut éventuellement obliger les entreprises intéressées à lui faire des propositions en vue de remettre la situation en conformité avec les exigences du traité" (6 et 7-73, précité, point 45). En outre, la Cour a expressément reconnu, dans une ordonnance du 17 janvier 1980, que la Commission doit pouvoir exercer "de la manière la plus efficace et a mieux appropriée aux circonstances de chaque situation donnée" le droit de décision qui lui est conféré au premier alinéa de l'article 3 (Camera Care, 792-79 R, Rec. p. 119, point 17).

71 Dans la présente espèce, le Tribunal constate que les éléments constitutifs de l'infraction, tels qu'ils ont été dégagés dans le cadre de l'examen du premier moyen, justifient les mesures imposées à l'article 2 du dispositif de la décision. En effet, l'obligation faite à la requérante de fournir à RTE, à la BBC ou aux tiers, sur demande et de manière non discriminatoire, ses grilles hebdomadaires en vue de leur publication, constitue, compte tenu des circonstances spécifiques de l'espèce - relevées par le Tribunal lors de l'examen des éléments constitutifs de l'infraction -, le seul moye de mettre fin à ladite infraction, comme l'a établi la Commission dans la décision attaquée. En lui enjoignant d'autoriser les tiers, sur demande et de manière non discriminatoire, à publier ses grilles hebdomadaires, la Commission n'a donc pas privé la requérante de son option entre les diverses mesures susceptibles de faire cesser l'infraction. A cet égard, il importe, en outre, de souligner que l'obligation faite à la requérante d'autoriser la publication de ses grilles par des tiers, le cas échéant, moyennant le versement d'une redevance raisonnable, est assortie de la faculté, reconnue à juste titre à la requérante à l'article 2 du dispositif, de subordonner cette autorisation à certaines conditions, en vue de garantir "une couverture complète et de grande qualité de toutes [les] émissions, y compris celles à destination de minorités et/ou à vocation régionale et celles d'intérêt culturel, historique et éducatif". C'est dans cette optique que la Commission a enjoint à la requérante, au même article 2, de lui soumettre pour approbation des propositions sur lesdites conditions. L'ensemble des obligations mises à la charge de la requérante, à l'article 2 du dispositif de la décision, est donc justifié au regard de leur finalité, telle qu'elle est définie à l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17, à savoir la cessation de l'infraction. Il en résulte que la Commission n'a pas dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation dans le cadre de l'application de la disposition précitée.

72 Pour l'ensemble de ces motifs, le moyen tiré de la violation de l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17 doit donc être rejeté comme non fondé.

Sur la violation de la convention de Berne

Arguments des parties

73 La requérante soutient, plus subsidiairement encore, que même si l'article 3 du règlement n° 17 permet à la Commission d'imposer, le cas échéant, l'octroi de licences obligatoires, une telle solution est incompatible avec la convention de Berne. Elle estime, en effet, que, dans la mesure où tous les Etats membres de la Communauté sont parties à la convention de Berne, ladite convention doit être tenue pour un aspect du droit communautaire et une expression des principes pertinents de ce droits, en vertu de l'article 234 du traité.

La requérante rappelle que l'article 9, paragraphe 1, de cette convention consacre, au profit de l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique, le droit exclusif de reproduction de l'œuvre protégée. Elle fait valoir que le paragraphe 2 de ce même article, introduit à la suite de la révision par l'acte de Paris de 1971, autorise un Etat signataire à permettre la reproduction d'œuvres littéraires et artistiques, dans certains cas spéciaux, à condition que cette reproduction ne soit pas incompatible avec l'exploitation normale de l'œuvre et ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

La requérante en déduit que l'article 2 de la décision est incompatible avec la convention de Berne, dans la mesure où il porte atteinte, selon elle, à l'exploitation normale de son droit d'auteur sur les grilles de programmes, et où il cause un préjudice à ses intérêts légitimes.

74 La Commission soutient en revanche que la convention de Berne ne s'applique pas à la présente espèce. En effet, explique la Commission, la Communauté n'est pas partie à la convention et il est de jurisprudence constante que "le traité CEE prime, dans les matières qu'il règles, les conventions conclues avant son entrée en vigueur entre les Etats membres" (arrêt de la Cour du 27 février 1962, Commission/Italie, 10-61, Rec. p. 1). En outre, la convention ne serait en tout état de cause pas applicable, parce que les grilles de programmes ne sont pas susceptibles, selon la Commission, d'être protégées par le droit d'auteur, au sens de ladite convention. Toutefois, en admettant même que la décision vise des données couvertes par le droit d'auteur, la Commission fait valoir subsidiairement que le fait que l'information soit fournies gratuitement à certains tiers, en vue de leur publication, démontre que l'obligation d'octroyer des licences contre une redevance raisonnable ne porterait pas préjudice aux intérêts légitimes de la requérante et, partant, serait conforme à la convention.

Appréciation en droit

75 Il convient logiquement d'examiner en premier lieu le problème de l'applicabilité, en l'espèce, de la convention de Berne, et l'argument de la Commission, selon lequel le droit communautaire prime sur les dispositions de ladite convention. A cet égard, le Tribunal constate, tout d'abord, que la Communauté - qui n'a pas, en l'état actuel du droit communautaire, bénéficié d'un transfert de compétence en matière de droits de la propriété intellectuelle et commerciale - n'est pas partie à la convention de Berne ratifiée par tous ses Etats membres. En ce qui concerne les conventions conclues par les Etats membres, il est à noter que le traité CEE règle, à l'article 234, les rapports entre ses dispositions et les conventions internationales conclues par les Etats membres avant son entrée en vigueur. Aux termes de cet article, "les droits et obligations résultant des conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du... traité, entre un ou plusieurs Etats membres d'une part, et un ou plusieurs Etats tiers d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du... traité". La Cour a interprété ledit article en ce sens qu'il vise uniquement les obligations contractées par les Etats membres envers des Etats tiers. Dans son arrêt du 11 mars 1986, Conegate, elle a jugé que "l'article 234 a pour objet d'assurer que l'application du traité n'affecte ni le respect dû aux droits des pays tiers résultant d'une convention antérieurement conclue avec un Etat membre, ni l'observation des obligations résultant de cette convention pour cet Etat membre. Les conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du traité ne peuvent donc pas être invoquées dans les rapports entre Etats membres pour justifier des restrictions dans le commerce intracommunautaire" (121-85, Rec. p. 1007, point 25 ; voir également les arrêts du 27 février 1962, Commission/Italie, 10-61, précité, spécialement p. 27, et du 14 octobre 1980, Attorney General, 812-79, Rec. p. 2787, point 8).

76 Il convient de relever que, dans la présente espèce, qui concerne l'Irlande et le Royaume-Uni, l'article 234 du traité s'applique, en vertu de l'article 5 de l'acte d'adhésion, aux conventions conclues avant leur adhésion à la Communauté, le 1er janvier 1973. Il en résulte que, dans les rapports intracommunautaires, les dispositions de la convention de Berne, ratifiée par l'Irlande et par le Royaume-Uni avant le 1er janvier 1973, ne sauraient porter atteinte aux dispositions du traité. La requérante ne saurait donc s'en prévaloir pour justifier des restrictions au régime de la libre concurrence, tel qu'il a été instauré et mis en œuvre dans la Communauté, en application des dispositions du traité et, notamment, de son article 86. L'argument selon lequel l'article 2 du dispositif de la décision est contraire à l'article 9, paragraphe 1, de la convention de Berne, doit donc être rejeté, sans même qu'il soit nécessaire de l'examiner au fond.

On parvient à la même conclusion en ce qui concerne le paragraphe 2 dudit article 9. A cet égard, il suffit d'observer qu'il a été introduit par l'acte de Paris de 1971, auquel le Royaume-Uni est partie depuis le 2 janvier 1990, et que l'Irlande n'a pas ratifié. En ce qui concerne le Royaume-Uni, l'acte de Paris - et en particulier le paragraphe 2 de l'article 9 de la convention - a donc été ratifié postérieurement à l'adhésion de la Communauté et ne saurait par conséquent porter atteinte à une disposition du traité. En effet, les Etats membres ne peuvent pas écarter les règles découlant du traité, en concluant un accord ou une convention internationale. Ils sont tenus de recourir à cette fin à la procédure prévue à l'article 236 du traité. Il s'ensuit que l'article 9, paragraphe 2, de la convention de Berne ne peut pas être invoqué pour limiter la compétence conféré à la Communauté par le traité, dans la mise en œuvre des règles de la concurrence qu'il édicte, et notamment de l'article 86 et de ses règles d'application, telles que l'article 3 du règlement n° 17.

77 Le moyen pris de la violation de la convention de Berne doit donc, en tout état de cause, être rejeté comme non fondé.

Sur la méconnaissance du principe de proportionnalité

78 La requérante soutient en outre que, même s'il entrait dans les pouvoirs de la Commission d'enjoindre les mesures ordonnées à l'article 2 de la décision, celles-ci seraient disproportionnées, en ce qu'elles privent ITP des prérogatives essentielles liées au droit d'auteur, et en particulier du droit exclusif de reproduction. En effet, ces mesures ne devraient pas dépasser le cadre de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l'objectif précis visé à l'article 3, sous f), du traité (voir les arrêts de la Cour du 23 novembre 1971, Bock/Commission, 62-70, Rec. p. 897, point 15 ; du 20 février 1979, Buitoni, 122-78, Rec. p. 677 ; du 11 novembre 1981, Casati, 203-80, Rec. p. 2595, point 27, et, en matière de concurrence, l'arrêt du 28 février 1984, Ford/Commission, 228 et 229-82, Rec. p. 1129). A cet égard, la requérante estime que la gravité de l'atteinte à son droit d'auteur est disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi en l'espèce, à savoir la création d'un nouveau marché des magazines généraux hebdomadaires de télévision.

79 La Commission est d'avis que la décision est conforme au principe de proportionnalité. Elle rappelle à cet égard que, selon une jurisprudence bien établie, ce principe signifie que les charges imposées aux opérateurs économiques ne doivent pas dépasser "les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché".

80 Il y a lieu de souligner que ce moyen se confond, en réalité, avec le moyen pris de la violation de l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17, tel qu'il a été examiné précédemment. En effet, le principe de proportionnalité est implicitement contenu dans cette disposition, qui habilite la Commission à imposer des obligations aux entreprises intéressées, dans le seul but de faire cesser l'infraction. Or, comme le soutient à juste titre la Commission, le principe de proportionnalité signifie, en l'occurrence, que les charges imposées aux entreprises, pour mettre fin à une infraction au droit de la concurrence, ne doivent pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir le rétablissement de la légalité au regard des règles qui, en l'espèce, ont été méconnues (sur le principe de proportionnalité, voir notamment l'arrêt du 24 septembre 1985, Man (Sugar), 181-84, Rec. p. 2289, point 20).

81 Dans ces conditions, il suffit de relever qu'il ressort des constatations effectuées par le Tribunal lors de l'examen du moyen pris de la violation de l'article 3 du règlement n° 17, que l'injonction adressée à la requérante d'autoriser les tiers, sur demande et de manière non discriminatoire, à publier ses grilles hebdomadaires, le cas échéant en leur octroyant une licence assortie de certaines conditions, constitue une mesure appropriée et nécessaire pour mettre fin à l'infraction.

82 Au vu des considérations qui précèdent, le moyen pris de la méconnaissance du principe de proportionnalité doit donc être rejeté comme non fondé.

83 Il s'ensuit que les conclusions subsidiaires tendant à l'annulation de l'article 2 du dispositif de la décision doivent être écartées et que l'ensemble du recours doit être rejeté.

Sur les dépens

84 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, précitée, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en l'ensemble de ses moyens, il convient de la condamner aux dépens, y compris à ceux exposés par la partie intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1. Le recours est rejeté.

2. La partie requérante est condamnée aux dépens, y compris à ceux exposés par la partie intervenante.