CJCE, 5e ch., 3 juillet 1991, n° C-62/86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
AKZO Chemie (BV)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Moitinho de Almeida
Avocat général :
M. Lenz.
Juges :
MM. Rodríguez Iglesias, Slynn, Joliet, Zuleeg
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 5 mars 1986, AKZO Chemie BV a introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision 85-609-CEE de la Commission, du 14 décembre 1985, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV-30.698-ECS/AKZO Chemie, JO L 374, p. 1).
2. Par cette décision, la Commission a constaté qu'AKZO avait enfreint l'article 86 du traité en adoptant à l'encontre d'une société concurrente, Engineering and Chemical Supplies (Epsom and Gloucester) Ltd (ci-après "ECS"), un comportement destiné à saper l'affaire de celle-ci et/ou à provoquer son retrait du marché communautaire des peroxydes organiques (article 1er).
3. AKZO Chemie et ses filiales constituent la division "spécialités chimiques" du groupe néerlandais AKZO NV, qui fabrique des produits chimiques et des fibres artificielles.
4. AKZO UK, filiale à 100 % d'AKZO Chemie (ci-après, la dénomination "AKZO" est utilisée pour désigner l'entité économique constituée par AKZO Chemie BV et ses filiales), produit, au Royaume-Uni, des peroxydes organiques, qui sont des spécialités chimiques utilisées dans l'industrie des plastiques. Cette entreprise fabrique également des composés à base de peroxyde de benzoyle, l'un des peroxydes organiques, utilisés comme agents de blanchiment de la farine, ainsi que du bromate de potassium et des mélanges de vitamines, deux autres additifs pour la farine.
5. Le peroxyde de benzoyle et le bromate de potassium sont livrables en plusieurs dilutions selon les besoins du client. Le peroxyde de benzoyle est vendu principalement en dilution de 16 ou de 20 %, le bromate de potassium est généralement livré en dilution de 6 ou de 10 %.
6. Selon la décision (point 17), trois entreprises (AKZO, ECS et Diaflex) offrent un assortiment complet ou quasi complet d'additifs pour la farine au Royaume-Uni et en Irlande.
7. Les acheteurs d'additifs peuvent être répartis en trois catégories. La première comprend les trois principaux groupes de minotiers, de taille comparable, que sont Ranks (RHM), Spillers et Allied Mills qui, ensemble, représentent approximativement 85 % de la demande. La deuxième est constituée par des minoteries indépendantes des trois grands groupes, les "gros indépendants", qui représentent 10 % de la demande. Les 5 % restants sont achetés par des minoteries de moindre importance, les "petits indépendants".
8. Avant le conflit, qui a opposé AKZO à ECS et qui a donné lieu à la décision objet du présent recours, Ranks partageait ses commandes entre AKZO et Diaflex. Spillers était approvisionnée principalement par AKZO et pour le reste par Diaflex. Allied achetait ses additifs auprès d'ECS par l'intermédiaire de sa centrale d'achat Provincial Merchants. Toutefois, Coxes Lock, l'une des minoteries du groupe Allied, se fournissait auprès d'AKZO. ECS détenait, par ailleurs, les deux tiers de la clientèle des "gros indépendants" et AKZO le tiers restant.
9. La Commission (article 1er de la décision) a constaté, en particulier, qu'AKZO:
i) avait proféré des menaces directes à l'encontre d'ECS, lors de réunions tenues à la fin de 1979, dans l'intention d'assurer son retrait du marché des peroxydes organiques dans leur application aux "plastiques";
ii) avait, à partir, grosso modo, de décembre 1980, systématiquement offert et fourni des additifs pour farines à Provincial Merchants, Allied Mills et aux clients d'ECS dans le secteur des "gros indépendants" à des prix anormalement bas, dans l'intention de nuire à la viabilité commerciale d'ECS, obligeant celle-ci soit à abandonner le client à AKZO, soit à abaisser son prix jusqu'à vendre à perte pour pouvoir le conserver;
iii) avait fait des offres sélectives aux clients d'ECS pour les additifs pour farines, tout en maintenant les prix sensiblement supérieurs (jusqu'à 60 %) qu'elle pratiquait à l'égard des acheteurs comparables faisant déjà partie de sa clientèle régulière;
iv) avait offert aux clients d'ECS du bromate de potassium et un mélange de vitamines (alors qu'elle ne fournissait pas normalement ce dernier produit) à un prix d'appel, dans le cadre d'un contrat global comportant du peroxyde de benzoyle, en vue d'attirer leur clientèle pour la gamme complète des additifs pour farines, évinçant ainsi ECS;
v) dans le cadre du plan ayant pour but de nuire à ECS, avait maintenu les prix des additifs pour farines au Royaume-Uni à un niveau artificiellement bas pendant une période prolongée, situation qu'elle pouvait elle-même supporter en raison de ses moyens financiers supérieurs à ceux d'ECS
vi) avait poursuivi une politique commerciale d'éviction vis-à-vis des fournisseurs de RHM et de Spillers, en obtenant de ces clients des détails précis sur les offres faites par les autres fournisseurs d'additifs pour farines (y compris ECS) et en faisant, ensuite, une offre à un prix tout juste inférieur à l'offre la plus basse de la concurrence, afin d'emporter la commande, à quoi il convenait d'ajouter (dans le cas de Spillers) l'obligation imposée au client d'acheter auprès d'AKZO tout son approvisionnement en additifs pour farines.
10. La même décision a condamné AKZO au paiement d'une amende de 10 millions d'écus, soit 24 696 000 HFL (article 2) et lui a ordonné de mettre fin immédiatement à l'infraction (article 3).
11. Par ailleurs, la décision (article 3, troisième, quatrième et cinquième alinéas) a interdit à AKZO de faire des offres ou d'appliquer des prix ou autres conditions de vente pour les additifs pour la farine qui auraient pour conséquence de faire payer, aux clients dont elle disputerait les commandes à ECS, des prix différents de ceux qu'elle pratique à l'égard de clients comparables. Cette interdiction n'empêche cependant pas AKZO de varier ses prix d'additifs pour la farine en fonction des catégories de clients, pour refléter d'une manière raisonnable et objective les différences de coûts de production et de livraison résultant du volume d'achats annuel du client, de l'importance de la commande et d'autres facteurs de nature commerciale. La décision a précisé, à cet égard, que les offres faites par AKZO aux minoteries du groupe Allied Mills ne pouvaient pas comporter des conditions sensiblement plus favorables que celles faites aux "gros indépendants".
12. A l'appui de sa requête, AKZO fait valoir, en substance, les moyens suivants :
- premier moyen : la décision attaquée serait entachée de plusieurs vices de forme en raison des irrégularités de la procédure administrative;
- second moyen : la décision attaquée violerait l'article 86 du traité en ce que la Commission aurait fait une interprétation et une application inexactes des notions de position dominante et d'exploitation abusive d'une position dominante, en constatant l'existence d'une telle position dans le chef d'AKZO et en qualifiant le comportement d'AKZO d'abusif.
13. Pour un plus ample exposé des faits, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
I - Sur le premier moyen : irrégularité de la procéudre administrative
14. AKZO soutient que la décision est entachée de plusieurs vices de forme en raison des irrégularités de la procédure administrative. A cet égard, elle soutient, d'abord, qu'elle n'a pas eu un accès suffisant au dossier, ensuite, que l'enquête de la Commission a été incomplète et, enfin, que la décision a retenu certains griefs au sujet desquels elle n'a pas été entendue.
A - Accès au dossier
15. AKZO fait valoir, d'abord, que, malgré ses demandes réitérées, elle n'a pas eu accès à l'ensemble des rapports d'enquête établis par les inspecteurs de la Commission, alors que ces documents étaient susceptibles de contenir des éléments qui auraient pu lui permettre d'assurer sa défense et de confirmer le bien-fondé de sa position. Le refus qui lui a été opposé serait en contradiction avec la ligne de conduite que la Commission a déclaré entendre suivre dans ses rapports sur la politique de la concurrence.
16. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, point 25 (43-82 et 63-82, Rec.. p. 19), "si le respect des droits de la défense exige que l'entreprise intéressée ait été en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur les documents retenus par la Commission dans les constatations qui sont à la base de la décision, il n'y a pas de dispositions prescrivant à la Commission l'obligation de divulguer ses dossiers aux parties intéressées".
17. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le grief.
18. AKZO soutient, en outre, que la Commission a fondé sa décision sur deux documents qui ne lui ont pas été communiqués.
19. Le premier de ces documents serait la réponse faite par l'entreprise Steetley Chemicals (une entreprise qui fournit la matière première destinée à la fabrication du bromate de potassium) à la Commission dans le cadre d'une demande de renseignements qui lui avait été adressée sur la base de l'article 11 du règlement n° 17, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 13, p 204). Or, il ressortirait du mémoire en défense que la Commission a adopté sa décision en prenant en considération ce document pour déterminer les coûts de production de Diaflex.
20. La Commission ne conteste pas que ce document n'a pas été porté à la connaissance d'AKZO. Elle se borne à indiquer qu'AKZO savait, ou du moins pouvait supposer que les prix que Steetley Chemicals consentait à Diaflex étaient sensiblement supérieurs à ceux qu'elle pratiquait vis-à-vis d'AKZO.
21. A cet égard, il convient de constater que, dès lors que la réponse de Steetley Chemicals n'a pas été communiquée à AKZO alors que la Commission en a tiré des conclusions, les informations contenues dans ce document ne peuvent pas être utilisées dans le cadre de la présente procédure.
22. Le second des documents auxquels AKZO n'aurait pas eu accès serait le procès-verbal relatant une déclaration faite par l'entreprise Smith, l'un des "gros indépendants", lors d'une vérification de la Commission. Ce document concernerait la prétendue aide que Diaflex a fournie à AKZO pour lui permettre de faire échec au régime de prix minimaux que la Commission lui a imposé, dans le cadre des mesures provisoires, par la décision 83-462-CEE, du 29 juillet 1983, relative à une procédure au titre de l'article 86 du traité CEE (IV-30698 - ECS-AKZO - mesures provisoires, JO L 252, p. 13, ci-après "décision sur les mesures provisoires").
23. La Commission réplique que cette déclaration contenue dans une note manuscrite de l'un de ses inspecteurs faisait partie du dossier dont AKZO a pu prendre connaissance dans les locaux de la Commission.
24. Il y a lieu de relever que cette note ne figure pas dans les dossiers produits devant la Cour, qu'il s'agisse du dossier de la procédure administrative ou des annexes aux mémoires de la Commission. La Commission n'a donc pas rapporté la preuve que ce document avait été porté à la connaissance d'AKZO. Dans ces conditions, cette note ne peut pas servir à établir le caractère abusif du comportement d'AKZO.
B - Enquête incomplète
25. AKZO soutient que l'enquête de la Commission est incomplète, notamment parce que cette dernière a négligé la structure des coûts des entreprises en cause et la politique de prix des principaux concurrents d'AKZO dans le secteur des additifs pour la farine.
26. L'enquête étant destinée à établir les faits dont résulterait une infraction, ses insuffisances éventuelles ne sont pas des irrégularités de procédure. Elles n'ont à être prises en compte que lorsqu'il s'agit de vérifier si les faits invoqués sont matériellement exacts et s'ils sont de nature à justifier les qualifications qui en ont été tirées. Cette vérification relève de l'examen des moyens de fond avancés par AKZO.
C - Violation de l'obligation d'entendre l'entreprise
27. AKZO fait valoir que la décision retient des griefs importants au sujet desquels elle n'a pas eu l'occasion de faire connaître son point de vue durant la procédure administrative. Même si elle a été entendue sur la réalité matérielle de certains faits, AKZO souligne qu'elle ne l'a pas été sur leur qualification juridique en tant qu'abus.
28. Les griefs en question sont l'utilisation du bromate de potassium comme produit d'appel, les demandes de renseignements adressées par AKZO à certains clients en vue d'obtenir des détails précis sur les offres faites par ses concurrents et le contrat d'exclusivité imposé à un client.
29. La communication des griefs doit énoncer, de manière claire, les faits sur lesquels se base la Commission ainsi que la qualification qui leur est donnée.
30. Il convient de constater qu'il a été satisfait à cette exigence en ce qui concerne l'utilisation du bromate de potassium comme produit d'appel. La lettre complémentaire à la communication des griefs (point 10) met en effet ce produit, au moment où le comportement est analysé, sur le même pied que les mélanges de vitamines qui, d'après la Commission, étaient vendus par AKZO à des prix d'appel.
31. S'agissant de l'obtention de renseignements par AKZO et du contrat d'exclusivité, il y a lieu de souligner que, dans la communication des griefs (point 70), la Commission a qualifié d'abusive la stratégie globale d'AKZO consistant à tenter d'évincer ECS du secteur des plastiques en proférant des menaces, puis, après l'échec de sa démarche, de mettre à exécution son plan qui visait à contraindre ECS à la liquidation. Les différents éléments de ce plan ont été décrits dans la partie de la communication des griefs concernant la "mise en œuvre du plan visant à évincer ECS" (points 27 et suivants). Au nombre de ces éléments figuraient l'obtention de renseignements et le contrat d'exclusivité. Il n'y a, dès lors, pas eu atteinte aux droits de la défense de la requérante.
32. AKZO fait enfin valoir, pour ce qui a trait aux griefs tenant aux prix anormalement bas, qu'elle n'a pas été en mesure de faire connaître son point de vue à propos du caractère fixe ou variable de certains de ses coûts de production, alors que cette question serait primordiale compte tenu du critère de licéité qu'elle suggère d'appliquer pour apprécier le comportement d'une entreprise dominante.
33. Ce grief ne peut être retenu. C'est seulement la réponse d'AKZO à la communication des griefs qui a fait apparaître les divergences d'opinion entre les parties sur le caractère fixe ou variable de certains éléments de coûts. Toutefois, AKZO a eu l'occasion de faire connaître son point de vue en réponse aux questions que les représentants de la Commission lui ont posées à ce sujet lors de l'audition du 18 juin 1985 (p. 33 et suivantes du rapport d'audition).
II - Sur le second moyen : violation de l'article 86 du Traité
34. Selon AKZO, la Commission aurait violé l'article 86 en ce que :
- la décision attaquée aurait défini à tort le secteur des peroxydes organiques comme étant le marché en cause, aurait considéré erronément que le marché des peroxydes organiques était un marché unique et, enfin, se serait fondée sur des éléments inexacts pour établir l'existence de la position dominante alléguée;
- la décision attaquée aurait considéré, à tort, qu'il y avait eu comportement abusif de la part d'AKZO.
A - Sur l'existence d'une position dominante
1. Sur la détermination du marché en cause
35. La décision retient, à titre principal, comme marché en cause celui des peroxydes organiques (y compris le peroxyde de benzoyle utilisé dans l'industrie des plastiques), au motif qu'il s'agit du marché dont ECS devait être exclue à long terme par AKZO (point 66). La décision situe, à titre subsidiaire, l'abus sur le marché des additifs pour la farine (y compris le peroxyde de benzoyle dans son application au secteur de la minoterie) au Royaume-Uni et en Irlande (point 91).
36. Il convient d'examiner, d'abord, si la Commission était fondée à définir le marché en cause comme étant celui des peroxydes organiques.
37. AKZO conteste cette délimitation compte tenu de l'objet de la décision qui ne concerne que son prétendu comportement illicite dans le domaine des additifs pour la farine. Il rappelle à ce propos que la Cour a jugé dans l'arrêt du 6 mars 1974, Commercial Solvents/Commission, point 21 (6-73 et 7-73, Rec. p. 223), que le marché où se manifestent les effets de l'abus est "sans relevance en ce qui concerne la détermination du marché à prendre en considération pour la constatation d'une position dominante".
38. Cet argument doit être examiné à la lumière des circonstances particulières de l'espèce.
39. A cet égard, il y a lieu de souligner d'abord que le peroxyde de benzoyle, l'un des principaux peroxydes organiques, utilisé dans la fabrication des plastiques, est également l'un des principaux additifs pour la farine du fait de son emploi en tant qu'agent de blanchiment de la farine au Royaume-Uni et en Irlande.
40. Il convient de relever, ensuite, qu'avant l'année 1979 ECS opérait uniquement dans le secteur des additifs pour la farine. Ce n'est, en effet, que dans le courant de cette année qu'elle a décidé d'étendre ses activités au secteur des plastiques. ECS ne détenait donc, lorsque le conflit a débuté, qu'une part de marché extrêmement réduite dans ce dernier secteur.
41. Il est, par ailleurs, constant que, pour AKZO, le secteur des plastiques était plus important que celui des additifs pour la farine, puisqu'elle y réalisait un chiffre d'affaires nettement supérieur.
42. AKZO pratiquait donc des réductions de prix dans un secteur - celui des additifs pour la farine - qui était essentiel pour ECS, mais qui ne revêtait pour elle qu'une importance limitée.
43. En outre, AKZO avait la possibilité de compenser les pertes éventuelles qu'elle subissait dans le secteur des additifs pour la farine au moyen des bénéfices qu'elle retirait de son activité dans le secteur des plastiques, possibilité dont ne disposait pas ECS.
44. Enfin, il résulte des déclarations d'un cadre d'AKZO (annexe 20 à la communication des griefs, p. 35), qui seront prises en considération lors de l'examen du grief relatif aux menaces, que cette entreprise n'a pas adopté son comportement en vue de renforcer sa position dans le secteur des additifs pour la farine, mais pour conserver celle qu'elle détenait dans le secteur des plastiques en empêchant ECS d'y étendre ses activités.
45. Dans ces conditions, la Commission était fondée à considérer que le marché des peroxydes organiques était le marché en cause, et cela même si le comportement abusif allégué était destiné à saper l'activité principale d'ECS sur un marché distinct.
46. A supposer qu'il faille retenir le marché des peroxydes organiques, AKZO fait encore grief à la Commission de ne pas avoir procédé sur ce marché à une enquête approfondie. D'une part, elle n'aurait pas analysé les prétendues offres d'AKZO à des prix prédateurs dans ce secteur, alors qu'une partie importante des accusations d'ECS les concernaient. D'autre part, elle n'aurait pas vérifié si la position d'AKZO dans le secteur des peroxydes organiques s'était trouvée renforcée en raison de son comportement en matière d'additifs pour la farine.
47. A cet égard, il suffit de constater que ces éléments qui ont trait au caractère abusif du comportement sont sans relevance en ce qui concerne la délimitation du marché en cause.
48. AKZO soutient, enfin, que ce marché ne peut, en toute hypothèse, être considéré comme un marché unique en raison de l'absence manifeste d'interchangeabilité des peroxydes organiques entre eux. Ceux-ci ne pourraient pas non plus être réunis dans un même marché en raison d'une prétendue complémentarité, puisque les clients ne s'adresseraient pas à un même fournisseur pour satisfaire l'ensemble de leurs besoins en peroxydes.
49. La décision (point 7) énonce que les peroxydes organiques sont des produits chimiques qui jouent un rôle essentiel dans la fabrication des plastiques, où il servent d'initiateurs pour diverses opérations. Leurs trois principaux domaines d'application sont les suivants :
- initiateurs du processus de polymérisation ou de copolymérisation des vinyles monomères,
- agents de durcissement des élastomères et résines,
- agents de réticulation des éthylènes/propylènes et du caoutchouc synthétique ou des silicones.
50. La décision précise encore (point 8) que les deux premiers domaines représentent respectivement 40 % de la consommation de peroxydes organiques alors que le troisième atteint environ 10 % de celle-ci.
51. La Cour a jugé dans l'arrêt du 11 décembre 1980, L'Oréal/De Nieuwe AMCK, point 25 (31-80, Rec. p. 3775), que, dans l'examen de la position, éventuellement dominante, d'une entreprise sur un marché déterminé, "les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l'ensemble des produits qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d'autres produits".
52. Il y a lieu de relever que les peroxydes organiques peuvent, certes, être individualisés quant à leur formule, leur concentration ou leur présentation pour répondre aux besoins spécifiques de la clientèle. Il n'en reste pas moins que, à 90 %, ils trouvent leur utilisation dans diverses opérations de l'industrie des plastiques et qu'ils sont donc aptes à satisfaire des besoins constants au sens de l'arrêt précité. Par ailleurs, les peroxydes organiques ne sont pas exposés à la concurrence d'autres produits, tels les composés à base de soufre, utilisés dans le domaine limité de la vulcanisation du caoutchouc synthétique, puisque ces derniers ne sont pas susceptibles de les remplacer totalement dès lors qu'ils ne possèdent pas toutes les propriétés techniques requises.
53. Enfin, de sa documentation interne (annexe 2 à la communication des griefs), il ressort qu'AKZO elle-même considère que les peroxydes organiques relèvent d'un marché unique puisqu'elle évalue globalement sa part de marché relative à ces produits.
54. Il résulte de ces considérations que les moyens qu'a fait valoir AKZO pour contester la détermination du marché en cause doivent être rejetés.
2. Sur la position dominante
55. La Commission considère qu'AKZO occupe une position dominante sur le marché des peroxydes organiques en se fondant sur sa part de marché ainsi que sur l'existence d'une série de facteurs qui, associés à cette part de marché, lui assureraient une prédominance marquée.
56. Le point 69 de la décision décrit comme suit ces facteurs :
"i) la part de marché d'AKZO n'est pas seulement importante en soi, mais équivaut à celles de tous les autres producteurs réunis;
ii) Interox et Luperox mis à part, les autres producteurs n'ont qu'une gamme restreinte de produits et/ou n'ont d'importance qu'au niveau local;
iii) la part de marché d'AKZO (de même que celle des producteurs qui arrivent en deuxième et troisième positions, c'est-à-dire Interox et Luperox) est restée stable au cours de la période examinée et AKZO a toujours repoussé toutes les attaques dont elle a fait l'objet de la part de producteurs moins importants;
iv) AKZO est parvenue, même en période de conjoncture défavorable, à maintenir sa marge globale en augmentant régulièrement ses prix et/ou ses volumes de vente;
v) AKZO offre une gamme de produits beaucoup plus étendue que n'importe laquelle de ses rivales, possède l'organisation de marketing la plus développée commercialement et techniquement, ainsi que des connaissances de pointe en matière de sécurité et de toxicologie;
vi) de son propre aveu, AKZO s'est montrée capable d'éliminer efficacement du marché des concurrents "gênants" (outre ECS) ou de les affaiblir sérieusement : l'exemple de SCADO, entre autres, montre bien qu'AKZO est en mesure d'évincer un producteur moins puissant, quand elle le souhaite;
vii) après avoir éliminé pareils producteurs, potentiellement dangereux malgré leur petite taille, AKZO a pu relever le prix du produit pour lequel la concurrence se faisait sentir".
57. AKZO conteste l'évaluation de sa part de marché ainsi que la réalité ou la pertinence des autres facteurs retenus dans la décision. En particulier, elle fait valoir que sa part de marché a été évaluée de façon erronée, puisque la Commission n'aurait pas dû considérer le marché des peroxydes organiques comme un marché unique. Elle soutient, en outre, que le fait d'offrir une gamme plus étendue de produits que ses concurrents ne peut constituer l'indice d'une position dominante.
58. Ces arguments ne peuvent être retenus. Le marché des peroxydes organiques ayant été à bon droit considéré comme un marché unique, il en résulte que la part de marché d'AKZO devait être calculée en tenant compte des peroxydes organiques dans leur ensemble. Dans cette perspective, il est manifeste que le fait d'offrir une gamme de produits plus vaste que celle de ses principaux rivaux contribuait à assurer à AKZO une position dominante sur ce marché.
59. Il convient de relever, en outre, que, selon sa propre documentation interne, AKZO disposait, de 1979 à 1982, d'une part de marché stable de l'ordre de 50 % (annexes 2 et 4 à la communication des griefs et tableau A annexé à la communication des griefs). Par ailleurs, AKZO n'a pas fourni d'éléments qui démontreraient que cette part a diminué au cours des années ultérieures.
60. S'agissant des parts de marché, la Cour a jugé (arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, point 41, 85-76, Rec. p. 461) que des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante.Tel est le cas d'une part de marché de 50 % comme celle constatée en l'espèce.
61. Par ailleurs, c'est à juste titre que la Commission a relevé que d'autres facteurs confirment la prédominance d'AKZO sur le marché.Outre le fait qu'elle se considère comme le leader mondial sur le marché des peroxydes, il y a lieu de relever qu'AKZO possède, de son propre aveu, l'organisation de marketing la plus développée tant du point de vue commercial que technique, ainsi que des connaissances plus vastes que celles de ses concurrents en matière de sécurité et de toxicologie (annexes 2 et 4 à la communication des griefs).
62. Les moyens par lesquels AKZO a contesté qu'elle détenait une position dominante sur le marché des peroxydes organiques dans son ensemble doivent donc être rejetés.
B - Sur l'existence d'une exploitation abusive d'une position dominante
1. Considérations préliminaires - Critère de légalité du comportement d'une entreprise dominante en matière de prix
63. Selon la décision attaquée (point 75), AKZO aurait exploité abusivement sa position dominante en tentant d'éliminer ECS du marché des peroxydes organiques principalement par des réductions de prix massives et prolongées dans le secteur des additifs pour la farine.
64. Selon la Commission, l'article 86 ne fait pas des coûts le critère décisif en vue de déterminer le caractère abusif des réductions de prix opérées par une entreprise dominante (point 77 de la décision). Un tel critère ne tiendrait aucun compte des objectifs généraux des règles communautaires de concurrence définis à l'article 3, sous f), du traité, et notamment de la nécessité d'empêcher les atteintes à une structure effective de la concurrence dans le Marché commun. Un critère mécanique n'accorderait pas suffisamment de poids à l'aspect stratégique du comportement axé sur la réduction des prix. Une réduction de prix pourrait être inspirée par une intention anticoncurrentielle, indépendamment du point de savoir si l'agresseur fixe ses prix au-dessus ou au-dessous de ses coûts, quelle que soit la manière dont ceux-ci sont entendus (point 79 de la décision).
65. Toutefois, l'analyse détaillée des coûts de l'entreprise dominante pourrait jouer un rôle considérable dans l'évaluation du caractère normal ou anormal qu'il convient d'attribuer à son comportement en matière de prix. Les effets d'éviction d'une campagne de réduction de prix menée par un producteur dominant pourraient être si évidents en soi qu'il ne serait nul besoin d'établir l'intention d'éliminer le concurrent. En revanche, lorsque le faible niveau des prix est susceptible d'interprétations diverses, il pourrait s'avérer nécessaire, pour démontrer l'existence de l'infraction, d'établir également l'intention d'éliminer un concurrent ou de restreindre la concurrence (point 80 de la décision).
66. AKZO conteste la pertinence du critère de licéité retenu par la Commission qui est, selon elle, nébuleux ou, à tout le moins, inapplicable. Elle fait valoir que la Commission aurait dû retenir un critère objectif fondé sur ses coûts.
67. A cet égard, elle expose que la question de la licéité d'un niveau de prix déterminé ne saurait être dissociée de la situation de marché concrète dans laquelle ce prix a été fixé. Il n'y aurait pas abus lorsque l'entreprise dominante recherche un prix de vente optimal et une marge de couverture positive. Un prix serait optimal lorsque l'entreprise peut raisonnablement s'attendre à ce que l'offre d'un autre prix ou l'absence de prix conduisent à court terme à un résultat d'exploitation moins favorable. Par ailleurs, la marge de couverture serait positive lorsque la valeur de la commande dépasse la somme des coûts variables.
68. Un critère fondé sur la recherche d'un prix optimal, à court terme, ne pourrait être écarté au motif qu'il mettrait en péril, à long terme, la viabilité de l'entreprise. Ce n'est qu'après un certain temps que l'entreprise concernée pourrait prendre des mesures pour supprimer les pertes ou se séparer d'une branche d'activité déficitaire. Entre-temps, l'entreprise devrait accepter les "commandes optimales" pour réduire son déficit et garantir la continuité de l'exploitation.
69. Il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, point 91 (85-76, Rec. p 461), la notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence.
70. Il s'ensuit que l'article 86 du traité interdit à une entreprise dominante d'éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, toute concurrence par les prix ne peut, toutefois, être considéré comme légitime.
71. Des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire de ceux qui varient en fonction des quantités produites) par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent doivent être considérés comme abusifs. Une entreprise dominante n'a, en effet, aucun intérêt à pratiquer de tels prix, si ce n'est celui d'éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique, puisque chaque vente entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des coûts fixes (c'est-à-dire de ceux qui restent constants quelles que soient les quantités produites), et une partie, au moins, des coûts variables afférents à l'unité produite.
72. Par ailleurs, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent. Ces prix peuvent, en effet, écarter du marché des entreprises, qui sont peut-être aussi efficaces que l'entreprise dominante mais qui, en raison de leur capacité financière moindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite.
73. Ce sont ces critères qu'il y a lieu d'appliquer à la situation de l'espèce.
74. Dès lors, que le critère de licéité à retenir est un critère fondé sur les coûts et la stratégie de l'entreprise dominante elle-même, il y a lieu de rejeter d'emblée le grief d'AKZO tiré de l'insuffisance de l'enquête de la Commission à propos de la structure des coûts et de la politique de prix de ses concurrents.
2. Sur les différents aspects de l'abus
75. Le comportement abusif allégué concerne les menaces qu'aurait proférées AKZO, à la fin de l'année 1979, à l'encontre d'ECS ainsi que les prix qu'elle a offerts ou consentis pour trois additifs pour la farine, de décembre 1980, date des premières offres litigieuses, à juillet 1983, date de la décision sur les mesures provisoires, précitée, qui a imposé à AKZO de respecter un régime de prix minimaux.
a) Sur les menaces
76. La Commission, a constaté qu'AKZO avait proféré des menaces directes à l'encontre d'ECS, lors de réunions tenues à la fin de l'année 1979 avec les dirigeants de cette entreprise, dans l'intention de la contraindre à se retirer du marché des peroxydes organiques dans leur application aux plastiques [article 1er, sous i), de la décision ].
77. AKZO conteste avoir menacé ECS. Elle aurait simplement informé ECS qu'elle ne pourrait compter sur le maintien de leur collaboration dans le secteur des additifs pour la farine si elle s'obstinait à faire des offres à très bas prix dans le secteur des plastiques. Avant le conflit, ECS et AKZO se livraient, en effet, certains additifs pour la farine à des prix réduits pour compléter une production insuffisante ou répondre aux besoins de celle qui ne fabriquait pas elle-même l'un de ces produits.
78. Pour se prononcer sur le bien-fondé du grief, il convient de déterminer la teneur des entretiens qui ont eu lieu le 16 novembre et le 3 décembre 1979. La Cour dispose, à cet égard, des comptes rendus de ces réunions qui ont été rédigés par des responsables d'ECS, d'une déclaration d'un cadre d'AKZO, ainsi que d'une note émanant d'un autre responsable de cette entreprise.
79. Les indications contenues dans les différents documents rédigés par les cadres d'ECS, sont, en substance, concordantes (annexes 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 18 à la communication des griefs). Il en ressort notamment que, lors de la première réunion, AKZO a fait connaître son intention de procéder à une réduction générale des prix dans le secteur des additifs pour la farine si ECS continuait à vendre, du peroxyde de benzoyle dans le secteur plastiques, et sa résolution de vendre, s'il le fallait, en dessous de ses prix de revient, quitte à subir une perte estimée à 250 000 UKL. Au cours de la seconde réunion, AKZO aurait confirmé qu'elle était disposée à vendre, si nécessaire, en dessous de ses prix de revient.
80. Ces réunions ont conduit ECS à demander à la Hight Court de Londres d'interdire à AKZO de mettre en œuvre ses menaces au motif qu'il s'agissait d'une violation de l'article 86 du traité. C'est dans le cadre de cette procédure qu'un responsable d'AKZO a été amené à relater, sous serment, le contenu des entretiens. Cette déclaration (annexe 20 à la communication des griefs, p. 35) révèle également qu'AKZO était disposée à vendre en dessous de ses prix de revient et, au besoin, à subir une perte si ECS ne se retirait pas du marché des plastiques.
81. La teneur de ces rencontres est encore confirmée par une note du 7 décembre 1979 établie par un cadre d'AKZO (annexe 21 à la communication des griefs). Celle-ci précise qu'AKZO prendrait des mesures agressives dans le secteur des produits pour minoteries, si ECS ne renonçait pas à fournir ses produits à l'industrie des plastiques. En outre, cette note contenait un plan détaillé et chiffré des mesures qui seraient mises à exécution dans le cas où ECS ne renoncerait pas. Il ressort notamment de ce plan qu'AKZO tenterait de gagner l'ensemble des clients d'ECS en leur offrant, à des prix entraînant des pertes, la gamme complète des additifs pour la farine.
82. Au vu de ces éléments de fait concordants, il y a lieu de conclure qu'AKZO a, à la fin de l'année 1979, menacé ECS pour obtenir son retrait du marché des peroxydes organiques dans leur application aux plastiques.
b) Sur le comportement d'AKZO en matière de prix
i) Les coûts d'AKZO
83. Compte tenu du critère retenu pour apprécier le comportement d'une entreprise dominante en matière de prix, il convient de déterminer les coûts totaux et les coûts variables d'AKZO pour chacun des additifs en cause, durant la période considérée.
Les coûts totaux d'AKZO
84. La Commission a joint à la lettre complémentaire à la communication des griefs (tableau F) une évaluation des coûts totaux d'AKZO, calculés sur la base de la comptabilité de cette entreprise. La Commission a, toutefois, précisé (point 9 de la lettre complémentaire à la communication des griefs et tableau G) que les coûts totaux réels d'AKZO devaient être supérieurs à cette évaluation.
85. AKZO a annexé à ses mémoires le rapport d'une entreprise d'audit qui contient entre autres, une évaluation de ces coûts pour la même période (annexe 3 au recours, annexe 7 à la réplique).
86. Ces évaluations montrent que les coûts totaux d'AKZO sont tantôt inférieurs, tantôt supérieurs à ceux qui résultent des évaluations effectuées par les services de la Commission.
87. Durant la procédure devant la Cour, la Commission n'a pas contesté ces chiffres. D'une part, elle a affirmé que ceux-ci la confortaient "dans sa conviction que le calcul de coûts qu'elle avait elle-même effectué sur la base des propres documents d'AKZO était exact" (point 104 du mémoire en défense). D'autre part, elle a souligné que ces chiffres ne contredisaient pas sa thèse "selon laquelle les offres de prix faites par AKZO aux clients traditionnels d'ECS étaient pratiquement toujours génératrices de pertes" (point 52 de la duplique).
88. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que les coûts totaux d'AKZO sont ceux qui figurent dans le rapport joint à ses mémoires.
89. Ces coûts exprimés en UKL par tonne, s'établissent comme suit :
- pour le peroxyde de benzoyle 16 % :
1981 : 557,90 ; 1982 : 578,10 ; 1983 : 519,20 ;
- pour le peroxyde de benzoyle 20 % :
1981 : 649,60 ; 1982 : 700,29 ; 1983 : 582,57 ;
- pour le bromate de potassium 6 % :
1981 : 290,14 ; 1982 : 316,84 ; 1983 : 308,14 ;
- pour le bromate de potassium 10 % ;
1981 : 350,34 ; 1982 : 370,98 ; 1983 : 360 ;
- pour les mélanges de vitamines (nutramin) :
1981 : 665,86 ; 1982 : 714,40.
Les coûts variables d'AKZO
90. Les parties ont soumis à la Cour des évaluations des coûts variables d'AKZO très différentes. Pour l'essentiel, ces différences tiennent à ce que les parties sont en désaccord sur le caractère fixe ou variable de certains éléments de coût.
91. La décision énonce (point 54) que des éléments de coût, tels la main-d'œuvre, l'entretien, le stockage et l'expédition, doivent être considérés comme des coûts variables au motif que la plupart des systèmes comptables les considèrent comme tels.
92. AKZO fait valoir que le seul critère pour établir le caractère fixe ou variable d'un élément de coût est de déterminer si celui-ci varie ou non en fonction des quantités produites. En l'espèce, les frais de main-d'œuvre devraient être considérés comme des frais fixes. Il ressortirait, en effet, de la comparaison de l'évolution du coût annuel de la main-d'œuvre, pour les années 1980 à 1985, avec celle des quantités produites durant la même période qu'il n'existerait aucun rapport entre ces deux paramètres (annexe 3 au recours, rapport d'audit, en particulier l'annexe 7 de ce rapport).
93. La Commission réplique, d'une part, que les documents comptables d'AKZO montrent qu'une bonne partie de ce qu'elle considère comme des charges fixes variaient, en fait, avec les modifications de la production (point 99 du mémoire en défense) et, d'autre part, qu'AKZO a engagé, en mars 1984, deux nouveaux travailleurs pour renforcer sa capacité de production, de sorte qu'il y aurait une relation entre le volume de la main-d'œuvre et celui de la production (point 48 de la duplique).
94. Il y a lieu de souligner qu'un élément de coût ne relève pas par nature des coûts fixes ou des coûts variables. Il convient donc d'examiner si les frais de main-d'œuvre ont, en l'espèce, varié en fonction des quantités produites.
95. Il ressort des chiffres cités par AKZO qu'il n'existe pas de relation directe entre les quantités produites et le coût de la main-d'œuvre. Ainsi, en 1982 et en 1983, alors que la production de peroxyde de benzoyle d'AKZO augmentait, les coûts relatifs à la main-d'œuvre, inflation déduite, se réduisaient. A l'inverse, alors qu'en 1983 et en 1984 la production de bromate de potassium de cette entreprise régressait, les coûts relatifs à la main-d'œuvre, inflation déduite, augmentaient. Les frais de main-d'œuvre doivent donc, en l'espèce, être considérés comme des coûts fixes.
96. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que les coûts variables d'AKZO sont ceux qui figurent dans les documents que cette entreprise a soumis à la Cour.
97. Ces coûts, exprimés en UKL par tonne, s'établissent comme suit :
- pour le peroxyde de benzoyle 16 %:
1981 : 298,30 1982 : 324,70 1983 : 314,10
- pour le peroxyde de benzoyle 20 %:
1981 : 352,80 1982 : 383,10 1983 : 359,50
- pour le bromate de potassium 6 %:
1981 : 169,40 1982 : 188,60, 1983 : 200,70
- pour le bromate de potassium 10 %:
1981 : 229,60 1982 : 242,74 1983 : 252,56
- pour les mélanges de vitamines (nutramin):
1981 : 541,02 1982 : 578,00.
ii) Les prix anormalement bas consentis à la clientèle d'ECS
98. La Commission a constaté que, à partir grosso modo de décembre 1980, AKZO a systématiquement offert et fourni des additifs pour la farine à Provincial Merchants, Allied Mills et aux clients d'ECS dans le secteur des "gros indépendants", à des prix anormalement bas, dans l'intention de nuire à la viabilité d'ECS [article 1er, sous ii), de la décision].
Les offres faites à Allied et aux minoteries du groupe Allied
99. AKZO conteste avoir offert des additifs à Allied et aux minoteries du groupe Allied à des prix anormalement bas dans l'intention de nuire à ECS. En premier lieu, elle n'aurait pas eu pareille intention. Elle aurait seulement cherché à gagner de nouveaux clients dans le but d'accroître son chiffre d'affaires et de réduire ainsi la chute sensible de ses marges bénéficiaires provoquée par les offres faites par ECS à Ranks et à Spillers en 1980. En second lieu, les prix offerts ne pourraient être qualifiés d'anormalement bas. D'une part, ceux qu'elle a proposés à Allied, en janvier 1981, seraient égaux à ceux qu'ECS a offerts à Spillers en octobre 1980. D'autre part, les prix offerts durant la période considérée seraient supérieurs à la moyenne de ses coûts variables.
100. Il y a lieu de constater qu'AKZO a offert, à Allied et aux minoteries du groupe Allied, les prix suivants :
- pour le peroxyde de benzoyle 16 %:
de janvier 1981 à janvier 1983 : 517,90 UKL en février 1983 : 512 UKL
- pour le bromate de potassium 10 %:
à partir de janvier 1981 : 314,90 UKL
- pour les mélanges de vitamines :
en septembre 1981 : 565 UKL en octobre 1982 : 455 UKL pour un mélange bon marché.
101. En ce qui concerne les mélanges de vitamines (vendus en 1981), le peroxyde de benzoyle 16 % et le bromate de potassium 10 %, ces prix sont inférieurs à la moyenne des coûts totaux d'AKZO, mais supérieurs à celle de ses coûts variables qui ont été retenus ci-avant (voir points 89 et 97). Quant au prix de 455 UKL, offert par AKZO en 1982, pour un mélange de vitamines bon marché, il est inférieur, en toute hypothèse, à la moyenne de ses coûts totaux qui s'établissent à 714,40 UKL pour le mélange de vitamines standard.
102. Par ailleurs, l'ensemble des offres ne peut s'expliquer que par la volonté d'AKZO de nuire à ECS, et non par celle de reconstituer ses marges. Il ressort d'une note rédigée par un des représentants d'AKZO (annexe 51 à la communication des griefs) que cette dernière a établi les prix offerts à Allied, en janvier 1981, en estimant qu'ils étaient nettement inférieurs à ceux pratiqués par ECS à l'égard d'Allied. Cela démontre que l'intention d'AKZO n'était pas seulement d'emporter la commande, ce qui l'aurait conduite à n'abaisser ses prix que dans la mesure nécessaire à cet effet. En outre, en offrant à Allied un prix équivalent à celui offert par ECS à Spillers, l'objectif d'AKZO était de fixer ses prix au niveau le plus bas possible sans violer l'engagement qu'elle avait souscrit devant la High Court de Londres de ne pas réduire ses prix de vente pour le peroxyde de benzoyle dans l'intention d'éliminer ECS.
103. C'est donc à juste titre que la Commission a considéré qu'AKZO avait offert et fourni des additifs pour la farine à Allied Mills et aux minoteries du groupe Allied à des prix anormalement bas dans l'intention de nuire à la viabilité d'ECS.
Les offres faites aux "gros indépendants", clients d'ECS
104. En ce qui concerne le grief relatif aux offres faites aux "gros indépendants", clients d'ECS, AKZO a fait valoir des arguments en substance identiques à ceux qu'elle a avancés pour contester le grief relatif aux offres faites à des prix anormalement bas au groupe Allied.
105. Il y a lieu de constater qu'AKZO a offert aux "gros indépendants", clients d'ECS les prix suivants :
- pour le peroxyde de benzoyle 16 %:
en janvier 1981 : 532 UKL à partir d'avril 1981 : 530 UKL
- pour le bromate de potassium 6 %:
en décembre 1980 : 260 UKL en janvier et en avril 1981 : 245 UKL en juin 1983 : 320 UKL
- pour le bromate de potassium 10 %:
en décembre 1980 : 339 UKL en mai 1981 : 336 UKL en mai 1982 : 325 UKL
- pour les mélanges de vitamines :
en décembre 1980 : 595 UKL en mai 1981 : 575 UKL en octobre 1982 (nutramin 50): 489 UKL en juin 1983 (nutramin 50): 757 UKL.
106. Il convient de relever que les offres d'AKZO sont inférieures à la moyenne de ses coûts totaux, mais supérieures à la moyenne de ses coûts variables, tels qu'ils ont été retenus ci-avant (voir points 89 et 97), et que, dans le cas de l'offre d'octobre 1982 relative aux mélanges de vitamines, ils sont même inférieurs à ses coûts variables.
107. Les offres de juin 1983 concernant du bromate de potassium 6 % et des mélanges de vitamines sont, elles, supérieures à la moyenne des coûts totaux. Toutefois, elles ne sont pas révélatrices du comportement d'AKZO durant la période considérée. En effet, elles sont intervenues deux jours avant l'audition dans la procédure de demande de mesures provisoires (23 juin 1983) et un peu plus d'un mois avant l'adoption de la décision sur les mesures provisoires (29 juillet 1983).
108. Il y a lieu de relever, par ailleurs, que les prix offerts par AKZO, en décembre 1980, à cette partie de la clientèle d'ECS démontrent que l'intention d'AKZO était de nuire à cette dernière et non de reconstituer ses propres marges. Ces prix sont, en effet, nettement inférieurs à ce qui était nécessaire pour concurrencer ECS puisqu'ils présentent, par rapport aux prix consentis à ce moment par ECS à cette catégorie de clients, un écart de plus de 70 UKL pour le peroxyde de benzoyle 16 %, de plus de 100 UKL pour le bromate de potassium 6 % et, enfin, de plus de 60 UKL pour les mélanges de vitamines.
109. C'est donc à juste titre que la Commission a constaté qu'AKZO avait offert et fourni des additifs pour la farine aux clients d'ECS, dans le secteur des "gros indépendants", à des prix anormalement bas dans l'intention de nuire à la viabilité d'ECS.
iii) Les prix sélectifs
110. La Commission reproche aussi à AKZO d'avoir fait des offres sélectives aux clients d'ECS tout en maintenant les prix sensiblement supérieurs qu'elle pratiquait à l'égard des acheteurs comparables faisant partie de sa clientèle régulière [article 1er, sous iii), de la décision].
111. Il résulte des mémoires de la Commission que le grief concerne deux catégories distinctes de clients. D'une part, la Commission retient comme infraction à charge d'AKZO le fait pour elle d'avoir offert des prix avantageux aux "gros indépendants", clients d'ECS, tout en maintenant des prix sensiblement plus élevés à l'égard des "gros indépendants" qui étaient ses clients. D'autre part, elle considère comme une violation de l'article 86 le fait, pour AKZO, d'avoir proposé aux minoteries individuelles du groupe Allied des prix plus avantageux que ceux consentis aux "gros indépendants" qui faisaient partie de sa clientèle traditionnelle.
Sur la sélectivité des offres faites aux "gros indépendants"
112. Selon AKZO, le grief est dépourvu de fondement tant en fait qu'en droit. En fait, parce qu'elle n'aurait pas fixé de prix différents selon qu'il s'agissait de sa clientèle ou de celle d'ECS. La comparaison aurait dû être faite entre les clients dont ECS et AKZO se sont disputé les commandes et ceux des clients d'AKZO qui n'ont pas reçu d'offres concurrentes. Le grief serait non fondé en droit parce que, en fixant des prix supérieurs à l'égard de quelques-uns de ses clients traditionnels, AKZO n'aurait pas porté préjudice à ECS.
113. AKZO n'a pas contesté avoir consenti des prix différents à des acheteurs de taille comparable. En outre, elle n'a pas fait valoir d'arguments pour démontrer que ces différences tenaient à la qualité des produits vendus ou à des coûts de production particuliers.
114. Les prix pratiqués par AKZO à l'égard de ses propres clients étaient supérieurs à la moyenne de ses coûts totaux, alors que ceux qu'elle offrait aux clients d'ECS étaient inférieurs à cette moyenne.
115. AKZO pouvait ainsi compenser, au moins partiellement, les pertes résultant des ventes aux clients d'ECS par les bénéfices réalisés sur les ventes aux "gros indépendants" qui faisaient partie de sa clientèle. Ce comportement démontre que l'intention d'AKZO n'était pas de pratiquer une politique générale de prix avantageux, mais d'adopter une stratégie de nature à nuire à ECS. Le grief est donc fondé.
Sur la sélectivité des offres faites aux minoteries individuelles du groupe Allied
116. La Commission considère qu'AKZO aurait dû s'abstenir d'offrir, à partir de janvier 1981, aux minoteries individuelles du groupe Allied, qui sont pour l'essentiel des clients d'ECS, des prix plus avantageux que ceux qu'elle consentait aux "gros indépendants" faisant partie de sa propre clientèle. La Commission justifie ce point de vue par le fait que, selon elle, les minoteries individuelles du groupe Allied et les "gros indépendants" constituent des clients comparables. A cet égard, elle souligne qu'AKZO pratiquait, avant janvier 1981, à l'égard de Coxes Lock, la seule minoterie individuelle du groupe Allied faisant partie de sa clientèle, des prix identiques à ceux qu'elle consentait aux "gros indépendants".
117. AKZO conteste le grief au motif que les minoteries individuelles du groupe Allied et les "gros indépendants" ne sont pas des clients comparables.
118. Il y a lieu de constater que les prix offerts par AKZO, durant le conflit, aux minoteries individuelles du groupe Allied étaient identiques à ceux qu'elle proposait à Provincial Merchants, la centrale d'achat du groupe Allied. Ces prix étaient effectivement plus avantageux que ceux qu'elle consentait aux "gros indépendants" faisant partie de sa propre clientèle.
119. A cet égard, il convient de relever, d'abord, que la politique poursuivie par AKZO n'a pas entraîné de discrimination entre les minoteries du groupe Allied elles-mêmes. En effet, AKZO a offert, à partir de janvier 1981, des prix identiques à l'ensemble des minoteries du groupe Allied, y compris Coxes Lock, de sorte qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir consenti aux minoteries individuelles du groupe Allied, clientes d'ECS, des prix plus avantageux que ceux qu'elle consentait à la seule minoterie du groupe faisant partie de sa clientèle.
120. Il y a lieu de souligner, ensuite, qu'il n'y a pas eu de politique de discrimination abusive entre les minoteries individuelles du groupe Allied et les "gros indépendants", car ces deux catégories de clients ne sont pas comparables. D'une part, la centrale d'achat du groupe Allied (30 % des achats de peroxyde de benzoyle) a toujours bénéficié, quel que soit le fournisseur, de prix plus avantageux que ceux consentis aux "gros indépendants" qui n'achètent que de faibles quantités de produit (ensemble, 10 % des achats de peroxyde de benzoyle). D'autre part, une minoterie du groupe Allied peut toujours s'approvisionner en additifs par l'intermédiaire de sa centrale d'achat. Une offre à une minoterie individuelle n'a, dès lors, de réelles chances de succès que si elle se situe au niveau de prix offert à la centrale. On ne peut, en effet, normalement s'attendre à ce qu'une minoterie individuelle accepte de payer à son fournisseur un prix supérieur à celui qu'elle peut obtenir par l'intermédiaire de la centrale.
121. Il s'ensuit que le grief tenant à la sélectivité des offres faites aux minoteries individuelles du groupe Allied n'est pas fondé.
iv) Sur les prix d'appel
122. La Commission fait encore grief à AKZO d'avoir offert aux clients d'ECS du bromate de potassium et un mélange de vitamines (alors qu'elle ne fournissait pas normalement ce dernier produit) à un prix d'appel, dans le cadre d'un contrat global comportant du peroxyde de benzoyle, en vue d'obtenir leurs commandes pour la gamme complète des additifs pour la farine, évinçant ainsi ECS [article 1er, sous iv), de la décision].
Les prix d'appel relatifs au bromate de potassium
123. Il ressort du dossier que, selon la Commission, l'abus retenu à la charge d'AKZO résiderait dans le fait d'avoir offert aux clients d'ECS du bromate de potassium à des prix anormalement bas pour les amener à lui commander l'ensemble de leurs additifs.
124. AKZO expose que l'utilisation d'un produit pour une politique de prix d'appel n'a de sens que lorsque des quantités minimes de ce produit sont offertes. Comme elle a toujours livré, au contraire, de grandes quantités de bromate de potassium, le grief ne serait pas fondé. AKZO souligne qu'elle n'a pas offert ce produit seulement aux clients d'ECS.
125. A cet égard, il convient de relever qu'il ressort de la comparaison des coûts de production du bromate de potassium et du peroxyde de benzoyle que le bromate de potassium était offert à des prix proportionnellement plus avantageux que le peroxyde de benzoyle.
126. Les prix plus avantageux du bromate de potassium, produit qu'AKZO offrait généralement en même temps que le peroxyde de benzoyle, visaient à augmenter l'attrait de l'assortiment d'additifs proposé. Le grief est donc fondé.
Les prix d'appel relatifs aux mélanges de vitamines
127. La Commission considère comme un abus le fait, de la part d'AKZO, d'avoir offert les mélanges de vitamines à des prix anormalement bas aux clients d'ECS, alors qu'elle ne fournissait pas ce produit à sa propre clientèle.
128. AKZO conteste le grief en soulignant qu'il est démenti par les faits. Certaines minoteries auxquelles AKZO a offert la gamme complète d'additifs, en ce compris les mélanges de vitamines, auraient choisi de n'acheter que du peroxyde de benzoyle et du bromate de potassium. Par ailleurs, les offres de ce produit, sous forme d'un service à la clientèle, n'auraient pu se faire qu'à un niveau de prix très bas, en raison des prix compétitifs pratiqués par Vitrition, le principal fournisseur de mélanges de vitamines.
129. Il y a lieu de relever que le fait que certains clients aient choisi de ne pas acheter des mélanges de vitamines n'est pas de nature à démentir l'existence d'une politique de prix d'appel de la part d'AKZO.
130. Par ailleurs, deux éléments démontrent le bien-fondé du grief. En premier lieu, AKZO a rendu plus attractif son assortiment d'additifs en y intégrant, pour les clients d'ECS, les mélanges de vitamines, alors qu'elle ne vendait pas ce produit à ses principaux clients, Ranks et Spillers. En second lieu, elle a offert ces mélanges à des prix particulièrement avantageux puisque, ainsi qu'elle l'a reconnu, ceux-ci ne couvraient pas, dans certains cas, la moyenne de ses coûts variables (point 185 de la requête). Les prix compétitifs de Vitrition ne justifient pas qu'AKZO ait offert ce produit, compte tenu de sa propre structure de coûts, à des prix anormalement bas.
v) Sur le maintien des prix à un niveau artificiellement bas pendant une période prolongée
131. La Commission fait grief à AKZO d'avoir maintenu, dans le cadre du plan ayant pour but de nuire à ECS, les prix des additifs pour la farine, au Royaume-Uni, à un niveau artificiellement bas pendant une période prolongée, situation qu'elle pouvait supporter en raison de ses moyens financiers supérieurs à ceux d'ECS [article 1er, sous v), de la décision].
132. AKZO et la Commission sont d'accord pour considérer que ce grief concerne les prix consentis à Ranks et à Spillers.
Sur les prix consentis à Ranks
133. AKZO soutient que ses prix n'étaient pas abusifs puisqu'ils se justifiaient par des alignements destinés à contrer les offres d'ECS ou de Diaflex.
134. La Commission ne met pas en cause, sur le plan des principes, le droit d'une entreprise dominante à l'alignement. Elle n'admet cependant pas que les prix d'AKZO aient été réduits en raison de la forte concurrence exercée par Diaflex (point 45 de la décision). Divers documents apporteraient, en effet, la preuve qu'AKZO exerçait un contrôle sur les prix pratiqués par Diaflex. Il en résulterait qu'en l'espèce les alignements d'AKZO sur les prix de Diaflex seraient illicites.
135. Les documents auxquels se réfère la Commission révèlent notamment :
- qu'en juin 1979 Diaflex et AKZO se sont consulté sur les modalités d'une majoration des prix qu'elles consentaient à Ranks et à Spillers (annexe 119 à la communication des griefs);
- qu'en 1980 l'un des conseillers de Diaflex a fait état d'une loi non écrite qui interdisait à Diaflex d'enlever des clients à AKZO (annexe 117 à la communication des griefs);
- qu'en novembre 1980 Diaflex a indiqué à AKZO le montant d'une offre d'ECS à Ranks. Selon ce document, Diaflex et AKZO devaient réduire les prix qu'elles consentaient à Ranks si elles voulaient conserver ce client (annexe 38 à la communication des griefs);
- qu'en novembre 1982 un cadre d'AKZO était chargé de prendre contact avec Diaflex pour l'amener à relever ses prix (annexe 120 à la communication des griefs).
136. Il ressort de ces documents, qu'AKZO et Diaflex ont entretenu des contacts étroits sur la politique à suivre en matière de prix durant la période précédant la décision sur les mesures provisoires. Dans ces conditions, la Commission pouvait considérer que les alignements d'AKZO sur les prix consentis par Diaflex étaient illicites. Il n'y a, dès lors, pas lieu de tenir compte des offres de Diaflex dans le cadre de l'examen du grief.
137. Pour ce qui concerne le peroxyde de benzoyle 20 %, il convient de constater qu'AKZO a pratiqué, à l'égard de Ranks, de janvier 1981 à mars 1982, le prix de 640 UKL sans avoir à affronter des offres d'entreprises autres que Diaflex. En mars 1982, AKZO a réduit son prix à 629 UKL pour contrer l'offre d'un négociant indépendant, d'un montant équivalent. Cette offre ne justifie pas qu'AKZO ait maintenu ce prix jusqu'à ce qu'intervienne la décision sur les mesures provisoires puisqu'il n'a pas eu, ultérieurement, à affronter d'autres offres compétitives. Les prix de 640 et 629 UKL étaient inférieurs à la moyenne de ses coûts totaux, mais supérieurs à la moyenne de ses coûts variables qui ont été retenus ci-avant (voir points 89 et 97).
138. Pour ce qui concerne le bromate de potassium 10 %, AKZO a pratiqué, de janvier 1981 à mars 1982, le prix de 314 UKL, de mars 1982 à février 1983, celui de 309 UKL, de février 1983 à juin 1983, celui de 325 UKL, enfin, à partir de juin 1983, celui de 339 UKL. Ces prix, consentis en l'absence d'offres concurrentes, étaient inférieurs à la moyenne de ses coûts totaux, mais supérieurs à la moyenne de ses coûts variables.
139. Il s'ensuit que les prix pratiqués par AKZO à l'égard de Ranks n'ont pas été influencés par des offres concurrentes, à l'exception de celle de 629 UKL qui concerne le peroxyde de benzoyle (mars 1982).
140. En maintenant des prix inférieurs à la moyenne de ses coûts totaux durant une période prolongée sans justification objective, AKZO a ainsi pu nuire à ECS en la dissuadant de s'attaquer à sa clientèle.
Sur les prix consentis à Spillers
141. Pour les raisons exposées ci-avant, il n'y a pas lieu de prendre en considération les offres que Diaflex a faites à Spillers.
142. En ce qui concerne le peroxyde de benzoyle 16 %, il y a lieu de constater qu'AKZO a consenti à Spillers le prix de 489 UKL, de novembre 1980 à mars 1982. Ce prix était inférieur à la moyenne des coûts totaux d'AKZO, mais supérieur à la moyenne de ses coûts variables, tels qu'ils ont été retenus ci-avant (voir points 89 et 97). Il ne s'explique pas par la nécessité de contrer des offres concurrentes.
143. Par la suite, AKZO a pratiqué à l'égard de Spillers, toujours pour le peroxyde de benzoyle, des prix encore plus avantageux (425 UKL à partir de mars 1982 et 435 UKL à partir de juin 1983) qui, toutefois, ne comportaient pas le montant des frais de transport qu'AKZO évaluait à 35 UKL par tonne (annexe 3 au recours). Il ne résulte pas du dossier qu'il y ait eu, pour cette période, des offres concurrentes.
144 En ce qui concerne le bromate de potassium 10 %, il y a lieu de relever qu'AKZO a offert durant toute la période considérée, sans avoir à affronter des offres concurrentes, le prix de 309 UKL, prix qui était inférieur à la moyenne de ses coûts totaux, mais supérieur à la moyenne de ses coûts variables.
145. Il s'ensuit que, comme les prix consentis par AKZO à Ranks, ceux offerts à Spillers n'ont pas été influencés par des offres concurrentes.
146. En maintenant des prix inférieurs à la moyenne de ses coûts totaux durant une période prolongée sans justification objective, AKZO a ainsi pu nuire à ECS en la dissuadant de s'attaquer à sa clientèle.
vi) Sur l'obtention de renseignements concernant les offres concurrentes et sur le contrat d'exclusivité
147. La Commission considère encore comme abusif de la part d'AKZO le fait d'avoir poursuivi une politique commerciale d'éviction vis-à-vis des fournisseurs de RHM et de Spillers, en obtenant de ces clients des détails précis sur les offres faites par les autres fournisseurs d'additifs pour la farine et en faisant ensuite une offre à un prix tout juste inférieur à l'offre la plus basse de la concurrence, à quoi la Commission ajoute (dans le cas de Spillers) l'obligation imposée au client d'acheter auprès d'AKZO tout son approvisionnement en additifs pour la farine [article 1er, sous vi), de la décision].
148. S'agissant de l'obtention de renseignements, il y a lieu de relever que, lorsque pareille pratique s'inscrit, comme en l'espèce, dans le cadre d'un plan visant à éliminer un concurrent, elle ne saurait être considérée comme un moyen normal de concurrence.
149. S'agissant du contrat d'exclusivité, il convient de rappeler que la Cour a jugé dans l'arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 89, que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier - fût-ce à leur demande - des acheteurs par une obligation ou promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité.
150. Le contrat conclu par AKZO avec Spillers doit donc être considéré comme une pratique abusive.
III - Sur les mesures imposées
151. AKZO soutient que certaines des mesures qui lui ont été imposées pour mettre fin à l'infraction doivent être annulées.
152. Ces mesures, énoncées aux troisième et cinquième alinéas de l'article 3 de la décision, interdisent à AKZO de pratiquer des prix différenciés à l'égard de clients de taille comparable et, en particulier, de consentir aux minoteries individuelles du groupe Allied des prix plus favorables qu'aux "gros indépendants".
Sur l'interdiction des prix différenciés
153. Le troisième alinéa de l'article 3 de la décision est ainsi libellé :
"En particulier, mais sans préjudice des autres obligations découlant de l'article 1er, sous i) à vi), AKZO Chemie BV et ses filiales s'abstiendront (sauf pour l'exécution de commandes à des prix acceptés antérieurement à la date de notification de la présente décision) de faire des offres ou d'appliquer des prix ou autres conditions de vente pour les additifs pour la farine dans la Communauté qui auraient pour conséquence de faire payer, aux clients dont elles disputent les commandes à ECS, des prix différents de ceux pratiqués par AKZO Chemie BV à l'égard de clients comparables".
154. Selon AKZO, la mesure est inéquitable. Elle la placerait, en effet, devant une alternative si ECS approchait ses clients : soit s'aligner et étendre à tous ses clients de taille comparable les prix qu'elle a dû consentir pour conserver le client, ce qui serait très coûteux, soit perdre le client.
155. A cet égard, il y a lieu de souligner que la disposition attaquée vise à empêcher la répétition de l'infraction et à éliminer les conséquences de celle-ci. C'est dans cette perspective que cette disposition doit être replacée. D'une part, elle interdit à AKZO de s'attaquer à nouveau aux clients d'ECS en leur offrant des prix avantageux, sans en étendre le bénéfice à sa propre clientèle. D'autre part, elle lui interdit, au cas où ECS tenterait de lui reprendre la clientèle qu'elle lui a enlevée illicitement, de s'aligner sur ses prix, sans faire bénéficier sa clientèle de cet avantage.
156. En revanche, la situation évoquée par AKZO à l'appui de son allégation n'est pas visée par cette disposition. En effet, celle-ci ne lui interdit pas de procéder à des alignements défensifs, même sur les prix d'ECS, pour conserver les clients qui ont été les siens depuis le départ.
157. La disposition incriminée ne saurait être qualifiée d'inéquitable puisqu'elle se limite à interdire à AKZO de poursuivre son comportement illicite et à permettre à ECS de rétablir la situation qui existait avant le conflit. Le grief doit donc être rejeté.
Sur les offres aux minoteries individuelles du groupe Allied
158. Le cinquième alinéa de l'article 3 est rédigé comme suit :
"Pour écarter toute incertitude à cet égard, il est précisé que les offres faites par AKZO Chemie BV pour la fourniture d'additifs pour la farine à diverses minoteries du groupe Allied Mills ne comporteront pas de conditions sensiblement plus favorables que celles faites aux "gros indépendants".
159. Lors de l'examen du grief relatif aux prix sélectifs, il a été constaté que les minoteries individuelles du groupe Allied et les "gros indépendants" ne se trouvaient pas dans une situation comparable. Il n'y avait donc pas de discrimination interdite par l'article 86.
160. En prescrivant à AKZO d'offrir aux minoteries individuelles du groupe Allied des prix équivalant à ceux qu'elle consent aux "gros indépendants", la Commission lui a imposé une condition qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer le respect de l'interdiction de discrimination découlant de l'article 86, sous c), du traité. Le cinquième alinéa de l'article 3 de la décision attaquée doit donc être annulé.
IV - Sur l'amende
161. A titre subsidiaire, AKZO demande que l'amende qui lui a été infligée par l'article 2 de la décision soit annulée, ou à tout le moins réduite.
162. A cet égard, il convient de souligner que l'infraction commise par AKZO est d'une particulière gravité puisque le comportement incriminé visait à empêcher un concurrent d'étendre ses activités à un marché où AKZO occupait une position dominante.
163. Trois éléments conduisent toutefois à réduire l'amende. Il y a lieu de relever, d'abord, en ce qui concerne les prix anormalement bas qu'AKZO a offerts ou consentis tant à sa clientèle qu'à celle d'ECS, que les abus de cet ordre relèvent d'un domaine du droit où les règles de concurrence n'avaient jamais été précisées. Il convient de tenir compte, par ailleurs, de l'incidence limitée du conflit qui a opposé AKZO à ECS puisque l'infraction n'a pas influencé de façon significative les parts respectives de ces deux entreprises dans le secteur des additifs pour la farine. Il résulte en effet de la décision (point 18) que, avant le conflit, ECS détenait 35 % des parts de ce secteur contre 30 % en 1984, tandis que celles d'AKZO sont passées de 52 à 55 %. Enfin, la Commission ne pouvait pas faire de la méconnaissance de la décision sur les mesures provisoires, consistant en des alignements sur les prix de Diaflex, une circonstance aggravante susceptible de justifier le montant élevé de l'amende. En effet, cette décision permettait l'alignement sur les prix de tout concurrent, sans exclure l'alignement sur les prix de Diaflex. Il appartenait, dès lors, à la Commission, dès le moment où elle disposait des preuves que Diaflex n'était pas un concurrent réel et que les alignements n'étaient donc pas effectués de bonne foi, de faire usage des pouvoirs de sanction qu'elle s'était réservés.
164. Dans ces conditions, il y a lieu de réduire l'amende d'un quart et de la fixer à 7 500 000 écus, soit 18 522 000 HFL.
Sur les dépens
165. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé dans l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux de la procédure en référé.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête :
1) L'article 1er, sous iii), de la décision 85-609-CEE de la Commission, du 14 décembre 1985, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE, en tant qu'il concerne les offres faites par AKZO aux minoteries individuelles du groupe Allied, est annulé.
2) L'article 3, cinquième alinéa, de la décision est annulé.
3) L'amende est fixée à 7 500 000 écus, soit 18 522 000 HFL.
4) Le recours est rejeté pour le surplus.
5) La requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux de la procédure en référé.