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Décisions

TPICE, 2e ch., 29 mai 1991, n° T-12/90

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bayer (AG)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Juges :

MM. Yeraris, Briët, Vesterdorf, Biancarelli

Avocat :

Me Sedemund.

Comm. CE, du 13 déc. 1989

13 décembre 1989

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

Les faits à l'origine du recours

1. Par sa décision 90-38-CEE, du 13 décembre 1989 (JO L 21, p. 71, ci-après "décision"), la Commission a constaté l'existence d'accords, au cours de la période allant du 10 juillet 1986 au 13 novembre 1989, entre Bayer AG, société destinataire de la décision (ci-après "Bayer"), et ses clients, selon lesquels ces derniers étaient obligés d'acheter du "Bayo-n-ox Premix 10 % " exclusivement pour couvrir leurs besoins propres dans leurs installations. Selon la Commission, les accords étaient constitutifs d'infractions à l'article 85 du traité CEE et la Commission a infligé à ce titre une amende de 500 000 écus à Bayer sur le fondement de l'article 14, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17").

2. Cette décision a été adressée le 20 décembre 1989 à Bayer, par la voie postale, sous forme de lettre recommandée avec avis de réception postal. Il est établi par les pièces du dossier, dont l'exactitude n'a pas été contestée, que la lettre est parvenue au service du courrier de Bayer le 28 décembre 1989.

3. L'enveloppe contenant cet envoi portait au recto, en premier lieu, une vignette d'affranchissement, en deuxième lieu, une étiquette collée indiquant, d'une part, la dénomination et l'adresse de la Commission ainsi que, d'autre part, la raison sociale et l'adresse de Bayer, désignées par les termes "An die BAYER AKTIENGESELLSCHAFT - D-5090 LEVERKUSEN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE", en troisième lieu, un cachet apposé en haut à gauche, ainsi conçu "A.R. - RECOMMANDE avec Accusé de réception -AANGETEKEND Met Ontvangstbewijs", et, en quatrième lieu, une vignette collée dans le coin inférieur gauche portant, dans un cadre rouge, la mention "R [en rouge] - BRUXELLES 4 - BRUSSEL 4 - 663 [rouge". Au verso de ladite enveloppe était collé, à chaque extrémité, un carton rouge détachable, intitulé "avis de réception.de paiement/d'inscription." Le carton a été détaché de l'enveloppe, en y laissant des traces visibles, lors de son traitement par le service du courrier.

4. Un fondé de pouvoir de Bayer, affecté au service du courrier, a inscrit sur ledit avis, dans le case "date et signature du destinataire", la date du 28 décembre 1989 et y a apposé sa signature. Le bureau du service de postes de Leverkusen, après avoir apposé sur l'avis en question un cachet indiquant également la date du 28 décembre 1989, l'a renvoyé à la Commission, qui l'a bien reçu.

5. Un préposé du service du courrier de Bayer, supposant que cet envoi était destiné au service des brevets, l'a fait transmettre à ce dernier, sans ouvrir l'enveloppe ni mentionner sur celle-ci la date à laquelle elle était parvenue au service du courrier. Le service des brevets, après avoir apposé, au recto de l'enveloppe, un cachet à l'encre rouge indiquant "NICHT K-RP Patentabteilung" [non-destiné au service des brevets], l'a renvoyée, par courrier interne, au service du courrier. Le 3 janvier 1990, un préposé du service du courrier de Bayer a ouvert l'enveloppe, au recto de laquelle il a apposé un cachet portant la date du même jour. Il a ensuite transmis l'enveloppe et son contenu au service juridique de Bayer.

6. L'enveloppe en question contenait le texte de la décision précitée de la Commission, une lettre d'accompagnement en date du 19 décembre 1989, ainsi qu'un formulaire standard de garantie bancaire et un imprimé intitulé "Acknowledgement of receipt/Accusé de réception". Le secrétariat du service juridique de Bayer a apposé sur le texte de la décision un cachet mentionnant la date du 3 janvier 1990. Deux membres du service juridique ont, pour leur part, complété et signé l'"accusé de réception" en y indiquant la date du 3 janvier 1990. Ce formulaire a été ensuite renvoyé à la Commission, qui l'a bien reçu.

7. Le 15 janvier 1990, le service juridique de Bayer a adressé à Sir Leon Brittan, vice-président de la Commission, une lettre concernant la décision litigieuse. Dans cette lettre, la date du 3 janvier 1990 était mentionnée comme étant celle de sa notification.

La procédure

8. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 mars 190, Bayer a demandé l'annulation de la décision précitée de la Commission, subsidiairement, l'annulation de l'amende de 500 000 écus qui lui a été infligée et, plus subsidiairement, la réduction de ladite amende.

9. Par acte séparé, déposé le 30 mars 1990, la Commission a introduit sur le fondement de l'article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (ci-après "règlement de procédure de la Cour"), une demande tendant à ce que, sans engager le débat au fond, le Tribunal, statue sur une exception d'irrecevabilité tirée du caractère tardif du recours. Le 7 mai 1990, Bayer a déposé ses observations sur cette demande.

10. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sur cette exception d'irrecevabilité. Les parties ont été invitées à répondre à certaines questions et la requérante a été invitée à produire l'enveloppe originale au moyen de laquelle la notification avait été effectuée. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis. La production de l'enveloppe, complétant les indications fournies par les parties dans leurs observations écrites, a permis au Tribunal de procéder aux constatations reproduites ci-dessus aux points 3 à 7.

11. La procédure orale sur l'exception d'irrecevabilité s'est déroulée le 6 décembre 1990 et le président en a prononcé la clôture à la fin de l'audience.

12. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours irrecevable en raison du non-respect du délai prévu pour son introduction ;

- condamner la requérante aux dépens.

13. Bayer soutient que le recours a été introduit dans le délai prévu. Subsidiairement, elle allègue qu'une éventuelle méconnaissance du délai prévu par l'article 173, troisième alinéa, du traité CEE ne saurait lui être imputable.

Sur la recevabilité du recours

14. La Commission fait observer que le recours introduit par Bayer le 9 mars 1990 a pour objet l'annulation d'une décision qui lui a été notifiée le 28 décembre 1989. Or, étant donné que le délai pour l'introduction d'un recours en annulation est fixé à deux mois par l'article 173, troisième alinéa, du traité CEE, que ledit délai commence à courir, selon l'article 81, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le lendemain du jour où l'intéressé a reçu notification de l'acte et qu'en vertu des dispositions combinées de l'article 81, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour et de l'article 1er, deuxième tiret, de l'annexe II dudit règlement, le délai applicable doit, en l'espèce, être augmenté de six jours en raison de la distance, puisque la requérante a son siège social en République fédérale d'Allemagne, le délai pour introduire un recours en annulation est venu à expiration le 6 mars 1990. Par conséquent, la requête déposée le 9 mars 1990 devrait être considérée comme tardive et, par suite, irrecevable.

15. Bayer a présenté trois moyens en défense à cette exception d'irrecevabilité : en premier lieu, un moyen tiré de l'irrégularité de la notification faite par la Commission ; en deuxième lieu, un moyen, présenté à titre subsidiaire, tiré de l'existence de circonstances de nature à rendre excusable son erreur sur le point de départ du délai de recours et, enfin, un moyen tiré de l'existence de circonstances constitutives d'un cas fortuit ou de force majeure. Il convient de procéder successivement à l'examen de ces trois moyens en défense présentés par la requérante.

16. Le Tribunal rappel liminairement qu'il est constant que, selon les dispositions combinées de l'article 173, troisième alinéa, du traité CEE, de l'article 81 du règlement de procédure de la Cour et de l'article 1er de l'annexe II dudit règlement, le délai de recours était en l'espèce de deux mois et six jours et commençait à courir à compter du lendemain du jour où Bayer a reçu notification de la décision litigieuse ou en a eu connaissance.

Sur l'irrégularité de la notification

17. Bayer soutient, en premier lieu, que le délai de deux mois, prévu par l'article 173, troisième alinéa, du traité CEE pour introduire un recours en annulation, n'a commencé à courir que le 3 janvier 1990 et n'a pris fin, compte tenu du délai de distance de six jours prévu par l'article 1 de l'annexe II du règlement de procédure de la Cour, que le 9 mars 1990. Le fait que la décision litigieuse, adressée seulement à "BAYER AKTIENGESELLSCHAFT, D-5090 LEVERKUSEN", soit parvenue à son service du courrier le 28 décembre 1989 ne signifierait pas que celle-ci lui ait été notifiée, ni qu'elle en ait pris connaissance à cette date. Bayer rappelle que, selon l'article 10 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), une telle décision doit être envoyée à son destinataire par lettre recommandée avec avis de réception ou être remise contre reçu. En plaçant dans la lettre recommandée l'imprimé intitulé "Acknowledgement of Receipt/Accusé de réception", la Commission aurait utilisé ces deux modes de notification. L'utilisation simultanée, en l'espèce, de ces deux modalités de notification aurait rendu la notification irrégulière. En conséquence, le délai de recours n'aurait commencé à courir qu'à compter du jour où Bayer a effectivement pris connaissance de la décision soit, ainsi qu'elle estime l'avoir établi par ailleurs, le 3 janvier 1990. Elle ajoute que, dès lors que la Commission a accepté, sans formuler la moindre observation, l'accusé de réception portant la date du 3 janvier 1990, les principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique s'opposent à ce que la Commission, ultérieurement, se réfère à l'existence d'un avis de réception postal, signé à une date antérieure.

18. S'agissant de la régularité de la notification, le Tribunal relève que, selon une jurisprudence établie de la Cour, l'envoi par lettre recommandée avec avis de réception postal constitue un mode de notification approprié, dès lors qu'il permet de déterminer avec certitude le point de départ du délai. De même, une décision est-elle dûment notifiée dès lors qu'elle est communiquée à son destinataire et que celui-ci est mis en mesure d'en prendre connaissance (arrêt du 26 novembre 1985, Cockerill-Sambre/Commission, 42-85, Rec. p. 3749).

19. En l'espèce, le Tribunal a constaté que les services de la Commission ont envoyé la décision à Bayer par lettre recommandée avec avis de réception postalet que cette lettre est parvenue dans des conditions régulières au siège social de Bayer, à Leverkusen, le 28 décembre 1989. Il s'ensuit que Bayer était, à cette date, en mesure de prendre connaissance du contenu de la lettre et, partant, de la teneur de la décision.

20. En effet, la présence de l'imprimé intitulé "Acknowledgement of Receipt/Accusé de réception" dans l'enveloppe ne constitue, en aucun cas, une deuxième notification distincte de celle qui a été régulièrement effectuée par la voie postale. Sans qu'il soit besoin, à ce stade du raisonnement de se prononcer sur les conséquences de la présence de ce formulaire, au regard des notions d'erreur excusable, de cas fortuit et de force majeure, il suffit de relever que la notification faite au moyen de l'imprimé "Acknowledgement of Receipt/Accusé de réception" aurait supposé une remise en mains propres de la décision à un préposé de Bayer par un agent de la Commission dûment habilité à cet effet, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. En réalité, comme l'a souligné la Commission, la finalité de l'expédition de ce formulaire concomitamment à l'envoi de la décision, au sein même de l'enveloppe, réside simplement dans la circonstance que la Commission est assurée de disposer d'une date certaine de la connaissance acquise de la décision par l'entreprise, lorsque l'administration des postes concernée se montre défaillante et omet de retourner l'accusé de réception postal à la Commission, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Dès lors, la décision litigieuse a été régulièrement et valablement notifiée à Bayer le 28 décembre 1989.

21. Il résulte de ce qui précède que le premier moyen en défense présenté par la requérante doit être rejeté.

Sur l'erreur excusable

22. Subsidiairement, Bayer soutient qu'en admettant même que le délai imparti par l'article 173, troisième alinéa, du traité CEE ait commencé à courir le 28 décembre 1989, le recours ne saurait être rejeté comme irrecevable, compte tenu de la jurisprudence de la Cour selon laquelle le non-respect des délais imposés par les textes ne fait pas obstacle à la recevabilité d'un recours, lorsque la partie requérante a commis une erreur excusable sur leur point de départ (arrêts du 18 octobre 1977, Schertzer/Parlement, 25-68, Rec. p. 1729 et du 5 avril 1979, Orlandi/Commission, 117-78, Rec. p. 1613, notamment p. 1620). A cet égard, Bayer a présenté quatre arguments de nature à établir que son erreur était excusable en l'espèce.

23. Bayer soutient, en premier lieu, qu'au cours de la procédure administrative qui a précédé la prise de décision, la Commission avait adressé, sans exception, toutes les communications qui lui étaient destinées directement à son service juridique, sous forme de lettres recommandées avec avis de réception. La requérante pouvait, dès lors, présumer que la décision finale serait également directement envoyée au service juridique. Or, rompant avec la pratique constante qu'elle avait antérieurement suivie, la Commission a adressé la décision à "BAYER AKTIENGESELLSCHAFT", sans aucune précision quant au service destinataire.

24. Bayer relève, en deuxième lieu, qu'elle avait entrepris tout ce qui était en son pouvoir pour éviter toute erreur lors de l'acheminement du courrier qui lui parvenait. Elle reconnaît, cependant, que son fondé de pouvoir, préposé au service du courrier, a méconnu les instructions internes qui imposent aux employés de ce service, d'une part, d'ouvrir toute enveloppe ne comportant pas une destination suffisamment claire du service destinataire ; d'autre part, d'y apposer un cachet indiquant la date à laquelle le document est arrivé au service du courrier et, enfin, de faire parvenir au service compétent le document en cause, accompagné de l'enveloppe munie du cachet indiquant la date d'arrivée.

25. En troisième lieu, selon Bayer, la présence, dans l'enveloppe, d'un "accusé de réception", joint par la Commission au texte de la décision ferait très clairement apparaître le caractère excusable de l'erreur qu'elle a commise. Compte tenu des dispositions de l'article 10 du règlement n° 99-63, le service juridique était en droit de considérer que cet accusé de réception constituait le seul document utilisé par la Commission pour procéder à la notification de la décision et ne pouvait, par conséquent, se douter qu'un avis de réception postal portant une autre date avait déjà été rempli et retourné par le service du courrier.

26. En quatrième lieu, enfin, Bayer relève que le fait qu'à aucun moment, ni lors de la réception de l'accusé de réception, ni au cours de l'échange ultérieur de correspondances, en particulier lors de la réception de la lettre du 15 janvier 1990, la Commission n'a attiré l'attention de la requérante sur son erreur, plaiderait indéniablement en faveur du caractère excusable de celle-ci. En conservant un tel silence, la Commission aurait méconnu tout à la fois les principes de sécurité juridique et de confiance légitime auxquels elle était tenue à l'égard de la requérante.

27. A cet ensemble d'arguments, la Commission a répondu en substance, au cours de la procédure orale, que, compte tenu de l'importance que revêtent les dispositions concernant les délais de recours, on ne saurait admettre qu'une erreur, consécutive à des fautes graves commises au sein d'une entreprise et relevant de la seule responsabilité des employés de cette dernière, puisse être de nature à retarder le point de départ du délai de recours.

28. Selon le Tribunal, il convient, liminairement, de préciser la protée de la notion d'erreur excusable qui, dans des circonstances exceptionnelles, peut avoir pour effet de conserver le délai de recours, ainsi que l'a jugé la Cour dans son arrêt du 18 octobre 1977 (Schertzer, 25-68, précité). En effet, cette notion, qui se distingue de celles de cas fortuit ou de force majeure, prévues expressément par l'article 42 du protocole sur le statut de la Cour de justice de la Communauté économique européenne (ci-après "statut de la Cour"), trouve sa source directement dans le souci du respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

29. S'agissant du domaine des délais de recours, qui selon une jurisprudence constante, ne sont à la disposition, ni du juge, ni des parties et présentent un caractère d'ordre public, la notion d'erreur excusable doit être interprétée de façon restrictive et ne peut viser que des circonstances exceptionnelles où, notamment, l'institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l'esprit d'un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d'un opérateur normalement averti.Dans une telle hypothèse, l'administration ne saurait, en effet, se prévaloir de sa propre méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime qui a été à l'origine de l'erreur commise par le justiciable.

30. C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'examiner si les quatre circonstances alléguées, en l'espèce, par la requérante sont de nature à rendre excusable l'erreur par elle commise sur le point de départ du délai de recours.

31. Le Tribunal estime, en premier lieu, compte tenu des obligations qui pèsent sur tout opérateur économique normalement averti, que le fait que la Commission a procédé à la notification de la décision attaquée au siège social de la requérante, alors qu'elle aurait, antérieurement, adressé toutes ses communications directement au service juridique de cette dernière, ne saurait constituer une circonstance exceptionnelle de nature à rendre excusable l'erreur commise par la requérante.

32. Le Tribunal relève, en second lieu, que l'argument tiré de ce que Bayer aurait entrepris tout ce qui était en son pouvoir pour éviter toute erreur lors de l'acheminement du courrier qui lui était adressé, est, à le supposer exact, dénué de tout fondement en l'espèce, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier et qu'il n'est pas contesté que des erreurs ont effectivement été commises au sein de l'entreprise Bayer, lors de la réception de la lettre recommandée.

33. La première erreur, non contestée par Bayer, a consisté dans la méconnaissance par son service du courrier des instructions internes de l'entreprise, faisant obligation aux employés de ce service d'ouvrir toute enveloppe dont le destinataire interne, au sein de l'entreprise, ne semblait pas clairement établi. La deuxième erreur a résidé dans l'omission, par le service du courrier de l'entreprise, d'apposer un cachet sur l'enveloppe, indiquant la date d'arrivée de ce pli au service du courrier. La troisième erreur résulte des deux précédentes et a consisté à ne pas faire parvenir immédiatement le document en cause, accompagné de l'enveloppe, au service compétent. Enfin, la quatrième erreur a résidé dans l'absence de prise en compte, par le service juridique de l'entreprise, de l'existence du cachet "NICHT K-RP Patentabteilung", apposé au recto de l'enveloppe par le service des brevets, ainsi que des traces bien visibles de l'avis de réception postal figurant sur l'enveloppe.

34. Le Tribunal estime, d'une part, qu'en l'absence des trois erreurs précités commises par le service du courrier, le service juridique de Bayer aurait nécessairement eu connaissance de l'existence de la notification régulière de la décision attaquée, effectuée par la Commission le 28 décembre 1989 ; d'autre part, qu'en présence de l'ensemble de ces erreurs, le service juridique de Bayer était tenu, comme aurait dû le faire tout service normalement diligent, de rechercher de manière précise et attentive la date à laquelle le pli, qui avait transité par le service des brevets, avait été reçu initialement par le service du courrier de l'entreprise. Or, Bayer n'a soutenu, ni dans ses observations écrites, ni au cours de la procédure orale, qu'une telle recherche aurait été effectuée.

35. Il résulte de ce qui précède que Bayer ne saurait se prévaloir ni d'un fonctionnement défectueux de son organisation interne ni de la méconnaissance de ses propres directives internes pour tenter de démontrer le caractère excusable de l'erreur par elle commise, alors qu'il est constant que ces directives n'ont pas été respectées et que, en tout état de cause, les services de la Commission n'ont nullement contribué au fonctionnement défectueux des services de Bayer.

36. S'agissant du troisième argument allégué par Bayer, à savoir la présence dans l'enveloppe d'un "accusé de réception" joint par la Commission au texte de la décision, il n'est pas exclu qu'une telle circonstance aurait pu être de nature à provoquer une certaines hésitation, dans l'esprit du destinataire de la notification, sur la modalité de notification effectivement retenue par la Commission, compte tenu du fait que la Commission, comme elle l'a reconnu expressément lors de l'audience, utilise le même formulaire tout à la fois, d'une façon générale, à des fins de notification par voie de remise contre reçu, et, comme en l'espèce, à des fins de simple classement administratif de ses propres dossiers. Toutefois, dans la présente affaire, la présence de l'imprimé intitulé "Acknowledgement of Receipt/Accusé de réception" n'aurait prêté à aucune confusion de la part de Bayer, si la requérante avait eu un comportement normalement diligent et si les erreurs, précitées, commises par ses différents services, ne l'avaient pas été.

37. Il résulte de ce qui précède que le troisième argument allégué par Bayer doit être écarté.

38. Enfin, s'agissant de l'argument tiré, d'une part, de la circonstance que la Commission n'a manifesté aucune réaction, lors de la réception de l'imprimé intitulé "Acknowledgement of Receipt/Accusé de réception", sur lequel Bayer avait inscrit la date du 3 janvier 1990 comme date de notification et, d'autre part, de ce que la Commission n'a pas attiré l'attention de la requérante sur son erreur relative à la date de notification, lors de l'échange de correspondances postérieur à cette dernière, notamment après réception de la lettre de Bayer du 15 janvier 1990, comportant la même indication erronée en ce qui concerne la date de notification, le Tribunal estime que la requérante ne saurait utilement, en l'espèce, se prévaloir d'un tel argument pour étayer sa thèse du caractère excusable de l'erreur par elle commise, ou pour reprocher à la Commission une violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en ce qui concerne les modalités de la computation du délai de recours dont elle disposait.

39. S'agissant de la première branche de l'argumentation de Bayer, relative à la discordance, non signalée par la Commission, entre la date du 28 décembre 1989, date de notification par voie de lettre recommandée avec avis de réception postal, et la date du 3 janvier 1990, mentionnée par erreur par le service juridique de Bayer, sur l'imprimé intitulé "Acknowledgement of Receipt/Accusé de réception", le Tribunal estime en premier lieu, que la Commission avait bien reçu l'avis de réception postal, portant la date du 28 décembre 1989, et sur lequel un fondé de pouvoir de Bayer avait apposé sa signature. En deuxième lieu, compte tenu de la finalité de l'imprimé intitulé "Acknowledgement of Receipt/Accusé de réception" qui est, comme la Commission l'a précisé, de permettre à cette institution de disposer, à tout le moins, d'une date certaine de connaissance acquise, lorsque, dans des circonstances exceptionnelles, l'avis de réception postal ne lui est pas retourné par une administration des postes, le Tribunal estime que la Commission, dans les circonstances de l'espèce et en l'état de la procédure, alors que l'avis de réception postal lui avait bien été retourné, n'était tenue à aucune obligation de vérifier la concordance des dates figurant sur les deux documents précités, puisque seule importait la date de notification régulière figurant sur l'avis de réception postal. Cette obligation de vérification s'imposait d'autant moins à la Commission qu'il ne peut, en principe, exister une telle discordance de date entre les deux documents précités sauf, comme en l'espèce, lorsqu'elle résulte d'erreurs imputables à l'entreprise.

40. S'agissant de la deuxième branche de l'argumentation, tirée du silence gardé par la Commission après la réception de la lettre de Bayer du 15 janvier 1990, le Tribunal estime que l'on ne saurait raisonnablement exiger des services de la Commission, lorsque, comme en l'espèce, la contestation ne porte pas précisément, dans un courrier, sur le point de départ du délai de recours, qu'ils rectifient spontanément l'ensemble des erreurs de dates figurant, à titre simplement incident, dans les courriers que leur adressent les différents opérateurs économiques.

41. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les quatre arguments invoqués par Bayer au soutien de son deuxième moye doivent être écartés et que, dès lors, ce moyen doit être lui-même rejeté.

Sur le cas fortuit ou de force majeure

42. Enfin, Bayer estime qu'elle peut se prévaloir de l'existence d'un cas fortuit ou de force majeure au sens de l'article 42, deuxième alinéa, du statut de la Cour. Ayant satisfait à tous égards aux obligations d'organisation et de contrôle qui lui incombaient, elle ne pourrait se voir imputer une faute et ne saurait, par conséquent, compte tenu de l'ensemble du comportement de la Commission, se voir reprocher la méconnaissance des délais impartis.

43. La Commission a répondu que les circonstances de l'espèce ne devraient pas amener le Tribunal à conclure que les dispositions dérogatoires en matière de cas fortuit et de force majeure doivent trouver application. Les erreurs commises au sein de l'entreprise Bayer relèveraient de la seule responsabilité de ses employés. La Commission estime qu'elle n'a aucune responsabilité dans la chaîne d'erreurs commises.

44. A cet égard, le Tribunal relève qu'en ce qui concerne la question de savoir si la requérante a établi l'existence de circonstances constitutives d'un cas fortuit ou de force majeure, il doit s'agir, selon une jurisprudence constante de la Cour, de difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la requérante et apparaissant inévitables, alors même que toutes les diligences auraient été mises en œuvre (arrêts de la Cour du 9 février 1984, Busseni/Commission, 284-82, Rec. p. 557 et du 30 mai 1984, Ferriera Vittoria : Commission, 224-83, Rec. p. 2349).

45. Or, Bayer a invoqué, à l'appui de ce moyen, des arguments identiques à ceux invoqués à l'appui du moyen tiré de l'existence, en l'espèce, d'une erreur excusable de sa part. Compte tenu de ce qui vient d'être dit à propos de l'existence d'une prétendue erreur excusable, il apparaît clairement, et a fortiori, que les conditions précitées ne sont pas satisfaites, en l'espèce, en ce qui concerne l'existence de circonstances constitutives d'un cas fortuit ou de force majeure, au sens de l'article 42 du statut de la Cour, de nature à justifier le dépassement du délai de recours.

46. De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que les trois moyens de défense présentés par Bayer doivent être rejetés et que, dès lors, le recours, enregistré le 9 mars 1990 au greffe du Tribunal, l'a été postérieurement à l'expiration du délai de deux mois et six jours dont disposait, en l'espèce, la requérante et doit, par suite, être rejeté comme irrecevable.

Les dépens

47. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Bayer ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1. Le recours est rejeté comme irrecevable.

2. La requérante est condamnée aux dépens.