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Décisions

CJCE, 19 mars 1991, n° C-202/88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République française

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Zuleeg

CJCE n° C-202/88

19 mars 1991

LA COUR

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 juillet 1988, la République française a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation des articles 2, 6, 7 et, pour autant que de besoin, de l'article 9 de la directive 88-301-CEE de la Commission, du 16 mai 1988, relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunication (JO L 131, p. 73). La République italienne, le royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne et la République hellénique sont intervenus à la procédure au soutien des conclusions de la République française.

2. La directive 88-301 a été adoptée sur la base de l'article 90, paragraphe 3, du traité. Aux termes de l'article 2 de cette directive, les États membres qui octroient à des entreprises des droits spéciaux ou exclusifs d'importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service d'appareils terminaux de télécommunication et/ou d'entretien de tels appareils assurent leur abolition et communiquent à la Commission les mesures prises et les projets déposés à cet effet.

3. Aux termes de l'article 3, les États membres assurent que les opérateurs économiques ont le droit d'importer, de commercialiser, de raccorder, de mettre en service et d'entretenir les appareils terminaux. Les États membres peuvent, toutefois :

- en l'absence de spécifications techniques, refuser que soient raccordés et mis en service des appareils terminaux ne respectant pas, selon un avis circonstancié émis par l'entité visée à l'article 6, les exigences essentielles telles que précisées à l'article 2, point 17, de la directive 86-361-CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la première étape de la reconnaissance mutuelle des agréments d'équipements terminaux de télécommunication (JO L 217, p. 21);

- exiger des opérateurs économiques une qualification technique appropriée pour le raccordement, la mise en service et l'entretien d'appareils terminaux, établie selon des critères objectifs non discriminatoires et rendus publics.

4. Aux termes de l'article 6 de la directive, les États membres assurent qu'à partir du 1er juillet 1989 la formalisation des spécifications et le contrôle de leur application ainsi que l'agrément sont effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications.

5. L'article 7 comporte l'obligation pour les États membres de prendre les mesures nécessaires pour que la résiliation, avec un préavis maximal de un an, des contrats de location ou d'entretien d'appareils terminaux qui, lors de leur conclusion, faisaient l'objet de droits exclusifs ou spéciaux octroyés à certaines entreprises soit possible.

6. Enfin, selon l'article 9, les États membres sont tenus de fournir à la fin de chaque année un rapport permettant à la Commission de constater si les dispositions des articles 2, 3, 4, 6 et 7 sont respectées.

7. Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8. Le gouvernement français invoque quatre moyens, tirés respectivement du détournement de procédure, de l'incompétence de la Commission, de la violation du principe de proportionnalité et de la violation des formes substantielles. Dans le cadre du moyen d'incompétence, le gouvernement français reproche également à la Commission d'avoir procédé à une application incorrecte des règles du traité. Ce grief constituant, en réalité, un moyen distinct, il sera examiné séparément.

I - Sur le cadre juridique du litige

9. Les moyens et arguments soulevés dans la présente affaire visent essentiellement l'interprétation de l'article 90 du traité. Aux termes du paragraphe 3 de cet article, sur la base duquel la directive litigieuse a été adoptée, "la Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, des directives ou décisions appropriées aux États membres".

10. Le paragraphe 1 de cet article interdit de manière générale aux États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, d'édicter ou de maintenir des mesures contraires aux règles du traité, notamment à celles prévues aux articles 7 et 85 à 94.

11. Le paragraphe 2 de cet article prévoit que les entreprises qui sont chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises à ces règles, et notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces prescriptions ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie, sous la réserve cependant que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.

12. En permettant, sous certaines conditions, des dérogations aux règles générales du traité, cette dernière disposition vise à concilier l'intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises, notamment du secteur public, en tant qu'instrument de politique économique ou fiscale avec l'intérêt de la Communauté au respect des règles de concurrence et à la préservation de l'unité du Marché commun.

13. Au onzième considérant de la directive litigieuse, la Commission a relevé que les conditions d'application de l'exception prévue à l'article 90, paragraphe 2, du traité n'étaient pas remplies. Ni le gouvernement français ni les parties intervenantes n'ont contesté cette affirmation. Il en résulte que le présent litige se situe dans le cadre des dispositions des paragraphes 1 et 3 de l'article 90 du traité.

14. En permettant à la Commission d'adopter des directives, l'article 90, paragraphe 3, du traité lui confère le pouvoir d'édicter des règles générales précisant les obligations résultant du traité, qui s'imposent aux États membres en ce qui concerne les entreprises visées aux deux paragraphes précédents du même article.

15. Dans ces conditions, les moyens et arguments des parties doivent être examinés au regard de la question de savoir si la Commission est restée, en l'espèce, dans les limites du pouvoir normatif qui lui est ainsi conféré par le traité.

II - Sur le détournement de procédure

16. Par le premier moyen, le gouvernement français reproche à la Commission d'avoir adopté la directive litigieuse en se fondant sur l'article 90, paragraphe 3, du traité au lieu d'entamer la procédure prévue par l'article 169. Selon lui, l'article 90, paragraphe 3, doit permettre à la Commission d'indiquer aux États membres, dans les cas où les conditions de mise en conformité avec le traité ne sont pas évidentes, les moyens à mettre en œuvre pour assurer néanmoins cette conformité. En revanche, le recours à l'article 169 s'imposerait dans l'hypothèse d'une mesure clairement et intégralement contraire au traité et à laquelle il devrait être mis fin immédiatement.

17. A cet égard, il convient de constater quel'article 90, paragraphe 3, du traité confère à la Commission le pouvoir de préciser, de façon générale, par voie de directives, les obligations qui découlent du paragraphe 1 de cet article. La Commission met en œuvre ce pouvoir lorsque, sans prendre en considération la situation particulière existant dans les différents États membres, elle concrétise les obligations qui s'imposent à ceux-ci en vertu du traité. Un tel pouvoir ne saurait, par sa nature même, se prêter à faire constater qu'un État membre a manqué à une obligation déterminée qui lui incombe en vertu du traité.

18. Or, il résulte du contenu de la directive en cause en l'espèce que la Commission s'est bornée à déterminer, de façon générale, des obligations qui, conformément au traité, s'imposent aux États membres. En conséquence, elle ne saurait être interprétée comme constatant des manquements concrets d'États membres déterminés à des obligations dérivées du traité et le moyen invoqué par le gouvernement français doit, partant, être rejeté comme non fondé.

III - Sur la compétence de la Commission

19. Par le deuxième moyen, le gouvernement français, soutenu par les intervenants, estime que, en adoptant une directive prévoyant l'abolition pure et simple des droits spéciaux et exclusifs d'importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service et/ou d'entretien d'appareils terminaux, la Commission a outrepassé les compétences de surveillance que lui confère l'article 90, paragraphe 3, du traité. Ce texte présupposerait l'existence des droits spéciaux et exclusifs. Estimer que le maintien de ces droits constitue en soi une mesure au sens de cet article méconnaîtrait, par conséquent, la portée de ce dernier.

20. Les gouvernements français et belge estiment, en outre, qu'une politique de restructuration du secteur des télécommunications, telle que celle qu'a envisagée la directive, relevait de la compétence exclusive du Conseil agissant sur la base de l'article 100 A. Les gouvernements belge et italien soutiennent encore que la directive viole l'article 87 du traité dans la mesure où seul le Conseil est habilité à édicter des règles en vue de l'application des articles 85 et 86 du traité dans des secteurs spécifiques.

21. Quant au premier argument, il convient de relever, tout d'abord, que le pouvoir de surveillance confié à la Commission comporte la possibilité, fondée sur l'article 90, paragraphe 3, de préciser les obligations découlant du traité. Par conséquent, l'étendue de ce pouvoir dépend de la portée des règles dont il s'agit d'assurer le respect.

22. Il y a lieu, ensuite, de constater que même si cet article présuppose l'existence d'entreprises titulaires de certains droits spéciaux et exclusifs, il ne s'ensuit pas pour autant que tous les droits spéciaux et exclusifs sont nécessairement compatibles avec le traité. Cela dépend des différentes règles auxquelles l'article 90, paragraphe 1, renvoie.

23. En ce qui concerne le reproche fait à la Commission d'avoir empiété sur les compétences conférées au Conseil par les articles 87 et 100 A du traité, il y a lieu de rapprocher ces dispositions de celles de l'article 90, en tenant compte de leur objet et de leur finalité respectifs.

24. L'article 100 A vise l'adoption des mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur. L'article 87 a pour objet l'adoption de tous règlements ou directives utiles en vue de l'application des principes figurant aux articles 85 et 86, c'est-à-dire des règles de concurrence applicables à l'ensemble des entreprises. Quant à l'article 90, il concerne les mesures adoptées par les États membres vis-à-vis des entreprises avec lesquelles ils ont des liens particuliers visés par les dispositions de cet article. C'est uniquement à l'égard de ces mesures qu'il impose à la Commission un devoir de surveillance qui, en tant que de besoin, peut être exercé par l'adoption de directives et de décisions adressées aux États membres.

25. Il y a donc lieu de constater quel'objet de la compétence conférée à la Commission par l'article 90, paragraphe 3, est différent et plus spécifique que celui des compétences attribuées au Conseil par l'article 100 A, d'une part, et par l'article 87, d'autre part.

26. Il y a lieu de rappeler en outre que, ainsi qu'il découle de l'arrêt du 6 juillet 1982 (France, Italie et Royaume-Uni/Commission, point 14, 188-80, 189-80 et 190-80, Rec. p. 2545), l'éventualité d'une réglementation édictée par le Conseil en application d'un pouvoir général qu'il détient en vertu d'autres articles du traité et comportant des dispositions qui toucheraient au domaine spécifique de l'article 90 ne fait pas obstacle à l'exercice de la compétence que ce dernier article confère à la Commission.

27. Le moyen tiré de l'incompétence de la Commission doit, par conséquent, être rejeté.

IV - Sur le principe de proportionnalité

28. En invoquant la violation du principe de proportionnalité, le gouvernement français reproche à la Commission de ne pas avoir utilisé les voies appropriées pour faire cesser un usage éventuellement abusif par les entreprises de télécommunications de leurs droits spéciaux ou exclusifs. Ce moyen se confond donc avec les moyens de détournement de procédure et d'incompétence rejetés ci-dessus et, dès lors, ne requiert pas un examen séparé.

V - Sur l'application des règles du traité

29. Le gouvernement français ainsi que les gouvernements intervenants invoquent l'illégalité des articles 2, 6, 7 et 9 de la directive, au motif que ces dispositions seraient basées à tort sur une violation, par les États membres, des articles 30, 37, 59 et 86 du traité.

30. Sur la base des remarques faites ci-dessus, ce grief doit être compris comme étant dirigé contre l'application incorrecte, par la Commission, desdites dispositions du traité. Il faut donc examiner les articles 2, 6, 7 et 9 de la directive 88-301 à la lumière des motifs qui les sous-tendent.

1. Sur la légalité de l'article 2 de la directive 88-301 (abolition des droits spéciaux et exclusifs)

31. L'article 2 de la directive litigieuse oblige les États membres qui octroient à des entreprises des droits spéciaux ou exclusifs d'importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service d'appareils terminaux de télécommunication et/ou d'entretien de tels appareils à abolir ces droits et à communiquer à la Commission les mesures prises et les projets déposés à cet effet.

32. Il en résulte que la directive concerne les droits exclusifs, d'une part, et les droits spéciaux, d'autre part. Il convient de suivre cette classification pour l'examen du présent grief.

33. Quant aux droits exclusifs d'importation et de commercialisation, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour (voir notamment arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, point 5, 8-74, Rec. p. 837), l'interdiction des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives édictée à l'article 30 du traité vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire.

34. A cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que l'existence des droits exclusifs d'importation et de commercialisation prive les opérateurs économiques de la possibilité de faire acheter leurs produits par les consommateurs.

35. Il y a lieu de relever, en second lieu, que le secteur des terminaux est caractérisé par la diversité et la technicité des produits et par les contraintes en découlant. Dans ces conditions, il n'est pas assuré que le détenteur du monopole soit en mesure d'offrir toute la gamme des modèles existant sur le marché, d'informer les clients sur l'état et le fonctionnement de tous les terminaux et de garantir leur qualité.

36. Les droits exclusifs d'importation et de commercialisation dans le secteur des terminaux de télécommunication sont donc susceptibles de restreindre le commerce intracommunautaire.

37. Quant à la question de savoir s'ils peuvent trouver des justifications, il convient de rappeler que, dans l'article 3 de la directive litigieuse, la Commission a précisé l'étendue et les limites de l'abolition des droits spéciaux et exclusifs, en tenant compte de certaines exigences telles que celles qui sont énumérées à l'article 2, point 17, de la directive 86-361 du Conseil, précitée, à savoir la sécurité de l'usager, la sécurité des employés des exploitations du réseau public de télécommunications, la protection des réseaux publics de télécommunications contre tout dommage et l'interopérabilité des équipements terminaux, lorsqu'elle est justifiée.

38. Le gouvernement français, quant à lui, n'a pas attaqué l'article 3 de la directive litigieuse et n'a pas fait valoir qu'il existerait d'autres exigences essentielles que la Commission aurait dû respecter en l'espèce.

39. Dans ces conditions, c'est à juste titre que la Commission a considéré comme incompatibles avec l'article 30 du traité les droits exclusifs d'importation et de commercialisation dans le secteur des terminaux de télécommunication.

40. En ce qui concerne les droits exclusifs de raccordement, de mise en service et d'entretien d'appareils terminaux de télécommunication, le sixième considérant de la directive énonce que

"... le maintien de droits exclusifs dans ce domaine équivaudrait à maintenir des droits exclusifs de commercialisation...".

41. A cet égard, il y a lieu de rappeler, d'abord, que, selon la jurisprudence constante de la Cour, les articles 2 et 3 du traité visent la création d'un marché où les marchandises circulent librement dans des conditions de concurrence non faussées (voir notamment arrêt du 10 janvier 1985, Leclerc, point 9, 229-83, Rec. p. 1). Les articles 30 et suivants du traité doivent donc être interprétés à la lumière de ce principe, ce qui implique la prise en compte de l'aspect concurrentiel qui figure à l'article 3, sous f), du traité.

42. Il convient d'observer, ensuite, que, dans un marché qui possède les caractéristiques décrites précédemment (voir point 35), il n'est pas garanti que le détenteur des droits exclusifs de raccordement, de mise en service et d'entretien soit en mesure d'assurer la fiabilité de ces services pour tous les types de terminaux existant sur le marché et de permettre ainsi l'utilisation de tous ces appareils, ni qu'il soit incité à le faire. Par conséquent, dès lors que le droit exclusif de commercialisation est aboli, un opérateur économique doit pouvoir offrir lui-même les services de raccordement, d'entretien et de mise en service afin de pouvoir exercer son activité de commercialisation dans des conditions de concurrence non faussées.

43. Dans ces conditions, c'est à juste titre que la Commission a considéré comme incompatibles avec l'article 30 du traité les droits exclusifs de raccordement, de mise en service et d'entretien d'appareils terminaux de télécommunication.

44. Il résulte de ce qui précède que la Commission était fondée à demander l'abolition des droits exclusifs d'importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service d'appareils terminaux de télécommunication et/ou d'entretien de tels appareils.

45. S'agissant des droits spéciaux, il convient de constater que ni les dispositions de la directive ni ses considérants ne précisent le type de droits qui est concrètement visé et en quoi l'existence de ces droits serait contraire aux différentes dispositions du traité.

46. Il en résulte que la Commission n'a pas justifié l'obligation d'abolir des droits spéciaux d'importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service et/ou d'entretien d'appareils terminaux de télécommunication.

47. En conséquence, l'article 2 doit être annulé dans la mesure où il vise l'abolition de ces droits.

2. Sur la légalité de l'article 6 de la directive 88-301 (formalisation des spécifications, contrôle de leur application et agrément des appareils terminaux)

48. En vertu de l'article 6 de la directive litigieuse, les États membres assurent qu'à partir du 1er juillet 1989 la formalisation des spécifications mentionnées à l'article 5 de la directive et le contrôle de leur application ainsi que l'agrément sont effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications.

49. Le neuvième considérant prévoit à cet égard que

"... pour assurer une application transparente, objective et non discriminatoire des spécifications techniques et des procédures d'agrément, la mise en forme et le contrôle de ces règles doivent être organisés à partir d'organismes indépendants des concurrents sur le marché en question...".

50. Le dix-septième considérant prévoit que

"le contrôle des spécifications et des règles d'agrément ne peut être confié à un des opérateurs concurrents dans le marché des terminaux, vu le conflit d'intérêts évident;... il y a lieu dès lors de prévoir que les États membres assurent que la mise en forme des spécifications et des règles d'agrément soit confiée à une entité indépendante du gestionnaire du réseau et de tout autre concurrent sur le marché des terminaux".

51. Il convient de relever qu'un système de concurrence non faussée, tel que celui prévu par le traité, ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée. Confier à une entreprise qui commercialise des appareils terminaux la tâche de formaliser des spécifications auxquelles devront répondre les appareils terminaux, de contrôler leur application et d'agréer ces appareils revient à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels sont les appareils terminaux susceptibles d'être raccordés au réseau public et à lui octroyer ainsi un avantage évident sur ses concurrents.

52. Dans ces conditions, la Commission était fondée à demander que la formalisation des spécifications techniques, le contrôle de leur application et l'agrément soient effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens et/ou des services concurrents dans le domaine des télécommunications.

3. Sur la légalité de l'article 7 de la directive 88-301 (résiliation des contrats de location ou d'entretien)

53. L'article 7 de la directive litigieuse comporte l'obligation pour les États membres de prendre les mesures nécessaires pour que la résiliation, avec un préavis maximal de un an, des contrats de location ou d'entretien d'appareils terminaux qui, lors de leur conclusion, faisaient l'objet de droits exclusifs ou spéciaux octroyés à certaines entreprises soit possible.

54. Le dix-huitième considérant de la directive relève à cet égard que

"les détenteurs de droits spéciaux ou exclusifs concernant les appareils terminaux en cause ont pu imposer à leurs clients des contrats de longue durée;... de tels contrats empêcheraient de facto la possibilité d'une libre concurrence dans un délai raisonnable;... dès lors, il doit être prévu que l'utilisateur puisse obtenir une révision de la durée de son contrat".

55. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l'article 90 du traité ne confère de pouvoir à la Commission qu'à l'égard des mesures étatiques (voir point 24) et que les comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative ne peuvent être mis en cause que par des décisions individuelles prises en application des articles 85 et 86 du traité.

56. Ni les dispositions de la directive ni ses considérants ne font apparaître que les détenteurs des droits spéciaux ou exclusifs aient été contraints ou incités par des réglementations étatiques à conclure des contrats de longue durée.

57. L'article 90 ne saurait, dès lors, être regardé comme une base appropriée pour porter remède aux obstacles à la concurrence qu'érigeraient les contrats de longue durée, visés par la directive. Il en résulte que l'article 7 doit être annulé.

4. Sur la légalité de l'article 9 de la directive 88-301 (rapport annuel)

58. L'article 9, qui impose aux États membres de fournir à la fin de chaque année un rapport permettant à la Commission de constater si certaines dispositions de la directive ont été respectées, doit également être annulé dans la mesure où il se réfère ainsi aux dispositions de l'article 2 qui visent les droits spéciaux et à l'article 7 de la directive litigieuse.

VI - Sur la violation des formes substantielles

59. Le gouvernement français reproche encore à la Commission d'avoir insuffisamment motivé la directive litigieuse.

60. A titre liminaire, il convient de préciser que ce moyen ne doit être examiné que dans la seule mesure où il porte sur des aspects de la réglementation attaquée qui n'ont pas déjà été déclarés invalides.

61. A cet égard, il y a lieu de constater que les considérants de la directive font apparaître de manière suffisamment claire les raisons qui ont amené la Commission à exiger l'abolition des droits exclusifs d'importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service et d'entretien d'appareils terminaux. Il en est de même en ce qui concerne les obligations résultant pour les États membres de l'article 6 de la directive litigieuse.

62. Le moyen tiré de la violation des formes substantielles ne saurait donc être retenu.

VII - Sur les dépens

63. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, premier alinéa, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La République française n'ayant obtenu que partiellement gain de cause, chacune des parties, y compris les parties intervenantes, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête :

1) L'article 2 de la directive 88-301-CEE de la Commission, du 16 mai 1988, relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunication, est annulé pour autant qu'il oblige les États membres qui octroient à des entreprises des droits spéciaux d'importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service d'appareils terminaux et/ou d'entretien de tels appareils à abolir ces droits et à communiquer à la Commission les mesures prises et les projets déposés à cet effet.

2) L'article 7 de la directive est annulé.

3) L'article 9 de la directive est annulé dans la mesure où il se réfère aux dispositions de l'article 2 qui visent les droits spéciaux et à l'article 7 de la même directive.

4) Le recours est rejeté pour le surplus.

5) Chacune des parties supportera ses propres dépens.