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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 14 mars 1991, n° 89-20946

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rover France (SA)

Défendeur :

Garage Blandan Donald Buffoli (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseillers :

MM. Gouge, Audouard

Avoués :

SCP Régnier Sevestre Régnier, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Bourgeon, Landon

CA Paris n° 89-20946

14 mars 1991

Dans les circonstances de fait relatées par les premiers juges, la société Garage Blandan Donald Buffoli, ci-après Blandan, avait attrait la société Austin Rover France, depuis devenue Rover France, ci-après RF, devant le Tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir une indemnisation à la suite de la rupture injustifiée, selon ses dires, du contrat de concession exclusive qui les liait. Par son jugement du 27 septembre 1989, la 13e Chambre de ce Tribunal, faisant partiellement droit à la demande de Blandan, a condamné RF à lui payer une indemnité de 710 000 F, une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens. L'exécution provisoire était ordonnée. RF a relevé appel par déclaration du 7 novembre 1989 et saisi la Cour le 16 novembre. Blandan a sommairement conclu à la confirmation, et par voie d'appel incident, à ce que RF soit tenue de reprendre le stock de pièces détachées.

RF a conclu à la réformation sur les condamnations prononcées, à la confirmation pour le surplus et au paiement par Blandan d'une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et des dépens de première instance et d'appel. Blandan a conclu à la confirmation du jugement en tant qu'il a prononcé l'annulation de la clause 8-B du contrat de concession et dit abusive la résiliation du contrat.

Subsidiairement, elle demande qu'il soit jugé que la nullité des clauses d'exclusivité et de non concurrence confère à la résiliation le caractère d'un refus de vente injustifié engageant la responsabilité de RF.

Plus subsidiairement elle soutient que la résiliation n'était pas fondée au regard de la clause 8-B.

Elle sollicite en conséquence, la condamnation de RF à lui payer une indemnité de 910 000 F, une somme de 216 878,22 F contre remise des pièces de rechange dans les locaux où elles sont entreposées, d'une somme supplémentaire de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et des dépens d'instance et d'appel. Par des conclusions additionnelles Blandan a porté à 1 106 852 F le montant de l'indemnité réclamée. RF a conclu à l'irrecevabilité du premier subsidiaire comme demande nouvelle et à l'adjudication du bénéfice de ses présentes écritures. Blandan a demandé acte de ce que RF n'avait pas satisfait à deux sommations de communiquer.

Sur ce LA COUR qui pour un plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

1 - Sur la validité de la clause de l'article 8-B du contrat de concession :

Considérant que pour contester la décision du Tribunal RF fait valoir d'une part que la clause d'objectif détermine une obligation de résultat, le règlement CEE 123-85 n'ayant pas pour objet d'établir des prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu d'une clause contractuelle et qu'il ne peut avoir pour effet d'annuler une clause qui, en elle-même, n'est pas contraire à l'article 85-1 et 2 du Traité de Rome en ce qu'elle ne tend pas à restreindre le jeu de la concurrence ; que le Tribunal aurait tout au plus annuler les clauses d'exclusivité et de non concurrence, les autres clauses du contrat subsistant ;

Considérant que Blandan répond que la terminologie employée à l'article 4 Aa du contrat, semblable à celle du règlement Communautaire, implique que le concessionnaire contracte une obligation de moyens en ce qui concerne les objectifs de vente ; que le Tribunal aurait à juste titre annulé la clause de résiliation immédiate de l'article 8-B en ce que cette clause qui aurait pour effet de transformer une obligation de moyens en une obligation de résultat serait contraire à la finalité du règlement d'exemption du fait que cette possibilité de résiliation immédiate accroiterait excessivement la dépendance économique du concessionnaire ;

Considérant ceci étant exposé que l'article 4 Aa du contrat précisant que le concessionnaire " s'efforcera " de réaliser par année civile et par quadrimestre les objectifs de vente de véhicules et à maintenir les niveaux de stock permanent et le nombre de véhicules de démonstration immatriculés, une telle formulation implique clairement que le concessionnaire doit faire ce qui est en son pouvoir, employer les moyens pour atteindre les objectifs fixés mais qu'il n'est pas tenu à un résultat déterminé ; qu'une telle clause assez semblable dans sa formulation aux dispositions de l'article 4-3°-4°-5° du règlement n° 123-85 ne détermine qu'une obligation de moyens ; qu'en raison du texte même de ce règlement le problème de la licéité de celle clause ne se pose pas ;

Considérant qu'à tort Blandan, avec le Tribunal, soutient que la clause de résiliation de l'article 8-B devrait être annulée au seul motif qu'en laissant à RF la faculté de résilier sans préavis d'un an, cette clause accroîtrait la dépendance économique du concessionnaire de manière incompatible avec les conditions minimales d'exemption fixées par le Règlement n° 123-85 ; qu'en effet si l'article 5-2-2° prévoit que la " résiliation ordinaire " doit, sauf exception sans intérêt en l'espèce, être précédée par un préavis d'un an pour un contrat à durée indéterminée, l'article 5-4 ajoute que les conditions d'exemption prévues par cet article ne préjugent pas du droit d'une partie d'exercer la " résiliation extraordinaire " de l'accord ; que précisément l'article 8 alinéa 2-A et B énonce les conditions d'une " résiliation extraordinaire " lorsqu'une partie considère que l'autre a commis une " infraction importante " à l'une des clauses du contrat ; que le règlement d'exemption n'a pas pour objet de laisser sans aucune sanction les infractions graves commises par une partie dans l'exécution du contrat de concession ; que du rapprochement entre les dispositions de l'article 5-2-2° du règlement de l'article 5-4 de ce même texte il résulte qu'une clause de résiliation pour faute grave, sans le préavis d'un an, n'est pas, en elle-même, de nature à priver le contrat de concession de l'exemption prévue par le Règlement ;

Mais considérant que Blandan ajoute avec pertinence que la résiliation extraordinaire ne peut sanctionner que des obligations exemptées; Or considérant que l'article 8-B sanctionne notamment, dans son paragraphe " a ", par la résiliation par simple notification :

- le fait ne pas remédier à toute infraction dans le délai de l'article 8A,

que l'article 8A stipule en son paragraphe d que si par suite de l'insuffisance de ses efforts le concessionnaire n'a pas atteint pour un des quadrimestres définis au contrat 75 % des objectifs contractuels le concédant pourra le mettre en demeure de rattraper son retard dans un délai de deux mois, c'est à dire d'atteindre au moins 75 % des objectifs du dernier quadrimestre plus 37,5 % de ceux du quadrimestre en cours ; qu'ainsi, par le renvoi de l'article 8B l'article 8A-d se trouve réintroduite dans le contrat d'une obligation d'obtenir un résultat déterminé;

Considérant que cette clause qui insère dans le contrat une obligation de résultat quant aux ventes de véhicules est une clause restrictive de concurrence susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres au sens de l'article 85-1 du Traité de Rome; qu'en effet cette clause qui se trouve insérée dans un réseau d'accords similaires sur le territoire national oblige le concessionnaire à accepter des engagements très lourds et qui accroissent le risque de résiliation anticipée sans préavis du contrat dans l'hypothèse où les quotas ne sont pas atteints; que par suite la dépendante économique du concessionnaire à l'égard du concédant de la marque se trouve augmentée d'une manière substantielle; qu'une telle clause est nulle de plein droit en application de l'article 85-2 du Traité de Rome en tant qu'elle sanctionne une obligation de résultat;

Considérant qu'il convient de rechercher dès lors si l'obligation de moyens à laquelle Blandan était assujettie a été exécutée ;

2 - Sur l'exécution de l'obligation de moyens contractée par Blandan :

Considérant que selon l'avenant V signé le 6 février 1987 Blandan s'efforcera d'atteindre les niveaux suivants : pour les ventes, en véhicules RANGER ROVER respectivement 6, 7 et 7 voitures pour les 1er, 2ème et 3ème quadrimestres, en véhicules LAND ROVER 9, 9 et 9 pour chacun des trois quadrimestres ; que Blandan devait en outre s'efforcer d'avoir en stock permanent de véhicules disponibles (payables à 120 jours), 4 voitures Range Rover et 5 voitures Land Rover, et de détenir 2 véhicules de démonstration immatriculée de chaque sorte ; qu'enfin un budget minimum de 1 % du chiffre d'affaires hors taxes calculé sur les objectifs hors taxes devait être consacré à la publicité ;

Considérant qu'il n'est pas contesté par RF que Blandan a toujours consacré à la publicité pour la marque un pourcentage suffisant et effectué les investissements utiles ; qu'à la fin octobre 1987 Blandan ainsi que le constate RF dans sa lettre de résiliation du 8 décembre 1987 avait réalisé 50 % de son objectif, étant précisé qu'au 31 décembre 1987 27 véhicules sur le total de 47 (objectif) étaient livrés, en ce non compris les commandes non encore livrées par RF dont le nombre n'est pas précisé ;

Considérant que contrairement aux allégations de RF dans sa lettre du 1er juin 1987 Blandan a toujours eu en sa possession au moins un véhicule de démonstration Range Rover ou Land Rover sauf pour ce dernier modèle sur une courte période du 7 juillet au 26 août 1987 ce qui s'explique par le nombreux achats en début de période estivale ;

Considérant qu'il n'est pas allégué que Blandan n'aurait pas eu en stock permanent renouvelable 5 véhicules Land Rover ;

Considérant que pour les véhicule Range Rover par une " circulaire " du 24 février 1987 RF a modifié unilatéralement les conditions contractuelles de livraison pour le renouvellement du stock ; qu'en effet alors que ce renouvellement était assuré automatiquement avec paiement à 120 jours, RF a décidé que ne seraient plus acceptées que des commandes dites de " dépannage " accompagnées d'une commande client ferme et de la photocopie d'un chèque d'acompte ou de la justification d'une reprise et avec un paiement sous quinzaine ; que cette modification unilatérale des conditions de livraison n'était pas autorisée par le contrat ; qu'elle présentait le double désavantage pour le concessionnaire de lui faire perdre son délai de paiement à 120 jours et de le priver d'un volant de véhicules neufs permettant de satisfaire rapidement les commandes d'une clientèle acceptant de payer cher pour acquérir un " 4 x 4 " à la condition de ne pas devoir attendre sa livraison ;

Considérant que les objectifs de vente étaient d'autant plus difficiles à atteindre pour Blandan que RF avait augmenté considérablement le chiffre pour les Land Rover dans le même temps où, selon les pièces mises aux débats (extrait de l'Argus), le marché des Land Rover tendait à s'effondrer ;

Considérant qu'il résulte de cet ensemble d'éléments que Blandan a fait preuve d'une diligence normale et que la résiliation notifiée par RF n'était pas justifiée ; qu'une telle résiliation engage la responsabilité contractuelle de RF ; qu'il n'y a pas lieu dès lors de statuer sur le refus de vente invoqué à titre subsidiaire ;

3 - Sur les indemnités :

Considérant qu'avec pertinence le Tribunal a pris en considération dans le principe, pour indemniser Blandan, la marge brute totale perdue par celle-ci sur la base d'une année d'exercice, la résiliation ordinaire supposant un préavis de cette durée ; que si la somme de 710 000 F apparaît à ce titre pour 1987, dans les États de l'expert comptable de Blandan dont la sincérité et l'exactitude ne sont pas contestées, il convient, d'ajouter à cette somme sur la base des autres États comptables, la marge brute sur les véhicules livrés seulement en 1988 bien que commandés en 1987 soit 198.903 F et la marge par les véhicules livrés en 1988 (véhicules d'occasion, pièces de rechange, main d'œuvre) sur la même base que pour les États de 1987 soit 197.940 F ; que l'indemnité sera donc portée à 1.106.852 F ;

4 - Sur la restitution des pièces détachées :

Considérant qu'à juste titre le Tribunal a refusé cette demande présentée devant lui par Blandan ;

Considérant en effet que s'il est certain que Blandan, dès le 16 février 1988, avait manifesté l'intention de faire reprendre son stock de pièces et si le contrat, en ce qui concerne la maintenance des véhicules s'est poursuivi, à titre précaire, jusqu'à la lettre du 26 janvier 1989 par laquelle RF faisait part à Blandan de ce qu'un nouveau concessionnaire étant désigné l'ancien concessionnaire ne pouvait plus assurer la garantie ou avoir accès aux pièces de rechange, la lecture de l'inventaire des pièces montre que cet inventaire est daté du 19 mai 1989 soit plus de 60 jours après la lettre notifiant la rupture définitive des relations contractuelles alors que selon l'article 8-D-iii-b, pour bénéficier du rachat, le concessionnaire était tenu, dans les 60 jours de l'expiration du contrat de fournir une liste des pièces avec références, quantités, désignation et que, dans ses conclusions du 3 mai 1989, RF soutenait " qu'à ce jour " cette pièce ne lui était pas parvenue ; que Blandan ne démontre pas qu'en prorogeant le terme du contrat les parties aient eu en vue de modifier cette obligation pesant sur le concessionnaire en cas de résiliation ;

Considérant que Blandan a dû exposer devant la Cour de nouveaux frais non taxables, loin de son siège social, dans une procédure complexe, pour faire valoir ses droits ; qu'il est équitable de mettre ces frais à la charge de RF, comme ci-après ; qu'en revanche il n'est pas inéquitable que RF conserve ses frais non taxables ;

Par ces motifs : Confirme le jugement du 27 septembre 1989, sauf sur le montant de l'indemnité ; Réformant sur ce point et statuant à nouveau et ajoutant au jugement, Déclare nulle la cause de l'article 8B en tant qu'elle sanctionne une obligation de résultat, Condamne la société Rover France à payer à la société Garage Blandan Donald Buffoli : - une indemnité de un million cent six mille huit cent cinquante deux (1 106 852) francs, - la somme supplémentaire de quinze mille (15 000) francs au titre de l'article 700 du NCPC devant la Cour, - les dépens d'appel et autorise la SCP d'avoués Roblin Chaix de Lavarene, avoué, à recouvrer conformément à l'article 699 du NCPC. Déboute les parties de leurs autres demandes.