CJCE, 28 février 1991, n° C-234/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Delimitis
Défendeur :
Henninger Braü (AG)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Due, Mancini, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco
Avocat général :
M. Van Gerven
Juges :
MM. Schockweiler, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn
Avocats :
Mes Thieme, Becht
LA COUR,
1. Par ordonnance du 13 juillet 1989, parvenue à la Cour le 27 juillet suivant, l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 85 du traité CEE et du règlement (CEE) n° 1984-83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'achat exclusif (JO L 173, p. 5, rectifié par JO 1984, L 79, p. 38).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre M. Stergios Delimitis, ancien exploitant d'un café à Francfort-sur-le-Main (ci-après "exploitant "), et la brasserie Henninger Bräu AG, établie en cette même ville (ci-après " brasserie "). Le litige porte sur la somme réclamée à l'exploitant par la brasserie à la suite de la résiliation, demandée par ce dernier, du contrat qu'ils avaient conclu le 14 mai 1985.
3. En vertu de l'article 1er de ce contrat, la brasserie loue un débit de boissons à l'exploitant. L'article 6 du contrat oblige l'exploitant à s'approvisionner en bières à la pression et en bières conditionnées en bouteilles et en boîtes, en produits et marchandises de la brasserie, et en boissons non alcoolisées auprès des filiales de la brasserie. Les assortiments concernés résultent des tarifs en vigueur de la brasserie et de ses filiales. L'exploitant est, toutefois, autorisé à acheter des bières et des boissons non alcoolisées offertes par des entreprises établies dans d'autres États membres.
4. L'article 6 dispose en outre que l'exploitant doit acheter une quantité minimale de 132 hectolitres de bière par an. En cas d'achat d'une quantité moindre, il est tenu de payer des dommages et intérêts pour non-exécution de ces obligations.
5. Le contrat a été résilié par l'exploitant le 31 décembre 1986. La brasserie a alors estimé que celui-ci lui devait encore la somme de 6 032,15 DM, comprenant le loyer, un montant forfaitaire dû au titre du non-respect de l'obligation d'achat minimal et quelques coûts divers. La brasserie a déduit la somme susmentionnée de la garantie locative qui avait été déposée par l'exploitant.
6. L'exploitant a contesté le décompte effectué par la brasserie et a assigné celle-ci devant le Landgericht Frankfurt am Main, afin de récupérer la somme décomptée. A l'appui de son recours, il a fait valoir, entre autres, que le contrat était nul de plein droit en vertu de l'article 85, paragraphe 2, du traité CEE. Par jugement du 10 février 1988, le Landgericht a rejeté le recours. Il a estimé que le contrat n'affectait pas le commerce entre États membres, au sens de l'article 85, paragraphe 1, aux motifs notamment qu'il laissait la liberté à l'exploitant de s'approvisionner dans d'autres États membres et que, par conséquent, il importait peu, selon le Landgericht, que le contrat en cause ne respecte pas les conditions de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83, précité.
7. L'exploitant a interjeté appel du jugement du Landgericht devant l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main, qui a estimé qu'il était nécessaire d'interroger la Cour à titre préjudiciel sur la compatibilité des contrats de fourniture de bière avec les règles de concurrence communautaires et lui a, en conséquence, posé les questions préjudicielles suivantes :
" A - 1) Un contrat de fourniture de bière, pris isolément, qui comporte un accord d'achat exclusif, tel le contrat souscrit entre les parties, est-il susceptible d'affecter de façon sensible le commerce entre les États membres, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, parce qu'il relève, dans l'État membre, d'un " faisceau " de contrats similaires de livraison de bière - quelle que soit la brasserie concernée - et parce que l'aptitude à affecter le commerce interétatique est appréciée en fonction des effets sur le marché de ce faisceau de contrats ?
2) En cas de réponse affirmative à la question 1 :
Quelle doit être l'importance du pourcentage de ces engagements dans un État membre pour que le commerce interétatique soit affecté de façon sensible? Le pourcentage d'engagement, d'une importance d'environ 60 %, qui a été retenu par la Commission des Communautés européennes en ce qui concerne la République fédérale d'Allemagne suffirait-il à cet effet ?
3) En cas de réponse négative à la question 1 :
Les effets cumulatifs sur le marché de l'ensemble des contrats de livraison de bière souscrits en République fédérale d'Allemagne qui comportent un engagement d'exclusivité, et/ou la contribution à cet effet des stipulations concrètes du contrat, peuvent-ils être déterminés au moyen d'un examen du contexte considéré ? Quels sont les critères déterminants aux fins de cet examen et les aspects suivants revêtent-ils une importance particulière :
- l'importance de la brasserie qui fait souscrire les engagements
- le volume des ventes faisant l'objet d'un contrat isolé
- le volume des ventes issues du " faisceau " de contrats analogues
- le nombre, la durée et le volume des engagements souscrits, et la proportion qu'ils représentent par rapport aux quantités qui sont écoulées par les distributeurs libres
- les engagements souscrits par l'exploitant dans le cadre du bail à l'égard de la brasserie, de l'entrepositaire de boissons ou du bailleur
- le volume des livraisons à des débits de boissons effectuées par des grossistes qui n'ont pas souscrit d'engagements
- le volume des engagements souscrits envers des producteurs étrangers
- la densité des engagements souscrits dans des aires géographiques déterminées
- la comparaison avec les ventes effectuées indépendamment des débits de boissons, la tendance des ventes dans ce secteur
- la possibilité d'ouvrir d'autres points de vente ou de les accaparer ?
4) En cas de réponse affirmative à la question 1 ou à la question 3 :
Un contrat d'achat de bière qui autorise explicitement l'exploitant à acheter la bière en provenance d'autres États membres (clause d'ouverture) est-il par principe non susceptible d'affecter le commerce interétatique, ou cela dépend-il également du point de savoir si et dans quelle mesure une quantité minimale d'achat est stipulée et de la façon dont sont réglés les droits de la brasserie (dommages et intérêts, résiliation) en cas d'achat d'une quantité moindre?
B - 1) Les conditions de l'article 1er et de l'article 6, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1984-83 concernant l'exemption par catégorie sont-elles remplies lorsque les boissons faisant l'objet de l'engagement d'achat ne sont pas énumérées dans le texte du contrat, mais qu'il est stipulé que l'assortiment résulte à chaque fois du tarif en vigueur de la brasserie ?
2) Un contrat d'achat de bière, dans sa totalité, n'est-il plus exempté de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE par le règlement (CEE) n° 1984-83 ainsi que pourraient le laisser à penser les dispositions combinées de l'article 2, paragraphe 1, de ce dernier règlement et du point 17 de la communication relative aux règlements (CEE) n° 1983-83 et (CEE) n° 1984-83 de la Commission, du 22 juin 1963, dès lors qu'il comporte un engagement d'achat portant sur des boissons non alcoolisées en l'absence d'une clause relative aux conditions les plus avantageuses au sens de l'article 8, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1984-83 ou cela n'entraîne-t-il, conformément à l'article 85, paragraphe 2, du traité CEE, que la nullité de plein droit de cet engagement d'achat précis, parce que, pris isolément, selon l'article 2, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1984-83, cet engagement demeure licite ?
C - Un contrat d'achat de bière qui relève de l'article 85 du traité CEE et qui ne remplit pas les conditions du règlement (CEE) n° 1984-83 concernant l'exemption par catégorie doit-il toujours faire l'objet d'une exemption individuelle ou la juridiction nationale a-t-elle compétence pour considérer ce contrat comme valable dans les cas dans lesquels il existe une dérogation de peu d'importance aux dispositions du règlement concernant l'exemption par catégorie ? "
8. Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des antécédents du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
9. Par ses trois premières questions, sous A, la juridiction de renvoi cherche à savoir quels critères doivent être retenus pour examiner si un contrat de fourniture de bière est compatible avec l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Par la quatrième question sous A, la juridiction de renvoi demande en substance si ces critères sont différents lorsque le contrat de fourniture de bière contient une clause d'ouverture qui autorise explicitement l'exploitant à s'approvisionner dans d'autres États membres. Les questions sous B visent l'interprétation du règlement n° 1984-83, dont notamment les articles 6 et 8. La dernière question, sous C, porte sur la compétence d'une juridiction nationale pour appliquer l'article 85 du traité CEE à un contrat de fourniture de bière qui ne remplit pas les conditions d'exemption prévues par le règlement n° 1984-83.
Sur la compatibilité des contrats de fourniture de bière avec l'article 85, paragraphe 1, du traité
10. Les contrats de fourniture de bière prévoient, en général, que le fournisseur concède au revendeur certains avantages économiques et financiers, tels que l'octroi de prêts à des conditions favorables, la location de locaux pour l'exploitation du débit de boissons et la mise à disposition d'installations techniques, de mobilier et d'autres équipements nécessaires pour l'exploitation du débit. En contrepartie de ces avantages, le revendeur s'engage normalement à ne s'approvisionner, pendant une certaine durée, qu'auprès du fournisseur pour ce qui concerne les produits visés au contrat. A cet engagement d'achat exclusif s'ajoute généralement une interdiction de vendre des produits concurrents dans le débit loué par le fournisseur.
11. La conclusion de ces contrats présente pour le fournisseur l'avantage de s'assurer un débouché certain, dans la mesure où, compte tenu de l'obligation d'achat exclusif et de l'interdiction de concurrence imposée au revendeur, celui-ci concentre ses efforts de vente sur la distribution des produits contractuels. Les contrats de fourniture impliquent, en outre, une coopération avec le revendeur, qui permet au fournisseur de planifier ses ventes pendant la durée du contrat et d'organiser de façon efficace sa production et sa distribution.
12. Les contrats de fourniture de bière présentent également des avantages pour le revendeur, dans la mesure où ils lui permettent d'accéder, dans des conditions favorables et avec une garantie d'approvisionnement, au marché de la distribution de la bière. Les intérêts concordants du revendeur et du fournisseur pour la promotion des ventes des produits contractuels assurent également au revendeur le bénéfice de l'assistance du fournisseur afin de garantir la qualité des produits et le service à la clientèle.
13. Si des accords de ce genre n'ont pas pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l'article 85, paragraphe 1, il convient toutefois de vérifier s'ils n'ont pas pour effet de l'empêcher, de la restreindre ou d'en fausser le jeu.
14. Dans l'arrêt du 12 décembre 1967, Brasserie de Haecht (23-67, Rec. p. 526), la Cour a estimé que l'appréciation des effets d'un tel accord impliquait la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence. Il résulte également de cet arrêt que l'effet cumulatif produit par plusieurs accords similaires constitue un élément parmi d'autres pour savoir si, par le moyen d'une altération éventuelle du jeu de la concurrence, le commerce entre États membres est susceptible d'être affecté.
15. Dans la présente affaire, il convient, par conséquent, d'analyser les effets que produit un contrat de fourniture de bière, en combinaison avec d'autres contrats de même type, sur les possibilités, pour les concurrents nationaux ou originaires d'autres États membres, de s'implanter sur le marché de la consommation de la bière ou d'y agrandir leur part de marché et, partant, sur la gamme de produits offerts aux consommateurs.
16. Une telle analyse requiert, tout d'abord, une délimitation du marché en cause. Ce dernier est défini, en premier lieu, en fonction de la nature de l'activité économique en cause, en l'occurrence la vente de la bière. Celle-ci est réalisée tant par la voie du commerce de détail que par celle des débits de boissons. Du point de vue du consommateur, le secteur des débits de boissons, comprenant notamment les cafés et restaurants, se distingue de celui du commerce de détail, au motif que la vente dans les débits est associée non pas uniquement au simple achat d'une marchandise, mais également à une prestation de services et que la consommation de bière dans les débits ne dépend pas essentiellement de considérations d'ordre économique. Cette spécificité des ventes dans les débits est confirmée par le fait que les brasseries ont organisé des systèmes de distribution propres à ce secteur nécessitant des installations spéciales et que les prix pratiqués dans ce secteur sont, en général, supérieurs à ceux pratiqués pour les ventes dans le commerce de détail.
17. Il s'ensuit que le marché de référence correspond, dans la présente affaire, à celui de la distribution de la bière dans les débits de boissons. Cette constatation n'est pas infirmée par la circonstance qu'il existe une certaine interférence entre les deux réseaux de distribution, à savoir que les ventes dans le commerce de détail permettent à des nouveaux concurrents de faire connaître leurs marques et de bénéficier de leur réputation pour accéder au marché des débits de boissons.
18. Le marché en cause est délimité, en second lieu, du point de vue géographique. A cet égard, il convient de constater que les contrats de fourniture de bière sont encore, en grande majorité, conclus au niveau national. Dans ces circonstances, il y a lieu de prendre en considération, pour l'application des règles de concurrence communautaires, le marché national de la distribution de la bière dans des débits de boissons.
19. Pour apprécier si l'existence de plusieurs contrats de fourniture de bière entrave l'accès au marché ainsi délimité, il faut ensuite examiner la nature et l'importance de l'ensemble de ces contrats. Cet ensemble comprend tous les contrats similaires qui lient à plusieurs producteurs nationaux un nombre important de points de vente(arrêt du 18 mars 1970, Bilger, 43-69, Rec. p. 127) L'incidence de ces réseaux de contrats sur l'accès au marché dépend, notamment, du nombre des points de vente ainsi liés aux producteurs nationaux par rapport à celui des débits de boissons qui ne le sont pas, de la durée des engagements souscrits, des quantités de bière sur lesquelles ces engagements portent, ainsi que de la proportion entre ces quantités et celles qui sont écoulées par les distributeurs non liés.
20. L'existence d'un faisceau de contrats similaires, même si son incidence sur les possibilités d'accès au marché est importante, ne saurait cependant suffire à elle seule pour conclure que le marché en cause est inaccessible, dans la mesure où elle ne constitue qu'un élément, parmi d'autres, du contexte économique et juridique dans lequel un contrat doit être apprécié(arrêt du 12 décembre 1967, 23-67, précité) La prise en compte de ces autres éléments vise, en premier lieu, ceux qui déterminent également ces possibilités d'accès.
21. A cet égard, il convient d'examiner s'il existe des possibilités réelles et concrètes pour un nouveau concurrent de s'infiltrer dans le faisceau de contrats grâce à l'acquisition d'une brasserie déjà implantée sur le marché avec toute sa chaîne de points de vente ou de contourner le faisceau de contrats par l'ouverture de nouveaux débits de boissons. A cette fin, il y a lieu de prendre en considération les réglementations et les conventions relatives à l'acquisition de sociétés et l'établissement de points de vente, ainsi que le nombre minimal de points de vente nécessaire pour l'exploitation rentable d'un système de distribution. La présence de grossistes en bière, qui ne sont pas liés à des producteurs actifs sur le marché, constitue également un facteur susceptible de faciliter l'accès à ce marché d'un nouveau producteur, celui-ci pouvant bénéficier des circuits de vente exploités par ces grossistes pour la distribution de sa propre bière.
22. Il y a lieu de tenir compte, en second lieu, des conditions dans lesquelles s'accomplit le jeu de la concurrence sur le marché de référence. Il s'agit, à cet égard, de connaître non seulement le nombre et la taille des producteurs présents sur le marché, mais également le degré de saturation de ce marché et la fidélité des consommateurs aux marques existantes, car il est généralement plus difficile de pénétrer un marché saturé caractérisé par la fidélité des consommateurs à un petit nombre de grands producteurs qu'un marché en pleine expansion dans lequel opère un grand nombre de petits producteurs qui ne disposent pas de marques fortes. L'évolution des ventes de bière dans le commerce de détail fournit des renseignements utiles sur le développement de la demande et constitue ainsi un indice du degré de saturation de l'ensemble du marché de la bière. L'analyse de cette évolution a, en outre, un certain intérêt pour évaluer la fidélité du consommateur aux différentes marques. Une augmentation constante des ventes de bières sous de nouvelles marques peut, en effet, procurer aux propriétaires de ces marques une renommée dont ils peuvent bénéficier pour l'accès au marché des débits de boissons.
23. Si l'examen de l'ensemble des contrats similaires conclus sur le marché de référence et des autres éléments du contexte économique et juridique du contrat en cause fait apparaître que ces contrats n'ont pas pour effet cumulatif de fermer l'accès à ce marché pour de nouveaux concurrents nationaux et étrangers, les contrats individuels, constituant le faisceau d'accords, ne sauraient porter atteinte au jeu de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Ils échappent, en conséquence, à l'interdiction prévue à cette disposition.
24. Si cet examen révèle en revanche que le marché en cause est difficilement accessible, il convient d'apprécier dans quelle mesure les contrats conclus par la brasserie concernée contribuent à l'effet cumulatif produit, à cet égard, par l'ensemble des contrats similaires relevés sur ce marché. La responsabilité de cet effet de fermeture du marché doit être imputée, selon les règles de concurrence communautaires, aux brasseries qui y contribuent de manière significative. Les contrats de fourniture de bière conclus par des brasseries dont la contribution à l'effet cumulatif est insignifiante ne tombent dès lors pas sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1.
25. Afin d'apprécier l'importance de la contribution des contrats de fourniture de bière conclus par une brasserie à l'effet de blocage cumulatif mentionné ci-dessus, il faut prendre en considération la position des parties contractantes sur le marché. Cette position ne dépend pas seulement de la part de marché de la brasserie et du groupe auquel elle appartient éventuellement, mais également du nombre de points de vente liés à celle-ci ou à son groupe, par rapport au nombre total de débits de boissons relevés sur le marché de référence.
26. La contribution des contrats individuels conclus par une brasserie au blocage de ce marché dépend, en outre, de leur durée. Si cette durée est manifestement excessive par rapport à la durée moyenne des contrats de fourniture de bière généralement conclus sur le marché en cause, le contrat individuel relève de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1. Une brasserie disposant d'une part de marché relativement réduite, qui lie ses points de vente pendant de nombreuses années, peut, en effet, contribuer à une fermeture du marché de manière aussi significative qu'une brasserie, ayant une position relativement forte sur le marché, qui libère régulièrement ses points de vente à intervalles rapprochés.
27. Il y a donc lieu de répondre aux trois premières questions préjudicielles qu'un contrat de fourniture de bière est interdit par l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, s'il est satisfait à deux conditions cumulatives. Il faut, en premier lieu, que, compte tenu du contexte économique et juridique du contrat litigieux, le marché national de la distribution de bière dans des débits de boissons soit difficilement accessible pour des concurrents qui pourraient s'implanter sur ce marché ou qui pourraient y élargir leur part de marché. Le fait que le contrat litigieux relève, dans ce marché, d'un ensemble de contrats similaires qui produisent un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ne constitue qu'un facteur parmi d'autres pour apprécier si un tel marché est effectivement d'un accès difficile. Il faut, en second lieu, que le contrat litigieux contribue de manière significative à l'effet de blocage produit par l'ensemble de ces contrats dans leur contexte économique et juridique. L'importance de la contribution du contrat individuel dépend de la position des parties contractantes sur le marché en cause et de la durée du contrat.
Sur la compatibilité avec l'article 85, paragraphe 1, d'un contrat de fourniture de bière avec une clause d'ouverture
28. Un contrat de fourniture de bière comprenant une clause d'ouverture se distingue des autres contrats de fourniture de bière, du type généralement conclu, par le fait qu'il autorise le revendeur à acheter la bière en provenance d'autres États membres. Cette ouverture atténue, au profit des bières d'autres États membres, le champ d'application de l'interdiction de concurrence qui, dans le cadre d'un contrat de fourniture de bière classique, s'ajoute à l'obligation d'achat exclusif.La portée de la clause d'ouverture doit être appréciée en fonction de son libellé et de son contexte économique et juridique.
29. S'agissant du libellé de la clause, il y a lieu de considérer que celle-ci n'offre qu'un degré d'ouverture très limité, si l'on estime qu'elle autorise uniquement le revendeur à acheter lui-même des bières concurrentes dans d'autres États membres. Son degré d'ouverture est, en revanche, plus important lorsqu'elle permet encore au revendeur de vendre des bières importées d'autres États membres par des entreprises tierces.
30. S'agissant du contexte économique et juridique de la clause, il y a lieu de relever que si, comme en l'espèce au principal, l'une des autres clauses impose l'achat d'une quantité minimale de bières visées à ce contrat, il convient d'examiner ce que cette quantité représente par rapport aux ventes de bière habituellement réalisées dans le débit concerné. Si cet examen révèle que la quantité imposée est relativement importante, la clause d'ouverture perd son intérêt économique et l'interdiction de vendre des bières concurrentes regagne toute son ampleur. Cette constatation vaut, en particulier, lorsque, en vertu du contrat, l'obligation d'achat de quantités minimales est assortie de sanctions.
31. Si l'interprétation du libellé de la clause d'ouverture ou l'examen de l'effet concret de l'ensemble des clauses du contrat, dans leur contexte économique et juridique, fait apparaître que la limitation du champ d'application de l'interdiction de concurrence est simplement de nature hypothétique ou dépourvue d'intérêt économique, ce contrat doit être assimilé à un contrat de fourniture de bière classique. Son appréciation au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité doit, en conséquence, correspondre à celle des contrats de fourniture de bière en général.
32. Il en va différemment lorsque la clause d'ouverture garantit une possibilité réelle pour un fournisseur national ou étranger de bières, originaires d'autres États membres, d'approvisionner le point de vente concerné. Le contrat qui contient une telle clause n'est, en principe, pas susceptible d'affecter le commerce entre États membres au sens de l'article 85, paragraphe 1, de sorte qu'il échappe à l'interdiction prévue à cette disposition.
33. Il y a donc lieu de répondre à la quatrième question de l'Oberlandesgericht qu'un contrat de fourniture de bière qui autorise le revendeur à acheter de la bière en provenance d'autres États membres n'est pas susceptible d'affecter le commerce interétatique, lorsque cette autorisation correspond à une possibilité réelle, pour un fournisseur national ou étranger, d'approvisionner ce revendeur en bières originaires d'autres États membres.
Sur l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1984-83
34. Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi vise en substance à savoir si un contrat de fourniture de bière bénéficie de la protection de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83, notamment en son article 6, paragraphe 1, lorsque l'assortiment qui fait l'objet de l'obligation d'achat exclusif imposée au revendeur ne résulte pas du texte du contrat, mais de la liste des produits assortie du barème de prix correspondants, dressée à intervalles réguliers par le fournisseur.
35. Le règlement n° 1984-83 prévoit des règles spéciales pour l'exemption par catégorie des contrats de fourniture de bière. Ces règles, qui diffèrent des dispositions générales applicables aux accords d'achat exclusif, sont contenues dans les articles 6, 7 et 8 de ce règlement.
36. Il ressort clairement de l'article 6, paragraphe 1, de ce règlement que l'engagement d'achat exclusif par le revendeur se rapporte uniquement à certaines bières ou à certaines bières et boissons spécifiées dans l'accord. Cette exigence de précision a pour objet d'éviter que le fournisseur étende unilatéralement le champ d'application de l'obligation d'achat exclusif. Un contrat de fourniture de bière qui renvoie, pour ce qui concerne les produits soumis à l'obligation d'achat exclusif, à un tarif que le fournisseur peut modifier unilatéralement ne satisfait pas à cette exigence et ne bénéficie donc pas de la protection de l'article 6, paragraphe 1.
37. Il convient, par conséquent, de répondre à la cinquième question préjudicielle que les conditions d'application de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1984-83 ne sont pas réunies lorsque les boissons faisant l'objet de l'exclusivité d'achat ne sont pas énumérées dans le texte même du contrat, mais qu'il est stipulé qu'elles résultent à chaque fois du tarif en vigueur de la brasserie ou de ses filiales.
Sur l'interprétation de l'article 8, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1984-83
38. L'article 8, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1984-83 dispose, entre autres, que, lorsque le contrat de fourniture de bière concerne un débit de boissons que le fournisseur loue ou met à la disposition du revendeur, le contrat doit prévoir le droit pour le revendeur d'acheter à des entreprises tierces les boissons, à l'exception de la bière, livrées en vertu de ce contrat, si ces entreprises les offrent à des conditions plus avantageuses et si le fournisseur n'offre pas ces conditions. Par sa sixième question, le juge de renvoi cherche à savoir si un contrat qui ne répond pas à cette exigence cesse de bénéficier, dans sa totalité, de l'exemption par catégorie prévue par le règlement ou si les conséquences de cette incompatibilité avec la disposition susmentionnée restent limitées à la clause du contrat qui interdit au revendeur d'acheter, à des entreprises tierces, des boissons autres que la bière.
39. La réponse à cette question découle des termes de l'article 8 du règlement n° 1984-83. L'article 8, paragraphe 1, stipule expressément que l'exemption par catégorie pour les contrats de fourniture de bière n'est pas applicable lorsque certaines clauses restreignent la liberté d'action du revendeur et que la durée de l'accord est excessive. Le paragraphe 2 y ajoute des conditions spéciales pour les contrats concernant la location ou la mise à disposition de débits de boissons. L'exemption par catégorie pour les contrats de fourniture de bière, prévue à l'article 6, paragraphe 1, du règlement cesse donc d'être applicable dans son intégralité si ces conditions ne sont pas remplies.
40. Toutefois, le fait qu'un contrat de fourniture de bière ne satisfait pas aux conditions d'une exemption par catégorie n'implique pas nécessairement que l'ensemble du contrat soit frappé de nullité au sens de l'article 85, paragraphe 2, du traité. La nullité ne s'applique qu'aux seuls éléments de l'accord interdits par l'article 85, paragraphe 1. L'ensemble de l'accord n'est frappé de nullité que si ces éléments ne paraissent pas séparables de l'accord lui-même (arrêt du 30 juin 1966, Société technique minière, 56-65, Rec. p. 337).
41. Il convient de signaler, au surplus, que les parties à un accord qui ne bénéficie pas de la protection d'un règlement d'exemption par catégorie peuvent toujours demander à la Commission une décision d'exemption individuelle ou faire valoir que les conditions d'un autre règlement d'exemption pour d'autres catégories d'accords sont remplies (arrêt du 18 décembre 1986, VAG France, 10-86, Rec. p. 4071).
42. Il y a donc lieu de répondre à la sixième question préjudicielle que l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83 ne s'applique pas à un contrat de fourniture de bière qui concerne un débit de boissons loué au revendeur ou mis à sa disposition par le fournisseur et qui comporte un engagement d'achat pour des boissons autres que la bière, lorsque ce contrat ne répond pas à l'exigence posée par l'article 8, paragraphe 2, sous b), de ce règlement.
Sur la compétence du juge national pour appliquer l'article 85 à un accord qui ne bénéficie pas de la protection d'un règlement d'exemption
43. Par sa dernière question, le juge de renvoi demande quelle appréciation il lui appartient de porter, en vertu des règles de concurrence communautaires, sur un accord qui ne remplit pas les conditions d'application du règlement n° 1984-83. Cette question soulève un problème général d'ordre procédural concernant les compétences respectives de la Commission et des juridictions nationales pour appliquer ces règles.
44. A cet égard, il convient de souligner, tout d'abord, que la Commission est responsable de la mise en œuvre et de l'orientation de la politique communautaire de la concurrence. Il lui appartient de prendre, sous le contrôle du Tribunal et de la Cour, des décisions individuelles selon les règlements de procédure en vigueur et d'adopter des règlements d'exemption. L'exécution de cette tâche comporte nécessairement des appréciations complexes en matière économique, notamment lorsqu'il s'agit d'apprécier si un accord relève de l'article 85, paragraphe 3. La Commission dispose d'une compétence exclusive pour prendre des décisions d'application de cette disposition en vertu de l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204).
45. La Commission ne dispose, en revanche, d'aucune compétence exclusive pour l'application des articles 85, paragraphe 1, et 86. Elle partage, à cet égard, sa compétence pour appliquer ces dispositions avec les juridictions nationales. Comme la Cour l'a, en effet, précisé dans l'arrêt du 30 janvier 1974, BRT (127-73, Rec. p. 51), les articles 85, paragraphe 1, et 86 produisent des effets directs dans les relations entre particuliers et engendrent directement des droits dans le chef des justiciables que ces juridictions nationales doivent sauvegarder.
46. Il en va de même pour les dispositions des règlements d'exemption (arrêt du 3 février 1976, Fonderies Roubaix, 63-75, Rec. p. 111) L'applicabilité directe de ces dispositions ne saurait cependant conduire à ce que les juridictions nationales modifient la portée des règlements d'exemption en étendant leur champ d'application à des accords qui n'en relèvent pas. Une telle extension affecterait en effet, indépendamment de son importance, la façon dont la Commission a exercé sa compétence législative.
47. Il convient ensuite d'examiner les conséquences de ce partage de compétences pour l'application concrète des règles de concurrence communautaires par les juridictions nationales. A cet égard, il y a lieu de tenir compte du fait que ces juridictions nationales risquent de prendre des décisions allant à l'encontre de celles prises ou envisagées par la Commission pour l'application des articles 85, paragraphe 1, et 86 et également de l'article 85, paragraphe 3. De telles décisions contradictoires seraient contraires au principe général de la sécurité juridique et doivent, dès lors, être évitées lorsque les juridictions nationales se prononcent sur des accords ou pratiques qui peuvent encore faire l'objet d'une décision de la Commission.
48. Selon une jurisprudence constante, les juridictions nationales ne peuvent, en l'absence d'une décision de la Commission prise en application du règlement n° 17, constater la nullité de plein droit, au titre de l'article 85, paragraphe 2, des accords existant dès avant le 13 mars 1962, date d'entrée en vigueur de ce règlement, et qui ont été régulièrement notifiés (arrêt du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, 48-72, Rec. p. 77 arrêt du 14 décembre 1977, De Bloos, 59-77, Rec. p. 2359) Ces accords bénéficient, en effet, d'une validité provisoire aussi longtemps que la Commission ne s'est pas prononcée (arrêt du 10 juillet 1980, Lancôme, 99-79, Rec. p. 2511).
49. Le contrat dont il s'agit en l'espèce au principal a été conclu le 14 mai 1985 et aucun élément du dossier n'indique que ce contrat constitue une reproduction exacte d'un contrat type ayant été conclu avant le 13 mars 1962 et régulièrement notifié (arrêt du 30 juin 1970, Rochas, 1-70, Rec. p. 515). Le contrat ne semble donc pas bénéficier d'une validité provisoire. Toutefois, afin de concilier la nécessité d'éviter des décisions contradictoires avec l'obligation, pour le juge national, de statuer sur les prétentions de la partie au litige qui invoque la nullité de plein droit du contrat, le juge national peut tenir compte des considérations suivantes lors de l'application de l'article 85.
50. Si les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, ne sont manifestement pas réunies et s'il n'existe, en conséquence, guère de risque que la Commission se prononce différemment, le juge national peut poursuivre la procédure pour statuer sur le contrat litigieux. Il en va de même lorsque l'incompatibilité du contrat avec l'article 85, paragraphe 1, ne fait pas de doute et que, compte tenu des règlements d'exemption et des décisions précédentes de la Commission, le contrat ne peut en aucun cas faire l'objet d'une décision d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3.
51. A cet égard, il convient de rappeler qu'un contrat ne peut faire l'objet d'une telle décision que s'il a été notifié ou que s'il est dispensé de l'obligation de notification. Un accord est dispensé de l'obligation de notification, en vertu de l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17, lorsque n'y participent que des entreprises ressortissant à un seul État membre et que cet accord ne concerne ni l'importation ni l'exportation entre États membres. Un contrat de fourniture de bière peut répondre à ces conditions, même s'il fait partie intégrante d'un ensemble de contrats similaires (arrêt du 18 mars 1970, Bilger, 43-69, Rec. p. 127).
52. Si la juridiction nationale constate que le contrat litigieux satisfait à ces exigences formelles et si elle estime, à la lumière de la pratique réglementaire et décisionnelle de la Commission, que ce contrat peut éventuellement faire l'objet d'une décision d'exemption, la juridiction nationale peut décider de surseoir à statuer ou de prendre des mesures provisoires selon les modalités de son droit procédural national. Un sursis à statuer ou l'adoption de mesures provisoires est également à envisager lorsqu'un risque de décisions contradictoires se présente dans le cadre de l'application des articles 85, paragraphe 1, et 86.
53. Il y a lieu de préciser dans ce contexte que la juridiction nationale a toujours la possibilité, dans les limites du droit national de procédure applicable et sous réserve de l'article 214 du traité, de s'informer auprès de la Commission sur l'état de la procédure que cette institution aura éventuellement engagée et sur la probabilité que celle-ci se prononce officiellement sur le contrat litigieux en application des dispositions du règlement n° 17. La juridiction nationale peut, dans les mêmes conditions, contacter la Commission lorsque l'application concrète de l'article 85, paragraphe 1, ou de l'article 86 soulève des difficultés particulières, afin d'obtenir les données économiques et juridiques que cette institution est en mesure de lui fournir. La Commission est, en effet, tenue, en vertu de l'article 5 du traité, à une obligation de coopération loyale avec les autorités judiciaires des États membres chargées de veiller à l'application et au respect du droit communautaire dans l'ordre juridique national (ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld, point 8, C-2-88 Imm , Rec. p. I-3365).
54. Enfin et en tout état de cause, la juridiction nationale peut surseoir à statuer pour saisir la Cour d'une demande préjudicielle au titre de l'article 177 du traité.
55. Dans ces conditions, il convient de répondre à la dernière question de l'Oberlandesgericht qu'une juridiction nationale ne peut étendre le champ d'application du règlement n° 1984-83 à des contrats de fourniture de bière qui ne répondent pas explicitement aux conditions d'exemption de ce règlement. La juridiction nationale ne peut pas davantage déclarer l'article 85, paragraphe 1, du traité inapplicable à un tel contrat au titre du paragraphe 3 de cette même disposition. Elle peut, toutefois, constater la nullité de ce contrat, conformément à l'article 85, paragraphe 2, lorsqu'elle a acquis la certitude que le contrat ne pouvait faire l'objet d'une décision d'exemption en vertu de l'article 85, paragraphe 3.
Sur les dépens
56. Les frais exposés par le gouvernement de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main, par ordonnance du 13 juillet 1989, dit pour droit :
1) Un contrat de fourniture de bière est interdit par l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, s'il est satisfait à deux conditions cumulatives. Il faut, en premier lieu, que, compte tenu du contexte économique et juridique du contrat litigieux, le marché national de la distribution de bière dans des débits de boissons soit difficilement accessible pour des concurrents qui pourraient s'implanter sur ce marché ou qui pourraient y élargir leur part de marché. Le fait que le contrat litigieux relève, dans ce marché, d'un ensemble de contrats similaires qui produisent un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ne constitue qu'un facteur parmi d'autres pour apprécier si un tel marché est effectivement d'un accès difficile. Il faut, en second lieu, que le contrat litigieux contribue de manière significative à l'effet de blocage produit par l'ensemble de ces contrats dans leur contexte économique et juridique. L'importance de la contribution du contrat individuel dépend de la position des parties contractantes sur le marché en cause et de la durée du contrat.
2) Un contrat de fourniture de bière qui autorise le revendeur à acheter de la bière en provenance d'autres États membres n'est pas susceptible d'affecter le commerce interétatique lorsque cette autorisation correspond à une possibilité réelle, pour un fournisseur national ou étranger, d'approvisionner ce revendeur en bières originaires d'autres États membres.
3) Les conditions d'application de l'article 6, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1984-83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'achat exclusif ne sont pas réunies lorsque les boissons faisant l'objet de l'exclusivité d'achat ne sont pas énumérées dans le texte même du contrat, mais qu'il est stipulé qu'elles résultent à chaque fois du tarif en vigueur de la brasserie ou de ses filiales.
4) L'exemption par catégorie prévue par le règlement (CEE) n° 1984-83 ne s'applique pas à un contrat de fourniture de bière qui concerne un débit de boissons loué au revendeur ou mis à sa disposition par le fournisseur et qui comporte un engagement d'achat pour des boissons autres que la bière, lorsque ce contrat ne répond pas à l'exigence posée par l'article 8, paragraphe 2, sous b), de ce règlement.
5) Une juridiction nationale ne peut étendre le champ d'application du règlement (CEE) n° 1984-83 à des contrats de fourniture de bière qui ne répondent pas explicitement aux conditions d'exemption de ce règlement. La juridiction nationale ne peut pas davantage déclarer l'article 85, paragraphe 1, du traité inapplicable à un tel contrat au titre du paragraphe 3 de cette même disposition. Elle peut, toutefois, constater la nullité de ce contrat, conformément à l'article 85, paragraphe 2, lorsqu'elle a acquis la certitude que le contrat ne pouvait faire l'objet d'une décision d'exemption en vertu de l'article 85, paragraphe 3.