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Décisions

CCE, 19 décembre 1990, n° 91-300

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Carbonate de soude/ICI

CCE n° 91-300

19 décembre 1990

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifiée en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 3 et 15, vu la décision prise par la Commission le 19 février 1990, d'engager dans cette affaire la procédure d'office en vertu de l'article 3 du règlement n° 17, après avoir donné à l'entreprise concernée l'occasion de faire connaître son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément aux dispositions de l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et au règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphe 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2) après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, Considérant ce qui suit :

PARTIE I - LES FAITS

A - Résumé de l'infraction

(1) La présente décision fait suite aux vérifications entreprises par la Commission en mars 1989, au titre de l'article 14 paragraphe 3 du règlement n° 17, auprès des producteurs de carbonate de soude de la Communauté. Au cours de ces vérifications et des enquêtes réalisées ensuite conformément à l'article 11 du règlement n° 17, la Commission a découvert des documents prouvant qu'une infraction à l'article 86 du traité CEE avait été commise par Imperial Chemical Industries PLC (ICI).

(2) L'infraction peut être résumée comme suit :

L'infraction à l'article 86 commise par ICI Depuis environ 1983 jusqu'à ce jour, ICI a abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché de la soude au Royaume-Uni en appliquant à ses principaux clients un système de rabais de fidélité et de remises par référence à un tonnage marginal, (remises de " tranche supérieure "), des conditions contractuelles tendant à lui assurer une exclusivité effective de fourniture ainsi que d'autres mesures qui ont eu pour objet et pour effet de lui lier lesdits clients pour la totalité de leurs besoins et d'exclure les concurrents.

B - Introduction

1 Position de ICI sur le marché britannique de la soude

(3) On trouvera des informations détaillées sur le produit et le marché de la soude dans la partie I B de la décision 91-297-CEE de la Commission (Solvay-ICI) (3).

ICI est le seul producteur de soude établi au Royaume-Uni. L'accord " page 1000 " de 1945 (qui remplace un accord d'entente antérieure) reconnaissait que Solvay et ICI ne se feraient pas concurrence sur leurs marchés traditionnels respectifs.

(4) À ce jour, ni Solvay ni aucun autre producteur de l'Europe de l'Ouest continentale n'a commercialisé de la soude au Royaume-Uni. ICI disposait d'un monopole total pour la fourniture de la soude au Royaume-Uni jusqu'à la fin des années soixante-dix, lorsque des importations en provenance des États-Unis d'Amérique ont fait leur apparition. Deux producteurs américains, TGI et Allied, ont déployé leurs activités sur le marché et les importations ont atteint 77 000 tonnes en 1982 (environ 10 % du marché) avant l'adoption de mesures antidumping, qui ont réduit la présence américaine à environ 30 kilotonnes par an. TGI a rapidement abandonné le marché et les seuls fournisseurs autres que ICI sont à présent General Chemical (la dénomination actuelle de Allied), avec environ 4 % du marché, et Brenntag qui fournit de la soude polonaise (3 %) (4).

(5) L'activité de ICI dans le secteur de la soude a toujours été rentable jusqu'au début des années 80 lorsqu'il s'est produit une baisse substantielle de la demande. De 1979 à 1984, la consommation de soude au Royaume-Uni a décru d'un tiers, ce qui a entraîné la fermeture de l'une des unités de production de ICI (Wallerscote) en septembre 1984.

À la suite de cette fermeture, le solde offre-demande est devenu déficitaire et ICI a acheté le produit de Solvay dans le cadre des accords d'achat pour revente.

La politique déclarée de ICI est d'accroître au maximum sa part du marché britannique de la soude et de la maintenir à plus de 90 %.

À la suite de l'instauration de mesures antidumping, la part de marché de ICI s'est stabilisé autour de 93 %. Le secteur de la soude de cette entreprise est redevenu bénéficiaire en 1986 et il est considéré comme une activité rentable arrivée au stade de la maturité.

2 Concurrents de ICI

(6) Quelle qu'en soit la raison, les " incursions concurrentielles majeures " d'autres producteurs communautaires sont considérées comme peu probables par ICI, bien que depuis 1980, le niveau des prix de liste de ICI au Royaume-Uni ait été nettement plus élevé - jusqu'à 20 % de plus - que celui des producteurs sur les marchés voisins.

D'après une note d'information récente du chef d'équipe pour le secteur de la soude, ICI " est parvenue à réduire à deux le nombre de concurrents sur le marché - la Pologne et un fournisseur américain - et entend qu'il en reste ainsi ".

(7) Les importations de soude polonaise continuent à atteindre le marché britannique par l'intermédiaire d'une société commerciale, Brenntag (antérieurement TR International). Il n'est pas perçu de droits antidumping sur la soude dense en provenance de l'Europe de l'Est, mais la soude non communautaire importée au Royaume-Uni est frappée d'un droit de douane de 10 %. À raison de [ ] tonnes (5) par an (dont la moitié est d'une nuance métallurgique spéciale), les importations polonaises sont toutefois considérées comme plutôt " gênantes que critiques " par ICI. Récemment, ICI semble avoir développé une politique d'élimination des fournitures de soude lourde polonaise, n'important plus que de la soude légère à partir de cette source.

(8) Les producteurs américains de soude naturelle sont considérés par ICI comme sa principale source de concurrence potentielle. Jusqu'à présent, les mesures antidumping (engagement de deux producteurs et droits antidumping infligés aux autres) ont assuré à ICI un très large degré de protection. D'après ICI, la moitié peut-être de ses bénéfices actuels seraient compromis si la protection antidumping contre les importations des États-Unis d'Amérique devait être supprimée.

3 Clients de ICI

(9) La plupart des gros clients de ICI pour la soude exercent leurs activités dans le secteur verrier qui, au Royaume-Uni, utilise exclusivement la soude dense (La soude dense représente [ ] % des ventes de soude de ICI). Le seul producteur britannique de verre plat est Pilkington, dont les besoins s'élèvent à près de [ ] tonnes par an ICI assure [ ] % de son approvisionnement.

Les producteurs de verre d'emballage (comme United Glass, Rockware, Redfearn, Beatson Clarke) consomment jusqu'à [ ] tonnes par an de soude dense : là encore, ils s'approvisionnent essentiellement ou exclusivement chez ICI.

Les dix principaux clients de ICI pour la soude au Royaume-Uni représentent près de [ ] % de son activité totale.

Les principaux clients pour la soude légère sont les secteurs métallurgique et chimique.

4 Mesures antidumping prises à l'encontre des producteurs américains

(10) Les engagements offerts par Allied et TGI en août 1984 et acceptés par la Commission [Règlement (CEE) n° 2253-84 de la Commission] (6) n'ont pas été publiés, mais ICI savait bien que le prix minimal prévu dans l'engagement était de 112,26 livres sterling départ entrepôt.

TGI s'est retirée du marché en 1985, laissant Allied (devenue General Chemical après sa restructuration) comme seul fournisseur américain. Pour l'essentiel de la période jugée par la présente décision, le prix de General Chemical a été de 119 livres sterling par tonne départ entrepôt. Le prix de Allied, qui était de 112,26 livres sterling, a été porté à ce niveau en novembre 1985 à la suite de contacts avec la direction générale des relations extérieures (DG I) de la Commission, mais aucun réexamen n'a été effectué officiellement jusqu'à l'expiration du règlement (CEE) n° 3387-84 du Conseil (7) fin 1989.

(11) ICI comme Solvay se sont rendu compte que sous l'effet des variations des taux de change depuis 1984, les producteurs américains seraient en mesure d'offrir la soude naturelle dans la Communauté à des prix concurrentiels par rapport aux leurs (et même nettement moins élevés) sans dumping. Ces deux producteurs savaient en outre que dans de nombreux cas, les prix qu'ils pratiquaient, en particulier sur le tonnage marginal, étaient nettement inférieurs au prix minimal prévu par les engagements. Il leur paraissait très probable que les producteurs américains puissent bien obtenir la suppression de la protection antidumping en 1989 lorsque les mesures devaient être réexaminées. Toutefois, ICI a considéré qu'afin de préserver le niveau de la rentabilité de son activité de production de soude, il lui fallait absolument assurer le maintien des mesures antidumping prises à l'encontre de la soude américaine. Récemment, ICI a écrit à plusieurs reprises à la Commission pour lui faire valoir que des dommages irréparables seraient causés à son activité s'il n'était pas maintenu un prix minimal pour la soude importée de 120 livres sterling par tonne départ entrepôt. À la date où ICI adressait la dernière lettre en ce sens à la Commission (du 16 mars 1990), après l'engagement de la présente procédure, elle venait de modifier le prix qu'elle appliquait à son plus gros consommateur (Pilkington) à un prix rendu unique de 11 [ ] livres sterling par tonne.

Les mesures antidumping prises à l'encontre des producteurs américains sont venues à expiration en novembre 1989. Les producteurs américains et les représentants de l'industrie verrière communautaire ont demandé un réexamen de ces mesures en 1988. Le 7 septembre 1990, ce réexamen s'est terminé sans l'imposition de mesures de protection (décision 90-507-CEE de la Commission) (8).

5 Accords de livraison exclusive

(12) Jusqu'en 1979, la plupart des accords de fourniture de ICI étaient des contrats " evergreen " (c'est-à-dire des contrats à durée indéterminée) assortis d'un délai de préavis de deux ans, qui stipulaient que l'acheteur s'approvisionnait pour la totalité de ses besoins chez ICI.

À la suite de négociations avec l'Office of Fair Trading, ICI a commencé en octrobre 1980, à offrir à ses clients britanniques plusieurs formules de contrats possibles, notamment des contrats permanents sur la base des besoins totaux mais assortis d'un délai de préavis plus court (de trois à cinq mois après un an).

(13) La Commission a toutefois considéré que la clause relative aux besoins totaux, même pour de brèves périodes, était inacceptable au regard des règles communautaires de la concurrence. Elle a élevé également des objections à l'encontre de certains aspects de la "clause de concurrence" (clause anglaise) de ICI telle qu'elle était alors libellée, par laquelle toute offre concurrentielle aurait effectivement été vouée à l'échec.

(14) Bien que ICI conteste que ces accords de type nouveau soient incompatibles avec les règles de concurrence, elle a accepté (tout en protestant) de cesser d'offrir à ses clients un contrat " tous besoins " résiliable à court terme. Elle a aussi amendé les clauses de non-concurrence. Le dossier a été clôturé le 14 décembre 1982 sans décision formelle. Il ressort à l'évidence de la correspondance que ICI connaissait bien les principes en matière de remises de fidélité à la base de l'arrêt rendu par la Cour de justice dans l'affaire 85-76 Hoffmann-La Roche (9).

(15) Le 24 décembre 1980, ICI a écrit à la Commission pour lui affirmer qu'elle offrait à ses clients une série de formules de contrat parmi lesquelles ils pouvaient choisir:

" ICI ne contraint en aucune façon ses clients principaux - ni même aucun de ses clients - à accepter un contrat qui les oblige à lui acheter des quantités qui couvrent la totalité de leurs besoins de soude ou une quantité proche de celle-ci, ni ne leur offre d'incitation particulière à le faire ".

À la suite de discussions avec la Commission, ICI a modifié la quasi-totalité de ses contrats de fourniture en prenant pour base un " tonnage ".

6 Remises de quantité jusqu'à 1985

(16) La soude est normalement vendue par ICI sur la base d'un prix rendu. Bien que ICI produise des prix de liste qui indiquent un prix " départ usine ", ceux-ci sont destinés uniquement à son usage interne et ne sont pas communiqués aux clients. S'ajoute au prix départ usine le prix du transport fait par le transporteur à ICI (Les clients qui souhaitent prendre la marchandise à l'usine obtiennent une remise d'enlèvement [ ].

ICI accordait jusqu'à assez récemment des remises de quantité standard. La circulaire "Price Book" de ICI en date du 1er octobre 1985 prouve qu'un nouveau barème de remises de quantité devait être mis en vigueur au 1er janvier 1986. Les remises de quantité standard de cette liste de 1985 vont de 0,25 livre sterling par tonne (2 500-7 500 tonnes) à 3 livres par tonne pour des ventes annuelles de plus de 87 500 tonnes. D'après ICI, à compter de 1984, les remises ont toutefois " pour la plupart " fait l'objet d'une négociation individuelle.

C - Comportement d'exclusion de ICI

1 Remises de la tranche supérieure

(17) En dépit des assurances relatives aux incitations spéciales qu'elle a données à la Commission en 1981, ICI a, à partir de 1983, fait un usage accru de " remise de la tranche supérieure " atteignant jusqu'à 30 livres sterling par tonne sur le tonnage marginal. À compter de 1985, la quasi-totalité des gros clients de ICI avaient mis en place de tels accords.

L'expression " remise de la tranche supérieure " signifie que ICI offre à ses clients des incitations financières substantielles sous la forme de remise importantes de façon à les encourager à acheter à ICI non seulement leur tonnage "normal" - pour lequel ils se seraient normalement approvisionnés auprès de leur fournisseur principal -, mais également le tonnage marginal ou " tranche supérieure " qu'ils auraient pu acheter - ou auraient sinon acheté - à un second fournisseur qui, au Royaume-Uni, serait soit TR (à présent Brenntag), soit Allied (à présent General Chemical).

2 Objet d'exclusion des remises de tranche supérieure

(18) La place des remises de la tranche supérieure dans la stratégie de ICI ressort d'un certain nombre de notes internes datant de 1985.

Début 1985, ICI s'est rendu compte que l'un des deux fournisseurs américains, TGI, avait l'intention de se retirer totalement du marché, notamment à la suite d' " affaires " que ICI avait offertes à l'industrie verrière de façon à supplanter le produit des États-Unis d'Amérique. L'objectif poursuivi par ICI était d'obtenir un avantage maximal du retrait de TGI. Cette société redoutait que les clients qui avaient précédemment recouru à TGI comme deuxième source d'approvisionnement, ne fassent appel à Allied, l'autre fournisseur américain ou, pis encore du point de vue de ICI, n'approchent des producteurs ou des sociétés commerciales de l'Europe de l'Ouest continentale.

Faisant allusion à la probabilité pour elle de reprendre la plus grande partie des activités de TGI, ICI déclare dans une note du 28 février 1985 que " des fonds sont disponibles pour étendre les accords relatifs à la tranche supérieure en vigueur ".

(19) Un document de stratégie du 28 juin 1985 définit explicitement dans tous les détails le plan de ICI pour empêcher ou éliminer toutes les importations de soude dense au Royaume-Uni, à l'exception de celle de Allied (à présent dénommée General Chemical) dont ICI, pour des raisons de "prudence commerciale", voulait bien tolérer le maintien sur le marché du Royaume-Uni comme fournisseur accessoire, dans des limites strictes quant au prix et au volume.

L'objectif de ICI en ce qui concerne les importations de soude dense en provenance d'Europe de l'Est y était clairement précisé :

1) " Réduire à zéro ou au minimum les ventes actuelles de TR de soude dense spéciale en sacs et en vrac.

2) Empêcher TR d'établir toute position auprès d'aucun producteur de verre quel qu'il soit pour la soude dense standard en vrac ".

La stratégie poursuivie par ICI en ce qui concerne les importations américaines de soude dense était définie comme suit :

1) " Réduire les ventes de Allied à un niveau tel que cette société reste une deuxième source d'approvisionnement pour l'industrie verrière: 15-20 kilotonnes (par an).

2) Empêcher tout autre fournisseur américain/Ansac d'établir une position au Royaume-Uni "

(20) D'après ce plan, la politique de ICI était de " faire la concurrence pour la part américaine de l'approvisionnement en offrant des remises jusqu'à 15 livres sterling par tonne pour la tranche supérieure excédant le tonnage de base ICI " (Il est précisé dans ce document que l'écart entre les prix de liste de ICI et ceux des producteurs américains Allied et TGI n'était alors que de 0,50 livre par tonne).

(21) Initialement, ICI avait espéré reprendre la majorité de l'activité de TGI et maintenir les ventes de Allied au niveau des 15 kilotonnes par an. Par la suite, cette société a dû accepter que la quasi-totalité des grosses entreprises verrières souhaitent maintenir une deuxième source d'approvionnement, représentant pour Allied 25 à 30 kilotonnes par an. Paradoxalement, il n'était pas contraire aux intérêts de ICI que Allied reste sur le marché à un niveau minimal à des prix contrôlés par les engagements antidumping. Si Allied devait se retirer complètement, les verriers rechercheraient presque certainement en Europe des sources d'approvisionnement de rechange. Les sociétés commerciales d'Europe de l'Ouest étaient considérées comme un risque particulier pour la stabilité du marché. On peut lire dans une note du 18 novembre 1985 :

" La stratégie reste de maintenir des prix rendus concurrentiels dans tous les cas de façon à atteindre le tonnage de base ICI et d'offrir des conditions pour la tranche supérieure jusqu'à 15 livres par tonne pour acquérir un tonnage supplémentaire de Allied. L'objectif est de maintenir la position de Allied à moins de 30 kilotonnes par an. Notre intention est de ne pas éliminer Allied du marché étant donné que ceci contraindrait l'industrie verrière à chercher des sources d'approvisionnement, soit en Europe de l'Ouest continentale, soit en Europe de l'Est ".

3 Fonctionnement des remises de tranche supérieure

(22) Le fonctionnement et l'effet pratique du système des remises de la tranche supérieure doivent être évalués à la lumière :

- des engagements de prix minimal donnés par les deux producteurs américains,

- de la pratique de ICI qui consiste à s'assurer l'accord des clients de limiter leurs achats à des concurrents.

a) L'engagement de prix minimal

(23) Bien que l'engagement original de prix minimal pour le Royaume-Uni ait été fixé à 112,26 livres sterling, ce montant a été relevé " officieusement ", (c'est-à-dire sans réexamen officiel) à 120 livres sterling (et ramené peu après à 119 livres sterling à la suite de contacts entre ICI, le ministère britannique du commerce et de l'industrie et la direction générale des relations extérieures (DG I) de la Commission lorsque ICI a augmenté ses prix de 6,5 % avec effet au 18 novembre 1985.

Il est peu probable que General Chemical (précédemment Allied) offre un prix très inférieur à 119 livres sterling départ entrepôt parce qu'elle savait que toute rupture connue de l'engagement "officieux" entraînerait l'imposition de droits antidumping prohibitifs. En fait, à l'exception d'un rabais de 1 livre par tonne pour les quantités supérieures à 1000 tonnes, General Chemical n'a jamais accordé de rabais ou de ristourne sur le prix de liste. À compter de novembre 1985 le prix qu'elle pratiquait aux producteurs de verre creux était de 119 livres par tonne départ usine, prix porté à 121 livres en janvier 1988. Pour Pilkington, le prix était légèrement inférieur, mais toujours nettement supérieur à l'engagement officiel.

Il ressort à l'évidence de documents internes de ICI qu'il existe un lien entre l'engagement de prix minimal et la remise de la tranche supérieure et que celui-ci vise à contenir l'activité anticoncurrentielle de General Chemical.

(24) Faisant allusion à la hausse de prix du 18 novembre 1985 et à son application aux gros clients, une note d'information de ICI relève ce qui suit :

" Le prix minimal d'engagement de Allied est resté à 112,26 livres sterling par tonne départ entrepôt, mais son prix été porté initialement à 120 livres sterling par tonne départ entrepôt, a été réduit très récemment à 119 livres sterling par tonne. Tous les clients à l'exception de Redfearn et UG ont passé (avec ICI) un accord de tonnage supplémentaire, assorti d'une remise de 5 à 20 livres sterling par tonne, soit comme aide à l'exportation (principalement dans le cas de Beatson Clarke), soit pour attirer vers ICI un tonnage américain potentiel "

Plus loin, la note fait état de la position de United Glass (un des principaux producteurs de verre creux) :

" Des accords portant sur un tonnage supplémentaire de 10 à 20 livres sterling par tonne proposés continuellement ces deux dernières années, mais UG n'est pas disposée à modifier sa position de [ ] % départ États-Unis d'Amérique.

(25) Un compte rendu de la réunion trimestrielle consacrée aux ventes de ICI Soda Ash Products, daté du 4 septembre 1987, rend ce lien encore plus explicite :

" le budget permet des remises supplémentaires de 500 livres sterling par kilogramme qui doivent assurer que le tonnage marginal demandé par tous les gros clients de vrac soit inférieur à 112,26 livres sterling PMT départ usine, le prix minimal d'engagement de General Chemical "

Une note écrite, non datée, mais datant probablement également de fin 1987 - lorsque ICI a relevé ses prix de 6 livres sterling par tonne - est libellée comme suit :

" Notre diminution de la tranche supérieure est-elle suffisante ? Gen Chem peut ne pas suivre la hausse. La tranche supérieure doit être inférieure à 112,26 livres sterling départ usine ".

(26) General Chemical étant effectivement empêchée par les engagements antidumping d'aller au dessous de 112,26 livres sterling, (sinon 119 livres sterling le prix d'engagement officieux), ICI était assurée que sa présence serait marginalisée par le fonctionnement du système de remise de tranche supérieure.

On trouve un exemple frappant de la mise en œuvre de cette politique dans le cas de Pilkington, le principal client verrier, auprès de qui ICI cherchait à obtenir un approvisionnement à 100 %. Pilkington exerce ses activités sur plusieurs sites au Royaume-Uni et ses besoins totaux de soude s'élevaient en 1986 à environ [ ] kilotonnes, la totalité étant fournie par ICI sauf [ ] kilotonnes pour une usine de petite taille à Pontyfelin. ICI accordait à Pilkington une remise de 20 livres sterling par tonne sur la tranche supérieure (c'est-à-dire pour des ventes de plus de [ ] kilotonnes. Cette remise de la tranche supérieure n'était pas particulièrement coûteuse pour ICI, eu égard aux achats totaux de Pilkington. Elle signifiait toutefois que pour le site de Pontyfelin, ICI offrait un prix rendu de 10 [ ] livres sterling (moins de [ ] livres sterling par tonne départ usine), croyant que General Chemical pratiquait un prix rendu de 128,50 livres sterling à cause de l'engagement officieux de prix minimal. Pilkington avait une politique d'achat de groupe visant à éviter toute dépendance à l'égard d'un seul producteur si bien qu'elle payait effectivement un supplément de près de 2 [ ] livres sterling par tonne pour avoir un deuxième fournisseur. Pour des raisons de contrôle de qualité, Pilkington ne mélange normalement pas la soude provenant de producteurs différents par conséquent, si une usine de Pilkington devait être " refusée " à ICI, il était logique que ce soit la plus petite.

Eu égard à la différence de prix, Pilkington n'avait d'autre possibilité que de maintenir au minimal ses achats du deuxième fournisseur, si bien que ICI était assurée d'avoir la plus grande partie de son approvisionnement.

On en trouve un autre exemple chez Rockware, qui, jusqu'à 1988, avait une consommation de soude d'environ [ ] kiltonnes par an. Là encore, le deuxième fournisseur était General Chemical. Depuis 1986, ICI offrait à Rockware une remise de tranche supérieure de 15 livres sterling par tonne, ce qui, d'après une lettre de ICI du 12 novembre 1985, visait, en partie du moins, " à vous encourager à réduire au minimum vos achats à Allied ". Un employé de ICI a ajouté la mention manuscrite suivante au bas de la note du 5 juin 1987 sur ce sujet:

" La tranche supérieure doit être inférieure à 112,26 livres sterling départ usine ".

b) Accord de restreindre les achats de concurrents

(27) Quelles qu'aient pu être les modifications formelles apportées aux accords de fourniture de ICI en 1980, il est manifeste qu'en pratique, ICI cherche dans ses négociations sur les prix, à s'informer sur les besoins totaux prévus par an de chaque client. Seul United Glass paraît s'être abstenue de les préciser à ICI. Disposant de ces données précises sur la consommation totale de soude des clients, ICI pouvait fixer sa remise de tranche supérieure de manière à réduire au minimum leur achats à un deuxième fournisseur.

Dans plusieurs cas, ICI a également exercé des pressions auprès du client - en obtenant parfois gain de cause - pour qu'il lui donne l'engagement de s'approvisionner chez elle à 100 % pour l'année suivante. Dans d'autres cas, ICI s'est assurée l'accord du client de s'approvisionner pour la quasi-totalité de ses besoins chez elle tout en limitant ses achats d'une autre source à des tonnages spécifiés et relativement faibles.

- Pilkington

(28) Le 2 septembre 1982, la clause " besoins commerciaux totaux du client au Royaume-Uni " figurant dans l'accord de fourniture à durée indéterminée de Pilkington en date du 1er avril 1981 a été supprimée et remplacée par une nouvelle clause qui prévoyait simplement " une quantité de carbonate de soude à convenir chaque année entre l'acheteur et le vendeur ".

ICI paraît toutefois avoir considéré que quel que soit le libellé de cette nouvelle clause, ses relations avec Pilkington devaient rester conformes à l'accord initial. La politique de Pilkington de s'approvisionner auprès de ICI pour ses quatre grandes usines [ ] tonnes au total), tout en achetant jusqu'à [ ] tonnes de Allied pour la petite usine de Pontyfelin, a amené ICI à rappeler à Pilkington, en février 1987, que le contrat d'avril 1981 visait " les besoins totaux de l'acheteur ".

" Telle n'est manifestement pas la réalité d'aujourd'hui, comme vous le savez, nous sommes extrêmement soucieux de faire en sorte qu'il en soit ainsi et estimons qu'il n'existe pas de barrière commerciale ou technique de notre part.

Pour votre part, vous avez montré assez peu d'enhousiasme à l'idée de vous engager irrévocablement auprès de nous pour la totalité de vos besoins. Je comprends vos craintes et serais tout à fait disposé à convenir d'une modification du libellé du contrat qui vous donne la souplesse que vous souhaitez tout en répondant à nos aspirations en matière de volume ".

(29) ICI s'était assurée que les besoins totaux de Pilkington pour le Royaume-Uni pour 1987 seraient de [ ] tonnes " dont vous avez l'intention d'acheter [ ] tonnes à ICI ". Une remise de tranche supérieure de 25 livres sterling était accordée sur tout tonnage excédant [ ] tonnes. ICI a clairement indiqué à Pilkington qu'elle espérait de la sorte obtenir également l'approvisionnement de Pontyfelin.

Pour la période de 24 mois du 1er avril 1988 au 31 mars 1990, l'accord avec Pilkington était établi comme suit :

" Vous prévoyez que les besoins de soude au Royaume-Uni de Pilkington PLC se situeront autour de [ ] tonnes par an et vous avez l'intention de nous acheter le volume total correspondant à ces besoins avec la seule exception de votre Division isolation de l'usine de Pontyfelin (environ) [ ] tonnes par an ".

La remise de la tranche supérieure accordée à Pilkington avait cette fois été portée à 30 livres sterling par tonne pour les achats excédant [ ] tonnes par an.

Il ressort du compte rendu d'une réunion tenue entre ICI et Pilkington du 6 mars 1989 que ICI n'avait par renoncé à l'idée des 100 %.

- Rockware

(30) Rockware exploitait initialement trois usines (cinq après le rachat d'un autre producteur de verre, CWS, en 1988).

Le 12 novembre 1985, ICI a écrit à Rockware pour confirmer l'accord oral qui avait été conclu pour 1986. Le tonnage supplémentaire excédant [ ] tonnes devait bénéficier d'une remise de 15 livres sterling par tonne. Il était expressément convenu que deux des usines s'approvisionneraient " à raison de 100 % de leurs besoins de 86 chez ICI ", la troisième couvrant l'essentiel de ses besoins chez ICI - " environ [ ] tonnes seront achetées à Allied " (Ultérieurement, il a été convenu que les [ ] tonnes provenant de Allied seraient transférées vers d'autres usines). La langue choisie par ICI pour évoquer les achats faits par Rockware à des concurrents est également révélatrice. À diverses occasions, ICI indique dans ses documents que Rockware a " admis " avoir pris un certain tonnage à General Chemical, expression étonnante si le client est libre d'acheter à un autre fournisseur pour la quantité qu'il souhaite.

(31) En 1988, Rockware a racheté les deux usines CWS, ce qui a fait passer la consommation annuelle de soude de Rockware d'environ [ ] tonnes à plus de [ ] tonnes. Le 29 novembre 1988, ICI et Rockware ont arrêté d'un commun accord le " cadre de fourniture " pour 1989. S'étant fait préciser les besoins totaux de Rockware pour 1989, à savoir [ ] tonnes, ICI a obtenu un engagement selon lequel cette entreprise lui achèterait " pas moins de [ ] tonnes " Les achats de Rockware à d'autres fournisseurs ont fait l'objet de discussions approfondies. L'un des objectifs spécifiques de ICI était de :

" Récupérer [ ] kilotonnes par an antérieurement achetés aux polonais dans des usines appartenant précédemment à CWS "

À cet effet, Rockware se voyait offrir une remise de la tranche supérieure de 10 livres sterling par tonne pour les achats dépassant [ ] kilotonnes et de 22 livres sterling par tonne pour tout achat excédant [ ] kilotonnes. En d'autres termes, pour le tonnage marginal, le prix effectif pour le client offert par ICI n'était que de 10 [ ] livres sterling départ usine. Il semble qu'avant cette réunion, Rockware ait envisagé de rationaliser ses fournisseurs de moindre taille et de ne garder comme deuxième source d'approvisionnement que General Chemical, mais qu'ellle avait assuré à Brenntag le 8 novembre qu'il n'y aurait aucune modification de sa politique d'achat au moins jusqu'à la moitié de 1989 et qu'elle serait dûment informée de toute mesure de ce genre.

(32) Or, à suite de l'offre de ICI, Rockware a convenu avec ICI de mettre fin à tous ses achats en Pologne et de maintenir le volume de General Chemical à [ ] kilotonnes. Le directeur commercial de ICI Soda Ash Products a écrit une note félicitant le directeur des ventes pour le Royaume-Uni pour avoir " raflé " la part polonaise chez CWS. Brenntag a été informée de la décision de Rockware, mais a néanmoins espéré continuer à lui fournir au moins une certaine quantité. Les fournitures de soude de Brenntag se sont poursuivies les deux premiers mois de 1989. ICI a eu alors une nouvelle rencontre avec Rockware le 28 février 1989. Le compte rendu de cette réunion pris par ICI précise que : " Tous les achats polonais cesseront dès demain ". C'est bien ainsi que les choses se sont passées Rockware a écrit à Brenntag le 13 mars 1989 pour confirmer qu'instruction avait effectivement déjà été donnée deux semaines plus tôt de cesser de passer commande à Brenntag à compter du 1er mars. D'après Rockware, continuer à traiter avec Brenntag au lieu de ICI aurait représenté pour elle un surcoût d'environ 100 000 livres sterling [ ] : on peut lire ce qui suit dans la lettre adressée à Brenntag :

" Je comprends tout à fait dans quelle situation ceci vous place, mais vous devez bien voir que l'offre commerciale que nous avons reçue ne peut être refusée ".

ICI déclare que c'était General Chemical et non elle-même qui a récupéré le tonnage précédemment fourni par Brenntag à CWS. En fait, General Chemical n'a pas fait d'offre particulière à Rockware et n'a pas récupéré une partie quelconque de l'approvisionnement précédent de CWS.

- CWS

(33) Avant la reprise des verreries de CWS par Rockware, ICI était le principal fournisseur de CWS, qui s'approvisionnait à titre secondaire auprès de Allied et de TR (qui était à l'époque la raison sociale de Brenntag). Là encore, ICI s'est efforcée de s'assurer que les achats à ces fournisseurs concurrents étaient limités. Ainsi, pour 1987, ICI a obtenu un engagement de la part de CWS selon lequel " nous avons l'intention de restreindre nos achats de soude américaine à un maximum de [ ] tonnes " Elle a également obtenu une promesse (bien qu'assez vague) de CWS de réduire ses achats de soude polonaise à TR, qui s'établissaient alors à [ ] tonnes par an.

- Redfearn

(34) Un autre client Redfearn, a indiqué à ICI en 1985 qu'il avait " un engagement irrévocable de maintenir une pression concurrentielle " en prenant une certaine quantité à Allied. Là encore, ICI a insisté pour que Redfearn lui précise ses besoins totaux pour chaque année et passe alors un accord, prévoyant une remise de la tranche supérieure, qui restreindrait les achats du deuxième fournisseur à [ ] tonnes par an. Pour 1986, les parties ont donc convenu ce qui suit :

" RNG a l'intention d'acheter à ICI au moins [ ] tonnes de soude en 1986 sur des achats totaux estimés à [ ] tonne.s Tout volume supplémentaire que vous souhaiteriez au-delà du total estimé sera également acheté chez nous ".

L'accord pour 1987 prévoyait que Redfearn achèterait à ICI qu moins [ ] tonnes sur sa consommation totale estimée de [ ] tonnes (soit environ 95 % de ses besoins). ICI y ajoutait une incitation à lui acheter tout tonnage marginal sous la forme d'une remise de 10 livres sterling.

Des accords similaires ont été passés pour 1988 et 1989.

- Beatson Clarke

(35) Outre le système de remise de la tranche supérieure, ICI a accordé d'autres formes de remise ou d'indemnité aux verriers, notamment des remises " d'aide à l'exportation " et des remises " de substitution à l'importation " (Ces remises ne font pas l'objet de la présente procédure). Dans un cas au moins, Beatson Clarke, ICI a signifié au client à compter de 1985 que non seulement la remise de la tranche supérieure, mais également les autres indemnités spéciales étaient subordonnées à la condition qu'il s'approvisionne chaque année à 100 % auprès de ICI.

Ainsi, pour 1988, ICI a écrit à Beatson Clarke pour confirmer que " vous avez l'intention de vous approvisionner pour la totalité de vos besoins chez ICI et une estimation de [ ] tonnes a été retenue lorsque l'aide ci-après vous a été offerte ".

On peut lire ce qui suit dans un compte rendu fait par ICI d'une réunion avec Beatson Clarke concernant les négociations de 1988 :

" J'ai précisé que l'offre n'était valable que pour 100 % de son approvisionnement. (Le directeur des achats de Beatson Clarke) a également précisé qu'il était disposé à s'engager pour 100 % de son approvisionnement et que, ce qui concerne la concurrence, celle-ci ne serait utilisée comme outil de négociation que si nous passions les bornes ".

Dans la même note, l'auteur précise qu'il a fait valoir à Beatson Clarke " le bénéfice qu'elle tirerait en s'approvionnant à 100 % chez ICI ".

ICI est en fait le seul fournisseur de Beatson Clarke depuis 1985.

(36) Depuis le début de l'enquête dans la présente affaire, ICI a abandonné la pratique des remises de la tranche supérieure tout en précisant bien que la modification de ses accords de prix ne constituait en aucune façon une admission de sa part de ce que les remises en question constituaient une infraction à l'article 86. Ainsi que le révèlent toutefois les documents de ICI, cette société savait que la légalité de son système de ristourne était sujette à caution : on peut lire dans une note intitulée " Problèmes et objectifs pour 1989 " " Examiner la légalité du système de la tranche supérieure et les autres solutions ".

Principaux arguments de fait de ICI

(37) ICI réfute avoir jamais eu une stratégie générale consistant à exclure un fournisseur ou des fournisseurs déterminés du marché. Les ristournes de la tranche supérieure n'auraient pas été motivées par une intention d'exclusion. D'après ICI, elles visaient " à encourager et à soutenir la croissance " et devaient par conséquent inévitablement être liées aux quantités excédant le tonnage nominal ou " de base " du client. ICI fait valoir que ces ristournes ont été conçues pour répondre à la modification, exigée par les clients, de la structure des ristournes et ont été négociées individuellement plutôt que suivant un plan quelconque. ICI fait valoir le maintien de General Chemical sur le marché pour prouver qu'elle n'avait pas l'intention d'éliminer la concurrence.

ICI affirme en outre qu'elle a été contrainte d'accorder une ristourne de la tranche supérieure dans un cas (Rockware) parce qu'elle avait des raisons de croire que Allied (ultérieurement General Chemical) l'avait fait d'abord.

Appréciation des arguments de la défense

(38) L'affirmation de ICI selon laquelle les ristournes de la tranche supérieure ne faisaient pas partie d'un plan d'exclusion est en contradiction directe avec ses documents internes. Il en ressort que son intention était d'exclure TR (Brenntag) totalement en tant que fournisseur de soude dense (mais non légère) [voir considérant (19)]. Dans le cas de General Chemical, la Commission n'a jamais prétendu que ICI ait eu l'intention d'éliminer totalement ce producteur. L'objectif visé était globalement d'assurer la subsistance d'une deuxième source d'approvisionnement sur le marché, mais qui vendent à des prix et dans des quantités qui ne représentent pas de menaces concurrentielles pour sa position dominante [voir considérants (19) à (21)]. L'argument selon lequel le système de ristourne s'est développé sans plan précis est également difficile à concilier avec les documents internes de ICI, en particulier avec la note qui précise qu'un budget supplémentaire de 500 000 livres sterling était disponible pour financer les remises de la tranche supérieure " qui doivent assurer que le tonnage marginal demandé par tous les gros clients de vrac soit inférieur à 112,26 livres sterling PMT départ usine, le prix minimal d'engagement de General Chemical " [Voir considérant (25)].

(39) En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle ICI se bornait à réagir à la concurrence de Allied, aucune preuve n'est apportée pour l'étayer, sinon une indication selon laquelle ICI a été amené à croire en novembre 1988 que General Chemical avait offert " une tranche supérieure " à Rockware afin de récupérer la part polonaise de l'approvisionnement antérieur de CWS [voir considérants (31) à 33)]. Cette offre de General Chemical " produirait un prix moyen proche de 112 livres sterling par tonne départ usine ". Même si, à cette occasion, General Chemical avait offert un prix spécial à Rockware (et ICI paraît en fait s'être trompée sur ce point), ce fait n'explique toutefois pas la politique générale de ICI consistant à accorder des remises de la tranche supérieure à " tous les gros consommateurs de vrac " depuis trois ans au moins avant cette date ICI ne paraît même pas affirmer que General Chemical ait offert des prix spéciaux, sauf à Rockware, d'après ses propres documents elle croyait que les prix de General Chemical se situaient autour de 120 livres par tonne départ entrepôt. Toutefois, même dans le cas unique de Rockware, ICI ne peut expliquer pourquoi, si le prix moyen de General Chemical appliqué à Rockware était de 112 livres, elle devait elle-même accorder une remise de la tranche supérieure aboutissant à un prix effectif pour les [ ] dernières tonnes que Rockware devait acheter à ICI de 10[ ] livres par tonne seulement.

En fait, ni Allied ni son successeur General Chemical n'ont offert de remise spéciale de la tranche supérieure à Rockware ni à aucun autre client. Depuis novembre 1985, elle n'est pas descendue au-dessous d'un prix de liste de 119 livres départ usine pour les producteurs de verre creux et n'a pas accordé de rabais sur ce prix de liste.

Par conséquent, la Communauté considère que la stratégie consistant à accorder des remises de la tranche supérieure s'explique effectivement par les considérations qui sont exposées en détail dans les documents de ICI.

PARTIE II - APPRECIATION JURIDIQUE

A - Article 86 du traité CEE

1 Article 86

(40) Aux termes de l'article 86 du traité, est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. L'octroi, par des entreprises dominantes, de ristournes spéciales ou d'autres avantages financiers à des clients en vue de s'assurer la totalité ou une partie substantielle de leur approvisionnement, peut être interdit par l'article 86 comme une pratique d'exclusion.

Dans la présente affaire, les questions essentielles à trancher sont celles de savoir :

- si ICI occupe une position dominante au sens de l'article 86,

- si la conduite alléguée constitue une exploitation abusive d'une telle position dominante,

- s'il y a un effet appréciable sur le commerce entre États membres.

2 Position dominante

a) Définition

(41) L'expression " position dominante " n'est pas définie à l'article 86. La Cour de justice a toutefois décrit la position dominante au sens de cet article comme " une situation de puissance économique détenue par une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. Pareille position n'exclut pas l'existence d'une certaine concurrence, mais met la firme qui en bénéficie en mesure, sinon de décider, tout au moins d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice " (arrêt Hoffmann-La Roche précité, points 38 et 39 des motifs).

(42) La " position dominante " est donc le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective. Ce pouvoir peut également impliquer la capacité d'éliminer ou d'affaiblir fortement la concurrence ou d'empêcher des concurrents potentiels d'avoir accès au marché. Comme la Cour l'a déclaré, il n'est cependant pas nécessaire qu'une entreprise ait éliminé toute possibilité de concurrence pour être en situation de position dominante [voir également affaire 27-76, United Brands, point 113 des motifs (10)].

L'existence d'une position dominante peut résulter d'une combinaison de facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants.

b) Marché en cause

(43) En vue de déterminer si une entreprise est dominante au sens de l'article 86, il est nécessaire tout d'abord de déterminer la zone d'activité dans laquelle les conditions de concurrence et la puissance sur le marché de l'entreprise dite dominante doivent être appréciées. Cet examen permet à la Commission de déterminer les concurrents actuels et potentiels de l'entreprise en question et d'autres contraintes qui peuvent peser sur l'exercice de sa puissance supposée sur le marché. Elle doit tenir compte de la nature de la pratique abusive qui est alléguée et de la manière particulière dont il est fait obstacle à la concurrence dans le cas d'espèce : voir arrêt dans l'affaire 22-78, Hugin contre Commission (11).

Dans la présente affaire, les pratiques abusives dont il est fait grief concernent l'exclusion par Solvay de la concurrence réelle et potentielle des autres fournisseurs de soude.

(44) ICI produit tant de la soude légère que de la soude dense. Les verriers consomment presque tous de la soude dense, alors que la soude légère est la forme préférée pour les applications chimiques et métallurgiques.Bien que la concurrence que ICI visait à exclure émanât principalement de la soude dense, il serait artificiel d'établir une ligne de séparation stricte entre la soude légère et la soude dense. Les principaux clients de ICI pour la soude légère pourraient se convertir à la soude dense moyennant peu de dépenses en capital et bénéficient également du système de la remise de tranche supérieure.Le marché de produit en cause pour lequel il convient d'apprécier la puissance sur le marché de ICI - en particulier sa capacité d'exclure les concurrents - peut donc à bon droit être considéré comme englobant la soude légère et la soude dense.

Pour évaluer la puissance sur le marché de ICI, la Communauté peut être divisée en deux grandes zones ou " sphères d'influence ", l'une dominée par Solvay, l'autre par ICI.

(45) La situation au Royaume-Uni est, pour les raisons exposées ci-avant, à la fois relativement homogène et distincte de celle qui prévaut dans les autres États membres de la Communauté. ICI est le seul producteur national et ni Solvay, ni les autres producteurs d'Europe occidentale ne commercialisent leur produit sur son marché " intérieur ". Les gros clients de ICI dans la Communauté sont tous situés au Royaume-Uni.

Aussi, le marché de produit et le marché géographique sur lesquels la puissance économique de ICI doit être évaluée est-il le marché de la soude au Royaume-Uni.

(46) Le Royaume-Uni constitue " une partie substantielle du Marché commun " au sens de l'article 86.

c) Puissance sur le marché

(47) Dans ses documents, ICI reconnaît qu'elle occupe une position dominante au Royaume-Uni. La part de marché de plus de 90 % qu'elle y détenait traditionnellement pour toute la période considérée est déjà nettement révélatrice d'un degré significatif de puissance sur le marché.La part de marché, bien qu'importante, n'est toutefois que l'un des indicateurs d'où l'existence d'une position dominante peut être déduite. Sa signification peut varier selon le cas en fonction des caractéristiques du marché en cause.

(48) Pour apprécier la puissance sur le marché aux fins de la présente affaire, la Commission examine tous les facteurs économiques qui entrent en jeu, y compris les éléments suivants :

i) la persistance pendant de nombreuses années du quasi-monopole de ICI au Royaume-Uni

ii) l'absence de toute concurrence de Solvay et des autres producteurs d'Europe occidentale

iii) l'improbabilité qu'un " nouveau producteur de soude synthétique " apparaisse sur le marché et crée des capacités de production dans la Communauté

iv) la position de ICI en tant que fournisseur exclusif ou quasi exclusif pour tous les gros clients

v) le fait que les clients ne considèrent General Chemical et Brenntag que comme fournisseurs secondaires

vi) la protection contre les producteurs américains et d'Europe de l'Est offerte par les mesures antidumping

vii) les contraintes de prix imposées à General Chemical par les engagements antidumping

viii) la capacité démontrée de ICI au cours des années de maintenir un niveau de prix plus élevé que dans les autres États membres de la Communauté

ix) l' " interdépendance " des gros clients et de ICI et leur perception commune d'une communauté d'intérêt

x) le succès de la stratégie de ICI visant à réduire au minimum la présence ou l'efficacité de General Chemical et de Brenntag en tant que concurrents et à maintenir sa part de marché prédominante au Royaume-Uni.

(49) Pour évaluer la puissance de ICI sur le marché, la Commission tient compte du degré de substitution possible de la soude caustique à la soude. La soude caustique (hydroxyde de sodium) est couramment utilisée pour la production de papier et d'aluminium et peut aussi théoriquement remplacer la soude pour certaines applications manufacturières en tant que source d'alcalis, en particulier dans la fabrication de détergents et dans les procédés métallurgiques (L'inverse est également vrai : la soude peut en théorie également se substituer à la soude caustique dans certains procédés). Dans la pratique, toutefois, la disponibilité éventuelle de soude caustique ne constitue pas une limitation substantielle de la puissance de ICI sur le marché communautaire qui est principalement fondée sur l'approvisionnement des verriers, qui ne sont guère disposés à substituer la soude caustique à la soude.

La soude caustique est un coproduit du chlore, une matière première de base de la fabrication de PVC. Comme le stockage à long terme n'est pas possible, la production de chlore varie en fonction de la demande de PVC. La fourniture de soude caustique fluctue inévitablement en fonction de celle de chlore. La demande de soude caustique, en revanche, dépend largement des besoins de son principal client, l'industrie du papier. Le prix de la soude caustique - contrairement à celui de la soude - est par conséquent sujet à des fluctuations considérables.

À l'heure actuelle, la soude caustique " manque ", c'est-à-dire que la croissance de la demande de soude caustique excède celle du chlore : le produit est peu abondant et le restera probablement pour le proche avenir. Il n'y a donc pas d'incitation pour les utilisateurs de soude à passer à la soude caustique. En outre, la conversion de la soude à la soude caustique nécessite des investissements en capital. Même si la soude caustique est " abondante " à un moment particulier, la nature cyclique du marché et l'incertitude quant à l'évolution des prix exercent un effet dissuasif.

(50) Dans le secteur du verre - le principal consommateur de soude -, la substitution par la soude caustique est encore moins probable que dans les applications métallurgiques et les détergents. Théoriquement, jusquà 15 % des besoins d'alcalis des verriers peuvent être couverts par la soude caustique. Là encore, des investissements en capital sont nécessaires pour transformer les usines. Dans la pratique, il n'y a eu qu'un seul cas d'un verrier qui se soit converti à la soude caustique.

On notera également que les principaux fabricants de soude (Solvay, ICI, Akzo) représentent ensemble environ un tiers de la production de soude caustique dans la Communauté Au Royaume-Uni, ICI est le principal producteur de soude caustique.

(51) ICI a également fait valoir que la disponibilité de calcin (débris de verre recyclés) exclut qu'elle détienne une position dominante. Les besoins de soude d'un client qui produit du verre creux peuvent être réduits jusqu'à 15 % par l'utilisation de calcin, voire plus encore avec une technologie appropriée. Il est possible que l'utilisation du calcin réduise la dépendance des clients à l'égard des fournisseurs de soude en général, mais ne diminue pas tout autant la capacité d'un producteur de soude puissant d'exclure les petits producteurs.

Les possibilités de substitution ne représentent donc pas une contrainte importante sur l'exercice, par ICI, de sa puissance de marché vis-à-vis des autres producteurs de soude.

(52) Sur la base des considérations exposées ci-avant, la Commission conclut qu'à tous les moments essentiels, ICI a occupé une position dominante au sens de l'article 86.

3 Abus de position dominante

(53) Comme la Cour de justice l'a observé dans plusieurs affaires, le fait, pour une entreprise dominante, d'avoir un comportement qui mine les objectifs de l'article 3 point f) du traité CEE en portant atteinte à la structure de la concurrence peut constituer une infraction à l'article 86. Un comportement d'exclusion qui fait obstacle à la concurrence existante ou au développement d'une nouvelle concurrence a été condamné par la Cour. Les pratiques visant à empêcher l'accès de concurrents aux clients en liant ces derniers au fournisseur dominant ont été considérées en particulier comme abusives dans des arrêts qui ont fait jurisprudence : affaire 40-73, Suiker Unie (12) affaire 85-76, Hoffmann-La Roche affaire 322-81, Nederlandsche Banden Industrie Michelin (13).

[voir également décision 89-22-CEE de la Commission, British Gypsum/BPB Industries (14)].

(54) La présente affaire concerne principalement la pratique consistant à lier les clients à ICI au moyen d'un certain nombre de mécanismes qui visent tous le même but d'exclusion : remise de la tranche supérieure, clauses d'approvisionnement exclusif et (dans un cas au moins) disposition visant à subordonner les avantages financiers à l'achat, à ICI, de quantités couvrant la totalité des besoins du client.

i) Remises de la tranche supérieure

(55) Si l'on considère la nature du système lui-même et les termes des documents internes de ICI, il est évident que les remises de la tranche supérieure visaient à exclure la concurrence effective par les moyens suivants :

- inciter les consommateurs à acheter à ICI le tonnage marginal qu'ils pourraient se procurer auprès d'une deuxième fournisseur,

- minimiser ou neutraliser l'impact concurrentiel de General Chemical en limitant sa présence sur le marché sur le plan des prix, de la quantité et des clients dans les limites qui assurent le maintien du monopole effectif de ICI,

- éliminer Brenntag du marché ou tout au moins réduire au minimum son effet concurrentiel,

- réduire au minimum le risque de voir les clients se tourner vers d'autres sources d'approvisionnement, soit auprès d'autres producteurs, de sociétés commerciales ou d'autres producteurs de la Communauté,

- maintenir ou renforcer le monopole virtuel de ICI sur le marché britannique de la soude.

(56) Les variations substantielles des tonnages " seuil " à partir desquelles la remise est applicable pour chaque client démontrent que le système de remise de la tranche supérieure et les avantages de prix qu'il confère dépendent non pas de différences de coût pour ICI en fonction des quantités fournies, mais bien de l'achat, par le client, de son tonnage marginal à ICI.

Il n'est pas nécessaire, pour que de telles pratiques tombent sous le coup de l'article 86, qu'il y ait une obligation légale ou une clause expresse prévoyant que le client doit s'approvisionner exclusivement auprès de l'entreprise dominante. Il suffit que l'objet ou l'effet des incitations offertes soit de lier les clients au producteur dominant.

ii) Clauses d'approvisionnement exclusives et les restrictions aux achats à des concurrents

(57) Le droit établit clairement que le fait, pour une entreprise dominante de lier des acheteurs - fût-ce à leur demande - par une obligation ou une promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise, constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 (voir affaire Hoffmann-La Roche précitée, point 89 des motifs).

À cet égard, il est indifférent que l'obligation en question soit stipulée purement et simplement ou qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi de rabais.

(58) Les effets anticoncurrentiels possibles des clauses relatives aux quantités dans les accords de fourniture de ICI doivent être évalués à la lumière de la politique déclarée de ICI à l'égard de General Chemical et de Brenntag. Comme le révèlent les documents saisis chez ICI, cette société était soucieuse de ne pas exclure totalement tous les concurrents. Il était de son intérêt d'assurer que General Chemical au moins reste sur le marché britannique comme une " présence " - strictement contrôlée tant sur le plan des prix que sur celui de la quantité - qui réponde au besoin de la plupart des gros clients d'un deuxième fournisseur, tout en ne représentant en fait pas de menace concurrentielle réelle pour la position de quasi-monopole de ICI.

(59) En veillant à s'assurer des besoins totaux de chaque gros client, ICI pouvait structurer son système de remise de la tranche supérieure de façon à exclure ou à réduire au minimum la présence de concurrents. Dans de nombreux cas, elle a obtenu du client l'assurance qu'il réduirait ses achats à la concurrence ou les limiterait à un tonnage déterminé. Dans le cas de Beatson Clarke, il était expressément stipulé que le client s'approvisionnerait chez ICI pour la totalité de ses besoins.

De tels accords restreignent substantiellement la liberté contractuelle du client, empêchent l'arrivée de concurrents sur le marché et reviennent à une clause d'exclusivité.

(60) Les accords passés par ICI avec ces gros clients signifient que ceux-ci lui sont liés pour la quasi-totalité de leurs besoins (et dans un cas au moins la totalité de ceux-ci), alors que l'effet concurrentiel d'autres fournisseurs est réduit au minimum.

iii) Autres incitations financières

(61) Dans ses relations avec Beatson Clarke, ICI a également précisé que les " mesures d'aide " (15), qui s'ajoutent à la remise de tranche supérieure, étaient subordonnées à son accord de s'approvisionner à 100 % chez ICI, une condition qui a été confirmée par écrit. Cette " incitation " spéciale a pour objet et pour effet de renforcer la position de ICI vis-à-vis du consommateur et d'exclure la concurrence.

Toutes les mesures définies aux considérants (55) à (60) visent à éliminer ou à restreindre la possibilité, pour d'autres producteurs ou fournisseurs de soude, de faire la concurrence à ICI. Elles doivent être considérées à la lumière de la stratégie clairement signifiée de ICI de maintenir un quasi-monopole (mais non à 100 %) sur le marché britannique. Elles consolident par conséquent la position dominante de ICI d'une manière incompatible avec la notion de concurrence définie à l'article 86.

(62) Les remises ne reflètent pas des écarts éventuels de coûts fondés sur le volume fourni elles étaient accordées en fonction d'un approvisionnement certain de la totalité ou du pourcentage le plus élevé possible des besoins du client. Aussi le système des remises de la tranche supérieure présentait-il des variations considérables d'un client à l'autre quant au tonnage à partir duquel il était accordé. Il y avait en outre des différences en ce qui concerne le montant par tonne de la remise elle-même, puisqu'elle variait de six livres par tonne à 30 livres sterling ou plus.

4 Effet sur le commerce entre États membres

(63) L'article 86 vise non seulement les pratiques abusives qui peuvent porter préjudice aux consommateurs de façon directe, mais aussi celles qui leur font tort de façon indirecte en faisant échec à la structure concurrentielle effective du marché commun définie par l'article 3 point f) du traité.

Les mesures prises par ICI pour s'assurer le maintien de sa position dominante et de son monopole effectif au Royaume-Uni visant en premier lieu la concurrence directe de l'extérieur de la Communauté (États-Unis d'Amérique et Pologne) plutôt que les autres producteurs de la Communauté. Néanmoins, les remises de la tranche supérieure et autres dispositions d'exclusion doivent être examinées dans le contexte global du phénomène de cloisonnement strict des marchés nationaux dans la Communauté. Dans ce document, ICI souligne que sa stratégie commerciale réclame la présence continue, mais limitée, sur le marché britannique d'un seul producteur américain à titre de " deuxième fournisseur " que ICI pourrait contrôler par le biais des mesures antidumping.

(64) ICI était donc particulièrement désireuse que General Chemical reste sur le marché britannique comme autre source d'approvisionnement : si cette société devait quitter totalement le marché, les consommateurs pourraient être incités à rechercher d'autres sources d'approvisionnement, peut-être meilleur marché, en Europe de l'Ouest continentale.

En outre, le fait que la concurrence qui était particulièrement visée par le comportement de ICI provenait de l'extérieur de la Communauté n'exclut pas un effet appréciable sur le commerce entre États membres. Le maintien et le renforcement de la position dominante de ICI au Royaume-Uni affectent la totalité de la structure de la concurrence dans le marché commun et assurent le maintien du statu quo, fondé sur la séparation des marchés.

B - Remèdes et sanctions

1 Article 3 du règlement n° 17

(65) Si la Commission constate une infraction aux dispositions de l'article 86 du traité, elle peut obliger les entreprises intéressées à y mettre fin conformément à l'article 3 du règlement n° 17.

En l'espèce, les infractions à l'article 86 continuaient à la fin de 1989.

Depuis la date de l'enquête, ICI a modifié son système de remise au Royaume-Uni et a abandonné la formule des remises de la tranche supérieure dans ses négociations contractuelles avec ses clients pour 1990.

ICI affirme que la modification de son système de prix n'affecte en rien sa thèse selon laquelle les remises de la tranche supérieure ne tombent pas sous le coup de l'interdiction de l'article 86 du traité.

(66) Par conséquent, la Commission juge opportun, dans le cas de l'infraction à l'article 86 commise par ICI, de prendre une décision visant à la faire cesser. Parallèlement à sa désicion d'obliger les entreprises à mettre fin aux infractions, la Commission peut également édicter des mesures particulières visant à assurer que les infractions ne soient pas répétées ou poursuivies. Il est établi par l'arrêt de la Cour de justice dans les affaires jointes 6-73 et 7-73 -Commercial Solvents (16), que la Commission a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner des mesures en vue d'assurer que sa décision soit effective. Le pouvoir d'ordonner de telles mesures n'est pas limité aux actes affectant directement le commerce entre États membres, en particulier lorsque l'objectif visé est le maintien ou l'établissement d'une structure concurrentielle effective dans le Marché commun.

(67) ICI devra abandonner son système de remises de fidélité pour la soude. Tout nouveau système de remises appliqué par ICI devra être limité à une formule qui reflète de manière juste et objective les économies de coûts liés aux commandes importantes.

2 Article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17

(68) Aux termes de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes d'un montant de 1 000 à 1 million d'écus, pouvant être portées à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 86. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.

a) Gravité

(69) En l'espèce, la Commission considère que les infractions à l'article 86 ont été d'une gravité particulière. Elles faisaient partie d'une politique délibérée visant à consolider le contrôle exercé par ICI sur le marché britannique de la soude d'une manière totalement contraire aux objectifs fondamentaux du traité CEE. En outre, elles visaient spécifiquement à restreindre ou à affecter l'activité de concurrents déterminés.

En saisissant toutes les opportunités de vente pour les concurrents depuis longtemps ICI a endommagé durablement la structure du marché concerné, au détriment des consommateurs. Cette infraction étant donné des circonstances spécifiques de cette affaire est plus grave que l'infraction à l'article 85 dans laquelle ICI est également impliquée.

ICI savait bien, à la suite des négociations approfondies qu'elle avait eues avec la Communauté (1980-1982), quelles étaient les exigences de l'article 86. L'instauration des remises de la tranche supérieure vers 1983 suivait de peu les assurances spécifiques qu'elle avait données à la Commission selon lesquelles elle n'offrait pas d'incitations spéciales aux clients pour que ceux-ci s'approvisionnent chez elle pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins de carbonate de soude.

(70) La Commission considère en outre comme une circonstance aggravante le fait que ICI ait été l'une des premières entreprises qui ait pris des initiatives pour s'assurer une protection antidumping, qui a abouti à ce que les concurrents fournissent des engagements de prix minimaux par rapport auxquels elle a fait des offres systématiquement inférieures par le biais des remises de la tranche supérieure.

ICI s'est déjà vu infliger à plusieurs reprises des amendes substantielles par la Commission pour les accords collusoires dans l'industrie chimique (Colorants, Polypropylène, PEBD, PVC).

b) Durée

(71) L'infraction a commencé vers 1983 - peu de temps après les négociations avec la Commission et la clôture du dossier par celle-ci et s'est poursuivie au moins jusqu'à fin 1989.

La Commission tient compte du fait que ICI a abandonné le système des remises de la tranche supérieure à compter du 1er janvier 1990,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

Imperial Chemical Industries plc (ICI) a enfreint les dispositions de l'article 86 du traité depuis environ 1983 jusqu'à ce jour par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant à :

a) accorder des ristournes substantielles et d'autres incitations financières se rapportant à un tonnage marginal de façon à assurer que le client s'approvisionne pour la totalité ou la plus grande part de ses besoins chez ICI

b) s'assurer l'accord des clients de s'approvisionner chez ICI pour couvrir la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins ou de restreindre leurs achats aux concurrents à une quantité spécifiée.

c) dans un cas au moins, subordonner l'octroi des ristournes et autres avantages financiers à l'accord du client de s'approvisionner chez ICI pour la totalité de ses besoins.

Article 2

ICI prend immédiatement les mesures nécessaires pour mettre fin aux infractions (si elle ne l'a déjà fait) et s'abstient à l'avenir de toute pratique de prix pour la soude pouvant avoir un objet ou un effet équivalent.

Article 3

Une amende de 10 millions d'écus est infligée à ICI en raison de l'infraction à l'article 86 constatée à l'article 1er.

Article 4

L'amende infligée à l'article 3 est payable dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, au compte bancaire suivant :

n° 310-0933000-43 Banque Bruxelles Lambert Agence européenne Rond-point Schuman 5 B-1040 Bruxelles.

L'amende porte intérêt de plein droit à compter de l'expiration du délai précité. Le taux d'intérêt correspond au taux d'intérêt, majoré de 3,5 points de pourcentage, à savoir 14 %, appliqué par le Fonds européen de coopération monétaire à ses opérations en écus le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision est arrêtée.

En cas de paiement dans la monnaie nationale de l'État membre où est établie la banque désignée pour le paiement, le taux de change applicable est celui du jour précédant le paiement.

Article 5

L'entreprise ci-après est destinataire de la présente décision: Imperial Chemical Industries plc, 9 Millbank, London SW1P 3JF.

La présente décicion forme titre exécutoire au sens de l'article 192 du traité CEE.

(1) JO n° 13 du 21.3.1962, p. 204-62.

(2) JO n° 127 du 20.8.1963, p. 2268-63.

(3) Voir page 1 du présent Journal officiel.

(4) Les gros clients recourent tous à ICI comme première source d'approvisionnement, les producteurs américains ou polonais n'intervenant éventuellement qu'à titre de deuxième fournisseur.

(5) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines informations ont été omises, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement n° 17 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.

(6) JO n° L 206 du 2.8.1984, p. 15.

(7) JO n° L 311 du 29.11.1984, p. 26.

(8) JO n° L 283 du 16.10.1990, p. 38.

(9) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1979, p. 461.

(10) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1978, p. 207.

(11) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1979, p. 1869.

(12) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1975, p. 1663.

(13) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1983, p. 3465.

(14) JO n° L. 10 du 13.1.1989, p. 50.

(15) La comptabilité ou no: des " mesures d'aide " de ICI (substitution des importations, assistance à l'exportation) avec l'article 85 ou l'article 86 du traité peut faire l'objet d'une procédure distincte. Pour les besoins de l'espèce, la Commission se borne aux liens entre ces mesures et les besoins totaux du client.

(16) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1974, p. 223.