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Décisions

TPICE, 1re ch., 10 juillet 1990, n° T-64/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Automec SRL

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaca

Juges :

MM. Kirscher, Schintgen, Garcia-Valdecasas, Lenaerts

Avocats :

Mes Celona, Ferrari.

Comm. CE, du 30 nov. 1988

30 novembre 1988

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS

1 La requérante est une société à responsabilité limitée de droit italien, dont le siège social se trouve à Lancenigo di Villorba ( province de Trévise). En 1960, elle a conclu avec la BMW Italia SPA (ci-après "BMW Italia") un contrat de concession pour la distribution de véhicules automobiles BMW dans la ville et la province de Trévise. Par lettre du 20 mai 1983, BMW Italia a informé la réquerante de son intention de ne pas renouveller le contrat venant à expiration le 31 décembre 1984. La requerante a assigné BMW Italia devant le tribunal de Milan en vue de l'entendre condamner à poursuivre leurs rapports contractuels. Le tribunal de Milan ayant rejeté cette demande, la requérante a interjeté appel devant la cour d'appel de Milan. De son côté, BMW Italia a engagé deux procédures devant le tribunal de Trévise, visant à empêcher la requérante de faire usage des marques déposées par BMW en vue de faire de la publicité pour des véhicules d'importation parallèle. BMW Italia a été déboutée de ses prétentions dans les deux affaires.

2 Le 25 janvier 1988, la requérante a présenté à la Commission une demande au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"). A l'appui de cette demande, elle exposait que le comportement de BMW Italia et de la société mère allemande, la BMW AG, constituait une violation de l'article 85 du traité CEE. Le système de distribution de BMW, approuve pour la République fédérale d'Allemagne par la décision 75-73-CEE de la Commission, du 13 décembre 1974, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (JO 1975, L 29, p. 1), est - selon la requérante - un système de distribution sélective. La requérante, estimant qu'elle répond aux critères qualitatifs requis, prétend que BMW Italia n'a pas le droit de refuser de l'approvisionner en véhicules et en pièces de rechange BMW, ni de l'empêcher d'utiliser les marques BMW. Conformément à l'arrêt de la Cour du 22 octobre 1986 (Metro/Commission, 75-84, Rec. p. 3021, notamment p. 3091), BMW Italia serait au contraire obligée d'agréer la requérante comme distributeur.

3 Elle considère que, par conséquent, BMW est tenue :

- d'exécuter, aux prix et aux conditions en vigueur pour les revendeurs, les commandes de véhicules et de pièces de rechange transmises par la requérante;

- d'autoriser l'utilisation des marques BMW par la requérante, dans les limites nécessaires à l'information normale du public et selon les modalités en usage dans le secteur automobile.

4 La requérante a donc demandé à la Commission de prendre une décision ordonnant à BMW Italia et BMW AG de mettre fin à l'infraction dénoncée et de se conformer aux mesures indiquées ci-dessus et à toutes autres que la Commission estimerait nécessaires ou utiles.

5 Par lettre du 1er septembre 1988, la requérante a fourni à la Commission des renseignements supplémentaires sur le prétendu boycottage effectué par BMW.

6 Le 30 novembre 1988, la Commission a adressé à la requérante une lettre recommandée, signée par M. Temple Lang, directeur à la direction générale de la concurrence. Le texte de cette lettre, parvenue à la requérante le 10 décembre 1988, était le suivant :

"Me référant à la requête reprise sous rubrique ainsi qu'aux différents entretiens téléphoniques qui ont eu lieu entre mes collaborateurs, MM. Stöver et Locchi, et votre avocat, Me Ferrari, je suis au regret de vous informer que la Commission n'est pas compétente pour adopter une décision dans cette affaire, sur la base des indications qui ont été fournies et dans le sens que vous souhaitez.

Votre société se réfère au contrat conclu avec BMW Italia et entré en vigueur au cours de l'année 1960 : ce contrat a été résilié par BMW avec effet au 31 décembre 1984 et il n'est pas contesté, de votre part, que BMW a agi dans le respect des clauses contractuelles.

Toutefois, faisant fond sur la circonstance que BMW a instauré un système de distribution sélective en Italie, vous avez demandé à la Commission d'adopter une décision d'interdiction à l'encontre de ce constructeur automobile pour infraction à l'article 85 du traité CEE, afin de l'obliger à reprendre ses livraisons à votre entreprise et à consentir à cette dernière l'usage de la marque BMW, comme elle le fait pour les trois autres concessionnaires de la province de Trévise.

En conclusion, je crois comprendre que votre société se plaint de ce qu'à cause des prix imposés et de l'obligation de respecter les conditions posées par BMW en matière d'investissements, publicité et distribution, toutes conditions que vous avez régulièrement respectées, il n'a pas été possible pour votre société de pratiquer une politique économique autonome et suffisamment dynamique pour pouvoir maintenir le volume des ventes au niveau exigé par BMW.

Une telle circonstance, si elle peut être prise en considération par les magistrats ordinaires appartenant à l'ordre juridique national aux fins de se prononcer sur les dommages que vous avez subis, ne peut en revanche être invoquée par la Commission aux fins d'obliger BMW à reprendre les livraisons à votre entreprise.

En outre, la réglementation communautaire en matière de concurrence, en tant qu'elle se rapporte au marché de l'automobile, a été modifiée à partir du 1er juillet 1985, du fait de l'adoption du règlement (CEE) n° 123-85. Les différents constructeurs automobiles européens ont, semble-t-il, modifié leurs contrats de distribution respectifs de manière à les rendre conformes au règlement. Les informations disponibles ne permettent pas de supposer que BMW Italia n'a pas à son tour pris les mesures en vue de rendre compatible son propre réseau de distribution avec les normes communautaires précitées en matière de concurrence."

LA PROCEDURE

7 Le présent recours, visant à l'annulation de la décision contenue, selon la requérante, dans la lettre précitée, a été introduit par requête enregistrée au greffe de la Cour le 17 février 1989. La requérante invoque sept moyens à l'appui de sa demande. Elle soutient, en premier lieu, que la Commission a violé l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17 et, en deuxième lieu, qu'elle a violé l'article 155 du traité CEE. Selon les termes de sa propre communication 85-C 17-03 concernant son règlement (CEE) n° 123-85 (JO 1985, C 17, p. 4), la Commission aurait dû traiter la demande "avec toute la diligence souhaitable" au lieu de "l'enterrer rapidement". La requérante affirme, en troisième lieu, que la Commission a violé l'article 1er de son règlement (CEE) n° 123-85, du 12 décembre 1984, relatif à l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16, ci-après "règlement n° 123-85"), au motif que ce règlement n'est pas applicable au système de distribution sélective pratiqué par BMW. En quatrième lieu, la requérante fait valoir une insuffisance de motivation de la décision, laquelle ne serait fondée que sur des suppositions en ce qui concerne le comportement de BMW. Elle ajoute, en cinquième lieu, que la Commission, qui semble uniquement "préoccupée de ne pas déranger BMW", a commis un détournement de pouvoir. En sixième lieu, elle allègue que, dans l'hypothèse où le règlement n° 123-85 aurait été applicable en l'espèce, la Commission aurait dû, conformément à l'article 10 dudit règlement, retirer le bénéfice de son application au système de distribution mis en place par BMW. A titre subsidiaire et en septième lieu, la requérante met en cause la validité du règlement n° 123-85. Elle a fait valoir que, dans la mesure où l'attitude de la Commission constitue une conséquence directe et inéluctable de ce règlement, celui-ci est entaché de nullité comme étant contraire à l'article 85 du traité.

8 Postérieurement à l'introduction de ce recours, la Commission a adressé à la requérante, le 26 juillet 1989, une deuxième lettre recommandée, signée cette fois par le directeur général de la concurrence. Dans cette lettre, la Commission expliquait à la requérante qu'elle n'avait pas interprété correctement la lettre précédente du 30 novembre 1988. En envoyant celle-ci, les services de la Commission n'auraient pas eu l'intention de clore le dossier. Ils se seraient bornés à exprimer l'opinion que le litige opposant la requérante à BMW Italia relevait en premier lieu de la compétence des juridictions italiennes de droit commun. Leur lettre ne constituerait donc pas une prise de position définitive de la Commission. La preuve en serait que les services de la Commission ne s'étaient référés à aucun endroit à l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63").

9 Par la même lettre du 26 juillet 1989, la Commission informait formellement la requérante qu'elle n'entendait pas donner une suite favorable à la demande du 25 janvier 1988. Cette information était communiquée "en application et aux fins" de l'article 6 du règlement n° 99-63. La Commission invitait la requérante à présenter ses observations à ce sujet dans un délai de deux mois. Elle ajoutait que sa nouvelle lettre faisait disparaître les effets éventuels de la lettre précédente du 30 novembre 1988.

10 Le 27 juillet 1989, soit un jour après avoir envoyé à la requérante sa deuxième lettre recommandée, la Commission a introduit une demande incidente au titre de l'article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, sans déposer de mémoire en défense sur le fond. Elle a demandé qu'il soit statué sur cette demande sans engager le débat au fond. La communication du 26 juillet 1989 ayant entraîné, selon elle, la disparition de l'objet du litige, elle estime que la requérante devrait se désister de son recours. Pour le cas où la requérante maintiendrait ses conclusions, la Commission demande à la Cour de déclarer qu'il n'y a pas lieu de statuer et de compenser les dépens en application de l'article 69, paragraphe 5, du règlement de procédure de la Cour.

11 La requérante a déposé des observations qui tendent au rejet de la demande incidente. La Commission n'ayant pas modifié sa décision de clore d'affaire, elle pense que la nouvelle communication n'a pas fait disparaître l'objet du recours.

12 Parallèlement à la procédure devant la Cour et conformément à l'article 6 du règlement n° 99-63, la requérante a présenté à la Commission, par lettre du 4 octobre 1989, ses observations sur la communication du 26 juillet 1989. Cette lettre apportait certaines précisions sur l'objet et la portée de sa demande.

13 Par ordonnance du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé l'affaire devant le Tribunal en application de l'article 14 de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes.

14 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé de donner suite à la demande de la Commission de statuer sur la demande incidente sans engager le débat au fond.

15 Les représentants de la requérante et de la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 6 mars 1990.

16 Lors de l'audience, le représentant de la Commission a demandé et reçu l'autorisation de déposer, auprès du greffier, copie d'une lettre en date du 28 février 1990 par laquelle Sir Leon Brittan, vice-président de la Commission chargé de la concurrence, a informé la requérante, au nom de la Commission, que celle-ci avait décidé de rejeter la demande présentée le 25 janvier 1988. Les motifs invoqués à l'appui de cette décision peuvent être résumés ainsi :

17 En ce qui concerne le premier chef de la demande visant à ce que la Commission enjoigne à BMW de reprendre ses livraisons à la requérante et d'autoriser celle-ci à utiliser sa marque, la Commission considère qu'elle ne peut pas y donner une suite favorable parcequ'elle ne dispose pas du pouvoir d'adapter de telles injonctions dans le cas d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. La Commission observe que de telles mesures peuvent, éventuellement, être justifiées dans le cadre de l'application de l'article 86 du traité, mais qu'en l'espèce la requérante ne lui a fourni aucune indication permettant de constater une violation de cette disposition.

18 En ce qui concerne le deuxième chef de la demande visant, plus généralement, à ce que la Commission ordonne à BMW Italia de mettre fin à l'infraction à l'article 85 que lui reproche la requérante, la Commission est parvenue à la conclusion qu'il n'existe pas en l'espèce un intérêt communautaire suffisant pour justifier la poursuite de l'examen de l'affaire. Elle estime que la requérante peut soumettre la question de la conformité du système de distribution de BMW Italia avec l'article 85 aux juridictions nationales qu'elle a déjà saisies du litige ayant pour objet la résiliation du contrat de concession qui l'a liée dans le passé à cette entreprise. Elle ajoute que, à la différence de la Commission, le juge national peut éventuellement condamner BMW Italia à réparer le préjudice que le refus de vente a pu causer à la requérante.

19 La requérante, qui conteste que cette lettre constitue une décision nouvelle, a fait valoir qu'elle pourrait être examinée lorsque le présent litige atteindra le stade de l'examen du fond. Elle estime que la jurisprudence de la Cour lui permet d'adapter ses conclusions, afin de demander, ainsi qu'elle l'avait d'ailleurs déjà annoncé dans ses observations sur la demande incidente, l'annulation de cette confirmation de la décision attaquée.

20 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

1. déclarer le recours recevable;

2. annuler la décision individuelle de la direction de la concurrence du 30 novembre 1988 et, pour autant qu'il constitue la prémisse inéluctable de cette décision, le règlement (CEE) n° 123-85;

3. déclarer qu'en vertu de l'article 176 du traité de la Commission est tenue de prendre les mesures découlant de l'arrêt rendu;

4. condamner la Commission à la réparation des dommages;

5. condamner la Commission aux dépens.

21 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

1. déclarer qu'il n'y a pas lieu de statuer du fait que l'objet du litige a disparu;

2. compenser les dépens en application de l'article 69, paragraphe 5, du règlement de procédure de la Cour.

22 A l'audience, la Commission a ajouté que, dans l'hypothèse où le Tribunal déciderait de faire application de l'article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure pour rejeter le recours comme irrecevable, elle demandait que la requérante soit condamnée aux dépens.

23 En ce qui concerne la demande incidente introduite par la Commission, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal

1. rejeter la demande incidente introduite par la partie adverse et renvoyer la cause au fond;

2. condamner la Commission au remboursement des frais relatifs à la demande incidente.

24 Le président a prononcé la clôture de la procédure orale sur la demande incidente à l'issue de l'audience.

SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE EN ANNULATION

25 La Commission invoque deux moyens à l'appui de sa demande incidente. D'une part, elle fait valoir que la communication attaquée, c'est-à-dire la lettre du 30 novembre 1988, ne saurait être considérée comme une décision de l'institution. D'autre part, elle affirme que les lettres du 26 juillet 1989 et du 28 février 1990 ont fait disparaître les effets de la lettre attaquée - si tant est que cette lettre ait produit un effet quelconque juridiquement pertinent - et que, par conséquent, elles ont rendu sans objet le recours.

26 Afin de démontrer que la lettre du 30 novembre 1988 ne constitue pas une prise de position définitive, c'est-à-dire une décision finale de l'institution, la Commission se réfère à la teneur de la lettre, au fait qu'elle n'a pas été signée par le directeur général ou par le membre de la Commission compétent, mais par un directeur et, surtout, à l'absence de toute référence à l'article 6 du règlement n° 99-63. La Commission souligne que cet article fixe expressément la procédure qu'elle doit suivre lorsqu'elle estime ne pas pouvoir donner une suite favorable à une demande présentée au titre de l'article 3 du règlement n° 17. A la différence d'une lettre écrite sur la base de l'article 6, précité, la lettre attaquée avait, selon la Commission, pour seul but de porter à la connaissance de la requérante une première réaction de ses services.

27 A l'audience, le représentant de la Commission a développé ces arguments en ajoutant que la lettre attaquée fait partie de la correspondance qui se déroule normalement entre la Commission et les entreprises plaignantes avant que la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63 ne soit envoyée. Il a ajouté que les entreprises sont aussi bien au courant de cette pratique constante que des dispositions de l'article 6 précité. La Commission estime que les entreprises ne peuvent donc pas de méprendre sur le caractère préliminaire d'une prise de position qui n'a pas été précédée par la procédure prévue par ledit article 6. Si la Commission reconnaît que la lettre contient quelques termes susceptibles de créer certains doutes quant à la nature provisoire de son contenu, elle estime que leur effet est neutralisé par d'autres phrases à caractère moins définitif et que la lettre, lorsqu'elle est placée dans son contexte, qui doit être défini par référence à l'article 6 du règlement n° 99-63, n'a pas l'apparence d'une décision.

28 La Commission estime en outre que la requérante n'a pas démontré que la lettre attaquée a produit des effets juridiques directs et préjudiciables à son égard. En particulier, c'est à tort, selon elle, que la requérante soutient que la lettre, en ce qu'elle exprime le refus de la Commission de prendre les mesures demandées contre BMW, l'a privée de sa principale source de revenu. D'une part, le seul refus que la requérante s'est vue opposer est celui contenu dans la lettre du 28 février 1990. D'autre part, ce n'est pas le refus du 28 février 1990, mais la décision de BMW de mettre fin à ses relations contractuelles avec la requérante qui a pu priver celle-ci d'une source de revenu.

29 Selon la Commission, ce n'est que par la lettre du 26 juillet 1989 que la procédure de rejet de la plainte a été, entre-temps, engagée. Cette lettre, dûment signée par le directeur général, constituerait la communication préliminaire prévue par l'article 6 du règlement n° 99-63. La décision définitive de rejeter la plainte n'aurait été prise que par la lettre du 28 février 1990, signée par le membre de la Commission chargé de la concurrence.

30 A l'appui de son deuxième moyen, la Commission invoque deux arrêts rendus par la Cour le 5 octobre 1988 et ayant trait à des droits antidumping provisoires (Brother Industries/Commission, 56-85, Rec. p. 5655; Technointorg/Commission et Conseil, 294-86 et 77-87, Rec. p. 6077). La Commission estime que le raisonnement suivi par la Cour dans ces deux affaires, selon lequel les effets juridiques d'un acte provisoire disparaissent lorsqu'il est remplacé par un acte définitif, doit s'appliquer, à plus forte raison, dans la présente affaire.

31 La Commission a souligné, à l'audience, que c'est dans un esprit de compromis et de respect rigoureux des règles de procédure qu'elle a conclu à ce que le Tribunal déclare qu'il n'y a pas lieu de statuer. Elle estime qu'elle aurait pu exciper, à titre liminaire, de l'irrecevabilité du recours parce qu'il était évident que l'acte attaqué n'était pas définitif. Elle s'est abstenue de le faire pour que le Tribunal puisse compenser les dépens en application de l'article 69, paragraphe 5, du règlement de procédure de la Cour et pour que soit évitée, ainsi, la condamnation de la requérante aux dépens.

32 Ce n'est qu'à titre subsidiaire que la Commission a évoqué, à l'audience, la possibilité que le Tribunal fasse application de l'article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour pour rejeter le recours comme irrecevable, en raison de la nature purement préparatoire de l'acte attaqué.

33 La requérante considère que la lettre attaquée constitue un rejet définitif de sa demande. Elle soutient que ni la lettre du 26 juillet 1989 ni celle signée par le membre compétent de la Commission le 28 février 1990 n'ont pu entraîner la disparition de l'objet du litige.

34 En réponse au premier moyen invoqué par la Commission, la requérante fait valoir que la Commission a clairement exprimé, dans la lettre du 30 novembre 1988, qu'elle ne voulait même pas envisager, à titre hypothèse, que BMW ait pu enfreindre les règles de concurrence du traité.

35 Selon la requérante, le fait que la lettre attaquée ait été signée par un directeur de la Commission ne suffisait pas à faire clairement apparaître que le signataire n'avait pas compétence pour prendre une telle décision en la matière ni que, pour cette raison, la lettre ne pouvait être qualifiée d'acte attaquable. A l'appui de cette thèse, elle soutient qu'il est normal que la Commission exerce ses pouvoirs par le moyen des délégations de signature et que la Cour a reconnu cette pratique. Elle se réfère à cet égard à l'arrêt rendu par la Cour le 19 janvier 1984 (Erdini/Conseil, 65-83, Rec. p. 211), dans lequel celle-ci a admis la recevabilité du recours dirigé contre un acte qui, en raison de la qualité de son auteur, pouvait être considéré, par le destinataire, comme une décision de l'autorité compétente.

36 La requérante observe en outre que, si le non-respect de l'article 6 du règlement n° 99-63 constitue un vice de l'acte qu'elle attaque, cette irrégularité n'est ni suffisamment grave ni suffisamment évidente pour que cet acte puisse être qualifié d'inexistant.

37 La requérante estime que la question de savoir si la lettre attaquée constituait un acte définitif ou seulement une "première réaction" de la Commission relève du fond de l'affaire. Elle estime qu'il en est de même en ce qui concerne l'autre question qu'il convient selon elle d'examiner, à savoir si la Commission pouvait encore modifier sa décision de rejeter la plainte ou en modifier la motivation une fois que cet acte avait acquis un caractère définitif. A cet égard, elle invoque la jurisprudence du Conseil d'Etat italien, qui donne une réponse négative à cette question en n'admettant pas que l'administration puisse modifier ou compléter les motifs d'un acte administratif, sauf lorsqu'elle agit dans un délai court et raisonnable ne mettant pas obstacle à un recours éventuel.

38 En ce qui concerne le deuxième moyen invoqué par la Commission, la requérante affirme que la lettre du 26 juillet 1989, loin d'avoir fait disparaître la décision litigieuse en ouvrant la procédure visant à constater une infraction de la part de BMW, lui a apporté une confirmation, bien qu'elle soit fondée sur des motifs différents. Selon la requérante, la lettre du 28 février 1990, signée par Sir Leon Brittan, ne constitue par non plus une nouvelle décision, mais la confirmation de la décision attaquée.

39 Elle estime que cette lettre est un fait nouveau qui lui permet, selon la jurisprudence de la Cour, d'adapter, ses conclusions et moyens afin d'en demander l'annulation dans le cadre du présent litige. La requérante ajoute qu'il serait contraire à une bonne administration de la justice et aux exigences d'économie de procédure de l'obliger à introduire un nouveau recours. En outre, elle fait valoir que la jurisprudence de la Cour s'oppose à ce qu'un acte purement confirmatif fasse, à lui seul, l'objet d'un recours. A l'audience, elle a réitéré ces arguments.

40 Se référant à la jurisprudence en la matière du Conseil d'Etat italien, la requérante soutient que l'objet du litige n'aurait disparu, du fait des deux actes invoqués par la Commission, que si celle-ci avait intégralement fait droit aux demandes de la requérante. Elle estime que, dans son arrêt du 12 juillet 1988 (Commission/Conseil, 383-87, Rec. p. 4051, notamment p. 4064), la Cour a fait application des mêmes principes.

41 Il y a lieu de relever qu'en vertu de l'article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis au Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, précitée, le Tribunal peut à tout moment examiner d'office les fins de non-recevoir d'ordre public. L'existence d'un acte contre lequel le recours en annulation est ouvert, conformément à l'article 173 du traité, est une condition essentielle de la recevabilité dont l'absence a été soulevée d'office, à plusieurs reprises, par la Cour (ordonnance du 7 octobre 1987, Brüggemann/CES, 248-86, Rec. p. 3963, et arrêt du 4 juin 1986, Groupe des droites-Parlement, 78-85, Rec. p. 1753, 1757).

42 Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour, constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation au sens de l'article 173 les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci. Plus particulièrement, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, notamment au terme d'une procédure interne, ne constituent, en principe, des actes attaquables que les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de cette procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639, 2651, points 8 et suiv.). Il s'ensuit que le caractère préparatoire de l'acte attaqué compte parmi les obstacles à la recevabilité d'un recours en annulation susceptibles d'être examinés d'office, ainsi que la Cour l'a reconnu dans son arrêt du 14 février 1989 (Bossi/Commission, 346-87, Rec. p. 303, notamment p. 332 et suiv.).

43 Pour apprécier le caractère juridique de la lettre attaquée, il convient de l'examiner dans le cadre de la procédure d'instruction des plaintes déposées au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, à laquelle se réfère l'article 6 du règlement n° 99-63.

44 Cette procédure s'applique à la plainte déposée par la requérante, non seulement dans la mesure où celle-ci vise à ce que la Commission prenne une décision obligeant BMW à mettre fin aux infractions que la requérante lui reproche, mais également dans la mesure où elle doit être interprétée comme visant à obtenir le retrait du bénéfice de l'application, au réseau de distribution de BMW, de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 123-85. Il est vrai que les dispositions du règlement n° 17, dont le règlement n° 99-63 fixe les modalités d'application, ne visent pas expressément une telle décision de retrait. Cependant, l'article 7 du règlement n° 19-65-CEE du Conseil, du 2 mars 1965, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords et de pratiques concertées (JO 1965, 36, p. 533), prévoit que le retrait de l'exemption par catégorie s'opère par une décision individuelle de la Commission, conformément aux articles 6 et 8 du règlement n° 17. Or, dans la procédure qui précède de telles décisions, l'article 19 du règlement n° 17 garantit aux entreprises intéressés et aux tiers justifiant d'un intérêt suffisant l'occasion de faire connaître leur point de vue à la Commission. L'article 6 du règlement n° 99-63 régit les modalités d'un telle audition.

45 Il convient de distinguer, dans le déroulement de la procédure régie par l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, et par l'article 6 du règlement n° 99-63, trois phases successives. Pendant la première de ces phases, qui suit le dépôt de la plainte, la Commission recueille, ainsi qu'il en est fait référence à l'article 6 du règlement n° 99-63, les éléments qui lui permettront d'apprécier quelle suite elle réservera à la plainte. Cette phase peut comprendre, notamment, un échange informel de vues et d'informations entre la Commission et la partie plaignante, visant à préciser les éléments de fait et de droit qui font l'objet de la plainte et à donner à la partie plaignante l'occasion de développer ses allégations, le cas échéant, à la lumière d'une première réaction des services de la Commission. Les observations préliminaires émises par les services de la Commission dans le cadre de ces contacts informels ne sauraient être qualifiées d'actes attaquables.

46 S'ensuit, dans une deuxième phase, la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63, par laquelle la Commission indique à la partie plaignante les motifs pour lesquels il ne lui paraît pas justifié de donner une suite favorable à sa demande et lui donne l'occasion de présenter, dans un délai qu'elle fixe à cet effet, ses observations éventuelles. Cette communication ressemble à la communication des griefs prévue à l'article 2 du règlement n° 99-63qui, elle aussi, est le résultat d'un examen préliminaire des éléments de l'affaire sur la base duquel la Commission impartit un délai aux entreprises destinataires pour faire connaître leur point de vue. De par la place qu'elle occupe dans la procédure, la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63 constitue donc le pendant de la communication des griefs. Il convient d'ajouter que la communication des griefs doit, selon l'arrêt de la Cour du 11 novembre 1981 (IBM, 60-81, précité), garantir le respect des droits de la défense alors que la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63 vise à sauvegarder les droits procéduraux des plaignants lesquels, toutefois, ne sont pas aussi étendus que les droits de la défense des entreprises contre lesquelles la Commission dirige son enquête (arrêt du 17 novembre 1987, BAT, et Reynolds/Commission, 142, et 156-84, Rec. p. 4487, notamment p. 4573). Or, il ressort de l'arrêt de la Cour du 11 novembre 1981 (IBM, 60-81, précité) que la communication des griefs n'est pas une décision, mais seulement un acte de procédure préparatoire par rapport à la décision finale. Si tel est le cas pour la communication des griefs, dont l'importance juridique est plus grande que celle de la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63, il s'ensuit que cette dernière ne doit pas non plus être considérée comme une décision. En effet, un recours en annulation dirigé contre une telle communication pourrait obliger la Cour et le Tribunal, comme dans le cas d'un recours dirigé contre la communication des griefs, à porter une appréciation sur des questions sur lesquelles la Commission n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer. Ceci aurait pour conséquence, comme la Cour l'a souligné dans son arrêt du 11 novembre 1981 (IBM, 60-81, précité), une anticipation des débats au fond et une confusion des différentes phases des procédures administratives et judiciaire, incompatible avec le système de répartition des compétences entre la Commission et les juridictions communautaires et celui des voies de recours, prévus par le traité, ainsi qu'avec les exigences d'une bonne administration de la justice et d'un déroulement régulier de la procédure administrative de la Commission.

47 Dans la troisième phase de la procédure, la Commission prend connaissance des observations présentées par la partie plaignante. Bien que l'article 6 du règlement n° 99-63 ne prévoie pas expressément cette possibilité, cette phase peut se terminer par une décision finale. La Cour a reconnu, à plusieurs reprises, que la Commission peut prendre la décision définitive de rejeter la plainte et de clore le dossier. Cette décision définitive est susceptible de faire l'objet d'un recours(arrêts du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission, 210-81, Rec. p. 3045; du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298-83. Rec. p. 1105; du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142 et 156-84, Rec. p. 4487).

48 En l'espèce, il s'agit donc de déterminer si la lettre du 30 novembre 1988 relève de la première ou de la dernière des phases de la procédure d'instruction des plaintes.

49 Il convient, à cet effet, d'analyser d'abord la teneur de la lettre attaquée. Il ressort de cet examen qu'elle aborde deux questions. En premier lieu, elle traite de la demande la requérante visant à ce que la Commission prenne une décision obligeant BMW à reprendre ses livraisons à la requérante et à consentir à l'usage, par cette dernière, de la marque BMW. Le langage utilisé pour exprimer la réaction de la défenderesse à cette demande se rapproche de celui d'un refus définitif d'y faire droit.

50 En effet, la lettre fait tout d'abord état de l'incompétence de la Commission pour prendre les mesures demandées. Il est vrai qu'il est précisé que cette appréciation se fonde uniquement sur les données fournies par la requérante. Cependant, la position de la Commission, quant à son incompétence, pourrait être considéré comme le résultat définitif d'un examen de ces données au regard des dispositions communautaires du droit de la concurrence. Cette impression d'un refus définitif pourrait être renforcée par l'affirmation selon laquelle, si les allégations de la requérante peuvent être prises en considération par le juge national dans le cadre d'un litige visant à la réparation du préjudice prétendument subi, elles ne sauraient, en revanche, être invoquées par la Commission aux fins d'obliger BMW à reprendre ses livraisons à la requérante. Cette affirmation pouvait être interprétée par la requérante comme comportant une appréciation définitive, sur le plan juridique, des faits qu'elle avait portés à la connaissance de la Commission à l'appui de sa demande visant à ce que la Commission impose à BMW un comportement spécifique à son égard.

51 Il ressort d'ailleurs des déclarations faites par le représentant de la Commission au cours de l'audience qu'il n'est pas exclu que ces propos reflétaient déjà la position définitive des services de la Commission à ce sujet, lesquels n'ont pas éprouvé le besoin de demander des informations supplémentaires.

52 La lettrene contient cependant pas seulement des observations sur la demande de mesures spécifiques, mais traite aussi de la deuxième demande, plus générale, de la requérante visant à ce que la Commission constate la violation de l'article 85 du traité commise par BMW et ordonne à cette dernière de mettre fin à cette infraction. Les développements que contient la lettre sur ce deuxième reproche, de caractère plus général, ne font pas apparaître qu'une appréciation définitive ait déjà eu lié sur ce point. Ils se bornent à attirer brièvement l'attention de la requérante sur l'exemption par catégorie entrée en vigueur après la résiliation du contrat qui la liait à BMW et sur l'absence d'informations susceptibles d'indiquer que le système de distribution de BMW n'y est pas conforme. En revanche, il ressort de la lettre que la Commission n'avait pas encore procédé à une appréciation juridique de ce système de distribution, ni du comportement global de BMW à l'égard de la requérante.

53 Ainsi la lettre attaquée contient aussi bien des éléments susceptibles de créer l'impression d'une prise de position définitive, en ce qui concerne la première question, relative à la compétence de la Commission pour adopter les mesures spécifiques demandées par la requérante, que des éléments de caractère provisoire, en ce qui concerne la seconde question, relative au bien-fondé du grief tiré d'une violation de l'article 85 du traité et à la suite à donner à la demande plus générale de la requérante de prendre les mesures adéquates pour qu'il soit mis fin à cette infraction.

54 La juxtaposition de tels éléments dans la lettre démontre que la Commission n'avait pas encore adopté de décision sur la plainte de la requérante. En effet, sauf dans le cas d'une décision partielle, une décision ne peut pas comporter des appréciations provisoires à côté d'appréciations définitives. En l'espèce, toutefois, la Commission n'a pas indiqué qu'elle avait l'intention de scinder la procédure en deux parties et de clore l'une des deux immédiatement, ce qui permet d'exclure l'hypothèse d'une décision partielle.

55 L'analyse du texte intégral de la lettre fait donc apparaître que celle-ci ne constitue pas encore une réponse définitive à la plainte déposée par la requérante, mais qu'elle relève de la première phase de la procédure d'instruction des plaintes, dans laquelle ont lieu les échanges de vues préliminaires. Ceci ressort, en premier lieu, du libellé même de la lettre, qui, à la différence des décisions que la Commission a adoptées au sujet d'autres plaintes, ne contient aucune déclaration expresse le dossier (arrêts précités Demo-Studio Schmidt, 210-81, notamment p. 3049; CICCE, 298-83, notamment p. 1121 et BAT et Reynolds, 142 et 156-84, notamment p. 4503 et suiv.). Contrairement à ce que la requérante a soutenu à l'audience, le premier paragraphe de la lettre attaquée constitue pas l'équivalent d'un tel dispositif. En effet, le langage utilisé à cet endroit est moins définitif que celui employé par la Commission dans ses décisions précitées.

56 Le fait que la lettre relève de la première des trois étapes de procédure est confirmé par la circonstance qu'elle n'a pas imparti à la requérante le délai prévu par l'article 6 du règlement n° 99-63 pour présenter ses observations.

57 En ce qui concerne les décisions de rejet relevant de la troisième phase de la procédure, il convient de rappeler que la Cour a eu l'occasion de se prononcer sur leur contenu et leur effets. Selon cette jurisprudence, ces décisions sont caractérisées par le fait qu'elles mettent fin à l'enquête engagée, comportent (éventuellement) une appréciation des accords en cause et empêchent les parties plaignantes d'exiger la réouverture de l'enquête, à moins qu'elles ne fournissent des éléments nouveaux(arrêt précité BAT et Reynolds, 142 et 156-84, notamment p. 4571). Il ressort de ce qui précède que tel n'était pas le contenu de la lettre attaquée qui ne constitue pas encore une prise de position définitive de la Commission. Par conséquent, elle ne s'inscrit pas dans le cadre de la troisième phase de la procédure.

58 Pour ces raisons, le Tribunal constate que la lettre du 30 novembre 1988 est une communication d'observations préliminaires relevant de la première phase de la procédure prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63, qui n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits procéduraux de la requérante qui, dès lors, ne saurait être considéré comme un acte susceptible de recours.

59 Il s'ensuit que l'argument tiré, à titre subsidiaire, par la Commission du fait que la lettre a été signée par un directeur de la direction générale de la concurrence et non par le directeur général ou le membre de la Commission compétente est sans incidence pour la solution du présent litige.

60 Il en est de même de l'argumentation contraire développée sur ce point par la requérante, en se fondant notamment sur l'arrêt précité du 19 janvier 1984, (Erdini/Conseil, 65-83), dans lequel la Cour avait admis la recevabilité du recours d'un fonctionnaire visant à l'annulation d'une lettre qui n'émanait pas de l'AIPN compétente. A cet égard, il convient du reste d'observer que, à la différence de cette lettre qui avait été confirmée par l'AIPN, la lettre du 30 novembre 1988 n'a pas été reconnue par l'institution défenderesse comme étant une décision.

61 A l'appui de sa thèse selon laquelle la lettre du 30 novembre 1988 est une décision attaquable, la requérante s'est également prévalue de la présomption de validité dont bénéficient, selon la jurisprudence de la Cour, les actes des institutions communautaires. Selon cette jurisprudence, les actes des institutions ne sauraient être qualifiés d'inexistants que lorsqu'ils sont atteints de vices particulièrement graves et évidents (par exemple les arrêts du 26 février 1987, Consorzio Coopérative (d'Abruzzo/Commission, 15-85, Rec. p. 1005, notamment p. 1035; du 21 février 1974, Kortner-Schots e.a./Conseil et Commission et Parlement, 15 à 33, 52, 53, 57 à 109, 116, 117, 123, 132 et 135 à 137-73, Rec. p. 177, notamment p. 191, et du 12 juillet 1957, Algera e.a./Assemblée Commune, 7-56 et 3 à 7-57, Rec. p. 81, notamment p. 122). La requérante estime que tel n'est pas le cas de la lettre qu'elle attaque.

62 Il convient de préciser que cette jurisprudence de la Cour porte sur la question de savoir si des actes des institutions communautaires qui visent à produire des effets juridiques peuvent exceptionnellement être considérés comme dépourvus de tels effets, en raison des vices particulièrement graves et évidents dont ils sont atteints. Cette question ne se pose donc pas dans le présent litige, étant donné que la lettre attaquée ne vise pas à produire des effets juridiques.

63 En réponse à une question posée à l'audience par le Tribunal, la requérante a fait encore valoir que c'est dans un souci de précaution qu'elle s'est estimé tenue d'introduire un recours contre la lettre du 30 novembre 1988. Elle souligne qu'elle devait tenir compte de la possibilité que la Commission s'abstienne de toute activité ultérieure en réponse à sa plainte. Elle estime que, dans cette hypothèse, la possibilité d'introduire un recours en carence n'aurait pas garanti la protection de ses droits, parce qu'elle devait craindre que la Commission excipe de l'irrecevabilité de ce recours au motif que la lettre du 30 novembre 1988 était une décision et que le délai pour l'attaquer avait expiré.

64 Il n'y a pas lieu, dans le cadre du présent litige, d'examiner les possibilités théoriques d'un éventuel recours en carence. En ce qui concerne le présent recours en annulation, il convient de relever que la réaction de la Commission en réponse à la plainte de la requérante a été ambiguë et pouvait susciter certains doutes sur sa nature juridique. Le Tribunal reconnaît que la requérante s'est trouvée dans une situation d'incertitude juridique quant au caractère décisionnel de l'acte émis par la Commission et, par conséquent, quant à la voie de recours lui permettant d'obtenir un contrôle juridictionnel du comportement adopté par la Commission. Cependant, la protection de ses droits a été assurée par la possibilité de saisir le Tribunal de la question de savoir si la communication qui lui a été adressée est ou non une décision susceptible de faire l'objet d'un recours. S'il est un vrai qu'un tel recours doit être rejeté comme irrecevable en l'absence d'une décision attaquable, le Tribunal doit tenir compte de l'incertitude juridique dans laquelle la requérante s'est trouvée lorsqu'il statue sur les dépens.

65 Il y a donc lieu de rejeter comme irrecevable la demande en annulation telle que présentée dans la requête.

66 Au cours de la procédure écrite, la requérante a déclaré qu'elle entendait adapter les conclusions de son recours pour demander, dans le cadre du présent litige, l'annulation de la lettre du 28 février 1990, signé par le membre de la Commission chargé de la concurrence. Elle s'appuyait à cet effet sur la jurisprudence de la Cour, selon laquelle un acte qui remplace ou proroge, en cours de procédure, l'acte attaqué doit être considéré comme un élément nouveau permettant à la partie requérante d'adapter ses conclusions et ses moyens (arrêts du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission, 14-81, Rec. p. 749, notamment p. 763; du 24 septembre 1987, Fabrique de fer de Charleroi et Dillinger H|ttenwerke/Commission, 351 et 360-85, Rec. p. 3639, notamment p. 3672, et du 14 juillet 1988, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission, 103-85, Rec. p. 4131, notamment p. 4149).

67 A l'audience, la requérante a réitéré ces arguments. Cependant, elle n'a pas déclaré expressément faire usage des possibilités juridiques dont elle estimait disposer, ni adapté ses conclusions, comme elle l'avait annoncé, pour demander l'annulation de la décision confirmative contenue - selon elle - dans la lettre du 28 février 1990. Le règlement de procédure ne contient pas de disposition régissant les modalités de l'adaptation éventuelle des conclusions d'une partie en cours d'instance. Il exige, en règle générale, que les conclusions soient présentées dans la requête ou dans le mémoire en défense. La Cour a accueilli, dans les trois affaires invoquées par la requérante, des conclusions modifiées figurant dans les mémoires en réplique des requérants et, donc, présentées par écrit dans un document de procédure. Dans la présente affaire, où l'acte susceptible de faire l'objet d'une adaptation éventuelle des conclusions de la requérante n'a été adopté que quelques jours avant l'audience, on ne saurait exiger qu'une telle adaptation soit présentée dans un mémoire écrit. Une déclaration orale à cet effet au cours de l'audience serait donc, en principe, suffisante. Cependant, il convient de souligner que ce sont les conclusions - mêmes orales - des parties qui définissent l'objet du litige. Il importe, dès lors, qu'elles indiquent, expressément et sans équivoque, ce que les parties demandent. En particulier, lorsqu'il s'agit d'un recours en annulation, il convient que l'acte dont l'annulation est demandé soit clairement désigné. Une référence implicite ne saurait être prise en compte par le Tribunal, sous peine de statuer "ultra petita". Ceci s'applique tant aux conclusions contenues dans les mémoires des parties qu'à celles présentées oralement à l'audience. La requérante n'ayant pas déclaré pendant l'audience demander désormais l'annulation d'un acte autre que celui visé dans ses mémoires écrits, à savoir la lettre du 30 novembre 1988, il y a lieu de constater qu'elle na pas modifié ses conclusions au cours de la procédure.

68 Bien que cette constatation suffise à écarter tout doute quant à la teneur des conclusions de la requérante, il n'est pas sans intérêt d'observer au surplus que, même dans l'hypothèse où la requérante aurait modifié, au cours de l'audience, ses conclusions initiales, la jurisprudence à laquelle elle s'est référée à cet égard ne saurait lui permettre en l'espèce d'étendre l'objet du litige à une demande d'annulation de la lettre du 28 février 1990. En effet, les règles développées par la Cour à ce sujet visent, d'une part, la situation dans laquelle une décision individuelle, explicite ou implicite, a été remplacée par une autre, ayant le même objet (arrêts précités du 3 mars 1982, Alpha Steel, 14-81, et du 14 juillet 1988, Stahlwerke Peine-Salzgitter, 103-85) et, d'autre part, celle dans laquelle une disposition du droit dérivé est prorogée sans que le principe qu'elle énonce et qui constitue l'essentiel de l'objet du litige soit modifié (arrêt précité du 24 septembre 1987, Fabrique de fer de Charleroi e.a., 351 et 360-85). Ces hypothèses ont en commun d'avoir trait à des recours dirigés, dès l'acte introductif d'instance, contre des actes définitifs, produisant des effets juridiques et contre lesquels un recours en annulation est recevable. L'extension de l'objet du recours admise par la Cour concernait donc des actes dont la nature et l'objet essentiel étaient identiques à ceux visés par l'acte introductif d'instance.

69 En l'espèce cependant, la lettre du 30 novembre 1988 n'a qu'un caractère provisoire, elle ne constitue pas un acte définitif. Elle n'a donc pas produit d'effets juridiques susceptibles d'être remplacés ou prorogés par une décision ultérieure. Il en résulte qu'un acte ultérieur, adopté en cours de procédure, ne peut pas être considéré comme un élément nouveau auquel la requérante pourrait adapter ses conclusions sans que l'objet même du litige s'en trouve modifié. Or, l'article 19 du statut de la Cour de justice CEE, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 46, premier alinéa, dudit statut, et l'article 38 du règlement de procédure de la Cour s'opposent à une telle modification (arrêt du 25 septembre 1979, Commission/France, 232-78, Rec. p. 2729, notamment p. 2737).

70 Il s'ensuit que le Tribunal aurai dû rejeter comme irrecevable le recours en annulation introduit par la requérante également dans l'hypothèse où elle aurait adapté ses conclusions pour y inclure la lettre du 28 février 1990.

71 Le présent recours étant irrecevable, il n'est pas nécessaire que le Tribunal se prononce sur la question de savoir si le recours est devenu sans objet en raison des actes que la Commission a adoptés en cours d'instance. En effet, conformément à l'arrêt rendu par la Cour le 8 mars 1972 (Nordgetriede/Commission, 42-71, Rec. p. 105, notamment p. 108), dans une affaire dans laquelle la partie défenderesse avait conclu - comme en l'espèce - à ce qu'il soit déclaré qu'il n'y avait pas lieu de statuer étant donné que l'objet du litige avait disparu, il suffit au Tribunal de rejeter le recours comme irrecevable sans se prononcer sur la question du non-lieu à statuer.

SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE D'INDEMNITE

72 A l'appui de sa demande de dommages et intérêts, la requérante fait valoir que le retard de la Commission à statuer sur la plainte et son refus, pour l'essentiel, de la prendre en considération sont constitutifs d'une négligence et ont engendré un préjudice grave à son égard compte tenu du fait que, pendant toute la période en cause, elle a demandé en vain à être approvisionnée en véhicules et pièces BMW.

73 Selon l'article 19 du statut de la Cour de justice CEE et l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour, la requête doit, entre d'autres, indiquer l'objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir des éléments qui permettent identifier le comportement que le requérant reproche à l'institution, les raisons pour lesquelles il estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu'il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice. En revanche, une demande tendant à obtenir une indemnité quelconque manque de la précision nécessaire et doit, par conséquent, être considérée irrecevable (arrêt du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, 5-71, Rec. p. 975, notamment p. 984).

74 Une semblable violation de l'article 19 du statut et de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour compte parmi les fins de non-recevoir que le Tribunal peut soulever d'office, à tout moment, en vertu de l'article 92, paragraphe 2, dudit règlement de procédure (arrêt du 14 décembre 1966, Alfieri/Parlement, 3-66, Rec. p. 633, notamment p. 649).

75 Il y a lieu de constater que la requérante n'a pas chiffré le montant du préjudice qu'elle estime avoir subi, ni indiqué des éléments de fait qui permettraient d'en apprécier la nature et l'étendue. Elle s'est bornée dans ses mémoires à alléguer, en termes abstraits et généraux, un "dommage grave" qui lui aurait été causé par ce qu'elle n'était plus approvisionnée par BMW. Elle n'a fourni aucune indication quant au chiffre d'affaires qu'elle réalisait à l'époque où ses liens contractuels avec BMW existaient encore, ni quant à l'incidence qu'a eu la résiliation du contrat de distribution sur ses activités commerciales, ni, en particulier, quant à l'évolution de son chiffre d'affaires après l'introduction de sa plainte auprès de la Commission.

76 Il est vrai que la Cour a reconnu que, dans des circonstances particulières, il n'est pas indispensable de préciser dans la requête l'étendue exacte du préjudice et de chiffrer le montant de la réparation demandée. En l'espèce, cependant, la requérante n'a pas établi, ni même invoqué, l'existence de telles circonstances.

77 Il résulte de ce qui précède que la demande d'indemnité présentée par la requérante est également irrecevable. Il convient donc de rejeter le recours dans son ensemble.

SUR LES DEPENS

78 La Commission avait conclu, au cours de la procèdure écrite, à ce que le Tribunal qu'il n'y a pas lieu de statuer et qu'il compense les dépens en application de l'article 69, paragraphe 5, du règlement de procédure de la Cour. A l'audience, elle a en outre conclu, à titre subsidiaire et dans l'hypothèse où le Tribunal déciderait de rejeter le recours comme irrecevable en vertu de l'article 92, paragraphe 2, dudit règlement de procédure, à ce que la requérante soit condamnée aux dépens, conformément à l'article 69, paragraphe 2. Le recours étant rejeté comme irrecevable, il convient d'examiner si le chef des conclusions de la Commission relatif à la condamnation de la requérante aux dépens peut être accueilli.

79 Il y a lieu tout d'abord d'observer que, selon la jurisprudence de la Cour, le fait que la partie qui a eu gain de cause n'a conclu en ce sens qu'à l'audience ne s'oppose pas à ce que sa demande soit accueillie (arrêt du 29 mars 1979, NTN Toyo Bearing Co./Conseil, 113-77, Rec.p. 1185, notamment p. 1210 et suiv. et les conclusions de l'avocat général Warner dans cette affaire, notamment p. 1274).

80 Par conséquent, il convient de partir du principe de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour selon lequel la partie qui succombe est condamnée aux dépens. Cependant, selon l'article 69, paragraphe 3, premier alinéa, le Tribunal peut, pour des motifs exceptionnels, compenser les dépens en totalité ou en partie. Il y a lieu de relever que la Commission, pour sa part, a contribué à la naissance du litige par la rédaction ambiguë de sa lettre du 30 novembre 1988. La requérante, quant à elle, a maintenu sa demande d'annulation après que la Commission eut clarifié la situation juridique par sa lettre du 26 juillet 1989 et a introduit une demande d'indemnité irrecevable pour des raisons étrangères au comportement de la Commission. Compte tenu de ces circonstances, il convient de faire supporter à la Commission ses propres dépens et la moitié des dépens de la requérante. La requérante supportera l'autre moitié de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1. Le recours est rejeté comme irrecevable.

2. La Commission supportera ses propres dépens et la moitié des dépens de la partie requérante. La partie requérante supportera l'autre moitié de ses propres dépens.