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CCE, 21 décembre 1988, n° 89-113

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Decca Navigator System

CCE n° 89-113

21 décembre 1988

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 3 et 4, vu les notifications faites le 20 mai 1983 et le 14 novembre 1984 par Racal Group Services en application de l'article 4 du règlement n° 17, vu les demandes présentées à la Commission le 21 décembre 1983 par le Landesfischereiverband Schleswig-Holstein et les 26 février et 9 avril 1985 par Rauff & Sørensen et visant à faire constater, conformément à l'article 3 du règlement n° 17, que Racal-Decca Navigator Limited (devenue Racal-Decca Marine Navigation Ltd le 3 décembre 1985) a enfreint l'article 86, vu les informations recueillies par la Commission conformément aux articles 11 et 14 du règlement n° 17, vu la décision de la Commission, du 30 septembre 1987, d'engager une procédure dans la présente affaire, ayant donné aux entreprises intéressées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et aux dispositions du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit :

I. LES FAITS

Les entreprises en cause

(1) a) Racal-Decca Marine Navigation Ltd (ci-après dénommée " Racal Decca ") est une filiale de Racal Electronics plc, société holding de droit anglais qui exerce ses activités dans le monde entier. Les activités principales de Racal Decca sont la conception, la fabrication et la commercialisation d'aides à la navigation et d'autres équipements électroniques. Racal Electronics plc a réalisé en 1987-1988 un chiffre d'affaires total de 1 370 millions de livres sterling.

(2) b) AP Radiotelefon A/S (ci-après dénommée " AP "), société de droit danois, est une filiale du groupe international Philips qui est dirigé par NV Philips Gloeilampenfabrieken aux Pays-Bas.

(3) c) Polytechnic Marine plc, établie au Royaume-Uni, ultérieurement Polytechnic Electronics plc (ci-après dénommée " PE "), est un fabricant de systèmes de navigation civils et militaires. Depuis 1985, cette société détient une participation majoritaire dans Navstar SA, établie en Suisse, qui est son principal distributeur.

Le système DNS

(4) Le Decca Navigator System (ci-après dénommé " DNS ") est un système de radionavigation international qui fonctionne dans le monde entier et est utilisé pour la navigation maritime, terrestre et aérienne. Il consiste en : i) la transmission de signaux par des stations terrestres opérant en groupes (appelés " chaînes ") et ii) des équipements placés à bord du moyen de transport qui reçoit ces signaux (les " récepteurs ").

(5) Le DNS en cause dans la présente affaire est le système destiné à la navigation maritime, qui est l'utilisation principale du point de vue des ventes (en valeur et en volume).

(6) Le DNS est un système de navigation hyperbolique. Il se fonde sur la loi mathématique selon laquelle tous les points dont les distances à deux points fixes ont une différence constante se situent sur une courbe spécifique, ou hyperbole. Dans le DNS, ces deux points fixes sont deux stations d'une chaîne (stations " maître " et " esclave ") qui transmettent des signaux radio exactement synchronisés émis sous forme d'ondes continues. La localisation de ces familles d'hyperboles figure sur des cartes marines spéciales. En mesurant la différence de phase des signaux de deux stations, le récepteur placé à bord d'un bateau peut déterminer la courbe hyperbolique sur la surface de la terre le long de laquelle la différence des distances géographiques par rapport à ces stations correspond à la différence de phase mesurée. En mesurant les données correspondantes transmises par une autre paire de stations (une station pouvant être commune à chaque paire), on obtient des lignes qui se coupent, ce qui donne une position de navigation exacte.

(7) Aux dires de Racal Decca, il existe actuellement onze aides à la radionavigation maritime. Celles-ci varient quant à la précision, à la portée de transmission et à la couverture géographique. Une description de ces aides à la navigation suivant ces caractéristiques figure en annexe à la présente décision.

Il ressort de l'annexe que :

- DNS, Loran C, Differential Omega, Rana, Toran, Radar et GPS offrent une précision élevée. Toutefois, GPS n'est pas encore opérationnel et ne devrait pas l'être avant plusieurs années,

- DNS, Loran C, Omega et Differential Omega, NNSS (Transit) et GPS ont une portée de transmission élevée,

- seuls DNS, Radar, Marine Radio Beacons et NNSS (Transit) couvrent le Danemark, le Royaume-Uni et la Manche.

Pour certains types de navigation en haute mer et/ou à longue distance ainsi que pour la pêche, une aide de radionavigation de haute précision est indispensable. C'est le cas pour les navires de haute mer, les bateaux de commerce ou les navires de guerre, de même que pour certains bateaux de navigation côtière et de pêche lorsqu'ils naviguent au large ou doivent retrouver des positions de pêche ou connaître la route du bateau par rapport au mouvement du poisson.

Dans une grande partie des eaux de haute mer de la partie nord de la Communauté, le DNS fonctionnant à partir du Danemark et du Royaume-Uni est le seul système disponible parmi ceux énumérés à l'annexe. C'est, en fait, le seul système qui combine la précision, la portée et la couverture géographique requises.

Le DNS transmis à partir des chaînes britanniques est très important, même pour les bateaux de commerce qui opèrent à partir d'autres pays européens, étant donné que la plupart d'entre eux doivent tôt ou tard passer par les zones couvertes par ces chaînes, en particulier la Manche.

(8) Bien que les brevets sur le DNS soient arrivés à expiration, il existe d'autres obstacles à l'entrée en concurrence, pour la transmission de signaux, avec un système présentant la même précision, une couverture géographique aussi étendue et une aussi grande portée que le DNS, notamment :

- la difficulté d'obtenir des autorités nationales compétentes la licence requise pour utiliser les fréquences qu'elles contrôlent, particulièrement s'il s'ensuit une duplication de la transmission dans la même zone.

Les fréquences attribuées par l'Union internationale des télécommunications (UIT) pour les systèmes de navigation de la région 1, qui couvre l'Europe, sont dans la bande des 70-130 kilohertz, qui est divisée en créneaux. Un créneau important (90-110 kilohertz est attribué à Loran C, alors que quatre créneaux plus (70-72, 84-86, 112-117,6 et 126-129 kilohertz) sont attribués au DNS. Racal Decca a fait valoir que le créneau des 84-86 kilohertz pourrait accueillir deux autres chaînes. Toutefois, cela ne suffit pas pour créer un système qui entrerait en concurrence avec le DNS, qui dispose de vingt-cinq chaînes en Europe.

En outre, les chaînes qui partagent le même canal doivent être espacées d'au moins 2 000 kilomètres,

- le coût très élevé de l'établissement d'un ensemble de stations de transmission de même portée que le DNS.

Les fabricants

Racal Decca

(9) Au cours de la période couverte par la présente procédure, Racal Decca était le seul fournisseur de signaux DNS au Danemark et au Royaume-Uni. Les principaux fabricants de récepteurs DNS sont Racal Decca, qui était jusqu'à 1982 le seul producteur principal avec un certain nombre de titulaires de licence, AP, PE-Navstar et Rauff & Sørensen (ci-après dénommé " RS ").

(10) Le DNS a été mis au point au cours de la deuxième guerre mondiale par l'un des prédécesseurs de Racal Decca, Decca Navigator Company Ltd, à des fins militaires, principalement pour des opérations dans la Manche. En 1946, cette société a obtenu l'accord du gouvernement britannique pour développer le système commercialement. Outre qu'elle était le seul fabricant de récepteurs, Racal Decca était propriétaire des stations qu'elle exploitait à ses propres frais. En 1947, l'accord de 1946 a été remplacé par un accord d'exploitation régissant les activités de Decca Navigator et du ministère des transports en ce qui concerne le développement du système, accord prorogé en 1956. Cet accord prévoit notamment que, " eu égard aux responsabilités qui lui incombent en vertu de la loi relative à la navigation marchande en ce qui concerne la sécurité des navires, le ministre considère qu'il importe que son ministère soit étroitement associé au développement des Decca Navigation Systems . . . " et au point 8 (" Approbation pour la navigation ") que " . . . le ministère fera connaître son approbation de l'utilisation de la chaîne anglaise, ainsi que des chaînes qui pourront être créées ultérieurement, au moyen de communications à la navigation (Notices to Mariners) ". Racal Decca a décidé que le système serait exploité selon le principe de la location de l'équipement de réception aux utilisateurs moyennant une redevance annuelle destinée à couvrir les coûts d'investissement et d'entretien.

(11) Les brevets de base de Racal Decca, qui empêchaient tout tiers de fabriquer légalement, sans être titulaire d'une licence, un récepteur destiné à capter les signaux DNS, sont arrivés à expiration au milieu des années 60.

(12) À partir de 1946, un nombre croissant de chaînes ont été mises en service le long des côtes du Royaume-Uni et d'autres pays européens (tels le Danemark, la Norvège, l'Allemagne, l'Irlande, les Pays-Bas, la France, la Finlande, la Suède et l'Espagne - à l'exclusion de sa côte méditerranéenne). De telles chaînes se trouvent aussi le long des côtes dans diverses parties du monde. Au total, on compte actuellement vingt-cinq chaînes opérant en Europe et vingt-six ailleurs.

Les deux chaînes britanniques et la chaîne danoise, dont la portée détermine la définition du marché géographique de la transmission des signaux DNS, représentent plus de 20 % des quatorze chaînes qui opèrent dans la Communauté.

Presque toutes les stations émettrices du DNS appartiennent actuellement au gouvernement d'accueil, qui les gère à ses frais.

- Les chaînes " irlandaises " et " néerlandaises " appartiennent au gouvernement d'accueil mais sont exploitées respectivement par Racal Decca et une autre filiale du groupe Racal Electronics. La chaîne allemande appartient à Racal Decca, qui la gère aux frais du ministère britannique de la défense (la chaîne est principalement utilisée par les forces de l'OTAN).

- La chaîne danoise était la propriété exclusive de Racal Decca jusqu'à juillet 1987. Un accord avec le gouvernement danois concernant l'autorisation de transmettre a été passé en 1947 et prorogé ultérieurement. Dans un rapport d'un groupe de travail du ministère danois de la défense, il est dit que " l'application du service de la station de radio doit être aussi générale que possible " et qu'" il importe que l'administration des postes . . . veille à ce que le public puisse utiliser les signaux transmis par les stations ".

- À la suite de la résiliation de l'accord par Racal Decca en 1986, le ministère danois de la défense et Racal Decca ont conclu le 9 juillet 1987 un contrat aux termes duquel toutes les stations danoises appartiennent au gouvernement mais sont exploitées aux frais de ce dernier par RDN/AS, filiale de Racal Decca. Le ministère de la défense a notifié la résiliation de ce contrat avec effet au 31 décembre 1988.

- Toutes les stations de transmission DNS au Royaume-Uni appartiennent à Racal Decca. Elle exploite ces stations, conformément au contrat qu'elle a passé le 1er avril 1987 avec les General Lighthouse Authorities, aux frais de celles-ci à l'exception de la station esclave de la chaîne de Vestlandet (Norvège) située dans l'archipel des Shetland (qui est gérée aux frais de Racal Decca) et de la station esclave de la chaîne néerlandaise située à Orfordness, qui est gérée par Racal Decca aux frais du gouvernement néerlandais, en vertu d'un contrat passé avec ce dernier. Racal Decca exploite à ses propres frais la station esclave de Donegal de la chaîne des Hébrides.

(13) Une brochure intitulée " The Decca Navigator System and its uses ", remise par Racal Decca avec sa notification du 20 mai 1983, indique que plus de 10 000 navires marchands de plus de quatre-vingts pays et plus de 12 500 bateaux de pêche de tous types étaient équipés de récepteurs Decca. Le DNS était également utilisé par la plupart des États membres de l'OTAN, et les forces navales de plus de trente pays avaient été équipées de récepteurs Decca. Le système était aussi utilisé par les forces terrestres et à bord d'avions civils et militaires.

(14) Jusqu'à 1983 au moins, Racal Decca avait pour politique de louer ses récepteurs destinés à des fins commerciales et de ne pas les vendre. Elle ne vendait des récepteurs qu'aux forces militaires et pour utilisation à bord de bateaux naviguant en dehors de la Communauté. Le marché des récepteurs pour les bateaux de plaisance ne s'était pas développé, notamment parce que les utilisateurs non commerciaux n'étaient généralement pas incités à payer le prix de location élevé qui était demandé.

(15) Parmi les récepteurs qu'elle a mis au point au cours de ses activités, Racal Decca a annoncé en novembre 1983 un nouveau récepteur intégré à louer ou à vendre, le MNS 2000. Cet appareil sélectionne automatiquement le système le plus approprié, DNS, Loran C, Omega ou Transit (information publiée dans le magazine Technical du 22 novembre 1983). Racal Decca a commencé à le commercialiser en 1985.

(16) Le chiffre d'affaires total réalisé par Racal Decca sur le DNS a atteint en 1984-1985 [. . .] (3) dont [. . .] pour les locations. Le reste des recettes provenait des ventes de produits ainsi que de l'exploitation et de la vente des chaînes. D'après ses propres chiffres, la " marge brute " s'élevait à [. . .], soit [. . .] du " coût total des ventes " ([. . .]). Le bénéfice net avant frais financiers et impôts (ajusté pour exclure les bénéfices exceptionnels) s'est élevé à [. . .], soit un rendement de [. . .] du capital utilisé au cours de la période considérée. Les comptes internes de la société indiquent une " marge brute " moyenne de [. . .] pour la location de récepteurs commerciaux DNS et de [. . .] pour la vente des mêmes récepteurs, ces deux marges étant calculées sur la base des coûts. Toutefois, dans ses calculs internes, Racal Decca rapporte tous les coûts des émetteurs aux coûts afférents aux récepteurs loués. Si une fraction de ces coûts était rapportée aux coûts afférents aux récepteurs vendus par Racal Decca (y compris les récepteurs placés à bord de bateaux de plaisance), l'écart entre les marges brutes pour la location et pour la vente des récepteurs commerciaux augmenterait, et il en serait de même si les coûts des émetteurs étaient diminués du montant perçu en redevances (ou d'une partie de celui-ci).

AP

(17) En 1981, AP a commencé à commercialiser son propre récepteur compact compatible avec DNS que l'on pouvait acheter au comptant pour un prix équivalant approximativement au coût de location annuel d'un récepteur Decca (1 500 livres sterling). Le prix de cet appareil, sa facilité d'utilisation, sa conception technologique avancée et sa consommation de courant le rendaient attrayant également pour les plaisanciers.

RS

(18) RS, qui produit une gamme d'appareils électroniques pour la navigation maritime, a commencé en 1982 à fabriquer et à promouvoir ses récepteurs DNS, de la série Shipmate RS 4000 ; en 1983, elle a transféré les activités liées à cette série à une société avec laquelle elle a des liens personnels, Shipmate Navigator Aps.

PE

PE, fabricant de systèmes de navigation civils et militaires, a mis au point et fabriqué à partir de 1983 des récepteurs compatibles DNS pour utilisateurs maritimes (601 D et 602 D).

Parts de marché

(19) Les tableaux ci-après indiquent le nombre de récepteurs DNS destinés à équiper des bateaux de commerce et de plaisance qui ont été vendus ou loués dans la Communauté (à l'exclusion de l'Espagne et du Portugal pour les années antérieures à 1986) au cours des périodes considérées pour capter les signaux DNS, ainsi que les parts de marché annuelles correspondantes. Ces chiffres ont été fournis individuellement par chacune des quatre sociétés.

EMPLACEMENT TABLEAU

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Le tableau ci-après donne le chiffre d'affaires annuel réalisé par chaque entreprise sur la vente ou la location du récepteur en question au cours de la même période, et les parts de marché annuelles correspondantes.

EMPLACEMENT TABLEAU

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Comportement de Racal Decca vis-à-vis de ses concurrents

(20) Ce comportement s'est traduit par : i) une réaction à l'entrée des concurrents sur le marché, ii) des négociations et, dans certains cas, iii) des accords avec des concurrents. Le comportement de Racal Decca à l'égard de ses concurrents principaux, a) AP, b) RS et c) PE, est décrit ci-après.

a) Racal Decca - AP

1) Réaction à l'entrée d'AP sur le marché

(21) Lorsque AP a commencé à commercialiser son récepteur DNS en 1981, Racal Decca a examiné les réactions possibles lors d'une réunion interne tenue le 12 mars 1981. Les options consistaient à faire porter la concurrence sur les prix ou sur des produits appropriés, à procéder à des coupures ou à des modifications des transmissions, ou à conclure un accord de licence avec Philips. Le président a déclaré que " la société devrait s'efforcer de maintenir sa part de marché jusqu'à ce qu'elle puisse commercialiser un produit compétitif, et le moyen d'y parvenir est peut-être de vendre à nos locataires actuels au meilleur prix possible ".

(22) En ce qui concerne le droit d'auteur, il a été déclaré qu'" il n'y a probablement pas grand espoir en ce qui concerne le droit d'auteur ", mais il a été décidé que les recherches dans ce domaine seraient poursuivies. Aucun autre droit de propriété n'a été évoqué.

(23) Un rapport interne de Racal Decca, en date du 5 mai 1981, sur sa situation juridique dans plusieurs pays, concluait qu'il n'y avait pas d'élément permettant de revendiquer un droit d'auteur sur la transmission, mais que l'on pourrait peut-être revendiquer ce droit sur les listes de données relatives aux chaînes (comme la position du mât, les fréquences, la vitesse de propagation et le décollage du premier chenal) dénommées "Decca Chain Data Sheets " (DCDS). Il était, toutefois, précisé que " cette position peut à la rigueur être défendue mais n'est pas nécessairement juste. Nous avons sans doute peu de chances ". À l'occasion de l'entrée de RS sur le marché, un rapport interne de Racal Decca du 24 octobre 1983 confirmait que ces informations pouvaient en fait être obtenues indépendamment de Racal Decca. En ce qui concerne la concurrence déloyale, la situation était évaluée différemment selon le pays concerné.

(24) S'agissant de la modification des signaux, il était indiqué que " cela consiste en théorie (pour utiliser un langage non technique) à altérer les signaux de transmission de façon à entraver leur réception par les appareils AP, tout en les laissant aussi précis qu'auparavant pour les récepteurs RDN ".

(25) Le 18 novembre 1981, le chef du service juridique de Racal Decca a déclaré que " la raison pour laquelle une action en concurrence déloyale n'a pas été engagée au moment où le problème a été examiné est qu'il a été décidé que la modification des transmissions serait de loin la meilleure méthode pour empêcher les ventes d'AP ". Il a ajouté que " s'engager dans une action devant les tribunaux sans chance réelle de succès et sans base juridique solide nous mettrait à plus ou moins long terme dans une situation embarrassante ".

(26) Au cours du deuxième semestre de 1981, Racal Decca a commencé à modifier les transmissions au Danemark, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-bas sans en aviser les milieux concernés au préalable, ce qui a provoqué des troubles importants dans la navigation. Les autorités compétentes de ces pays ont exigé que Racal Decca rétablisse des transmissions normales, sauf les autorités britanniques qui lui ont demandé de notifier toute modification ultérieure à l'Hydrographe de la Marine quatre mois à l'avance.

(27) Par la suite, Racal Decca a présenté la modification des signaux comme une amélioration. Toutefois, une note du service juridique de Racal Decca en date du 18 juin 1982 indiquait que " bien entendu, nous ne souhaitons pas devoir répondre [aux questions des autorités danoises] de telle sorte que les hydrographes et leurs homologues des autres pays européens voisins puissent en conclure que les améliorations ne sont qu'un leurre, destiné en fait à faire échec aux produits concurrents ". Dans la même note, la modification des signaux est définie comme " notre meilleure arme " pour lutter contre AP.

Concernant les actions à intenter contre Philips, il était indiqué que " nous avons à présent décidé que nous engagerons des actions contre AP au titre de la législation réprimant la concurrence déloyale d'une manière générale . . . ".

(28) En outre, Racal Decca a attiré l'attention d'AP, des distributeurs AP et des utilisateurs du récepteur AP " sur ses droits et sur son intention de protéger ces droits contre les utilisateurs d'équipement non-Decca ".

2) Négociations entre Racal Decca et AP

(29) À la fin de 1981, en réaction aux pressions exercées par Racal Decca, AP a examiné la situation juridique et les moyens pratiques d'adapter ses récepteurs aux signaux modifiés par Racal Decca. AP a conclu que l'adaptation aux signaux prendrait probablement au moins deux mois de recherche dans chaque cas.

(30) Racal Decca et AP ont engagé des négociations en 1982 avec la participation d'autres représentants du groupe Philips. Entre autres raisons qui ont incité AP à rechercher un accord (document interne de 1982) étaient mentionnées l'action en justice annoncée par Racal Decca en 1981 et les " expériences " de Racal Decca avec les chaînes britanniques. Parmi les facteurs qui faciliteraient la vente, figuraient l'importance du marché des bateaux de plaisance en Europe (600 000 bateaux), la stabilité des signaux, le fait que Racal Decca poursuivrait les " envahisseurs " et se retirerait du marché des bateaux de plaisance en Europe.

(31) Les négociations ont été engagées le 24 août 1982 sous la " seule condition préalable " que Racal Decca poursuive seule les activités de location sur le marché professionnel traditionnel (compte rendu de la réunion établi par AP). L'une des possibilités de coopération discutées était que " Decca se borne au marché traditionnel. AP Radio dessert le marché des yachts ". Sur ce point, Racal Decca a déclaré " on peut peut-être envisager de diviser le marché entre les bateaux de plaisance et les utilisateurs professionnels " et il a été décidé " d'examiner les aspects juridiques et commerciaux d'une division des marchés " (compte rendu de Racal Decca) afin d'empêcher que les produits vendus sur le marché des bateaux de plaisance ne réduisent les locations commerciales de Racal Decca.

(32) Dans le compte rendu de la réunion du 26 octobre 1982 rédigé par Philips, on peut lire que Philips souhaitait " partager un monopole " :

" - Decca s'occupe du marché professionnel

- Decca s'occupe de la zone "grise" entre le marché professionnel et celui des bateaux de plaisance . . .

- Decca laisse le marché des bateaux de plaisance à Philips.

Philips limite ses activités au marché des bateaux de plaisance . . .

Decca a reconnu que cette division du marché selon le produit pouvait protéger son marché professionnel et contribuer ainsi à préserver ses chaînes. Toutefois, Decca ne pouvait s'exclure du marché des yachts pas plus qu'elle ne pouvait garantir que d'autres concurrents ne s'y intéresseraient pas. Decca pensait que l'accord ne serait pas contraire au traité de Rome, puisqu'elle s'estimait pouvoir accorder à quiconque une licence de droits d'auteur . . .

Philips a fait observer qu'un accord de partage du marché avec Decca pouvait être contraire aux règles du marché commun ; elle estimait en effet que Decca aurait beaucoup de difficultés à défendre ses droits d'auteur (comme le prouvait le fait que Philips était en mesure d'obtenir toutes les données nécessaires par une étude indépendante). "

Le compte rendu de cette réunion établi par Racal Decca rapporte que " Philips a demandé quels étaient les moyens de dissuasion possibles pour écarter du marché les autres parties. Cette société reconnaît que le marché peut être lucratif pour les deux parties s'il est structuré de façon adéquate, et a demandé notre opinion ".

(33) Le compte rendu d'une réunion ultérieure du 16 novembre 1982, rédigé par Philips, indique ce qui suit :

" Solution 1 - partage du marché

1. Racal a remis à Philips un projet d'accord

. . .

2. De nouveau, Philips a souligné que son intention était de partager un monopole de fait avec Racal. Philips s'efforcera d'écarter du marché tout nouveau venu ; si cela n'est pas possible, elle insistera au moins pour partager le contrôle sur ces nouveaux concurrents. En même temps, Philips a reconnu que cette pratique pourrait être contraire au traité de Rome. Racal a toutefois soutenu que des "voies et moyens" juridiques pourraient être trouvés.

3. Philips a souligné encore une fois que, eu égard aux bonnes relations que les deux sociétés entretiennent dans l'ensemble, elle ne souhaitait pas concurrencer Racal. À la demande expresse de Racal, Philips s'est par conséquent déclarée disposée à lui laisser le marché professionnel, tout en insistant pour avoir un accès exclusif au marché des yachts, ce qui signifie que Racal devrait se retirer de ce marché. Une autre condition posée par Philips était qu'un accord éventuel ne soit contraire à aucune législation.

Soutenant que ceci était juridiquement possible, Racal a accepté de laisser le marché des yachts à Philips et de limiter les activités de Racal Decca au marché professionnel à condition qu'une méthode praticable puisse être convenue afin d'éviter les ventes croisées d'un secteur du marché à l'autre ".

(34) Lors de la réunion du 30 novembre 1982, Philips a souhaité :

1) que l'accès de tiers au marché des récepteurs de bateaux de plaisance fasse l'objet d'un accord mutuel ;

2) que l'accord comporte une exclusivité réciproque ;

3) que l'action de Racal Decca contre les envahisseurs n'affecte pas les équipements Philips ;

4) que les parties défendent mutuellement leur position

et

5) qu'il y ait un comité directeur.

(35) Un accord de licence concernant le DNS a finalement été signé le 14 janvier 1983.

Une note interne du service juridique du groupe Philips datée du 6 mars 1984, qui rend compte de la réunion du comité directeur du 1er mars 1984, rapporte que " dès la signature de l'accord de licence [la direction de Philips] a eu des doutes quant à l'existence réelle de droits de Racal Decca sur le Decca Navigator System. Ces doutes ne se sont pas dissipés au cours des quatorze mois suivant cette signature, bien au contraire ".

3) Les accords Racal Decca/AP

(36) i) L'" accord de licence relatif au Decca Navigator System conclu entre Racal Decca Navigator Limited et AP Radiotelefon As " (durée de validité : dix ans) se fondait sur le fait que " Racal a inventé, conçu et mis au point le DNS (défini ci-après) et détient des droits d'auteur et autres droits protégés (ci-après dénommés "les droits") sur le DNS ".

Les dispositions essentielles sont les suivantes :

" Racal accorde à AP le droit non exclusif par le biais d'une licence . . .

2.1.1. de reproduire et d'utiliser les droits ou toute partie de ceux-ci pour fabriquer et, uniquement sur le territoire, vendre des récepteurs pour bateaux de plaisance destinés à capter le DNS . . .

2.1.2. de céder des récepteurs pour bateaux de plaisance sur le territoire aux propriétaires de tels bateaux, ces récepteurs devant être utilisés uniquement sur des bateaux de plaisance.

. . .

2.3. AP s'engage auprès de Racal à fabriquer tous les récepteurs pour bateaux de plaisance conformément aux spécifications techniques figurant à l'annexe A. Aucune autre caractéristique n'y sera incorporée, sinon par accord mutuel entre Racal et AP, en particulier les caractéristiques non autorisées " (récepteurs déclassés).

D'après Racal Decca, les caractéristiques qui figurent à l'annexe A de l'accord (notamment les coordonnées Decca) sont importantes pour un utilisateur commercial, mais ne sont pas considérées comme importantes ou nécessaires pour un plaisancier. Les récepteurs déclassés ne répondent donc pas à toutes les conditions requises par les utilisateurs commerciaux.

" . . .

2.4. AP s'engage à conserver à compter de la date en question tout titre légal sur chaque récepteur de bateau de plaisance fabriqué par elle de la manière décrite dans le présent accord.

. . . 12.1. AP . . . attribue par écrit à Racal . . . tous les droits et titres d'AP sur chaque récepteur de bateau de plaisance cédé par elle. "

Les parties sont convenues que la " carte d'utilisateur " décrite à l'annexe C de l'accord serait utilisée pour la fourniture de chaque récepteur de bateau de plaisance. La carte d'utilisateur est un formulaire type qui doit être signé par l'acheteur (appelé l'" acheteur spécial ") d'un récepteur et par le distributeur. Elle indique que le récepteur ne doit être utilisé que sur un bateau de plaisance selon la définition qui en est donnée dans le formulaire type. L'acheteur doit préciser les caractéristiques du bateau sur lequel l'équipement doit être utilisé et certifier qu'il n'est utilisé que pour la plaisance. Cette déclaration doit être certifiée également par le distributeur. L'acheteur reconnaît la " conservation du titre " par AP. Il s'engage à ne céder l'équipement à un tiers que si ce dernier est disposé à prendre les mêmes engagements.

(37) Certaines obligations, telle celle de n'approvisionner que les plaisanciers, devaient être imposées par AP à ses distributeurs, et par ces derniers à leurs propres distributeurs, pour la " vente spéciale " aux utilisateurs finals (article 8).

(38) Quant à la transmission des signaux DNS, il était convenu qu'en cas de " modifications ultérieures " de la transmission, Racal Decca préviendrait AP au moins six mois à l'avance, en lui fournissant des informations suffisamment détaillées sur celles-ci (article 17).

(39) L'accord prévoyait également l'institution d'un comité directeur présidé alternativement par Racal Decca et AP pour examiner la situation en ce qui concerne l'accord et le DNS en général (article 13).

Racal Decca s'engageait à se concerter avec AP avant d'accorder une licence à un tiers quel qu'il soit (article 6). Racal Decca s'engageait à entreprendre le cas échéant des poursuites contre les fabricants ou les vendeurs non licenciés de récepteurs DNS (article 21). AP s'engageait à verser les dommages-intérêts à Racal Decca au cas où un récepteur de bateau de plaisance serait fourni par AP (ou ses distributeurs) à un " utilisateur non autorisé " (article 11).

(40) ii) Aux termes d'un " accord de distribution " en date du 1er janvier 1983, devant rester en vigueur aussi longtemps que l'accord de licence visé plus haut, Racal Decca était désignée comme distributeur exclusif pour le Royaume-Uni et l'Irlande des récepteurs de bateaux de plaisance fabriqués par AP. Cet accord prévoyait en outre que Racal Decca ne produirait ni ne vendrait des récepteurs concurrents pour bateaux de plaisance sans l'autorisation d'AP et qu'elle verserait à cette dernière des dommages-intérêts pour les récepteurs qu'elle fabriquerait et fournirait à des plaisanciers.

(41) iii) Aux termes d'un autre accord en date du 20 septembre 1983, qui devait rester en vigueur jusqu'au 31 décembre 1992, AP accordait à Racal Decca une licence non exclusive pour la fabrication et la distribution du récepteur commercial AP connu sous la dénomination de Mark II. Cette licence est en fait exclusive parce qu'AP s'engageait, dans une lettre annexe de même date, à ne pas fabriquer l'équipement et à ne pas accorder de licences à un tiers d'un pays quelconque aussi longtemps que les droits d'auteur et les autres droits protégés que Racal Decca détient sur le DNS seraient maintenus dans ce pays.

(42) Cet accord est complété par un autre accord aux termes duquel Racal Decca achète à AP son stock de récepteurs commerciaux.

(43) Par lettre du 21 janvier 1983 faisant part de l'accord de " licence " à ses distributeurs, AP indiquait notamment que " Racal Decca retire immédiatement son Decca Yacht Navigator du marché des bateaux de plaisance . . . " AP cessera d'approvisionner les distributeurs qui vendent les récepteurs pour bateaux de plaisance en dehors du marché des plaisanciers. Le contenu des accords a en outre été expliqué aux distributeurs AP lors d'une réunion tenue le 2 février 1983 à Copenhague. Plusieurs distributeurs ont exprimé leur désaccord et leurs doutes concernant les accords et l'existence des droits de Racal Decca.

(44) La formation du comité directeur a fait l'objet d'une réunion le 25 mai 1983 entre Racal Decca et AP. Le compte rendu indique que les parties considèrent qu'il est " absolument essentiel d'avoir des réunions régulières pour s'assurer que chacune des parties comprend bien la position de l'autre ". Le comité directeur devait débattre des aspects opérationnels et des problèmes juridiques ainsi que de questions de politique et de principe. Les ordres du jour des réunions du comité directeur comportent des questions telles que la modification des signaux de transmission, les actions en justice, les équipements concurrents et une évaluation commerciale et juridique territoire par territoire. Les comptes rendus contiennent des résumés de discussions détaillées sur les progrès réalisés par des " envahisseurs " ou des fournisseurs non titulaires de licences, et sur les actions à entreprendre et/ou déjà engagées contre eux.

(45) Le 10 novembre 1987, tous les accords conclus entre Racal Decca et AP ont été résiliés avec effet " au 1er janvier 1987 ".

b) Racal Decca - RS

1. Actions en justice intentées par Racal Decca pour s'opposer à l'accès de RS au marché

(46) En mai 1982, Racal Decca est informée par Delta Marine (à l'époque le principal distributeur de RS au Royaume-Uni) de son intention d'importer et de commercialiser le RS 4000. Le 4 juin 1982, Racal Decca s'oppose à ce projet ; elle fait valoir notamment que " DNS est un système privé géré par Racal Decca pour ses propres clients " et que " les récepteurs non-Decca portent atteinte au droit d'auteur de Racal Decca sur les fiches d'information et de données relatives au DNS ". Racal Decca informe en outre Delta Marine de son intention d'engager des actions en justice dans d'autres pays européens pour infraction au droit d'auteur et/ou pour concurrence déloyale et de ce que " les modifications visant à améliorer la transmission " faites dans le passé " seront poursuivies avec la pleine approbation du gouvernement britannique et que, par conséquent, [elle] ne considère pas qu'un récepteur non-Decca puisse être fiable alors qu'il continue à s'efforcer d'utiliser les transmissions DNS ".

(47) Un échange de lettres s'ensuit entre Racal Decca, Delta Marine et RS. Racal Decca continue à revendiquer le droit d'auteur que RS ne reconnaît pas. À la suite de l'exposition d'un RS 4000 par Delta Marine à l'exposition maritime de Londres (London Boat Show) le 6 janvier 1983, Racal Decca annonce son intention d'engager une procédure pour infraction au droit d'auteur.

(48) Racal Decca a depuis lors engagé des actions en justice dans un certain nombre de pays contre RS ou des sociétés qui importent le RS 4000, dans la plupart des cas pour concurrence déloyale au motif que les coûts supportés par Racal Decca lui infligent un désavantage sur le plan de la concurrence lorsqu'elle commercialise ses récepteurs en concurrence avec RS, ces autres sociétés ne contribuant pas à couvrir les coûts supportés par Racal Decca pour le DNS. Le Hanseatisches Oberlandesgericht de Brême, le 12 février 1985, et le Hoge Raad des Pays-Bas, le 27 juin 1986, ont tous deux rejeté cette revendication, encore que le premier ne l'ait pas rejetée au fond. Le Hoge Raad a considéré notamment que Racal Decca transmettait des signaux qui pouvaient être utilisés légalement par n'importe quel possesseur d'un récepteur approprié, lequel pouvait être fabriqué légalement à partir d'informations appartenant au domaine public.

Le Sø-og Handelsretten du Danemark a admis la plainte en concurrence déloyale présentée par Racal Decca. Toutefois, le Vestre Landsret (cour d'appel) du Danemark, rejetant une demande d'injonction de Racal Decca contre RS, a jugé le 9 décembre 1985 que " dans l'autorisation de transmission du 30 mars 1981 (accordée à Racal Decca par le gouvernement danois), il est précisé clairement que l'autorisation d'opérer des transmissions Decca à partir de ses stations situées au Danemark est subordonnée à la condition qu'elles puissent être captées par n'importe qui, quelle que soit la fabrication des récepteurs utilisés et qu'il existe ou non, dans des cas d'espèce, un accord avec Decca concernant l'utilisation des transmissions . . . Pour ce motif . . . [la cour] estime qu'il est tout à fait probable que [Racal Decca] est actuellement liée par cette condition . . . Étant donné que le droit de recevoir les transmissions Decca sans le droit de les utiliser grâce aux informations techniques nécessaires n'a aucun sens, [la cour] estime que la condition doit être interprétée en ce sens que chacun a également le droit d'utiliser les informations techniques en cause. "

(49) Lors de la réunion du comité directeur du 25 mai 1983, " Philips se montre extrêmement soucieux d'arrêter la progression de Rauff & Sørensen sur l'ensemble du marché " et est préoccupé " par l'absence d'actions en justice de Racal Decca pour empêcher l'implantation de RS sur le marché ".

(50) Un télex interne d'AP du 8 septembre 1983 rapporte, sur la base d'informations émanant de Racal Decca, que " la tactique de Racal Decca à l'égard de Rauff & Sørensen est de l'épuiser par des actions en justice engagées dans huit pays à la fois. Racal Decca a pour politique constante de poser une longue série de questions dans chaque affaire, questions qui exigent une réponse de RS, et Racal Decca espère épuiser RS par le biais de questions d'ordre juridique plutôt que la battre sur le plan légal ".

(51) Une lettre de Philips International Eindhoven à Philips Electronic Londres du 2 mars 1984 indique ce qui suit :

" Nous n'avons pas l'intention quant à nous de fournir à Racal la corde pour nous pendre. Par conséquent, nous commençons sérieusement à envisager de mettre fin à l'accord pour le motif que nous ne pensons plus que Racal Decca ait effectivement des droits sur le Decca Navigator System [étant donné]

i) l'absence de droit d'auteur pour fonder ses actions en justice au Danemark, en Allemagne et en Norvège ;

ii) le jugement prononcé sur la demande d'injonction aux Pays-Bas

ainsi que

iii) son manque de confiance évident dans sa propre capacité à stopper Rauff & Sørensen dans son procès danois, ainsi qu'il ressort de la demande qu'elle a adressée hier à AP de stopper Rauff & Sørensen . . . "

Ceci est confirmé au cours de la réunion interne de Philips du 15 mars 1984.

2. Modifications de la transmission des signaux

(52) Racal Decca a annoncé à diverses reprises des modifications des transmissions de certaines stations situées au Royaume-Uni au moyen d'une " Admiralty Notice to Mariners " et d'annonces payées par Racal Decca (21 octobre 1983, 19 avril 1984, 25 septembre 1984, 1er octobre 1984, 1er mars et 1er octobre 1985 et 12 mai 1986, les trois dernières n'ayant pas été effectuées). Ces communications et annonces ne donnent pas d'information quant à la nature des modifications, mais les annonces comportent une mise en garde explicite à l'intention des utilisateurs, selon laquelle le RS 4000 pourrait donner des résultats erronés.

Dans les actions engagées contre RS au Danemark, Racal Decca a admis que les signaux ont été modifiés pour entraîner un mauvais fonctionnement du RS 4000. Racal Decca a refusé de communiquer à RS des informations détaillées sur les modifications prévues ou déjà apportées aux signaux (lettre à RS du 21 octobre 1983), mais a indiqué qu'elle les lui fournirait si RS consentait à passer un accord de licence (télex de Racal Decca à RS du 27 septembre 1983, lettre de Racal Decca à RS du 26 septembre 1984).

(53) Fin 1983, la presse a rendu compte du tort causé par la modification des transmissions aux navigateurs utilisant l'équipement fourni par Racal Decca elle-même. Les délégués de la National Federation of Fishermen's Organisations (NFFO) ont estimé que les modifications étaient destinées à faire échec à l'utilisation d'équipements concurrents (Fishing News, 2 décembre 1983). La presse a fait état de cas où des capitaines avaient perdu leur équipement et avaient dû faire face à " des situations très dangereuses ", en raison du brouillage (Fishing News, 16 décembre 1983).

(54) Par lettre du 19 juillet 1985, dans laquelle elle soutient la plainte introduite par RS contre Racal Decca, l'association des pêcheries danoises (Dansk Fiskeriforening) a informé la Commission que la modification des signaux émis à partir du Royaume-Uni a suscité de la part des pêcheurs danois une grande méfiance à l'égard du RS 4000.

(55) Ont également fait part de leurs préoccupations à l'égard de la transmission des signaux :

- l'International Association of Lighthouse Authorities (IALA) (lettre à Racal Decca du 2 juillet 1984), qui souhaitait avoir l'assurance que toute modification future " ne sera effectuée que pour des raisons techniques réelles et après avertissement préalable des marins afin que tous les utilisateurs du système puissent en être informés à l'avance " ;

- en mars 1982 et en juin 1984, les gouvernements allemand et néerlandais, dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI) qui est une institution des Nations unies.

3) Négociations entre Racal Decca et RS

(56) Parallèlement aux procédures judiciaires et aux modifications apportées à la transmission des signaux, Racal Decca et RS ont négocié depuis mars 1983 en vue de trouver une " solution pratique ". Tout au long des négociations, il était entendu que les actions en justice seraient arrêtées si un arrangement pouvait intervenir. RS, en particulier, recherchait un accord concernant le marché des récepteurs commerciaux, mais Racal Decca ne voulait accorder de licence que pour les seuls marchés des récepteurs pour bateaux de plaisance. Racal Decca a rejeté à diverses reprises les demandes de licence pour le marché des récepteurs commerciaux que lui a présentées RS. Ultérieurement, par lettre du 9 mars 1984, Racal Decca a proposé de laisser RS produire des récepteurs commerciaux si cette société était disposée à payer un forfait annuel d'un million de livres sterling. Selon RS, cette somme représentait plus du double des bénéfices qu'elle réalisait sur le RS 4000, et l'offre a été rejetée.

En juillet 1985, Racal Decca a proposé un système qui, selon elle, aboutirait à la perception d'une redevance de 2 750 livres sterling pour un récepteur commercial (sur la base du coût, plus un élément de profit), et en octobre 1985, elle a informé RS que cette redevance pouvait être ramenée à 2 103 livres sterling jusqu'au 31 décembre 1986.

Un accord prévoyant l'interruption de toute action en justice entre les parties a été signé le 5 novembre 1987 par Racal Decca et le 4 décembre 1987 par RS.

c) Racal Decca - PE et Navstar

1) Réaction de Racal Decca à l'entrée de PE sur le marché

(57) Vers la fin de 1982, PE a mis au point un récepteur compact compatible avec DNS (601 D), qui était destiné surtout à la frange supérieure du marché des yachts, mais qui pouvait répondre aux exigences de tous les navigateurs. Cette société a également mis au point un autre récepteur (602 D) qui visait particulièrement le marché commercial.

(58) Au début de 1983, Racal Decca a enjoint à PE et Navstar de s'abstenir de fabriquer ou de distribuer des récepteurs conçus pour le DNS sous peine de poursuites pour atteinte aux droits d'auteur détenus par Racal Decca sur les DCDS (voir point 23 supra).

(59) Une action en justice a été intentée contre PE et Navstar au Royaume-Uni, et contre Navstar en Suisse, pour concurrence déloyale.

Les modifications des transmissions mentionnées plus haut qui ont été opérées par Racal Decca en 1983 et 1984 ont affecté également PE et Navstar.

2) Négociations Racal Decca - PE et Navstar

(60) Lors de l'inspection des archives commerciales de PE qu'elle a effectuée le 18 février 1986, la Commission a recueilli les informations suivantes : PE n'avait pas obtenu d'avis juridique clair quant à l'existence du droit d'auteur invoqué. Cette société a admis que Racal Decca avait le droit d'assurer le financement du DNS et a décidé de négocier un arrangement avec elle. PE et Navstar souhaitaient obtenir une licence pour le marché commercial, mais Racal Decca ne voulait accorder de licence que pour les récepteurs déclassés pour bateaux de plaisance au motif que les locations commerciales étaient nécessaires pour financer le DNS. Afin de surmonter ce problème, PE et Navstar ont proposé d'introduire dans leurs récepteurs commerciaux un circuit intégré qui cesserait automatiquement de fonctionner, par exemple, après un an. L'utilisateur devrait alors acheter un nouveau circuit intégré, ce qui assurerait des revenus constants. Racal Decca a rejeté cette suggestion en arguant qu'elle posait des problèmes logistiques et risquait de mécontenter les clients.

3) Les accords entre Racal Decca d'une part et PE et Navstar d'autre part

(61) Le 25 mai 1984, PE et Navstar ont passé avec Racal Decca trois accords qui ont été notifiés à la Commission le 14 novembre 1984.

(62) i) Aux termes de l'accord de licence fondé sur ses " droit d'auteur " et " autres droits protégés " (durée de validité : dix ans), Racal Decca accordait à PE et à Navstar une licence non exclusive en vue de fabriquer et de fournir des récepteurs pour bateaux de plaisance destinés à être utilisés uniquement sur ces bateaux, pour tous les pays sauf le Japon et l'Afrique du Sud (article 2). Ces récepteurs devaient être conformes à une liste déterminée de caractéristiques, dont l'objet était de garantir qu'ils ne présentent pas d'intérêt pour les bateaux de commerce et ne soient donc pas utilisés sur ceux-ci. PE et Navstar étaient également tenus de garder la propriété des récepteurs et de la transférer à Racal Decca (article 2 point 12). Contrairement à l'accord de licence sur les récepteurs pour bateaux de plaisance passé entre AP et Racal Decca (point 36, supra), cet accord excluait expressément toute participation de PE ou Navstar dans le contrôle, l'exploitation ou le développement du DNS et tout droit pour PE et Navstar de consulter avec Racal Decca sur toute question concernant ce contrôle, cette exploitation ou ce développement (article 29).

L'accord comporte des clauses similaires à celles de l'accord AP en ce qui concerne l'imposition aux distributeurs, jusqu'à la fourniture aux utilisateurs finals, de certaines des obligations essentielles imposées à PE-Navstar (article 8), la " carte d'utilisateur " (article 2), les modifications des transmissions (article 16) et les poursuites qui doivent être intentées par Racal Decca contre les fabricants et vendeurs " non licenciés " (article 20).

(63) ii) En vertu de l'accord de technologie (durée de validité non précisée), PE et Navstar ont vendu et transféré à Racal Decca des informations techniques et du savoir-faire portant sur les éléments de la série 600 qui concernent exclusivement le DNS. Racal Decca a également reçu de PE et de Navstar " une licence unique, exclusive et gratuite l'autorisant à utiliser d'autres informations et du savoir-faire portant exclusivement sur les récepteurs 601-602 (mais ne se rapportant pas spécifiquement à l'utilisation des signaux DNS) pour fabriquer des récepteurs destinés à capter les signaux émis par les stations du système DNS ". Il était en outre stipulé que Racal Decca n'utiliserait que des circuits intégrés fournis par PE et Navstar pour produire les récepteurs mis au point par PE et Navstar, et que, pendant une période de trois ans, Racal Decca commanderait à PE au total 1 500 récepteurs 601 D et 602 D avec les modifications éventuellement requises par Racal Decca.

(64) iii) En vertu de l'" accord de rétrocession de licence de technologie " (durée de validité non précisée), PE et Navstar recevaient de Racal Decca une licence limitée portant sur certains récepteurs à usage commercial afin de satisfaire les commandes déjà passées par des tiers.

(65) Par une lettre annexe aux accords, Racal Decca informait PE et Navstar qu'elle donnerait immédiatement instruction à ses avocats d'interrompre les actions engagées contre Navstar en Suisse et contre PE et Navstar au Royaume-Uni.

(66) En ce qui concerne l'accord de technologie et l'accord de rétrocession de licence de technologie, l'annexe IV à la notification contient une déclaration selon laquelle l'acquisition par Racal Decca de la technologie de PE et Navstar contenue dans les récepteurs DNS à usage commercial avait pour objet de permettre l'incorporation de cette technologie dans de nouveaux produits " si elle peut être avantageusement utilisée à cette fin sans compromettre les sources de revenus permanents nécessaires à Racal Decca pour maintenir le réseau de transmission DNS ".

(67) En fait, Racal Decca n'a jamais commandé à PE ou à Navstar les circuits intégrés indispensables pour mettre en œuvre l'architecture globale des récepteurs mis au point par PE et Navstar. Racal Decca n'a même jamais produit ces récepteurs ; elle a indiqué à la Commission que " cette puce ne constituait plus une base appropriée pour une conception moderne des récepteurs ".

(68) Conformément à l'" accord de technologie ", Racal Decca a acheté à PE un millier de récepteurs du type 602 D avec les modifications demandées, mais la plupart ont simplement été stockés par Racal Decca parce que, selon celle-ci, ce type de récepteur n'était pas accepté sur le marché des récepteurs commerciaux et ne pouvait donc combler le vide entre les récepteurs MK 21 et MK 30 et le nouveau MK 53 en cours de développement. Le marché des récepteurs actuellement loués ou vendus aux utilisateurs commerciaux par Racal Decca n'a donc pas été affecté par les récepteurs produits par PE. Racal Decca n'a pas accepté l'offre faite par PE de fournir de nouvelles quantités en plus des 1 500 unités à un prix de loin inférieur au prix de location annuel facturé par Racal Decca. Celle-ci a en fait indiqué qu'elle n'avait pas l'intention de placer des commandes pour le total des 1 500 unités, la question devant plutôt être résolue par voie de paiement.

(69) Par accord daté du 3 août 1987, il a été mis fin à la relation établie entre les parties par les accords passés en mai 1984.

d) Solutions envisagées par Racal Decca dans ses relations avec les autorités gouvernementales et la Commission

(70) Lors d'une réunion tenue le 12 mars 1981, Racal Decca a examiné la possibilité que le gouvernement danois rachète les stations et les récepteurs pour la fin de l'année 1982, à l'expiration de l'accord passé entre le gouvernement et la société pour l'exploitation de la chaîne au Danemark. Le gouvernement danois a également proposé une autre solution que la reprise, à savoir l'adoption d'une loi imposant aux utilisateurs de récepteurs AP d'obtenir une licence. La redevance perçue à ce titre par le gouvernement pourrait alors être transférée à Racal Decca comme contribution aux coûts de transmission supportés par cette société.

(71) Une note d'information du président de Racal Decca en date du 15 mars 1982 indique que : " au moyen d'un préavis au ministère de la défense, nous pourrions forcer les autorités danoises à nous acheter la chaîne en décembre 1983, faute de quoi la chaîne cesserait tout simplement de fonctionner . . . Si une telle action était envisagée, il faudrait d'abord déterminer avec les juristes locaux le niveau de compensation que la société obtiendrait ".

(72) Une réunion a eu lieu le 15 septembre 1982 entre des représentants de Racal Decca et des fonctionnaires du ministère danois de la défense pour examiner l'utilisation de récepteurs DNS sur les chaînes danoises de Racal Decca. Racal Decca a déclaré qu'elle " souhaitait évidemment continuer à exploiter le système, mais que les événements actuels, s'ils restaient inchangés, la mettraient dans une situation impossible ". Au cours de cette période, Racal Decca s'est efforcée non de persuader le gouvernement danois de reprendre les chaînes, mais plutôt de l'amener à approuver l'action menée par Racal Decca contre des concurrents, à savoir la modification des transmissions (voir le compte rendu de Racal Decca de juin-septembre 1982). L'accord avec les autorités danoises a été renouvelé par la suite pour expirer le 1er juillet 1987.

(73) Racal Decca a examiné l'option consistant à persuader le gouvernement britannique d'acheter les chaînes britanniques et d'en reprendre les coûts d'exploitation et d'entretien (note d'information du 15 mars 1982 mentionnée au point 71). Toutefois, selon les déclarations de Racal Decca quant à la position du gouvernement britannique, " il était également improbable qu'une décision de reprendre les chaînes serait arrêtée jusqu'à ce qu'il soit commercialement impossible à Racal Decca de continuer ". Racal Decca n'a pas démontré aux autorités britanniques qu'il lui était commercialement impossible de continuer.

(74) Lors d'une réunion avec des fonctionnaires de la Commission tenue le 11 juillet 1986, des représentants de Racal Decca ont proposé, entre autres solutions, que les signaux émis du Royaume-Uni soient codés de façon à n'être utilisables que par les personnes autorisées en possession d'un décodeur fourni par des fournisseurs " sélectionnés agréés ". Quatre possibilités ont été envisagées à cet égard : a) poursuivre les accords de licence ; b) tenter de passer des accords avec le gouvernement britannique pour obtenir que celui-ci finance les coûts d'exploitation des chaînes britanniques ; c) coder les signaux de transmission ; ou d) arrêter les transmissions de toutes les chaînes que Racal Decca possède et exploite.

Les fonctionnaires de la Commission ont indiqué à Racal Decca que a) n'était pas acceptable, que b) ou c) serait acceptable et que d) était une décision relevant exclusivement de Racal Decca. Cette société prétend que, lors d'une réunion avec des fonctionnaires du gouvernement britannique, elle aurait été informée que l'encryptage des signaux ne serait pas admissible.

Procédure

a) Notifications

(75) Racal Group Services a notifié à la Commission :

- le 20 mai 1983, l'accord de licence passé avec AP (points 36 à 39 ci-dessus),

- le 14 novembre 1984 : les autres accords avec AP (points 40 à 42) et ses accords avec PE et Navstar (points 61 à 66 ci-dessus).

b) Plaintes

(76) La Commission a reçu le 21 décembre 1983 une plainte émanant d'une association allemande de pêche, Landesfischereiverband Schleswig-Holstein, concernant l'accord de licence passé entre Racal Decca et AP. La Commission a reçu les 26 février et 9 avril 1985 d'autres plaintes de RS, laquelle invoquait un abus de la position dominante de Racal Decca. Ces plaintes ont été appuyées par l'association des pêcheries danoises (Dansk Fiskeriforening) par lettre du 19 juillet 1985.

c) Article 15 paragraphe 6 du règlement n° 17

(77) Le 6 décembre 1984, la Commission a informé Racal Decca qu'elle entendait prendre une décision au titre de l'article 15 paragraphe 6 du règlement n° 17 au motif que l'accord principal constituait une infraction à l'article 85 paragraphe 1 du traité, et que l'application de l'article 85 paragraphe 3 ne se justifiait pas.

Dans leurs réponses, les parties ont fait valoir que les restrictions étaient indispensables à l'entretien du DNS, qui exigeait des revenus permanents.

(78) La procédure engagée au titre de l'article 15 paragraphe 6 n'a pas été poursuivie, la Commission ayant reçu une plainte pour infraction à l'article 86 (voir point 76 supra). Les résultats des enquêtes ultérieures ont confirmé que l'affaire avait une portée plus large qu'on ne l'avait initialement envisagé dans le cadre de la procédure engagée au titre de l'article 15 paragraphe 6.

d) Communication des griefs

(79) Le 19 octobre 1987, la Commission a communiqué ses griefs aux entreprises en cause dans la présente procédure. Ces entreprises ont fait connaître par écrit leur point de vue sur les griefs retenus contre elles, conformément à l'article 3 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, PE le 7 janvier 1988, AP et Philips le 29 février 1988 et Racal Decca le 1er mars 1988.

Toutes les entreprises en cause ont renoncé à développer leur point de vue oralement en application de l'article 7 dudit règlement.

e) Participation effective des groupes dans l'affaire

(80) Les sociétés mères ou d'autres filiales des groupes en cause (notamment Racal Group Services Limited) non seulement connaissaient les activités en cause dans la présente affaire mais y ont aussi participé à l'occasion de relations intergroupes, de contacts avec des tiers et de contacts avec la Commission.

II. APPRÉCIATION JURIDIQUE

(81) Racal Decca a enfreint les dispositions des articles 85 et 86. AP, PE et Navstar ont enfreint les dispositions de l'article 85.

(82) Chacun des trois groupes Racal Electronics, Philips et PE est considéré comme une seule entreprise aux fins de la présente procédure. Les sociétés mères et certaines filiales ont participé aux activités en cause. Le fait que les sociétés mères aient le contrôle de leurs filiales suffit en tout état de cause pour que les groupes soient considérés comme des entreprises uniques. Partant, chacun de ces groupes est tenu pour responsable des infractions aux articles 85 et/ou 86 et est le destinataire approprié de la présente décision.

Article 86

Le marché des services et le marché des produits en cause

(83)Les signaux radio DNS ne sont pas, quant à leurs caractéristiques et leur utilisation, réellement interchangeables avec d'autres signaux radio, et plus généralement, avec d'autres aides à la navigation (par exemple les cartes et les compas)(voir point 7 supra).

a) Sur le marché géographique concerné (voir point 88 infra), certains bateaux de commerce et navires de guerre ont besoin, pour la navigation hauturière et/ou à longue distance ou pour repérer les zones de pêche ou retrouver des positions de pêche, de déterminer leur position avec un degré de précision que seul le DNS peut assurer. Racal Decca a fait mention d'autres types de signaux radio, mais ceux-ci soit n'ont pas la même précision, soit ne sont pas suffisamment disponibles pour ces utilisations sur le marché géographique en cause parce que leur couverture géographique ou leur portée de transmission est insuffisante.

b) Les propriétaires de récepteurs compatibles seulement avec le DNS installés à bord d'autres catégories de bateaux, notamment les plaisanciers, ne peuvent utiliser d'autres signaux que s'ils achètent ou louent des récepteurs autres que ceux compatibles avec le DNS. Ils ne le feront normalement que vers la fin de la durée de vie du récepteur DNS.

(84) Comme il n'y a pas, pour un nombre considérable d'utilisateurs, d'interchangeabilité réelle avec d'autres services ou produits, la transmission de signaux DNS constitue un marché de services distinct.

(85) Pour les types de navigation mentionnés ci-dessus, les récepteurs compatibles avec le DNS (non déclassés) ne sont, quant à leur utilisation et à leurs caractéristiques, absolument pas interchangeables avec d'autres récepteurs pour les raisons indiquées plus haut, notamment que la transmission des signaux DNS n'est pas interchangeable avec la transmission d'autres signaux.

Les récepteurs compatibles avec le DNS destinés à une utilisation commerciale (ci-après dénommés " récepteurs commerciaux ") constituent par conséquent un marché de produits distinct.

Racal Decca a allégué que le DNS est un système constitué de différents éléments (stations de transmission, signaux et récepteurs) qui ne peuvent être considérés séparément du point de vue économique. Toutefois, l'existence de deux marchés différents, celui des services DNS et celui des récepteurs commerciaux DNS, ne peut guère être réfutée à l'aide des arguments avancés par Racal Decca, et ce pour les motifs suivants :

Le marché des transmissions DNS

(86) a) Racal Decca soutient que les seules transmissions DNS sans récepteur compatible DNS n'ont aucune valeur en tant qu'aide à la navigation. Toutefois, ceci n'a pas empêché le développement d'une demande séparée pour les récepteurs DNS, et par conséquent, d'un approvisionnement distinct pour ces récepteurs, en concurrence avec ceux de Racal Decca.

Le fait que, au Danemark et au Royaume-Uni, la transmission DNS ne soit pas assurée séparément des récepteurs Racal Decca ne constitue pas une donnée économique objective, mais tient à un refus délibéré de Racal Decca. Cet élément subjectif ne peut intervenir dans la définition du marché, laquelle ne peut se fonder que sur des critères objectifs. Contrairement aux allégations de Racal Decca, l'élément " prix ", qui est une caractéristique du marché, n'est pas absent pour des raisons objectives, mais en raison de ce comportement. Ainsi qu'il est démontré au point 113, Racal Decca avait effectivement les moyens d'obtenir le paiement de la fourniture des signaux. D'ailleurs, Racal Decca a motivé son refus de fournir des signaux DNS séparément de ses récepteurs par l'impossibilité d'obtenir une rémunération (appelée par elle " contribution aux coûts " mais comprenant, en fait, un élément de profit). Le propre comportement de Racal Decca implique la reconnaissance de l'existence d'un marché séparé pour les transmissions DNS.

L'absence de contact direct entre Racal Decca et ses utilisateurs est sans portée dans la mesure où cette société pouvait obtenir une rémunération indirecte, notamment par les moyens indiqués aux points 74 et 113.

Enfin, dans d'autres pays, les transmissions DNS sont assurées par l'État et donc séparément des récepteurs. Ceci confirme l'existence d'un marché distinct pour les transmissions, étant donné que la définition d'un marché ne peut être subordonnée à la nature publique ou privée des fournitures et/ou à l'existence d'un service public.

b) Dans le rapport sur l'importance du DNS au Danemark (voir point 12 supra), il est question du service et de son utilisation générale, et non d'un système dans lequel les signaux DNS et les récepteurs DNS Decca seraient inséparables. La cour d'appel danoise a confirmé ce point de vue (voir point 48 supra).

Le marché des récepteurs commerciaux DNS

(87) En ce qui concerne les récepteurs, non seulement les fabricants, mais également Racal Decca se sont comportés comme si ces appareils constituaient un marché séparé ou à tout le moins une arène économique où il fallait soutenir la concurrence, ainsi qu'il ressort des faits suivants :

i) Racal Decca elle-même a commencé à commercialiser des récepteurs multifonctions qui sont compatibles avec DNS, Loran C, Omega et Transit. Ce type de récepteur ne dépend pas totalement de l'un de ces systèmes et peut entrer en concurrence avec tout autre récepteur compatible avec chacun de ceux-ci bien que les systèmes eux-mêmes ne soient pas interchangeables (voir point 15 supra).

ii) Lors de la réunion interne de Racal Decca du 12 mars 1981, le président a proposé de vendre les récepteurs au meilleur prix possible afin de maintenir la part de marché de la société (voir point 21 supra).

Le marché géographique en cause

(88) Le marché géographique concerné pour le service DNS était la partie de la Communauté où étaient reçus les signaux transmis à partir du Royaume-Uni jusqu'au 1er avril 1987, et à partir du Danemark jusqu'à juillet 1987. Il s'agit d'une zone géographique où i) le comportement incriminé s'est manifesté et ii) les conditions de concurrence étaient similaires pour le service fourni.

Dans cette zone, les conditions de concurrence étaient similaires car :

- le service DNS était fourni par une entreprise et non par une autorité publique,

- les utilisateurs de bateaux de commerce ne pouvaient, dans la plupart des régions de cette zone, recevoir des signaux interchangeables avec le DNS ou des signaux DNS transmis par d'autres chaînes.

(89) Cette zone constitue une partie substantielle du marché commun. Les chaînes DNS au Royaume-Uni et au Danemark représentent environ 20 % des chaînes DNS qui transmettent des signaux DNS dans la Communauté.

(90) En ce qui concerne les récepteurs commerciaux, le marché géographique en cause est la Communauté. Dans cette zone, les conditions de concurrence sont similaires pour tous les concurrents. Comme les autres récepteurs, les récepteurs commerciaux sont ou peuvent être commercialisés dans la plupart des États membres, que les signaux DNS y soient reçus ou non (point 7).

La position dominante

(91) Racal Decca a occupé une position dominante i) sur le marché des signaux DNS jusqu'en avril 1987 au moins, et ii) sur le marché des récepteurs commerciaux, dans les zones géographiques concernées telles que définies ci-dessus. La puissance économique de cette société la mettait à même d'empêcher le maintien d'une concurrence effective sur chacun de ces marchés du fait qu'elle lui permettait de se comporter, dans une très large mesure, indépendamment de ses concurrents et de ses clients.

(92) La position dominante de Racal Decca résulte des facteurs ci-après.

En ce qui concerne le marché de la transmission des signaux DNS

i)Racal Decca était le seul fournisseur de signaux DNS (point 9) ; ii) Racal Decca n'avait pas de concurrent potentiel en raison de l'importance des entraves administratives et financières existantes(point 8).

(93) Racal Decca a fait valoir qu'elle n'avait pas de clients pour la transmission de signaux DNS, qui n'est pas un marché, et que, en tout état de cause, elle ne pouvait pas agir indépendamment de ceux-ci étant donné qu'elle n'avait aucun moyen efficace de contrôler, et encore moins d'obtenir d'eux par la contrainte, un paiement direct. Toutefois, étant seul fournisseur de signaux DNS, Racal Decca pouvait agir indépendamment des clients, c'est-à-dire des utilisateurs de ces signaux, en ce qui concerne les investissements, la production et également le prix, puisqu'elle avait les moyens d'obtenir une rémunération au moins par l'encryptage des signaux (points 74 et 113), système sur lequel les clients, c'est-à-dire les utilisateurs, n'avaient aucune influence. Le fait que le paiement ne pouvait être obtenu directement est sans importance.

(94) En tout état de cause, les utilisateurs des signaux DNS qui ne pouvaient y substituer d'autres services ou produits dépendaient de leur unique fournisseur. Ceci suffit pour établir que Racal Decca détenait une position dominante à l'égard desdits clients, indépendamment de la définition d'un marché de la transmission des signaux DNS.

Le marché des récepteurs commerciaux

(95) Le marché comprend la totalité des récepteurs commerciaux compatibles avec le DNS, qu'ils soient vendus ou loués. Racal Decca détenait un monopole légal sur ces récepteurs, protégé par brevets. Après l'expiration des brevets, Racal Decca a occupé un quasi-monopole de fait jusqu'en 1982.

(96)Pour les années 1982 à 1987, les parts de marché de Racal Decca suffisaient en elles-mêmes à conférer à Racal Decca une position dominante, laquelle était renforcée par le fait que cette société était le fournisseur exclusif des signaux. Les arguments contraires avancés par Racal Decca ainsi que la position de la Commission à cet égard sont exposés ci-après.

i) D'après Racal Decca, les chiffres des locations et des ventes devraient être traités de façon différente. Les ventes ont un effet sur la concurrence au stade de la location (mais non des ventes) non seulement l'année de la vente, mais également les années suivantes. C'est pourquoi les ventes des concurrents de Racal Decca devraient être additionnées à celles des années précédentes pour déterminer le nombre total de ces récepteurs sur le marché chaque année.

D'après la Commission, la méthode qui consiste à mesurer chaque année la puissance commerciale de l'entreprise concurrente pour les récepteurs commerciaux DNS permet de déterminer l'évolution de cette puissance pour la période considérée. À cet effet, il convient de constater la demande par année et la part de celle-ci qui est couverte par chaque entreprise. En l'espèce, cette demande émane non seulement de nouveaux utilisateurs de récepteurs commerciaux DNS, mais également de ceux qui louent ces équipements à Racal Decca, à l'expiration de leurs contrats. En tout état de cause, les parts de marché en valeur, pour lesquelles ce problème ne se pose pas, confirment la position dominante de Racal Decca.

ii) Racal Decca a fait valoir que la Commission ne peut conclure à l'existence d'une position dominante sans examiner le nombre d'utilisateurs pour lesquels il n'y a d'autre choix que les récepteurs commerciaux DNS.

Une telle enquête, même si elle était réalisable dans des délais raisonnables et susceptible de produire des résultats fiables (ce que la Commission conteste), apparaît inutile et même hors de proportion avec l'objet de la présente procédure. En effet, le nombre de bateaux de commerce pour lesquels le DNS peut être remplacé par d'autres aides à la navigation est de toute façon faible. Un jour ou l'autre, les bateaux de commerce font de la navigation hauturière ou passent dans la Manche, zones dans lesquelles ils n'ont d'autre choix que le DNS, et les bateaux de pêche qui utilisent le DNS s'efforcent de retrouver des positions de pêche ou de déterminer la route du bateau, usages pour lesquels il n'existe pas de substitut au DNS.

Dans le mémoire qu'elle a envoyé à la Commission le 4 mars 1985, en réponse à l'annonce que celle-ci allait prendre une décision au titre de l'article 15 paragraphe 6 du règlement n° 17, Racal Decca elle-même a déclaré que

" 3.19. Les utilisateurs marins des récepteurs DNS peuvent être classés en deux grandes catégories. - Les utilisateurs commerciaux - pour un grand nombre desquels une aide à la navigation telle que le DNS est pratiquement indispensable . . . "

Les conceptions défendues par Racal Decca aboutiraient à une légère réduction de sa part de marché ; celle-ci resterait de toute façon suffisante pour lui conférer une position dominante.

L'abus de position dominante

(97) Les actes suivants ont constitué des abus de la position dominante de Racal Decca et, partant, une infraction aux dispositions de l'article 86 :

a) les pratiques qui ont entraîné les accords, y compris la conclusion de l'ensemble des accords eux-mêmes passés avec AP d'une part et PE-Navstar d'autre part ;

b) les modifications apportées aux signaux dans le but d'entraver le fonctionnement des récepteurs concurrents.

(98) Par ce comportement, Racal Decca visait à protéger la position de monopole qu'elle occupait pour les récepteurs à usage commercial.

Par les accords visés sous a), Racal Decca entendait exclure du marché des récepteurs commerciaux les concurrents avec lesquels elle passait ces accords. Par le comportement visé sous b), elle exerçait une action d'obstruction et de coercition sur les concurrents qui se refusaient à passer de tels accords.

(99) Ce faisant, Racal Decca a abusé de sa position dominante, non parce qu'elle défendait celle-ci, mais parce que les actes auxquels elle a recouru pour ce faire allaient au-delà d'un comportement compétitif normal. Un comportement compétitif normal aurait consisté à entrer en concurrence avec les nouveaux venus sur le marché des récepteurs commerciaux par le prix, la qualité et le service après-vente. De plus, le comportement de Racal Decca a porté préjudice aux utilisateurs en ce qu'il a limité leur liberté de choix sur ce marché.

a) Les accords avec AP et avec PE-Navstar

(100) Les accords passés avec AP ont eu globalement pour objet et pour effet de répartir les débouchés pour les récepteurs commerciaux et pour les récepteurs pour bateaux de plaisance entre les parties à l'accord. En convenant de ne pas se faire de concurrence réciproque et en s'obligeant, pour Racal Decca, à consulter AP avant d'accorder une licence à un tiers, Racal Decca

i) s'est réservée le marché des récepteurs commerciaux

et

ii) a donné à l'autre partie, sans exclusivité, une protection substantielle contre la concurrence dans les ventes de récepteurs compatibles DNS destinés à être utilisés uniquement à bord de bateaux de plaisance.

Les accords passés avec PE-Navstar ont eu globalement le même objet et le même effet que ceux visés sous i).

(101) Le progrès technique et économique était sévèrement limité par les accords avec AP et PE-Navstar. Ces accords éliminaient toute concurrence innovatrice pour les récepteurs commerciaux et réduisaient cette concurrence pour les récepteurs pour bateaux de plaisance en obligeant AP et PE à ne fournir que des caractéristiques de classe inférieure.

(102) Le fait que les accords passés par Racal Decca avec AP et avec PE-Navstar avaient l'objet et l'effet décrits ci-dessus est confirmé par ce qui suit :

a) Le contenu même des divers accords en cause, et en particulier parce que les dispositions suivantes visaient à une répartition des marchés (points 36 à 44 et 61 à 66) :

i) l'obligation faite à AP et PE-Navstar de restreindre leurs ventes aux seuls récepteurs pour bateaux de plaisance ;

ii) l'obligation de Racal Decca de ne pas fabriquer ni vendre de récepteurs pour bateaux de plaisance, sauf en tant que distributeur de récepteurs AP ;

iii) les spécifications (déclassement) qui assuraient un contrôle aisé de la répartition du marché en rendant les récepteurs pour bateaux de plaisance AP et PE-Navstar pratiquement inutilisables pour au moins une large part des utilisateurs commerciaux ;

iv) la conservation de la propriété des récepteurs fournis par AP et PE-Navstar comme moyen de reprendre possession de tout récepteur pour bateaux de plaisance qui serait tombé aux mains d'un utilisateur prétendument non autorisé ;

v) l'obligation de Racal Decca de verser des dommages à AP pour les récepteurs commerciaux Racal Decca fournis à des bateaux de plaisance.

(103) b) Au cours des négociations, les parties aux accords Racal Decca et AP ont parlé elles-mêmes de " diviser les marchés ", et certaines déclarations figurant dans les comptes rendus des réunions qu'elles ont tenues au cours des négociations prouvent que telle était bien leur intention réelle (points 31 à 34). Cette intention a également été confirmée par AP à ses distributeurs (point 43).

- Droits d'auteur et autres droits de propriété

(104) En dépit de la dénomination " accord de licence ", la substance des accords principaux passés par Racal Decca avec AP d'une part et PE-Navstar d'autre part est sans rapport avec un véritable accord de licence. Certes, le préambule de ces accords stipule que Racal Decca " détient des droits d'auteur et autres droits protégés ", qui ne sont toutefois pas définis de manière plus précise.

Or, en ce qui concerne ces " autres droits protégés ", Racal Decca ne détient plus de droits de propriété industrielle, ses brevets ayant expiré. Elle ne saurait détenir, ni ne détient, d'autres droits protégés, attendu qu'il n'existe pas de propriété légale sur la transmission des signaux, qui est un service ; un tel droit de propriété ne peut exister que sur l'équipement, c'est-à-dire les chaînes. On ne voit donc pas sur quels droits protégés la licence se fonde. En ce qui concerne les droits d'auteur revendiqués par Racal Decca, il n'est pas nécessaire de déterminer si ces droits existent réellement. La substance du droit d'auteur invoqué ne justifie pas un accord comportant des restrictions de concurrence d'une telle portée. En tout état de cause, l'objet de ces accords est de répartir les marchés. Le principe établi à l'égard des marques de commerce dans l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 30 janvier 1985 dans l'affaire 35-85, BAT Cigaretten-Fabriken GmbH/Commission (Recueil de la jurisprudence de la cour, 1985, page 375) s'applique également à la présente espèce en ce qui concerne le droit d'auteur. Le système communautaire de concurrence ne permet pas de faire un usage abusif des droits conférés par la législation nationale en matière de droits d'auteur pour tourner les règles de concurrence communautaires.

(105) Racal Decca soutient qu'elle avait " des raisons commerciales parfaitement légitimes pour invoquer la protection du droit d'auteur ", notamment en veillant " à ce que les contrevenants passent des accords prévoyant une contribution adéquate au coût des chaînes DNS ", et que " le problème essentiel était de s'assurer un financement adéquat pour l'exploitation et l'entretien des parties du DNS appartenant à Racal Decca et exploitées par celle-ci à ses propres frais. Le fait que Racal Decca ait eu ou non des droits était sans rapport avec ce besoin ". Ceci confirme que l'objet et les effets des accords n'étaient pas ceux d'un accord de licence normal, mais ceux visés au point 98.

(106) Les autres parties aux accords avaient également des doutes quant à la validité des motifs justifiant les droits de Racal Decca (points 50, 51 et 60). Elles ont été incitées à passer des accords avec Racal Decca surtout sous la pression des modifications des signaux opérées par Racal Decca, mais également par l'intérêt commercial d'un partage des marchés (points 30 à 34). En particulier, ces doutes ont incité AP à envisager sérieusement de mettre fin aux accords (points 50 et 51).

(107) Après la conclusion des accords entre Racal Decca et AP en 1983, plusieurs distributeurs d'AP étaient également peu convaincus de la validité des droits d'auteur de Racal Decca (point 43).

b) Les modifications des signaux DNS

(108) Les modifications des signaux DNS étaient abusives en ce qu'elles ont été faites délibérément de manière à entraîner un mauvais fonctionnement des appareils vendus par des concurrents non licenciés. Cette intention est attestée par les faits suivants :

- Lors de l'entrée d'AP sur le marché, Racal Decca a modifié les signaux pour se défendre contre AP (points 24 et 27), cette mesure étant " le meilleure méthode pour empêcher les ventes d'AP " (point 25) parce qu'elle constituait sa " meilleure arme " (point 27).

- Cette modification des siganux a été utilisée comme argument dans les lettres adressées par Racal Decca à RS pour décourager cette société de pénétrer sur le marché (point 46), et lorsqu'elle a effectivement été mise en œuvre, Racal Decca a adressé aux utilisateurs une mise en garde expresse contre l'imprécision des récepteurs RS 4000 qui en résulterait (point 52).

- Dans l'action intentée contre RS au Danemark, Racal Decca a admis la raison réelle des modifications (point 52), ainsi que dans sa réponse à la communication des griefs.

(109) Les modifications ont donné lieu à diverses reprises à des plaintes de clients (y compris d'utilisateurs d'appareils Racal Decca), ainsi que de gouvernements au sein de l'OMI et de l'International Association of Lighthouse Authorities, qui ont souligné l'objet réel de ces modifications (points 53, 54 et 55).

(110) Ces modifications ont entraîné les effets recherchés et des pertes pour les clients (point 53). Un rapport de Philips sur les contre-mesures qui pourraient être prises, conclut que l'adaptation de l'appareil au moyen du logiciel prendrait au moins deux mois à compter de la modification des signaux (point 29). L'attrait d'un récepteur de radionavigation qui risquerait de mal fonctionner pendant deux mois après une modification des signaux ne peut qu'être fortement réduit.

La contribution aux coûts du DNS demandée par Racal Decca

(111) Racal Decca soutient :

i) qu'elle avait besoin de sommes très importantes pour exploiter le DNS

et

ii) qu'elle a dû maintenir ses revenus annuels tirés de la location de ses propres récepteurs DNS pour couvrir le coût des transmissions.

(112) La Commission admet que Racal Decca, qui fournissait un service, n'était prête à le faire que si elle pouvait obtenir un prix couvrant les coûts de ce service ainsi qu'un bénéfice raisonnable. Toutefois Racal Decca, qui occupait une position dominante pour ce service, n'avait pas le droit d'utiliser à cet effet des moyens contraires aux dispositions de l'article 86 dès lors que leur objet et/ou leur effet était :

- de garder ou de renforcer sa position dominante pour les récepteurs DNS commerciaux d'une manière qui restreint la concurrence,

- de limiter l'accès de tiers au marché des récepteurs DNS commerciaux ainsi que la liberté de choix du consommateur.

(113) Aucune entreprise n'a le droit d'assurer la poursuite de ses activités par des moyens qui enfreignent la législation existante, notamment le droit de la concurrence. C'est pourquoi le comportement critiqué reste abusif, même s'il n'y avait pas d'autre solution que de cesser de fournir et d'abandonner le marché des transmissions DNS. Toutefois, Racal Decca pouvait recourir à d'autres moyens pour obtenir un prix raisonnable pour la transmission des signaux. Le problème était limité à la récupération des coûts de fonctionnement des chaînes au Royaume-Uni et au Danemark. Dans d'autres États membres, les chaînes fonctionnaient déjà sans aucun coût pour Racal Decca. Celle-ci pouvait au moins recourir aux autres solutions suivantes :

a) la reprise de la chaîne par l'État, ce qui était déjà fait dans la plupart des pays et aurait permis à Racal Decca de poursuivre les opérations pour lesquelles elle pouvait obtenir une rémunération (l'exploitation des chaînes et la vente des récepteurs DNS). Toutefois, jusqu'à 1986, Racal Decca n'a pas poursuivi cette possibilité aussi loin qu'elle l'aurait pu ni pour le Royaume-Uni, ni pour le Danemark (points 70 à 74) ;

b) la proposition faite par PE en 1984 d'insérer un circuit intégré (un décodeur) renouvelable annuellement pour assurer à Racal Decca des revenus permanents n'a pas été acceptée (point 60), mais Racal Decca a présenté une proposition analogue aux services de la Commission en 1986 après que ceux-ci eurent formulé officieusement des griefs à l'égard de son comportement (point 74).

L'allégation de Racal Decca selon laquelle des fonctionnaires du gouvernement britannique ne considéraient pas l'encryptage comme une solution souhaitable ne suffit pas pour établir, faute d'autres éléments de preuve, que cet avis a) était définitif, b) était contraignant et c) ne pouvait être modifié, par exemple en proposant des variantes à la solution de base. En outre, Racal Decca a fait valoir que l'encryptage aurait produit le même résultat que la modification des transmissions, considérée comme abusive par la Commission, à savoir le mauvais fonctionnement des récepteurs " non contributifs ". Cet argument n'est pas fondé étant donné que la façon d'obtenir les mêmes résultats est différente. Dans le cas de l'encryptage, le procédé revient à obtenir un prix accepté par contrat par l'utilisateur pour un appareil présentant certaines caractéristiques. Dans l'autre cas, un comportement non contractuel a provoqué des dommages à des appareils achetés en toute légitimité et de bonne foi sur le marché et avait également pour objet de monopoliser le marché des récepteurs commerciaux.

Effets de l'abus

(114) Les effets de ce comportement abusif sont considérables, notamment parce que les mesures d'accompagnement visant à renforcer la répartition du marché concernent également les distributeurs indépendants et affectent donc directement les utilisateurs (conservation de la propriété, cartes d'utilisateur prévues dans les accords passés par Racal Decca avec AP et PE-Navstar). Le succès des pressions exercées par la modification des transmissions est démontré par l'importante réduction de la part de marché de RS à partir de 1983 (année suivant le début de l'infraction) jusqu'en 1986 inclus, où elle a remonté après que l'infraction eut pris fin (point 19).

Le commerce entre États membres

(115) Les récepteurs de bateaux de commerce et de plaisance font l'objet d'un commerce dans l'ensemble de la Communauté. La diminution des ventes de récepteurs pour bateaux de commerce et de plaisance qui résulte du comportement abusif de Racal Decca est donc de nature à affecter les échanges entre États membres.

(116) De plus, le comportement de Racal Decca a également pour effet de modifier les conditions de la concurrence à l'intérieur de la Communauté. Il a en effet une incidence sur les investissements, les capacités de production et, partant, le nombre et l'impact des concurrents. Le commerce entre États membres en est donc affecté.

Article 85

(117) Les accords notifiés

a) entre Racal Decca et AP

et

b) entre Racal Decca et PE-Navstar

constituent des infractions aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1.

(118) Les groupes d'accords visés sous a) et sous b) ont ensemble pour objet et pour effet de restreindre la concurrence. Ils prévoient une répartition des débouchés et de la clientèle (points 100 à 103).

a) Les accords passés entre Racal Decca et AP éliminent la concurrence d'AP pour la fourniture de récepteurs commerciaux et celle de Racal Decca pour la fourniture de récepteurs destinés aux bateaux de plaisance ;

b) les accords passés entre Racal Decca et PE-Navstar éliminent la concurrence de PE-Navstar pour les récepteurs commerciaux.

(119) Les effets restrictifs de ces accords sont renforcés,

i) pour les accords passés entre Racal Decca et AP :

- par la conservation de la propriété, son transfert à Racal Decca et la carte d'utilisateur,

- par l'obligation faite à AP d'empêcher ses distributeurs d'approvisionner des utilisateurs commerciaux,

- par l'obligation de Racal Decca de verser des dommages à AP pour les récepteurs commerciaux Racal Decca fournis à des plaisanciers,

- par l'engagement de Racal Decca de consulter AP au sujet de tout tiers auquel Racal Decca envisagerait d'accorder une licence,

- par l'établissement du comité directeur,

- par l'obligation pour Racal Decca d'intenter des actions contre les fournisseurs non licenciés ;

ii) pour les accords passés entre Racal Decca et PE-Navstar :

- par la conservation de la propriété et son transfert à Racal Decca et par la carte d'utilisateur,

- par l'obligation pour PE-Navstar d'empêcher ses distributeurs d'approvisionner des utilisateurs commerciaux,

- par l'obligation de Racal Decca d'intenter des actions contre les fournisseurs non licenciés.

Effets des accords

(120) Le progrès technique et économique est fortement limité pour les raisons exposées au point 101. Les effets des accords atteignent aussi les distributeurs et affectent directement la clientèle (conservation de la propriété, carte d'utilisateur).

Commerce entre États membres

(121) Le commerce entre États membres est affecté pour les raisons exposées aux points 115 et 116.

Article 85 paragraphe 3

(122) Étant donné que tous les accords en cause découlent d'un abus de position dominante en infraction avec l'article 86, ils ne peuvent bénéficier de l'application de l'article 85 paragraphe 3, que ce soit en vertu d'une exemption individuelle ou en vertu d'une exemption générale par voie de règlement.

(123) En tout état de cause, les accords notifiés passés entre Racal Decca et AP d'une part et PE-Navstar d'autre part, considérés ensemble, ne rempliraient pas les conditions de l'article 85 paragraphe 3.

(124) Ces accords ne contribuent pas à améliorer la production ou la distribution des produits ni à promouvoir le progrès technique ou économique. Au contraire, ces accords ont pour objet et pour effet de garantir qu'aucun récepteur compatible avec DNS ne puisse être fabriqué ni distribué par les parties sans le consentement de Racal Decca (point 100 ci-dessus).

(125) L'une des conditions n'étant pas remplie, il est superflu d'examiner si les autres seraient applicables. De toute façon, les autres conditions ne sont pas non plus remplies. Les accords ne comportent aucun avantage pour les consommateurs. Ils restreignent le choix des utilisateurs de récepteurs commerciaux. Ils réduisent en outre l'approvisionnement en récepteurs pour bateaux de plaisance quant au nombre de concurrents (un fournisseur potentiel tel que Racal Decca ne peut pénétrer sur ce marché) et quant à la qualité (les plaisanciers ne pouvant obtenir que des versions déclassées).

(126) La restriction de la concurrence n'est pas indispensable, contrairement aux allégations de la société en cause, pour financer les transmissions DNS et donc pour assurer le maintien de ce service. Il existait d'autres solutions dont il n'est pas prouvé qu'elles n'auraient pas pu être appliquées en l'espèce.

(127) Les accords en question donnent aux parties la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. À la suite des accords passés avec AP et PE-Navstar, toute concurrence de ces sociétés a été éliminée dans le domaine des récepteurs commerciaux, et à la suite de l'accord passé avec AP, toute concurrence de Racal Decca dans le domaine des récepteurs pour bateaux de plaisance a été effectivement exclue. Les accords avec AP ont également accru la possibilité pour les parties de limiter la concurrence de tiers du fait de l'obligation faite à Racal Decca d'intenter des actions en justice contre les " envahisseurs ".

Racal Decca a allégué que l'accord de distribution exclusive avec AP était conforme au règlement n° 67-67-CEE de la Commission, du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords d'exclusivité (4). Sans préjudice du point 122, étant donné que cet accord avait des effets incompatibles avec l'article 85 paragraphe 3, ainsi qu'il a été démontré plus haut, il ne pouvait bénéficier de l'application du règlement.

Article 90 paragraphe 2

(128) Cette disposition, qui autorise une dérogation aux règles du traité, ne peut être invoquée en l'espèce pour exclure l'application des articles 85 et 86. Suivant l'arrêt rendu par la cour de justice dans l'affaire BRT/Sabam (5), a) la définition des entreprises autorisées à bénéficier de cette disposition doit être étroite et b) l'application de la dérogation postule que les entreprises en cause soient chargées d'un service d'intérêt économique général par un acte souverain de l'autorité publique. L'accord de 1947 entre Racal Decca et les autorités britanniques ne constitue pas un tel acte des autorités publiques. Bien qu'il soit strictement réglementé et prévoie une participation de ces autorités, il ne charge pas Racal Decca de tâches particulières et définies de façon précise. Ceci est également confirmé par le fait que la notion d'" approbation " et d'" autorisation " figurant dans l'accord ne peut guère être assimilée à la notion de " charge ".

(129) Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'exploitation du DNS relève de la définition de service d'intérêt économique général.

(130) Toutefois, même si l'on considérait que Racal Decca ou son prédécesseur étaient effectivement chargés d'exploiter le DNS comme un service d'intérêt économique général, il n'est pas établi que l'application des règles de concurrence ferait obstacle à la mission de Racal Decca d'exploiter le DNS puisqu'il existait des solutions autres que la restriction de concurrence, que Racal Decca soit n'a pas acceptées, soit n'a pas examinées.

Article 3 du règlement n° 17

(131) En vertu de l'article 3, la Commission ne peut arrêter une décision même s'il a déjà été mis fin au comportement qu'elle vise. Ceci est possible non seulement pour infliger une amende en application de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 mais aussi dès lors qu'il est nécessaire, dans l'intérêt public, de clarifier la situation juridique en raison de sa complexité et afin de prévenir des infractions identiques ou similaires, et ce également sur des marchés autres que ceux considérés en l'espèce (6).

(132) Par la présente décision, la Commission constate que les comportements définis au paragraphe 97 points a) et b) constituent des infractions aux dispositions de l'article 86 et que le comportement défini au paragraphe 117 point a) constitue également une infraction aux dispositions de l'article 85.

Article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17

(133) En raison de la complexité de l'appréciation juridique de l'affaire et de l'absence de précédents, la Commission ne peut constater que l'infraction commise par Racal Decca à l'article 86 a été commise de propos délibéré, voire par négligence. De plus, Racal Decca a porté dès le début ces pratiques à la connaissance de la Commission.

C'est pourquoi aucune amende ne lui est infligée pour infraction à l'article 86.

Les accords AP et PE-Navstar ayant été notifiés au moment de leur conclusion, aucune amende ne peut être infligée aux participants pour infraction à l'article 85.

En outre, elle a collaboré à mettre fin à l'infraction,

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

Les comportements suivants ont constitué des infractions à l'article 86 du traité CEE par Racal Electronics plc :

a) les pratiques qui ont entraîné les accords, y compris la conclusion de l'ensemble des accords eux-mêmes, passés par sa filiale Racal-Decca Marine Navigation Limited avec AP Radiotelefon A/S, à savoir :

- l'accord de licence relatif au Decca Navigator System en date du 1er janvier 1983,

- l'accord de distribution exclusive en date du 1er janvier 1983,

- l'accord de licence en date du 20 septembre 1983 ;

b) les pratiques qui ont entraîné les accords, y compris la conclusion de l'ensemble des accords eux-mêmes, passés par sa filiale Racal-Decca Marine Navigation Limited avec Polytechnic Marine plc, par la suite Polytechnic Electronics plc, et Navstar SA le 25 mai 1984, à savoir :

- l'accord de licence,

- l'accord de technologie,

- l'accord de rétrocession de licence de technologie ;

c) les modifications des signaux opérées par sa filiale Racal-Decca Marine Navigation Limited dans le but d'empêcher le fonctionnement de récepteurs concurrents.

Article 2

Tous les accords visés à l'article 1er points a) et b) ont constitué des infractions aux dispositions de l'article 85 du traité CEE, par Racal Electronics plc, NV Philips Gloeilampenfabrieken et Polytechnic Electronics plc.

Article 3

Les entreprises suivantes sont destinataires de la présente décision :

- Racal Electronics plc, Western Road, Bracknell, GB-Berks RG12 1RG,

- NV Philips Gloeilampenfabrieken, NL-5621 BA Eindhoven,

- Polytechnic Electronics plc, Royal Oak Way, Daventry, GB-Northants NN11 5PJ.

EMPLACEMENT TABLEAU

(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204-62.

(2) JO n° 127 du 20. 8. 1963, p. 2268-63.

(3) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines informations ont été omises, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement n° 17 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.

(4) JO n° 57 du 25. 3. 1967, p. 849-67, modifié par le règlement (CEE) n° 2591-72 (JO n° L 276 du 9. 12. 1972, p. 15) et par le règlement (CEE) n° 3577-82 (JO n° L 373 du 31. 12. 1982, p. 58).

(5) Arrêt du 23 mars 1974, affaire 127-73, Recueil de la jurisprudence de la cour 1974, p. 318.

(6) Arrêt du 2 mars 1983, affaire 7-82, GVL, Recueil de la jurisprudence de la cour 1983, p. 483.