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Décisions

CJCE, 5 octobre 1988, n° 238-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AB Volvo

Défendeur :

Erik Veng (Ltd)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mackenzie Stuart

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Due, Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Joliet, O'Higgins, Schockweiler

Avocats :

Mes Vaughan, Miller, Richards, Jacob, Prescott.

CJCE n° 238-87

5 octobre 1988

LA COUR,

1. Par ordonnance du 17 juillet 1987 parvenue à la Cour le 3 août suivant, la High Court of Justice d'Angleterre et du Pays de Galles (Chancery Division, Patents Court) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 86 du traité en vue d'apprécier si le refus, de la part du titulaire d'un modèle relatif à des éléments de carrosserie de voitures automobiles, d'accorder une licence pour l'importation et la vente de tels éléments, peut, en certaines circonstances, être considéré comme un abus de position dominante au sens de l'article précité.

2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige qui oppose la société AB Volvo (ci-après Volvo), à la société Erik Veng (UK) Ltd (ci-après Veng).

3. Volvo, titulaire au Royaume-Uni du modèle déposé n° 968895, relatif aux ailes avant des voitures Volvo de la série 200, a assigné Veng devant la High Court of Justice, pour atteinte à son droit exclusif. Veng importe ces mêmes éléments de carrosserie, fabriqués sans l'autorisation de Volvo, et les commercialise au Royaume-Uni.

4. Dans le cadre de la procédure qui a été portée devant elle, la High Court a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Si un important fabricant d'automobiles est titulaire de modèles déposés qui lui confèrent, selon le droit d'un Etat membre, le droit exclusif de fabriquer et d'importer les éléments de carrosserie de rechange nécessaires pour procéder à la réparation de la carrosserie d'une automobile de sa fabrication (et si ces éléments de carrosserie ne peuvent être remplacés par des éléments d'aucun autre modèle), ce fabricant occupe-t-il, du fait de ce droit exclusif, une position dominante au sens de l'article 86 du traité CEE en ce qui concerne lesdites pièces de rechange?

2) Ce fabricant est-il présumé abuser de cette position dominante s'il refuse de concéder à des tiers la licence de fournir de tels éléments de carrosserie, alors que ces tiers sont prêts à payer une redevance raisonnable pour tous les articles vendus sous cette licence (ladite redevance devant représenter une contrepartie juste et équitable tenant compte de l'originalité du modèle et de l'ensemble des circonstances, et devant être fixée par voir d'arbitrage ou par tout autre moyen indiqué par la juridiction nationale)?

3) Un tel abus est-il susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres au sens de l'article 86 dans la mesure où le demandeur de licence se voit interdire, de cette façon, d'importer ces éléments de carrosserie d'un autre Etat membre?"

5. Il résulte des termes de l'ordonnance de renvoi, que la juridiction nationale a posé ces questions en tenant compte de l'engagement, pris par la défenderesse au principal, de renoncer à son argumentation selon laquelle la comparaison des prix pour les éléments de carrosserie pratiqués par elle et de ceux plus élevés, pratiqués pour ces mêmes éléments par la demanderesse au principal, établirait un abus de position dominante de la part de cette dernière.

6. Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la deuxième question

7. Il convient tout d'abord de relever que, comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 14 septembre 1982(Keurkoop, 144-81, Rec. p. 2853), relatif à la protection des dessins et modèles, en l'état du droit communautaire et en l'absence d'une unification dans le cadre de la Communauté ou d'un rapprochement des législations, la fixation des conditions et des modalité de la protection des dessins et modèles relève de la règle nationale. Il appartient au législateur national de déterminer les produits qui peuvent bénéficier de la protection, alors même qu'ils feraient partie d'un ensemble déjà protégé en tant que tel.

8. Il importe de souligner ensuite que la faculté pour le titulaire d'un modéle protégé d'empêcher des tiers de fabriquer et de vendre ou d'importer, sans son consentement, des produits incorporant le modèle constitue la substance même de son droit exclusif. Il en résulte qu'une obligation imposée au titulaire du modèle protégé d'accorder à des tiers, même en contrepartie de redevances raisonnables, une licence pour la fourniture de produits incorporant le modèle aboutirait à priver ce titulaire de la substance de son droit exclusif, et que le refus d'accorder une pareille licence ne saurait constituer en lui-même un abus de position dominante.

9. Il y a lieu toutefois de relever que l'exercice du droit exclusif par le titulaire d'un modèle relatif à des éléments de carrosserie de voitures automobiles peut être interdit par l'article 86 s'il donne lieu, de la part d'une entreprise en position dominante, à certains comportements abusifs tels que le refus arbitraire de livrer des pièces de rechange à des réparateurs indépendants, la fixation des prix des pièces de rechange à un niveau inéquitable ou la décision de ne plus produire de pièces de rechange pour un certain modèle alors que beaucoup de voitures de ce modèle circulent encore, à condition que ces comportements soient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres.

10. En l'espèce de tels comportements abusifs n'ont pas été relevés par la juridiction nationale. Dans ces conditions, et compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n'est pas nécessaire de répondre aux première et troisième questions posées par la juridiction nationale.

11. Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question de la juridiction nationale que le fait pour le titulaire d'un droit de modèle, couvrant des éléments de carrosserie, de refuser d'octroyer à des tiers, même en contrepartie de redevances raisonnables, une licence pour la fourniture de pièces incorporant le modèle ne saurait être considéré en lui-même comme une exploitation abusive de position dominante, au sens de l'article 86 du traité.

Sur les dépens

12. Les frais exposés par le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, le gouvernement français, le gouvernement britannique, le gouvernement italien et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident de procédure soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice, par ordonnance du 17 juillet 1987, dit pour droit:

Le fait pour le titulaire d'un droit de modèle, couvrant des éléments de carrosserie, de refuser d'octroyer à des tiers, même en contrepartie de redevances raisonnables, une licence pour la fourniture de pièces incorporant le modèle ne saurait être considéré en lui-même comme une exploitation abusive de position dominante, au sens de l'article 86 du traité.