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Décisions

CJCE, 6e ch., 4 mai 1988, n° 30-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bodson

Défendeur :

Pompes funèbres des régions libérées (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Due

Avocat général :

M. Da Cruz Vilaça

Juges :

MM. Koopmans, Bahlmann, Kakouris, O'Higgins

Avocats :

Mes Rouviere, Brunois, Delvolve

Reims, du 14 janv. 1985

14 janvier 1985

LA COUR (sixième chambre),

1. Par arrêt du 20 janvier 1987, parvenu à la Cour le 2 février suivant, la Cour de cassation française a posé, en vertu de l'article 177 du traite CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 37, 85, 86 et 90 du traité, en vue d'apprécier la compatibilité avec ces dispositions d'un régime national de concession exclusive de monopoles communaux en matière de certains services de pompes funèbres.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre la société des Pompes funèbres des régions libérées, filiale de la société des Pompes funèbres générales, à laquelle la ville de Charleville-Mézières a concédé depuis 1972, et de manière exclusive, le service extérieur des pompes funèbres, d'une part, et Mme Corinne Bodson, qui avait entrepris des activités comprises dans le service extérieur des pompes funèbres sur le territoire de cette commune, d'autre part.

3. Une loi française de 1904, dont les dispositions principales font actuellement partie des articles L. 362-1 et suivants du Code des communes, a confié le service extérieur des pompes funèbres aux communes. Le service extérieur comprend exclusivement le transport des corps après la mise en bière, la fourniture des corbillards, cercueils et tentures extérieures des maisons mortuaires, les voitures de deuil ainsi que les fournitures et le personnel nécessaires aux inhumations, exhumations et crémations; en particulier, il n'inclut ni le service intérieur, qui correspond aux prestations de culte, ni le service libre, qui comprend les prestations non indispensables à l'organisation des obsèques, telles que la fourniture de fleurs et de la marbrerie.

4. Il ressort du dossier que 5 000 des communes françaises, sur un total de 36 000 environ, regroupant 25 millions de personnes, soit à peu près 45 % de la population française, ont concédé le service extérieur à une entreprise privée. La société des Pompes funèbres générales et ses filiales sont concessionnaires dans 2 800 communes; elles assurent un pourcentage élevé des enterrements en France. Selon les renseignements fournis par la Commission, la société mère, Pompes funèbres générales, est elle-même une filiale d'une entreprise qui fait partie du groupe de la Lyonnaise des Eaux.

5. Mme Bodson exploite une des entreprises des Pompes funèbres franchisées de M. Michel Leclerc, qui a constitué en France un réseau de telles entreprises fournissant leurs services à des prix nettement inférieurs à ceux pratiqués habituellement dans ce secteur, notamment par la société des Pompes funèbres générales et ses filiales. Lorsque Mme Bodson a pratiqué des obsèques sur le territoire de la ville de Charleville-Mézières, le concessionnaire exclusif l'a assignée en référé.

6. La Cour de cassation se trouve saisie d'un pourvoi contre un arrêt de la Cour d'appel de Reims, statuant en référé, qui a interdit sous astreinte à Mme Bodson l'exercice de toute activité relevant du service extérieur des pompes funèbres. Devant la Cour de cassation, Mme Bodson a fait valoir que le groupe constitué par la société des Pompes funèbres générales et ses filiales a exploité de façon abusive une position dominante sur le marché; elle a fait état d'un avis de la Commission française de la concurrence imputant un monopole ou une position dominante à ce groupe. Elle a allégué que ce monopole ou cette position dominante résulterait de l'attribution à ce groupe, à titre exclusif, d'une part importante, voire dans certaines régions françaises de la quasi-totalité, des concessions communales du service extérieur des pompes funèbres; l'abus serait notamment constitué par des prix excessifs alors que, en outre, l'applicabilité de l'article 37 du traite CEE ne serait pas à exclure dans le cas d'un ensemble de monopoles communaux couvrant le territoire national.

7. Considérant qu'il importe de savoir si le traité doit être interprété en ce sens qu'il serait applicable à des situations du genre de celles ainsi décrites, la Cour de cassation a sursis à statuer pour poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) L'article 37 du traité peut-il recevoir application dans l'hypothèse d'un ensemble de monopoles communaux concédés à une même entreprise ou à un même groupe d'entreprises, couvrant une certaine partie du territoire national et qui ont pour objet le service extérieur des pompes funèbres défini par les articles L. 362-1 et suivants du Code des communes, étant précisé que cet objet comprend des prestations de services et des fournitures de marchandises ?

2) L'article 90 du traité peut-il être applicable à l'entreprise ou au groupe d'entreprises bénéficiaires d'un tel ensemble de monopoles ainsi concédés en ce domaine ?

3) Dans l'hypothèse où l'article 90 du traité ne lui serait pas applicable, cette entreprise ou ce groupe d'entreprises peut-il néanmoins relever des articles 85 et 86 du traité ? Plus spécialement, l'article 85 est-il applicable aux contrats de concessions conclus en ce domaine avec les communes ?

4) Les réponses aux questions précédentes sont-elles modifiées si l'ensemble des monopoles ou la position dominante résultant de cet ensemble a en fait pour objet également des prestations de services ou des fournitures concernant les pompes funèbres, mais quand elles sont en dehors du champ d'application du service extérieur défini par l'article L. 362-1 du Code des communes ? "

8. Pour un plus ample exposé de la législation française en la matière, des faits et des antécédents du litige, et pour un résumé des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9. La première question vise l'interprétation du traité en matière de monopoles nationaux, les trois autres questions, qu'il convient d'examiner ensemble, concernent l'interprétation des règles de concurrence applicables aux entreprises.

Sur la première question

10. Quant à l'interprétation de l'article 37 du traité, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, arrêt du 28 juin 1983, Coopérative de Béarn, 271-81, Rec. p. 2057), il résulte tant de la place de cette disposition dans le chapitre du traité sur l'élimination des restrictions quantitatives que de la terminologie utilisée qu'elle vise les échanges de marchandises et ne concerne pas un monopole de prestations de services. L'éventualité ne peut cependant être exclue qu'un monopole de prestations de services puisse avoir une influence indirecte sur les échanges de marchandises entre les États membres, en particulier lorsque le monopole de prestation de certains services que constitue une entreprise, ou un ensemble d'entreprises, aboutit à une discrimination de produits importés par rapport aux produits d'origine nationale.

11. Il convient d'observer en outre que l'article 37 vise les monopoles nationaux présentant un caractère commercial, expression qui couvre, selon l'alinéa 2 du paragraphe 1 de cet article, tout organisme par lequel un État membre contrôle, dirige ou influence sensiblement, directement ou indirectement, les échanges entre les États membres, et qui s'applique également aux monopoles d'état délégués.

12. C'est à partir de ces deux considérations qu'il y a lieu d'interpréter l'article 37 à l'égard de la situation envisagée par la juridiction nationale, qui est celle d'un ensemble de monopoles communaux concédés à des entreprises appartenant au même groupe, couvrant une certaine partie du territoire national et qui ont pour objet des prestations de services ainsi que des fournitures de marchandises.

13. A cet égard, il convient d'observer que l'article 37 vise en particulier les situations où les autorités nationales sont à même de contrôler ou de diriger les échanges entre États membres, ou encore de les influencer sensiblement, par voie d'un organisme institué à cet effet ou d'un monopole délégué. Cette disposition englobe, par conséquent, la situation où le monopole en cause est exercé par une entreprise ou un groupe d'entreprises, ou par des unités territoriales de l'État, telles que les communes.

14. Toutefois, la situation telle que décrite par la juridiction nationale ne relève d'aucune de ces deux hypothèses. En effet, la législation nationale confie le service extérieur des pompes funèbres aux communes, celles-ci étant libres de concéder ce service à une entreprise privée, de laisser ce service complètement libre ou de le gérer elles-mêmes. La circonstance que les concessionnaires d'un certain nombre de communes couvrant une partie importante du territoire national appartiennent à un même groupe d'entreprises et peuvent ainsi influer sur les courants d'échanges, ne résulte pas du comportement des autorités nationales ou municipales, mais de celui des entreprises en cause.

15. Ces considérations font apparaître que la situation envisagée par la juridiction nationale doit être appréhendée au regard des dispositions du traité applicables aux entreprises, tels notamment les articles 85, 86 et 90, plutôt qu'au regard des règles de l'article 37 relatives aux monopoles nationaux.

Sur les deuxième, troisième et quatrième questions

16. Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que l'article 90 a pour objet de préciser notamment les conditions d'application des règles de concurrence prévues par les articles 85 et 86 à des entreprises publiques, à des entreprises auxquelles les États membres accordent des droits spéciaux ou exclusifs et à des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général. Il convient, dès lors, d'examiner d'abord les problèmes relatifs à l'applicabilité des articles 85 et 86.

17. En ce qui concerne l'article 85, la juridiction nationale demande plus spécialement, dans la deuxième branche de la troisième question, si cette disposition est applicable aux contrats de concession conclus, dans le domaine des pompes funèbres, entre des entreprises, ou un groupe d'entreprises, et les communes.

18. Comme la Commission l'a observé à juste titre, l'article 85 du traité s'applique, d'après ses termes mêmes, aux accords "entre entreprises"; cette disposition ne vise pas les contrats de concession conclus entre des communes agissant dans leur qualité d'autorités publiques et des entreprises chargées de l'exécution d'un service public.

19. Quant à l'application éventuelle de l'article 85 aux rapports entre les entreprises concessionnaires appartenant au même groupe d'entreprises, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm/Sterling drug, 15-74, Rec. p. 1147), cette disposition ne vise pas des accords ou pratiques concertées entre des entreprises appartenant au même groupe en tant que société mère et filiale, si les entreprises forment une unité économique à l'intérieur de laquelle la filiale ne jouit pas d'une autonomie réelle dans la détermination de sa ligne d'action sur le marché, et si ces accords ou pratiques ont pour but d'établir une répartition interne des taches entre les entreprises.

20. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si une telle situation se présente dans le cas de l'espèce. Le simple fait que les entreprises concessionnaires appartiennent au même groupe d'entreprises n'est pas déterminant à cet égard; il faut tenir compte de la nature des rapports entre les entreprises de ce groupe. En l'espèce, cette nature ne résulte ni des questions préjudicielles ni d'autres éléments du dossier; en particulier, il n'est pas apparent que les entreprises poursuivent une même ligne d'action sur le marché qui est déterminée par la maison mère.

21. Le comportement anticoncurrentiel éventuel du groupe d'entreprises concessionnaires constituant une unité économique au sens de la jurisprudence de la cour doit être examiné au regard de l'article 86 du traité. Les questions préjudicielles paraissent partir de cette hypothèse étant donné qu'elles font mention, à la quatrième question, de "l'ensemble des monopoles ou la position dominante résultant de cet ensemble". Il y a donc lieu d'examiner dans quelles conditions l'article 86 peut être appliqué à une telle situation.

22. L'article 86 interdit des pratiques abusives résultant de l'exploitation, par une ou plusieurs entreprises, d'une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Cette interdiction ne s'applique cependant que dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'être affecté par ces pratiques.

23. Selon le gouvernement français, cette dernière condition ne se trouve pas remplie dans un cas comme celui de l'espèce. La commission partage cet avis, en faisant remarquer qu'elle avait été saisie de plaintes à propos des prix pratiqués par les concessionnaires appartenant au groupe Pompes funèbres générales, et que, après examen, elle est arrivée à la conclusion que l'activité du groupe ne pouvait avoir qu'une influence imperceptible sur des transactions avec d'autres États membres. A cet égard, elle a considéré que le monopole du service extérieur des pompes funèbres n'implique aucune autre livraison de biens que celle du cercueil et que la situation de monopole ne se présente que dans environ 14 % des communes françaises, le groupe en cause n'étant concessionnaire que dans deux tiers de celles-ci. La Commission indique cependant que le même groupe assure également le service des pompes funèbres dans d'autres États membres, en particulier aux Pays-Bas, où il prend en charge 14 % des inhumations du pays, en Grande-Bretagne et en Allemagne.

24. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, pour apprécier si le commerce entre États membres est susceptible d'être affecté par l'abus d'une position dominante, au sens de l'article 86, il faut prendre en considération les conséquences qui en résultent pour la structure de la concurrence effective dans le Marché commun. En matière de services, ces conséquences peuvent notamment consister, comme la Cour l'a observé dans son arrêt du 2 mars 1983 (GVL, 7-82, Rec. p. 483 ), à organiser les activités de l'entreprise ou du groupe d'entreprises de telle façon qu'elles ont pour effet de compartimenter le Marché commun et d'entraver ainsi la liberté des prestations de services qui est l'un des objectifs du traité.

25. Par conséquent, il appartient à la juridiction nationale d'examiner si, dans le cas dont elle est saisie, les activités du groupe d'entreprises concessionnaires, et la situation de monopole dont elles disposent sur une partie importante du territoire d'un État membre, ont des effets sur l'importation de marchandises en provenance d'autres États membres ou sur la possibilité, pour les entreprises concurrentes établies dans ces États membres, d'assurer des prestations de services dans le premier État membre.

26. La deuxième condition posée par l'article 86 est qu'il y ait position dominante sur le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci. Une telle position dominante se caractérise, selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 9 novembre 1983, Michelin, 322-81, Rec. p. 3461), par une situation de puissance économique détenue par une entreprise, qui donne à celle-ci le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents et de ses clients. Il résulte également de la jurisprudence que l'application de l'article 86 n'est pas exclue par le fait que l'absence ou la limitation de la concurrence est favorisée par des dispositions législatives ou réglementaires.

27. Pour examiner si une telle position dominante existe dans un cas comme celui de l'espèce, il convient de déterminer la puissance économique du groupe d'entreprises concessionnaires sur le marché en cause, qui est celui des pompes funèbres. La notion de position dominante se référant à une situation de fait, il y a lieu de prendre également en considération la situation du groupe d'entreprises dans les communes où il n'est pas le concessionnaire exclusif, ainsi que les services prestés, et les biens livrés, par le groupe en question en dehors du service extérieur des pompes funèbres, comme par exemple la livraison de fleurs ou de marbrerie qui fait partie du "service libre ".

28. Selon les informations qui ressortent du dossier, le groupe d'entreprises dont Pompes funèbres générales est la société mère est concessionnaire exclusif dans moins de 10 % des communes françaises; la population de ces communes s'élève cependant à plus du tiers de la population française. Or, c'est l'importance de la population plutôt que le nombre des communes couvert par l'exclusivité des concessions accordées au groupe en cause qui détermine le nombre d'enterrements et qu'il faut donc prendre en considération pour apprécier l'existence d'une position dominante.

29. Si donc l'existence d'une telle position dominante dépend d'une appréciation de fait qui incombe à la juridiction nationale, celle-ci pourrait utilement fonder son jugement sur les paramètres suivants :

- l'importance de la part de marché du groupe qui est à l'abri de toute concurrence par l'effet de la concession exclusive,

- l'influence de cette situation de monopole sur la position du groupe à l'égard de livraisons de biens et prestations de services non couvertes par la concession exclusive,

- la position du groupe dans les communes n'ayant pas concédé le service extérieur des pompes funèbres à une entreprise, ainsi que la part de marché du groupe dans d'autres États membres,

- les ressources financières du groupe telles qu'elles peuvent, par exemple, ressortir de l'appartenance du groupe à un ensemble puissant d'entreprises ou groupes d'entreprises.

30. La troisième condition posée par l'article 86 est l'exploitation abusive de la position dominante. A titre d'exemple, l'article 86, alinéa 2, sous a), mentionne l'imposition de façon directe ou indirecte de prix non équitables. En l'occurrence, les plaintes qui avaient été adressées à la Commission concernaient précisément l'imposition de prix non équitables par les concessionnaires. Dans le cadre du présent litige, Mme Bodson a fait valoir que Pompes funèbres générales et ses filiales pratiquent des prix excessifs.

31. Le gouvernement français et Pompes funèbres des régions libérées ont contesté le caractère non équitable des prix pratiqués par les filiales de Pompes funèbres générales. Le dossier ne comporte aucun élément permettant de trancher ce problème. Étant donné que plus de 30 000 communes en France n'ont pas concédé le service extérieur des pompes funèbres à une entreprise, mais laissent ce service libre ou le gèrent elles-mêmes, il doit être possible de procéder à une comparaison des prix pratiqués par le groupe d'entreprises concessionnaires et ceux pratiques par ailleurs; une telle comparaison serait de nature à fournir une base à l'appréciation du caractère équitable, ou non, des prix pratiqués par les concessionnaires.

32. Les mêmes intervenants ont encore fait observer que les concessionnaires ne sont pas en mesure d'"imposer" un certain prix, les prix à pratiquer étant fixés par le cahier de charges qui fait partie des conditions de la concession. Cet argument ne saurait être retenu. Il ressort en effet du dossier que la concession du service extérieur est considérée, en France, comme un contrat conclu entre la commune et l'entreprise concessionnaire, perspective dans laquelle se place d'ailleurs la juridiction nationale. Cette constatation implique que le niveau des prix est imputable à l'entreprise, celle-ci étant pleinement responsable des contrats qu'elle a conclus.

33. Dans la mesure où les communes auraient imposé un certain niveau de prix à leurs concessionnaires, en ce sens qu'elles se seraient abstenues de concéder le service extérieur aux entreprises si celles-ci n'acceptaient pas de pratiquer des prix particulièrement élevés, ces communes se trouveraient dans la situation visée par l'article 90, paragraphe 1. En effet, cette disposition régit les obligations des États membres, notion qui inclut, dans ce contexte, les autorités publiques aux niveaux régional, provincial ou communal, au regard d'entreprises "auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs". La concession exclusive du service extérieur des pompes funèbres relève précisément de cette situation.

34. Il découle de cette constatation que les autorités publiques ne peuvent, dans une situation comme celle de l'espèce, ni édicter ni maintenir des "mesures" contraires aux règles du traité, en particulier celles des articles 85 et 86. Par conséquent, il leur est interdit d'aider les entreprises concessionnaires à pratiquer des prix non équitables en imposant de tels prix comme une condition d'un contrat de concession.

35. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que :

a) l'article 85 du traité ne vise pas les contrats de concession conclus entre des communes agissant dans leur qualité d'autorités publiques et des entreprises chargées de l'exécution d'un service public;

b) l'article 86 du traité s'applique dans l'hypothèse d'un ensemble de monopoles communaux concédés à un même groupe d'entreprises dont la ligne d'action sur le marché est déterminée par la maison mère, dans une situation où ces monopoles couvrent une certaine partie du territoire national et ont pour objet le service extérieur des pompes funèbres,

- lorsque les activités du groupe, et la situation de monopole dont les entreprises en question disposent sur une partie du territoire d'un État membre, ont des effets sur l'importation de marchandises en provenance d'autres États membres ou sur la possibilité, pour les entreprises concurrentes établies dans ces États membres, d'assurer des prestations de services dans le premier État membre,

- lorsque le groupe d'entreprises occupe une position dominante, caractérisée par une situation de puissance économique, lui fournissant le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective sur le marché des pompes funèbres,

- et lorsque ce groupe d'entreprises pratique des prix non équitables, alors même que le niveau de ces prix est fixé par un cahier de charges faisant partie des conditions du contrat de concession;

c) l'article 90, paragraphe 1, du traité doit être interprété en ce sens qu'il interdit aux autorités publiques d'imposer aux entreprises auxquelles elles ont accordé des droits exclusifs tels que le monopole du service extérieur des pompes funèbres, des conditions de prix contraires aux dispositions des articles 85 et 86.

Sur les dépens

36. Les frais exposés par le Gouvernement de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par la Cour de cassation française, par arrêt du 20 janvier 1987, dit pour droit :

1) L'article 85 du traité ne vise pas les contrats de concession conclus entre des communes agissant dans leur qualité d'autorités publiques et des entreprises chargées de l'exécution d'un service public.

2) L'article 86 du traité s'applique dans l'hypothèse d'un ensemble de monopoles communaux concédés à un même groupe d'entreprises dont la ligne d'action sur le marché est déterminée par la maison mère, dans une situation où ces monopoles couvrent une certaine partie du territoire national et ont pour objet le service extérieur des pompes funèbres,

- lorsque les activités du groupe, et la situation de monopole dont les entreprises en question disposent sur une partie du territoire d'un État membre, ont des effets sur l'importation de marchandises en provenance d'autres États membres ou sur la possibilité, pour les entreprises concurrentes établies dans ces États membres, d'assurer des prestations de services dans le premier État membre,

- lorsque le groupe d'entreprises occupe une position dominante, caractérisée par une situation de puissance économique, lui fournissant le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective sur le marché des pompes funèbres,

- et lorsque ce groupe d'entreprises pratique des prix non équitables, alors même que le niveau de ces prix est fixé par un cahier de charges faisant partie des conditions du contrat de concession.

3) L'article 90, paragraphe 1, du traité doit être interprété en ce sens qu'il interdit aux autorités publiques d'imposer aux entreprises auxquelles elles ont accorde des droits exclusifs tels que le monopole du service extérieur des pompes funèbres, des conditions de prix contraires aux dispositions des articles 85 et 86.