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Décisions

CCE, 22 décembre 1987, n° 88-138

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Eurofix - Bauco / Hilti

CCE n° 88-138

22 décembre 1987

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment son article 3, vu les demandes introduites auprès de la Commission respectivement les 7 octobre 1982 et 26 février 1985, conformément à l'article 3 du règlement n° 17, par les sociétés Eurofix Limited, à Arley, près de Coventry, Royaume-Uni (à présent Structural Fastenings Group Ltd) et Bauco (UK) Ltd, à Ealing, Londres, Royaume-Uni (à présent Thames Ditton, Surrey) et tendant à faire constater une infraction à l'article 86 par la société Hilti AG, à Schaan, Liechtenstein, vu les renseignements obtenus par la Commission en vertu des pouvoirs que lui confèrent les articles 11 et 14 du règlement n° 17, vu la décision prise par la Commission, le 9 août 1985, d'engager la procédure dans cette affaire, après avoir donné à l'entreprise concernée l'occasion de faire connaître son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et au règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit:

A. LES FAITS

I. INTRODUCTION

a) Les parties

Hilti

(1) Hilti Aktiengesellschaft (Hilti AG) (3) est une grande société sise au Liechtenstein et spécialisée dans la fabrication et la distribution de divers appareils de fixation [perceuses, pistolets de scellement (4), etc.] généralement à usage professionnel dans l'industrie du bâtiment. En 1986, son chiffre d'affaires mondial s'élevait à 1 429 millions de francs suisses. Parmi les appareils de fixation qu'elle produit, la société Hilti est reconnue comme leader mondial dans le domaine des pistolets de scellement et des produits consommables utilisés dans ces appareils [clous, cartouches et chargeurs (5)]. En 1984, le chiffre d'affaires mondial de Hilti pour ces produits était de (. . .) de francs suisses, (dans la version publiée de la présente décision, certains chiffres ne sont pas mentionnés, en application de l'article 2 du règlement n° 17 concernant la protection des secrets d'affaires) dont (. . .) de francs suisses pour la seule Communauté économique européenne (CEE). Hilti développe et fabrique ses produits non seulement au Liechtenstein, mais aussi dans divers pays de la Communauté, principalement en Allemagne.

(2) A l'intérieur de la CEE, Hilti commercialise les pistolets de scellement et les produits consommables par l'intermédiaire de filiales à 100 % en Belgique, en France, en Irlande, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni. Au Danemark, en Italie, aux Pays-Bas, en Grèce et au Portugal, les ventes ont lieu par l'entremise de distributeurs indépendants.

(3) A l'extérieur de la CEE, Hilti distribue ses produits sur le plan international par l'intermédiaire de filiales à 100 % (notamment en Suisse, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et au Japon) ou de distributeurs indépendants (notamment en Suède, en Norvège et en Finlande), qui sont organisés sur une base similaire à celle des distributeurs indépendants au sein de la CEE.

Eurofix

(4) Eurofix, à Arley, près de Coventry (Royaume-Uni), également connue sous le nom de Profix, est une société relativement petite et spécialisée dans la fabrication et la distribution d'une large gamme de clous, notamment, depuis la fin des années 1960, de clous destinés à être utilisés dans les pistolets de scellement fabriqués par Hilti et par d'autres fabricants. Eurofix commercialise sa gamme de clous compatibles avec les appareils Hilti non seulement par l'intermédiaire de ses propres distributeurs spécialisés, mais aussi par l'entremise de sociétés de location d'équipements et d'autres distributeurs.

Bauco

(5) Bauco, en Surrey (Royaume-Uni), est une petite société spécialisée dans l'importation et la distribution de clous utilisables dans les pistolets de scellement Hilti. Depuis sa fondation en 1984, Bauco a vendu son assortiment de clous compatibles avec les appareils Hilti presque exclusivement à des sociétés de location d'équipements et à d'autres distributeurs. Pendant une brève période, Bauco a produit des chargeurs pour les pistolets de scellement Hilti, mais il a arrêté cette production à la suite d'une action en justice intentée par Hilti.

b) Les produits

(6) Avant l'apparition des pistolets de scellement, les fixations étaient effectuées, dans l'industrie du bâtiment, par des méthodes relativement lentes et coûteuses en main-d'œuvre, consistant à travailler à la perceuse avant de fixer les boulons ou crochets de façon appropriée. Lorsqu'en 1958, le docteur Martin Hilti a mis au point un pistolet de scellement, celui-ci est devenu rapidement populaire. Cet appareil fonctionne selon un principe similaire à celui d'une arme à feu, en ce sens que la charge explosive propulse un clou avec une grande force et précision dans le matériau et à l'endroit voulus. Toutefois, dans un pistolet de scellement, le clou et la cartouche sont totalement séparés. A l'origine, l'énergie de la charge était transmise directement au clou ou goujon, de sorte que celui-ci était propulsé à très grande vitesse. Aujourd'hui, la plupart des pistolets de scellement, y compris ceux fabriqués par Hilti, fonctionnent selon le principe beaucoup plus sûr du tir indirect: la charge explosive propulse un piston qui, à son tour, propulse le clou. Ce dernier part ainsi de l'appareil à une vitesse beaucoup plus faible que dans les pistolets à tir direct.

(7) La plupart des fabricants de pistolets de scellement proposent une gamme d'appareils pour divers types de fixations, qui font appel à des cartouches de puissances différentes. De plus, certains pistolets de scellement comportent un réglage de puissance. Le recours à ces appareils permet généralement de réaliser la fixation sans long travail préalable de perçage et sans période de mise en route.

Il y a cependant lieu de procéder normalement à des essais de fixation dans le matériau-support en vue de déterminer la possibilité d'une fixation appropriée et les produits consommables à utiliser. De plus, étant donné que toutes les fixations inadéquates ne sont pas apparentes et qu'une certaine proportion d'échecs est inévitable, il faut toujours effectuer un certain nombre de fixations et ne pas se fier à une fixation unique. Le nombre minimal de fixations à prévoir varie en fonction du poids à supporter et du matériau récepteur.

(8) Les clous à utiliser diffèrent selon le type d'attache dont il s'agit et de matériau dans lequel les attaches doivent être fixées ou qui peut recevoir d'autres fixations. Les pistolets de scellement utilisent des clous spécialement fabriqués à cet effet, à l'exclusion des clous ordinaires. La résistance du clou et les propriétés de la pointe balistique doivent permettre à la fois la pénétration et la fixation requise. Pour des raisons techniques, les clous ne peuvent être fabriqués en acier inoxydable; c'est pourquoi, en vue d'éviter que la corrosion n'affecte l'efficacité de la fixation, les clous doivent être galvanisés.

(9) Les clous doivent être adaptés aux pistolets de scellement. Certains pistolets étant conçus selon des normes similaires, un certain degré d'interchangeabilité existe entre les diverses marques de clous, en ce sens qu'elles peuvent convenir à plus d'une marque de pistolet.

(10) Dans les premiers modèles de pistolets de scellement, un nouveau clou et une nouvelle cartouche devaient être introduits après chaque tir; ce processus prenait un certain temps et pouvait être difficile à accomplir en hiver, au moment où les opérateurs portent des gants. Les modèles plus récents, notamment ceux fabriqués par Hilti, permettent l'utilisation d'un chargeur comportant un certain nombre de cartouches. La plupart des chargeurs se présentent sous forme d'une bande ou d'un disque en plastique (quelquefois en métal) contenant généralement dix cartouches en laiton. Le chargeur alimente automatiquement le pistolet à chaque tir, évitant ainsi la nécessité d'introduire une nouvelle cartouche. Ces pistolets ne sont cependant que semi-automatiques, en ce sens que les clous doivent être introduits un à un. Les chargeurs sont normalement fabriqués spécialement pour chaque marque de pistolet de scellement et ne sont généralement pas interchangeables. Les cartouches individuelles en laiton sont plus normalisées (6).

(11) Les pistolets de scellement sont utilisés par un grand nombre de professionnels de la construction. L'importance de la mise de fonds initiale pour l'achat du pistolet par rapport au nombre de fixations envisagées devrait normalement exclure l'utilisation de cet appareil par les adeptes du bricolage. L'extension des sociétés de location d'équipements, surtout au Royaume-Uni, a cependant rendu les pistolets de scellement accessibles, dans une certaine mesure, aux particuliers.

(12) La gamme de pistolets, de clous et de chargeurs fabriqués par Hilti est en partie protégée par des brevets.

12.1. L'un des derniers pistolets de scellement Hilti, le DX 450, présente certains éléments de nouveauté brevetés par rapport aux modèles antérieurs (DX 100 et DX 350, par exemple). Hilti détient des brevets pour ses pistolets de scellement dans l'ensemble de la Communauté; ils viennent à expiration entre 1986 et 1996, selon l'élément breveté et le pays concerné.

12.2. Dans la CEE, Hilti a également obtenu des brevets pour certains clous dans tous les Etats membres, à l'exception du Danemark. Ces brevets sont déjà venus à expiration dans certains Etats membres et le seront tous en 1988. La protection du brevet n'a cependant pas empêché plusieurs entreprises de fabriquer une gamme de clous présentant des caractéristiques apparemment similaires et destinés à être utilisés dans les pistolets de scellement Hilti ainsi que dans ceux d'autres fabricants. Hilti n'a jamais engagé aucune action en justice sur la base de ses brevets.

12.3. Les cartouches individuelles en laiton utilisées avant l'apparition des chargeurs pour pistolets de scellement semi-automatiques n'étaient pas brevetées et pouvaient être librement obtenues auprès de plusieurs fabricants. En revanche, le chargeur de dix cartouches mis au point par Hilti pour le pistolet DX 350 a été breveté dans tous les Etats membres. Il est maintenant utilisé aussi dans d'autres modèles, notamment le DX 450. Ces brevets se sont éteints en 1983 en Grèce et en 1986 en Allemagne. Dans tous les autres Etats membres, ils viendront à expiration en 1988 ou 1989.

Fiocchi, ancien fournisseur de Hilti, est maintenant un producteur indépendant de cartouches et de chargeurs. La société Hilti a intenté une action contre la vente de chargeurs Fiocchi en Allemagne (où, avant l'extinction des brevets, elle a obtenu une ordonnance d'interdiction de vente) et en Italie. Elle a également menacé d'action en contrefaçon, au Danemark, un distributeur indépendant de chargeurs utilisables dans les pistolets Hilti, mais non fabriqués par Hilti. Cette menace s'est soldée par le retrait des chargeurs. Une action en justice a également été engagée au Royaume-Uni en ce qui concerne les chargeurs (voir ci-dessous). Aux Etats-Unis, le brevet couvrant les chargeurs a une portée plus restreinte, de sorte que des fabricants indépendants ont été en mesure de mettre au point et de vendre des chargeurs convenant aux pistolets Hilti sans porter atteinte aux brevets Hilti. D'autres fabricants de pistolets de scellement produisent ou distribuent des chargeurs conçus pour leurs propres appareils et ne couvenant pas aux pistolets Hilti, mais dont les principes de fonctionnement sont apparemment similaires à ceux des chargeurs Hilti. Au Royaume-Uni, le brevet original délivré conformément à la loi de 1949 aurait normalement dû s'éteindre après 16 ans, en juillet 1984. La loi de 1977 sur les brevets a porté la durée de tous les brevets nouveaux ou existants à 20 ans pour l'harmoniser avec la durée des brevets dans les autres pays de la CEE. Le brevet relatif aux chargeurs est donc appelé à s'éteindre en juillet 1988. Tous les brevets dont la durée a été prolongée par cette loi font l'objet, pendant la période de prorogation, d'une licence de droit (licence of right). A défaut d'accord entre le concédant et le licencié, le contrôleur des brevets, des dessins et modèles et des marques du Royaume-Uni fixe les conditions de la licence. En plus de la protection conférée par les brevets, Hilti fait valoir qu'au Royaume-Uni le dessin de ses bandes-chargeurs sans cartouches est protégé par la législation sur le droit d'auteur en matière de dessins et modèles. Les dessins des chargeurs pour lesquels Hilti revendique un droit d'auteur et qui, selon elle, sont contrefaits par leur reproduction en trois dimensions, sont ceux qui sont attachés à sa demande de brevet.

(13) D'après les informations dont dispose la Commission, les brevets revendiqués par d'autres fabricants de pistolets de scellement pour des chargeurs n'empêcheraient pas des entreprises tierces de fabriquer des chargeurs utilisables dans ces pistolets.

II. LE MARCHE

c) Parts de marché

(14) Les meilleures estimations de la Commission pour la part de Hilti sur le marché des pistolets de scellement dans les divers Etats membres sont reprises dans les tableau ci-dessous. Aucune estimation n'est disponible pour l'Espagne et le Portugal, mais, d'après les éléments dont dispose la Commission, la part de marché de Hilti n'y différerait pas sensiblement de ce qu'elle est dans les autres Etats membres. Dans l'ensemble de la Communauté, la part de marché de Hilti est de l'ordre de (...%).

Parts de marché approximatives de Hilti (pistolets de scellement, 1982 - estimations)

Source: estimations de Hilti et de PASA, Royaume-Uni (1)

(1) PASA est l'association professionnelle du Royaume-Uni pour les systèmes de fixation à charge propulsive.

Belgique/Luxembourg (...%)

Danemark (...%)

République fédérale d'Allemagne (...%)

Grèce (...%)

France (...%)

Irlande (...%)

Italie (...%)

Pays-Bas (...%)

Royaume-Uni (...%)

Note: Hilti estime que, parmi ses concurrents, seuls Spit (...% environ) et Impex (...%) détiennent des parts de marché importantes pour l'ensemble de la CEE. Les parts de marché des autres producteurs sont faibles ou insignifiantes. D'après les chiffres dont dispose la Commission, Hilti surestimerait légèrement la part de marché de Spit dans la CEE. En tout état de cause, les ventes de Spit se concentrent essentiellement sur la France et, dans une moindre mesure, sur le Royaume-Uni; dans ces deux pays, sa part de marché n'en demeure pas moins très inférieure à celle de Hilti.

(15) Il n'existe pas d'estimations très précises de la part de Hilti par Etat membre en ce qui concerne les ventes de chargeurs, de cartouches et de clous. Au Royaume-Uni, où des estimations PASA sont disponibles, la part des ventes de Hilti est de (...) à (...%) pour les clous et de (...%) environ pour les chargeurs. En dehors de Spit, aucune autre société né détient plus de (...%) du marché. Compte tenu des chiffres dont elle dispose, la Commission est d'avis que les parts des ventes estimatives pour le Royaume-Uni (où la part de Hilti est plus élevée pour les ventes de produits consommables que pour les appareils) peuvent être prises comme aproximation pour la situation dans les autres Etats membres. C'est pourquoi elle considère que la part des ventes de Hilti dans la CEE pour les produits consommables serait au moins égale à ce qu'elle est pour les appareils. Hilti fabrique elle-même ses clous, alors que ses cartouches et chargeurs sont fabriqués pour elle par Dynamit Nobel et par Nouvelle Cartoucherie de Survilliers (voir détails ci-dessous). Autrefois, Fiocchi fournissait également des cartouches et des chargeurs à Hilti, mais cette relation commerciale a été interrompue. La plupart des autres producteurs de pistolets de scellement fabriquent ou ont fabriqué des chargeurs et des clous pour leurs propres appareils, tandis qu'une minorité fait appel à des entreprises tierces pour fournir tout ou partie de ces produits consommables. Certains de ces producteurs de pistolets de scellement fabriquent également des clous et/ou des chargeurs utilisables dans les appareils d'autres producteurs, notamment ceux de Hilti.

(16) En dehors des producteurs de pistolets de scellement eux-mêmes, d'autres fabricants fournissent des produits consommables pour ces appareils (fabricants indépendants de clous ou de cartouches). Les fabricants indépendants sont plus nombreux dans le secteur des clous que dans celui des cartouches.

(17) En plus des demandeurs, Eurofix et Bauco, il existe dans la CEE plusieurs fabricants indépendants de clous pour pistolets de scellement. Comme Hilti détient de loin la plus grande part du marché des pistolets, ces fabricants indépendants sont surtout intéressés à fournir des clous utilisables dans les appareils Hilti. Toutefois, en raison des pratiques commerciales décrites ci-dessous, les ventes de clous fabriqués par des indépendants pour les pistolets Hilti ont été limitées, bien que certains d'entre eux aient réussi à vendre en dehors de la CEE. Ces indépendants - notamment les demandeurs - prétendent que la pratique de Hilti consistant à lier les ventes de clous et de chargeurs (ou des mesures d'effet équivalent) a sérieusement restreint leur pénétration du marché. Ils font valoir qu'en l'absence d'un tel jumelage, leurs ventes seraient supérieures et que le maintien de séries de production artificiellement réduites accroît leurs coûts de fabrication. Certains de ces indépendants fabriquent également des clous pour des pistolets autres que Hilti. En conclusion, la part de Hilti dans le marché CEE des clous utilisables dans ses propres appareils est donc très importante et supérieure à sa part du marché des clous en général.

(18) Il n'y a que trois grands fabricants indépendants de cartouches pour pistolets de scellement dans la CEE: Dynamit Nobel (Allemagne), Nouvelle Cartoucherie de Survilliers (France) et Fiocchi (Italie). Hilti AG a des accords avec Dynamit Nobel et avec Nouvelle Cartoucherie de Survilliers. Ces cartouches sont vendues directement par Dynamit Nobel et Nouvelle Cartoucherie de Survilliers aux filiales de distribution de Hilti ou à ses distributeurs exclusifs officiels. En dehors de ces fournisseurs, Fiocchi est, à la connaissance de la Commission, le seul grand producteur de la CEE qui fabrique des chargeurs compatibles avec les appareils Hilti. Il y a peu de temps encore (jusqu'en 1985), la société Fiocchi, tout comme Dynamit Nobel et Nouvelle Cartoucherie de Survilliers, produisait des cartouches et des chargeurs pour Hilti. Comme elle a cessé tout récemment d'être un fournisseur de Hilti, il est difficile d'estimer ses ventes futures probables de chargeurs pour pistolets Hilti. Toutefois, en raison de la protection toujours conférée par le brevet dans la plupart des Etats membres (à l'exception de la Grèce et de l'Allemagne, et du Royaume-Uni où il y a une licence de droit), ces ventes pourraient être limitées.

(19) Comme exposé plus haut, les clous et chargeurs doivent être fabriqués spécialement pour pouvoir fonctionner avec certaines marques ou certains types de pistolets et ne peuvent être utilisés dans toutes les marques. Pour autant que sache la Commission, Hilti est la seule société à avoir revendiqué et fait respecter avec succès la protection d'un brevet pour ses chargeurs, de sorte que tout autre chargeur pouvant fonctionner efficacement dans les pistolets Hilti constituerait apparemment une contrefaçon. Au Royaume-Uni, Hilti fait valoir que, s'il est vrai que des chargeurs reproduisant le dessin des chargeurs Hilti porteraient atteinte à son droit d'auteur, il est possible de fabriquer des chargeurs d'un dessin différent, comme ceux produits par Fiocchi, sans qu'il y ait une telle atteinte. Toutefois, Bauco avance que, pour pouvoir fonctionner de façon à la fois efficace et sûre dans un pistolet de scellement Hilti, le chargeur doit être d'un dessin tellement similaire à celui de Hilti qu'il y aurait un risque sérieux de violation du droit d'auteur allégué de Hilti. De plus, Hilti n'a pas reconnu que des chargeurs autres que ceux de sa propre conception seraient en mesure de fonctionner de façon efficace et sûre dans ses pistolets de scellement. En conclusion, la part de Hilti dans le marché CEE des chargeurs compatibles avec ses propres appareils est donc très importante et supérieure à sa part du marché des chargeurs en général.

(20) Aux Etats-Unis, les brevets en matière de chargeurs ayant une portée plus restreinte, les chargeurs produits par des entreprises ne fabriquant pas de pistolets peuvent être plus aisément obtenus que dans la CEE et les producteurs indépendants de chargeurs et de clous y détiennent une plus grande part de marché. Certains clous fabriqués par les producteurs de pistolets pour leurs propres appareils sont également vendus pour être utilisés dans d'autres marques de pistolets de scellement. De plus, certains des fabricants indépendants de clous sur le marché européen vendent également aux Etats-Unis.

d) Le système de distribution de pistolets de scellement et de produits consommables dans la CEE

(21) La politique de distribution de Hilti dans la CEE a généralement été de vendre directement aux utilisateurs finals. En Belgique, en Allemagne, en France, en Espagne, en Irlande et au Royaume-Uni, Hilti opère par l'intermédiaire de filiales à 100 %. Au Portugal, en Italie, en Grèce, au Danemark et aux Pays-Bas, Hilti a désigné des distributeurs locaux exclusifs qui lui sont étroitement liés par l'accord international Hilti. Les contrats conclus avec ces distributeurs indépendants comportent la plupart, voire la totalité des clauses suivantes:

a) le distributeur obtient le droit exclusif de vendre dans le pays dans lequel il opère;

b) le distributeur s'engage à ne vendre directement qu'aux utilisateurs finals;

c) le distributeur n'a pas le droit de fabriquer, de négocier ou de vendre des produits qui concurrencent directement ceux de Hilti;

d) Hilti assiste le distributeur en lui fournissant toute formation ou information nécessaire;

e) le distributeur s'engage à suivre la politique générale du groupe international Hilti conformément à la charte internationale Hilti, qui prévoit une coopération étroite entre les parties;

f) le distributeur est libre de fixer ses prix après consultation de Hilti et compte tenu de la politique de prix pratiquée par le groupe international Hilti.

(22) Dans certains Etats membres, Hilti a commencé à vendre à des utilisateurs autres que finals, comme par exemple les sociétés de location d'équipements, ou à d'autres distributeurs jouant un rôle limité, mais significatif et de plus en plus important dans la distribution des pistolets de scellement et des produits consommables. Il n'y a pas de contrats formels de distribution avec ces sociétés de location ou autres distributeurs. Au Royaume-Uni, au Danemark et en Espagne en particulier, cette commercialisation indirecte représente maintenant une part significative, quoique encore assez modeste, des ventes de Hilti (7).

(23) Les autres fabricants de pistolets de scellement recourent à toute une série de systèmes de distribution différents. Certains d'entre eux opèrent par l'intermédiaire de filiales à 100 % et, dans une moindre mesure, de distributeurs exclusifs pour certains Etats membres, la politique consistant à vendre directement aux utilisateurs finals. D'autres - il s'agit souvent de petits fabricants - se partagent entre la vente directe aux utilisateurs finals et la vente par l'intermédiaire d'agents ou de sociétés de location d'équipements, sur une base informelle et non exclusive. Une minorité de fabricants commercialisent l'essentiel de leurs appareils par l'intermédiaire d'agents ou de sociétés de location d'equipements sur la base susmentionnée.

(24) S'agissant d'assez petites entreprises, les fabricants indépendants de clous, et notamment les demandeurs, dont les produits sont destinés aux appareils Hilti et à des pistolets d'autres marques, vendent normalement par l'intermédiaire de sociétés de location d'équipements ou de distributeurs ou agents similaires. De plus, Eurofix a ses propres revendeurs, qui traitent directement avec les utilisateurs finals.

III. PLAINTES ET ENGAGEMENT

e) Demandes de constatation d'infraction

(25) Par une demande formelle en date du 7 octobre 1982, au titre de l'article 3 du règlement n° 17, Eurofix s'est plaint auprès de la Commission d'infractions commises par Hilti aux dispositions de l'article 86 du traité CEE. Eurofix prétend que Hilti AG, agissant par l'intermédiaire de ses filiales dans la CEE, met en œuvre une stratégie commerciale ayant pour objectif de l'évincer du marché des clous compatibles avec les appareils Hilti. Eurofix soutient, en substance, que Hilti refuserait de fournir des chargeurs aux revendeurs ou distributeurs indépendants de produits Hilti lorsque la commande ne comporte pas un complément obligatoire de clous; afin de pouvoir vendre ses clous pour pistolets de scellement Hilti, Eurofix a essavé d'obtenir lui-même des fournitures de chargeurs; Hilti aurait persuadé son revendeur indépendant aux Pays-Bas d'interrompre ses livraisons de chargeurs à Eurofix, précédemment obtenues par ce canal; enfin, Eurofix aurait essuyé un nouveau refus de fourniture de chargeurs après s'être directement adressé à Hilti. Par ailleurs, Eurofix a demandé une licence de droit, dont les conditions ont été ultérieurement fixées par le contrôleur des brevets du Royaume-Uni. Hilti a indiqué au demandeur qu'elle considérait qu'une telle licence de brevet ne conférait aucune licence au titre des droits d'auteur que Hilti prétend détenir au Royaume-Uni.

(26) Bauco a introduit une demande similaire auprès de la Commission pour violation de l'article 86 par Hilti et a demandé l'adoption de mesures provisoires. Dans une demande formelle en date du 26 février 1985, au titre de l'article 3 du règlement n° 17, Bauco a soutenu que sa clientèle n'aurait pas la possibilité d'acheter des chargeurs Hilti sans complément de clous, de sorte que Bauco éprouve des difficultés à écouler ses propres clous; Hilti refuserait de fournir des chargeurs à Bauco; les tentatives faites par Bauco pour acheter, par l'intermédiaire de tiers, des chargeurs auprès du distributeur indépendant de Hilti aux Pays-Bas auraient été bloquées; enfin, Hilti aurait réduit les remises qu'elles consent sur ses produits aux clients de Bauco parce qu'ils achetaient des clous Bauco. Par ailleurs, Hilti a refusé de concéder à Bauco une licence pour fabriquer ou importer des chargeurs. Lorsque Bauco a fabriqué ou importé de tels chargeurs, Hilti a engagé une procédure de référé pour contrefaçon et atteinte aux droits d'auteur. A la suite de cette action, Bauco a signé, le 4 décembre 1984, un accord pour lequel il s'engageait à ne pas vendre, importer ou fabriquer des chargeurs dont le dessin reproduit ceux sur lesquels Hilti détient des droits d'auteur ou qui constituent une contrefaçon des brevets de Hilti. Bauco a demandé une licence de droit, mais il craint qu'en raison du droit d'auteur revendiqué par Hilti, une licence de droit au titre de la législation sur les brevets soit de peu d'utilité. Les conditions de la licence de droit ont été ensuite fixées par le contrôleur des brevets.

f) La procédure de mesures provisoires et l'engagement pris ultérieurement par Hilti

(27) A la suite de la demande de mesures provisoires présentée par Bauco, la Commission a demandé des renseignements à Hilti, conformément à l'article 11 du règlement n° 17, et a procédé à des vérifications dans les locaux de Hilti Gb, conformément à l'article 14 de ce même règlement.

(28) Après avoir analysé les renseignements ainsi recueillis, la Commission a considéré qu'il y avait tout lieu de supposer que Hilti détenait une position dominante sur le marché des pistolets de scellement et des produits consommables et avait abusé de cette position, notamment en subordonnant la fourniture de chargeurs à l'achat de clous. En conséquence, la Commission a engagé la procédure visée à l'article 3 paragraphe 1 du règlement n° 17 et a adressé à Hilti, le 9 août 1985, une communication des griefs ayant pour objet d'aboutir à une décision de mesures provisoires.

(29) Plutôt que d'exercer son droit de défense dans la perspective de mesures provisoires, Hilti, sous toutes réserves de droit, a proposé - et la Commission a accepté - un engagement, signé le 27 août 1985, qui resterait en vigueur jusqu'à ce que la Commission ait achevé ses investigations et soit parvenue à ses conclusions dans cette affaire (8). Pour toute la durée de validité de cet engagement, Hilti a déclaré qu'elle cesserait de jumeler la vente de chargeurs et celle de clous et qu'elle ne ferait aucune discrimination en matière de remises à l'égard de commandes portant exclusivement sur des chargeurs et s'abstiendrait de toute mesure d'effet équivalent. Entre-temps, la Commission a terminé son enquête, qui a abouti à la présente décision.

IV. LE COMPORTEMENT COMMERCIAL DE HILTI

g) Jumelage des chargeurs et des clous

(30) L'enquête de la Commission fait apparaître que Hilti a mené une politique consistant à ne fournir des chargeurs à certains utilisateurs finals ou distributeurs (les entreprises de location d'équipements, par exemple) que lorsque ces chargeurs étaient commandés conjointement avec leur complément nécessaire de clous. En réponse à une demande de renseignements qui lui avait été adressée conformément à l'article 11 du règlement n° 17, Hilti a tout d'abord nié un tel jumelage: " Les vendeurs de Hilti GB offrent un système complet de fixation Hilti, mais il ne fait aucun doute que chaque article du système peut être obtenu séparément et indépendamment de tout autre . . ., de même qu'il est clair qu'il existe des marchés indépendants pour les pistolets de scellement, qui ne sont vendus qu'une seule fois à un utilisateur final déterminé, et pour les accessoires consommables tels que cartouches et éléments de fixation (clous et goujons), qui doivent être constamment remplacés . . . Les clients d'appareils Hilti ont toute liberté de passer leurs commandes de clous et cartouches où ils l'entendent " (Lettre de Hilti en date du 23 mars 1983, point 1.2) (9).

(31) Au cours de l'enquête, il est cependant apparu ce qui suit:

31.1. Dans leurs demandes, Eurofix et Bauco ont tous deux indiqué que leurs clients avaient eu des difficultés lorsqu'ils commandaient des chargeurs à Hilti sans acheter en même temps des clous. Pour Eurofix, ces difficultés remontent à 1981. Les clients de Bauco ont eu des difficultés à partir de 1984, lorsque cette société a commencé à vendre des clous compatibles avec les appareils Hilti.

31.2. En réponse à des lettres concernant la situation sur le marché, envoyées conformément à l'article 11 du règlement n° 17, deux fabricants indépendants de clous, danois et allemand, ont, l'un et l'autre, indiqué que Hilti pratiquait le jumelage des clous et des chargeurs, de sorte qu'il leur était difficile d'écouler leur propre production de clous.

31.3. La documentation interne de Hilti GB mise à la disposition des inspecteurs de la Commission montre que ce jumelage était pratiqué vis-à-vis de certains clients. La lettre adressée le 17 mai 1983 par Hilti GB à Hilti AG au sujet d'un client d'Eurofix indique que " le client a maintenant été avisé qu'un embargo a été mis sur les ventes portant uniquement sur les cartouches (cette restriction n'a été communiquée que verbalement au client, sans rien d'écrit) ". Une note interne de Hilti GB à son distributeur régional pour les Midlands en date du 24 juin 1983, concernant un autre client d'Eurofix, précise que ce client " désirait une grande quantité de cartouches Hilti. Celles-ci semblent destinées à être utilisées avec des clous Profix (Eurofix) et ne doivent en aucun cas être fournies à un client. Si l'un d'entre vous reçoit une commande similaire, prière d'en informer immédiatement le responsable régional ".

31.4. D'une manière générale, lorsque Hilti estime que les cartouches sont destinées à être utilisées avec des clous qu'elle croit pouvoir unilatéralement juger dangereux, les commandes sont refusées. Hilti paraît considérer que tout usage de clous Bauco ou Eurofix dans ses pistolets de scellement est dangereux (10).

(32) Dans sa réponse à la communciation des griefs, Hilti reconnaît que, dans certains cas, elle a refusé de fournir des clients en chargeurs sans clous. Après l'engagement pris par Hilti, les deux demandeurs indiquent qu'ils peuvent maintenant écouler leurs clous plus aisément, Hilti acceptant en général de vendre des chargeurs sans commande complémentaire de clous.

h) Discrimination à l'égard des commandes portant exclusivement sur des cartouches

(33) Lorsque Hilti n'a pas pratiqué le jumelage décrit ci-dessus, elle a cherché à bloquer la vente de clous fabriqués par ses concurrents en réduisant ses remises pour les commandes de cartouches non accompagnées de commandes de clous. Cette réduction des remises ne se fondait pas principalement sur des critères objectifs, par exemple de quantité, mais essentiellement sur le fait que le client se fournissait en clous auprès de concurrents de Hilti.

(34) A cet égard, les faits sont les suivants:

34.1. Dans sa demande, Bauco soutient que les remises normalement consenties à ses clients auraient été réduites par Hilti en raison de l'achat de clous Bauco.

34.2. La documentation interne de Hilti GB, dont les inspecteurs de la Commission ont eu connaissance, montre qu'en réduisant ses remises, Hilti cherchait à bloquer la vente de clous fabriqués par ses concurrents. La lettre adressée le 17 mai 1983 par Hilti GB à Hilti AG à propos d'un client d'Eurofix précise: " Leur remise sur les cartouches DX serait sensiblement réduite et accordée uniquement pour l'achat d'une quantité identique de cartouches et d'éléments de fixation. " Cette position fait suite à la lettre adressée le 19 mai 1983 à Hilti GB par ce client, qui demandait sa remise habituelle sur une importante commande de cartouches. Les instructions internes de Hilti GB, du 6 février 1981, à tous ses responsables régionaux leur donnent la consigne suivante: " Vous devez veiller à ce que les clients qui achètent des clous Profix destinés à être utilisés dans des appareils Hilti ne continuent pas à bénéficier, à l'issue d'un délai de préavis approprié de votre part, d'un service d'entretien des appareils sur place, d'actions de formation, de conseils techniques et de remises sur les cartouches. Il faut faire comprendre aux utilisateurs que ces services offerts par Hilti ne seront assurés aux acheteurs de clous Profix. " Un autre exemple est la lettre envoyée le 23 mai 1985 par Hilti GB à un des clients de Bauco lui communiquant son intention de réduire la remise qui lui était consentie. La documentation interne de Hilti montre que Hilti avait conscience qu'il lui serait difficile de refuser de fournir des clients réguliers ou de longue date, mais que la réduction des remises pouvait avoir le même effet. La remise consentie à Firth Industrial Services (un important client de Bauco) a également été notablement réduite, de même que celle de Sandell Perkins. Ces cas seront examinés ci-dessous.

34.3. Bauco a indiqué que la discrimination vis-à-vis des commandes portant exclusivement sur des cartouches était pratiquée en ce sens que l'un de ses clients avait été informé par Hilti que les commandes de plus de 5 000 cartouches sans clous devaient être soumises à l'approbation du responsable régional.

34.4. Devant les faits présentés par le deuxième demandeur, mais avant la vérification dans les locaux de Hilti GB, Hilti n'a pas nié ces pratiques. Dans une lettre adressée à la Commission le 4 juin 1985, Hilti déclare: " Dans le cadre de ses efforts de commercialisation, Hilti cherche à influencer ses clients et à les persuader de n'utiliser ses appareils de fixation directe qu'avec des fournitures Hilti. Dans la même perspective, elle s'efforce d'influencer les entreprises de location d'équipements et de les persuader de lui acheter les clous nécessaires lorsqu'elles passent des commandes de cartouches. A cette occasion, Hilti consent des remises aux entreprises de location d'équipement qui achètent à la fois des cartouches et des clous. " En ce qui concerne les ordres portant sur plus de 5 000 cartouches, la lettre ajoute: " Dans de tels cas, le manager responsable peut essayer et s'efforcer souvent de convaincre le client d'acheter aussi les autres produits consommables à Hilti et il peut lui offrir une remise. " La lettre que Hilti a écrite à la Commission le 3 octobre 1985, c'est-à-dire après son engagement, confirme une nouvelle fois cette optique: " Il se peut que l'une des raisons données par Hilti à certaines entreprises de location d'équipements pour la suppression de leur traitement préférentiel (11) ait été que ces entreprises utilisaient pour les appareils DX de Hilti des clous que Hilti ne considérait pas comme suffisamment fiables pour la sécurité de fonctionnement de ses appareils. "

34.5. Dans sa réponse à la communication des griefs, Hilti reconnaît qu'elle pratiquait une politique générale consistant à accorder des remises spéciales pour les achats jumelés de chargeurs et de clous et/ou à refuser les remises normales pour les commandes portant exclusivement sur des chargeurs.

i) Obstacles ou entraves aux exportations

(35) Hilti a exercé des pressions sur ses distributeurs indépendants, en particulier aux Pays-Bas, pour qu'ils n'honorent pas certaines commandes à l'exportation, notamment à destination du Royaume-Uni. C'est ainsi que Hilti Pays-Bas n'acceptait de donner suite à des commandes à l'exportation que pour les pays extérieurs à la CEE. Normalement, Hilti Pays-Bas aurait tiré profit de toute commande importante à l'exportation, y compris vers le Royaume-Uni; il est donc clair que son refus résultait de la pression et de la persuasion exercées par Hilti et décrites ci-dessous.

(36) A cet égard, les faits sont les suivants:

36.1. Les deux demandeurs ont connu des difficultés. En 1981, Eurofix a acheté des cartouches par l'intermédiaire d'une entreprise tierce auprès de Hilti Pays-Bas pour un prix correspondant approximativement à la moitié du tarif en vigueur à l'époque au Royaume-Uni. Les tentatives suivantes d'Eurofix pour obtenir des fournitures se sont heurtées à un refus dès le moment où, selon lui, Hilti GB a pris conscience de la provenance de des cartouches sur le marché du Royaume-Uni. Bauco prétend également dans sa demande qu'il a essayé d'obtenir des cartouches de Hilti Pays-Bas par l'intermédiaire d'entreprises tierces parce que les prix étaient nettement intérieurs. En réponse à cette commande, Hilti Pays-Bas a indiqué qu'Hilti AG avait donné instruction de ne pas fournir des cartouches sans les clous. A l'occasion d'une nouvelle prise de contact en janvier 1985, Hilti Pays-Bas a proposé des cartouches à condition qu'elles soient destinées à l'exportation en dehors de la CEE.

36.2. Les documents Hilti envoyés en réponse à une demande de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17 montrent que Hilti Pays-Bas a été persuadée de ne pas fournir Eurofix et confirment la version des faits présentés ci-dessus. Dans sa lettre à la Commission du 23 mars 1983, Hilti déclare que la première commande d'Eurofix en 1981 a été honorée parce qu'elle était destinée à l'exportation et qu'une remise a été consentie parce que Hilti n'aurait pas de frais de formation. Dans sa lettre du 21 janvier 1985 à la Commission (avant réception de la deuxième plainte), Hilti a apporté de nouvelles précisions en ce qui concerne cet aspect de l'affaire. Il apparaît que, dès le moment où Hilti GB a identifié la source des cartouches livrées à Eurofix, elle a pris contact avec Hilti AG, qui a envoyé une lettre circulaire à toutes ses filiales et à tous ses distributeurs indépendants, les mettant en garde contre toute livraison à Profix (Eurofix), qui n'avait pas de source indépendante d'approvisionnement en cartouches (voir circulaire de Hilti du 14 décembre 1981). Une circulaire antérieure de Hilti, datée du 24 novembre 1981, mettait également en garde contre toute fourniture de cartouches à Profix (Eurofix). La mise en garde portait aussi sur les livraisons de chargeurs à certains autres distributeurs indépendants, nommément désignés, d'appareils Hilti au Royaume-Uni, qui étaient, à l'époque, approvisionnés par Hilti GB et qui étaient soupçonnés de fournir Profix. Dans une autre lettre, datée du 17 juin 1982, Hilti AG a donné à Hilti Pays-Bas un modèle de réponse pour refuser, en s'appuyant sur de prétendues considérations de sécurité, toute commande émanant de Profix (Eurofix).

(37) Après l'engagement pris par Hilti, les deux demandeurs ont pu obtenir des livraisons directes ou indirectes de cartouches Hilti de Hilti Pays-bas.

j) Refus de fournir Eurofix, Bauco ou d'autres concurrents

(38) Hilti a pour politique de ne pas fournir de cartouches aux fabricants indépendants de clous ou autres fabricants de pistolets de scellement. En réponse à des demandes dans ce sens, Hilti a constamment refusé de fournir Eurofix et Bauco.

k) Moyens dilatoires dans la concession de licences de brevet

(39) Confrontés aux difficultés décrites ci-dessus, les demandeurs ont essayé, pour pouvoir vendre leurs clous, d'avoir leur propre approvisionnement indépendant en chargeurs non fabriqués par ou pour Hilti. Une licence de brevet était nécessaire à cet effet, que, toutefois, Hilti n'était pas disposée à concéder. Alors même que des licences de droit pouvaient être obtenues au Royaume-Uni depuis 1984, Hilti a tenté de fixer la redevance à un niveau tellement élevé qu'elle équivalait à un refus. Elle a également indiqué aux licenciés potentiels que la licence ne leur conférerait aucun droit au titre du droit d'auteur qu'elle revendiquait pour de tels chargeurs.

(40) A cet égard, les faits sont les suivants:

40.1. Dans une lettre du 20 novembre 1984 à Eurofix, Hilti a déclaré qu'elle avait pour politique de ne pas concéder des licences de brevets, mais que, comme Eurofix pouvait obtenir une licence de droit, elle proposait une redevance de 28 %. Hilti a précisé qu'une telle licence ne conférerait aucun droit au titre du droit d'auteur revendiqué par elle.

40.2. La demande de licence de droit introduite par Bauco (redevance proposée: 2 %) a reçu exactement la même réponse - voir les lettres de Hilti des 18 mai et 20 août 1984, qui proposaient une redevance de 28 % et mettaient en garde contre une violation du droit d'auteur revendiqué par Hilti. Bauco a commencé à fabriquer des cartouches avant d'avoir obtenu une licence de droit et Hilti a engagé une procédure de référé pour contrefaçon de brevet et violation du droit d'auteur. Une ordonnance de la High Court a interdit à Bauco de commercialiser des chargeurs qui portaient atteinte au brevet et au droit d'auteur revendiqué par Hilti.

40.3. La lettre interne de Hilti, du 25 juillet 1984, dont les inspecteurs de la Commission ont eu connaissance, montre clairement que Hilti savait qu'elle devait concéder une licence de droit, mais " exigeait une redevance élevée que Bauco ne pourrait accepter " (12).

40.4. Lorsque, à un stade ultérieur de la procédure, Hilti n'a pas contesté le chiffre proposé par Eurofix, le contrôleur des brevets (Controller of Patents) a fixé la redevance au niveau demandé par Eurofix de 3 pence par chargeur, c'est-à-dire environ 5 % du prix de barème de Hilti. La proposition initiale de Hilti représentait donc approximativement six fois le chiffre définitif. L'affaire est encore en instance, en attendant qu'il soit statué sur un appel interjeté par Hilti à propos de questions non liées à la redevance.

1) Refus de fournir des cartouches éventuellement destinées à la revente

(41) Lorsque Hilti a pu croire que les chargeurs commandés étaient destinés à la revente à des fabricants indépendants de clous, elle a refusé de fournir, même à des clients de longue date. Hilti a reconnu avoir pratiqué cette politique.

m) Système de remises discriminatoires au Royaume-Uni

(42) Outre les remises inférieures consenties sur les commandes portant exclusivement sur des cartouches, décrites plus haut, Hilti a décidé de classer les sociétés de location d'équipements et les revendeurs en deux catégories d'entreprises - privilégiées et non privilégiées - et d'accorder aux premières un taux de remise supérieur à celui consenti aux secondes, même pour des commandes de quantités similaires. En dehors de certains critères, qualitatifs, comme par exemple la volonté de suivre une formation, le statut d'entreprise privilégiée est notamment subordonné aux conditions suivantes:

- occuper une situation centrale,

- être disposé à conclure un accord avec Hilti et à accepter une politique de ventes directes régulières,

- admettre la fidélité à la marque pour toute une gamme de produits.

(43) Dans sa lettre du 23 janvier 1986 à la Commission, Hilti a décrit sa politique et déclaré qu'elle avait décidé de l'appliquer unilatéralement et sans consulter les entreprises de location d'équipements et les revendeurs. Hilti n'a jamais indiqué, ni publiquement ni à ses clients, qu'elle applique ce système ni quels sont les critères à remplir pour obtenir le statut privilégié. En fait, les remises consenties aux entreprises de location non privilégiées ont été sensiblement réduites sans aucune explication et même sans la moindre indication quant aux critères de sélection (13). Par ailleurs, dès lors que la " fidélité à la marque pour toute une gamme de produits " est un critère de sélection, il semblerait que l'utilisation dans les pistolets de scellement, de produits consommables fabriqués par des indépendants peut, dans certains cas, se solder par un statut d'entreprise non privilégiée, avec l'importante réduction de remises qui en résulte (14).

n) Refus d'honorer la garantie

(44) La politique de Hilti est de refuser d'honorer la garantie sur ses appareils lorsque les clous utilisés ne sont pas d'origine Hilti. Hilti reconnaît ce refus d'honorer la garantie.

o) Politiques sélectives ou discriminatoires dirigées contre les concurrents de Hilti et leurs clients

(45) Hilti pratiquait une stratégie systématique et bien établie de discrimination (normalement sous forme de rabais sélectifs ou d'autres avantages) dirigée contre ses concurrents et leurs clients. Cette politique est appliquée non seulement vis-à-vis des fabricants de produits consommables destinés aux appareils Hilti, mais aussi vis-à-vis d'autres fabricants de pistolets de scellement.

(46) A cet égard les faits sont les suivants:

46.1. Le document interne de Hilti du 5 mars 1984, dont les inspecteurs de la Commission ont eu connaissance dresse une liste de certains utilisateurs de pistolets de scellement autres que Hilti, notamment de marque Spit et Impex. Il décrit brièvement la stratégie à adopter pour rallier cette clientèle à Hilti, stratégie qui fait notamment appel à des offres spéciales de reprises d'appareils, à l'octroi de remises, voire à la fourniture gratuite d'appareils. Certains utilisateurs de clous Profix figurent également sur cette liste, la stratégie consistant à leur proposer des remises spéciales en vue de les encourager à adopter les produits Hilti.

46.2. D'autres notes internes, des 5 mars 1984, 23 septembre 1983, 20 septembre 1983, 21 janvier 1982 et 5 novembre 1981, confirment que la politique sélective ou discriminatoire vis-à-vis des concurrents et de leurs clients ne se limitait pas à des incidents isolés. Dans chaque cas, il s'agit de clients bien déterminés de marques concurrentes auxquels des offres discriminatoires particulières sont faites pour les rallier à Hilti.

46.3. Le cas de Firth mérite une mention particulière en ce sens qu'il illustre une stratégie soigneusement mise au point par Hilti et dirigée contre un des principaux clients de Bauco. Firth, qui est une société de location d'équipements, a été pendant de nombreuses années un gros client de Hilti qui, en raison des quantités achetées, lui consentait des remises élévées (25 % sur les pistolets de scellement). Les affaires de la société ont prospéré et Firth a commencé à acheter des clous autres que de marque Hilti, ce qui n'a pas échappé à Hilti, étant donné que les commandes de Firth d'acheter des clous d'une autre marque et d'étendre ses activités à des clients précédemment fournis directement par Hilti en réduisant à 10 % sur toute la gamme de ses produits la remise consentie à Firth. Cette mesure a été prise unilatéralement par Hilti, sans explication. Lorsque, comme Hilti s'y attendait, Firth a demandé la remise normale et a refusé de régler les factures mentionnant la remise réduite, Hilti a gelé son compte. En même temps, Hilti a identifié un certain nombre de clients de Firth, qui se sont vu proposer des " produits consommables compétitifs " ou des offres spéciales beaucoup plus avantageuses que les remises normalement consenties par Hilti, afin de détourner cette clientèle de Firth. Hilti a ainsi été en mesure d'accroître ses ventes dans la zone de Firth aux dépens de cette entreprise, de telle sorte, que non seulement les ventes de Firth, mais aussi celles de Bauco à Firth ont baissé. Cette version des faits est confirmée par des notes internes de Hilti en date des 15 novembre 1984, 7 décembre 1984, 4 mars 1985 et 10 mai 1985. De plus, Firth a fourni à la Commission des estimations de ses pertes commerciales dues à la politique de Hilti.

46.4. Après l'engagement souscrit par Hilti, Firth a continué à subir un traitement discriminatoire défavorable de la part de Hilti. Sa commande de 20 000 cartouches a été refusée et a été remplacée par une offre de 5 000 unités seulement. Il convient de noter qu'avant l'engagement, Hilti avait choisi ce chiffre comme seuil à partir duquel elle vérifiait si des clous d'autres marques étaient utilisés. Hilti prétend qu'il s'agit là d'une pure coïncidence et que les livraisons à Firth ont en fait été limitées à ses besoins commerciaux normaux. Ce n'est qu'auprès l'intervention des services de la Commission au sujet du respect de l'engagement en général que Hilti, sous toutes réserves, a accepté de rembourser à Firth le solde de toutes les remises en suspens ou contestées et d'honorer la commande de 20 000 cartouches. Cette version des faits est confirmée par la lettre que Hilti a adressée le 16 septembre 1985 à la Commission, par les lettres de la Commission à Hilti en date des 26 septembre et 4 octobre 1985 et par la lettre de Hilti à Firth du 14 octobre 1985.

(47) Une autre société de location d'équipements, Sandell Perkins, l'un des principaux clients de Bauco, a connu en partie les mêmes difficultés que Firth. Les remises dont elle bénéficiait ont été réduites unilatéralement par Hilti en raison de l'achat de clous Bauco et non en raison d'une diminution quantitative de ses achats (15). Cet exemple illustre la politique de Hilti envers les entreprises de location d'équipements non privilégiées. A l'issue de discussions entre Hilti et les services de la Commission au sujet de l'engagement en général, Hilti, de sa propre initiative, a rétabli les remises supérieures précédemment consenties à Sandell Perkins (voir lettre de Hilti du 17 décembre 1985).

p) Autres comportements postérieurs à l'engagement

(48) Dans le cas de Firth, on a décrit ci-dessus la manière dont, après l'engagement, Hilti a tenté de mettre en œuvre une politique consistant à limiter les fournitures de cartouches sans clous à des quantités correspondant aux " besoins antérieurs ". Il est possible que les sociétés qui étaient clientes de Bauco ou d'Eurofix aient eu des " besoins antérieurs " faibles, en raison de la politique de jumelage ou de réduction des remises pratiquées par Hilti. Un autre exemple des pratiques de Hilti après l'engagement fut sa tentative de limiter des livraisons à Flag Hire à 2 000 cartouches par mois, alors que cette entreprise en avait commandé 25 000. A l'issue de discussions entre Hilti et les services de la Commission concernant le respect de l'engagement en général, cette politique a été abandonnée (voir la lettre de Hilti à la Commission en date du 17 janvier 1986).

(49) Il semble qu'actuellement, Hilti accepte en général de fournir des chargeurs sans livrer en même temps des clous. Toutefois, Hilti continue, apparemment, dans certains cas à consentir des remises de quantité inférieures lorsque les commandes portent exclusivement sur des cartouches. Cette politique est susceptible de décourager de telles commandes. La lettre adressée par Hilti à la Commission le 17 janvier 1986 concerne un client qui s'est vu offrir une ristourne de 10 % seulement, au lieu de la remise normale de quantité de 25 %, sur une commande de 25 000 cartouches. En réalité, il semble que Hilti applique toujours sa politique occulte et unilatérale de remises différenciées aux entreprises de location d'équipements selon qu'elles bénéficient ou non du statut privilégié, dont l'un des critères d'attribution est la fidélité à la marque en général et l'achat de produits consommables Hilti en particulier.

V. CONSEQUENCES ECONOMIQUES DU COMPORTEMENT DE HILTI

(50) Hilti est de loin le plus grand fabricant et fournisseur de produits consommables pour pistolets de scellement dans le marché commun. De plus, elle est parvenue à limiter la pénétration sur le marché de fabricants indépendants de clous et de chargeurs désirant vendre des produits consommables pour les pistolets Hilti, à telle enseigne que ces producteurs indépendants ne fournissent qu'une proportion relativement faible des produits consommables utilisés dans les pistolets Hilti.

(51) Hilti a été mesure de facturer des prix très différents sur les marchés des divers Etats membres. Même si l'on se fonde sur les chiffres communiqués par Hilti (dont la Commission considère qu'ils sous-estiment les différences et excluent certains Etats membres), les écarts de prix observés entre les Etats membres où Hilti distribue elle-même ses produits peuvent atteindre (...%) pour les pistolets, (...%) pour les chargeurs et (...%) pour les clous. Si l'on tient compte des Etat membres où Hilti opère par l'intermédiaire de distributeurs indépendants, les écarts peuvent atteindre (...%) pour les pistolets, (...%) pour les chargeurs et (...%) pour les clous. Par ailleurs, Hilti peut appliquer des marges bénéficiaires brutes très importantes sur ses divers produits. Dans les Etats membres où Hilti distribue elle-même, la marge peut être de (...%) pour les pistolets, (...%) pour les chargeurs et (...%) pour les clous. En fait, si l'on prend en considération les différents prix de transfert entre Hilti AG et ses filiales, les marges paraissent même encore supérieures. Il convient d'apprécier ces marges en tenant compte du fait que les coûts de distribution des filiales de Hilti s'élèvent à (...%) environ de leurs recettes diminuées du coût d'achat.

VI. PREUVES ET JUSTIFICATIONS

(52) La Commission a rassemblé un nombre considérable de preuves attestant le comportement commercial décrit ci-dessus, et émanant non seulement des demandeurs, qui ont eu à subir les effets de ces politiques sur le marché, et de leurs clients, qui en ont également été la cible, mais aussi des lettres ou notes internes de Hilti elle-même. Ces données ont pu être réunies bien que Hilti ait eu en général pour ligne de conduite de ne pas informer ses clients par écrit de ses politiques et des raisons de celles-ci (par exemple, note interne de Hilti du 4 mars 1985). Il est vrai qu'après les demandes de constatation d'infraction, l'enquête et la communication des griefs de la Commission, la plupart de ces pratiques ont été reconnues. Cependant, tout en reconnaissant ces pratiques, Hilti maintient qu'elles ont été motivées par des préoccupations de sécurité, par les impératifs d'une formation adéquate et par la nécessité d'exclure les produits consommables inférieurs aux normes. Ces arguments sont examinés ci-dessous dans l'appréciation juridique.

B. APPRECIATION JURIDIQUE

a) Article 86

(53) Aux termes de l'article 86 du traité CEE, est incompatible avec le marché commun et interdit dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.

b) Les entreprises

(54) La destinataire de la présente décision est la société Hilti AG (Liechtenstein), qui contrôle directement ou indirectement les actions de ses filiales faisant partie du groupe. Bien que certaines des politiques commerciales décrites ci-dessus aient été le fait de filiales de Hilti, notamment Hilti GB (contre laquelle à été déposée la demande initiale), les preuves documentaires recueillies ne permettent pas de douter que ces politiques commerciales générales, sinon les détails de chacune de leurs applications individuelles, aient été mises en œuvre sous la direction ou au su de Hilti AG (16). La stratégie consistant à tenter d'empêcher des fabricants indépendants de clous de fournir des clous destinés aux pistolets de scellement Hilti est la politique de Hilti AG. Celle-ci est par conséquent responsable de toute action de ses filiales constituant une application de la politique du groupe, ainsi que de son propre rôle dans les pratiques dont il lui est fait grief. Hilti AG et ses filiales doivent donc être considérées comme formant une entreprise unique au sens de l'article 86.

c) Le marché de référence

Point de vue de la Commission

(55) Pour la plupart des marques de pistolets de scellement, les chargeurs et, dans une moindre mesure, les clous et goujons doivent être spécifiquement adaptés à la marque pour pouvoir fonctionner de façon adéquate. L'utilisateur d'un pistolet Hilti doit par conséquent se fournir en chargeurs et en clous spécifiquement fabriqués pour être utilisés dans ce pistolet. En l'espèce, les marchés de produits concernés sont donc celui des chargeurs compatibles avec les appareils Hilti et celui des clous compatibles avec ces appareils. Il s'agit de marchés distincts parce que, du côté de l'offre, les clous et les chargeurs sont fabriqués selon des technologies entièrement différentes et, souvent, par des sociétés différentes.Du côté de la demande, s'il est vrai que l'utilisateur a besoin d'un complément égal de clous et de cartouches, ces produits ne sont pas nécessairement achetés en même temps et en quantités identiques. Cela s'explique en partie par le fait qu'il y a beaucoup plus de types de clous et goujons que de chargeurs et que les clous sont quelquefois fixés manuellement plutôt qu'au moyen d'un pistolet de scellement. Il convient cependant de noter que, pour les producteurs qui fabriquent déjà des clous et des chargeurs pour une marque de pistolets, les obstacles à la fabrication de tels produits pour d'autres marques de pistolets de scellement sont relativement faibles, dès lors qu'il n'existe pas de barrières artificielles ou institutionnelles. De plus, les pistolets de scellement constituent également un marché de référence distinct qui doit être retenu en l'espèce.

(56) Hilti est donc un concurrent potentiel sur les marchés de référence distincts des chargeurs et des clous en général, mais un concurrent direct sur les marchés des chargeurs et des clous destinés à être utilisés dans ses propres appareils. Hilti détient des brevets pour ses chargeurs dans l'ensemble de la Communauté (sauf en Grèce et en Allemagne, où les brevets se sont éteints en 1986, et au Royaume-Uni où les brevets peuvent donner lieu à une licence de droit). De plus, en ce qui concerne le Royaume-Uni, Hilti revendique un droit d'auteur pour ses chargeurs. Cela a empêché des fabricants indépendants de chargeurs d'en fabriquer ou d'en commercialiser. Aucune barrière institutionnelle de cette nature n'existe cependant pour les clous; si Hilti ne pratiquait pas une politique consistant à jumeler les ventes de clous avec celles des chargeurs brevetés ou des mesures tendant au même effet, il n'y aurait aucune entrave notable à l'accès d'autres fabricants de clous au marché des clous compatibles avec les pistolets Hilti. Le marché géographique concerné pour les pistolets de scellement et les produits consommables compatibles Hilti est l'ensemble de la CEE. En l'absence de toute barrière artificielle, ces produits peuvent être transportés à travers la CEE sans frais de transport excessifs.

Point de vue de Hilti

(57) La Commission rejette la thèse avancée par Hilti selon laquelle les pistolets, les chargeurs et les clous devraient être considérés comme formant un tout indissociable, à savoir un système de fixation à charge propulsive. Le fait même qu'il existe des producteurs indépendants de clous et de chargeurs, qui ne fabriquent pas de pistolets de scellement, montre que ces articles répondent à des conditions d'offre différentes. De plus, certains fabricants de pistolets de scellement font appel à des fabricants indépendants de clous et de chargeurs pour fournir une partie au moins des produits consommables dont ils ont besoin. Hilti elle-même s'en remet à Dynamit Nobel et à Cartoucherie de Survilliers (précédemment aussi à Fiocchi) pour approvisionner directement ses filiales et distributeurs en chargeurs. Certains fabricants indépendants de clous comptent également des producteurs de pistolets de scellement parmi leur clientèle. Enfin, du côté de la demande, il y a lieu de noter que l'achat d'un pistolet de scellement représente un investissement qui est normalement utilisé et amorti sur une période relativement longue. En revanche, les chargeurs et les clous constituent, pour les utilisateurs, une dépense courante et sont commandés selon les besoins du moment. Les pistolets et les produits consommables ne sont pas achetés ensemble; la décision dépend, en fait, d'un ensemble de considérations diverses. Ces facteurs ont été soulignés dans la lettre de Hilti à la Commission en date du 23 mars 1983, d'où il ressortait que les clous, les chargeurs et les pistolets de scellement constituent des marchés distincts. Il est donc permis de conclure que les pistolets, les chargeurs et les clous, bien qu'interdépendants, répondent à des conditions d'offre et de demande différentes et constituent des marchés de produits distincts.

(58) De même qu'elle ne peut accepter que les systèmes de fixation à charge propulsive doivent être considérés comme formant un marché unique, la Commission n'admet pas la thèse de Hilti selon laquelle ces appareils feraient partie du marché des systèmes de fixation en général pour le secteur de la construction. Il se peut que, pour chaque type de fixation réalisable par des pistolets de scellement, il y ait au moins une autre solution techniquement acceptable. En effet, les fixations peuvent être effectuées au moyen de perceuses à main ou à moteur et, dans certains autres cas, par soudage par points, vis autotaraudeuses, rivets ou boulons et écrous. Aucune de ces méthodes de fixation ne fait cependant partie, pour les raisons exposées ci-dessous, du même marché de référence que les pistolets de scellement.

(59) Du côté de l'offre, les divers types d'équipements de fixation sont en général produits au moyen de technologies totalement distinctes, dans des conditions différentes et par des sociétés différentes (c'est, par exemple, le cas des pistolets de scellement et des équipements de soudage par points).

(60) Du côté de la demande, la Commission considère que, si les systèmes de fixation à charge propulsive et d'autres procédés de fixation faisaient partie du même marché concerné, des hausses (baisses) au moins légères mais significatives dans le prix d'un pistolet de scellement, d'un clou ou d'une cartouche devraient obligatoirement provoquer un déplacement sensible de la demande au profit (ou au détriment) de l'autre procédé de fixation. En d'autres termes, de petites variations de coût suffiraient à rendre les diverses méthodes de fixation interchangeables. Ce n'est que dans de telles circonstances qu'il serait impossible à une société détenant une part importante des ventes d'un procédé de fixation donné d'exercer un pouvoir économique significatif et d'agir indépendamment de la clientèle ou de la concurrence. Si ces conditions étaient réunies, toute action indépendante de cette nature ou tout exercice d'un pouvoir économique par le producteur d'un procédé de fixation se traduirait alors par une chute notable de la demande pour ce type de fixation et par une augmentation correspondante de la demande d'autres systèmes. Cet élément revêt donc une importance considérable pour définir le marché concerné dans le cadre des règles de concurrence. Toutefois, pour les produits en cause, l'élasticité de la demande aux prix des divers systèmes de fixation ne peut être telle qu'ils fassent partie du même marché concerné. En fait, malgré le comportement de Hilti, aucun déplacement de ce genre de la demande n'a été observé. Les raisons en sont exposées ci-dessous.

(61) Un grand nombre de facteurs interviennent dans le choix d'un procédé de fixation pour un travail donné sur un chantier déterminé, et notamment:

61.1. les diverses possibilités techniques pour réaliser la fixation, le type de matériaux à fixer et la fiabilité de l'équipement nécessaire, compte tenu des conditions sur le chantier;

61.2. la disponibilité de l'équipement et la praticabilité des diverses techniques pour le travail à effectuer;

61.3. la capacité de charge et la durabilité de la fixation à réaliser;

61.4. les qualifications techniques ou l'expérience des opérateurs disponibles pour effectuer la fixation;

61.5. les lois et réglementations en matière de construction;

61.6. les contraintes de temps pour accomplir le travail ou exécuter le contrat;

61.7. le coût des fixations, qui comporte non seulement celui du matériel (clous et cartouches dans le cas des systèmes de fixation à charge propulsive), mais aussi celui de la mise en place préalable et la durée nécessaire pour effectuer les fixations proprement dites (salaire des opérateurs), ainsi que l'amenée éventuelle de sources d'énergie.

(62) Eu égard à ce qui précède, les systèmes de fixation à charge propulsive présentent certaines caractéristiques qui diffèrent quelquefois radicalement de celles d'autres procédés de fixation entrant en ligne de compte dans le choix du système à utiliser pour un travail donné sur un chantier déterminé.

D'une part:

62.1. les pistolets de scellement sont très polyvalents et aisément portables; ils peuvent réaliser une large gamme de fixations très diverses (métal sur métal, bois sur béton, etc.) et ne nécessitent la présence d'aucune source d'énergie sur le chantier;

62.2. aucune mise en place préalable n'est nécessaire pour effectuer une fixation (par exemple, le soudage par points, qui constitue un autre procédé de fixation métal sur métal, demande 45 minutes de préparation);

62.3. par rapport à certains autres procédés de fixation, les pistolets de scellement ne provoquent que très peu de fatigue chez l'opérateur;

62.4. une fixation au moyen d'un pistolet de scellement prend souvent beaucoup moins de temps que par d'autres procédés (dans les exemples fournis par Hilti, une fixation par vis autotaraudeuse peut prendre cinq fois plus de temps qu'une fixation par pistolet de scellement et deux fixations par perceuse et cheville pour l'ancrage d'une patte d'attache en métal dans une surface en béton prennent trois fois plus de temps que si l'on utilise des pistolets de scellement).

D'autre part:

62.5. les cartouches et clous utilisés dans les pistolets de scellement sont souvent beaucoup plus coûteux que le matériel employé dans d'autres procédés de fixation (dans l'exemple, cité par Hilti, de la patte d'attache en métal, le coût de la cartouche et du clou représentait plus de trois fois et demie celui du matériel - vis et chevilles - utilisé dans l'autre méthode de fixation);

62.6. les pistolets de scellement ne peuvent pas réaliser de fixations dans certains matériaux;

62.7. certains autres procédés de fixation présentent une capacité de charge très supérieure à celle des pistolets de scellement, pour lesquels cette capacité ne peut jamais être déterminée avec précision dans un cas d'espèce (surtout dans le béton) sans test d'autodestruction;

62.8. pour certains autres procédés de fixation, la capacité de charge peut être plus aisément calculées à l'avance;

62.9. pour des raisons techniques, les fixations par pistolets de scellement présentent un certain manque de fiabilité, ce qui entraîne un pourcentage d'échecs; il faut par conséquent toujours prévoir un certain minimum de fixations; de plus, cet élément peut obliger l'opérateur à effectuer un nombre de fixations plus élevé que dans d'autres procédés et/ou à revenir ultérieurement pour remplacer les déchets;

62.10. pour certains types de matériaux, l'incapacité du pistolet de scellement à réaliser une fixation adéquate et fiable n'apparaît pas toujours si l'on ne procède pas à un test d'autodestruction;

62.11. étant donné que, pour des raisons techniques, les clous utilisés dans les pistolets de scellement ne peuvent être fabriqués en acier inoxydable, il peut, dans certaines circonstances, y avoir des doutes sur leur durabilité à long terme et sur leur résistance à la rouille, en dépit de leur galvanisation;

62.12. dans certains Etats membres, la réglementation en matière de construction interdit les fixations par pistolets de scellement pour certaines applications.

(63) En raison du grand nombre de facteurs qui peuvent déterminer le choix du procédé de fixation à utiliser et de la grande diversité des caractéristiques (économiques, juridiques ou techniques) entre les appareils de scellement à charge propulsive et d'autres procédés de fixation, ils ne peuvent être considérés comme faisant partie du même marché concerné. Le choix du meilleur procédé de fixation à utiliser dans le cas d'espèce s'effectue en fonction de l'application spécifique prévue sur un chantier donné (compte tenu de toutes les considérations techniques, juridiques et économiques qui peuvent précisément différer selon les applications et les chantiers). Etant donné que les facteurs qui orientent ce choix sont très nombreux et que les éléments de fixation constituent normalement une part très faible des coûts de construction, il y a tout lieu de penser que les prix des éléments des divers procédés de fixation ne sont pas le critère exclusif ou primordial dans le choix de la méthode à mettre en œuvre pour un travail donné. Il n'est donc pas concevable que de légères variations dans le prix des pistolets de scellement, des clous et/ou des cartouches provoqueraient un déplacement immédiat et sensible de la demande en faveur ou au détriment d'autres procédés de fixation.

(64) Sur la base de certaines hypothèses de coûts salariaux et de prix des produits consommables, il est possible que, pour un nombre limité de fixations spécifiques, le recours au pistolet de scellement ou à un autre procédé se solde par des coût réels totaux très similaires et que, pour certaines de ces fixations, les facteurs juridiques et techniques examinés ci-dessus ne soient pas déterminants dans le choix. Dans ces circonstances limitées et pour de telles fixations, il se peut que les utilisateurs modifient leur choix au profit ou au détriment des pistolets de scellement ou d'autres procédés de fixation en fonction de variations relatives dans le prix des divers procédés. Tel n'est cependant pas le cas pour la majorité des procédés de fixation, de sorte que de légères variations des prix relatifs, tout en constituant un élément à prendre en considération, ne seront pas le critère décisif dans le choix du procédé (17).

(65) Le raisonnement ci-dessus est étayé par la documentation présentée par Hilti pour illustrer les coûts comparatifs de diverses méthodes de fixation mises en œuvre pour certains travaux. Dans la plupart des cas, une variation légère mais significative dans le prix des clous et/ou des cartouches par rapport à d'autres procédés de fixation (vis et chevilles, par exemple) ne modifierait pas le classement du système le moins coûteux. Dans un grand nombre de cas, le coût des produits consommables utilisés dans divers systèmes de fixation ne constituait qu'une faible part du coût global de l'opération. En tout état de cause, la Commission estime que les exemples fournis ne sont pas probants, en ce sens qu'ils ne prennent en considération que quelques-uns des facteurs économiques qui pourraient entrer en ligne de compte dans une analyse exhaustive de coûts comparatifs et qu'ils se réfèrent à des travaux et à des hypothèses très spécifiques (par exemple, en matière de salaires). Il est par conséquent dangereux d'en tirer des conclusions générales. Par ailleurs, ces exemples de coûts comparés ne sont le plus souvent pas représentatifs de l'ensemble des facteurs techniques, économiques et juridiques énumérés ci-dessus.

d) Position dominante

(66) On estime que la part des ventes de Hilti dans la CEE sur le marché des chargeurs en général est au moins équivalente à celle qu'elle détient sur le marché des pistolets de scellement, soit environ (...%). Cependant, sur le marché CEE des chargeurs compatibles Hilti, qui est le marché concerné par la présente décision, la part de Hilti est substantiellement plus élevée du fait que les producteurs indépendants de chargeurs n'ont pas réussi à pénétrer ce sous-marché particulier: en fait, dans la CEE, Hilti vend pratiquement toutes les cartouches utilisées dans ses propres pistolets. Les chargeurs fabriqués par Hilti sont protégés par des brevets (qui ne viennent que maintenant à expiration dans certains Etats membres) et, au Royaume-Uni par un droit d'auteur allégué, de sorte qu'il est devenu virtuellement impossible à tout fabricant de chargeurs d'accéder au marché des chargeurs compatibles avec les appareils Hilti. En l'absence de toute protection par des brevets ou par un droit d'auteur allégué, les obstacles à la production de bandes-chargeurs en plastique (sans cartouches) seraient apparemment assez faibles. Bien que les cartouches en laiton soient plus difficiles à fabriquer, il existe des fournisseurs indépendants.

(67) Comme pour les chargeurs, on estime que la part des ventes de Hilti pour les clous en général est au moins équivalente à celle qu'elle détient sur le marché des pistolets de scellement, soit (...%) environ. Toutefois, sur le marché CEE des clous compatibles Hilti, qui est le deuxième marché concerné par la présente décision, la part de Hilti est légèrement supérieure, sans être aussi élevée que celle qu'elle détient sur le marché des chargeurs compatibles avec ses appareils. Ceci est dû au fait que les fabricants indépendants de clous ont mieux réussi, encore que de façon très limitée, que les fabricants indépendants de chargeurs à pénétrer sur le marché des produits consommables compatibles avec les appareils Hilti. Les parts de marché de ces autres concurrents, notamment les demandeurs, n'en demeurent pas moins assez faibles et, jusqu'à présent, leurs ventes ont été limitées au Royaume-Uni. Il y a certains obstacles techniques à la production de clous pour pistolets de scellement, mais la présence de fabricants indépendants de clous sur le marché et le fait que d'autres fabricants indépendants de clous sur le marché et le fait que d'autres fabricants de pistolets de scellement produisent leurs propres clous montrent que ces obstacles ne sont pas insurmontables. Les clous ne sont apparemment pas brevetés.

(68) Les deux marchés concernés distincts pour les chargeurs et les clous compatibles avec les appareils Hilti revêtent une importance particulière car, si l'on se réfère aux estimations dont dispose la Commission, Hilti détient une part de marché de (...%) environ dans la CEE pour les pistolets de scellement. Cette position se retrouve dans tous les Etats membres pour lesquels des données sont disponibles. La part de marché de Hilti pour les pistolets de scellement est beaucoup plus importante que celle de ses principaux concurrents (Spit et Impex) et tous ses autres concurrents détiennent des parts de marché relativement insignifiantes.

(69) En plus de la puissance qu'elle tire de sa part de marché et de la faiblesse relative de ses concurrents, Hilti compte d'autres atouts qui contribuent à maintenir et renforcer sa position sur le marché des pistolets de scellement:

- son plus gros pistolet de scellement, le DX 450, présente certaines innovations techniques avantageuses qui sont encore protégées par des brevets,

- Hilti détient une position extrêmement forte en matière de recherche et de développement et est une des plus grandes sociétés au monde non seulement dans le domaine des pistolets, mais aussi pour d'autres techniques de fixation,

- Hilti a un système de distribution solide et bien organisé dans la CEE, elle a des filiales et des revendeurs indépendants intégrés dans son réseau de vente, qui traitent en général directement avec la clientèle,

- le marché des pistolets de scellement a atteint un stade de développement relativement avancé, ce qui peut décourager les nouveaux entrants puisque des parts de ventes ou de marché ne peuvent être acquis qu'aux dépens des concurrents existant sur le marché du remplacement.

(70) Il ressort de ce qui précède que Hilti occupe une position dominante dans la CEE pour les pistolets de scellement ainsi que sur les marchés des clous et des chargeurs compatibles avec ses appareils. Ce sont les marchés concernés par la présente décision. Il convient de souligner que, en l'espèce, les marchés concernés des clous et des chargeurs compatibles avec les appareils Hilti revêtent une importance particulière en raison de la part considérable de Hilti dans les ventes de pistolets de scellement.

L'ampleur de cette part oblige les producteurs indépendants de clous et de chargeurs à fabriquer des clous et/ou des chargeurs utilisables dans les appareils Hilti s'ils veulent produire pour plus qu'un petit segment du marché et réaliser les économies d'échelle nécessaires pour être compétitifs et faire des bénéfices.

(71) La puissance et la position dominante de Hilti sur le marché découlent principalement de l'importance de la part de ses ventes de pistolets de scellement et de la protection conférée par les brevets qui couvrent ses chargeurs. Sa position économique est telle qu'elle lui permet de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur les marchés concernés des clous et des chargeurs compatibles avec ses appareils. Le comportement commercial de Hilti, qui a été décrit plus haut et sera analysé ci-après, témoigne de son aptitude à agir indépendamment et sans tenir compte à la fois des concurrents et de la clientèle sur les marchés concernés. Par ailleurs, la politique des prix de Hilti, qui a également été décrite plus haut, reflète sa capacité à déterminer ou, du moins, à influencer notablement les conditions d'évolution de la concurrence. Un tel comportement et ses conséquences économiques ne seraient normalement pas possibles si l'entreprise devait faire face à une pression concurrentielle effective. C'est pourquoi la Commission estime que Hilti occupe une position dominante sur les deux marchés concernés distincts des clous et des chargeurs compatibles avec les appareils Hilti.

(72) Même s'il était exact, comme le prétend Hilti, que les pistolets de scellement font partie d'un marché plus large et qu'ils concurrencent d'autres procédés de fixation en général, cela ne changerait rien à l'analyse ci-dessus, notamment en ce qui concerne les marchés spécifiques des clous et des chargeurs compatibles avec les appareils Hilti, ni à l'existence d'une position dominante de Hilti sur ces marchés. Pour les fabricants indépendants de ces produits, les marchés concernés sur lesquels ils livrent concurrence sont ceux des produits consommables compatibles avec les appareils Hilti. Ils sont également des concurrents au moins potentiels sur le marché des produits consommables en général. Le comportement commercial de Hilti qui fait l'objet de la présente décision vise presque exclusivement les produits consommables compatibles avec les appareils Hilti, et, en particulier, sa tentative d'étendre au marché des clous compatibles Hilti la puissance qu'elle détenait sur le marché des chargeurs compatibles Hilti. La liberté d'action qu'elle a exercée sur ces marchés, au mépris des concurrents et même de clients tels que les distributeurs, atteste cette domination. Par son comportement et grâce à la puissance découlant de sa position sur le marché des chargeurs, Hilti a été en mesure de limiter sérieusement toute concurrence effective de la part de producteurs indépendants de clous compatibles avec les appareils Hilti. Tout opérateur désireux de tirer profit de son investissement dans un pistolet de scellement Hilti a besoin de fournitures de cartouches et de clous compatibles avec ce pistolet. Ce sont là les marchés concernés pour les fabricants indépendants de produits consommables compatibles avec les appareils Hilti; c'est sur ces marchés que Hilti livre concurrence et occupe une position dominante.

(73) La Commission a examiné attentivement une étude économétrique présentée par Hilti à propos de la définition du marché concerné. Cette étude conclut que, en raison raison d'une forte élasticité croisée des prix, les fixations effectuées au moyen de pistolets de scellement et de perceuses électriques sont en concurrence sur le même marché concerné. La Commission ne peut accepter ces conclusions. Tout d'abord, les marchés concernés sur lesquels la plupart des abus ont été commis, et qui sont, par conséquent, principalement visés par la présente décision, sont celui des chargeurs et celui des clous compatibles avec les appareils Hilti. Ensuite, les données et la méthodologie utilisées dans l'étude conduisent à des conclusions qui, dans les circonstances de l'espèce, ne paraissent pas refléter fidèlement les réalités du marché. En particulier, ces conclusions ne cadrent pas avec le fait que les prix pratiqués pour les pistolets de scellement et les produits consommables diffèrent fortement d'un Etat membre à l'autre. Si la demande de pistolets de scellement était aussi sensible aux variations de prix que l'étude le prétend, il est très improbable que de tels écarts de prix entre Etats membres pourraient subsister au-delà du court terme. Ces différences de prix confirment au contraire que Hilti occupe une position dominante et qu'elle est en mesure de fixer le prix des pistolets de scellement et des produits consommables sans tenir compte d'une éventuelle élasticité croisée des prix sur les marchés connexes. En outre, la Commission ne considère pas que les résultats économétriques rapportés étayent clairement les conclusions positives qu'en tire l'étude. Enfin, la méthodologie de l'étude devrait être affinée avant que des résultats définitifs puissent être établis.

e) Abus de cette position dominante

(74) Hilti a abusé de sa position dominante dans la CEE sur le marché concerné des pistolets de scellement et, surtout, sur ceux des chargeurs et des clous compatibles avec ses appareils. Cet abus a principalement consisté à tenter d'empêcher ou de limiter l'accès à ces marchés de fabricants indépendants de produits consommables compatibles avec les appareils Hilti. Ces tentatives sont allées au-delà des moyens auxquels une entreprise dominante peut légitimement recourir. Les divers aspects du comportement commercial de Hilti ont été conçus à cet effet et ont eu pour objet d'éviter que des chargeurs compatibles avec ses pistolets soient librement disponibles. En l'absence d'une telle disponibilité de chargeurs compatibles, pour lesquels Hilti détenait jusqu'à tout récemment des brevets dans l'ensemble de la CEE, les producteurs indépendants de clous compatibles ont été fortement restreints dans leurs efforts de pénétrer sur le marché. De plus, la clientèle a été obligée de recourir à Hilti pour se procurer à la fois des cartouches et des clous pour ses pistolets de scellement Hilti. En limitant la concurrence effective qui pouvaient lui livrer de nouveaux entrants, Hilti a été en mesure de sauvegarder sa position dominante. Si Hilti a pu pratiquer sa politique illicite, c'est grâce à sa puissance sur le marché des chargeurs compatibles et des pistolets de scellement (où sa position est la plus forte et où les barrières à l'accès sont les plus élevées), l'objectif poursuivi étant de renforcer sa domination sur le marché des clous compatibles avec ses appareils (où elle est potentiellement plus vulnérable à de nouveaux concurrents). Les divers aspects de cette politique globale consistant à faire obstacle à l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché des clous compatibles Hilti, en entravant la libre disponibilité des chargeurs, sont décrits ci-dessous.

La plupart des abus ont eu lieu ou avaient leur centre au Royaume-Uni qui constitue une partie substantielle du marché commun. Cependant, l'un au moins de ces abus a eu des effets directs dans un autre Etat membre; de plus, la stratégie de Hilti visait indirectement l'ensemble de la CEE en essayant à la fois d'arrêter l'entrée sur le marché de nouveaux concurrents (qui auraient pu commencer à exporter) et d'empêcher un arbitrage par ailleurs bénéfique.

i) Jumelage, réduction des remises et autres pratiques discriminatoires pour les commandes portant exclusivement sur des cartouches

(75)Le fait de subordonner la vente de chargeurs brevetés à l'achat d'un complément correspondant de clous est un abus de position dominante, de même que la réduction des remises et les autres politiques discriminatoires décrites ci-dessus en cas de commandes portant uniquement sur des cartouches. De telles politiques ne laissent aux utilisateurs aucun choix quant à la source d'approvisionnement des clous dont ils ont besoin et, à ce titre, constituent une exploitation abusive. De plus, ces politiques ont toutes pour objet ou pour effet d'exclure les fabricants indépendants de clous qui pourraient menacer la position dominante occupée par Hilti. Le jumelage des commandes et la réduction des remises n'ont pas été des incidents isolés, mais une politique systématique.

ii) Incitation de distributeurs indépendants à ne pas honorer certaines commandes à l'exportation

(76) En raison de ces politiques, les fabricants indépendants de clous ont dû, pour pouvoir vendre leurs produits, assurer leur propre approvisionnement en chargeurs compatibles avec les pistolets Hilti. Les deux demandeurs ont tenté d'importer des chargeurs Hilti en provenance des Pays-Bas. C'est pourquoi, dès qu'elle a identifié la source d'approvisionnement, Hilti, en vue de renforcer sa politique de jumelage au Royaume-Uni où elle subissait la concurrence de fabricants indépendants de clous, a persuadé son distributeur aux Pays-Bas de cesser de fournir des chargeurs. Cette action a fermé cette source d'approvisionnement à la clientèle et a eu de surcroît pour effet de cloisonner le marché commun.

Hilti a même donné pour consigne à ses revendeurs indépendants de ne pas donner suite aux commandes passées au Royaume-Uni par certains clients qui étaient, à l'époque, approvisionnés par Hilti elle-même. Il s'agissait d'empêcher ainsi les fabricants indépendants de clous d'obtenir les fournitures de chargeurs dont ils avaient besoin pour prendre pied sur le marché, compte tenu de l'autre comportement abusif de Hilti.

iii) Refus d'honorer l'intégralité des commandes de chargeurs passées par des clients ou distributeurs de longue date susceptibles de les revendre

(77) Hilti a par ailleurs refusé de livrer des chargeurs à ses clients de longue date lorsqu'elle craignait que ces chargeurs puissent être revendus à des fabricants indépendants de clous. Ce veto opposé au droit de la clientèle de revendre des produits constitue un abus de position dominante, surtout lorsque cette pratique a pour objet d'empêcher la libre disponibilité de chargeurs compatibles avec les pistolets Hilti en vue de bloquer l'accès au marché pour les fabricants indépendants de clous compatibles avec ces mêmes pistolets.

iv) Pratiques dilatoires concernant les licences de droit pouvant être légalement obtenues au titre des brevets Hilti

(78) Compte tenu des politiques susmentionnées et du refus de fournir opposé par Hilti, les fabricants de clous ont été obligés d'avoir leur propre approvisionnement en chargeurs, ce qui nécessitait l'obtention d'une licence de brevet. Au Royaume-Uni, il est possible de l'obtenir sous la forme d'une licence de droit. En dépit de cette possibilité légale, Hilti a essayé de l'empêcher en exigeant une redevance très élevée. La documentation interne de Hilti montre qu'une telle redevance n'était pas objectivement justifiée, mais qu'elle constituait une tentative en vue de bloquer ou, à tout le moins, de différer autant que possible l'obtention d'une telle licence. Bien que la redevance de la licence accordée à Eurofix ait été fixée par le contrôleur des brevets au niveau demandé par Eurofix, la redevance élevée exigée par Hilti a eu pour conséquence de retarder considérablement le moment où la licence de droit a pu produire ses effets.

Le comportement de Hilti consistant à exiger délibérément une redevance excessive en ayant pour seul objectif de bloquer l'octroi d'une licence constitue un abus de position dominante. Le but de Hilti était d'empêcher des offres concurrentielles de chargeurs pour lesquels elle occupe une position dominante. Ce comportement a eu pour résultat de retarder ou de réduire considérablement, voire d'annuler les effets d'une licence de droit pouvant être légalement obtenue. Il est d'autant plus grave que Hilti exploite sa position dans le domaine des chargeurs pour entraver la concurrence dans le secteur des clous.

v) Refus d'honorer la garantie sans raisons objectives

(79) Une autre manière de faire obstacle à la vente de clous fabriqués par des indépendants a consisté, pour Hilti, à faire savoir qu'elle n'honorerait pas la garantie sur ses pistolets de scellement si les clous utilisés étaient d'une autre marque. S'il peut être légitime de ne pas honorer la garantie lorsqu'un clou inférieur aux normes ou défectueux d'une autre marque est à l'origine d'un mauvais fonctionnement, d'une usure prématurée ou d'une panne dans un cas particulier, une telle politique générale équivaut, dans les circonstances de l'espèce, à un abus de position dominante en ce qu'elle constitue un moyen indirect supplémentaire d'empêcher la clientèle d'accéder à d'autres sources d'approvisionnement. De plus, Hilti n'a pas été en mesure de présenter la moindre donnée permettant d'établir que l'utilisation de clous d'autres marques actuellement disponibles occasionne une détérioration, une usure prématurée ou un mauvais fonctionnement de ses pistolets de scellement dans des proportions supérieures à ce que l'on peut attendre en cas d'utilisation de clous Hilti.

vi) Mise en œuvre de politiques sélectives ou discriminatoires dirigées contre les concurrents de Hilti et leurs clients

(80) Les données recueillies montrent que Hilti mène une politique visant à limiter illégalement la pénétration sur le marché de concurrents produisant des clous compatibles avec ses appareils. A plusieurs occasions, Hilti a sélectionné quelques-uns des principaux clients de ses concurrents et leur a offert des conditions spécialement favorables en vue de les fidéliser, allant quelquefois jusqu'à céder gratuitement certains produits. Ces conditions revêtaient un caractère sélectif et discriminatoire en ce sens que d'autres clients de Hilti, achetant des quantités similaires ou équivalentes, n'ont pas pu en bénéficier. Les clients de Hilti qui n'ont pas fait l'objet de ces offres spéciales sont victimes d'une discrimination et supportent en réalité le coût des prix plus avantageux consentis à d'autres clients. Ces offres spéciales ne constituaient pas une riposte défensive envers des concurrents, mais reflétaient la politique préétablie de Hilti en vue de limiter leur pénétration sur le marché des clous compatibles avec ses appareils. Seule une entreprise dominante comme Hilti était capable de mettre en œuvre une telle stratégie parce que sa puissance sur le marché lui permettait de maintenir ses prix vis-à-vis de tous ses autres clients non visés par ses remises sélectives et discriminatoires.

(81) Une autre stratégie imaginée par Hilti pour limiter illégalement les ventes de ses concurrents consiste dans une politique savamment orchestrée visant à nuire gravement à certains des principaux clients de ses concurrents ou même à les éliminer. La documentation interne de Hilti confirme pleinement les indications de Firth selon lesquelles cette entreprise a été la cible d'une telle stratégie en ce sens que Hilti, d'une part, lui a occasionné des difficultés d'approvisionnement et a réduit les remises qui lui étaient consenties à des niveaux non économiques et, d'autre part, a appliqué aux clients de Firth la discrimination favorable et sélective décrite ci-dessus.

Non seulement l'application d'une telle politique nuit directement aux concurrents de Hilti et à leurs clients, mais encore elle a un effet à la fois préjudiciable à la concurrence et dissuasif à l'égard d'autres clients potentiels de Bauco, qui sont susceptibles de faire l'objet de pratiques similaires destinées à les décourager d'acheter des clous de marques autres que Hilti.

Une stratégie agressive en matière de prix est un instrument essentiel de la concurrence. En revanche, une politique des prix sélective et discriminatoire mise en œuvre par une entreprise dominante et visant uniquement à nuire aux activités de ses concurrents ou à les dissuader de s'implanter sur le marché, tout en maintenant des prix supérieurs pour la masse de ses autres clients, représente à la fois une exploitation de ces autres clients et une atteinte à la concurrence. Comme telle, elle constitue un comportement abusif par lequel une entreprise dominante peut renforcer sa position déjà prépondérante sur le marché. En l'espèce, l'élément constitutif de l'abus n'est pas que les prix aient été inférieurs aux coûts (quelle que soit la manière de les définir - et, en tout cas, certains produits ont été cédés gratuitement), mais qu'en raison de sa position dominante, Hilti ait été en mesure d'offrir des prix spéciaux discriminatoires aux clients de ses concurrents en vue de nuire aux activités de ceux-ci, tout en maintenant des prix supérieurs pour ses propres clients d'importance équivalente.

vii) Application unilatérale et occulte, au Royaume-Uni, d'une politique de remises différenciées aux sociétés de location d'équipements et aux revendeurs selon qu'ils bénéficient ou non du statut d'entreprise privilégiée

(82) Au Royaume-Uni, Hilti applique un système de remises différentes aux sociétés privilégiées et aux sociétés non privilégiées de location d'équipements, ces dernières n'obtenant pas les remises normales de quantité consenties aux premières. Il convient de noter que ces sociétés non privilégiées avaient souvent bénéficié précédemment du taux supérieur de remises désormais réservé aux entreprises privilégiées. Cette politique de différenciation a été mise en œuvre unilatéralement et sans explication par Hilti. Les sociétés ne bénéficiant pas du statut privilégié ont simplement été avisées d'une réduction de leur pourcentage de remises, sans la moindre explication quant aux critères sur lesquels la décision était fondée. S'il est vrai qu'il peut y avoir, dans la sélection de revendeurs privilégiés, certains critères objectifs justifiant des remises plus élevées (par exemple, une opération de formation ou un volume supérieur d'achats), le fait qu'un revendeur se procure des produits consommables auprès d'un concurrent de Hilti ne saurait entrer en ligne de compte dans ce processus de sélection.

(83) Par ailleurs, compte tenu des autres politiques pratiquées par Hilti et du fait que l'achat, par un distributeur, de produits consommables de marques autres que Hilti intervient comme critère dans l'octroi d'une remise supérieure ou inférieure, la Commission estime que cette politique particulière s'inscrit dans la stratégie générale et systématique de Hilti consistant à exercer une discrimination envers les fabricants indépendants de clous et à les empêcher ainsi de lui livrer concurrence. En cela, elle poursuit le même objectif que la réduction des remises pour les commandes portant uniquement sur des chargeurs, à l'exclusion de clous. A ce titre, la pratique de remises inférieures aux revendeurs non privilégiés, dès lors qu'elle n'est pas objectivement justifiée ou fondée sur des considérations de quantité uniformément appliquées, constitue un abus de position dominante. Tel est particulièrement le cas lorsque les critères de sélection sont tenus secrets et que la politique est appliquée unilatéralement par Hilti sans aucune explication.

viii) Comportement postérieur à l'engagement

(84) Même après son engagement envers la Commission, Hilti a cherché à limiter ses fournitures de chargeurs aux clients qui ne commandaient pas de clous soit aux quantités correspondant à leurs commandes antérieures de chargeurs, soit à 5 000 cartouches. Cette quantité était précédemment utilisée dans le système de vérification de Hilti pour chercher à identifier les clients qui utilisaient des clous fabriqués par ses concurrents. Cette politique constitue par conséquent une tentative de poursuivre ses pratiques de jumelage ou d'appliquer des mesures d'effet équivalent. Le comportement de Hilti à cet égard semble s'être modifié par la suite, à l'issue de discussions entre Hilti et la Commission.

(85) Toutefois, la Commission croit savoir que Hilti continue à mettre en œuvre secrètement et sans explication son système de remises inférieures aux revendeurs non privilégiés, l'un des critères de ce statut étant l'utilisation de clous d'autres marques.

f) Effet sur les échanges entre Etats membres

(86) Le comportement abusif de Hilti non seulement a eu un effet sensible et direct sur les échanges entre Etats membres, mais a également affecté la structure même de la concurrence dans le marché commun. En l'espèce, où la concurrence est faible pour les produits consommables compatibles avec les pistolets Hilti, toute incidence sur la structure fragile de la concurrence aura une répercussion potentielle particulièrement importante sur les échanges entre Etats membres.

86.1. Hilti a cherché, en faisant pression sur ses revendeurs indépendants, à bloquer des exportations rendues potentiellement rémunératrices par les importants écarts de prix entre Etats membres.

86.2. Le comportement abusif de Hilti ne pouvait pas manquer d'affecter la structure de la concurrence dans le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Sa politique avait pour objet d'empêcher les fabricants indépendants de clous de prendre pied sur le marché et certains de ses aspects visaient même à les en évincer totalement.

86.3. En conséquence, le flux des échanges se développera de façon potentiellement différente de ce qu'il aurait été si les abus qui ont limité la pénétration de ces fabricants indépendants de clous sur le marché n'avaient pas existé.

g) Justification objective

(87) Hilti a fait état de ses préoccupations concernant certains facteurs de fiabilité, de fonctionnement et de sécurité des pistolets de scellement, qui peuvent se résumer comme suit:

87.1. Les opérateurs de pistolets de scellement doivent recevoir une formation appropriée pour l'utilisation des appareils et des produits consommables, notamment en matière de sécurité, afin d'éviter les accidents dont ils pourraient être victimes et d'assurer des fixations fiables et sûres.

87.2. Des cartouches inférieures aux normes peuvent provoquer des ratés dans la mise à feu ou des explosions en chaîne, ou un dépôt excessif de carbone susceptible de perturber les dispositifs de sécurité du pistolet.

87.3. Des clous ou goujons inférieurs aux normes peuvent provoquer des ricochets ou se casser et projeter des éclats, ce qui peut mettre en danger l'opérateur ou compromettre la résistance de la fixation.

87.4. Seul le fabricant du pistolet de scellement peut assurer la compatibilité, la sécurité et la fiabilité de l'ensemble du système, c'est-à-dire du pistolet, des clous et des cartouches, qui doivent être considérés comme un ensemble homogène. Les producteurs indépendants de produits consommables, qui fabriquent un seul article du système, ne peuvent garantir l'homogénéité de ce dernier.

87.5. Hilti soutient que les clous fabriqués par certains producteurs indépendants et, en particulier, ceux fabriqués par les demandeurs, Eurofix et Bauco, sont inférieurs aux normes en ce sens qu'ils ne sont pas adaptés aux applications pour lesquelles ils sont conçus. De plus, Hilti prétend qu'ils sont dangereux parce qu'ils ne sont pas capables de pénétrer suffisamment dans certains matériaux-supports pour assurer de bons ancrages et des fixations fiables. Hilti fait enfin valoir que les chargeurs fabriqués par Fiocchi (le seul producteur important de la CEE qui ne soit pas lié à Hilti) sont inadéquats et peuvent être dangereux.

(88) Hilti elle-même admet que les préoccupations énoncées ci-dessus en matière de sécurité, de fiabilité et de fonctionnement de ses pistolets de scellement ne suffisent pas à justifier le comportement commercial qui fait l'objet de la présente décision, car il ne constitue pas l'action la moins restrictive nécessaire pour atteindre l'objectif de sécurité. Hilti considère que le système de distribution qu'elle envisage est le moyen le moins restrictif d'y parvenir. Elle maintient cependant que toutes ses actions ont été motivées par la volonté d'assurer la sécurité et la fiabilité de fonctionnement de ses produits et non par l'éventuel avantage commercial qu'elle pouvait en tirer.

(89) En ce qui concerne l'affirmation de Hilti selon laquelle son comportement, même s'il n'était pas le moins restrictif possible pour atteindre ses objectifs, était motivé uniquement par des considérations de sécurité, la Commisson tient à formuler les observations suivantes:

89.1. Les abus et les prétendus problèmes de sécurité remontent au moins à 1981. Hilti n'a pris contact avec la Commission que deux ans plus tard, en 1983, pour lui soumettre une proposition informelle et verbale de système de distribution permettant de résoudre ces problèmes de sécurité. Cette initiative n'a eu lieu qu'après que la Commission ait été saisie d'une plainte et l'ait communiquée à Hilti.

89.2. En 1983, des fonctionnaires de la Commission ont indiqué à Hilti que, compte tenu de son apparente position dominante, un système de distribution sélective ne serait acceptable que s'il pouvait être objectivement justifié par des raisons de sécurité et qu'aucune restriction quantitative ne serait admise.

89.3. Entre-temps, les preuves recueillies ont montré que Hilti a poursuivi et étendu ses pratiques abusives, bien qu'elle ait été avertie que de telles pratiques seraient inacceptables, si elles étaient établies. Ces pratiques ont suscité une seconde demande, déposée par Bauco. Ce n'est qu'après la communication de cette deuxième plainte à Hilti que cette dernière a adressé à la Commission, en mai 1985, sur une base informelle, une proposition de système de distribution (cela se passait plus de dix-huit mois après son premier contact informel avec la Commission). Le projet de système de distribution n'a été notifié à la Commission qu'après l'envoi par celle-ci d'une communication des griefs envisageant des mesures provisoires. Hilti a été avertie dès le début que les pratiques visées par les plaintes d'Eurofix et de Bauco, si elles étaient prouvées, pourraient constituer des abus de position dominante.

89.4. Durant toute la période susmentionnée (c'est-à-dire au moins à partir de 1981), Hilti n'a entrepris aucune action, juridique ou autre, que l'on serait normalement en droit d'attendre d'une entreprise purement animée par des motifs de sécurité et de fiabilité. A propos de l'utilisation des clous fournis par les demandeurs, qu'elle prétend inférieurs aux normes et potentiellement dangereux, il convient de noter ce qui suit:

- Hilti a rarement fait part à ses clients par écrit des prétendus dangers et de l'inadéquation des clous fournis par les demandeurs. La documentation de Hilti montre qu'elle avait pour politique expresse de ne donner que des avertissements verbaux et de ne jamais critiquer par écrit les produits des demandeurs. Elle créait ainsi une situation de doute sur les produits des demandeurs, tout en ne permettant que très difficilement à ceux-ci de contester par les voies juridiques normales la validité de ces assertions. Un tel comportement ne constituait pas, pour Hilti, la manière la plus efficace de mettre en garde la clientèle contre l'utilisation de produits dont elle affirme à la Commission qu'ils sont dangereux.

- Hilti n'a jamais communiqué par écrit ou autrement avec les demandeurs pour exprimer ses préoccupations sur la fiabilité, l'adéquation, la sécurité, etc. de leurs clous.

- A la connaissance de la Commission, Hilti n'a jamais suivi les voies normales consistant à dénoncer les demandeurs auprès du service des normes commerciales du Royaume-Uni (United Kingdom Trading Standards Department) pour ce qui aurait constitué, sur la base de ses propres arguments, une publicité trompeuse ou des indications trompeuses ou mensongères. Le service des normes commerciales aurait alors pu engager des poursuites au titre de la loi de 1968 sur les descriptions industrielles et commerciales, les infractions à cette loi constituant un délit. Ou encore, Hilti aurait pu engager une action privée contre cette publicité ou ces indications trompeuses ou, si elle considérait que les demandeurs avaient violé le code des pratiques publicitaires, elle aurait pu contacter l'autorité de tutelle des normes publicitaires (Advertising Standards Authority). Hilti s'en est abstenue bien qu'elle prétende que la publicité et les indications des demandeurs au sujet de leurs produits sont notoirement trompeuses ou mensongères.

- A la connaissance de la Commission, Hilti n'a jamais entrepris les démarches nécessaires pour déposer plainte auprès d'organismes nationaux ou gouvernementaux au Royaume-Uni tels que le service de l'hygiène et de la sécurité (Health and Safety Executive), qui aurait pu intervenir au titre de la loi de 1974 sur l'hygiène et la sécurité sur les lieux du travail (Health and Safety at Work Act), ou le service des normes commerciales, qui aurait pu agir au titre de la loi de 1978 sur la sécurité des consommateurs (Consumer Safety Act). Hilti ne l'a pas fait alors même qu'elle prétend que les produits des demandeurs ne conviennent pas à l'usage pour lequel ils sont conçus ou sont même potentiellement dangereux.

(90)Compte tenu de ce qui précède, la Commission considère que le comportement de Hilti ne peut pas être présenté comme étant motivé uniquement par des préoccupations portant sur la sécurité et la fiabilité de ses pistolets de scellement et sur l'utilisation de produits consommables inférieurs aux normes. Les comportements de Hilti décrits comme abusifs dans la présente décision reflètent un intérêt commercial à faire obstacle à la pénétration de produits consommables d'autres marques sur le marché, étant donné que, pour les systèmes de fixation à charge propulsive, l'essentiel du profit provient des ventes de produits consommables et non de celles de pistolets de scellement. Sans mettre en doute l'authenticité des préoccupations de Hilti en matière de sécurité et de fiabilité, on doit constater que Hilti n'a pas accompli les démarches qu'il aurait été normal d'attendre d'elle si ces préoccupations avaient été les seules. Une entreprise animée par des considérations de sécurité ne doit pas recourir à des mesures qui constituent un comportement abusif au regard de l'article 86, mais plutôt explorer les autres voies, légales et normalement plus efficaces pour faire prévaloir ses préoccupations en la matière.

(91) Enfin, il convient de noter que, d'une part, Hilti s'est montrée très réticente à engager des actions judiciaires ou à requérir l'intervention des autorités compétentes sur la base de ses allégations concernant la sécurité et l'adéquation, ce qui aurait permis à ces autorités de les apprécier valablement. D'autre part, en revanche, Hilti a intenté de nombreuses actions en vue de protéger son brevet et n'a pas cessé de contester la demande de licence de droit introduite par les demandeurs, sans d'ailleurs évoquer les arguments de sécurité. Le fait que Hilti se soit abstenue de toute action par les voies normales en matière de sécurité et d'adéquation ne peut donc être imputé à une réticence à agir en justice. En tout état de cause, les autorités compétentes en matière de sécurité et d'indications trompeuses ou mensongères auraient normalement pu intervenir d'office si Hilti leur avait présenté des éléments établissant que les demandeurs avaient commis des infractions aux lois en cause.

(92) Hilti prétend avoir décidé unilatéralement que les clous fournis par des indépendants étaient dangereux ou inadéquats. C'est sur cette base qu'elle tente de justifier les politiques décrites dans la présente décision et qui ont principalement pour objet ou pour effet d'entraver la pénétration sur le marché des producteurs indépendants de clous. Hilti, qui détient une position dominante, a donc essayé d'imposer ses propres critères de sécurité, prétendument justifiés, sans tenir compte des exigences qui existent déjà dans les divers Etats membres en matière de sécurité et de responsabilité du fait des produits. La Commission a examiné attentivement les diverses exigences, normes ou recommandations nationales en matière de sécurité pour les pistolets de scellement et les produits consommables en vigueur dans la CEE et dans certains pays tiers. Elle a également analysé les directives élaborées par les groupements professionnels. Dans la CEE, à l'exception de l'Espagne, aucune de ces dispositions n'impose ou ne recommande d'utiliser des clous Hilti avec les pistolets Hilti. Elles imputent aux producteurs indépendants de clous la charge de veiller à ce que leurs clous répondent aux normes correspondantes et obligent l'utilisateur à s'assurer que le produit est adéquat (18). A la connaissance de la Commission, il n'est pas envisagé de modifier sensiblement ces dispositions. Enfin, dans tous les Etats membres, les employeurs sont généralement obligés de veiller à ce que les opérateurs reçoivent une formation appropriée et que leur équipement réponde aux prescriptions de sécurité et soit correctement entretenu.

(93) Compte tenu de ces normes ou contrôles de sécurité apparemment adéquats qui existent dans la CEE, la Commission ne considère pas que l'argument de sécurité avancé par Hilti soit une justification objective du comportement qui fait l'objet de la présente procédure. Toutefois, à propos de la sécurité des clous fournis par les demandeurs, il est intéressant de noter que les ventes mondiales de clous par Eurofix pour être utilisés dans les pistolets de scellement Hilti ont atteint plusieurs dizaines de millions d'unités. Bauco étant une entreprise de création relativement récente et Hilti ayant réussi à limiter son expansion, ses ventes sont moins importantes, mais représentent néanmoins plusieurs millions d'unités. Pour ces millions de clous provenant soit d'Eurofix soit de Bauco, Hilti n'a pas été en mesure d'apporter la preuve d'accidents causés aux opérateurs en raison de l'utilisation de ces clous. Au Royaume-Uni, le service de l'hygiène et de la sécurité n'a enregistré aucun accident de pistolet de scellement occasionné par l'utilisation d'un produit consommable non fabriqué par le producteur du pistolet. Les fabricants de clous eux-mêmes n'ont eu connaissance d'aucun problème de sécurité ou de fiabilité et n'ont été saisis d'aucune plainte relevant de leur assurance en matière de responsabilité du fait des produits. Outre les demandeurs, plusieurs autres fabricants indépendants de clous dans la CEE ont vendu plusieurs millions de clous destinés aux pistolets Hilti. Aucun problème de sécurité ou de fonctionnement anormal n'a été signalé par ces autres indépendants ou par Hilti.

(94) Par ailleurs, il est intéressant de noter que certains fabricants de pistolets de scellement font appel à des producteurs indépendants pour fournir des produits consommables. Tel est notamment le cas aux Etats-Unis, où Phillips Drill (une filiale d'ITT) a conclu un contrat avec Eurofix pour la fourniture de clous. Aux Etats-Unis, les indépendants jouent un rôle assez important dans la fourniture de produits consommables. Cette situation n'a apparemment aucune incidence néfaste sur la sécurité ou la fiabilité.

(95) Enfin, la Commission ne comprend pas l'argument de Hilti qu'elle serait tenue pour responsable, même au pénal, si elle n'avait pas pris les mesures qui font l'objet de la présente décision pour empêcher l'utilisation, dans ses pistolets de scellement, de produits consommables qu'elle juge dangereux. Etant donné les réglementations nationales existant en matière de sécurité et le fait que Hilti met en garde les utilisateurs, dans le mode d'emploi joint à tous ses pistolets de scellement, contre l'utilisation de produits consommables d'autres marques, la Commission considère que Hilti ne peut être tenue pour responsable d'accidents ou de dommages occasionnés par l'utilisation, dans ses appareils, de produits consommables fabriqués par des tiers. Cet argument de responsabilité est d'autant plus surprenant lorsque l'on sait que Hilti n'a pris aucune des initiatives que l'on est normalement en droit d'attendre d'une entreprise placée devant le problème de l'utilisation, dans ses appareils, de produits consommables qu'elle prétend dangereux ou inadéquats.

(96) Hilti a reconnu la faiblesse de ses arguments de sécurité et a considéré que toute justification pour la non-fourniture de cartouches sans clous qui serait fondée sur les motifs de sécurité serait inévitablement rejetée par la Commission ou par la cour de justice, même si une protection temporaire pouvait ainsi être acquise (voir le télex du 13 juin 1983 de Hilti GB à Hilti AG).

h) Conclusions

(97) Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission constate que Hilti a enfreint l'article 86 du traité CEE. Pendant toute la période examinée, Hilti a occupé dans la CEE une position dominante sur les marchés des pistolets de scellement ainsi que les clous et chargeurs compatibles avec ses appareils. La plupart de ces abus ont eu lieu ou ont leur centre au Royaume-Uni qui constitue une partie substantielle du marché commun. Certains abus ont toutefois eu une répercussion directe dans d'autres Etats membres ou visaient indirectement l'ensemble de la CEE.

(98) Hilti a abusé de sa position dominante principalement en s'efforçant de limiter ou d'empêcher la pénétration de fabricants indépendants de clous sur le marché. Elle l'a fait en essayant de faire en sorte que ses chargeurs brevetés ne soient pas librement disponibles. Les moyens mis en œuvre à cet effet ont été les suivants:

98.1. jumelage des ventes de clous et de chargeurs;

98.2. réduction des remises et autres pratiques discriminatoires en cas de commande de chargeurs sans clous;

98.3. incitation de distributeurs indépendants à ne pas exécuter certaines commandes à l'exportation;

98.4. refus d'honorer l'intégralité des commandes de chargeurs passées par des clients ou distributeurs de longue date susceptibles de les revendre;

98.5. pratique consistant à retarder l'octroi des licences de droit pouvant légalement être obtenues au titre des brevets Hilti;

98.6. refus d'honorer la garantie sans raisons objectives;

98.7. mise en œuvre de politiques sélectives ou discriminatoires dirigés contre les concurrents de Hilti et leurs clients;

98.8. application unilatérale et occulte, au Royaume-Uni, d'une politique de remises différenciées aux sociétés de location d'équipements et aux revendeurs selon qu'ils bénéficient ou non du statut d'entreprise privilégiée;

98.9. poursuite par Hilti dans une mesure limitée, même après son engagement envers la Commission, de certaines pratiques commerciales abusives.

C. REMEDES

a) Amendes

(99) En vertu de l'article 15 du règlement n° 17, les infractions à l'article 86 peuvent être sanctionnées par des amendes d'un million d'Ecus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10% du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent. Il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci. En l'espèce, la Commission estime que l'infraction a été grave et de longue durée et qu'il convient d'infliger à Hilti une amende substantielle.

(100) Les preuves disponibles démontrent que Hilti a abusé de sa position dominante de plusieurs façons importantes. Ces abus visaient tous les mêmes buts, à savoir empêcher ou restreindre la pénétration de concurrents sur le marché ou nuire gravement aux concurrents existants, voire les évincer. Hilti a été ainsi en mesure de maintenir ou de renforcer sa position dominante et elle a pu exploiter plus efficacement sa domination dans les divers Etats membres et fixer des prix élevés et différenciés. Cela n'a été possible que parce que Hilti était à l'abri d'une concurrence normale et des disciplines générales qu'imposent les forces du marché.

De plus, ces infractions visaient à porter atteinte à l'ensemble de la structure de la concurrence. En réalité, si la Commission n'avait pas adressé à Hilti la communication des griefs qui a abouti à l'engagement pris par cette entreprise, un concurrent aurait pu être irréversiblement évincé du marché. La Commission estime également que toutes les infractions ont été commises, à tout le moins, par négligence et que certains abus ont été commis de propos délibéré.

(101) Il ressort des documents dont la Commission dispose que certains des abus allégués remontent au moins à 1981, notamment pour l'action dirigée par Hilti contre Eurofix, et à 1984 en ce qui concerne l'action dirigée par Hilti contre Bauco, c'est-à-dire à l'année où cette société a commencé à vendre.

(102) Ces abus ont duré au moins jusqu'à l'engagement pris par Hilti en 1985 et il est établi que certains d'entre eux ont continué même après cet engagement, bien que des discussion ultérieures entre Hilti et la Commission aient amené Hilti à modifier certains aspects de son comportement.

(103) Toutefois, la Commission prend en considération la coopération manifestée par Hilti, et en particulier:

- l'engagement temporaire proposé par Hilti en 1985 en réaction à la procédure de mesures provisoires,

- le fait que Hilti ait pris l'initiative d'un programme d'assujettissement et soumis à la Commission un engagement permanent le 4 septembre 1987 fondé sur son intention déclarée de chercher à satisfaire aux griefs et préoccupations de la Commission (cet engagement est annexé à la présente décision),

- le fait que Hilti ait reconnu, soit dans sa réponse à la communication des griefs, soit après réception des plaintes transmises par la Commission, les comportements considérés comme abusifs par la Commission.

b) Cessation des infractions

(104) Aux termes de l'article 3 du règlement n° 17, la Commission, si elle constate une infraction aux dispositions de l'article 86 du traité, peut obliger les entreprises intéressées à y mettre fin.

Il est justifié d'obliger Hilti à mettre fin aux infractions pour autant qu'elle ne l'ait déjà fait. La question de savoir si des restrictions peuvent être imposées par Hilti dans le cadre de son système de distribution (et non appliquées de façon occulte et unilatérale) sera analysée séparément lors de l'examen du système de distribution notifié à la Commission. C'est pourquoi la décision arrêtée ci-dessous, qui oblige Hilti à mettre fin aux infractions constatées dans la mesure où celles-ci subsisteraient, ne préjuge pas de la décision qui pourra éventuellement être prise sur le système de distribution notifié.

A ARRETE LA PRESENTE DECISION:

Article premier

L'adoption par Hilti AG, à l'encontre de fabricants indépendants de clous destinés aux pistolets de scellement Hilti, de comportements destinés à faire obstacle à leur accès au marché des clous compatibles avec les pistolets Hilti et/ou à porter atteinte directement ou indirectement à leurs activités constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité CEE. Les éléments essentiels de ces infractions sont:

1) jumelage des ventes de clous et de chargeurs;

2) réduction des remises et autres pratiques discriminatoires en cas de commande de chargeurs sans clous;

3) incitation de distributeurs indépendants à ne pas exécuter certaines commandes à l'exportation;

4) refus d'honorer l'intégralité des commandes de chargeurs passées par des clients ou distributeurs de longue date susceptibles de les revendre;

5) pratique consistant à retarder l'octroi des licences de droit pouvant légalement être obtenues au titre des brevets Hilti;

6) refus d'honorer la garantie sans raisons objectives;

7) mise en œuvre de politiques sélectives ou discriminatoires dirigées contre les concurrents de Hilti et leurs clients;

8) application unilatérale et occulte, au Royaume-Uni, d'une politique de remises différenciées aux sociétés de location d'équipements et aux revendeurs selon qu'ils bénéficient ou non du statut d'entreprise privilégiée.

Article 2

Pour les infractions décrites à l'article 1er, une amende d'un montant de 6 millions d'Ecus est infligée à Hilti AG.

Ladite amende sera payée:

a) au compte n° 59000204 de la Commission des Communautés européennes (en cas de paiement en Ecus), Lloyds Bank plc, The Manager Payments Section, Overseas Centre, PO Box 63, 38a Paradise Street UK-Birmingham B1 2AB

ou

b) au compte n° 108.63.41 de la Commission des Communautés européennes (en cas de paiement en livres sterling), Lloyds Bank plc, Overseas Department, PO Box 19, 6 Eastcheap, UK-London EC3P 3AB,

dans les trois mois suivant la date de notification de la présente décision. A l'issue de ce délai des intérêts seront automatiquement dus au taux pratiqué par le Fonds européen de coopération monétaire sur ses opérations en Ecus au premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été arrêtée, majoré de 3,5 points de pourcentage, soit 10,25%.

En cas de paiement en livres sterling, le taux de change à retenir sera celui du jour précédant celui du paiement.

Article 3

Hilti AG mettra fin immédiatement aux infractions visées à l'article 1er, pour autant qu'elle ne l'ait déjà fait. A cet effet, Hilti AG s'abstiendra de répéter ou de poursuivre tout acte ou comportement décrit à l'article 1er et s'abstiendra d'adopter toute mesure d'effet équivalent.

Article 4

Hilti AG, FL-9494 Schaan, Liechtenstein, c/o Hilti GB, Trafford Wharf Road, Trafford Park, UK-Manchester M17 1BY, est destinataire de la présente décision.

La présente décision forme titre exécutoire au sens de l'article 192 du traité CEE.

(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204-62.

(2) JO n° 127 du 20. 8. 1963, p. 2268-63.

(3) Dans la présente décision, " Hilti " désigne l'ensemble de l'organisation Hilti, c'est-à-dire Hilti AG (Liechtenstein) et toutes ses filiales à 100 % et celles qu'elle contrôle. Sauf indication contraire, ce terme exclut les distributeurs Hilti indépendants.

(4) Dans le présent document, les " appareils de fixation à charge propulsive " seront appelés " pistolets de scellement ", étant entendu que, le cas échéant, on distinguera les appareils à tir direct et à tir indirect (voir aussi la note 5).

(5) Par " clous ", il faut entendre tous les goujons, clous et autres pièces de fixation propulsés ou fixés par des pistolets de scellement. Le terme " cartouches " vise les cartouches individuelles en laiton qui sont soit emmagasinées dans des chargeurs pour pistolets de scellement semi-automatiques, soit introduites une à une dans des pistolets de scellement à un coup. Les " chargeurs " désignent les bandes ou disques (en plastique dans le cas de Hilti) dans lesquels les cartouches en laiton sont emmagasinées. Par ailleurs, sauf indication contraire, le terme " chargeur " désigne la bande avec son chargement de cartouches. Par " produits consommables ", il faut entendre les clous et les chargeurs. Le terme " système de fixation à charge propulsive " désigne l'ensemble formé par le pistolet de scellement, les clous et les chargeurs.

(6) Hilti a annoncé son intention de commercialiser des clous dans des étuis qui seront automatiquement chargés dans les pistolets de scellement, les rendant ainsi entièrement automatiques. Cette évolution récente est, toutefois, sans portée pour la présente espèce.

(7) La proportion de clientèle visée par la commercialisation indirecte est apparemment beaucoup plus grande que celle des ventes parce que, normalement, les gros clients traitent directement avec Hilti, tandis que ce ne sont, en général, que les petits clients qui s'adressent à des sociétés de location ou à des distributeurs.

(8) Bulletin CE 9-1985, point 2.1.42.

(9) Ces dénégations ont été répétées dans la lettre adressée par Hilti à la Commission le 4 juin 1985, avant la vérification dans les locaux de Hilti GB: " Hilti ne subordonne pas la vente de cartouches aux utilisateurs finals ou aux sociétés de location d'équipements à l'achat de ses clous. " Cette affirmation était cependant nuancée - voir point 34.4 ci-dessous

(10) Les prétentions de Hilti quant à la sécurité et à l'efficacité de l'utilisation de clous autres que ceux qu'elle fabrique sont également examinées ci-dessous.

(11) Il s'agit des remises normales par quantités.

(12) Au cours de la procédure devant le contrôleur des brevets, Hilti a d'abord demandé une redevance de 18 pence par chargeur, soit 30 % du prix de barème de Hilti (36 % du prix, si l'on tient compte d'une remise de 20 %). Par la suite, Hilti n'a pas contesté le chiffre proposé par Eurofix.

(13) Ce système s'applique également à des produits autres que les pistolets de scellement. En ce qui concerne ces derniers, les revendeurs privilégiés obtiennent des remises de 15 à 20 %. Les revendeurs ne bénéficiant pas de ce statut n'obtiennent que de 0 à 10 %.

(14) Voir la note interne de Hilti en date du 20 septembre 1983.

(15) La société Sandell Perkins avait été identifiée comme un client de Bauco dans des documents internes de Hilti - note du 14 mai 1985.

(16) Par exemple, lettre de Hilti AG à Hilti GB en date du 15 juin 1983

(17) En comparant les fixations effectuées par soudage et par les pistolets de scellement, la documentation interne de Hilti en vient à conclure que le choix de l'un ou l'autre des deux procédés ne dépend pas du prix des produits consommables dans les pistolets de scellement. Ce sont d'autres facteurs, sans lien avec le prix des produits consommables, qui déterminent le choix. Par conséquent, même si Hilti pratiquait des prix de dumping pour les produits consommables utilisés dans les pistolets, il n'en résulterait aucune modification de la demande.

(18) Ces arrangements apparaissent également dans la licence de droit concédée par Hilti à Bauco et Eurofix dans laquelle figure la clause suivante concernant le contrôle de qualité et la sécurité: " Le preneur de licence prendra toutes les précautions raisonnables pour assurer que tout produit (c'est-à-dire chargeur de cartouches) vendu en vertu de la licence pour être utilisé dans des appareils de fixation Hilti DX soit sans danger et adapté à ces appareils. " Ce texte a été convenu entre Hilti et Eurofix après que le contrôleur des brevets eut décidé, pour protéger l'intérêt public, qu'une telle disposition était justifiée à la fois pour assurer le contrôle de qualité des chargeurs de cartouches par Eurofix et pour protéger la réputation de Hilti en évitant que des chargeurs défectueux ne soient fournis pour être utilisés dans leurs pistolets.