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Décisions

CCE, 18 décembre 1987, n° 88-86

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Fisher-Price/Quaker Oats Ltd - Toyco

CCE n° 88-86

18 décembre 1987

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité, modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 3 et 15, vu la demande présentée à la Commission par Duffy Group Ltd, Orwell Shopping Centre, Wellington Road, Templeogue, Dublin 12, Irlande, le 12 août 1983, faisant état d'infractions aux règles de concurrence de la part de Quaker Oats Ltd, vu la décision d'engager la procédure prise par la Commission le 11 juillet 1986, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion de répondre aux griefs retenus contre elle, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et au règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17, après consultation du Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes. Considérant ce qui suit :

I. LES FAITS

(1) La présente affaire concerne les restrictions relatives aux importations parallèles de jouets Fisher-Price du Royaume-Uni en Irlande entre 1982 et 1985.

A. Les entreprises

a) Quaker Oats/Fisher-Price

(2) Quaker Oats Company Inc., Chicago, Etats-Unis d'Amérique, est spécialisée dans la fabrication et la vente de produits d'épicerie et de jouets. En 1983, le commerce des jouets a représenté environ 20 % du total des ventes du groupe. En 1986, ce chiffre a été ramené à près de 13 %. Le groupe possède des filiales dans de nombreux pays du monde et dans la plupart des Etats membres de la Communauté.

(3) Fisher-Price est une division de Quaker Oats Company Inc., qui fabrique et vend des jouets. Dans la plupart des Etats membres de la Communauté, la filiale locale Quaker Oats comporte une division locale Fisher-Price.

La filiale Quaker Oats au Royaume-Uni est Quaker Oats Ltd.

(4) Les activités européennes de Fisher-Price sont coordonnées par Fisher-Price Europe qui est, du point de vue juridique et fiscal, une division de Quaker Oats Ltd.

(5) Une autre division de Quaker Oats Ltd, Fisher-Price UK, est chargée de la commercialisation au Royaume-Uni, où elle vend, pour l'essentiel, directement aux détaillants et en Irlande, où elle a désigné un distributeur exclusif local, Macaulay. En outre, Fisher-Price UK est compétent pour les ventes au Danemark.

(6) Au cours de l'exercice 1983, le chiffre d'affaires pour les produits Fisher-Price dans la Communauté européenne (à l'exclusion de l'Espagne et du Portugal) a été de 67 411 000 dollars des Etats-Unis. Pour l'exercice 1984, le chiffre d'affaires s'est élevé à 59 779 000 dollars.

Le bénéfice net après impôt de Fisher-Price Europe pour l'exercice prenant fin le 30 juin 1984 a été de 4 157 000 dollars, contre 5 333 000 dollars en 1983, 3 831 000 dollars en 1982 et 10 664 000 dollars en 1981.

Le chiffre d'affaires de Quaker Oats Inc. s'est établi à 3 670 millions de dollars pour le monde entier en 1986 et à 3 520 millions de dollars en 1985.

b) Toyco

(7) Toyco Ltd (ci-après dénommé Toyco) est un groupement d'achats situé en Irlande du Nord (Royaume-Uni) et spécialisé dans le commerce des jouets.

Toyco fait partie de Toymaster Ltd, groupement central d'achats situé au Royaume-Uni. Au début de 1983, Toyco comptait 22 membres, dont 3 Irlandais: Duffy Group, Tony Duffy et David Furlong.

En 1984, Toyco a réalisé un chiffre d'affaires de 2 200 000 livres sterling, dont 130 000 livres pour les produits Fisher-Price.

Toyco exerce divers types d'activité. Dans certains cas, il agit en qualité d'agent. Il transmet les commandes de ses membres et les livraisons et les paiements sont faits directement par les fournisseurs et les détaillants respectivement.

Dans d'autres cas, il agit en tant que grossiste. Les adhérents détaillants passent leurs commandes au groupement d'achats, puis les produits commandés sont livrés au groupement, qui les fait parvenir aux détaillants, établit pour ceux-ci une facture à son nom et règle les fournisseurs.

En ce qui concerne les commandes de produits Fisher-Price passées par les membres irlandais, Toyco a agi en tant que grossiste. Les produits ont été livrés à Toyco, puis revendus aux détaillants irlandais. Les factures ont ensuite été établies par Toyco, envoyées aux détaillants irlandais et payées par ceux-ci à Toyco.

Fisher-Price n'a pas reconnu les trois membres irlandais comme ses clients. Par conséquent, aucune livraison et aucun paiement directs n'ont pu avoir lieu entre Fisher-Price et les trois membres irlandais, mais uniquement entre Fisher-Price et Toyco, qui a ensuite livré les produits et reçu le règlement.

c) Duffy Group

(8) Duffy Group Ltd, Dublin, est une société irlandaise spécialisée dans le commerce des jouets.

Elle possède six magasins à Dublin.

En 1984, Duffy Group a réalisé un chiffre d'affaires de 656 000 livres irlandaises, dont 39 000 livres pour les jouets Fisher-Price.

(9) En 1979, cette société a créé une filiale en Irlande du Nord (Royaume-Uni) appelée Duffy Group N.I Ltd, qui avait pour objectif d'acheter des jouets au Royaume-Uni pour les exporter ensuite en Irlande. A cette fin, Duffy Group N.I. est devenue membre du groupement d'achat Toyco et a pu ainsi acheter des produits Fisher-Price à des conditions nettement plus avantageuses.

Ces produits étaient ensuite envoyés à Duffy Group Ltd à Dublin. Ce système a été appliqué jusqu'à ce que Fisher-Price refuse de livrer des produits à Toyco tant que l'un de ses membres les exporterait en Irlande.

B. Les produits et le marché

(10) Fisher-Price fabrique et distribue une gamme étendue de jouets. Toutefois, la société est particulièrement représentée sur le marché des jouets pour enfants d'âge préscolaire, c'est-à-dire les jouets destinés aux enfants de 0 à 5 ans.

(11) La part de Fisher-Price sur le marché du jouet dans la Communauté (à l'exclusion de l'Espagne et du Portugal) est d'environ 3 %. Elle varie d'un Etat membre à l'autre et d'un (sous) marché à l'autre. Au Royaume-Uni et en Irlande, elle a été de 3 % en 1984. Fisher-Price fait partie des principales marques, surtout pour les jouets destinés aux enfants d'âge préscolaire. Sous ce sous-marché, sa part atteint 9 % du marché au Royaume-Uni et en Irlande.

(12) Les prix des produits Fisher-Price ont varié suivant les Etats membres. C'est ainsi que l'écart entre les prix au Royaume-Uni et ceux pratiqués par Macaulay en Irlande a été suffisamment important entre 1981 et 1985 pour inciter les distributeurs irlandais à s'approvisionner au Royaume-Uni, principalement en Irlande du Nord, bien que les avantages de ce commerce aient progressivement diminué.

En ce qui concerne les vingt produits de Fisher-Price les plus vendus en Irlande, l'écart constaté est allé, selon les produits, jusqu'à 35 % en 1981, 24 % en 1982, 30 % en 1983, 24 % en 1984 et 18 % en 1985.

C. Mesures prises contre les importations parallèles

(13) Dans une lettre du 28 avril 1981, le responsable Fisher-Price UK pour l'Irlande du Nord ("Territory Manager") a clairement indiqué à Toyco que "c'est une condition expresse des (de nos) accords avec les groupements d'achats que les commandes soient livrées directement aux détaillants concernés et les factures envoyées pour règlement au siège du groupement". Etant représenté en Irlande par un distributeur exclusif, Fisher-Price a proposé dans ladite lettre à Duffy Group Ltd, établi en Irlande, de "se mettre en rapport avec des (nos) agents en République d'Irlande, à savoir W.D. Macaulay, Dublin, pour qu'il (M. Duffy) puisse s'approvisionner directement auprès d'eux".

(14) Dans une lettre du 24 novembre 1982, Toymaster Ltd a assuré Fisher-Price UK qu'il avait fait pression sur Toyco pour que celui-ci refuse les commandes de ses membres irlandais. Selon cette lettre, Toymaster Ltd a reçu du directeur de Toyco "l'assurance catégorique qu'aucun autre produit ne sera livré à l'une quelconque des personnes que (vous) mentionnez - (les trois membres irlandais)".

(15) Dans une lettre du 23 novembre 1982 adressée au directeur de Toyco, Fisher-Price UK a prévenu Toyco que "si vous (Toyco) ne nous donnez pas la ferme assurance que vous n'approvisionnerez pas vos membres en République d'Irlande, je (directeur général des ventes de Fisher-Price) me verrai dans l'obligation de clôturer le compte de votre groupement d'achats".

Du mois de novembre 1982 au mois d'août 1985, Toyco, sous la pression croissante de Fisher-Price UK, n'a plus accepté de commandes de jouets Fisher-Price de ses membres irlandais.

(16) Il semble que les restrictions concernant les exportations entre le Royaume-Uni et l'Irlande aient pris fin à la suite de la lettre du 5 août 1985, par laquelle Fisher-Price Europe informait Toyco que Fisher-Price "ne refusera plus jamais d'approvisionner un client, groupement d'achats ou autre, qui souhaite pour sa part approvisionner des détaillants ou des grossistes en République d'Irlande ou dans tout autre pays de la Communauté".

En outre, une note a été envoyée le 19 août 1985 par Fisher-Price Europe "à tout le personnel, à tous les gestionnaires des comptes les plus importants, à tous les directeurs des ventes, à tous les télévendeurs, à toutes les administrations commerciales, à tous les services de gestion du crédit..." pour leur expliquer la politique commerciale de Fisher-Price dans la Communauté au regard des règles communautaires de concurrence.

(17) En conséquence, les restrictions concernant le commerce des produits Fisher-Price entre le Royaume-Uni et l'Irlande semblent s'être produites au moins entre novembre 1982 et août 1985. Compte tenu de la persistance des écarts de prix au cours de la période considérée, il est permis de conclure que les exportations parallèles du Royaume-Uni en Irlande auraient atteint un niveau nettement plus élevé s'il n'y avait pas eu les restrictions en question.

II. APPRECIATION JURIDIQUE

A. Article 85 paragraphe 1

(18) Tant Quaker oats Ltd que Toyco sont des entreprises au sens de l'article 85 paragraphe 1. Les activités de Toyco dans ses rapports avec les membres irlandais ont été celles d'un grossiste et non celles d'un agent, ce qui ressort clairement des éléments ci-après :

- les factures ont été établies et les produits livrés par Toyco aux membres irlandais,

- Toyco possédait chez Fisher-Price un compte de groupement d'achats différent de celui des membres ordinaires. Ce compte est mentionné dans la lettre de Fisher-Price à Toyco en date du 23 novembre 1982.

Quelle que puisse être l'ambiguïté des activités de Toyco, il n'est donc pas nécessaire d'examiner de manière plus approfondie si, comme l'a indiqué Quaker Oats Ltd lors de l'audition, Toyco a agi en qualité d'agent, parce que, en tout état de cause, Toyco a clairement agi en tant que grossiste pour les membres irlandais.

Alors que ces faits sont confirmés par des copies de factures qui sont en possession de la Commission, ils sont aussi confirmés implicitement par Quaker Oats Ltd. Si Toyco n'était pas un grossiste, Quaker Oats Ltd aurait livré directement les produits aux membres du groupements d'achats. Quaker Oats Ltd aurait alors simplement refusé d'approvisionner les trois détaillants irlandais de façon à protéger Macaulay, son distributeur exclusif en Irlande. Il n'aurait pas eu besoin, comme il l'a fait, de menacer Toyco de " clôturer son compte ".

(19) La Commission a conclu que le comportement de Quaker Oats Ltd, d'une part, et de Toyco, d'autre part, a constitué un accord au sens de l'article 85 paragraphe 1 concernant le marché des jouets. Confronté à l'alternative consistant soit à cesser de faire le commerce des produits Fisher-Price, soit à cesser d'approvisionner ses membres irlandais, Toyco a accepté la proposition de Quaker Oats Ltd. Le fait que Toyco ait accepté sous de fortes pressions et même contre son propre intérêt économique ne constitue pas un obstacle à la constatation d'un accord [voir par exemple, la décision de la Commission du 25 novembre 1980 - Johnson and Johnson - et l'arrêt de la Cour de justice dans les affaires jointes 32-78 et 36 à 82-78 - BMW Belgique].

(20) Equivalant à une interdiction d'exporter, l'accord a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun dans une mesure appréciable, puisqu'il a été conçu et appliqué de façon à empêcher les distributeurs irlandais d'importer des produits Fisher-Price d'un autre Etat membre de la Communauté.

(21) Quaker Oats Ltd est un fabricant important de jouets. Les trois membres irlandais de Toyco privés de leurs approvisionnements réguliers en produits Fisher-Price au Royaume-Uni représentent une part non négligeable du marché irlandais. Par ailleurs, l'accord en question, outre son incidence directe sur les trois distributeurs, a dû avoir un effet persuasif général sur d'autres importateurs parallèles potentiels et entraver réellement et fortement les échanges entre le Royaume-Uni et l'Irlande. Il a eu une incidence directe et réelle sur le commerce entre les Etats membres. L'article 85 paragraphe 1 est donc applicable.

B. Article 85 paragraphe 3

(22) En vertu de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE, la Commission peut, dans certaines conditions, accorder aux entreprises une exemption à l'interdiction énoncée à l'article 85 paragraphe 1. Cette exemption ne peut cependant être accordée que si l'accord conclu entre les entreprises a été dûment notifié à la Commission. Or, l'accord entre Quaker Oats Ltd et Toyco ne lui a pas été notifié et ne tombe pas sous le coup de l'article 4 paragraphe 2 point 1 du règlement n° 17, parce qu'il concerne des exportations entre Etats membres.

(23) En tout état de cause, l'accord en question n'aurait pas pu bénéficier d'une exemption, parce qu'il impose une restriction très importante qui n'est pas du tout indispensable à un bon système commercial, mais qui est clairement susceptible de nuire aux utilisateurs dans une partie substantielle du marché commun.

C. Article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17

(24) En vertu de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17, la Commission peut infliger des amendes, dans des limites définies par cet article, lorsque, de propos délibéré ou par négligence, les entreprises ont commis une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1. Pour déterminer le montant de l'amende, la Commission doit tenir compte de tous les éléments pertinents, et, en particulier, de la gravité et de la durée de l'infraction.

(25) La direction Fisher-Price de Quaker Oats Ltd a agi de propos délibéré. L'infraction a consisté en des actions visant manifestement à isoler un marché national d'un autre à l'intérieur de la Communauté. Elle s'est poursuivie pendant une période d'une durée considérable. En effet, elle a commencé en novembre 1982 et n'a pris fin qu'en août 1985.

La Commission considère, par conséquent, qu'il convient d'infliger une amende à Quaker Oats Ltd.

(26) Par ailleurs, Toyco n'était pas très disposé à restreindre son commerce avec l'Irlande pour des raisons économiques évidentes. Il n'a accepté de cesser d'approvisionner ses membres irlandais que sous la pression de l'ultimatum envoyé par Quaker Oats Ltd. Compte tenu de ces éléments et du fait que Toyco est un petit groupement probablement handicapé par la perte de son adhérent Duffy Group et par la cessation du commerce des produits Fisher-Price avec l'Irlande, la Commission considère qu'aucune amende ne doit être infligée à Toyco.

(27) En ce qui concerne la gravité de l'infraction, les éléments suivants ont été pris en considération pour déterminer le montant de l'amende à infliger à Quaker Oats Ltd:

L'interdiction d'exporter doit être considérée comme une infraction grave et la Commission doit tenir compte du fait qu'elle s'est poursuivie pendant une période d'une d'urée considérable, bien que ses effets se soient progressivement atténués. Par ailleurs, la Commission a tenu compte de l'application par Quaker Oats Ltd, dans la Communauté tout entière, d'un programme visant à mettre sa politique commerciale en conformité avec les règles communautaires de concurrence, bien que cette démarche n'ait été réalisée qu'à la suite d'inspections de la Commission en juin 1985.

A ARRETE LA PRESENTE DECISION:

Article premier

L'accord entre Quaker Oats Ltd et Toyco Ltd visant à restreindre les importations parallèles du Royaume-Uni en Irlande a constitué une infraction à l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE.

Article 2

Une amende de 300 000 Ecus est infligée à Quaker Oats Ltd. Ladite amende sera payée :

a) au compte n° 59000204 de la Commission des Communautés européennes, Bruxelles (en cas de paiement en Ecus), Lloyds Bank plc., The Manager Payments Section, Overseas Centre, Birmingham, PO Box 63, 38a Paradise Street, Birmingham B1 2AB, England, ou

b) au compte n° 108.63.41 de la Commission des Communautés européennes (en cas de paiement en livres sterling), Lloyds Bank plc., Overseas Dept, PO Box 19, 6 Eastcheap, Londres EC3P 3 AB, dans les trois mois suivant la date de notification de la présente décision à Quaker Oats Ltd. A l'issue de ce délai des intérêts seront automatiquement dus aux taux pratiqué par le Fonds européen de coopération monétaire sur ses opérations en Ecus au premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été arrêtée, majoré de 3.5 points de pourcentage, soit 10,25%.

En cas de paiement en livres sterling, le taux de change à retenir sera celui du jour précédant celui de paiement.

Article 3

Les entreprises suivantes sont destinataires de la présente décision :

Quaker Oats Ltd, Bridge Road, Southall, UK-Middlesex UB2 4AG.

Toyco Ltd, 38 Main Street, Larne, UK-County Antrim, Irlande du Nord.