CJCE, 6e ch., 17 novembre 1987, n° 142-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
British-American Tobacco Company (Ltd), R. J. Reynolds Industries (Inc)
Défendeur :
Commission des Communautés Européennes, Philip Morris Incorporated, Rembrandt Group Limited
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Due
Avocat général :
M. Mancini
Juges :
MM. Rodriguez Iglesias, Koopmans, Bahlmann Kakouris
Avocats :
Mes Bos, Lever, Buxton, Siragusa, Waelbroeck, Bellamy, Parker, Nicholson.
LA COUR (sixième chambre),
1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 4 et 20 juin 1984, British American Tobacco Company Ltd, dont le siège est à Londres, et R. J. Reynolds Industries Inc., à Winston Salem, Caroline du Nord, États-Unis d'Amérique, ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, deux recours visant à l'annulation de la décision contenue dans les lettres de la Commission n° SG (84) D-3946, du 22 mars 1984, relatives aux affaires n° IV/30.342 et n° IV/30.926, rejetant les demandes introduites par les requérantes en application de l'article 3, paragraphe 2, du réglement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (JO p. 204), et déclarant que certains accords conclus entre Philip Morris Incorporated (ci-après "Philip Morris "), à New York, et Rembrandt Group Limited (ci-après "Rembrandt "), à Stellenbosch, République d'Afrique du Sud, ne constituent pas des violations des articles 85 et 86 du traité CEE. Les requérantes demandent, en outre, que la Cour ordonne à la Commission de modifier sa position à l'égard desdites demandes pour se conformer à l'arrêt de la Cour.
2. Par ordonnances du 28 novembre 1984, la Cour a admis Philip Morris et Rembrandt à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 26 septembre 1984, la Cour a ordonné que les affaires soient jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.
3. Les demandes introduites par les requérantes en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, précité, étaient dirigées contre des accords entre Philip Morris et Rembrandt, aux termes desquels la première de ces sociétés achetait à la seconde, moyennant un prix de 350 millions de USD, une participation de 50 % dans le capital de Rothmans Tobacco (Holding) Ltd (ci-après "Rothmans Holdings "), société d'investissement qui était une filiale à 100 % de Rembrandt et qui détenait, dans le capital de Rothmans International plc (ci-après "Rothmans International "), une participation suffisamment large pour contrôler cette dernière société, fabricant important de cigarettes sur le marché communautaire, et notamment au Bénélux. Par ces accords, Philip Morris avait obtenu une participation indirecte de 21,9 % dans les bénéfices de son concurrent Rothmans International.
4. Ces accords (ci-après "accords de 1981 ") contenaient, en outre, des stipulations visant à maintenir l'équilibre entre les parties en ce qui concerne leur participation directe ou indirecte dans le capital de Rothmans International et accordaient à chacune des parties un "droit de refus préalable" en cas de cession, par l'autre partie, de la participation dans le capital de Rothmans Holdings.
5. En ce qui concerne la gestion, les accords de 1981 conféraient aux deux parties le droit de nommer un nombre égal d'administrateurs au conseil d'administration de Rothmans Holdings. Ils stipulaient que Rembrandt conservait les fonctions de gestion, qu'elle avait exercées jusque-là à l'égard des activités commerciales de Rothmans International, et que les données intéressant la concurrence ne devaient pas être communiquées à Philip Morris, mais ils contenaient également des dispositions visant à une coopération entre Philip Morris et Rothmans International dans les secteurs tels que la distribution et la fabrication concertées, les connaissances et la recherche technique, etc.
6. A la suite de demandes déposées entre autres par les requérantes, la Commission a adressé à Philip Morris et à Rembrandt une communication des griefs déclarant que les accords de 1981 violaient à la fois l'article 85 et l'article 86 du traité. Après des négociations avec la Commission, Philip Morris et Rembrandt ont finalement remplacé ces accords par de nouveaux accords tendant à faire disparaitre les griefs de la Commission. Ce sont ces derniers accords (ci-après "accords de 1984 ") qui sont visés par les décisions litigieuses de la Commission, alors que celle-ci n'a pas estimé qu'il convenait d'adopter une décision en ce qui concerne les accords originaux de 1981, ceux-ci ayant été abrogés et remplacés par ceux de 1984.
7. Par les accords de 1984, Philip Morris a rétrocédé sa participation dans le capital de Rothmans Holdings et, en contrepartie, elle a obtenu une participation directe dans le capital de Rothmans International. Cette participation est de 30,8 %, mais ne représente que 24,9% des droits de vote, alors que la part, également de 30,8 %, détenue par Rembrandt représente 43,6 % de ces droits.
8. Tout comme les accords de 1981, les nouveaux accords confèrent un droit de préemption à l'autre partie en cas de cession de la participation. En outre, seule la totalité de la participation d'une partie peut être cédée aux tiers et uniquement à un seul acheteur indépendant ou à au moins dix acheteurs indépendants. Si la participation de Rembrandt est vendue à un seul acheteur, celui-ci doit faire une offre identique pour les parts de Philip Morris. Enfin, en cas de cession de la participation de l'une ou l'autre partie, les accords prévoient la possibilité d'établir un partage égal des droits de vote dans Rothmans International.
9. Les accords de 1984 sont complétés par certains engagements des parties vis-à-vis de la Commission. Ces engagements visent notamment à garantir l'absence d'une représentation de Philip Morris aux organes de direction de Rothmans International et la non-communication à Philip Morris d'informations concernant le groupe Rothmans International et susceptibles d'influencer le comportement du groupe Philip Morris dans les relations de concurrence entre les deux groupes à l'interieur de la communauté. En outre, Philip Morris s'est engagée à informer la Commission de tout amendement aux accords et de toute augmentation de ses portefeuilles de parts dans Rothmans International ou de toute éventualité dans laquelle Philip Morris obtiendrait 25 % ou plus des droits de vote à l'intérieur de Rothmans International. Dans les deux derniers cas, la Commission pourra exiger une séparation entre les intérêts respectifs de Rothmans International et de Philip Morris assurant le maintien du statu quo pour une période de trois mois, au cours de laquelle la Commission peut décider quelles mesures nouvelles seraient éventuellement appropriées.
10. Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens et arguments présentés par les requérantes, la Commission et les parties intervenantes, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
I - Sur la recevabilité des recours
11. L'une des parties intervenantes, Rembrandt, conteste la recevabilité des recours au motif, d'une part, que les lettres du 22 mars 1984 de la Commission ne constituaient pas des décisions au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité et, d'autre part, que les requérantes ne sont pas concernées directement et individuellement au sens dudit article. La Commission, pour sa part, fait valoir que, dans la mesure où les requérantes concluent à ce que la Cour ordonne à la Commission de prendre une décision spécifique, les recours doivent être rejetés comme irrecevables.
12. En ce qui concerne les demandes d'annulation, il convient de constater que la Commission, sur demande des requérantes, a rédigé et adressé ses lettres du 22 mars 1984 aux requérantes sous forme d'une "décision". En outre, ces lettres ont le contenu d'une décision et en produisent les effets, en ce qu'elles mettent fin à l'enquête engagée, comportent une appréciation des accords en cause et empêchent les requérantes d'exiger la réouverture de l'enquête, à moins que celles-ci ne fournissent des éléments nouveaux. Sans qu'il soit nécessaire de décider si une partie intervenante peut soulever une exception d'irrecevabilité, lesdites constatations suffisent pour qualifier les lettres de la Commission du 22 mars 1984 de décisions adressées aux requérantes, au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité, et, partant, pour écarter les objections soulevées à cet égard.
13. En revanche, les recours sont irrecevables dans la mesure où ils demandent à la Cour d'ordonner à la Commission de prendre un acte en remplacement de l'acte attaqué, la Cour ne pouvant pas, dans le cadre de la procédure de contrôle de légalité établie par l'article 173, prononcer une telle injonction.
II - Sur le fond
14. Les moyens des requérantes concernent la procédure administrative, l'appréciation que la Commission a portée sur les accords et la motivation des décisions.
A - Sur la procédure administrative
15. Les requérantes font valoir notamment que, en tant qu'auteurs de demandes au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, elles n'ont pas été suffisamment associées à l'enquête sur les accords litigieux menée par la Commission.
16. A cet égard, il ressort du dossier que, sous réserve des passages que Philip Morris et Rembrandt estimaient relever du secret des affaires, la Commission a transmis aux requérantes des copies de sa communication des griefs du 19 mai 1982, déclarant que les accords de 1981 violaient les articles 85 et 86 du traité. Les requérantes ont également eu l'occasion de commenter les réponses de Philip Morris et de Rembrandt à la communication des griefs, et elles ont participé à l'audition qui a eu lieu du 5 au 7 octobre 1982. Après l'audition, les requérantes en ont reçu les procès-verbaux et ont eu l'occasion de commenter les observations supplémentaires que Philip Morris a soumises par écrit à la suite de l'audition.
17. En mai 1983, la Commission a informé les requérantes que Philip Morris et Rembrandt avaient apporté certaines modifications aux accords de 1981, et il y a eu un échange de lettres ainsi que des réunions entre les requérantes et la Commission à cet égard. Après que Philip Morris et Rembrandt aient finalement décidé de remplacer les accords de 1981 par les nouveaux accords de 1984, les requérantes ont été, conformément à l'article 6 du règlement n ° 99-63 de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO p. 2268), informées par lettres du 16 décembre 1983 de ce que la Commission considérait qu'il n'y avait plus de motif suffisant pour faire droit à leurs demandes, et elles ont été invitées à présenter leurs observations complémentaires éventuelles. A cette fin, les requérantes ont été informées du contenu des nouveaux accords et des engagements souscrits par Philip Morris et Rembrandt. Ce n'est qu'après avoir reçu les observations des requérantes sur les nouveaux accords et sur lesdits engagements que la Commission a pris les décisions litigieuses.
18. Les requérantes admettent que, jusqu'aux négociations portant sur les amendements aux accords initiaux, elles ont été étroitement associées à l'enquête menée par la Commission, mais elles font valoir que la Commission a donné un sens trop large à la notion de "secret d'affaires" en omettant de leur communiquer certains documents et parties de documents. Elles font également valoir qu'elles auraient dû être admises à prendre part auxdites négociations ou, du moins, qu'elles auraient dû être informées régulièrement de leurs développements par transmission des procès-verbaux. Les requérantes estiment que, sur ces points, la Commission a commis des irrégularités de procédure qui constituent à leur égard une violation du droit de la défense, tel que ce droit a été précisé par la jurisprudence de la Cour.
19. Il convient de noter que la jurisprudence invoquée par les requérantes concerne le droit de la défense des entreprises contre lesquelles la Commission dirige son enquête. Or, une telle enquête ne constitue pas une procédure contradictoire entre les entreprises intéressées, mais une procédure engagée par la Commission, d'office ou à la suite d'une demande, dans l'exercice de sa mission de veiller au respect des règles de concurrence. Il s'ensuit que les entreprises contre lesquelles la procédure est engagée et celles qui ont introduit une demande au titre de l'article 3 du règlement n° 17 en justifiant d'un intérêt légitime à voir cesser une violation alléguée ne se trouvent pas dans la même situation procédurale et que ces dernières ne peuvent pas se prévaloir du droit de la défense au sens de la jurisprudence invoquée.
20. En revanche, ainsi qu'il ressort notamment de l'arrêt du 28 mars 1985 (CICCE c. Commission, 298-83, Rec. p. 1105), ces plaignants doivent être mis en mesure de sauvegarder leurs intérêts légitimes dans le cadre de la procédure administrative et la Commission est tenue d'examiner l'ensemble des éléments de fait et de droit qui sont portés à sa connaissance par les plaignants. Cependant, les droits procéduraux des plaignants ne sont pas aussi étendus que le droit de la défense des entreprises contre lesquelles la Commission dirige son enquête. De toute manière, ils trouvent leurs limites dans la mesure où ils mettent en cause ce droit de la défense.
21. Dans son arrêt du 24 juin 1986 (Akzo Chemie BV et Akzo Chemie UK Ltd c. Commission, 53-85, rec. p. 1965), la Cour a reconnu que l'obligation de secret professionnel énoncée par l'article 214 du traité et par l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, est atténuée à l'égard de plaignants et que la Commission peut communiquer à ceux-ci certaines informations couvertes par le secret professionnel, pour autant que cette communication est nécessaire au bon déroulement de l'instruction. Dans le même arrêt, la Cour a toutefois souligné que le plaignant ne peut, en aucun cas, recevoir communication de documents qui contiennent des secrets d'affaires et a précisé les moyens par lesquels l'entreprise concernée par l'enquête peut s'opposer à une telle communication.
22. Dans les présentes affaires, les requérantes n'ont pas apporté d'éléments qui portent à croire que la Commission aurait omis de leur communiquer des documents qu'elle pouvait transmettre sans divulguer des secrets d'affaires. Il s'ensuit que ce premier volet du moyen doit être rejeté.
23. En ce qui concerne le grief concernant les négociations que Philip Morris et Rembrandt ont menées avec la Commission en vue d'une modification des accords initiaux, il convient de rappeler que la procédure administrative constitue, entre autres, l'occasion, pour les entreprises concernées, d'adapter les accords ou pratiques incriminès aux règles du traité. Cette possibilité présuppose le droit des entreprises et de la Commission d'entamer des négociations confidentielles en vue de déterminer les modifications susceptibles de faire disparaître les griefs de celle-ci.
24. Un tel droit serait compromis si les plaignants devaient y assister ou être constamment tenus au courant du développement de ces négociations en vue de présenter leurs observations sur les différentes propositions avancées par l'une ou l'autre partie. Les intérêts légitimes des plaignants sont pleinement sauvegardés lorsque ceux-ci sont informés du résultat de ces négociations au vu duquel la Commission envisage le classement de leurs plaintes. Or, sur ce point, les requérantes ont reçu toutes les informations pertinentes à l'occasion des lettres que la Commission leur a adressées en vertu de l'article 6 du règlement n° 99-63. Il s'ensuit que ce deuxième volet du moyen doit également être rejeté.
25. Dans le même ordre d'idées, les requérantes affirment que, lors des négociations entre Philip Morris et la Commission, une pression a été exercée sur la Commission, notamment par un ancien membre de celle-ci. A cet égard, il suffit de constater que les requérantes n'ont fourni aucun élément à l'appui de cette affirmation.
26. Enfin, les requérantes se plaignent de ce que la Commission, dans les décisions litigieuses, a ajouté des arguments nouveaux par rapport aux lettres visées à l'article 6 du règlement n° 99-63 et sur lesquels les requérantes n'ont pas eu l'occasion de se prononcer préalablement.
27. Cet argument doit également être rejeté. Les requérantes ont, comme plaignants, eu l'occasion de prendre position sur les arguments avancés dans lesdites lettres. Le fait que les observations des requérantes ont provoqué des réflexions supplémentaires de la part de la Commission et que celle-ci, pour cette raison, a cru utile d'ajouter des arguments complémentaires dans les décisions finales ne crée pas une obligation pour la Commission de les entendre à nouveau avant d'arrêter ces décisions.
28. De l'ensemble des considérations qui précèdent, il résulte que le moyen concernant la procédure administrative doit être rejeté comme non fondé dans son ensemble.
B - Sur l'appréciation que la Commission a portée sur les accords
29. Les requérantes font valoir que, dans les décisions litigieuses, la Commission a fait une application erronée des articles 85 et 86 du traité, et qu'elle a commis une erreur manifeste en estimant que les engagements souscrits par Philip Morris et Rembrandt étaient suffisants pour éviter une infraction à ces articles.
30. Il y a lieu de constater, tout d'abord, que les décisions litigieuses ne concernent que les accords de 1984 et non pas ceux de 1981 qui n'ont conservé leur intérêt que pour autant qu'ils révèlent les intentions initiales des parties. Les présentes affaires posent ainsi essentiellement le problème de savoir si et, le cas échéant, sous quelles conditions, la prise d'une participation minoritaire dans le capital d'une entreprise concurrente peut constituer une violation des articles 85 et 86 du traité.
31. Comme la prise de participation dans le capital de Rothmans international fait l'objet d'accords conclus entre entreprises qui, après l'entrée en vigueur de ces accords, restent des entreprises indépendantes, il convient, en premier lieu, d'examiner ce problème à la lumière de l'article 85.
Sur l'application de l'article 85
32. Les requérantes font valoir, en substance, qu'il faut présumer un effet restrictif de concurrence lorsqu'une entreprise prend une participation importante, bien que minoritaire, dans le capital d'une entreprise concurrente. Une telle prise de participation influerait nécessairement sur le comportement commercial des entreprises en cause, particulièrement sur un marché stagnant et hautement oligopolistique comme celui des cigarettes ou toute tentative d'étendre la part de marché d'une entreprise se ferait au détriment des entreprises concurrentes. Sur ce marché, les liens créés entre deux des opérateurs les plus importants rompraient l'équilibre concurrentiel.
33. Selon les requérantes, la transaction en cause n'a pas seulement pour effet, mais également pour objet, de restreindre la concurrence. Ce fait découlerait des relations entre les accords litigieux et les accords initiaux de 1981 qui prévoyaient une coopération commerciale entre les parties. Ce serait au moyen des droits obtenus en vertu de ces accords initiaux que Philip Morris aurait pu se procurer une prise de participation directe dans le capital de Rothmans International, et rien n'indiquerait que l'idée d'une coopération commerciale ait été abandonnée, d'autant plus que le prix payé par Philip Morris est resté le même. L'intention de coopérer sur le marché communautaire serait d'ailleurs confirmée par l'existence d'accords de coopération entre Philip Morris et Rothmans International en Indonésie, en Malaisie et aux Philippines.
34. Les requérantes soutiennent également que l'effet et l'objectif anticoncurrentiels des accords litigieux sont renforcés par les clauses concernant le droit de préemption, au cas où une des parties désirerait céder sa participation dans le capital de Rothmans international. Ces clauses viseraient à réserver à Philip Morris la possibilité d'acquérir le contrôle de Rothmans international et démontreraient que la prise de participation ne constitue pas un simple investissement passif. Le fait que l'utilisation de ces clauses soit contraire à l'article 85 suffirait en lui-même à constater que les accords ont pour objet de restreindre la concurrence.
35. Enfin, les engagements imposés par la Commission ne suffiraient nullement à enlever aux accords leur caractère anticoncurrentiel. D'une part, les engagements concernant la gestion actuelle de Rothmans International n'empêcheraient pas Philip Morris d'exercer une influence informelle en tant qu'actionnaire important de Rothmans international. D'autre part, les engagements concernant la séparation des intérêts de Philip Morris et de Rothmans International en cas d'utilisation par Philip Morris de son droit de préemption concerneraient la période postérieure à la violation de l'article 85 et ne seraient même pas d'application si Philip Morris obtenait le contrôle effectif de Rothmans International suite à la vente de la participation de Rembrandt à au moins 10 acheteurs indépendants l'un de l'autre et de Philip Morris.
36. Il convient de rappeler que, pour tomber sous le coup de l'article 85, un accord doit avoir pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
37. Si le fait, pour une entreprise, de prendre une participation dans le capital d'une entreprise concurrente ne constitue pas en soi un comportement restrictif de concurrence, une telle prise de participation peut néanmoins constituer un moyen apte à influer sur le comportement commercial des entreprises en cause, de manière à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence sur le marché où ces deux entreprises déploient leurs activités commerciales.
38. Tel serait notamment le cas si, par la prise de participation ou par des stipulations accessoires de l'accord, l'entreprise qui investit obtient un contrôle de droit ou de fait sur le comportement commercial de l'autre entreprise ou si l'accord prévoit une coopération commerciale entre les entreprises ou crée des structures aptes à promouvoir une telle coopération.
39. Tel peut également être le cas si l'accord réserve à l'entreprise qui investit la possibilité de renforcer, à un stade ultérieur, sa position en prenant le contrôle effectif de l'autre entreprise. Il convient de tenir compte non seulement des effets actuels de l'accord, mais également de ses effets potentiels et de la possibilité que l'accord s'inscrive dans un plan à plus longue échéance.
40. Enfin, tout accord doit être apprécié dans son contexte économique, et notamment à la lumière de la situation du marché en cause. Lorsque les entreprises concernées sont des sociétés multinationales qui exercent leurs activités à l'échelle mondiale, il n'est pas non plus possible de faire abstraction de leurs relations en dehors de la communauté. Il faut notamment tenir compte de la possibilité que l'accord en cause fasse partie d'une politique de coopération globale entre les entreprises parties à l'accord.
41. C'est à la lumière de toutes ces considérations qu'il convient d'examiner si la Commission, en appréciant les accords de 1984, a constaté à tort qu'un objet ou un effet anticoncurrentiel n'a pas été établi.
42. En ce qui concerne la situation sur le marché des cigarettes, la Commission a constaté, dans sa communication des griefs relative aux accords de 1981, que ce marché a été quantitativement stagnant de 1976 à 1980, période examinée par la Commission. Celle-ci a également constaté que, à l'exception des marchés français et italiens où il existe des monopoles d'état, le marché communautaire est dominé par six groupes d'entreprises, dont ceux qui sont parties requérantes et intervenantes dans la présente affaire.
43. La Commission considère que, sur le marché des cigarettes, stagnant et oligopolistique, et en l'absence de compétition véritable au niveau du prix ou de la recherche, la publicité et l'acquisition d'entreprises constituent les principaux instruments pour accroître la part du marché d'un opérateur économique. En outre, le marché étant dominé par de grandes entreprises, disposant de moyens et de connaissances techniques considérables, et la publicité étant d'une grande importance, il serait très difficile, pour une entreprise nouvelle, d'y pénétrer.
44. Il convient d'admettre que, dans les conditions de marché ainsi décrites par la Commission et, pour l'essentiel, non contestées par les autres parties à l'instance, toute entreprise soucieuse d'agrandir sa part de marché serait fortement tentée, au cas où cette occasion se présenterait, de prendre le contrôle d'une entreprise concurrente. Il faut également reconnaître que, dans lesdites circonstances, toute tentative de prise de contrôle et tout accord susceptible de favoriser une coopération commerciale entre deux ou plusieurs de ces entreprises dominantes comportent le risque d'entraîner une restriction de concurrence.
45. En présence d'une telle situation de marché, la Commission doit faire preuve d'une vigilance particulière. Elle doit notamment examiner si un accord qui, à première vue, ne prévoit qu'un investissement passif dans une entreprise concurrente, ne vise pas, en réalité, à prendre le contrôle de cette entreprise, le cas échéant à un stade ultérieur, ou à instaurer une coopération entre les entreprises en vue d'un partage du marché. Il n'en reste pas moins que, pour que la Commission puisse constater une infraction à l'article 85, elle doit être en mesure de démontrer que l'accord a pour objet ou pour effet d'influer sur le comportement concurrentiel des entreprises sur le marché en cause.
46. A cet égard, il convient de constater que les accords de 1984 et les engagements pris par Philip Morris et Rembrandt vis-à-vis de la Commission excluent la représentation de Philip Morris au conseil d'administration et à tout autre organe de direction de Rothmans International, et limitent la participation de Philip Morris à moins de 25 % des droits de vote. Par contre, la part detenue par Rembrandt représente 43,6 % des droits de vote, ce qui, en raison de la dispersion du reste de ces droits et compte tenu de la représentation de Rembrandt aux organes de direction de Rothmans International, permet à Rembrandt de continuer de déterminer la politique commerciale de Rothmans International sur le marché des cigarettes.
47. Il convient également de constater que, à la différence des accords de 1981, ceux de 1984 ne contiennent aucune clause portant sur une coopération commerciale, que ces derniers accords ne créent aucune structure qui favorise une telle coopération entre Philip Morris et Rothmans International, et que les entreprises se sont engagées à ne pas échanger d'informations susceptibles d'influencer leur comportement concurrentiel. Sous réserve des clauses concernant la cession éventuelle, par l'une ou l'autre partie, de sa part dans le capital de Rothmans International, qui seront examinées plus tard, les dispositions des accords de 1984, telles que complétées par les engagements pris vis-à-vis de la Commission, ne suffisent donc pas pour démontrer que ces accords ont pour objet ou pour effet de permettre à l'une des entreprises d'influencer le comportement commercial de l'autre.
48. Encore faut-il examiner si la participation de Philip Morris dans le capital de Rothmans International dans les circonstances de l'espèce oblige nécessairement les entreprises impliquées à prendre en considération l'intérêt de l'autre partie dans la mise au point de leur politique commerciale, ainsi que les requérantes le font valoir.
49. En ce qui concerne Rembrandt, la Commission soutient que cette entreprise garde son intérêt à tirer le plus grand profit possible de son investissement dans Rothmans International et que, grâce à ses droits de vote et à ses rapports traditionnels de direction avec cette dernière société, elle est, en pratique, capable de contrôler la politique commerciale de Rothmans International sans tenir compte des intérêts de Philip Morris. Bien que les droits de vote de Philip Morris suffisent pour bloquer certaines décisions de caractère exceptionnel, cette possibilité serait trop hypothétique pour constituer une menace réelle, capable d'avoir une influence sur Rembrandt quant à la gestion de Rothmans International. Il n'y aurait aucune raison de supposer que les dirigeants et le personnel de Rothmans International n'aient pas intérêt à faire de cette société une entreprise aussi rentable que possible.
50. Si Philip Morris, de son côté, en raison de sa part des bénéfices de Rothmans International, a un intérêt au succès de cette entreprise, sa première préoccupation reste néanmoins, selon la Commission, celle d'accroître la part de marché et les recettes de ses propres entreprises. Philip Morris conserverait donc un intérêt considérable à limiter tout accroissement de la part de marché de Rothmans International par ses propres efforts en matière industrielle et commerciale. La Commission estime ainsi que la prise de participation minoritaire, par Philip Morris, dans le capital de Rothmans International, n'entraîne pas en soi une modification de la situation concurrentielle sur le marché communautaire des cigarettes.
51. Il convient de constater que les éléments du dossier ne permettent pas d'écarter cette appréciation de la Commission. En particulier, aucune donnée ne permet de conclure que la prise de participation risque d'aboutir à un partage de marché en ce sens que Philip Morris, sans perdre elle-même des parts du marché, puisse se concentrer sur une partie spécifique de celui-ci en donnant ainsi à Rothmans International une possibilité d'accroître ses activités sur une autre part du marché.
52. Il n'existe pas non plus de données suffisantes pour conclure que Philip Morris et Rothmans International coopèrent en dehors du marché communautaire d'une manière à affecter les relations entre ces deux sociétés sur ce marché. Les requérantes font valoir uniquement qu'une telle coopération existe sur certains marchés géographiques limités, et les parties intervenantes affirment que cette coopération porte uniquement sur des accords d'exploitation de certaines marques commerciales appartenant à l'autre partie, ce qui constituerait pour le secteur considéré un procédé tout à fait normal et, d'ailleurs, également utilisé par les requérantes. Dans ces circonstances, on ne saurait conclure non plus que les accords litigieux font partie d'une politique de coopération globale entre deux entreprises multinationales sur le marché mondial des cigarettes.
53. Le fait que les accords litigieux contiennent des dispositions concernant la vente éventuelle des actions de Rothmans International par l'une ou l'autre partie et que ces dispositions prévoient une possibilité qui, dans un contexte inchangé, pourrait être contraire à l'article 85, n'est pas en soi suffisant pour établir que les accords ont pour objet de restreindre la concurrence. Il est vrai que les accords de 1984 remplacent des accords qui visaient un partage de contrôle sur Rothmans Holdings qui, à son tour, exerçait un contrôle réel sur la politique commerciale de Rothmans International et que ce remplacement n'a entraîné aucune diminution du prix payé par Philip Morris, mais il convient de rappeler que Philip Morris a retenu d'autres avantages, notamment celui de pouvoir empêcher la prise de contrôle de Rothmans International par une autre entreprise concurrente et qu'elle a obtenu une augmentation considérable de sa part des bénéfices de Rothmans International. Bien que l'historique des accords litigieux démontre que Philip Morris a envisagé une transaction allant plus loin qu'un investissement passif, les clauses de ces accords qui visent une situation purement hypothétique ne permettent pas d'établir que la prise de participation minoritaire constitue la première phase d'un plan destiné à prendre le contrôle de Rothmans International.
54. Il convient toutefois d'examiner si ces clauses produisent des effets anticoncurrentiels actuels et si la Commission a également tenu suffisamment compte de leurs effets potentiels.
55. La Commission ne considère pas que lesdites clauses ont une influence actuelle sur le comportement concurrentiel des parties. Dans la perspective d'une cession de sa part du capital de Rothmans International, Rembrandt aurait tout intérêt à augmenter la valeur de son investissement à travers une concurrence effective de la part de cette entreprise. Philip Morris, de son côté, aurait intérêt à limiter le prix éventuel des actions de Rothmans International appartenant à Rembrandt et n'aurait, dès lors, aucune raison de limiter ses propres efforts pour obtenir des parts de marché supplémentaires. De plus, la possibilité pour le personnel de Rothmans International d'être engagé ultérieurement par Philip Morris devrait plutôt l'inciter à démontrer sa compétence professionnelle. La Commission n'estime pas non plus que la possibilité pour Philip Morris d'opposer des difficultés à la vente éventuelle, par Rembrandt, de ses actions dans Rothmans International puisse constituer une menace susceptible d'influencer la gestion commerciale normale de Rembrandt et de Rothmans International.
56. Les éléments du dossier ne permettent pas à la Cour d'écarter cette appréciation de la Commission. Il convient d'ajouter que les obstacles opposés à l'achat d'une part de Rothmans International par une troisième entreprise, qui découlent des dispositions en cause, ne sauraient être considérés comme une restriction actuelle de la concurrence sur le marché des cigarettes contraire à l'article 85. D'une part, ainsi que les parties intervenantes l'ont soutenu, des dispositions de ce type peuvent être justifiées par l'intérêt légitime des parties contractantes à sauvegarder leur investissement important. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, le fait que Philip Morris, sans avoir elle-même obtenu le contrôle de Rothmans International, a acquis le pouvoir d'empêcher que ce contrôle passe à une tierce entreprise concurrente ne peut pas, en soi, constituer une restriction de la concurrence.
57. En ce qui concerne les effets potentiels des clauses en question, il convient de reconnaître que la Commission a pris des mesures destinées à éviter que de tels effets se produisent de manière contraire à l'article 85 du traité. Ainsi, Philip Morris s' est engagée à informer la Commission de tout amendement, modification ou ajout aux accords et à notifier à la Commission, dans les quarante-huit heures, toute augmentation de son portefeuille de parts de Rothmans International et toute éventualité dans laquelle Philip Morris obtiendrait 25 % ou plus de la totalité des droits de vote dans Rothmans International. En outre, Philip Morris s'est engagée à mettre en vigueur, à la demande de la Commission suite à une telle notification, un accord de séparation des intérêts respectifs de Philip Morris et de Rothmans International sur le marché communautaire du tabac, maintenant ainsi le statu quo pendant une période de trois mois au cours de laquelle la Commission pourra examiner la nouvelle situation au regard des articles 85 et 86 du traité.
58. Il est vrai, ainsi que les requérantes l'ont souligné, que ces engagements ne sont pas d'application si Philip Morris obtient un contrôle de fait sur Rothmans International sans augmentation de ses droits de vote, notamment en cas de cession des parts de Rembrandt à au moins dix acheteurs indépendants. Or, dans un tel cas, qui, parmi les hypothèses de cession, paraît le moins probable et qui présuppose que Philip Morris renonce à se prévaloir des droits que les clauses lui accordent, le pouvoir de contrôle de Philip Morris serait en outre extrêmement fragile en ce que cette société n'aurait pas de possibilités d'empêcher une concentration ultérieure de droits de vote auprès d'une tierce société. Il faut donc admettre que la Commission, par les engagements souscrits par Philip Morris et Rembrandt, a renforcé ses possibilités générales de surveillance et de contrôle, de manière à pouvoir éviter que les clauses des accords relatives à une cession ultérieure des parts dans le capital de Rothmans International détenues par les parties contractantes, produisent des effets contraires à l'article 85.
59. Il résulte donc des considérations qui précèdent que l'examen des griefs que les requérantes dirigent contre l'appréciation des différentes clauses des accords litigieux n'a pas démontré que c'est à tort que la Commission a constaté qu'un objet ou un effet anticoncurrentiel n'a pas été établi.
60. Toutefois, les requérantes soutiennent également que, même dans l'hypothèse où les différents éléments des accords litigieux, pris isolément, ne seraient pas considérés comme contraires à l'article 85, paragraphe 1, il est encore nécessaire d'examiner si la combinaison de ces différents éléments n'aboutit pas à produire des effets anticoncurrentiels.
61. A cet égard, il y a lieu de souligner que l'examen des effets de ces accords doit se fonder effectivement sur une appréciation des accords dans leur ensemble. Les requérantes n'allèguent pas que la Commission aurait omis de procéder à une telle appréciation, mais elles contestent la conclusion à laquelle la Commission est arrivée sur ce point.
62. S'agissant là d'une appréciation économique complexe, il faut rappeler que, dans son arrêt du 11 juillet 1985 (remia, 42-84, rec. p. 2566), la Cour a jugé que, si elle exerce de manière générale un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, se trouvent ou non réunies, le contrôle qu'elle exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.
63. La Cour considère que le dossier n'a fait apparaître aucune erreur manifeste relative aux éléments d'appréciation existant au moment de l'adoption des décisions attaquées. Quant à l'appréciation des effets potentiels des accords litigieux, il convient de souligner, d'une part, que la Commission a fait part de son intention de surveiller étroitement le développement de la concurrence entre les parties concernées et, d'autre part, que les requérantes peuvent demander, à tout moment, un nouvel examen des accords lorsqu'elles sont en mesure d'apporter des éléments nouveaux.
64. Il s'ensuit que l'argument tire d'une appréciation incorrecte de l'ensemble des accords litigieux ne saurait être accueilli. Par conséquent, le moyen relatif à l'application de l'article 85 doit être rejeté.
Sur l'application de l'article 86
65. En ce qui concerne l'article 86 du traité, il n'est plus nécessaire, après les constatations faites ci-dessus, d'examiner dans quelle mesure Rothmans International occupe une position dominante dans une partie substantielle du marché communautaire. Il ne saurait, en effet, être question d'un abus d'une telle position que si la participation en question se traduit en un contrôle effectif de l'autre entreprise ou, a tout le moins, en une influence sur la politique commerciale de celle-ci. Il découle de l'examen relatif à l'article 85 qu'un tel effet des accords de 1984 n'est pas établi. Il convient donc de rejeter également le moyen fondé sur l'article 86.
C- Sur la motivation des décisions litigieuses
66. Les requérantes font valoir que les décisions litigieuses sont invalidées parce que la Commission n'a pas précisé par quelles voies elle est parvenue à sa conclusion. Les décisions iraient considérablement plus loin que des décisions précédentes de la Commission et définiraient de nouveaux principes, de sorte qu'il incombait à la Commission de développer son raisonnement de manière exhaustive.
67. Les requérantes ajoutent qu'il incombait d'autant plus à la Commission de motiver ses décisions de manière exhaustive pour les éléments des accords de 1984, qui sont repris des accords de 1981, qu'elle modifiait, dans les décisions attaquées, sa position antérieure relative aux accords de 1981 telle que celle-ci est exposée dans la communication des griefs.
68. Les requérantes soutiennent enfin que les décisions, tout en ajoutant des arguments nouveaux par rapport aux lettres visées à l'article 6 du règlement n° 99-63, n'ont pas répondu à certaines des observations présentées par les requérantes en réponse à ces lettres.
69. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la portée de l'obligation de motiver, consacrée par l'article 190 du traité, dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté.
70. Lorsqu'il s'agit du rejet d'une demande en vertu de l'article 3 du règlement n° 17, il suffit que la Commission expose les motifs pour lesquels elle n'a pas estimé possible d'établir l'existence d'une infraction aux règles de concurrence. En particulier, la Commission n'est pas tenue d'expliquer d'éventuelles différences par rapport à sa communication des griefs, qui constitue un document préparatoire dont les appréciations sont de caractère purement provisoire et destinées à circonscrire l'objet de la procédure administrative vis-à-vis des entreprises faisant l'objet de cette procédure.
71. Il est vrai que, dans son arrêt du 26 novembre 1975 (papiers peints, 73-74, rec. p. 1491), la Cour a précisé que, si, dans le cadre d'une pratique décisionnelle, une décision va sensiblement plus loin que les décisions précédentes, il incombe à la Commission de développer son raisonnement d'une manière explicite. Or, les décisions litigieuses concernent des accords d'un type non traité dans la pratique administrative antérieure de la Commission, et elles ne définissent pas de nouveaux principes par rapport à cette pratique, mais se bornent essentiellement à un examen des aspects particuliers des accords en cause.
72. En ce qui concerne le grief dirigé contre l'omission de répondre aux arguments des requérantes, il convient de rappeler que la Cour, dans son arrêt du 17 janvier 1984 (VBVB et VBBB c. Commission, affaires jointes 43 et 63-82, rec. p. 19), a souligné que si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations juridiques qui l'ont amenée à prendre celle- ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative.
73. Il suffirait donc, en l'espèce, que la Commission indique les éléments de fait et les considérations juridiques sur la base desquels elle a constaté l'impossibilité de démontrer que les accords de 1984 constituent une violation des règles de concurrence. Vues sous cet angle, les décisions litigieuses ne peuvent pas être considérées comme étant insuffisamment motivées.
74. Il convient donc de rejeter ce dernier moyen et, partant, les recours dans leur ensemble.
Sur les dépens
75. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner solidairement aux dépens, y compris ceux des parties intervenantes.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
déclare et arrête :
1) Les recours sont rejetés.
2) Les requérantes sont condamnées solidairement aux dépens, y compris ceux des parties intervenantes.