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Décisions

CJCE, 27 janvier 1987, n° 45-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Verband der Sachversicherer (eV), Gesamtverband der deutschen Versicherungswirtschaft (eV)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mackenzie Stuart

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, O'Higgins

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Moitinho De Almeida

Avocats :

Mes Hootz, Herrmann.

CJCE n° 45-85

27 janvier 1987

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 février 1985, l'association Verband der Sachversicherer eV, ayant son siège à Cologne, a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, du 5 décembre 1984, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (IV/30.307 - Assurance incendie), notifiée à la requérante le 10 décembre 1984 et publiée au journal officiel (JO 1985 L. 35, p. 20).

2. La requérante est une association dont le but est, notamment, de représenter, de promouvoir et de protéger les intérêts professionnels des assureurs qui pratiquent l'assurance contre les risques industriels d'incendie et d'interruption d'exploitation et qui sont autorisés à exercer leurs activités sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne.

3. La décision attaquée constate que la recommandation de la requérante, de juin 1980, visant à stabiliser et à assainir le secteur de l'assurance contre les risques industriels d'incendie et d'interruption d'exploitation, constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle refuse de lui octroyer une attestation négative au titre de l'article 2 du règlement n° 17, de même qu'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

4. A l'appui de son recours, la requérante invoque les six moyens suivants :

- premier moyen : l'article 85, paragraphe 1, ne serait pas encore pleinement, et sans modulation, applicable au secteur des assurances ;

- deuxième moyen : la Commission n'aurait pas compétence pour intervenir dans la politique économique d'un État membre ;

- troisième moyen : la recommandation de la requérante, qui fait l'objet de la décision attaquée, ne serait pas une décision d'une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1 ;

- quatrième moyen : la recommandation de la requérante n'aurait ni pour objet ni pour effet de restreindre la concurrence ;

- cinquième moyen : le commerce entre États membres ne serait pas affecté par la recommandation ;

- sixième moyen : la Commission aurait considéré à tort que les conditions nécessaires pour l'octroi d'une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3, ne seraient pas réunies.

5. Le Gesamtverband der deutschen Versicherungswirtschaft eV, qui est la fédération des groupements professionnels d'entreprises d'assurances en Allemagne, est intervenu au litige à l'appui des conclusions de la requérante. Il soutient tous les moyens de celle-ci, en insistant particulièrement sur le bien-fondé des deux premiers moyens et sur les dangers que présenterait, pour tout le secteur des assurances, une application stricte et inflexible du droit communautaire de la concurrence à ce secteur.

6. Pour ce qui est des dispositions de la législation allemande en matière d'assurances, des antécédents du recours et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Premier moyen : applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, au secteur des assurances

7. La requérante ne conteste pas que, en principe, les règles de concurrence formulées par les articles 85 et suivants du traité sont applicables au secteur des assurances. Elle soutient cependant, en se référant à un rapport d'expertise qu'elle a soumis à la Cour, que l'application des règles communautaires de concurrence à ce secteur ne saurait être effectuée sans restrictions ou réserves, aussi longtemps que le conseil n'a pas arrêté des dispositions d'application particulières pour les assurances. L'article 87, paragraphe 2, sous c), du traité, en prévoyant que les dispositions à adopter par le conseil en vue de la mise en œuvre des articles 85 et 86 ont pour but de préciser, dans les diverses branches économiques, le champ d'application de ces articles, imposerait l'obligation à cette institution de tempérer la rigueur des interdictions du traité dans la mesure nécessaire pour garantir la survie de certaines branches d'activité. Or, une concurrence illimitée dans le secteur des assurances aurait précisément pour conséquence d'augmenter le risque de voir certaines compagnies d'assurances menées à la ruine, étant donné les particularités propres à ce secteur.

8. A cet égard, la requérante et la partie intervenante expliquent que le contrat d'assurance se distingue des autres contrats par la circonstance que la prestation d'une des parties au contrat dépend d'un facteur entièrement incertain, à savoir la survenance du risque assuré ; les fluctuations dans la survenance des sinistres dans certains domaines, notamment dans celui des incendies et des risques industriels, imposeraient une collaboration entre assureurs, plutôt qu'une concurrence illimitée, pour parvenir aux calculs des réserves nécessaires et au respect de l'équivalence entre les recettes et les dépenses, afin d'éviter tout risque d'insolvabilité. De ce point de vue, la protection de l'assuré aurait une importance particulière, celui-ci fournissant sa prestation contractuelle, le paiement des primes, sans avoir la certitude que, le moment venu, l'assureur soit à même de réparer le préjudice découlant du sinistre qui fait l'objet du contrat.

9. Ces particularités du secteur des assurances auraient amené les législateurs nationaux à prévoir des dispositions spécifiques pour ce secteur : ce serait ainsi que la législation allemande a prévu un régime général de surveillance des compagnies d'assurances, l'exigence d'un agrément pour l'exercice des activités d'assurances en Allemagne par des assureurs étrangers, ainsi qu'une réglementation spéciale régissant la répercussion de ce régime de surveillance sur le droit de la concurrence. En effet, l'article 102 de la loi allemande contre les restrictions de concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen) aurait prévu que l'interdiction générale des accords et décisions limitant la concurrence ne s'applique pas lorsque ces accords et décisions sont liés à des faits soumis à la surveillance de l'office fédéral chargé du contrôle des assurances. L'autorité compétente en matière de concurrence, le Bundeskartellamt, ne pourrait intervenir que dans les cas où les accords ou décisions en cause constituent un abus de la position acquise sur le marché.

10. La requérante et la partie intervenante en concluent que, jusqu'à l'adoption des dispositions spéciales en matière d'assurance par le Conseil, en vertu de l'article 87, paragraphe 2, sous c), du traité, l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, est inapplicable au secteur des assurances, et que la Commission ne saurait, par le biais de l'application de cette interdiction, contribuer à la création de la situation que l'article 87, paragraphe 2, sous c), aurait pour objet d'éviter.

11. La Commission, tout en se demandant si l'article 87, paragraphe 2, sous c), peut autoriser le Conseil à restreindre l'application des règles de concurrence prévues par le traité, se limite à signaler que le Conseil n'a arrêté aucune disposition spéciale applicable aux assurances sur la base de cette disposition, que les règles de concurrence sont en principe applicables à tous les secteurs économiques et que, partant, ces règles s'appliquent sans restriction au secteur des assurances.

12. Il convient de rappeler, comme la Cour l'a déjà fait dans son arrêt du 30 avril 1986 (Asjes, 209 à 213-84, Rec. 1986, p. 1425), que, lorsque le traité a entendu soustraire certaines activités à l'application des règles de concurrence, il a prévu une dérogation expresse à cet effet.Il en est ainsi de la production et du commerce des produits agricoles, en vertu de l'article 42 du traité. Une disposition qui, à l'instar de cet article, exclurait l'application des règles de concurrence ou la subordonnerait à une décision du Conseil n'existe pas pour les assurances.

13. Il y a lieu d'observer, en outre, que le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (JO 1962, p. 204) arrête les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité pour l'ensemble des activités économiques auxquelles ces dispositions s'appliquent, à la seule exception des activités qui font l'objet de règles spéciales établies sur la base de l'article 87 du traité, comme c'est le cas de certains secteurs de transport tels les transports maritimes et aériens. Aucune exception de ce genre n'existe cependant pour le secteur des assurances.

14. Dès lors, il faut conclure que le régime communautaire de concurrence, tel qu'il résulte en particulier des articles 85 et 86 du traité et des dispositions du règlement n° 17, s'applique pleinement au secteur des assurances.

15. Cette constatation n'implique nullement que le droit communautaire de la concurrence ne permet pas de tenir compte des particularités de certaines branches d'activité économique. Il appartient, en effet, à la Commission, dans le cadre de sa compétence pour accorder, conformément à l'article 85, paragraphe 3, des exemptions aux interdictions prévues par l'article 85, de tenir compte de la nature particulière de différents secteurs économiques et des difficultés propres à ces secteurs.

16. Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

Deuxième moyen : interférence dans la politique économique nationale

17. La requérante fait valoir que l'article 85, paragraphe 1, s'adresse uniquement aux entreprises et qu'il n'a pas pour objet d'interdire des mesures de politique économique ou de politique de concurrence nationales. La surveillance complète des activités d'assurance en République fédérale d'Allemagne, le cloisonnement du marché national par la législation applicable et la limitation des interdictions de cartels constitueraient un ensemble cohérent représentant une certaine option de politique économique. Aucune disposition du traité n'autoriserait les institutions de la Communauté à contester une telle option et à compromettre ainsi la conduite de la politique économique nationale.

18. La partie intervenante ajoute que, en l'absence d'un régime communautaire spécial en matière de concurrence pour le secteur des assurances, celui-ci peut seulement fonctionner de façon à respecter les exigences d'une gestion rentable des entreprises et d'une protection adéquate des assurés, si une harmonisation est effectuée entre le régime de concurrence et la législation relative à la surveillance des assureurs. La réglementation allemande constituerait un bon exemple d'une telle harmonisation, en essayant de concilier les finalités respectives des deux domaines législatifs en cause. Cet équilibre délicat serait toutefois rompu si la Commission pouvait intervenir sur la base des seules considérations inspirées du droit de la concurrence.

19. La Commission soutient que, par sa décision, elle n'interdit pas des mesures nationales de politique économique et de politique de la concurrence, mais simplement une entente privée mise en place par des entreprises de façon autonome. Elle serait en droit d'agir ainsi en raison de l'applicabilité directe de l'article 85, paragraphe 1, aux entreprises des États membres et, en cas de conflit entre cette disposition et le droit national de la concurrence, en raison de la primauté du droit communautaire.

20. La Commission observe au surplus qu'elle était consciente, au moment de prendre sa décision, que la recommandation qui en faisait l'objet avait déjà été autorisée par l'office fédéral des ententes (Bundeskartellamt), en application de la loi contre les restrictions de concurrence, et par l'autorité de contrôle en matière d'assurances. Toutefois, ces circonstances ne seraient pas de nature à faire obstacle à l'application de l'article 85 du traité ; il ressortirait des dispositions combinées de cet article, de l'article 3, sous f), et de l'article 5, alinéa 2, du traité que les dispositions ou pratiques administratives nationales ne peuvent pas porter atteinte à la pleine application des règles communautaires de concurrence.

21. Il convient d'observer d'abord qu'il est difficile à conceVoir à quels égards la politique économique de la République fédérale serait mise en échec par la décision litigieuse, qui se limite à censurer une recommandation d'une association d'entreprises en matière des prix de leurs prestations.

22. En ce qui concerne l'application des législations nationales en matière de surveillance des compagnies d'assurance, il faut remarquer que leurs dispositions ont un autre objet que le droit communautaire de la concurrence et qu'elles peuvent continuer à fonctionner quelle que soit l'application donnée au droit de la concurrence. La requérante n'a pas été en mesure de démontrer que, dans le cas d'espèce, l'application des interdictions des articles 85 et 86 du traité pourrait être de nature à faire obstacle au bon fonctionnement du régime national de surveillance des assureurs.

23. Il y a lieu d'ajouter que, s'il est vrai qu'une législation d'un État membre peut établir un lien étroit entre l'application du droit de la concurrence et celle de la surveillance du secteur des assurances, le droit communautaire ne subordonne cependant pas la mise en œuvre des dispositions des articles 85 et 86 du traité à la façon dont le contrôle de certains secteurs d'activité est organisé par une législation nationale.

24. Par ailleurs, pour autant que la requérante soutient que la spécificité du secteur des assurances comporte la nécessité, pour les entreprises concernées, de collaborer en matière d'études statistiques indispensables au calcul du taux des sinistres, il faut constater que la décision attaquée ne concerne pas une telle forme de collaboration.

25. Le deuxième moyen doit donc être rejeté.

Troisième moyen : caractère non obligatoire de la recommandation

26. La décision litigieuse considère que le Verband der Sachversicherer constitue une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et que la recommandation en matière de stabilisation et d'assainissement de juin 1980 a été prise par l'organe compétent d'après les statuts de l'association, pour être communiquée aux membres par son secrétaire général, agissant dans le cadre de ses attributions, en tant qu'expression officielle de la volonté de l'association. Si le texte de la recommandation la qualifie de "non obligatoire", elle n'en reVêtirait pas moins le caractère d'une "décision" de l'association d'entreprises. Il suffirait que la recommandation soit conforme aux statuts et qu'elle ait été portée à la connaissance de ses membres suivant les modalités requises, en tant qu'expression de la volonté de l'association d'entreprises.

27. Selon la requérante, la recommandation ne reVêt aucun caractère obligatoire, comme sa dénomination l'indique d'ailleurs. Le comité technique "Risques industriels d'incendie et d'interruption d'exploitation", dont émane la recommandation, ne serait compétent que pour l'étude de questions techniques, et non pour prendre des décisions qui lient l'association ou ses membres. Les seuls organes du Verband compétents pour prendre des décisions reVêtant un tel caractère obligatoire seraient l'assemblée des membres et le bureau. Or, aucun de ces deux organes n'aurait adopté une décision à propos de la recommandation.

28. La Commission répond que le Verband der Sachversicherer était autorisé par ses statuts à réglementer le comportement commercial de ses membres et que le comité technique dont émane la recommandation était compétent, selon les règles de ces statuts, pour arrêter des décisions et des recommandations qui engagent l'association. En outre, les recommandations d'un groupement d'entreprises, élaborées par des Commissions au sein de ce groupement et puis communiquées aux membres de celui-ci, seraient l'expression d'une concertation opérée entre les entreprises affiliées à ce groupement et ayant une finalité restrictive de la concurrence entre ces entreprises.

29. A cet égard, il faut tenir compte de différents éléments. En premier lieu, il est constant que les assureurs membres du Verband der Sachversicherer avaient un intérêt commun à assainir le marché par une augmentation des primes, celles-ci ayant subi, dans le secteur de l'assurance contre les risques industriels d'incendie, une baisse considérable entre 1973 et 1980, alors que le taux des dommages et des charges des assureurs n'a pas sensiblement varié au cours de la même période. La décision litigieuse, qui n'a pas été contestée sur ce point, constate que les entreprises d'assurances n'ont pas réagi individuellement à cette tendance négative par un relèvement des primes, parce qu'elles avaient l'habitude de pratiquer, en tant que sociétés composites ou par l'intermédiaire de sociétés liées au même groupe, plusieurs branches d'assurance des risques industriels ; elles se seraient donc efforcées d'attirer des affaires importantes dans d'autres branches en facturant à leurs clients industriels des primes d'assurance incendie insuffisantes pour couvrir leurs frais.

30. En deuxième lieu, il y a lieu de tenir compte de la nature de la recommandation même. Celle-ci, bien que qualifiée de "recommandation non obligatoire", prescrit en des termes impératifs un relèvement collectif, forfaitaire et linéaire des primes. Qu'un tel résultat ait été visé résulte, en outre, de la circonstance que, peu de temps après la communication de la recommandation aux membres du Verband der Sachversicherer, les entreprises allemandes de réassurance ont décidé d'inscrire dans leurs contrats de réassurance concernant les mêmes risques une "clause spéciale de calcul des primes", aux termes de laquelle une tarification non conforme à la recommandation serait assimilée, en cas de sinistre, à une assurance insuffisante pour cause de sous-couverture.

31. En troisième lieu, les statuts de la requérante établissent que l'association est habilitée à coordonner l'activité de ses membres, notamment en matière de concurrence, que le comité technique spécialisé dans la branche des risques industriels a pour mission de coordonner la politique tarifaire des membres, et que les décisions ou recommandations du comité sont réputées définitives dès lors que leur approbation par le bureau de l'association n'est pas demandée par l'un des organes nommément désignés à cet effet.

32. Au vu de ces éléments, force est de constater que la recommandation, quel qu'en soit le statut juridique exact, constituait l'expression fidèle de la volonté de la requérante de coordonner le comportement de ses membres sur le marché allemand des assurances, conformément aux termes de la recommandation. Il faut en conclure qu'elle constitue une décision d'une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

33. Par conséquent, le troisième moyen doit être rejeté.

Quatrième moyen : restriction de la concurrence

34. La décision litigieuse constate que la recommandation a pour objet de restreindre la concurrence en matière d'assurance industrielle contre les risques d'incendie et d'interruption d'exploitation à l'intérieur du Marché commun. La motivation de la décision souligne en particulier le caractère forfaitaire de la majoration des taux de primes, le fait que la requérante regroupe la totalité des assureurs opérant sur ce marché en République fédérale d'Allemagne et le renforcement de l'effet restrictif de la recommandation par l'introduction de la clause de calcul des primes par les réassureurs, lesquels auraient une forte position sur ce marché en Allemagne.

35. A l'appui du moyen dirigé contre ces constatations, la requérante invoque essentiellement trois arguments. D'abord, la recommandation ne viserait aucun objectif dans le domaine de la concurrence, car elle ne serait que la manifestation d'une technique de coopération habituelle et nécessaire dans le secteur des assurances, étant donné les particularités de ce secteur en ce qui concerne, notamment, le calcul des risques. Ensuite, la jurisprudence de la Cour aurait admis que des critères objectifs appliqués lors du choix du canal de distribution et du réseau de distributeurs ne constituent pas, en principe, une restriction de la concurrence ; la requérante se réfère en particulier à l'arrêt du 25 octobre 1977 (Metro, 26-76, Rec. p. 1875). Enfin, la Commission n'aurait pas vérifié si la recommandation a conduit à une modification du comportement des entreprises ; selon la requérante, la recommandation n'aurait guère été suivie dans la pratique.

36. Les mêmes arguments sont développés par la partie intervenante. Celle-ci insiste notamment sur la double nécessité à laquelle le secteur des assurances deVrait faire face : d'une part, il serait nécessaire de fixer des primes à un niveau suffisant, seule méthode garantissant durablement que les contrats d'assurance seront exécutés ; d'autre part, en vue d'arriver à un tel niveau de primes, il serait nécessaire de procéder à des analyses statistiques poussées concernant les données du marché dans son ensemble, analyses qui ne pourraient être effectuées sans la participation de tous les assureurs.

37. La Commission signale d'abord qu'il suffit, pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, que la décision de l'association d'entreprises fasse apparaître, en tenant compte de son contexte économique, que son objectif est de restreindre la concurrence. Si tel est le cas, la prise en considération des effets serait superflue. Elle conteste d'ailleurs que la recommandation n'ait pas été suivie d'effet, en se basant sur des chiffres relatifs au taux de réalisation de risques entre 1979 et 1983 et aux primes encaissées au cours de la même période.

38. La Commission estime, en outre, que l'argumentation invoquée par la requérante et par la partie intervenante méconnaît la fonction de la recommandation d'une association d'entreprises en tant qu'instrument de concertation du comportement commercial de celles-ci. Les membres de l'association ayant participé à la formation de la recommandation, ils en seraient à la fois les auteurs et les destinataires. En cette dernière qualité, ils sauraient quel est le comportement que chacun d'eux peut attendre de l'autre.

39. Il y a lieu d'observer que, d'après une jurisprudence constante de la Cour, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue dès qu'il apparaît qu'il a pour objet de restreindre, empêcher ou fausser le jeu de la concurrence. La même considération s'applique à une décision d'une association d'entreprises. La Commission était donc fondée à limiter son examen d'abord à l'objectif de la recommandation sans rechercher quels en ont été les effets.

40. Sur ce point, il convient de constater que la recommandation litigieuse tendait à assainir la situation financière des entreprises, qui était affectée par l'insuffisance des primes au regard des coûts prévisibles des sinistres. C'est à cette fin que la recommandation s'est attaquée à la cause du déséquilibre, la concurrence par des primes de plus en plus basses, en établissant un relèvement forfaitaire des primes.

41. En agissant ainsi par la voie de la recommandation, l'association a cherché à atteindre un relèvement collectif, à taux fixe, du prix des prestations offertes par ses membres. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le premier exemple donné par l'article 85, paragraphe 1, sous a), d'un comportement anti-concurrentiel concerne précisément l'accord, décision ou pratique concertée qui a pour objet "de fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transactions".

42. Sans qu'il soit, par conséquent, nécessaire d'examiner si les analyses statistiques nécessaires au calcul des primes présupposent la collaboration de tous les assureurs sur un certain marché d'assurances, comme le Gesamtverband l'a soutenu, il suffit de constater que l'article 85, paragraphe 1, ne permet pas à ces assureurs d'étendre leur concertation au prix de la prestation qu'ils pratiquent sur le marché.

43. Il en résulte que la recommandation avait pour objectif de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché de l'assurance contre les risques industriels d'incendie et d'interruption d'exploitation et que, dès lors, le quatrième moyen doit également être rejeté.

Cinquième moyen : incidence sur le commerce entre États membres

44. La décision attaquée constate que l'affectation du commerce entre États membres ressort en premier lieu du fait que la recommandation s'adressait également aux assureurs incendie ayant leur siège dans d'autres États membres que la République fédérale d'Allemagne, mais exerçant leurs activités sur le territoire allemand, soit en qualité d'assureurs principaux ou uniques, soit en qualité de co-assureurs. S'il est vrai que la législation allemande sur la surveillance des compagnies d'assurance impose à ces assureurs d'avoir une succursale en Allemagne, abstraction faite du cas de la co-assurance régie par une directive du Conseil, une telle succursale devrait être considérée, du point de vue de la concurrence, comme un simple prolongement de l'assureur étranger.

45. En second lieu, la décision considère que la recommandation en matière de primes était susceptible de cloisonner le marché en cause entre États membres et de rendre ainsi plus difficile l'interpénétration économique voulue par le traité. Ce cloisonnement serait renforcé par l'application de la clause de calcul des primes par les réassureurs, application qui pourrait exercer une pression affectant aussi des assureurs incendie communautaires opérant en République fédérale d'Allemagne sans y avoir leur siège.

46. La requérante conteste les considérations de la Commission sur ce point en développant un ensemble d'arguments dont l'essentiel peut être résumé comme suit. Il n'existerait pas de commerce entre États membres parce qu'il n'y aurait pas de prestations d'assurance transfrontalières, la conclusion de tels contrats étant rendue impossible par la législation allemande qui prévoit l'obligation d'établissement pour les compagnies d'assurances étrangères. Les succursales des sociétés étrangères ne pourraient pas, comme la décision l'a releVé, être considérées comme un "prolongement" de la société mère ; au contraire, les succursales constitueraient des unités économiques autonomes et donc des entreprises indépendantes du point de vue du droit de la concurrence. Par conséquent, la recommandation ne concernerait que des situations nationales. La requérante ajoute que, en tout état de cause, la situation concurrentielle des assureurs étrangers ne serait pas modifiée par la recommandation ; elle rappelle que dans les opérations de co-assurance - seul domaine ou, d'après la législation allemande, l'obligation d'établissement ne s'applique pas - il n'y a de toute façon pas de liberté d'action, les co-assureurs suivant, en ce qui concerne les primes, le comportement de l'apériteur de la co-assurance.

47. La défense de la Commission a donné lieu à un débat circonstancié en ce qui concerne la notion de "succursale" et sa situation juridique, mais il n'est pas nécessaire de suivre les parties dans cette voie. La Cour considère en effet que les deux raisons évoquées par la décision litigieuse sont exactes et qu'elles justifient la conclusion que le commerce entre États membres est susceptible d'être affecté par la recommandation.

48. En premier lieu, l'obligation, pour une compagnie d'assurances qui a son siège dans un autre État membre mais qui se propose d'exercer ses activités sur le territoire allemand, de créer un établissement sur ce territoire n'a pas pour effet d'exclure l'existence d'échanges entre États membres portant sur le service d'assurances. La circonstance que seule la succursale serait atteinte par la recommandation n'empêche pas que les relations financières entre la succursale et la société mère puissent être touchées par cette circonstance; et, ceci est vrai, quel que soit le degré d'indépendance juridique de la succursale.

49. A cet égard, il faut reconnaître que, au moment ou la Commission a pris sa décision, la législation allemande était très restrictive en ce qui concerne l'exercice des activités d'assurance en République fédérale d'Allemagne par des compagnies d'assurance ayant leur siège dans un autre État membre. Toutefois, ces compagnies pouvaient y participer à l'exercice des activités d'assurance en établissant une succursale sur le territoire allemand, ou en participant à des coassurances relatives à la couverture d'un risque sis sur ce territoire. Or, si les dispositions nationales laissent place à certaines activités qui portent sur les échanges entre États membres, on ne saurait les invoquer pour faire échec à l'application de l'article 85, paragraphe 1, à des restrictions de concurrence concernant ces mêmes activités.

50. En second lieu, le relèvement linéaire des primes non justifié par la situation individuelle des entreprises concernées est de nature à avoir une répercussion sur la situation d'assureurs étrangers qui seraient capables d'offrir, même par le biais de leurs succursales, un service plus compétitif. La recommandation tend ainsi à rendre plus difficile l'accès au marché allemand.

51. Dans ces conditions, le cinquième moyen ne peut pas être accueilli.

Sixième moyen : conditions d'application de l'article 85, paragraphe 3

52. La recommandation a été notifiée à la Commission le 23 septembre 1982. La décision constate que, par conséquent, aucune exemption ne peut être octroyée pour la période entre juin 1980 et la date de la notification, conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 17. La requérante n'a pas contesté cette constatation.

53. Pour la période postérieure à la date de la notification, la requérante conteste cependant la décision, en faisant valoir que toutes les conditions pour l'octroi d'une exemption se trouvaient réunies. La recommandation litigieuse aurait été objectivement nécessaire pour rétablir la rentabilité des entreprises d'assurance tout en sauvegardant les intérêts des assurés. Il ne serait pas sans intérêt d'observer à cet égard que le Bundeskartellamt a décidé, pour l'application de la législation allemande, que la recommandation ne représente pas un abus.

54. Le débat entre les parties concerne en particulier la question de savoir si la recommandation pouvait contribuer à améliorer la prestation des services dans ce secteur. A cet égard, la décision contestée reconnaît que l'un des principaux arguments de la requérante, à savoir que les données dont les diverses entreprises disposent en matière de statistiques relatives aux sinistres sont insuffisantes pour permettre un calcul correct, est valable en soi. La Commission ajoute cependant qu'on ne saurait en déduire qu'une décision d'association recommandant des majorations de prime de 10 %, 20 % ou même 30 % constitue une mesure contribuant à l'amélioration des prestations de services dans ce secteur. La circonstance que l'objectif des assurances dommages et les dispositions législatives en la matière exigent que l'exécution des contrats d'assurance soit constamment garantie, sans toucher au principe de la séparation des branches, n'aurait pas non plus pour résultat que la majoration forfaitaire du niveau de primes soit susceptible d'améliorer les services dans le secteur concerné.

55. La décision attaquée relève ensuite que la recommandation va au-delà de ce qui peut être considéré comme une collaboration utile entre assureurs de dommages en vue d'exploiter les statistiques des dommages et d'en déduire des indications pratiques pour la mise au point des contrats d'assurance. L'abus ne résulterait pas seulement du fait qu'une majoration de 10, 20 ou 30 % ne tient aucun compte de la situation des coûts et des recettes propres à chaque assureur. En plus, selon le principe même de cette majoration, celle-ci serait basée sur la fixation de primes brutes qui, au mépris des situations particulières, prévoient pour tous les mêmes pourcentages de suppléments pour charges d'exploitation et marges de profit, calculés d'après des statistiques afférentes au coût des dommages liquidés.

56. Selon la requérante, ce raisonnement n'est pas correct. Elle rappelle que la recommandation concerne uniquement un relèvement des primes effectivement perçues et non un tarif brut. D'ailleurs, des recommandations de tarifs bruts seraient objectivement nécessaires et pratiquées dans le monde entier.

57. La partie intervenante appuie cet argument. Elle souligne que la Commission a omis de prendre en considération l'effet de la recommandation sur d'autres branches d'assurance que l'assurance incendie. Ces autres branches pourraient en effet améliorer leurs prestations du fait de l'assainissement de la branche assurance incendie. L'augmentation des primes recommandée n'aurait pas seulement vise à garantir la possibilité durable pour les contrats d'assurance contre les risques industriels d'incendie d'être exécutés ; elle aurait en même temps visé à libérer les autres branches de charges qui ne leur étaient pas imputables.

58. DeVant ce débat, il importe de souligner que la Commission avait la mission, en vertu de l'article 85, paragraphe 3, d'apprécier si la recommandation litigieuse contribuait à améliorer la prestation des services accomplis sur le marche des assurances. Dans ce cadre, elle a estimé à juste titre, qu'il ne lui appartenait pas seulement de vérifier si la recommandation avait pour but de faire face aux problèmes réels qui se posaient sur le marché, du fait de la chute continue des primes des assurances contre les risques industriels d'incendie et d'interruption de l'exploitation, et de considérer si la recommandation constituait un instrument apte à faire face à cette situation, mais que la tache qui lui incombait consistait également à évaluer si les moyens mis en œuvre par la recommandation n'allaient pas au-delà de ce qui était nécessaire à cet effet.

59. A cet égard, il n'est pas nécessaire d'examiner tous les arguments avancés, et les rapports d'expertise soumis à la Cour, en ce qui concerne l'influence de la recommandation sur les primes "brutes" et la nécessité, pour une association d'entreprises qui se propose d'assainir le secteur en cause, de prendre les primes "brutes" pour base de départ. En effet, le problèmes était de savoir si le relèvement collectif, forfaitaire et linéaire des primes était justifié par l'objectif poursuivi.

60. Par sa nature générale et indifférenciée, ce relèvement impliquait une augmentation du taux des primes qui englobait non seulement la couverture des coûts engendrés par les sinistres assurés, mais également celle des charges de gestion des compagnies d'assurance ; il ressort du dossier que les niveaux des charges de gestion des différentes compagnies d'assurance faisaient apparaître des divergences considérables. Le caractère global de l'augmentation était ainsi de nature à apporter des restrictions à la concurrence qui allaient au delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l'objectif visé.

61. En considérant que, dans de telles conditions, les désavantages de la solution choisie étaient, du point de vue du droit de la concurrence, plus importants que les avantages, et qu'il n'y aurait pas, par conséquent, une amélioration des prestations de services sur le marché des assurances, la Commission n'a pas outrepassé les limites du pouvoir d'appréciation dont elle dispose dans le cadre de l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

62. Dès lors, les griefs selon lesquels les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 3, étaient toutes réunies de façon à obliger la Commission à octroyer une exemption de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, ne sauraient être accueillis. Le sixième moyen doit donc être rejeté.

63. Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

64. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé dans ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Le Gesamtverband der deutschen Versicherungswirtschaft eV, intervenu au soutien de la requérante, doit supporter les dépens causés par son intervention.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Le Gesamtverband der deutschen Versicherungswirtschaft eV supportera les dépens causés par son intervention.

3) La requérante supportera le surplus des dépens.