CJCE, 4e ch., 10 décembre 1985, n° 31-85
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
ETA Fabriques d'Ebauches (SA)
Défendeur :
DK Investment (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bahlmann
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
MM. Koopmans, Bosco, O'Higgins, Schockweiler
Avocats :
Mes Magnee, Fenaux, Mihail
LA COUR,
1. Par ordonnance du 4 février 1985, parvenue à la Cour le 6 février suivant, le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant comme en matière de référé, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 85 du traité CEE, aux fins de savoir si un fabricant peut limiter aux seuls clients des concessionnaires agréés le bénéfice d'une garantie accordée sur ses produits.
2. Il résulte de l'ordonnance de renvoi que la société anonyme suisse ETA Fabrique d'Ebauches (ci-après: ETA), fabricant des montres quartz "Swatch", produites en grande série et offertes à des prix modérés, commercialise ses produits dans le marché commun par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires exclusifs. Pour le territoire de la Belgique et du Grand-Duché de Luxembourg, ETA a confié la distribution exclusive des montres "Swatch" à la société anonyme Sedos aux droits de laquelle est venue la société Gedève. Aux termes de l'article 2 du contrat de distribution, ETA s'engage à offrir et à vendre ses produits dans le territoire concédé au seul concessionnaire et à lui transmettre toute commande concernant ce territoire. Le concessionnaire, de son côté, s'engage à n'acheter les produits qu'auprès d'ETA, à ne pas vendre ou distribuer les montres, directement ou indirectement, hors du territoire concédé et à transmettre directement à ETA toute commande reçue concernant la distribution des produits en question hors du territoire.
3. L'article 7 du contrat stipule que les produits vendus par ETA au concessionnaire sont couverts par une garantie contre les défauts de la chose pour une période de 12 mois après la vente au consommateur, mais au maximum de 18 mois après la livraison au concessionnaire. Le concessionnaire doit maintenir son stock de produits à un certain niveau qu'ETA a le droit d'inspecter et transmettre à ETA régulièrement toutes les informations relatives à l'évolution de son chiffre d'affaires, de son inventaire et de ses ventes. Il résulte des pièces déposées que l'emballage de chaque montre contient un certificat de garantie portant les indications suivantes: "Votre montre 'Swatch' est garantie par ETA SA pendant 12 mois à partir de la date d'achat contre tout défaut matériel ou de fabrication. Sont exclus de la garantie la pile, le verre de montre et l'usure du boîtier, le bracelet et sa boucle". Certains bulletins de garantie stipulent que le coupon d'expédition doit être envoyé au service de réparation "Swatch" en Suisse, alors que d'autres indiquent qu'il doit être adressé au concessionnaire exclusif pour la Belgique. Il résulte également du dossier qu'en cas de défaut, la montre est échangée, étant donné qu'en raison de son mode de fabrication, une réparation est exclue.
4. Les sociétés défenderesses au principal vendent des montres "Swatch" qu'elles se sont procurées par voie d'importations parallèles avec le bulletin de garantie, portant l'indication du service de réparation "Swatch" en Suisse. La demanderesse au principal a assigné ces importateurs parallèles devant le tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant en matière de référé, pour leur voir interdire d'assortir leurs ventes d'une garantie consentie par ETA, dans le cadre de ses relations contractuelles, à ses concessionnaires agréés.
5. C'est en vue de décider s'il y a lieu ou non de faire droit à la demande d'ETA que la juridiction de renvoi pose la question préjudicielle suivante :
L'article 85 doit-il être lu et interprété en ce sens qu'il serait permis à une entreprise distribuant ses produits dans le marché commun par l'intermédiaire de concessionnaires établis dans chacun des Etats membres - mais tolérant, par ailleurs, que ces produits soient distribués par un réseau d'importateurs parallèles - de réserver aux clients des seuls concessionnaires reconnus par elle les avantages d'une garantie qu'elle accorde sur les produits en question ?
6. D'après ETA, la garantie accordée revêtirait une nature contractuelle et la lierait aux seuls distributeurs reconnus; cette garantie serait le corollaire du contrôle de qualité exercé sur ses distributeurs et devrait être analysée dans le cadre général des conditions du contrat de distribution exclusive. Ce contrôle de qualité consisterait essentiellement à veiller à ce que les distributeurs ne tiennent pas en stock les montres "Swatch" au-delà d'une période de 6 mois; l'observation de cette limite serait indispensable pour prévenir un mauvais fonctionnement des montres qui risquerait de porter atteinte à l'image de marque "Swatch". Ce contrôle ne pouvant être exercé à l'encontre des importateurs parallèles, dont elle ne connaîtrait pas la source d'approvisionnement, ETA estime que la différence de traitement opérée entre les distributeurs agréés et les revendeurs n'apportant pas la preuve d'une chaîne continue de cessions de la garantie conventionnelle ne constituerait aucune discrimination et que son attitude ne serait pas contraire à l'article 85 du traité CEE.
7. Dans leurs observations présentées à l'audience, deux des défenderesses au principal, la société DK Investment et la société Horelec, signalent qu'il résulterait des prospectus de vente distribués par ETA à l'ensemble de ses concessionnaires que la montre "Swatch" est une production de masse, présentée à prix très avantageux et dont la commercialisation n'exige pas un réseau particulier de concessionnaires assurant un service après-vente. La Commission aurait déjà eu l'occasion de constater, dans des décisions particulières, que le fait de ne pas étendre une garantie à des importations ou des exportations parallèles peut constituer un obstacle majeur au développement des relations commerciales à l'intérieur de la Communauté et que cette pratique doit dès lors être interdite.
8. La Commission considère que le fait pour une entreprise, qui distribue ses produits dans le marché commun par l'intermédiaire de concessionnaires exclusifs établis dans chacun des Etats membres et qui tolère, par ailleurs, une distribution parallèle, de réserver aux clients des seuls concessionnaires la garantie qu'elle accorde sur ses produits constituerait une clause du contrat de distribution exclusive, même si cette garantie est fournie directement par le fabricant. Le fait de limiter la garantie aux seuls utilisateurs ayant acquis les produits auprès d'un concessionnaire exclusif placerait ce dernier et les revendeurs de son réseau dans une situation concurrentielle artificiellement favorable par rapport aux importateurs ou distributeurs parallèles. Etant donné que la garantie constitue un argument important d'achat, un tel régime entraverait les importations parallèles, provoquerait une distorsion de la concurrence et fausserait le commerce entre les Etats membres. Pour qu'un accord de distribution exclusive puisse bénéficier de la déclaration d'inapplicabilité, conformément au paragraphe 3 de l'article 85, la garantie devrait être accordée à tout utilisateur en possession du bulletin de garantie, quel que soit le revendeur auprès duquel il s'est approvisionné. Ces principes auraient été consacrés dans le règlement n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, relatif à l'application de l'article 85, paragraphe 3, à des catégories d'accords de distribution et service de vente et d'après-vente des véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16).
9. La question posée par le président du tribunal de commerce de Bruxelles vise, en substance, à savoir si une clause figurant dans un contrat de distribution exclusive, par laquelle le fabricant s'engage vis-à-vis de son concessionnaire exclusif à accorder une garantie sur ses produits après la vente au consommateur et en vertu de laquelle il refuse la garantie aux clients des distributeurs parallèles, est compatible avec l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
10. Pour répondre à la question posée, il convient d'examiner la clause de garantie en relation avec les autres clauses du contrat de distribution exclusive. Il ressort du dossier qu'ETA a établi dans le marché commun un réseau de distribution qui assure à chaque concessionnaire l'exclusivité de la distribution des montres "Swatch" dans le territoire concédé tout en lui interdisant des livraisons hors de ce territoire. Le cloisonnement des marchés ainsi réalisé constitue une restriction de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
11. La question de la limitation de la garantie aux seuls produits vendus par l'intermédiaire des concessionnaires agréés doit être analysée dans ce contexte et être appréciée au regard des altérations du jeu normal de la concurrence qui en sont l'objet ou l'effet. Comme la Cour l'a indiqué dans ses arrêts du 10 juillet 1980 (Lancôme, 99/79, Rec. p. 2511) et du 11 décembre 1980 (L'Oréal, 31/80, Rec. p. 3775), il y a lieu d'examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se serait produit à défaut de l'accord ou de la clause litigieuse.
12. Dans cet examen, l'élément décisif à prendre en considération est l'incidence effective ou potentielle du refus de garantie sur la position concurrentielle des distributeurs parallèles. A cet égard, il convient d'examiner si les importations parallèles peuvent être entravées ou les possibilités d'écoulement des produits importés parallèlement limitées, compte tenu notamment des réactions des consommateurs et de l'importance de la garantie en tant qu'argument de vente.
13. Dans son arrêt du 21 février 1984 (Hasselblad, 86/82, Rec. p. 883), la Cour a relevé qu'il importe que les possibilités d'approvisionnement en produits importés parallèlement ne soient pas restreintes. En ce qui concerne le régime de garantie, elle a admis qu'il est essentiel que les produits importés parallèlement bénéficient pleinement de la garantie normale du fabricant.
14. Un système de garantie dans lequel le fournisseur de biens réserve la garantie aux seuls clients de son concessionnaire exclusif place celui-ci et ses revendeurs dans une situation privilégiée par rapport aux importateurs et distributeurs parallèles et doit, par conséquent, être considéré comme ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
15. Le fait, signalé dans la décision de renvoi, que le fabricant-distributeur tolère que ses produits soient commercialisés par un réseau d'importateurs parallèles doit, à cet égard, être considéré comme irrelevant, le régime de garantie étant susceptible d'avoir pour objet ou pour effet d'opérer