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Décisions

CJCE, 17 septembre 1985, n° 25-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ford-werke (AG), Ford of Europe (Inc)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Bureau européen des Unions de consommateurs

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Lord Mackenzie Stuart

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Due, Kakouris

Avocat général :

Sir Gordon Slynn

Juges :

MM. Pescatore, Koopmans, Everling, Bahlmann, Joliet

Avocats :

Mes Lever, Vajda, Collins, Sambuc, Crossick.

CJCE n° 25-84

17 septembre 1985

LA COUR,

1 Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 25 janvier 1984, Ford-Werke Aktiengesellschaft, à Cologne, et Ford of Europe incorporated, à Wilmington, Delaware (États-Unis), ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, deux recours visant à l'annulation de la décision 83-560 de la Commission, du 16 novembre 1983, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/30.696 - Système de distribution de Ford-Werke AG, JO L 327, p. 31).

2 Par ordonnance du 29 février 1984, la Cour, eu égard à la connexité des deux affaires, en a ordonné la jonction aux fins de la procédure et de l'arrêt.

3 Les requérantes sont des filiales de Ford Motor Company, société dont le siège est établi aux États-Unis d'Amérique. La requérante Ford of Europe incorporated (ci-après : Ford of Europe) est une société enregistrée aux États-Unis et établie au Royaume-Uni, en Belgique et en république fédérale d'Allemagne, tandis que la requérante Ford-Werke Aktiengesellschaft (ci-après : Ford AG) est une société de droit allemand établie en république fédérale d'Allemagne et, en tant que société de production, également en Belgique.

4 Ford of Europe coordonne la répartition des activités économiques entre les filiales européennes de Ford Motor Company (ci-après " le groupe Ford "). Ford AG construit des véhicules Ford qui sont, les uns, commercialisés par cette même société sur le marché constitué par la république fédérale d'Allemagne et, les autres, exportés, notamment vers certains États membres, où ils sont commercialisés par d'autres entreprises du groupe. Une partie importante de la production de Ford AG est vendue directement à Ford Motor Company limited (ci-après : " Ford Britain "), au Royaume-Uni, en vue de la commercialisation dans ce pays par cette dernière qui, tout comme Ford AG, a établi son propre programme de vente et son propre réseau de distribution. En conséquence, Ford AG produit régulièrement à la fois des véhicules équipés d'une conduite à gauche et des voitures équipées d'une conduite à droite (ci-après voitures CAD).

5 Pour la réalisation de son programme de vente sur le marché allemand, Ford AG a mis en place un système de distribution sélective, sur la base d'un contrat de concessionnaire qui la lie à ses distributeurs allemands. Ce contrat a été notifié à la Commission le 14 mai 1976 et Ford AG a sollicité à son égard une attestation négative au sens de l'article 2 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (JO p. 204), ou, subsidiairement, une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

6 Jusqu'au 1er mai 1982, un certain nombre de voitures CAD - les unes avec spécifications britanniques, les autres avec spécifications allemandes - étaient fournies par Ford AG à ses distributeurs allemands agréés et étaient vendues en république fédérale d'Allemagne. À partir du printemps de 1981, la demande sur ce marché pour des voitures CAD avait fortement augmenté parce que les prix, en partie à cause des fluctuations monétaires, étaient bien inférieurs à ceux du marché britannique et, de ce fait, un nombre croissant de clients britanniques achetaient ces véhicules aux distributeurs allemands. Préoccupée par les effets de ces ventes sur la situation de Ford Britain et de son réseau de distribution, Ford AG a, par une circulaire du 27 avril 1982, informé les distributeurs Ford allemands qu'a partir du 1er mai suivant elle n'accepterait plus leurs commandes pour des voitures CAD et que dorénavant toutes ces voitures devraient être achetées soit auprès des concessionnaires Ford établis au Royaume-Uni soit auprès d'une filiale de Ford Britain.

7 Cette circulaire a amené le Bureau Européen des Unions de Consommateurs (ci-après : BEUC), partie intervenante dans les présentes affaires, à adresser une plainte à la Commission, le 12 mai 1982, lui demandant d'arrêter des mesures provisoires. Le 2 juillet 1982, la Commission a décidé " d'engager... une procédure au titre de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 17 ", disposition qui concerne l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, et elle a adressé une communication des griefs à Ford AG. Dans cette communication, la Commission a indiqué qu'elle se proposait de décider que le système de distribution pratique par Ford AG était contraire à l'article 85, paragraphe 1, et ne pouvait être exempté au titre du paragraphe 3 de ce même article, mais que, entre-temps, elle comptait prendre une décision provisoire enjoignant à Ford AG de retirer sa circulaire du 27 avril 1982 et de réinsérer les voitures CAD dans la gamme des produits offerts par la société.

8 Le 18 août 1982, la Commission a arrêté une décision comportant des mesures provisoires (JO L 256, p. 20). Cette décision enjoignait à Ford AG de retirer la circulaire du 27 avril 1982 et d'informer les distributeurs Ford allemands que les voitures CAD continueraient à faire partie intégrante du programme de livraison contractuel de Ford AG, et cela dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision. Celle-ci était applicable jusqu'a l'adoption d'une décision clôturant définitivement la procédure.

9 Cette décision a été annulée par la Cour par arrêt du 28 février 1984 (Ford, 228 et 229-82, Rec. p. 1129). La Cour ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si la Commission pouvait, à l'occasion d'application de l'article 85, paragraphe 3, prise conformément aux articles 6 et 8 du règlement n° 17, considérer le refus de livrer comme une circonstance excluant l'exemption du contrat de concessionnaire ou subordonner une telle exemption à la condition d'une reprise des livraisons ; elle a cependant considéré que la Commission n'était pas autorisée à transformer une telle condition, par le biais d'une décision provisoire, en une injonction exécutoire distincte, n'offrant aucun choix à l'entreprise concernée.

10 Le 16 novembre 1983, la Commission a arrêté la décision définitive qui fait l'objet du présent recours. Cette décision, dont Ford AG est destinataire, révoque la décision du 18 août 1982 (article 3). La Commission y déclare que le contrat de concessionnaire de Ford AG restreint la concurrence et affecte le commerce entre États membres au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité ; elle refuse l'octroi d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité en faveur dudit contrat tel que celui-ci a été appliqué par Ford AG depuis le 1er mai 1982, date d'entrée en vigueur de la circulaire de Ford AG du 27 avril 1982 (article 1er). La Commission ordonne enfin à Ford AG de mettre fin à l'infraction constatée (article 2).

11 Dans la motivation de la décision, la Commission précise que la décision concerne uniquement le contrat de concessionnaire tel qu'il a été appliqué par Ford AG à partir du 1er mai 1982, et dans l'application duquel Ford AG avait cessé de livrer des voitures CAD à ses concessionnaires allemands (n° 28 de la décision). Cette cessation de livraison pourrait être prise en considération en vue de l'application de l'article 85 du traité, même si elle n'était pas directement causée par l'accord, car la Commission serait obligée de considérer un accord à la lumière du contexte économique dans lequel son application a lieu (n° 36 de la décision).

12 Les requérantes et la Commission sont d'accord pour considérer que le problème principal soulevé par le présent recours est de savoir si la Commission a pu refuser au contrat de concessionnaire de Ford AG le bénéfice d'une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité en raison du fait que cette entreprise avait cessé de livrer des voitures CAD à ses distributeurs allemands. Pour les requérantes, la discontinuation des livraisons de voitures CAD constitue un acte unilatéral qui ne relève pas des interdictions prévues par l'article 85 du traité ; pour la Commission, l'examen du contrat de concessionnaire, en vue d'une exemption éventuelle, ne peut faire abstraction du contexte dans lequel ce contrat fonctionne et dont le comportement de Ford AG fait partie.

13 Étant donné que différents moyens invoqués par les requérantes tournent autour de ce problème principal, il y a lieu de l'examiner préalablement.

A) Le caractère unilatéral du comportement de l'entreprise

14 À cet égard, les requérantes font valoir que dans le secteur automobile, où les ventes concernent des produits sophistiqués du point de vue technique, la nécessité de recourir à des systèmes de distribution sélective a été reconnue par la Commission. Un tel système aurait été mis en place par Ford AG sous forme du contrat de concessionnaire qu'il conclut avec ses distributeurs. Ce contrat ne serait pas plus restrictif de la concurrence que n'importe quel autre système de distribution dans le secteur automobile ; aussi la Commission aurait-elle été disposée à exempter ledit contrat de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité sur la base du paragraphe 3 de cet article si ce n'était qu'elle voulait empêcher la discontinuation des ventes de voitures CAD par Ford AG en Allemagne. La décision attaquée ne viserait pas, en réalité, la révocation de certaines clauses supposées restrictives du contrat de concessionnaire, mais elle aurait pour objet de restaurer les ventes de voitures Ford CAD sur le marché allemand.

15 Or, la circulaire du 27 avril 1982, et la cessation des ventes de voitures CAD aux concessionnaires allemands qui y était annoncée, revêtirait, toujours selon les requérantes, un caractère unilatéral ; toutefois, un acte unilatéral ne saurait être compris parmi les ententes interdites par l'article 85 du traité. D'une part, une entreprise productrice d'automobiles ne pourrait pas être contrainte à inclure un certain type de voiture dans son programme de production ou de commercialisation, étant donné que c'est elle qui supporte le risque inhérent à la qualité d'être entrepreneur. D'autre part, la cessation de livraison de voitures CAD n'aurait, en l'occurrence, aucun rapport avec le contrat de concessionnaire et, en toute hypothèse, la Commission n'aurait nullement démontré l'existence d'un tel rapport. Il faudrait en conclure, dès lors, que le retrait de voitures CAD du marché n'aurait aucune pertinence pour l'appréciation, au regard du traité, du contrat de concessionnaire.

16 La Commission rappelle d'abord que la décision d'accorder, ou non, une exemption à un accord qui relève de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, sur la base de l'article 85, paragraphe 3, doit être prise compte tenu de l'ensemble du contexte économique et juridique dans lequel cet accord a fonctionné. Le comportement de l'entreprise liée à ses revendeurs dans le cadre d'un système de distribution sélective ferait partie d'un tel contexte. En l'occurrence, la décision de ne pas accorder une exemption au contrat de concessionnaire était d'autant plus justifiée que le comportement de Ford AG a eu pour effet d'aggraver sensiblement les effets restrictifs de ces contrats et de réduire la concurrence à l'intérieur de la marque Ford, dans le seul but de mettre fin à des importations parallèles en Grande-Bretagne et de cloisonner ainsi les marchés.

17 En ce qui concerne le lien entre le contrat de concessionnaire et le refus de livrer des voitures CAD à des revendeurs allemands, la Commission se réfère à la motivation de la décision attaquée (n° 42 de la décision), selon laquelle le contrat de concessionnaire de Ford AG et le type de relations qu'il a créé ont été le cadre et le contexte de la lettre circulaire de Ford AG du 27 avril 1982 et de la cessation, par cette firme, de ses approvisionnements en voitures CAD. En effet, ladite lettre circulaire aurait été exclusivement adressée aux distributeurs parties au contrat de concessionnaire allemand, alors que, auparavant, Ford AG avait vendu des voitures CAD à ces seuls distributeurs et que le droit des distributeurs de se faire livrer des voitures Ford d'après l'article 2 du contrat incluait les voitures CAD. La lettre circulaire aurait ainsi modifié les relations entre Ford AG et ses distributeurs.

18 Le BEUC attire l'attention sur l'article 2, paragraphe 1, du contrat de concessionnaire, selon lequel Ford AG doit livrer " ses produits " à ses distributeurs. L'article 1er du contrat définirait la gamme des produits comme incluant tous les véhicules et pièces de rechange produits par Ford AG ; en ce qui concerne les véhicules, cette disposition préciserait qu'il s'agit des " versions normales de série de tous les véhicules de tourisme, véhicules utilitaires légers et châssis énumérés à l'annexe 1 du contrat ", ladite annexe énumérant un certain nombre de modèles (Fiesta, Escort etc.) et ajoutant qu'en cas d'introduction d'un nouveau modèle, Ford AG l'offrirait aux distributeurs en modifiant l'annexe 1 du contrat par écrit.

19 Le BEUC observe en outre que, après la cessation des livraisons de voitures CAD aux distributeurs allemands, le contrat de concessionnaire est devenu, pour Ford AG, l'instrument par lequel il empêchait des importations parallèles de voitures CAD sur le marché britannique, maintenait ainsi le haut niveau de prix britanniques et privait, par conséquent, les consommateurs des avantages que devrait leur conférer le marché commun.

20 Il y a lieu d'observer sur ce point que les accords qui constituent un système de distribution sélective et qui visent, comme en l'espèce, au maintien d'un commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute technicité, sont normalement conclus en vue de régir la distribution de ces produits pour un certain nombre d'années. L'évolution technique n'étant pas toujours prévisible pour une telle durée, ces accords doivent donc nécessairement laisser certains aspects à des décisions ultérieures du fabricant. De telles décisions ultérieures sont précisément prévues, comme le BEUC l'a signalé à juste titre, par l'annexe 1 du contrat de concessionnaire de Ford AG pour ce qui concerne les modèles des voitures à livrer dans le cadre de ce contrat.

21 Une pareille décision de la part du fabricant ne constitue pas un comportement unilatéral de l'entreprise qui, comme le soutiennent les requérantes, échapperait à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle s'insère, par contre, dans les relations contractuelles que l'entreprise entretient avec ses revendeurs. En effet, l'admission au réseau de distributeurs de Ford AG implique l'acceptation, par les contractants, de la politique de Ford en matière de modèles à livrer sur le marché allemand.

22 L'argument que les requérantes tirent du caractère unilatéral du retrait des voitures CAD de l'assortiment de Ford AG doit, par conséquent, être écarté.

23 Les requérantes font encore valoir, à cet égard, que, à supposer que le retrait des voitures CAD de l'assortiment de Ford AG puisse avoir un rapport avec un accord quelconque, cet accord ne pourrait pas être le contrat de concessionnaire. En effet, les voitures CAD répondant aux spécifications de la législation britannique n'auraient jamais été distribuées dans le cadre de ce contrat, les livraisons de ces voitures faisant partie d'un arrangement spécial applicable aux seules ventes de voitures CAD, et connu sous le titre de " visit Europe plan ".

24 Il ressort du dossier que l'arrangement dit " visit Europe plan " n'a pas été notifié à la Commission et que toutes les voitures CAD ont été vendues, en Allemagne, par les distributeurs liés par le contrat de concessionnaire. Les conditions et modalités qui étaient habituelles à l'occasion de la vente de voitures Ford s'appliquaient, en particulier celles relatives à la marge de bénéfice du distributeur, aux garanties, au service après-vente, etc., la seule caractéristique spéciale des ventes dans le cadre de cet arrangement étant qu'elles ne contribuaient pas à atteindre les objectifs de vente convenus entre Ford AG et les concessionnaires. La lettre circulaire du 27 avril 1982 a été exclusivement adressée aux distributeurs allemands parties au contrat de concessionnaire.

25 Ces circonstances de fait, dont la décision attaquée fait état (n° 17 et 42), suffisent pour démontrer que la cessation des approvisionnements en voitures CAD ne s'est pas située dans un autre cadre contractuel que celui du contrat de concessionnaire.

26 Il découle de ce qui précède que la Commission était en droit, au cours de son examen du contrat de concessionnaire en vue d'une exemption éventuelle au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, de prendre en considération la cessation de livraison des voitures CAD par Ford AG à ses distributeurs allemands.

B) Les autres moyens des requérantes

27 Les autres moyens invoqués par les requérantes sont tirés, respectivement :

- de l'inexactitude du raisonnement suivi par la décision attaquée ;

- du détournement de pouvoir ;

- de la violation du principe de la sécurité juridique ;

- et des insuffisances de motivation.

28 En ce qui concerne le raisonnement suivi par la décision, les requérantes reprochent à la Commission d'avoir adopté une méthode erronée. Avant d'examiner si les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, étaient, ou non, réunies, la Commission aurait dû d'abord identifier chaque disposition de l'accord relevant du paragraphe 1 de cet article. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, les entreprises ont droit à un examen adéquat, par la Commission, de leurs demandes en vue d'obtenir une attestation négative ou une exemption de l'accord.

29 Les requérantes ajoutent que la Commission, en refusant l'exemption, s'est basée sur les deux premières conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, relatives aux accords qui contribuent à améliorer la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique et qui réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. En examinant ces conditions, la Commission aurait dû déterminer d'abord quels pouvaient être les effets bénéfiques et quels pouvaient être les effets défavorables de l'accord en question, pour les mettre ensuite en balance. Toutefois, aucune considération de la décision attaquée ne révélerait qu'une telle appréciation aurait effectivement eu lieu.

30 La Commission considère, quant à l'application de l'article 85, paragraphe 1, qu'il lui suffit d'établir que les principales clauses restrictives de l'accord tombent sous le coup de cette disposition. A son avis, il faut apprécier l'accord dans son ensemble, étant donné que les accords en cause, et notamment ceux qui établissent un système de distribution sélective, comprennent souvent plusieurs clauses restrictives et que leur application peut être restrictive à plusieurs égards. Dans de telles circonstances, il serait difficile d'isoler les effets d'une clause donnée et de déterminer avec certitude si cette clause est susceptible, prise isolément, de restreindre ou de fausser la concurrence.

31 La Commission reconnaît que son refus d'accorder l'exemption prévue par l'article 85, paragraphe 3, est fondée sur les deux premières conditions de cette disposition. Elle soutient cependant que le refus de Ford AG de fournir des voitures CAD en Allemagne a effectivement empêché que ces deux conditions soient remplies. Ce refus aurait eu des effets plus sérieux que ceux découlant d'une simple interdiction d'exporter, car il aurait également réduit la concurrence existant en Allemagne pour ces voitures tout en empêchant, en même temps, les consommateurs du Royaume-Uni d'acheter des voitures CAD aux prix allemands.

32 Il y a lieu de constater que les arguments des requérantes relatifs à l'application de l'article 85, paragraphe 1, ne trouvent pas de base dans la décision. Celle-ci explique quelles sont les clauses du contrat de concessionnaire les plus aptes à restreindre la concurrence, et elle cite notamment, à cet égard, l'article 6, paragraphe 2, les articles 2 et 5 et l'article 6, paragraphe 3, de ce contrat (n° 30 et 31 de la décision). La décision poursuit en constatant que, par le jeu de ces clauses, Ford AG a été en mesure d'empêcher aux distributeurs Ford allemands de mener une politique de vente active en dehors de l'Allemagne et de livrer des véhicules Ford à des revendeurs d'autres pays qui ne font pas partie d'un système de distribution Ford (n° 33). La décision conclut que, " en raison de ces dispositions, qui constituent la partie la plus importante du contrat de concessionnaire de Ford ", l'article 85, paragraphe 1, du traité, s'applique au contrat (n° 34). Ce raisonnement, dont il ressort que la Commission a pris en considération l'ensemble du contrat litigieux, n'est pas basé sur une méthode erronée.

33 Quant au refus de la Commission d'accorder une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, il convient de souligner que la Commission était en droit de considérer qu'elle devait tenir compte, dans l'examen du contrat de concessionnaire en vue d'une exemption éventuelle, de toutes les circonstances qui entourent l'application de ce contrat, et qu'elle pouvait donc estimer que le seul refus d'approvisionnement des concessionnaires allemands en voitures CAD qui se prêtaient à l'exportation, constituait un élément fondamental du cloisonnement artificiel du marché commun (n° 41). La décision ajoute que, en mettant en balance, d'une part, l'amélioration de la distribution de voitures obtenue grâce au contrat et, d'autre part, les désavantages dérivés, au plan de la concurrence, de l'impossibilité d'acheter des voitures CAD en Allemagne aux prix allemands et de la diminution significative de la pression concurrentielle au Royaume-Uni (n° 43), la Commission est parvenue à la conclusion que les deux premières conditions de l'article 85, paragraphe 3, n'étaient pas remplies.

34 Par conséquent, le moyen tiré de la méthode erronée de raisonnement suivie par la décision doit être rejeté.

35 Le moyen tiré du détournement de pouvoir s'appuie sur deux circonstances : en premier lieu, la Commission aurait refusé l'exemption du contrat de concessionnaire sous un prétexte juridiquement non pertinent ; en second lieu, la Commission aurait, en rédigeant la décision litigieuse, occasionné des incertitudes, notamment quant aux reproches qu'elle pourrait encore retenir contre d'autres clauses du contrat non encore spécifiées.

36 La première branche de ce moyen a déjà fait l'objet d'un examen dans les considérations précédentes ; la seconde branche concerne, en vérité, la violation éventuelle de la sécurité juridique qui sera traitée dans le cadre de l'examen d'un autre moyen.

37 Il n'y a donc pas lieu de statuer séparément sur le moyen tiré du détournement de pouvoir.

38 Par le moyen tiré de la violation du principe de la sécurité juridique, les requérantes soutiennent que la décision litigieuse les a laissées dans une incertitude complète quant à leur situation juridique. D'une part, la décision spécifie que Ford AG " est libre, si elle le désire, d'adopter un contrat de concessionnaire qui ne tombe pas sous le coup de l'article 85, paragraphe 1 " (n° 45), sans indiquer quelles sont les clauses du contrat relevant de cette disposition. D'autre part, la décision ordonne à Ford AG de mettre fin à " l'infraction constatée " (article 2) sans dire clairement quel est le comportement imposé à cette entreprise.

39 En réponse à cette argumentation, la Commission fait d'abord valoir qu'elle ne pouvait pas savoir si, suite à la décision, Ford AG allait décider de réinstaurer la situation telle qu'existant avant mai 1982, ou de modifier le contrat de concessionnaire sans toucher à son refus de livrer des voitures CAD en Allemagne. Il appartiendrait à Ford AG d'organiser son propre réseau de distribution, à condition cependant de respecter les exigences du droit communautaire de la concurrence.

40 La Commission estime ensuite que le moyen des requérantes semble partir de l'idée selon laquelle l'article 2 de la décision imposerait à Ford AG l'obligation de fournir aux consommateurs la possibilité d'obtenir la gamme complète des modèles du fabricant (" full line availability "), ce qui ne serait cependant pas le cas. La décision serait basée sur le fait qu'il existe une importante demande de voitures CAD émanant de personnes qui souhaitent les acheter par l'intermédiaire des distributeurs allemands et que des différences de prix de l'ordre de 10 à 30 % expliquent cette demande.

41 Il convient de rappeler, à cet égard, que les motifs de la décision litigieuse qui concernent l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, visent notamment certaines dispositions du contrat de concessionnaire, en particulier celles relatives à l'exclusivité de la représentation de Ford par les concessionnaires allemands. La décision se fonde en outre sur l'idée que le poids restrictif de ces clauses a augmenté de façon significative dès le moment où Ford AG a cessé de livrer des voitures CAD à ses concessionnaires allemands afin de protéger, dans le cadre du groupe Ford, la position de Ford Britain et des distributeurs britanniques. La décision considère que, dans ces conditions, l'exemption ne peut pas être accordée puisque " les systèmes de distribution dans la Communauté ne sauraient avoir pour effet d'isoler délibérément une partie substantielle de la Communauté du reste de celle-ci " (n° 44).

42 La Cour considère que l'infraction à laquelle Ford AG est obligée de mettre fin immédiatement, en vertu de l'article 2 de la décision, est suffisamment précisée. L'article 1er de la décision constate en effet que " le contrat de concessionnaire " relève des interdictions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et qu'une exemption au titre du paragraphe 3 est refusée à ce contrat " tel qu'il est appliqué... depuis le 1er mai 1982 ".

43 Le moyen tiré de la violation du principe de la sécurité juridique n'est donc pas fondé.

44 Reste à examiner le dernier moyen, qui est tiré des insuffisances de motivation. A cet égard, les requérantes font valoir que la Commission n'a pas indiqué comment la lettre circulaire du 27 avril 1982 aurait pu aggraver les effets restrictifs du contrat de concessionnaire. Si, par hypothèse, la Commission était fondée à considérer la révocation de la disponibilité de voitures CAD sur le marché allemand comme une réduction d'un avantage découlant du contrat, elle aurait, en tout état de cause, dû examiner dans quelle mesure la perte de cet avantage rendait ce contrat non susceptible de bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3.

45 La Commission reconnaît qu'elle a considéré la disponibilité de voitures CAD sur le marché allemand comme l'un des avantages découlant du contrat. La décision litigieuse montrerait cependant que le comportement de Ford AG a conduit, non seulement à la perte de cet avantage, mais également à une réduction sensible d'autres avantages pouvant découler du contrat (n° 36 et n° 43). En effet, le rapport entre les avantages et les inconvénients aurait été sensiblement affecté par le fait que Ford AG a empêché la réalisation des importations parallèles, ce qui constitue une raison décisive pour ne pas faire bénéficier le contrat d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3.

46 A cet égard, il y a lieu de constater, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, que celle-ci n'est pas obligée de procéder à un examen détaillé de tous les avantages et inconvénients susceptibles de découler d'un système de distribution sélective lorsqu'elle a de bonnes raisons pour estimer qu'un fabricant a utilisé un tel système pour empêcher les importations parallèles et réaliser ainsi un cloisonnement artificiel du marché commun. La décision attaquée examine, par ailleurs, quels sont les avantages et inconvénients pouvant résulter du contrat de concessionnaire (n° 38 et n° 43).

47 Dès lors, il y a lieu de constater que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

48 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les parties requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens. La partie intervenante doit supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête :

1) les recours sont rejetés.

2) les parties requérantes sont condamnées aux dépens ; la partie intervenante supportera ses propres dépens.