CJCE, 5e ch., 11 juillet 1985, n° 42-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Remia (BV), de Rooij, Verenigde Bedrijven Nutricia (NV)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Kakouris, Everling, Galmot, Joliet
Avocats :
Mes Crul, de Savornin Lohman, Cath
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 février 1984, la société Remia BV, son directeur, M. FA De Rooij, et la société NV Verenigde Bedrijven Nutricia (ci-après les requérants) ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, du 12 décembre 1983, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (JO L. 376, p. 22).
2. La société anonyme NV Verenigde Bedrijven Nutricia (ci-après Nutricia), ayant son siège social aux Pays- Bas, fabrique des produits alimentaires diététiques et pour enfants. Elle avait acquis en 1974 deux entreprises qui sont devenues ses filiales: la société Remia BV (ci-après Remia), appartenant à M. de Rooij et qui produisait essentiellement des sauces Remia, des margarines et des produits de base pour la boulangerie, et la société Luycks Producten BV (ci-après société Luycks) qui produisait des sauces sous la marque "Luycks" ainsi que des condiments. De 1974 à 1976 ces deux sociétés ont conservé leurs propres services de vente et ont poursuivi leurs anciennes productions.
3. Au début de l'année 1977, Nutricia a décidé de revoir les conditions de commercialisation des produits de ses filiales afin d'en améliorer la rentabilité, notamment au vu des difficultés financières éprouvées par Luycks. De 1977 à 1978, la situation juridique et la production des deux entreprises Luycks et Remia n'ont pas changé mais le fonctionnement des équipes de vente des deux sociétés a été modifié dans un souci de rationalisation.
4. En 1979, Nutricia a procédé à une réorganisation de ses outils de production en concentrant la production des sauces chez Remia tandis que la production des condiments et assaisonnements restait confiée à Lucyks. Ce réaménagement répondait, entre autres, au souhait de faciliter la cession de Remia et de Luycks.
5. Par un accord du 31 août 1979, Nutricia a cédé la société Remia, ainsi réorganisée, à M. de Rooij, son ancien propriétaire, et la société est devenue New Remia. Cet accord est dénommé "accord sauces ". Par un second accord du 6 juin 1980, Nutricia a cédé sa filiale Luycks, ainsi réorganisée, à la société Zuid-Hollandse Conservenfabriek (ci-après dénommée Zuid), et la société Luycks est devenue Luycks-Zuid puis Sluyck. Zuid est une filiale du groupe américain Campbell. Cet accord du 6 juin 1980 est dénommé "accord condiments ".
6. Ces deux accords de cession contenaient des clauses de non-concurrence destinées à protéger les acquéreurs d'une concurrence immédiate et sur le même marché de la part du cédant.
7. La clause 5 de "l'accord sauces" stipulait que Nutricia s'engageait à s'abstenir pendant dix années de toute vente ou production directe ou indirecte de sauces sur le marché néerlandais et se portait fort du respect de cette abstention par Luycks. A titre transitoire, Luycks était autorisée à fabriquer et à vendre des sauces pour l'exportation et même, dans une mesure fort restreinte, pour le marché néerlandais, mais seulement jusqu'au 1er juillet 1980.
8. Dans "l'accord condiments ", conclu entre Nutricia et Zuid, la clause V-1-f étendait à Luycks-Zuid la restriction prévue à la clause 5 de "l'accord sauces ". En outre, en vertu des stipulations de la clause IX-1, Nutricia s'engageait à s'abstenir pendant 5 ans, "directement ou indirectement, de toute production ou vente de condiments ou assaisonnements dans les pays européens ".
9. La société Campbell ayant fait savoir aux requérants qu'elle considérait la clause de non-concurrence imposée à Luycks comme contraire à l'article 85 du traité, cette circonstance a conduit ces derniers à notifier à la Commission les deux accords de cession, aux mois de juin-juillet 1981, et à demander non une attestation négative, mais une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3.
10. Par décision en date du 12 décembre 1983, la Commission, estimant que la durée et le champ d'application des clauses de non-concurrence précitées étaient excessifs et constituaient une restriction de la concurrence, qu'il y avait affectation du commerce intracommunautaire, et que ces clauses ne pouvaient bénéficier de l'exemption de l'article 85, paragraphe 3, a rejeté la demande présentée par les pétitionnaires.
11. C'est dans ces conditions que les requérants ont introduit le présent recours qui tend à ce que la Cour annule la décision attaquée, dise "que la clause de non-concurrence visée par l'article 1er de cette dernière ne constitue pas une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, certainement pas depuis (déjà) le 1er octobre 1983, ou du moins, que la Commission n'a pas appliqué, à tort, l'article 85, paragraphe 3 ", et en outre à ce que la Cour dise que la décision attaqué a été adressée à tort à M. de Rooij.
Sur la portée des conclusions de la requête
12. Compte tenu tout à la fois de l'imprécision de la formulation de la décision attaquée et des conclusions présentées par les requérants, la Cour a invité ces derniers à préciser la portée exacte de leurs conclusions et a demandé à la Commission de préciser le sens de l'article 2 de sa décision.
13. Compte tenu des réponses qui ont été fournies à la Cour, il apparaît, d'une part, comme l'ont d'ailleurs reconnu les parties requérantes lors de la procédure orale, que la décision de la Commission n'est pas contestée en tant qu'elle se rapporte spécifiquement à "l'accord condiments "; d'autre part, que l'article 2 de la décision attaquée doit être compris comme suit: la clause de non-concurrence qui figure à la clause 5 de "l'accord sauces ", conclu le 31 août 1979, ainsi que la clause de non-concurrence qui figure à la clause V-1-f) de "l'accord condiments" conclu le 6 juin 1980, constituent, depuis le 1er octobre 1983, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du Traité.
14. Dès lors, les conclusions des requérants doivent être regardées comme tendant à l'annulation:
- de l'ensemble de l'article 1er de la décision attaquée, relatif à la clause de non-concurrence contenue dans "l'accord sauces", dans la mesure où il concerne la période postérieure au 1er octobre 1983;
- de l'article 2 de la décision attaquée, en tant seulement qu'il est relatif à l'extension de la clause de non- concurrence contenue dans "l'accord sauces" à la société Zuid, et uniquement également pour ce qui concerne la période postérieure au 1er octobre 1983;
- de l'article 3 de la décision attaquée, en tant qu'il refuse l'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, à la clause de non-concurrence figurant dans "l'accord sauces" et en tant qu'il refuse la même exemption à l'extension de cette clause de non-concurrence à la société Zuid;
- de l'article 4 de la décision attaquée dans les mêmes limites que celles qui viennent d'être exposées;
- de l'article 5 de cette décision, dans la seule mesure où M. de Rooij y est désigné comme destinataire de ladite décision.
Sur la nature des moyens invoqués par les requérants et l'objection formulée à cet égard par la Commission
15. La Commission a soutenu que les parties requérantes n'auraient formulé aucun moyen tendant à affirmer que la Commission aurait enfreint l'article 85, paragraphe 1er, du traité, et auraient commis une erreur, en fondant leur argumentation sur une prétendue insuffisance de motivation de la décision attaquée. La Commission en déduit qu'en raison d'une telle qualification juridique inexacte, les arguments des requérants ne devraient pas être pris en considération, ni même être examinés.
16. Il convient de rappeler que pour pouvoir être examinés par la Cour, les moyens doivent être suffisamment précisés dans la requête, aux fins de savoir s'ils sont au nombre de ceux qui sont énumérés à l'article 173 du traité. Dans les circonstances de l'espèce, il ressort suffisamment clairement de la requête que les parties requérantes ont entendu soutenir qu'aussi bien pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, que pour le refus d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, la Commission s'est fondée sur une motivation insuffisante et reposant sur des faits matériellement inexacts et a apprécié les faits de l'espèce de manière erronée. Il s'ensuit que l'objection formulée par la Commission doit être écartée.
Sur l'application de l'article 85, paragraphe 1er, du traité CEE
17. Il convient liminairement de reconnaître que c'est à juste titre que la Commission, sans être d'ailleurs contredite sur ce point par les requérants, a estimé que le fait que des clauses de non-concurrence soient incluses dans un contrat de cession d'entreprise ne fait pas, par lui-même, sortir de telles clauses du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
18. Pour apprécier si de telles clauses tombent ou non sous le coup de l'interdiction posée par l'article 85, paragraphe 1, il y a lieu d'examiner quel serait le jeu de la concurrence en leur absence.
19. Dans une telle hypothèse, et lorsque le vendeur et l'acheteur demeureraient en situation de concurrence après la cession, il apparaît que l'accord de cession d'entreprise ne pourrait être réalisé. En effet, le vendeur, qui connaît particulièrement bien les particularités de l'entreprise cédée, conserverait la possibilité d'attirer à nouveau vers lui son ancienne clientèle immédiatement après la cession et de rendre ainsi non viable cette entreprise. Dans ces conditions, les clauses de non-concurrence insérées dans des contrats de cession d'entreprise ont, en principe, le mérite de garantir la possibilité et l'effectivité de cette cession. Par là même, elles contribuent à renforcer la concurrence par l'accroissement du nombre des entreprises présentes sur le marché en cause.
20. Encore faut-il que, pour avoir cet effet bénéfique sur la concurrence, de telles clauses soient nécessaires au transfert de l'entreprise cédée et que leur durée et leur champ d'application soient strictement limités à cet objectif. La Commission a donc estimé à bon droit que lorsqu'il est satisfait à ces conditions, de telles clauses échappent à l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1er.
21. Toutefois, sans contester le principe même de ce raisonnement, les parties requérantes contestent l'application qui en a été faite au cas d'espèce, en soutenant, d'une part, que la clause de non-concurrence figurant dans "l'accord sauces" n'affecterait pas le commerce intracommunautaire, au sens de l'article 85, paragraphe 1er, du traité, et d'autre part que, compte tenu des circonstances particulières de la cession en cause, la Commission aurait insuffisamment motivé sa décision et apprécié les faits de manière erronée en limitant à quatre ans la durée admissible de la clause de non-concurrence assortissant cette cession.
22. S'agissant, en premier lieu, de la condition relative à l'affectation du commerce intracommunautaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un accord entre entreprises, pour être susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre Etats. La Cour a également jugé (arrêt du 17 octobre 1972, Cementhandelaren, 8-72, Rec. p. 977), que de telles pratiques restrictives de la concurrence qui s'étendent à l'ensemble du territoire d'un Etat membre, ont, par leur nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité.
23. En l'espèce, il convient d'observer que la clause de non-concurrence litigieuse concerne l'ensemble du territoire des Pays-Bas. En outre, les stipulations de la clause 5 "de l'accord sauces", qui interdisent à Nutricia, Luycks puis Zuid de vendre ou de produire directement ou indirectement des sauces sur le marché néerlandais, ne se rapportent pas seulement à la production nationale de sauces mais impliquent également, pour ces sociétés, l'interdiction de vendre des sauces préalablement importées d'autres Etats membres.Enfin, il n'est pas contesté que Remia détient la part individuelle la plus importante du marché néerlandais des sauces en question.
24. Il y a lieu d'en déduire que la Commission a fait une exacte appréciation des faits de l'espèce, en estimant que la clause litigieuse était susceptible d'entraver les échanges commerciaux intracommunautaires au sens de l'article 85, paragraphe 1er, du traité.
25. S'agissant, en second lieu, de la limitation à quatre ans de la clause de non-concurrence, les requérants soutiennent que la décision attaquée est, d'une part, insuffisamment motivée, et d'autre part, fondée sur certains faits matériellement inexacts et sur une appréciation erronée de l'ensemble des faits de l'espèce.
26. S'agissant d'apprécier la motivation de la décision attaquée, il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante, et ainsi que la Cour l'a précisé en dernier lieu en matière de concurrence par son arrêt du 17 janvier 1984 (VB-VB ea c/ Commission, 43 et 63-82, non encore publié), si en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les conditions juridiques qui l'ont amenée à prendre celle-ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative. La motivation d'une décision faisant grief doit permettre à la Cour d'exercer contrôle sur la légalité et fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est bien fondée.
27. Il ressort de l'examen même de la décision attaquée que les rapports financiers et commerciaux des parties en présence ont été examinés par la Commission aux alinéas 4, 5 et 32 de ladite décision et qu'il a été suffisamment répondu à l'argument tiré de la renommée de la marque Luycks aux alinéas 8 et 12 de la décision attaquée; enfin, que la décision attaquée, notamment en ses alinéas 11 et 31, a suffisamment répondu à l'argumentation tirée du problème du transfert de l'équipe de vente Luycks. Cette motivation a ainsi permis aux parties requérantes d'avoir toutes les indications nécessaires pour savoir si la décision attaquée était bien fondée, de présenter utilement devant la Cour une argumentation suffisamment circonstanciée à cet égard et a mis en mesure la Cour d'exercer pleinement son contrôle sur la légalité de ladite décision. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l'application de l'article 85, paragraphe 1er.
28. S'agissant du moyen tiré de ce que la décision attaquée serait fondée sur certains faits matériellement inexacts et reposerait sur une appréciation erronée de l'ensemble des faits de l'espèce, les requérants reprochent, plus précisément, à la Commission d'avoir insuffisamment pris en compte trois éléments qui seraient tout à fait spécifiques à la cession litigieuse: la situation financière déficitaire de la société Remia lors de l'absorption et les rapports de force en présence entre Remia, d'une part, et Nutricia et Zuid-Campbell, d'autre part; la circonstance que la marque Luycks n'a pas été transférée définitivement lors de l'absorption mais pour une durée de deux années seulement, alors que simultanément la société Luycks poursuivait ses activités dans la même branche, en utilisant la même marque pour d'autres produits; enfin, le fait que l'équipe de vente de Luycks, qui connaissait très bien le marché des sauces, n'aurait pas été transférée chez Remia lors de la cession, mais serait restée chez Luycks puis aurait été intégrée au groupe Campbell, devenu ainsi un concurrent potentiel dangereux pour Remia. Les requérants en déduisent qu'une clause de non-concurrence d'une durée de dix années n'était pas excessive en l'espèce, car elle comprenait deux années pour assurer la transition et se faire connaître sous une nouvelle marque, puis huit années pour s'attacher sa clientèle et éviter une nouvelle pénétration du marché par le cédant.
29. A l'inverse, la Commission et la société Sluyck BV, partie intervenante, estiment qu'en tout état de cause une durée de quatre années, se décomposant en deux années pour introduire une nouvelle marque et deux années pour lui attacher une clientèle, était largement suffisante en l'espèce. Les parties en auraient d'ailleurs elles-mêmes convenu ainsi initialement.
30. La Commission fait valoir que c'est au regard de l'ensemble des critères précisés dans sa décision et en appréciant avec soin toutes les circonstances particulières de la présente espèce, qu'elle est parvenue à la conviction que la durée de dix années de l'interdiction de concurrence, finalement convenue entre les parties, était nettement excessive, et que seule une durée de quatre années était objectivement justifiée.
31. Elle précise, en outre, qu'il ne convient d'attacher aucune signification juridique particulière à la situation financière des parties à la cession, car un accord restrictif de la concurrence ne saurait échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1er, au seul motif qu'il permettrait à l'entreprise de survivre. Selon la Commission, cette circonstance devrait simplement se traduire par une modification du prix de cession et non par une extension de la clause de non-concurrence.
32. La Commission ajoute encore que, compte tenu du fait qu'il convenait simplement de permettre à Remia de consolider des relations commerciales anciennes avec ses propres acheteurs sur un marché où pendant quatre ans les sauces Luycks n'avaient pu être vendues par la société Luycks ou par Campbell, une limitation à quatre années de la durée de la clause de non-concurrence était largement suffisante pour permettre à Remia de s'implanter effectivement sur le marché, pour peu que cette société ait adopté un comportement de concurrence active, ce qui n'aurait pas été le cas en l'espèce.
33. Enfin, la Commission soutient que l'équipe de vente, qui s'est trouvée transférée à Remia lors de la cession, connaissait très bien le secteur de la vente des sauces et a disposé de quatre années pour introduire une nouvelle marque propre avec Remia, sans être gênée par Nutricia ou Luycks. S'agissant d'un secteur qui n'est pas de haute technicité et où il n'existe pas de contrats de livraison à long terme, cette durée était largement suffisante. Par ailleurs, si un certain achalandage devait être attaché au personnel de vente non transféré, cette circonstance aurait dû, là encore, selon la Commission, s'exprimer dans le prix de vente convenu lors de la cession et non avoir pour effet de proroger la durée de la clause de non-concurrence.
34. Si la Cour exerce de manière générale un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1er, se trouvent ou non réunies, il apparaît que la détermination de la durée admissible d'une clause de non-concurrence, insérée dans un accord de cession d'entreprise, exige, de la part de la Commission des appréciations économiques complexes. Il appartient, dès lors, à la Cour de limiter le contrôle qu'elle exerce sur une telle appréciation à la vérification du respect des règles de procédure, du caractère suffisant de la motivation, de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.
35. En l'espèce, les requérants se sont bornés à invoquer l'inexactitude matérielle de certains faits et essentiellement une mauvaise appréciation, faite par la Commission, des circonstances particulières de l'espèce pour limiter à quatre ans la durée de la clause de non-concurrence.
36. Il ne ressort, ni des pièces du dossier, ni des débats menés devant la Cour, qu'en fixant à quatre années la période au-delà de laquelle la clause de non-concurrence figurant dans "l'accord de cession sauces" tombe sous le coup de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1er, du traité, la Commission s'est fondée sur des faits matériels inexacts et a commis une erreur manifeste d'appréciation de l'ensemble des faits de la cause.
Sur l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité
37. Les requérants font valoir en substance que la Commission aurait refusé, à tort, l'exemption sollicitée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. La Commission aurait en effet insuffisamment motivé sa décision et incorrectement pris en considération les éléments particuliers relatifs à la cession de la société Remia et à la nécessité d'assortir cette cession d'une clause de non-concurrence.
38. Avant d'examiner l'argumentation des parties à cet égard, il y a lieu de rappeler qu'un accord qui s'avère être contraire aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, ne peut faire l'objet d'une exemption au titre du troisième paragraphe de cet article que s'il satisfait aux conditions suivantes:
contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique;
réserver en même temps aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte;
ne pas imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ses objectifs;
ne pas donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
39. Les requérants, aussi bien dans leur notification qu'au cours de la procédure administrative, ont soutenu que l'opération de cession avait contribué à améliorer la production et à promouvoir le progrès technique dans le secteur des sauces. Ils ont ajouté que l'entreprise était désormais plus solide qu'auparavant, que le savoir-faire de Remia dans le domaine des sauces avait été préservé, et que le maintien de l'emploi résultant de cette transaction devait être considéré comme un élément de promotion du progrès économique. Ceci procurerait un avantage direct aux consommateurs, notamment sous la forme d'un approvisionnement continu du marché de ces produits dont la marque leur serait familière. Enfin, à propos de la condition tenant à ce que l'accord ne doit pas éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, les requérants ont fait valoir, au stade de la procédure administrative, que le marché des sauces, à l'époque de la restructuration de Nutricia, était caractérisé par la présence d'un grand nombre de concurrents. Ils en concluaient que les deux clauses de non-concurrence ne conduisaient nullement à l'élimination de la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, alors qu'elles étaient indispensables à la réalisation des objectifs de l'accord de cession.
40. S'agissant, en premier lieu, du moyen tiré de ce que la décision attaquée, en tant qu'elle rejette l'exemption sollicitée au titre de l'article 85, paragraphe 3, serait insuffisamment motivée, il y a lieu de relever que si en première analyse la motivation de la décision attaquée relative au rejet de l'exemption de l'article 85, paragraphe 3, du traité, peut apparaître quelque peu sommaire, telle qu'elle figure à l'alinéa 41 de cette décision, il importe de replacer cette motivation dans l'ensemble du contexte de la décision attaquée, dont plusieurs autres alinéas répondent directement aux arguments avancés par les requérants à l'appui de la demande d'exemption sollicitée au titre de l'article 85, paragraphe 3.
41. Il en est ainsi des alinéas 7 et 31 de la décision attaquée qui relèvent que les produits concernés, c'est-à- dire les sauces, sont d'une fabrication aisée, d'une technique bien connue, et ne présentent aucun caractère de haute technicité. Cette motivation répond suffisamment à l'argumentation tirée d'une prétendue promotion du progrès technique qui aurait été entraînée par la cession de Remia.
42. En ce qui concerne l'argumentation tirée de ce que seule une durée de dix ans de la clause de non- concurrence permettrait la survie de l'entreprise et le maintien de l'emploi, il convient certes de remarquer qu'ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 25 octobre 1977 (Metro, 26-76, Rec. p. 1875), le maintien de l'emploi entre, au titre de l'amélioration des conditions générales de production, spécialement dans les circonstances d'une conjoncture économique défavorable, dans le cadre des objectifs que l'article 85, paragraphe 3, permet de viser. Toutefois, il apparaît qu'il a été suffisamment répondu à cette argumentation dans la décision attaquée, notamment à son alinéa 31, où la Commission explique précisément les raisons pour lesquelles une période de quatre ans lui a semblé suffisante pour permettre à Remia d'assurer sa position sur le marché face à la concurrence de Luycks. En outre, et en tout état de cause, la Commission a précisé à l'alinéa 27 que si, malgré une protection objectivement nécessaire obtenue par une clause de non-concurrence, une entreprise s'avère non viable, cette circonstance n'est pas de nature à motiver une extension de la durée de cette clause.
43. Enfin, l'alinéa 6 de la décision attaquée décrit de façon suffisamment précise, et d'ailleurs dans des termes comparables à ceux employés par les requérants au stade de la procédure administrative, la structure du marché des sauces dans la Communauté économique européenne, à la date de la cession.
44. Dans ces conditions, et compte tenu de la portée de l'obligation de motivation telle qu'elle a été précisée plus haut, il apparaît que la décision attaquée répond suffisamment aux arguments présentés par les requérants à l'appui de leur demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, et permet à la Cour d'exercer pleinement son contrôle de légalité.
45. S'agissant, en second lieu, du moyen tiré de ce que la décision attaquée, en tant qu'elle rejette l'exemption sollicitée au titre de l'article 85, paragraphe 3, serait fondée sur une appréciation erronée des faits de la cause, il convient de rappeler, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 17 janvier 1984, (VB-VB e.a. c/ Commission, 43 et 63-82, précité), que dans le cas où une exemption est recherchée en vertu de l'article 85, paragraphe 3, il appartient, en premier lieu, aux entreprises intéressées de présenter à la Commission les éléments de conviction destinés à établir la justification économique d'une exemption.
46. En réponse à l'argumentation des sociétés requérantes telle qu'elle vient d'être exposée, la Commission conteste l'existence d'un quelconque accroissement du savoir-faire ou d'une amélioration de la production ou de la distribution en des sauces. Elle affirme, en outre, que le maintien en vie, a moyen d'un accord interdit par l'article 85, paragraphe 1, du traité, d'une entreprise qui ne serait pas viable, dans des conditions de libre- concurrence, ne fait pas partie des conditions d'exemption prévues par l'article 85, paragraphe 3. Enfin, elle rappelle que le maintien de la clause de non-concurrence litigieuse, au-delà d'une durée admissible de quatre années, impose aux entreprises intéressées des restrictions de concurrence qui ne sont pas indispensables pour atteindre les objectifs de l'accord de cession.
47. Il ressort de l'ensemble des pièces du dossier et des débats menés devant la Cour, que les requérants n'ont pas réussi à établir que le maintien de la clause de non-concurrence au-delà d'une période de quatre années était de nature à contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits concernés ou à promouvoir le progrès technique ou économique, et qu'ils n'ont pas davantage présenté des éléments de conviction permettant de démontrer que le maintien de cette clause de non-concurrence n'imposait pas aux entreprises intéressées des restrictions de concurrence allant au-delà de ce qui est indispensable pour atteindre les objectifs de l'accord de cession.
48. Dès lors, compte tenu de la marge d'appréciation dont dispose la Commission en cette matière, il n'a pas été établi que la décision attaquée reposerait sur une motivation inexacte ou serait fondée sur une appréciation erronée.
Sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'article 5 de la décision attaquée, en tant qu'il désigne M. de Rooij comme destinataire de ladite décision.
49. Les requérants soutiennent que pour l'application de l'article 85 du traité ou du règlement n° 17-62, l'entreprise en cause est exclusivement la société Remia et non pas la personne de M. de Rooij, ni à titre privé ni en sa qualité de signataire de l'accord, laquelle ne résulterait que d'une exigence purement formelle du droit néerlandais.
50. Cette argumentation ne saurait être retenue. Comme le souligne à juste titre la Commission, M. de Rooij était partie contractante à "l'accord sauces ", qui lui reconnaît, notamment dans les clauses 5 et 7, des droits qui lui sont propres et distincts de ceux de la société Remia. Par ailleurs, dans la notification adressée, le 1er juillet 1981, à la Commission, en vue d'obtenir une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, M. de Rooij est mentionné par les requérants eux-mêmes comme une entreprise participant à l'accord, au même titre que la société Nutricia. Il convient d'en déduire que M. de Rooij a joué un rôle qui lui est propre, aussi bien dans la conclusion de l'accord de cession que dans la signature de la clause de non-concurrence, et que cette circonstance justifiait qu'il fût désigné en qualité de destinataire de la décision attaquée. Les conclusions susvisées doivent donc être rejetées.
51. Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des conclusions du recours doit être rejeté.
Sur les dépens
52. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée au dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante qui a appuyé la partie défenderesse.
Par ces motifs,
LA COUR, (Cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) Les requérants sont condamnés aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.