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Décisions

CJCE, 20 mars 1985, n° 41-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République italienne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Royaume-Uni

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mackenzie Stuart

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Due, Kakouris

Avocat général :

M. Darmon.

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Joliet

CJCE n° 41-83

20 mars 1985

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 mars 1983, la République italienne a introduit, en vertu du l'article 173, alinéa 1, du traité, un recours tendant à l'annulation de la décision 82-861 de la Commission, du 10 décembre 1982, adoptée à l'égard de British Telecommunications, sur la base de l'article 86 du traité CEE (JO L 360, p. 36).

2. British Telecommunications, société de droit public instituée par le British Telecommunications Act de 1981, a pris la succession, le 1er octobre 1981, de l'United Kingdom Post Office, institué par le Post Office Act de 1969, - l'une et l'autre entreprises nationales étant appelées ci-après BT. Détenant le monopole légal de la gestion des systèmes de télécommunications au Royaume-Uni, BT a l'obligation de fournir, notamment, les services télex et téléphoniques. Sur la base des dispositions tant du Post Office Act que du British Telecommunications Act, BT exerce un pouvoir normatif en ce qui concerne les services de télécommunications au Royaume-Uni dont elle établit les tarifs et les conditions par la voie de règlements (schemes); ceux-ci sont publiés dans les London, Edinburgh et Belfast Gazettes.

3. BT a, par ailleurs, le statut international d'exploitation privée reconnue siègeant à l'un des organes permanents de l'UIT (Union Internationale des Télécommunications), instituée par la CIT (Convention Internationale des Télécommunications), signée le 2 octobre 1947 à Atlantic City (recueil des traités des Nations Unies, n° 2616, p. 188), révisée en dernier lieu le 25 octobre 1973 à Malaga-Torremolinos. Tous les Etats membres de la CEE sont parties à la CIT. En tant qu'exploitation privée reconnue à cet effet par le Royaume-Uni, BT participe aux travaux du CCITT (Comité Consultatif International Télégraphique et Téléphonique), aux côtés des administrations nationales de tous les Etats signataires de l'UIT qui y siègent de droit.

4. Le CCITT émet des avis sur les questions d'exploitations et de tarifications concernant la téléphonie et la télégraphie, adoptés sur la base des dispositions de la CIT et des règlements téléphonique et télégraphique (actes finals de la conférence administrative mondiale télégraphique et téléphonique, UIT, Genève 1973, qui, complétant les règles établies par cette dernière, conformément à son article 82, régissent l'usage des télécommunications).

5. Aux termes de l'article 6.3. du règlement télégraphique du 11 avril 1973 :

"Les administrations ou exploitations privées reconnues s'engagent à arrêter, dans leur bureau respectif, l'acceptation, la transmission et la remise des télégrammes adressés à des agences télégraphiques de réexpédition et autres organismes constitués en vue d'expédier des télégrammes au nom de tiers dans le but de soustraire ces correspondances au paiement intégral des taxes dues pour le parcours entier".

6. Sur la base et en application de cette disposition du règlement télégraphique, le CCITT a adopté, en octobre 1976, l'avis F 60 dont le paragraphe 3.5.2. contient les dispositions suivantes :

"Les administrations et exploitations privées reconnues doivent refuser de mettre les services télex à la disposition d'une agence télégraphique de réexpédition notoirement organisée pour transmettre ou recevoir des télégrammes destinés à être expédiés par télégraphe dans le but de soustraire ces correspondances au paiement intégral des taxes dues pour le parcours entier."

7. Invoquant ces dispositions, BT a entrepris de lutter contre le développement sur le territoire du Royaume-Uni, d'agences privées de réexpédition de messages qui ont offert au public un service nouveau consistant à recevoir et à transmettre, pour le compte d'autrui, un volume important de messages à des prix sensiblement inférieurs à ceux pratiqués sur la base des tarifs correspondant à l'usage traditionnel des lignes et systèmes de télécommunications.

8. Usant du pouvoir normatif qui lui était reconnu par la loi, BT a adopté en premier lieu les règlement T7-1975 et T1-1976. Si ces règlements laissaient les abonnés libres d'utiliser leur installation dans le but de transmettre ou de recevoir des messages pour compte d'autrui, ils prévoyaient, cependant, respectivement dans leurs articles 43, paragraphe 2-b-(iii) et 70, paragraphe 2-b-(iii), que lorsqu'un abonné relayait un message télex à la fois en provenance et à destination d'un pays étranger, il ne pouvait appliquer une taxation qui aboutirait à ce que l'auteur du message puisse l'expédier à meilleur compte que s'il l'avait transmis directement. Les parties s'accordent toutefois pour constater que BT n'a jamais assuré l'application effective de ces dispositions.

9. BT a complété par la suite cette réglementation en adoptant le règlement T1-1978, qui, entré en vigueur le 21 janvier 1978, contenait, en ses articles 44, paragraphe 2 (a) et 70, paragraphe 2 (b), l'interdiction pour les agences de réexpédition d'assurer à leur clientèle des services internationaux par lesquels :

a) des messages, sous forme de données, sont transmis ou reçus par le téléphone international et convertis en messages télécommuniqués sous forme de télex, de fac-similés, sous forme écrite ou toute autre forme visuelle;

b) des messages télex transitent entre des lieux situés en dehors du Royaume-Uni ou de l'île de Man;

c) des messages télex sont transmis ou reçus par l'intermédiaire d'autres agences de réexpédition de messages.

Les dispositions précitées du règlement T1-1978 ont été intégralement reprises par un nouveau règlement de 1981 qui a annulé et remplacé tous les règlements précédents.

10. Par sa décision 82-861 du 10 décembre 1982, la Commission a déclaré que les règlements précités constituaient des infractions à l'article 86 du traité, et que BT était tenue d'y mettre fin dans un délai de deux mois suivant la notification de cette décision, pour autant que les infractions constatées subsistaient encore.

11. Dans les motifs de sa décision, la Commission fait valoir que les restrictions imposées par BT et les sanctions qui peuvent résulter de leur violation, à savoir l'interruption ou la déconnection des équipements fournis, empêchent les agences de réexpédition de messages de fournir certains services au détriment de leurs clients établis dans d'autres Etats membres, soumettent l'usage des équipements téléphoniques et télex à des obligations sans lien avec l'attribution des services téléphoniques ou télex, et infligent à ces agences un désavantage dans la concurrence par rapport aux autorités et agences nationales des autres Etats membres qui ne sont pas soumis aux mêmes règles.

12. En dépit des infractions constatées, la Commission a considéré toutefois que, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, tenant notamment au respect des engagements internationaux et à la circonstance que BT n'a pas sanctionné la violation des restrictions en cause en déconnectant les installations des agences de transmission de messages, aucune amende ne devait être infligée à BT.

13. Au soutien de ses conclusions en annulation de la décision précitée de la Commission, la République italienne conteste, en premier lieu, que les règlements litigieux aient pu légalement être appréciés au regard de l'article 86 du traité. A cet égard, la requérante fait valoir, d'une part, que l'activité réglementaire d'un organisme de droit public ne saurait être considérée comme une activité d'entreprise, au sens de l'article 86 du traité, et d'autre part, qu'en raison du monopole légal dont elle dispose, l'article 222 du traité ne permettait pas d'appliquer les règles communautaires de la concurrence à BT.

14. La République italienne conteste, en second lieu, que les règlements litigieux puissent être légalement regardés comme contraires à l'article 86 du traité, dans la mesure où, d'une part, ils tendent à riposter à des pratiques déloyales des agences privées de réexpédition; où, d'autre part, en tant qu'entreprise publique visée par l'article 90, alinéa 2, du traité, les règles communautaires de la concurrence ne peuvent être appliquées à BT que dans certaines limites; où enfin, les dispositions précitées de la CIT imposaient à BT de prendre les mesures critiquées.

15. La République italienne soutient en dernier lieu que la décision attaquée n'est pas suffisamment motivée.

I - Sur les moyens visant à contester la possibilité d'apprécier, au regard de l'article 86 du Traité, les règlements pris par BT

1) L'applicabilité des règles communautaires de concurrence eu égard à l'activité visée par la décision litigieuse

16. La République italienne fait valoir que l'article 86 du traité s'applique uniquement à une activité d'entreprise exercée au moyen des formes du droit privé et non pas à l'activité réglementaire exercée, sur le fondement d'un texte législatif, par un service public géré dans des conditions fixées par la puissance publique. Dans la mesure où la décision attaquée vise, non pas des comportements adoptés par BT en tant qu'organisme de gestion d'installations ou fournisseur de services de télécommunications aux usagers, mais l'activité réglementaire qu'elle exerce en vertu du Post Office Act de 1969 et du British Telecommunications Act de 1981, la requérante estime que la Commission a détourné l'article 86 de son objet. L'activité réglementaire incriminée ne pourrait, éventuellement, que donner lieu à une action dirigée contre le Royaume-Uni, sur la base des articles 90 ou 169 du traité.

17. La Commission, soutenue en ses conclusions et arguments par le Royaume-Uni fait valoir que la prestation de services de télécommunications est une activité d'entreprise. Si la loi britannique a conféré à BT le pouvoir d'utiliser la forme réglementaire, c'est uniquement pour fixer les prix et conditions auxquels les services de télécommunications sont offerts. Les règlements en cause remplissent donc la même fonction que des clauses contractuelles et ils ont été adoptés librement par BT en vertu de son pouvoir autonome sans aucune intervention de l'autorité publique britannique. A supposer même que la responsabilité du Royaume-Uni puisse être engagée en l'espèce, cette circonstance pourrait tout au plus avoir pour effet d'atténuer la responsabilité de l'entreprise eu égard au montant de l'amende, mais non pas d'exclure l'application des règles communautaires de la concurrence à son encontre.

18. Il convient de noter en premier lieu, que la requérante ne conteste pas, qu'en dépit de son statut d'entreprise nationale, l'activité par laquelle BT gère les installations publiques de télécommunications et les met, moyennant le paiement de redevances, à la disposition des usagers, constitue bien une activité d'entreprise soumise comme telle aux obligations de l'article 86 du traité.

19. Il convient d'observer, en second lieu, qu'en vertu, successivement de l'article 28 du Post Office Act de 1969 puis de l'article 21 du British Telecommunications Act de 1981, le pouvoir conféré à BT de prendre des règlements se trouve strictement limité aux seules dispositions visant à fixer le tarif et autres modalités et conditions des prestations qu'elle fournit aux usagers. Eu égard aux termes de ces dispositions, il convient de reconnaître, en outre, que le législateur britannique n'a en aucune manière déterminé par avance le contenu des règlements en cause qui est fixé librement par BT.

20. Dans ces conditions, les règlements visés par la décision attaquée doivent être regardés comme faisant partie intégrante de l'activité d'entreprise de BT.Le moyen tiré de ce que la Commission ne pouvait légalement apprécier leur conformité avec l'article 86 du traité doit donc être rejeté.

2) L'applicabilité des règles communautaires de concurrence eu égard à la position de monopole détenue par BT

21. La requérante fait valoir, qu'en vertu de l'article 222 du traité, aux termes duquel ce dernier "ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les Etats membres", les Etats membres sont libres de déterminer dans leur ordre interne les activités qui sont réservées au secteur public et de créer des monopoles nationaux. Aussi BT a-t-elle le droit de préserver son monopole en empêchant l'activité d'agences privées désireuses de fournir des services relevant de ce monopole. En condamnant les règlements adoptés à cet égard par BT pour incompatibilité avec l'article 86, la Commission aurait donc violé l'article 222 du traité.

22. Il ressort du dossier que si BT dispose du monopole légal de gérer, sous réserve de certaines exceptions, les réseaux de télécommunications et de les mettre à la disposition des usagers, elle ne détient pas de monopole en matière de fourniture de services annexes, tel que celui de la retransmission de messages pour le compte d'autrui. En tout état de cause, il y a lieu d'observer que les règlements adoptés par BT n'ont pas pour objet de faire disparaître des agences privées qui seraient créées en violation de son monopole, mais visent seulement à modifier les conditions dans lesquelles ces agences exercent leur activité. Il convient donc d'admettre que l'article 222 du traité ne faisait pas obstacle à ce que la Commission appréciât les règlements en question au regard de l'article 86 du traité.

23. Le moyen tiré de la violation de l'article 222 du traité doit donc être rejeté.

II - Sur les moyens visant à établir que les règlements adoptés par BT ne sont pas contraires à l'article 86 du Traité

1) Les règlements adoptés par BT correspondraient à la nécessité d'éviter une utilisation abusive des installations de télécommunications par les agences privées de réexpédition

24. La République italienne a exposé, tant dans ses mémoires écrits que lors des débats menés devant la Cour, que les agences privées de réexpédition de messages installées sur le territoire du Royaume-Uni feraient un usage abusif du réseau public de télécommunications. Cet usage abusif résulterait, en premier lieu, d'une utilisation anormale de "circuits point" à point c'est-à-dire de circuits publics loués à des particuliers pour leur usage exclusif, à un tarif forfaitaire tenant compte de la quantité de messages transmis normalement par cette catégorie d'usagers. En transmettant sur de tels circuits des messages pour le compte de tiers, les agences en cause échapperaient aux conditions normales de tarification. Ces agences abuseraient également du réseau public en utilisant des appareillages spéciaux permettant, grâce à l'informatique, de passer un grand nombre de messages dans un très court laps de temps. Ces pratiques causeraient un préjudice d'autant plus grave au fonctionnement correct du système international de télécommunications qu'elles sont mises en œuvre sur les lignes où le trafic est le plus intense. BT pouvait donc, sans méconnaître l'article 86 du traité, prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à de telles activités illicites.

25. La Commission et le Royaume-Uni contestent que les agences de réexpédition fassent usage de "circuits point à point". Le fait que ces agences utilisent de nouveaux procédés techniques et introduisent un mininum de concurrence dans le trafic international des télécommunications, ne saurait à lui seul constituer un abus.

26. Il suffit, à cet égard, de relever que ni les pièces du dossier ni les débats menés devant la Cour n'ont confirmé que les agences de réexpédition de messages installées au Royaume-Uni feraient un usage abusif des réseaux publics de télécommunications. D'une part, il n'a pas été établi que ces agences se servent de "circuits point à point" en vue de retransmettre des messages pour le compte de tiers. D'autre part, le recours à une technologie nouvelle permettant une transmission accélérée des messages constitue un progrès technique conforme à l'intérêt général et ne saurait être regardé, par lui-même, comme constitutif d'un abus. La République italienne n'a d'ailleurs pas soutenu que les agences de réexpédition tenteraient d'échapper au paiement des taxes correspondant à leur durée d'utilisation effective du réseau public.

27. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les règlements litigieux trouveraient leur justification dans de prétendus abus commis par les agences privées de réexpédition, doit être rejeté.

2) Les mesures adoptées par BT entreraient dans le cadre des dérogations au respect des règles de concurrence contenues à l'article 90, paragraphe 2, du traité, au profit des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général.

28. Selon la requérante, la Commission a méconnu les termes du traité dans la mesure où elle a considéré que son article 90, paragraphe 2, n'était pas applicable dans le cas d'espèce.

29. Avant d'examiner le bien fondé de ce moyen, il faut observer que la Commission déclare éprouver des doutes sur la possibilité pour la requérante d'invoquer ce moyen. L'article 90, paragraphe 2 du traité, qui vise à préserver les tâches qu'un Etat membre juge opportun de confier à un organisme déterminé, supposerait une confrontation délicate entre intérêts opposés qui met en jeu des faits et évaluations propres à l'Etat membre intéressé, auxquels d'autres Etats membres sont étrangers, dont ils n'ont pas la charge, et qu'ils n'ont donc pas intérêt à défendre.

30. Il convient de rappeler, à cet égard, qu'en vertu de l'article 173, alinéa 1, du traité, les Etats membres peuvent former des recours contre tout acte décisoire de la Commission, de nature réglementaire ou individuelle, et invoquer notamment la violation de toute stipulation du traité à l'appui de leurs conclusions. On doit observer, en outre, que l'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité n'est pas laissée à la discrétion de l'Etat membre qui a chargé une entreprise de la gestion d'un service d'intérêt économique général. L'article 90, paragraphe 3, confie en effet à la Commission, sous le contrôle de la Cour, une mission de surveillance en la matière. On ne saurait, dans ces conditions, exclure l'article 90, paragraphe 2, du traité des dispositions dont la violation peut être invoquée par tout Etat membre à l'appui d'un recours en annulation.

31. Selon la République italienne, la Commission compromet l'accomplissement de la mission impartie à BT en déclarant que les règlements adoptés par celle-ci sont contraires au droit communautaire.

32. La requérante invoque à cet égard un premier argument tiré de ce que l'activité des agences privées de réexpédition causerait un préjudice économique au service public britannique des télécommunications.

33. Il y a lieu d'observer que si la rapidité de la transmission des messages permise par l'évolution des technologies conduit sans doute à une certaine diminution des recettes pour BT, l'existence des agences privées de réexpédition au Royaume-Uni attire vers le réseau public britannique, comme le fait observer la requérante elle-même, un certain volume de messages internationaux et les recettes y afférentes. La République italienne n'a nullement établi que le bilan global des activités de ces agences au Royaume-Uni était négatif pour BT et que la condamnation par la Commission des règlements litigieux compromettrait, d'un point de vue économique, l'accomplissement de la mission particulière confiée à BT.

34. La République italienne invoque un second argument tiré de la nécessité d'une coopération mondiale mise en place par l'UIT afin d'assurer un déroulement régulier des services internationaux des télécommunications et de l'attente légitime des autres administrations nationales de voir respecter les règles internationales en vigueur visant à faire obstacle à l'activité des agences privées de réexpédition de messages. En empêchant BT de satisfaire pleinement aux obligations de cette coopération internationale, la décision attaquée risquerait encore de compromettre l'accomplissement de la mission particulière confiée à cette entreprise nationale.

35. Cet argument pose en réalité la question de savoir si la CIT ou son droit dérivé imposait ou non à BT de prendre les mesures litigieuses. Il rejoint très exactement le troisième moyen invoqué par la République italienne pour démontrer que BT n'était pas tenue, en l'espèce, de respecter les règles communautaires de concurrence, et doit donc être examiné ci-après.

3) La CIT et son droit dérivé imposeraient à BT de faire obstacle, comme elle l'a fait, à l'activité des agences privées de réexpédition fonctionnant au Royaume-Uni.

36. La République italienne fait valoir que la Commission a méconnu les termes de l'article 234 du traité. Cette disposition règlerait, en effet, le conflit éventuel entre les dispositions de droit communautaire et les normes de droit international qui leur ont préexisté, dans le sens de la primauté de ces dernières sur les premières. Or, selon la requérante, les dispositions de la CIT et de ses règlements administratifs ont de tout temps interdit aux administrations nationales de tolérer des détournements de trafics internationaux de messages télégraphiques ou téléphoniques, lorsque ceux- ci sont provoqués par des agences privées de réexpédition dans le but de soustraire les correspondances au paiement intégral des taxes dues pour le parcours entier. En vertu des dispositions, d'une part, de l'article 6.3. du règlement télégraphique de 1973, et d'autre part, de l'avis F 60 du CCITT, BT était tenue de prendre les règlements condamnés par la Commission.

37. La Commission et le Royaume-Uni exposent que les dispositions en cause tendent exclusivement à faire échec au phénomène consistant à soustraire les correspondances au paiement intégral des taxes dues pour le parcours entier et non pas à interdire le transit d'un message par un pays tiers du seul fait que le message encourt ainsi le paiement d'une taxe moins élevée. Elles ne sauraient donc justifier les règlements pris par BT.

38. La Commission fait valoir, en outre, que l'article 234 du traité ne serait pas applicable dans la mesure où la CIT a été révisée à Malaga-Torremolinos, le 25 octobre 1973, c'est-à-dire à une date postérieure à l'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés. Les arguments présentés par la requérante sur la similitude des dispositions en vigueur avant cette date seraient sans pertinence dans la mesure où, lors de chaque révision, les Etats membres de l'UIT recouvrent leur liberté et prenant un nouvel engagement. A supposer toutefois qu'il existe des règles internationales antérieures au traité CEE imposant le comportement reproché à BT, l'article 234 ne neutraliserait l'interdiction de l'article 86 du traité que dans la mesure où le respect de cette dernière disposition empêcherait un Etat membre de remplir ses obligations à l'égard de pays tiers.

39. Le Royaume-Uni, qui déclare ne pas partager la position de la Commission à propos de la révision, postérieure à l'adhésion d'un Etat membre aux Communautés, d'un traité international conclu antérieurement au traité CEE, fait valoir pour sa part que, conformément à l'arrêt du 27 février 1962 (Italie c/ Commission, 10-61, Rec. p. 1), les Etats membres renoncent, en vertu de l'article 234 du traité, à tous droits découlant d'un traité antérieur qui sont contraires aux règles communautaires. Dans la mesure où BT n'a procédé à aucune distinction entre les obligations internationales et communautaires du Royaume-Uni et où, par conséquent, elle n'a pas limité les effets de ses règlements aux activités des agences de réexpédition qui portent atteinte aux activités correspondantes dans les pays tiers, les règlements en cause constitueraient bien des infractions à l'article 86 du traité.

40. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si les dispositions précitées de l'article 6.3. du règlement télégraphique de 1973 ou celles de l'avis F 60 du CCITT avaient ou non un effet obligatoire à l'égard de B.T., il suffit de relever que lesdites dispositions ont un objet et un contenu différents de ceux des règlements de BT condamnés par la Commission.

41. En effet, il résulte de leurs termes mêmes que l'article 6.3. du règlement télégraphique aussi bien que l'avis F 60 du CCITT visent uniquement à faire obstacle à l'activité d'agences de réexpédition de messages "constituées" ou "notoirement organisées", en vue de soustraire des correspondances au paiement intégral des taxes dues pour le parcours entier. Les mesures envisagées par ces dispositions ne peuvent donc concerner que des agences qui, grâce à des procédés abusifs, tentent de faire échapper certains messages au paiement intégral des taxes dues.

42. Dans la mesure où un Etat membre, ou une exploitation privée reconnue à laquelle un Etat membre a confié la gestion des services de télécommunications, admet des activités de transmission non abusives au sens défini ci-dessus et donc non interdites par les dispositions précitées, il ne saurait être question d'une violation par les Etats intéressés d'engagements pris au niveau international.

43. Il résulte des considérations qui précèdent que les règlements de BT avaient un objet différent de celui poursuivi par les dispositions précitées du règlement télégraphique et de l'avis du CCITT, et visaient des agences privées de réexpédition de messages dont l'activité ne présentait aucun caractère abusif.

44. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la CIT et son droit dérivé faisaient obligation à BT de prendre les règlements litigieux doit, en tout état de cause, être rejeté.

III - Sur le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision litigieuse

45. La République italienne fait valoir que l'obligation de motiver les décisions, contenue à l'article 190 du traité, a été violée, la Commission n'ayant pas indiqué les raisons pour lesquelles elle avait considéré que :

le monopole légal de BT était contraire au droit communautaire;

l'exercice d'un pouvoir normatif pouvait correspondre à une activité d'entreprise;

les règles communautaires de la concurrence primaient les règles internationales antérieures.

46. Il convient de rappeler, en premier lieu, que selon une jurisprudence constante de la Cour, la motivation d'une décision faisant grief doit permettre à la Cour d'exercer son contrôle sur la légalité et fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non bien fondée. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte, au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité, peuvent avoir à recevoir des explications.

47. Il y a lieu d'observer, ensuite, que la décision attaquée ne conteste en aucune manière la compatibilité avec la droit communautaire du monopole légal de BT. Aucune motivation n'avait donc à être formulée par la Commission sur ce point.

48. S'agissant enfin des deux autres points contestés par la République italienne, il ressort des considérants de la décision attaquée que la Commission a d'abord relevé que BT, société de droit public, était une entité économique, exerçant des activités de nature économique et constituait, en tant que telle, une entreprise au sens de l'article 86 du traité. La Commission a noté, en outre, que si elle admettait l'argument de BT selon lequel la coopération internationale et le respect des engagements internationaux sont des éléments essentiels dans la prestation efficace de services internationaux de communication, une telle coopération ne saurait aller toutefois jusqu'à autoriser une violation des règles de concurrence du traité.

49. Cette motivation satisfait aux exigences de l'article 190 du traité, en ce qu'elle permet à la Cour d'exercer son contrôle et aux intéressés de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués.

50. Dans ces conditions, le moyen tiré d'une motivation insuffisante doit être rejeté.

51. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours de la République italienne doit être rejeté.

Sur les dépens

52. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République italienne ayant succombée, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête :

1. Le recours est rejeté.

2. Les dépens sont mis à la charge de la République italienne.