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Décisions

CCE, 12 décembre 1983, n° 83-670

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Nutricia - Zuid Hollandse Conservenfabriek

CCE n° 83-670

12 décembre 1983

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de la Grèce, et notamment son article 3 paragraphe 1 et son article 6, vu la notification faite à la Commission des Communautés européennes, les 30 juin et 17 juillet 1981, par la NV Verenigde Bedrijven Nutricia à Zoetermeer, conformément à l'article 4 du règlement n° 17, des accords qu'elle avait conclus le 31 août 1979 avec le Drs. F.A. de Rooij, d'Amersfoort, d'une part, et le 6 juin 1980 avec la Zuid Hollandse Conservenfabriek à Breda, de l'autre, vu les demandes adressées aux mêmes dates à la Commission par Nutricia, tendant à obtenir l'exemption desdits accord au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE, vu la décision de la Commission, du 3 novembre 1982, d'engager la procédure dans ces affaires, après avoir donné aux entreprises intéressées, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17, et au règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2), l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus contre elles, après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes recueilli, considérant ce qui suit:

I. LES FAITS

(1) Les notifications ont trait aux clauses de non-concurrence contenues dans des accords prévoyant la cession, par Verenigde Bedrijven Nutricia NV, ci-après dénommée "Nutricia", de deux de ses filiales : Remia BV, vendue au Drs. de Rooij et Luycks Producten BV, vendue à la Zuid-Hollandse Conservenfabriek (ci-après dénommés "Zuid") (les entreprises cédées sont ci-après dénommées "Remia" ou "New Remia", et "Luycks" ou "Luycks Zuid", suivant que la période de référence est antérieure ou postérieure aux acquisitions notifiées).

(2) Nutricia, qui fabrique des produits alimentaires diététiques et pour enfants, avait acheté ces deux filiales en 1974. Remia, qui appartenait avant 1974 à la famille de Rooij, produisait des sauces, des margarines et des produits de base pour la boulangerie. De son côté, Luycks produisait également des sauces, ainsi que des condiments et assaisonnements, notamments du vinaigre et de la moutarde.

(3) Après avoir acquis Remia et Luycks, Nutricia avait centralisé les fonctions de vente tout en maintenant, au départ, les outils de production existants. Les fonctions de vente étaient assurées, au nom du groupe Nutricia, par quatre départements de vente dont deux, qui constituaient le département ventes de Luycks, vendaient des sauces, des condiments et assaisonnements et les deux autres, qui constituaient le département ventes de Remia, vendaient des huiles et des graisses et exportaient tous les produits du groupe.

(4) Après quelques années d'une exploitation rentable, Luycks s'est trouvée en déficit à partir de 1977 et Remia à partir de 1982. Nutricia a réaménagé ses outils de production conformément à l'avis de conseillers externes. Elle a concentré la production de sauces chez Remia, tout en confiant à Luycks la production des condiments et assaisonnements (y compris les condiments fabriqués jusqu'alors par une autre filiale de Nutricia.

La réorganisation répondait en partie au souhait de faciliter la cession de Remia et de Luycks, Nutricia désirant se consacrer à sa production de base, à savoir les aliments diététiques et pour enfants.

(5) Remia fut vendue au Drs. de Rooij le 31 août 1979 et Luycks à Zuid, le 6 juin 1980. Zuid est une filiale à part entière du groupe Campbell qui est, en Amérique du Nord, le premier fabricant de soupes en boîte et en sachets. Le groupe n'occupe pas la même position en Europe, mais a décidé d'y étendre ses opérations. Campbell possède dans la Communauté économique européenne six filiales, entièrement contrôlées ou en partie, établies au Royaume-Uni, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie et en Belgique.

Les marchés

(6) Des statistiques détaillées et comparables font défaut pour ce qui est du marché des sauces et des condiments. Si les grandes sociétés y sont souvent prédominantes, les petits producteurs sont nombreux et la tendance à la concentration du commerce alimentaire, qui se manifeste dans la plupart des pays de la Communauté économique européenne, dont les Pays-Bas, fait qu'une partie importante de ce commerce passe aujourd'hui par les "marques de distributeurs", c'est-à-dire des produits dont le fabricant reste dans l'anonymat mais qui portent la marque commerciale du distributeur. Aussi est-il parfois difficile de définir avec précision les parts de marché qui reviennent aux divers fabricants.

(7) Les produits sont d'une fabrication aisée et les techniques sont bien connues. Techniquement, l'accès au marché ne pose donc guère de problèmes. Les sauces et les condiments et assaisonnements ne sont pas tous substituables les uns aux autres ; au demeurant, les goûts et les schémas de consommation varient considérablement d'une région à l'autre.

(8) Abstraction faite des "marques de distributeurs", les ventes de sauces et de condiments se font suivant deux voies : le marché des petits consommateurs et celui des gros consommateurs, c'est-à-dire des hôtels, restaurants et hôpitaux.

Le marché des petits consommateurs se caractérise par des conditionnements de petite taille et par ses marges souvent plus importantes, qui viennent compenser des coûts de promotion plus élevés. Les produits de marque vivent de leur notoriété et de la confiance de leur clientèle, ainsi que de l'intérêt qu'ils suscitent auprès des consommateurs. Les innovations sont rares, mais elles sont soutenues par de vastes campagnes de promotion. De ce fait, les petites entreprises sont désavantagées lorsqu'elles vendent des produits de marque. Il reste que la promotion agressive d'une marque peut contribuer à faire connaître le produit en général tout autant que la marque promue, bien que son but essentiel, qui est certes réalisable, est de modifier le choix du consommateur et, partant, les conditions du marché.

Quant au marché des gros consommateurs, il se distingue par la grande taille de ses conditionnements, une clientèle soucieuse de procéder à des achats à bas prix (qui réduisent les marges), mais aussi par une promotion moins coûteuse.

(9) Nutricia estimait qu'en 1978, Remia s'attribuerait pour ses ventes de sauces, ... % (3) du marché des gros consommateurs et Luycks, ... % du même marché, plus ... % de ventes sous les "marques de distributeurs". Si le plan de marketing de 1977/1978 tenait compte de huit concurrents sur ce marché, les quatre premiers fournisseurs y intervenaient ensemble pour 65 %. À l'époque, Luycks estimait que le volume de ses ventes aux Pays-Bas atteignait ... % pour les oignons glacés, ... % pour les cornichons, ... % pour la moutarde et ... % pour le vinaigre. Les parts de marché ainsi estimées n'avaient pas évolué sensiblement en 1980/1981 (après la cession à Zuid).

Commerce entre États membres

(10) Pour les trois principaux groupes de produits, une part considérable des échanges intracommunautaires, est détenue par les Pays-Bas ; en 1982, ceux-ci ont importé pour 11 millions d'Écus et exporté pour 37 millions d'Écus (voir tableau). En 1977 et 1978, Luycks a exporté vers la république fédérale d'Allemagne des sauces pour une valeur estimée de ... florins néerlandais, soit ... Écus, et ... florins néerlandais, soit ... Écus, respectivement, ce qui représente une croissance considérable de 65 %.

<emplacement tableau>

La position de New Remia

(11) Lors de la cession, en 1979, New Remia présentait l'avantage potentiel d'être bien établi sur le marché, surtout auprès des grands consommateurs ; du côté des petits consommateurs, sa force résidait surtout dans ses sauces pour frites. Son effectif de ventes était insuffisant sur le marché des petits consommateurs, par suite de la centralisation. À noter que New Remia a repris une partie des vendeurs de Nutricia et si elle ne les a pas repris tous cela résulte apparemment d'une décision de New Remia.

(12) Les marques commerciales établies ont une grande valeur et, comme on le verra, New Remia obtenait le droit d'utiliser la marque Luycks pendant une période déterminée, qu'elle pourrait mettre à profit pour conserver la clientèle fidèle à la marque pendant qu'elle introduirait sur le marché une marque de remplacement. New Remia choisit pour sa marque de remplacement le nom de "Macmillan", que Luycks utilisait jusqu'en 1977 environ comme marque "B" (bas de gamme). Nutricia ne pouvait évidemment céder à New Remia la marque "Luycks", dont elle voulait continuer à faire usage pour les condiments et assaisonnements. La Commission relève que New Remia a abandonné l'usage de la marque "Luycks" sans avoir introduit, entre-temps, la marque "Macmillan", qui aurait peut-être aidé les clients à mieux admettre le remplacement d'une marque par l'autre.

(13) En 1981/1982, New Remia s'attribuait environ ... % du tonnage des ventes de sauces pour frites (notamment aux petits consommateurs, mais à l'exclusion des "marques de distributeurs"), alors que les parties estimaient à ... % et ... % respectivement les parts revenant à leurs concurrents les plus directs. New Remia n'est pas représentée, sinon marginalement, sur les sous-marchés des autres types de sauces : sauces pour salades, mayonnaise, ketchup et autres sauces de table. Deux autres firmes se partagent la moitié du marché de la mayonnaise et trois autres la moitié du marché des sauces pour salades.

(14) New Remia paraît avoir conservé, après la cession, la part de Luycks sur le marché des "marques de distributeurs" sans rencontrer le même succès, à cet égard, sur le marché des produits de marque. Ses ventes paraissent avoir été sérieusement affectées par l'obligation de changer de marque au bout de deux ans. Il semblerait que New Remia ne soit pas parvenue à rallier tous les anciens clients de Luycks autour de la marque "Macmillan".

La position de Luycks-Zuid

(15) Les renseignements fournis par Luycks-Zuid au sujet de la situation actuelle sont nombreux. Le bureau-conseil auquel Nutricia s'était adressée avant de se prononcer sur la cession à Zuid l'avait informée de ce que la gamme initiale de condiments et assaisonnements fabriqués et vendus par Luycks avait peu de chances d'être viable à moins d'être complétée par d'autres condiments. Le conseil paraît avoir été valable, puisque Luycks-Zuid souhaite aujourd'hui fabriquer des sauces. À ce jour, Luycks-Zuid n'est pas parvenue à augmenter sa part du marché.

L'accord du 31 août 1979 cédant Remia BV au Drs. de Rooij (accord "sauces")

(16) L'accord "sauces" prévoyait, en ses clauses 3 et 4, qu'au 1er octobre 1979, Nutricia céderait au Drs. de Rooij ses actions dans la Remia BV, de même que le droit exclusif de vendre les produits de consommation fabriqués par ou pour le compte de Remia et le droit exclusif de vendre aux Pays-Bas les sauces fabriquées par ou pour le compte de Luycks, Nutricia se portait fort du respect de cette dernière clause par Luycks. Les accords visent, en l'occurrence, la sauce pour frites, la mayonnaise, l'assaisonnement pour salades, la sauce garniture, la sauce paprika, la sauce saté, le ketchup, la sauce curry, la sauce pour fricadelles, la sauce pour barbecue et les mélanges de ces sauces. Aux termes de la clause 5 de l'accord "sauces", Nutricia s'engageait à s'abstenir, jusqu'au 30 septembre 1989, de toute vente ou production directes ou indirectes de sauces sur le marché néerlandais et se portait fort du respect de cette abstention par Luycks. À titre transitoire, Luycks était autorisée à fabriquer et à vendre des sauces pour l'exportation et même, dans une mesure fort restreinte, pour le marché néerlandais, mais seulement jusqu'au 1er juillet 1980.

(17) La clause 6 de l'accord "sauces" octroyait au Drs. de Rooij, pendant les deux années s'achevant le 1er octobre 1981, le droit non exclusif de vendre les sauces susmentionnées au secteur de l'hôtellerie et de la restauration sous la marque "Luycks".

(18) D'après New Remia, la clause de non-concurrence a été inscrite dans l'accord "sauces" en raison surtout de l'organisation particulière du marketing et des ventes qui existait chez Nutricia au moment de l'accord et que la cession de la firme venait changer.

L'accord du 6 juin 1980 cédant Luycks Producten BV à Zuid (accord "condiments") (19) L'accord "condiments" renferme en fait deux accords : un accord de cession des actions, aux termes duquel Nutricia vendait l'entreprise Luycks à Zuid avec effet au 4 juillet 1980, et un accord d'entreprise commune qui transférait le département centralisé de ventes de Nutricia à une société commune pendant une durée d'un an prenant fin le 1er juin 1981.

(20) La société Luycks, en tant que filiale de Nutricia, n'avait pas disposé d'un effectif de vente propre ; l'arrangement précité permettait à Luycks-Zuid de tirer le meilleur profit possible de son acquisition. Les activités non exclusives de distribution et de vente effectuées par l'entreprise commune ne concernaient que le marché néerlandais et les exportations vers la Belgique et la république fédérale d'Allemagne. Zuid était tenue de renoncer à sa participation dans la filiale commune à la date du 1er juin 1981.

(21) La clause IX. 1 de l'accord de cession d'actions obligeait Nutricia à s'abstenir, pendant cinq ans, directement ou indirectement, de toute production ou vente de condiments ou assaisonnements dans les pays européens, sous peine d'une amende dont le montant était précisé dans l'accord. Nutricia conservait le droit de vendre certains produits en gros, mais le droit de vendre au détail et aux marchés des gros consommateurs était expressément exclu. La clause V.1.f étendait à Luycks-Zuid la restriction prévue à la clause 5 de l'accord "sauces".

II. APPRÉCIATION JURIDIQUE

A. Article 85 paragraphe 1 du traité CEE

(22) L'article 85 paragraphe 1 dispose que sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.

(23) L'accord "sauces" et l'accord "condiments" ont été conclus entre des entreprises au sens de l'article 85 paragraphe 1. Drs. de Rooij, qui a signé l'accord de cession de Remia en tant que futur propriétaire, est aussi une entreprise au sens de ladite disposition.

(24) La clause 5 de l'accord "sauces", aux termes de laquelle Nutricia renonçait à produire ou à vendre des sauces sur le marché néerlandais pendant dix ans et s'engageait à étendre cette restriction à Luycks, empêchait le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun tant entre les parties qu'entre la partie renonçante et les autres concurrents.

(25) La clause V.1.f de l'accord "condiments" qui étendait à Luycks-Zuid la restriction imposée à Nutricia par l'accord sauces et sa clause IX.1 par laquelle Nutricia renonçait à produire ou à vendre des condiments, pendant cinq ans, dans tout pays européen, empêchaient également le jeu de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1.

Toutes les restrictions de concurrence de ce type ne tombent cependant pas sous le coup de l'article 85 paragraphe 1.

(26) La Commission a déjà, dans sa décision 76-743-CEE Reuter/BASF (4), conclu que lorsque la cession d'une affaire porte non seulement sur des biens corporels, mais aussi sur l'achalandage et la clientèle, il peut être nécessaire d'imposer des restrictions de concurrence au vendeur. En pareil cas, l'interdiction de concurrence imposée au vendeur est un moyen légitime de garantir le respect de l'engagement qu'il a pris de céder, dans sa totalité, la valeur commerciale de l'entreprise.

(27) Toutefois, la protection de l'acquéreur ne peut être illimitée. Elle doit se borner au minimum objectivement nécessaire pour que l'acquéreur puisse reprendre, en se montrant un concurrent actif, la place que le vendeur occupait précédemment sur le marché. Si le minimum objectif s'avère insuffisant, dans un cas d'espèce, à la suite des décisions de gestion antérieures prises par l'acquéreur lui-même, il n'y a pas le motif à étendre la période de protection ; de même, l'on ne peut empêcher le vendeur de revenir sur le marché à l'expiration de cette période (quelle qu'en soit la durée), à un moment où sa position vis-à-vis de l'acquéreur n'y est pas plus favorable que celle de tout autre nouveau venu.

(28) Il est impossible de définir une fois pour toutes le laps de temps qui constitue une période de protection adéquate. Chaque période de non-concurrence doit être appréciée dans le contexte qui lui est propre.

Les critères suivants déterminent, parmi d'autres, la durée objectivement nécessaire de pareilles clauses:

a) le temps nécessaire à l'acquéreur d'une affaire pour se constituer une clientèle;

b) le rythme auquel le consommateur change de marque et, dans la mesure où il est fidèle à la marque, de type, sur le marché en cause;

c) le temps nécessaire pour que le consommateur s'habitue aux nouveaux produits ou aux nouvelles marques introduits sur le marché;

d) la période pendant laquelle, après la vente de l'affaire, le vendeur, en l'absence d'une clause restrictive, resterait capable de reparaître sur le marché et d'y reprendre en mains son ancienne clientèle.

(29) La durée des dispositions accessoires, telles que le droit temporaire accordé à l'acquéreur d'utiliser les marques du vendeur ou son effectif de vente, peut également constituer une indication utile quant à la période nécessaire pour parfaire la cession à l'acquéreur de l'achalandage et de la clientèle du vendeur.

(30) Le marché géographique où s'exerce l'interdiction de concurrence doit lui aussi être limité au minimum objectivement nécessaire pour atteindre le but précité. En règle générale, il s'étendra donc aux seuls marchés sur lesquels les produits visés étaient fabriqués ou vendus au moment de la conclusion des accords.

Les restrictions contenues dans l'accord "sauces"

(31) En l'espèce, la Commission tient compte également de ce que les produits visés ne sont pas d'une haute technicité et qu'aucun autre obstacle ne justifie l'octroi à l'acquéreur d'une protection particulière. Les parties ont manifestement cru que deux ans suffiraient à New Remia pour introduire sa propre marque sur le marché tout en utilisant la marque "Luycks" et pour s'attacher la clientèle. La confiance de celle-ci eût été facilement remise en question si Nutricia (Luycks-Zuid) avait pu revenir sur le marché après une période d'absence de deux ans à peine, en faisant usage de la marque "Luycks". Une période supplémentaire de deux ans paraît objectivement nécessaire pour permettre à New Remia de mieux s'attacher la nouvelle clientèle. En l'occurrence et compte tenu notamment des documents internes témoignant de l'optique des parties au moment où l'accord fut conclu, une durée de quatre ans paraît constituer un maximum. Il est certain qu'une période de dix ans ne répond à aucune nécessité objective et qu'à cet égard, les dispositions visées de l'accord "sauces" tombent sous le coup de l'article 85 paragraphe 1. Dans la mesure où le personnel de vente non transféré représentait, par les contacts qu'il avait établis avec la clientèle, un élément de l'achalandage entrant dans la cession, il a été renoncé à cet élément et aucune protection ne peut être invoquée de ce chef.

(32) L'extension à Luycks-Zuid de la restriction décennale imposée à Nutricia ne vaut plus dès l'instant où la restriction ne vaut pas pour Nutricia. Certes, Nutricia avait manifesté l'intention de sortir du marché tandis que Luycks-Zuid manifestait celle de s'introduire sur le marché des condiments, et les deux intentions sont liées. Par ailleurs, l'extension de la clause aurait pu être considérée, le cas échéant, comme protégeant une firme de taille relativement modeste contre la filiale d'un groupe important. Toutefois, le groupe Campbell n'occupe nulle part une position prédominante sur ce marché des sauces, alors que New Remia détient la part individuelle la plus importante du marché néerlandais. En toute hypothèse, un nouveau concurrent efficace serait sans doute en mesure de s'établir sur le marché et de s'y maintenir.

Les restrictions contenues dans l'accord "condiments"

(33) Aux termes de l'accord "condiments", l'interdiction de concurrence s'étend aux pays européens. Ceci englobe l'ensemble du Marché commun, alors que Luycks, au moment où l'accord fut conclu, ne travaillait que dans trois États membres. Une restriction qui s'étend au-delà du champ d'activités géographique du vendeur est trop vaste et, dès lors, sans nécessité. Nutricia ne jouissait pas, dans les autres États membres, d'une réputation telle que l'acquéreur eût pu en souffrir indûment au cas où le vendeur y aurait étendu son champ d'activités.

(34) La période de cinq ans inscrite dans l'accord "condiments" paraît sans nécessité objective. La vente supposait un simple transfert de la clientèle et de l'achalandage. Les parties ont reconnu qu'une année devait suffire à Luycks-Zuid pour remplacer par elle-même l'organisation de vente que Nutricia assumait pour le compte de Luycks lorsque celle-ci était sa filiale. Compte tenu de la nécessité pour Luycks-Zuid de disposer d'une période supplémentaire pour mieux s'attacher la clientèle, mais aussi de la position économique plus forte du groupe Campbell, une période de deux ans paraît suffisante pour protéger Luycks-Zuid contre la concurrence de Nutricia et de New Remia.

(35) La Commission estime donc que la durée des restrictions de concurrence prévue dans l'accord "sauces" et dans l'accord "condiments", et leur étendue géographique pour ce qui est du second accord, dépassent de fort loin ce qui est nécessaire pour assurer le transfert aux acquéreurs de la valeur commerciale complète des affaires cédées et que l'accord intervenu quant à ces conditions constitue, en l'espèce et dans la mesure précitée, une restriction de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1.

(36) L'accord "sauces" et l'accord "condiments" affectent ou sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres au sens de l'article 85 paragraphe 1.

(37) En l'occurrence, la renonciation par Nutricia, et ultérieurement par Luycks-Zuid, à la fabrication des sauces aux Pays-Bas, a un effet sur le commerce intracommunautaire dans la mesure où elle écartait la société Luycks-Zuid du commerce des sauces qu'elle effectuait par-delà les frontières avec la république fédérale d'Allemagne à partir du 1er juillet 1980, soit à l'expiration de ses droits provisoires de fabrication et de vente. Ce commerce lui avait rapporté (...) d'Écus en 1978, ce qui est loin d'être négligeable. En outre, la restriction imposée aux ventes de sauces de Luycks-Zuid aux Pays-Bas empêcherait le groupe Campbell, nouveau venu sur le marché, d'utiliser sa filiale en tant qu'importateur de sauces fabriquées ailleurs dans la Communauté économique européenne. Le groupe Campbell avait manifestement acquis Luycks dans le cadre de son plan d'expansion dans la Communauté économique européenne et la restriction était susceptible d'affecter le commerce entre États membres dès le moment, en tout cas, où Luycks-Zuid retrouverait l'usage exclusif de la marque "Luycks" pour les sauces, c'est-à-dire le 1er octobre 1981.

(38) Avant son acquisition par Zuid, Luycks vendait ses condiments en Belgique, aux Pays-Bas et dans la république fédérale d'Allemagne. Quelles que soient les intentions actuelles de Nutricia, celle-ci s'est montrée capable d'exploiter un commerce d'exportation de condiments et depuis le 1er juin 1981 elle disposait, abstraction faite d'autres accords, d'un effectif apte à la vente des condiments. Le fait d'écarter, pendant un laps de temps considérable, un concurrent doté des techniques et des contacts voulus pour prendre ou reprendre sa place dans les échanges au niveau communautaire, est susceptible d'affecter le commerce entre les États membres.

B. Article 85 paragraphe 3 du traité CEE

(39) Aux termes de l'article 85 paragraphe 3, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord qui contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte et sans: a) imposer des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;

b) donner la possibilité, pour une partie substantielle des accords en cause, d'éliminer la concurrence.

(40) Lorsque des clauses de non-concurrence vont au-delà de ce qui est objectivement nécessaire pour effectuer le transfert de la valeur commerciale complète de l'affaire cédée, une exemption n'est envisageable que dans des circonstances particulières. Il doit notamment être établi que les clauses sont indispensables pour garantir, au-delà de la nécessité pour l'acquéreur de renforcer encore sa position, la réalisation d'autres objectifs qui peuvent légitimement être poursuivis au sens de l'article 85 paragraphe 3.

(41) En l'espèce, les parties n'ont pas fourni d'arguments suffisants pour justifier l'application de l'article 85 paragraphe 3 aux deux accords notifiés. De son côté, la Commission ne voit guère en quoi l'inclusion des deux clauses restreignant la concurrence, pour une durée et/ou sur une étendue dépassant le maximum nécessaire au transfert de la valeur commerciale complète des affaires cédées, est susceptible d'améliorer la production ou la distribution des produits ou de promouvoir le progrès technique ou économique tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. Dans les deux cas, des restrictions contractuelles n'offrent aucun avantage objectif appréciable qui viendrait compenser les inconvénients sérieux qu'ils présentent pour la concurrence sur les marchés concernés. En conséquence, il n'y a pas lieu d'envisager une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3.

C. Article 3 du règlement n° 17 (42) En vertu de l'article 3 du règlement n° 17, la Commission peut, si elle constate sur demande ou d'office une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1, du traité CEE, obliger par voie de décision les entreprises ou associations d'entreprises intéressées à y mettre fin.

A arrêté la présente décision:

Article premier

La clause de non-concurrence qui figure à la clause 5 de l'accord conclu le 31 août 1979 entre la NV Verenigde Bedrijven Nutricia et le Drs. F.A. de Rooij constitue, depuis le 1er octobre 1983, une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE.

Article 2

La clause de non-concurrence qui figure aux clauses IX, I et V, l f de l'accord conclu le 6 juin 1980 entre la NV Verenigde Bedrijven Nutricia et la Zuid-Hollandse Conservenfabriek BV constitue, depuis le 4 juillet 1982, une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE. La même clause constitue, depuis la date de sa conclusion, une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE, dans la mesure où son champ d'application géographique dépasse les marchés belge, néerlandais et allemand.

Article 3

Les demandes tendant à obtenir, pour les accords visés aux articles 1er et 2, une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE, sont rejetées.

Article 4

La NV Verenigde Bedrijven Nutricia, le Drs. F.A. de Rooij, Remia BV, la Zuid-Hollandse Conservenfabriek BV et Luycks Producten BV mettent fin immédiatement à toute application des clauses visées aux articles 1er et 2.

Article 5

Les sociétés suivantes sont destinataires de la présente décision: - NV Verenigde Bedrijven Nutricia, à Zoetermeer,

- Drs. F.A. de Rooij, à Den Dolder,

- Remia BV, à Den Dolder,

- la Zuid-Hollandse Conservenfabriek BV, à Zundert,

- Luycks Producten BV, à Diemen.

Notes

(1) JO n° 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

(2) JO n° 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.

(3) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certains chiffres ont été omis, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement n° 17 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.

(4) JO n° L 254 du 17.9.1976, p. 40.