CJCE, 9 novembre 1983, n° 322-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
NV Nederlandsche Banden Industrie Michelin, République française
Défendeur :
Commission des Communautés Européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mertens de Wilmar
Présidents de chambre :
MM. Koopmans, Bahlman, Galmot
Avocat général :
Verloren van Themaat
Juges :
MM. Pescatore, Mackenzie Stuart, O'keefe, Due, Everling
Avocats :
Mes Iva van Bael, Bellis, Borde
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 décembre 1981, la société de droit néerlandais NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin (ci-après NBIM), dont le siège social est à Bois-Le-Duc, a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un reCours visant à l'annulation de la décision de la Commission, du 7 octobre 1981, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne (IV-29.491) - Bandengroothandel Frieschebrug BV/NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin - (JO L 353, p. 33) et, à titre subsidiaire, à l'annulation de l'article 2 de cette décision, infligeant à NBIM une amende, ou, à tout le moins, à la réduction de celle-ci.
2. NBIM est la filiale néerlandaise du groupe Michelin. Elle est chargée de la production et de l'écoulement des pneumatiques Michelin aux Pays-Bas, où elle dispose d'une usine pour fabriquer des pneus neufs pour camionnettes et camions.
3. Dans l'article 1 de la décision litigieuse, la Commission a constaté que NBIM avait, pendant la période comprise entre 1975 et 1980, sur le marché des pneus neufs de remplacement pour camions, autobus, etc., enfreint les dispositions de l'article 86 du traite CEE
a) en liant à elle les revendeurs de pneus aux Pays-Bas au moyen de l'octroi sur une base individuelle de ristournes sélectives dépendant d'"objectifs" de vente et de pourcentages de ristourne non clairement confirmés par écrit et en appliquant à leur égard des conditions inégales pour des prestations équivalentes,
et
b) en accordant en 1977 une ristourne extraordinaire sur les achats de pneus pour camions, autobus, etc, et de pneus pour voitures de tourisme dépendant de la réalisation d'un "objectif" en matière d'achat de pneus pour voitures de tourisme.
Dans l'article 2, la Commission a infligé à NBIM une amende de 680 000 écus ou 1 833 184,80 florins néerlandais.
4. Les principaux moyens que la requérante, soutenue par le gouvernement de la république française, fait valoir contre cette décision peuvent, en substance, être regroupés comme suit :
I - La procédure administrative de la Commission aurait été irrégulière en ce que
1) la Commission n'aurait pas fourni à NBIM les pièces du dossier, en particulier les résultats d'une enquête auprès des usagers et des concurrents de NBIM ;
2) la Commission aurait passé sous silence, dans sa décision, les résultats de l'audition et les déclarations des témoins et experts lors de celle-ci ; et
3) la Commission n'aurait pas révélé, au Cours de la procédure administrative, les critères sur lesquels elle envisageait de fixer une amende.
II -La Commission aurait estimé à tort que NBIM détient une position dominante, en se basant
1) sur une délimitation erronée de la partie substantielle du Marché commun en cause,
2) sur une appréciation erronée de la position de NBIM face à la concurrence
a) en ce qui concerne, d'une part, la part de marché de NBIM sur le marché des produits en cause, et notamment la délimitation de ce marché ;
b)en ce qui concerne, d'autre part, les autres indices pour ou contre l'existence d'une position dominante.
III - La Commission aurait à tort estimé que
1) le système de ristournes de NBIM ; et
2) l'octroi d'une ristourne supplémentaire en 1977 constituaient un abus au sens de l'article 86 du traité.
IV - La Commission aurait à tort estimé que le comportement incriminé de NBIM était susceptible d'affecter le commerce entre états membres.
V - La Commission n'aurait pas dû infliger à NBIM une amende ou, tout le moins, aurait dû la fixer à un niveau moins élevé.
I - Sur la régularité de la procédure administrative
1) Sur la non-divulgation des pièces du dossier
5. Selon la requérante, la Commission a violé les droits de la défense en ne lui divulguant pas, au Cours de la procédure administrative, les pièces de son dossier. Toutefois, la requérante n'a précisé ce reproche que pour les résultats d'une enquête que la Commission a effectuée auprès de certains revendeurs sur les pratiques des concurrents de NBIM en matière de rabais.
6. La Commission répond à ce moyen qu'elle n'avait pas utilisé dans sa décision les résultats de cette enquête, qui n'avait fait que confirmer que ce qu'elle savait déjà sur la base des informations obtenues de Michelin. En vertu de l'article 20 du règlement n° 17 du conseil du 6 février 1962 (JO p. 204), elle aurait été tenue de ne pas divulguer les informations recueillies par cette enquête puisqu'elles concernaient les systèmes de rabais appliqués par les concurrents de NBIM.
7. A cet égard, il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit communautaire qui doit être observé par la Commission dans ses procédures administratives susceptibles d'aboutir à des sanctions en application des règles de concurrence du Traité. Ce respect exige, entre autres, que l'entreprise intéressée ait été en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur les documents retenus par la Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une infraction.
8. En effet, dés lors que la Commission estimait que les informations qu'elle avait recueillies au Cours de cette enquête étaient couvertes par son secret professionnel, elle était tenue, en vertu de l'article 20 du règlement n°17, de ne pas les divulguer à NBIM. En conséquence, elle ne pouvait pas, dans ce cas, retenir ces mêmes informations à l'appui de sa décision si leur non-divulgation portait atteinte à la possibilité de NBIM de faire connaître son point de vue sur la réalité ou la portée de ces informations ou sur les conclusions que la Commission en tire.
9. Les motifs de la décision litigieuse ne font cependant, à aucun endroit, expressément référence à l'enquête en question. Il n'apparaît pas non plus que la Commission se soit implicitement appuyée sur cet élément de son dossier. Pour autant qu'elle a fait allusion dans sa décision aux pratiques des concurrents de NBIM en matière de rabais, il s'agit de constatations générales que NBIM n'a à aucun moment contestées, et qui sont d'ailleurs sans pertinence pour l'appréciation du comportement de NBIM. L'enquête en question n'a pas non plus été prise en considération au Cours de la procédure devant la Cour.
10. Toutefois, le fait que la Commission ne s'est pas référée à l'enquête en question pour motiver la décision litigieuse ne suffit pas pour rejeter ce moyen de NBIM. Pour arriver à ce résultat, il faut en outre constater que la décision se fonde réellement sur d'autres circonstances qui la justifient, ce qui appartient au fond de l'affaire.
2) Sur l'absence de discussion des résultats de l'audition et des déclarations des témoins et experts
11. Afin d'établir l'irrégularité de la procédure, la requérante fait encore valoir que la Commission aurait passé sous silence, dans sa décision, les résultats de l'audition au Cours de la procédure administrative et les déclarations des témoins et experts lors de celle-ci.
12. La Commission invoque, en réponse à ce moyen, le nombre élevé de paragraphes de sa décision consacrés à la réfutation de l'argumentation de NBIM, et observe qu'elle a tenu compte de toutes les preuves et tous les témoignages produits au Cours de la procédure.
13. Ce moyen revient en substance à faire valoir que la décision n'est pas dûment motivée.
14. A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations qui l'ont amenée à prendre celle-ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au Cours de la procédure administrative.
15. Dans sa motivation de la décision litigieuse, la Commission a exposé les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle s'est basée. Elle a, par ailleurs, à différents endroits, fait expressément référence à des déclarations de témoins à l'audition et a répondu à des arguments avancés par NBIM au Cours de la procédure.
16. Le moyen d'une motivation insuffisante ne saurait donc être retenu.
3) Sur l'absence de révélation, au Cours de la procédure administrative, des critères sur la base desquels la Commission entendait fixer l'amende
17. Selon la requérante, la Commission a violé les droits de la défense en ne relevant pas, au Cours de la procédure administrative, les critères sur lesquels elle envisageait de fixer une amende éventuelle.
18. La Commission répond à ce moyen que les considérations précises aboutissant à la fixation du montant de l'amende dépendent du déroulement de la procédure administrative qu'elle ne saurait donc prédéterminer son jugement à cet égard avant d'avoir entendu l'entreprise.
19. A cet égard, il suffit de rappeler, ainsi que la Cour l'a dit dans son arrêt du 7 juin 1983 (SA Musique Diffusion Française et autres/Commission, affaires 100-103-80, recueil 1983, p. 1825), que donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que l'entreprise n'a pas été mise en mesure de faire valoir ses observations sur les griefs retenus contre elle, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission.
20. La Commission a indiqué expressément, dans sa communication des griefs du 5 mars 1980, qu'elle avait l'intention d'infliger à NBIM une amende dont le montant serait fixé en prenant en considération la durée et la gravité de l'infraction qu'elle considérait comme sérieuse. Ce faisant, la Commission a mis NBIM en mesure de se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction mais également contre l'imposition d'une amende.
21. Ce moyen ne saurait donc pas non plus être retenu, et il y a lieu de conclure qu'aucune irrégularité de la procédure administrative de la Commission n'a été établie.
II - Sur la position dominante de NBIM
22. Par un premier groupe de moyens concernant le contenu de la décision litigieuse, la requérante conteste qu'elle détient une position dominante sur le marché des pneus neufs de remplacement pour poids lourds aux Pays-Bas. Elle fait valoir en substance que l'appréciation de sa position sur le marché par la Commission est entachée d'erreurs car, d'une part, la Commission aurait limité son analyse au seul marché néerlandais et se serait basée sur une délimitation erronée du marché des produits en cause et, d'autre part, elle aurait utilisé des éléments sans pertinence pour la constatation d'une position dominante et ignore des critères qui excluent l'existence d'une telle position.
1) Sur la partie substantielle du Marché commun en cause
23. Dans ce contexte, la requérante a soulevé un premier moyen contre la constatation faite par la Commission que la partie substantielle du Marché commun sur laquelle NBIM détient une position dominante, est le territoire des Pays-Bas. Selon NBIM, cette délimitation géographique du marché est trop étroite. Elle serait contredite par le fait que la Commission elle-même se base sur des facteurs concernant le groupe Michelin dans son ensemble, tels que son avance technologique ou sa puissance financière, et qui se réfèrent, selon NBIM, à un marché beaucoup plus large, voire mondial. De même, les principaux concurrents de NBIM exerceraient leurs activités sur le plan mondial.
24. La Commission fait valoir que cette critique s'adresse moins à la définition du marché qu'aux critères pour la détermination de la dominance. Les fabricants de pneus ayant généralement choisi de vendre sur les différents marchés nationaux par l'intermédiaire de filiales nationales, c'est au niveau du territoire des Pays-Bas qu'aurait lieu la concurrence à laquelle NBIM est exposée.
25. A cet égard, il y a lieu d'observer que la Commission a adressé sa décision non pas au groupe Michelin dans son ensemble, mais à la seule filiale néerlandaise de celui-ci dont les activités se concentrent sur le marché néerlandais. Il n'a pas été contesté que les principaux concurrents de NBIM exercent également leurs activités aux Pays-Bas à travers des filiales néerlandaises de leurs groupes respectifs.
26. Le reproche de la Commission se réfère au comportement de NBIM vis-a-vis des revendeurs de pneus, et plus particulièrement à sa politique de ristournes. Sous cet aspect, la politique commerciale des différentes filiales des groupes qui se font concurrence au niveau européen ou même mondial est généralement adaptée aux conditions spécifiques de chaque marché. En pratique, les revendeurs établis aux Pays-Bas ne s'approvisionnent qu'auprès des fournisseurs exerçant leurs activités aux Pays-Bas. C'est donc à juste titre que la Commission a considéré que la concurrence à laquelle NBIM est exposée s'exerce principalement au niveau du marché néerlandais, et que c'est à ce niveau que les conditions objectives de concurrence sont similaires pour les opérateurs économiques.
27. Cette constatation est indépendante de la question de savoir si, dans ces circonstances, des facteurs ayant trait à la situation du groupe Michelin et de ses concurrents dans leur ensemble, et qui se réfèrent à un marché beaucoup plus vaste, peuvent entrer en considération pour l'appréciation de l'existence d'une position dominante sur le marché de produits en cause.
28. Il en résulte que la partie substantielle en cause du Marché commun est constituée en l'espèce par le territoire néerlandais et que la position de NBIM doit être appréciée.
2) Sur l'appréciation de la position de NBIM face à la concurrence
29. Avant d'examiner plus en détail les moyens et arguments ayant trait à l'appréciation de la position de NBIM face à la concurrence, il convient de rappeler, ainsi que la Cour l'a itérativement constaté, en dernier lieu dans son arrêt du 13 fevrier 1979 (Hoffmann-La Roche, affaire 85-76, recueil p. 461), que l'article 86 du traité est une expression de l'objectif général assigné par l'article 3 f) du traité à l'action de la communauté, à savoir l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le Marché commun.
30. En conséquence, l'article 86 interdit, dans la mesure où le commerce entre états membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une entreprise d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci, à savoir une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs.
31. C'est dans cette perspective que doivent être examinés les différents critères et indices, invoqués par les parties, au sujet de l'existence d'une position dominante. Ces critères et indices concernent, d'une part, la part de marché détenue par NBIM sur le marché de produits en cause et, d'autre part, les autres facteurs devant entrer en considération pour apprécier la situation dans laquelle NBIM se trouve vis-a-vis de ses concurrents, ses clients et ses consommateurs.
a) Sur la part de NBIM sur le marché des produits en cause
32. La requérante soulève tout d'abord un moyen par lequel elle conteste la part de marché de laquelle la Commission a déduit l'existence d'une position dominante, et elle fait valoir que la Commission s'est basée sur une délimitation factice et arbitraire du marché des produits en cause.
33. La Commission a invoqué dans sa décision litigieuse le fait que NBIM détenait aux Pays-Bas, au Cours de la période 1975 à 1980, 57 à 65 % du marché des pneumatiques neufs de remplacement pour camions, autobus et véhicules analogues, alors que les parts de marché des principaux concurrents n'étaient que de 4 à 8 %.
34. NBIM ne conteste pas ces chiffres, mais elle fait valoir que la Commission a méconnu les rapports de concurrence en excluant notamment les pneus pour camionnettes et voitures de tourisme ainsi que les pneus rechapés. Ainsi, si l'on prenait en considération les pneus rechapés pour poids lourds, la part de marché de NBIM ne se situerait qu'aux environs de 37 %, ce qui ne serait pas de nature à établir une position dominante.
aa) Sur le marché des pneus de remplacement pour poids lourds
35. Selon la requérante, la délimitation du marché des produits en cause sur laquelle la Commission s'est basée est à la fois trop large, en ce que des pneus pour poids lourds de différents types et différentes dimensions ne seraient point interchangeables du point de vue du consommateur, et trop étroite en ce que les pneus pour camionnettes et voitures de tourisme en seraient exclus, malgré leurs situations comparables sur le marché. En outre, l'argumentation de la Commission dans sa décision serait contradictoire en ce qu'elle se place tantôt au niveau de l'utilisateur final et tantôt au niveau du revendeur. Or, au niveau du chiffre d'affaires global des revendeurs, la part moyenne des ventes de pneus Michelin pour poids lourds ne représenterait que 12 a 18 %, ce qui exclurait toute position dominante.
36. La Commission défend la délimitation du marché des produits en cause retenue dans sa décision en faisant valoir que l'on ne saurait distinguer, à l'intérieur d'un produit techniquement homogène, différents marchés selon les dimensions, tailles ou types spécifiques des produits. Il faudrait, à cet égard, prendre en considération l'élasticité de l'offre entre différents types et dimensions de pneus. D'autre part, les critères de l'interchangeabilité des produits et de l'élasticité de la demande permettraient de distinguer le marché des pneus pour poids lourds de celui des pneus pour voitures de tourisme en raison de la structure particulière de la demande, caractérisée en ce qui concerne les pneus pour poids lourds, par la présence, surtout, d'acheteurs professionnels avertis.
37. Comme la Cour l'a itérativement souligné, en dernier lieu dans son arrêt du 11 décembre 1980 (l'Oréal, affaire 31-80, recueil p. 3775), aux fins de l'examen de la position, éventuellement dominante, d'une entreprise sur un marché déterminé, les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l'ensemble des produits qui en fonction de leurs caractéristiques sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d'autres produits. Il y a cependant lieu d'observer que la détermination du marché en cause sert à évaluer si l'entreprise concernée à la possibilité de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective et de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs. On ne saurait donc, à cette fin, se limiter à l'examen des seules caractéristiques objectives des produits en cause, mais il faut également prendre en considération les conditions de concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché.
38. C'est d'ailleurs ainsi que la Commission et NBIM ont été d'accord pour ne pas prendre en considération, pour apprécier les parts de marché, les pneus neufs de premier équipement. En effet, en raison de la structure particulière de la demande caractérisée par les commandes directes des producteurs d'automobiles, la concurrence s'exerce, dans ce domaine, selon des règles et facteurs totalement différents.
39. En ce qui concerne les pneus de remplacement, il y a tout d'abord lieu de constater qu'il n'existe aucune interchangeabilité, sur le plan des utilisateurs, entre les pneus pour voitures de tourisme et pour camionnettes d'une part et pour poids lourds d'autre part. La concurrence sur le marché de pneus de poids lourds n'est donc point influencée par les pneus pour voitures de tourisme et pour camionnettes.
40. En outre, la structure de la demande, pour chacun de ces groupes de produits, est différente. En effet, les acheteurs de pneus pour poids lourds sont, pour leur plus grande partie, des professionnels, notamment des entreprises de transport, pour qui, comme la Commission l'a exposé, l'achat de pneus de remplacement constitue un poste de dépenses considérable, et qui demandent de la part du revendeur de pneus auquel ils s'adressent, des conseils et des services permanents et spécialisés adaptés à leurs besoins spécifiques. Par contre, pour l'acheteur moyen de pneus de voitures de tourisme ou de camionnettes, l'achat de pneus est un fait occasionnel et celui-ci n'attend pas, en général, même s'il s'agit d'un professionnel, des conseils et des services aussi spécialisés, adaptés à des besoins spécifiques. Il en résulte que la vente de pneus pour poids lourds demande un réseau de distribution particulièrement spécialisé qui diffère des conditions de distribution des pneus pour voitures de tourisme et pour camionnettes.
41. Il y a lieu de souligner, enfin, l'absence d'élasticité de l'offre entre les pneus pour poids lourds et les pneus de tourisme en raison des différences importantes dans les techniques de production et les installations et outillages nécessaires à cet effet. La circonstance que la modification des installations de production nécessaire pour produire des pneus légers au lieu de pneus lourds et inversement exige des délais et des investissements considérables a pour conséquence qu'il n'existe pas de rapports sensibles entre les deux groupes permettant de s'adapter à la situation de la demande sur le marché. C'est d'ailleurs cette circonstance qui a amené NBIM, en 1977, à accorder une ristourne supplémentaire dans une situation d'insuffisance de l'offre de pneus pour poids lourds au lieu d'avoir reCours à des capacités de production excédentaires dans le domaine des pneus de tourisme pour pouvoir satisfaire la demande.
42. C'est à juste titre que la Commission a examiné la structure du marché et de la demande en premier lieu au niveau des revendeurs auxquels la pratique litigieuse a été appliquée par NBIM. En effet, NBIM a elle-même déclaré, bien que dans un autre contexte, qu'elle a été amenée à modifier son système de ristournes afin de tenir compte de la tendance à la spécialisation de ses revendeurs, certains, comme les garagistes, ne vendant plus de pneus pour poids lourds et camionnettes. Ceci confirme les différences existantes, dans la structure de la demande, entre différents groupes de revendeurs. Il n'a pas non plus été contesté par NBIM que la distinction entre pneus pour poids lourds, pour camionnettes et pour voitures de tourisme est également appliquée par tous les concurrents de NBIM, en ce qui concerne notamment les conditions de remises, même si pour certains types de pneus, les distinctions opérées par différents producteurs peuvent varier dans les détails.
43. On ne saurait cependant déduire du fait que le comportement incriminé en l'espèce concerne les revendeurs que la position de NBIM devrait être déterminée sur la base de la part des pneus Michelin pour poids lourds dans le chiffre d'affaires global des revendeurs. S'agissant d'examiner si NBIM détient une position dominante pour certains produits, il importe peu que l'activité des revendeurs comprend également d'autres produits, dés lors qu'il n'existe pas, entre les produits en cause et ces autres produits, un rapport de concurrence.
44. Par contre, ni l'absence d'élasticité de l'offre, entre différents types et dimensions de pneus pour poids lourds, due aux différences de conditions de production, ni l'absence d'interchangeabilité et d'élasticité de la demande entre ces types et dimensions de pneus du point de vue des besoins spécifiques de l'utilisateur ne permettent, pour l'appréciation de l'existence d'une position dominante, de distinguer, selon ces types et dimensions, une série de marchés plus restreint, comme l'a suggéré NBIM. En effet, ces différences entre différents types et dimensions de pneus ne sont pas essentielles sur le plan des revendeurs qui doivent répondre à la demande de leur clientèle pour toute la gamme des pneus pour poids lourds.En outre, de telles différences de types et de dimensions d'un produit ne sont pas, en l'absence de toute spécialisation des entreprises concernées, déterminantes pour l'appréciation de la position d'une entreprise sur le marché, car, compte tenu de leur similarité et complémentarité sur le plan technique, les conditions de concurrence sur le marché sont les mêmes pour tous les types et dimensions du produit.
45. C'est donc à juste titre que la Commission a apprécié, pour établir l'existence d'une position dominante de NBIM, sa part de marché sur le plan des pneus de remplacement pour camions, autobus et véhicules analogues et a exclu la prise en considération des pneus pour voitures de tourisme et camionnettes.
bb) Sur la prise en considération de la concurrence des pneus rechapés
46. Afin d'établir que sa part de marché est moins élevée que ne le prétend la Commission, la requérante fait valoir en outre que la Commission a arbitrairement exclu du marché en cause les pneus rechapés qui constituent, selon NBIM, une véritable alternative pour les consommateurs, tant sur le plan de la qualité que sur le plan du prix. A l'appui de cet argument, NBIM présente plusieurs calculs destinés à démontrer la compétitivité des pneus rechapés par rapport aux pneus neufs.
47. Selon la Commission, les pneus rechapés doivent être exclus du marché en cause parce qu'ils ne sont pas substituables aux pneus neufs. Cela résulterait d'abord de leur infériorité, aux yeux des consommateurs, en ce qui concerne la sécurité. En outre, le rechapage serait effectué en grande partie sur commande des entreprises de transport elles-mêmes, de sorte qu'il s'agirait d'un marché de prestations de services. Enfin, les pneus rechapés étant un produit secondaire par rapport aux pneus neufs, ceux-ci constitueraient en quelque sorte la matière première pour le rechapage, ce qui exclurait en grande partie leur substitution par les pneus rechapés, il importerait d'apprécier la concurrence sur le marché primaire qui fournirait la clef de l'ensemble du marché.
48. A cet égard, il y a tout d'abord lieu de rappeler que si l'existence d'un rapport de concurrence entre deux produits ne suppose pas une interchangeabilité parfaite pour un usage déterminé, la constatation d'une position dominante pour un produit n'exige pas l'absence totale de concurrence d'autres produits partiellement interchangeables dès lors que cette concurrence ne met pas en cause le pouvoir de l'entreprise d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice.
49. Il résulte des faits, tels qu'ils ont été établis à la base des déclarations des parties ainsi que des déclarations des témoins entendus lors de l'audition au cours de la procédure administrative, qu'un certain degré d'interchangeabilité entre les pneus neufs et les pneus rechapés ne peut être contesté, mais que cette interchangeabilité est limitée et n'existe pas pour tous les usages. En effet, si NBIM a présenté des calculs pour démontrer que le prix et la qualité des pneus rechapés sont comparables à ceux des pneus neufs, et qu'un certain nombre d'utilisateurs considèrent en fait les deux groupes de produits comme interchangeables pour leur usage, elle a néanmoins admis que la valeur d'un pneu rechapé, sur le plan de la sécurité et de la fiabilité, peut être moindre que celle d'un pneu neuf, et la Commission a en outre établi qu'un certain nombre d'utilisateurs ont des réserves, qu'elles soient justifiées ou non, en ce qui concerne l'utilisation d'un pneu rechapé notamment sur l'essieu avant du véhicule.
50. Pour apprécier l'influence de cette concurrence limitée des pneus rechapés sur la position de NBIM sur le marché, il y a lieu de prendre en considération qu'en partie au moins les pneus rechapés ne sont pas mis en vente, mais que le rechapage se fait sur commande de l'utilisateur, étant donné que certaines entreprises de transport attachent de l'importance à faire rechaper leurs propres carcasses afin d'être sûres de ne pas recevoir des carcasses endommagées. Il est vrai que le pourcentage du rechapage qui se fait ainsi sous la forme d'une prestation de services est resté contesté entre les parties, la Commission l'ayant chiffré à 80 à 95 % des pneus rechapés, alors que NBIM a indiqué un pourcentage de 15 à 20 % seulement, en faisant valoir que la commande serait faite, dans la majeure partie des cas, au nom du revendeur et non au nom de l'utilisateur. Malgré ce différend entre les parties, on peut cependant constater qu'une partie des pneus rechapés qui arrivent au stade de l'utilisateur ne se trouvent pas en concurrence avec les pneus neufs mis en vente parce qu'il s'agit d'une prestation de services directe des entreprises de rechapage vis-à-vis des utilisateurs.
51. En outre, on ne saurait négliger, lors de l'appréciation de l'importance de la part de marché de NBIM par rapport à celle de ses concurrents, que le marché des pneus rénovés est un marché secondaire qui dépend de la situation de l'offre et des prix sur le marché des pneus neufs puisque tout pneu rechapé est fabriqué à partir d'un pneu qui a été neuf à l'origine et que le nombre de rechapages possibles d'un même pneu est limité. Une partie importante de la demande doit donc nécessairement et toujours être satisfaite par des pneus neufs. Dans ces conditions, le fait pour une entreprise de détenir une position dominante dans le domaine des pneus neufs lui donne, vis-à-vis de la concurrence des entreprises de rechapage, une position privilégiée qui lui permet de se comporter d'une manière plus indépendante sur le marché que ne pourrait le faire une entreprise de rechapage.
52. Il résulte des considérations qui précèdent que la concurrence partielle à laquelle sont exposés les producteurs de pneus neufs de la part des entreprises de rechapage ne suffit pas pour priver un producteur de pneus neufs de la puissance économique dont il dispose grâce à sa position dominante sur le marché des pneus neufs. C'est donc à juste titre que pour apprécier la position de NBIM au regard de la force et du nombre des concurrents, la Commission a pris en considération la part de marché de 57 à 65 % sur le marché des pneus neufs de remplacement pour poids lourds. En comparaison avec les parts de marché entre 4 et 8 % des principaux concurrents de NBIM, cette part de marché constitue, même compte tenu d'une certaine concurrence des pneus rechapés, un indice valable de l'existence d'une puissance prépondérante de NBIM par rapport à ses concurrents.
b) Sur les autres critères et indices pour ou contre l'existence d'une position dominante
53. La requérante conteste ensuite la pertinence des autres critères et indices sur lesquels la Commission s'est basée afin d'établir l'existence d'une position dominante. Ainsi elle ne serait pas la seule entreprise à disposer de délégués commerciaux, et les effectifs de ses principaux concurrents seraient, en termes relatifs, plus importants encore que les siens. Le caractère étendu de la gamme de produits ne serait pas constitutif d'un avantage concurrentiel étant donné que les différents types de pneumatiques ne seraient pas substituables et que NBIM n'imposerait pas aux revendeurs l'achat de sa gamme complète.
54. En outre, la Commission n'aurait pas tenu compte de plusieurs indices incompatibles avec une position dominante. Ainsi, la marge nette des revendeurs serait comparable pour les pneus Michelin et pour des pneus concurrents, et le prix de revient kilométrique des pneus Michelin serait le plus favorable aux usagers. NBIM aurait enregistré des pertes depuis 1979. La capacité de production de NBIM n'étant pas suffisante, ses concurrents, qui auraient en plus une puissance financière et une diversification plus élevées que le groupe Michelin, seraient à tout moment capables de remplacer les quantités fournies par elle. Enfin, le fait que les utilisateurs de pneus pour poids lourds sont des acheteurs professionnels avertis leur permettrait d'opposer un contrepoids aux fabricants de pneus.
55. A cet égard, il convient d'observer tout d'abord qu'afin d'apprécier la puissance économique respective de NBIM et de ses concurrents sur le marché des Pays-Bas,les avantages que ces entreprises peuvent tirer de leur appartenance à des groupes d'entreprises dont l'activité s'étend au niveau européen ou même mondial doivent être pris en considération.Parmi ces avantages, l'avance du groupe Michelin par rapport à ses concurrents en matière d'investissements et de recherche et l'étendue particulière de sa gamme de produits que la Commission a invoquées dans sa décision n'ont pas été contestées en l'espèce. En effet, le groupe Michelin est, pour certains types de pneus, le seul fournisseur sur le marché qui les propose dans sa gamme.
56. Cette situation assure à NBIM sur le marché des Pays-Bas une préférence affirmée d'un grand nombre d'utilisateurs de pneus pour poids lourds. Etant donné que l'achat de pneus constitue pour une entreprise de transport un investissement important et qu'il faut un temps considérable pour s'assurer, en pratique, de la rentabilité d'un type ou d'une marque de pneus, NBIM bénéficie donc d'une position qui la rend peu vulnérable par la concurrence. Il résulte de cette situation qu'un revendeur, établi aux Pays-Bas, ne saurait normalement se dispenser de vendre des pneus Michelin.
57. On ne saurait objecter à ces arguments, comme le fait NBIM, soutenue à cet égard par le gouvernement français, que NBIM serait ainsi pénalisée pour la qualité de ses produits et de ses prestations. En effet, la constatation de l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, mais signifie seulement qu'il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le Marché commun.
58.Il y a lieu de souligner en outre l'importance du réseau de délégués commerciaux de NBIM, qui lui donne à tout moment un accès direct aux utilisateurs des pneus. NBIM n'a contesté ni le fait que ce réseau est, en termes absolus, considérablement plus important que les réseaux de ses concurrents ni la description, faite dans la décision litigieuse, des taches accomplies par ce réseau dont l'efficacité et la qualité des prestations sont incontestées. L'accès direct aux utilisateurs et le niveau des services que ce réseau est en mesure de rendre à ceux-ci permettent à NBIM de confirmer et de renforcer sa position sur le marché et de mieux se défendre contre la concurrence.
59. En ce qui concerne les critères et indices supplémentaires auxquels se réfère NBIM pour contester l'existence d'une position dominante, il y a lieu d'observer qu'une rentabilité temporairement nulle et même des pertes ne sont pas incompatibles avec une position dominante. De même, le fait que les prix pratiqués par NBIM ne sont ni abusifs ni même particulièrement élevés ne permet pas de conclure qu'il n'y a pas de position dominante. Enfin, ni la taille, la puissance financière et le degré de diversification des concurrents de NBIM sur le plan mondial, ni le contrepoids résultant du fait que les acheteurs de pneus pour poids lourds sont des professionnels avertis, ne sont de nature à éliminer la position privilégiée dont NBIM dispose sur le marché néerlandais.
60.Il y a donc lieu de constater que les autres critères et indices entrant en considération en l'espèce pour la constatation d'une position dominante confirment que NBIM détient une telle position.
61. Les moyens par lesquels NBIM conteste qu'elle détient une position dominante dans une partie substantielle du Marché commun ne sont donc pas fondés.
III - Sur l'exploitation abusive de la position dominante
62. Par un deuxième groupe de moyens, la requérante attaque la décision litigieuse en ce que celle-ci lui reproche d'avoir, au sens de l'article 86 du traité, exploité d'une façon abusive sa position dominante sur le marché néerlandais des pneus neufs de remplacement pour poids lourds. Elle conteste d'avoir, comme l'a constaté la Commission dans sa décision litigieuse, restreint la liberté du choix des revendeurs, entraînant une inégalité de traitement entre ceux-ci et limitant l'accès au marché des autres producteurs, sous deux aspects différents, à savoir par son système de ristournes en général et par l'octroi d'une ristourne extraordinaire en 1977 qui dépendait de la réalisation d'un objectif de vente en matière de pneus pour voitures de tourisme.
1. Sur le système de ristournes en général
63. NBIM fait valoir que la Commission a méconnu dans sa décision les caractéristiques du système de ristournes en cause. Il s'agirait d'un simple rabais de quantité, n'ayant d'autres fonctions que les buts légitimes d'inciter les revendeurs à acheter davantage et de rémunérer la prestation consistant dans la réalisation d'un chiffre de ventes, convenu en commun, de pneus Michelin. Interdire un tel système reviendrait à condamner l'entreprise dominante à régresser et à sanctionner l'existence même de la position dominante.
64. Selon la Commission, le système de ristournes pratiqué par NBIM constitue un abus en raison du fait qu'il est basé sur la fixation d'objectifs de vente individuels et selectifs, non clairement définis par écrit, liant ainsi à NBIM les revendeurs de pneus, et qu'il comporte des conditions inégales pour des prestations équivalentes. Il s'agirait d'une variante du rabais de fidélité, tel qu'il avait fait l'objet de l'arrêt de la Cour du 13 février 1979, précité, lié à la condition que le client s'approvisionne au moins pour une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante et tendant ainsi à enlever au client la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement.
65. Le gouvernement français a appuyé la position de NBIM en faisant valoir qu'un système de ristournes basé sur des objectifs de vente ne saurait être considéré, en soi, comme abusif. Seule l'existence d'autres circonstances, lesquelles feraient cependant défaut en l'espèce, pourrait le rendre incompatible avec l'article 86.
a) Sur le fonctionnement du système de ristournes
66. Il est apparu du débat devant la Cour que le système de ristournes litigieux comportait, en dehors de la ristourne fixe sur facture et l'escompte de caisse pour paiement avant date, identiques pour tous les revendeurs et non en cause en l'espèce, une ristourne annuelle variable dont une partie était versée d'abord mensuellement et ensuite quadrimestriellement sous forme d'avance sur la ristourne annuelle. Le pourcentage de cette ristourne annuelle variable était fixe, en fonction du chiffre d'affaires réalisé par le revendeur au Cours de l'année précédente en pneus Michelin pour poids lourds, camionnettes et voitures de tourisme, toutes catégories confondues, selon une échelle progressive de ristournes, qui a cependant été abandonnée en 1978. L'avance sur la ristourne annuelle était inférieure, généralement de 4 % mais parfois davantage, au pourcentage résultant de cette échelle.
67. La ristourne annuelle variable, ou tout au moins son taux total, n'était acquise que lorsque le revendeur réalisait, au Cours de l'année en question, un objectif de vente, exprimé en nombre de pneus pour poids lourds vendus, qui était fixe ou convenu au début de l'année. Jusqu'en 1978, il y avait trois objectifs, maximum, moyen et minimum, dont dépendait la ristourne définitive. A partir de 1979, un seul objectif était fixé aux fins de l'octroi de la ristourne annuelle variable.
68. La Commission n'a pas contesté les explications données par NBIM au Cours de la procédure devant la Cour selon lesquelles les variations entre le taux de ristourne accorde en cas de réalisation de l'objectif maximal et celui accordé en cas de non-réalisation de l'objectif minimal étaient faibles, a savoir de 0,2 a 0,4 %. Il y a donc lieu de considérer comme établie cette amplitude des variations qui dans la décision litigieuse était cependant apparue beaucoup plus importante.
69. Le système de ristournes dans son ensemble ainsi que l'échelle des ristournes n'ont fait, de la part de NBIM, l'objet d'aucune publication. Il n'est pas contesté que les critères selon lesquels les objectifs de vente étaient fixés ou convenus n'étaient pas connus d'avance. Ces objectifs étaient discutés au début de chaque année entre le revendeur et le délégué commercial de NBIM. Aucune confirmation écrite n'était donnée, en pratique, par NBIM après ces discussions, mais des notes manuscrites étaient prises ou échangées, le cas échéant, à l'occasion de ces entretiens. Par contre, il n'a pas été démontré, contrairement à l'affirmation contenue dans le point 28, alinéa 4, de la décision de la Commission, que les revendeurs auraient hésité à se plaindre de cette absence de confirmation écrite. Cet élément doit donc être écarté du débat.
b) Sur l'application de l'article 86 à un système de ristournes d'objectifs
70. En ce qui concerne l'application de l'article 86 à un système de ristournes dépendant d'objectifs de vente, tel que ci-dessus décrit, il y a lieu de rappeler tout d'abord qu'en interdisant l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marché, dans la mesure ou le commerce entre états membres est susceptible d'en être affecté, l'article 86 vise les comportements qui sont de nature à influencer la structure d'un marché ou, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le reCours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence.
71. S'agissant plus particulièrement de l'octroi de rabais à ses clients par une entreprise en position dominante, le Cour a décidé, dans ses arrêts du 16 décembre 1975 (Suiker Unie et autres, affaires 40-48, 50, 54-56, 111, 113 et 114-73, recueil p. 1663) et du 13 février 1979 (Hoffmann-La Roche, affaire 85-76, recueil p. 461), qu'a la différence d'un rabais de quantité, lié exclusivement au volume des achats effectués auprès du producteur intéressé, un rabais de fidélité, tendant à empêcher, par la voie de l'octroi d'avantages financiers, l'approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents, constitue un abus au sens de l'article 86 du traité.
72. En ce qui concerne le système litigieux en l'espèce, qui est caractérisé par l'utilisation d'objectifs, il y a lieu d'observer que ce système ne constitue pas un simple rabais de quantité lié exclusivement au volume des achats, l'échelle progressive des chiffres d'affaires de l'année précédente ne servant qu'à indiquer le cadre à l'intérieur duquel le système s'applique. NBIM a d'ailleurs observé elle-même que la plupart des revendeurs achetant plus de 3 000 pneus par an se trouvaient de toute façon dans le groupe des rabais les plus élevés. D'autre part, le système litigieux ne comportait, de la part des revendeurs, aucun engagement d'exclusivité ou de couverture d'une certaine quotité des besoins du revendeur auprès de NBIM, ce qui le distinguait des rabais de fidélité du type dont la Cour a eu à connaître dans son arrêt du 13 février 1979, précité.
73. Afin d'apprécier si NBIM a fait une exploitation abusive de sa position dominante par ce système de rabais, il y a donc lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances, et notamment les critères et les modalités de l'octroi du rabais, et d'examiner si le rabais tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée.
74. Il y a lieu d'examiner, à la lumière de ces considérations, les moyens de la requérante dirigés contre les deux reproches formulés dans la décision litigieuse à l'égard du système de ristournes en général, à savoir le reproche que NBIM aurait lié à elle les revendeurs de pneus des Pays-Bas et celui d'avoir appliqué à leur égard des conditions inégales pour des prestations équivalentes.
c) Sur la création d'un lien de dépendance pour les revendeurs à l'égard de NBIM
75. Dans ce contexte, le premier moyen de la requérante est dirigé contre la constatation, faite par la Commission, dans la décision litigieuse, que l'ensemble des circonstances ferait apparaitre que NBIM liait étroitement à elle les revendeurs de pneus par son système de ristournes.
76. A l'appui de ce reproche, la Commission a exposé, dans la motivation de la décision, que le système de ristournes avait pour but d'exercer sur les revendeurs une forte pression pour qu'ils dépassent chaque année leur chiffre de l'année précédente pour la vente des pneus Michelin et qu'ils augmentent la part de pneus Michelin dans leur vente totale, comme le montrerait le calcul systématique effectué par les délégués commerciaux de la position de NBIM par rapport à ses concurrents auprès de chaque revendeur (" température Michelin "). Ceci constituerait, de manière caractérisée, une exploitation abusive de sa position dominante.
77. Toutefois, il y a lieu de constater que la Commission a, au Cours de la procédure devant la Cour, admis que NBIM avait cessé d'enregistrer ce que l'on a appelé la " température Michelin " sur les fiches des clients et qu'il était impossible de prouver un lien direct entre cette " température Michelin " d'une part et les objectifs et les ristournes d'autre part. La Commission s'est limitée à observer qu'il était très probable qu'il y eût, entre la " température Michelin " et le système de ristournes, un lien indirect. Une telle allégation, qui n'est appuyée sur aucun moyen de preuve et qui est contestée par NBIM, ne saurait cependant suffir pour établir que le système litigieux de ristournes était contraire à l'article 86 sous cet aspect.
78. La Commission a fait valoir en outre qu'un système base sur des objectifs annuels exerce sur le revendeur une forte pression pour l'inciter à s'approvisionner auprès du même fournisseur, en raison de l'insécurité pour les revendeurs quant aux taux de ristournes et du risque de perdre une partie de la ristourne en cas de non-réalisation de l'objectif de vente, accentuée en l'espèce par l'absence de transparence du système et par le fait que les délégués commerciaux de NBIM auraient régulièrement attiré l'attention des revendeurs sur les avantages éventuels d'une dernière commande en fin de l'année ou sur les conséquences d'une non-réalisation des objectifs.
79. NBIM a contesté l'existence d'un lien de dépendance des revendeurs à son égard et s'est notamment référée à la faible amplitude des variations de la ristourne en fonction des objectifs qui trouveraient leur contrepartie dans l'avantage pour elle de pouvoir mieux planifier sa production. Elle a fait valoir que le fonctionnement de son système de ristournes était bien connu par tous les revendeurs en raison d'une longue pratique et qu'il n'y aurait donc eu aucune insécurité à ce sujet pour les revendeurs. Le système litigieux de ristournes aurait pour but de rémunérer l'achat de quantités croissantes de marchandises. Interdire à l'entreprise dominante la pratique d'un tel système équivaudrait à la condamner à régresser.
80. A cet égard, il y a tout d'abord lieu de constater que les variations des ristournes de 0,2 à 0,4 % dépendant de la réalisation de l'objectif de vente, telles qu'elles ont été établies au Cours de la procédure devant la Cour, sont en effet faibles. Toutefois, on ne saurait apprécier les effets de la ristourne en question sur la base du seul pourcentage des variations liées aux objectifs.
81. Le système de ristournes litigieux était basé sur une période de référence annuelle. Or, il est inhérent à tout système de ristournes accordées en fonction des quantités vendues au Cours d'une période de référence relativement longue que la pression s'accroît, pour l'acheteur, à la fin de la période de référence, de réaliser le chiffre d'achats nécessaire afin d'obtenir l'avantage ou de ne pas subir la perte prévue pour l'ensemble de la période. En l'espèce, les variations du taux de la ristourne en raison d'une dernière commande, même de faible importance, au Cours d'une année se répercutaient sur la marge de bénéfice du revendeur pour les ventes de pneus Michelin pour poids lourds de toute l'année. Dans ces circonstances, déjà de faibles variations pouvaient exercer une pression sensible sur les revendeurs.
82. Cet effet était encore renforcé par les grands écarts entre la part de marché de NBIM et celles de ses principaux concurrents. Un concurrent de NBIM qui désirait proposer à un revendeur un avantage concurrentiel lors d'une commande, notamment en fin d'année, devait en effet tenir compte de la valeur absolue de la ristourne annuelle d'objectif de NBIM et fixer sa propre ristourne, en termes relatifs par rapport au volume plus réduit des achats du revendeur auprès de ce concurrent, à un pourcentage très élevé. Il était donc difficile pour les concurrents, malgré le pourcentage apparemment faible de la ristourne de NBIM en cause, de compenser pour les revendeurs les avantages ou les pertes résultant d'une réalisation ou d'une non-réalisation des objectifs de NBIM.
83. En outre, le manque de transparence de l'ensemble du système de ristournes de NBIM, dont les modalités ont d'ailleurs changé à plusieurs reprises au Cours de la période concernée, ainsi que la circonstance que ni l'échelle de ristournes, ni les objectifs de vente et les ristournes y relatives n'étaient communiqués par écrit aux revendeurs, avaient pour effet que ceux-ci se trouvaient dans une situation d'insécurité et ne pouvaient généralement pas prévoir avec certitude les conséquences qu'aurait une réalisation ou une non-réalisation de leurs objectifs.
84. Tous ces facteurs contribuaient à créer pour les revendeurs une situation dans laquelle ils étaient exposés, notamment vers la fin d'une année, à une pression considérable de réaliser les objectifs de vente de NBIM s'ils ne voulaient pas Courir le risque de pertes que les concurrents pouvaient difficilement compenser par les rabais qu'ils étaient eux-mêmes en mesure de proposer. Son réseau de délégués commerciaux mettait NBIM en mesure de rappeler, à tout moment, cette situation aux revendeurs afin de les inciter à passer des commandes à NBIM.
85. Une telle situation est susceptible d'empêcher les revendeurs de pouvoir choisir, à tout moment, librement et en fonction de la situation du marché, la plus favorable parmi les offres que leur font différents concurrents et de changer de fournisseur sans désavantage économique sensible.Elle restreint ainsi la possibilité de choix pour les revendeurs en ce qui concerne leurs sources d'approvisionnement et rend plus difficile pour les concurrents l'accès au marché. Ni de désir de vendre plus, ni le désir de mieux planifier la production ne sauraient justifier une telle restriction de la liberté de choix et de l'indépendance du client. La situation de dépendance des revendeurs, créée par le système de ristournes litigieux, ne repose donc sur aucune contrepartie économiquement justifiée.
86. Il y a dès lors lieu de conclure qu'en liant à elle les revendeurs aux Pays-Bas par le système de ristournes litigieux décrit ci-dessus, NBIM a exploité d'une façon abusive, au sens de l'article 86 du traité, sa position dominante dans le domaine des pneus neufs de remplacement pour poids lourds. Le moyen soulevé par la requérante contre cette constatation de la décision litigieuse doit donc être rejeté.
d) Sur la discrimination de certains revendeurs
87. Par un deuxième moyen ayant trait au système de ristournes en général, la requérante conteste la constatation faite par la Commission que le système de ristournes de NBIM comportait l'application, aux revendeurs, de conditions inégales pour des prestations équivalentes au sens de l'article 86, sous c), en ce que des ristournes différentes étaient appliquées à des revendeurs se trouvant dans des situations comparables. Selon NBIM, ces ristournes ne sont pas discriminatoires, les écarts entre les taux de ristournes de différents revendeurs résultent de l'application d'une échelle de ristournes en fonction des achats globaux du revendeur auprès de NBIM au Cours de l'année précédente.
88. Afin de justifier sa constatation, la Commission s'est appuyée, au Cours de la procédure devant la Cour, sur une comparaison de la ristourne perçue par différents revendeurs et des quantités annuelles de pneus pour poids lourds achetées par ceux-ci ainsi que sur un tableau dans lequel figure le nombre de pneus vendus dans les différentes catégories de pneus et ayant bénéficié des différents taux de rabais en 1976, en relevant un certain nombre d'incohérences et d'anomalies qui ressortiraient de ces pièces, et qui démontreraient l'existence de discriminations.
89. Toutefois, il ressort de ce qui a été dit ci-dessus au sujet du fonctionnement du système de ristournes que le montant de la ristourne annuelle variable dépendait, en premier lieu, non pas du nombre de pneus pour poids lourds achetés par le revendeur, mais de son chiffre d'affaires en pneus Michelin toutes catégories confondues. En outre, la Commission a dû admettre au Cours de la procédure devant la Cour qu'elle avait commis une erreur en ce qui concerne certaines indications dans les fiches de clients utilisées par NBIM aux fins de son système de ristournes. On ne saurait exclure que ce sont des circonstances qui expliquent les incohérences et les anomalies que la Commission a cru pouvoir discerner dans les pièces examinées par elle.
90. Il est vrai qu'un système basé sur des objectifs de ventes individuels, fixés ou convenus tous les ans pour chaque revendeur, comporte nécessairement certaines différences entre les taux de ristournes accordés à différents revendeurs à nombre égal de pneus achetés, et que NBIM a en outre admis n'avoir pas pu appliquer son échelle de ristournes d'une façon mécanique, certains revendeurs n'ayant pas accepté une baisse automatique de la ristourne à la suite d'une baisse du chiffre d'affaires. Toutefois, il n'a pas été établi que de telles différences de traitement entre différents revendeurs sont le résultat de l'application de critères inégaux et qu'elles ne sont pas justifiées par des considérations commerciales légitimes. On ne saurait donc en déduire l'existence d'une discrimination de certains revendeurs de la part de NBIM.
91. Il y a dés lors lieu de conclure que la Commission n'a pas réussi à démontrer que le système litigieux de ristournes comportait l'application de ristournes discriminatoires à différents revendeurs et que la décision litigieuse doit être annulée pour autant qu'elle déclare, dans son article 1, sous a), que NBIM a enfreint les dispositions de l'article 86 en appliquant à l'égard de ses revendeurs des conditions inégales pour des prestations équivalentes.
2. Sur la ristourne supplémentaire en 1977
92. La requérante contredit ensuite la constatation, faite par la Commission dans la décision litigieuse, que NBIM a abusé de sa position dominante par l'octroi, en 1977, d'une ristourne extraordinaire de 0,5 % sur les achats de pneus pour camions, autobus, etc., dépendant de la réalisation d'un objectif en matière d'achat de pneus pour voitures de tourisme.
93. Selon la Commission, cette ristourne supplémentaire visait à imposer aux revendeurs un effort particulier sur le marché des pneus de tourisme afin de pouvoir bénéficier d'un avantage sur les ventes de pneus pour poids lourds. Il s'agirait là d'une technique commerciale similaire à celle visée par l'article 86, sous d).
94. NBIM soutient que la Commission s'est basée sur une interprétation erronée des faits. La ristourne supplémentaire accordée en 1977 ne saurait être considérée comme ristourne pour pneus de poids lourds alors qu'elle était liée à la réalisation d'un objectif pour voitures de tourisme. NBIM conteste en outre que l'octroi de cette ristourne supplémentaire était lié à un objectif spécial, autre que l'objectif normalement établi pour la vente des pneus pour voitures de tourisme.
95. A cet égard, il y a lieu d'observer tout d'abord, qu'ainsi qu'il ressort des explications fournies par les parties au Cours de la procédure devant la Cour, que NBIM pratiquait, dans le domaine des pneus pour voitures de tourisme, un système de ristournes similaires à celui appliqué aux ventes de pneus pour poids lourds. Dans le cadre de ce système, NBIM a augmenté, au Cours de l'année 1977, de 0,5 % le taux proposé de la ristourne annuelle variable de chaque revendeur pour les ventes des pneus pour voitures de tourisme.
96. Il est constant qu'en 1977, à cause d'une pénurie temporaire, NBIM n'était pas en mesure de satisfaire la demande en pneus pour poids lourds sur le marché néerlandais. Les revendeurs étaient donc dans l'impossibilité de réaliser leurs objectifs de vente en pneus pour poids lourds. C'est dans ces circonstances que NBIM a accordé la ristourne supplémentaire litigieuse.
97. Il résulte de ce qui précède qu'indépendamment de la question de savoir si cette ristourne supplémentaire était ou non liée à un objectif spécial plus élevé, et indépendamment de la question de savoir si cette ristourne a été annoncée au début de l'année ou seulement en septembre 1977, elle s'insérait dans le cadre du fonctionnement de la ristourne annuelle variable pour la vente des pneus pour voitures de tourisme. Si la motivation de NBIM d'accorder cette ristourne était de compenser les pertes résultant pour les revendeurs de l'impossibilité, de la part de NBIM, de leur fournir les quantités de pneus poids lourds permettant de réaliser leurs objectifs de vente dans ce domaine, il n'en reste pas moins que cette ristourne était accordée sur les ventes en pneus pour voitures de tourisme, en fonction d'un objectif dans ce dernier domaine, et qu'elle était indépendante de la quantité vendue de pneus pour poids lourds.
98. Il s'ensuit que l'on ne saurait qualifier cette ristourne, comme l'a fait la Commission, de ristourne sur les ventes de pneus pour poids lourds. Par l'octroi de cette ristourne, NBIM n'a pas fait dépendre un avantage accordé sur les ventes sur un marché de la réalisation d'un objectif de vente sur un autre marché. L'argument de la Commission selon lequel le comportement litigieux s'apparente à une prestation liée au sens de l'article 86, sous d), n'est donc pas fondé.
99. Il y a dés lors lieu de conclure que la Commission n'a pas établi qu'en accordant la ristourne supplémentaire en 1977, NBIM ait exploité d'une façon abusive sa position dominante sur le marché des pneus pour poids lourds et que l'article 1, sous b), de la décision litigieuse doit être annulé.
IV - Sur l'affectation du commerce entre les états membres
100. La requérante conteste que le système de ristournes pratiqué par elle soit susceptible d'affecter le commerce entre les états membres, au sens de l'article 86 du traité.
101. La Commission a fait valoir dans sa décision que les autres producteurs, dont les possibilités de pénétration sur le marché néerlandais seraient diminuées du fait de la limitation de la liberté d'achat des revendeurs, auraient, pour une large part, leurs unités de production dans d'autres états membres, et que 25 à 28 % des pneus pour poids lourds en concurrence avec les pneus Michelin sur le marché néerlandais proviendraient d'autres états membres de la communauté.
102. NBIM, appuyée par le gouvernement français, a soutenu qu'un comportement limité au territoire d'un état membre ne saurait affecter le commerce entre états membres. L'argumentation de la Commission reviendrait à présumer l'affectation du commerce et reposerait sur une analyse purement abstraite et théorique. La Commission n'aurait pas concrètement établi que le comportement de NBIM a un effet sur la concurrence et cloisonne le marché des Pays-Bas.
103. A cet égard, il y a lieu de constater que lorsque le détenteur d'une position dominante barre l'accès au marché à des concurrents, il est indifférent que ce comportement n'ait lieu que sur le territoire d'un seul état membre, dés lors qu'il est susceptible d'avoir des répercussions sur les Courants commerciaux et sur la concurrence dans le Marché commun.
104. En l'espèce, l'existence de Courants commerciaux considérables du fait de l'établissement de concurrents importants dans d'autres états membres n'a pas été contestée. Les effets du système de ristournes sur les possibilités des concurrents d'accéder au marché des Pays-Bas ont déjà été examinés dans le contexte de l'examen du caractère abusif de ce comportement de NBIM. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l'article 86 n'exige pas qu'il soit établi que le comportement abusif a, en effet, sensiblement affecté le commerce entre états membres, mais demande qu'il soit établi que ce comportement est de nature à avoir un tel effet.
105. Il résulte de ce qui précède que les moyens visant à contester l'affectation du commerce entre états membres par le système de ristournes de NBIM ne sont pas fondés.
V - Sur la fixation de l'amende
106. La requérante objecte contre la fixation de l'amende qu'elle ne peut être accusée d'aucune intention ou négligence en ce qui concerne le comportement litigieux, étant donné qu'il lui était impossible de prévoir un revirement de la pratique administrative de la Commission et de la jurisprudence de la Cour en matière de rabais. Elle demande enfin, à titre subsidiaire, une réduction de l'amende.
107. A cet égard, il y a lieu de souligner que les éléments de fait qui justifient tant la constatation d'une position dominante sur le marché que l'appréciation du système de ristournes litigieux comme exploitation abusive de cette position étaient connus par NBIM. Ce système a été mis en place de propos délibéré. Le fait que jusqu'ici ni la Commission ni la Cour ne se sont prononcées sur un système de ristournes présentant des caractéristiques identiques au système litigieux n'exonère pas NBIM de sa responsabilité. En tout état de cause, compte tenu des décisions antérieures de la Commission et de la jurisprudence de la Cour, NBIM devait s'attendre à ce que ce système rentrât dans le champ d'application de l'article 86 du traité.
108. Il s'ensuit que c'est à juste titre que la Commission a estimé pouvoir infliger à NBIM une amende en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n°17.
109. Le montant des amendes que la Commission peut infliger, en vertu de cette dernière disposition, est de mille unités de compte au moins et d'un million d'unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au Cours de l'exercice social précédent par l'entreprise concernée. Pour déterminer le montant de l'amende à l'intérieur de ces limites, ladite disposition prescrit la prise en considération de la gravité et de la durée de l'infraction.
110. En ce qui concerne la durée de l'infraction, il n'est pas contesté entre les parties que le système litigieux a été appliqué pendant une période allant au moins de 1975 à 1980. Quant à l'argument de NBIM que la Commission elle- même aurait pu abréger la durée de l'infraction en agissant plus vite, il y a lieu de tenir compte des difficultés que soulevait l'instruction sur un système de ristournes qui n'était pas établi par écrit, et dont les modalités étaient peu transparentes. Dans ces conditions, la Commission était fondée à prendre en considération toute la période pour déterminer la durée de l'infraction.
111. Pour déterminer la gravité de l'infraction, il faut tenir compte, selon les cas, d'un grand nombre d'éléments parmi lesquels peuvent figurer notamment la taille et la puissance économique de l'entreprise, qui peuvent trouver leur expression dans le chiffre d'affaires global de l'entreprise et la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l'objet de l'infraction. Les arguments invoqués par NBIM contre l'admissibilité d'une prise en considération du chiffre d'affaires sont donc, en tout cas, non fondes. Il appartient par ailleurs à la Cour, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en la matière, d'apprécier elle-même les circonstances de l'espèce et le type d'infraction en cause afin de déterminer le montant de l'amende.
112. A cet égard, il y a lieu de constater que les reproches formulés par la Commission contre la ristourne supplémentaire accordée en 1977 n'ont pas résisté à l'examen de la Cour. D'autre part, en ce qui concerne le système de ristournes en général, le reproche principal de la Commission a été confirmé. Il est vrai que le caractère discriminatoire de ce système n'a pas été prouvé et que l'amplitude des variations de la ristourne en fonction des objectifs était considérablement moins élevée qu'elle n'était apparue dans la décision litigieuse. La Commission a dû admettre, en outre, une interprétation erronée des fiches de clients utilisées par NBIM et elle n'a pas pu maintenir son allégation que les objectifs de vente fixés par NBIM visaient à imposer aux revendeurs des parts toujours croissantes de pneus Michelin dans le total de leur chiffre d'affaires. Toutefois, même si ces circonstances peuvent amener à fixer le montant à un niveau plus bas que ne l'a fait la Commission, la gravité de l'abus de la position dominante par NBIM n'en est pas, en substance, modifiée.
113. Il y a donc lieu de fixer le montant de l'amende en tenant compte de la constatation, à l'exception de la ristourne supplémentaire de 1977, d'un système de ristournes qui, même si la marge de variation de la ristourne était relativement étroite et si une application discriminatoire n'a pas été prouvée, a eu un effet négatif sur la libre concurrence dans le Marché commun, laquelle constitue un principe fondamental du traité. Dans ces circonstances, il est justifié de fixer l'amende à 300 000 écus, soit 808 758 florins néerlandais.
114. Ainsi qu'il a été ci-dessus exposé, il y a lieu d'annuler l'article 1, sous a), de la décision litigieuse pour autant qu'il constate que NBIM a appliqué à l'égard des revendeurs des conditions inégales pour des prestations équivalentes, ainsi que son article 1, sous b), concernant la ristourne supplémentaire en 1977. L'amende infligée à l'article 2 de la décision doit être fixée à 300 000 écus, soit 808 758 florins néerlandais. Le reCours doit être rejeté pour le surplus.
VI - Sur les dépens
115. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 3 du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.
116. En l'espèce, chaque partie, y compris la partie intervenante, a succombé sur une partie de ses moyens. il y a donc lieu de compenser les dépens.
Par ces motifs,
la Cour
déclare et arrête :
1) L'article 1, sous a), de la décision de la Commission, du 7 octobre 1981 (IV-29.491 - Bandengroothandel Frieschebrug BV/NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin - JO l 353, p. 33), pour autant qu'il déclare que NBIM a appliqué à l'égard des revendeurs des pneus aux Pays-Bas des conditions inégales pour des prestations équivalentes, ainsi que l'article 1, sous b), de cette décision sont annulés.
2) Le montant de l'amende infligée à la partie requérante dans l'article 2 de cette décision est fixé à 300 000 écus, soit 808 758 florins néerlandais, à payer en florins néerlandais.
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) Chaque partie, y compris la partie intervenante, supportera ses propres dépens.