CJCE, 25 octobre 1983, n° 107-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft AEG-Telefunken (AG)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mertens de Wilmars
Présidents de chambre :
MM. Koopmans, Bahlmann, Galmot
Avocat général :
M. Reischl
Juges :
MM. Pescatore, Stuart, O'keeffe, Bosco, Due
Avocats :
Mes Hirsch, Oesterle.
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 mars 1982, la société Allgemeine Elektricitats-Gesellschaft AEG-Telefunken AG (ci-après dénommée AEG), à Francfort-sur-le-Main, a introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du Traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision 82-267 de la Commission des Communautés européennes du 6 janvier 1982, relative à une procédure au titre de l'article 85 du Traité CEE (IV/ 28.748/CEE-AEG Telefunken).
2. La requérante, société par actions de droit allemand, s'occupe, entre autres, de la mise au point, de la fabrication et de la distribution d'articles de l'électronique de divertissement (téléviseurs, radios, magnétophones, phonographes et matériel audio-visuel). Ces produits sont fabriqués et distribués depuis 1970, par Telefunken Fernseh - und Rundfunk - GmbH (ci-après dénommée TFR), filiale d'AEG, qui depuis le 1er juin 1979, est une branche autonome d'AEG. La distribution des produits Telefunken se fait en République fédérale d'Allemagne par l'intermédiaire des bureaux ou installations de vente AEG et dans les autres Etats membres de la Communauté par l'intermédiaire des filiales d'AEG chargées, dans chacun de ces pays, des activités de distribution, à savoir, en ce qui concerne la présente affaire, AEG-Telefunken France (ci-après dénommée ATF) en France et AEG-Telefunken Belge (ci-après dénommée ATBG) en Belgique.
3. Pour la distribution dans le Marché commun d'un certain nombre de produits Telefunken relevant d'un programme dénommé "5 étoiles ", qui désigne les articles d'électronique de divertissement précités, AEG a notifié à la Commission, le 6 novembre 1973, un système de distribution sélective pour les produits de marque Telefunken (Vertriebsbindung für Telefunken-Markenwaren) fondé sur des accords-type (EG- Verpflichtungsscheine) conclus avec des revendeurs qualifiés aux divers stades de la distribution. Sur demande de la Commission, AEG a ensuite apporté certaines modifications à ce système. Par lettre du 17 mai 1976, le directeur général de la concurrence a informé AEG de ce qu'il ne voyait pas d'objection à l'utilisation de la version notifiée le 16 mars 1976 de l'accord-type de distribution sélective, eu égard à l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE.
4. Au cours des années, la Commission, qui avait été saisie de nombreuses plaintes présentées à l'égard d'AEG par des commerçants du secteur de l'électronique de divertissement, a été amenée à présumer que la mise en œuvre effective du système de distribution sélective de la part d'AEG et de ses filiales ne correspondait pas au modèle qui avait fait l'objet de la notification. Elle a, par conséquent, effectué, les 26 et 27 juin 1979, des vérifications auprès de TFR, ATBG et ATF et, ayant estimé que les documents dont elle a pris connaissance à cette occasion étaient de nature à confirmer ses soupçons, elle a engagé, par décision du 29 mai 1980, une procédure contre AEG au sens de l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 17-62.
5. A la suite de cette procédure, la Commission a adopté, le 6 janvier 1982, la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté qu'AEG a appliqué, de manière abusive, son système de distribution sélective, en discriminant certains distributeurs et en influençant directement ou indirectement les prix de vente à pratiquer par les distributeurs agréés, et cela dans le but d'exclure en principe certaines formes de distribution, et de maintenir les prix à un niveau déterminé. La décision déclare que, par l'application pratique de son système de distribution sélective, AEG a commis une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE, et invite cette société à mettre fin immédiatement à l'infraction constatée et lui inflige une amende d'un million d'écu, soit de 2 445 780 DM.
6. Par les moyens qu'elle fait valoir à l'appui de son recours, la requérante conteste respectivement :
I) la régularité de la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée, caractérisée, d'après AEG, par :
A) la clarification insuffisante des faits;
B) la sélection et l'utilisation de documents selon des critères arbitraires;
C) la méconnaissance des données effectives du marché;
D) la non-mention des résultats de précédentes enquêtes;
E) la violation des droits de la défense.
II) l'existence des conditions prévues pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE, sur la base d'éléments tels que :
A) le caractère unilatéral des agissements reprochés à AEG et à ses filiales;
B) le caractère licite des actions visant à garantir le maintien d'une marge bénéficiaire minimum dans le cadre d'un système de distribution sélective;
C) le caractère atypique des comportements faisant l'objet des griefs;
D) la non-imputabilité à AEG des comportements faisant l'objet des griefs;
E) l'absence d'entraves aux échanges intracommunautaires.
III) le bien-fondé des griefs sur lesquels la décision litigieuse est basée, notamment :
l'existence d'une politique de distribution contraire au système ainsi que l'existence des cas particuliers dans lesquels cette politique aurait trouvé application;
l'existence d'une politique d'influence sur les prix de vente incompatible avec le système de distribution sélective ainsi que l'existence des cas particuliers dans lesquels cette politique aurait trouvé application.
7. Un différend a, en outre, surgi entre les parties à propos des intérêts de retard que, selon la Commission, AEG devrait payer au cas où, au terme de la procédure de recours, elle demeurerait condamnée à une amende. En effet, la Commission s'étant déclarée disposée à surseoir à l'exécution provisoire de la décision à la condition que la requérante s'engage à payer ces intérêts dans le cas où l'arrêt de la Cour lui serait défavorable, AEG a pris cet engagement sous réserve cependant de l'appréciation de la Cour quant à la question de savoir si ces intérêts peuvent être exigés.
8. Par ordonnance du 6 mai 1982, prise sur une instance en référé introduite par AEG en même temps que son recours, le Président de la Cour a prononcé le sursis à exécution moyennant le maintien de la caution constituée le 17 mars 1982 en faveur de la Commission. Dans la même ordonnance, il est en outre souligné que la réserve formulée par AEG était légitime et devait être acceptée et que la question de savoir si des intérêts sont dus ou non relève de la compétence de la Cour statuant au principal.
I - Sur les moyens qui contestent la régularité de la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée
A) La clarification insuffisante des faits
9. AEG soutient que la Commission a négligé tous les éléments susceptibles d'éclairer les modalités concrètes d'application du système de distribution sélective à l'échelle de la Communauté européenne, en se limitant à saisir quelques 500 pièces et à utiliser en tout et pour tout des passages tirés d'une quarantaine de ces pièces.
10. A cet égard, il y a lieu de constater, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, que celle-ci n'est nullement obligée de saisir ou copier aux fins d'une enquête tous les documents ayant rapport à un système de distribution sélective. En réalité, ce sont les seuls documents ayant trait à l'application abusive du système qui doivent être pris en considération.
B) La sélection et l'utilisation de documents selon des critères arbitraires
11. Selon AEG, celles des pièces acquises par la Commission lors des vérifications des 26 et 27 juin 1979 qui auraient pu servir à décharge n'ont pas été prises en considération. Egalement, la Commission aurait écarté certains résultats auxquels elle était parvenue au cours de son enquête et qui auraient été favorables à AEG et en aurait utilisé d'autres selon des critères tout à fait arbitraires.
12. A l'appui de ce moyen, AEG avance les allégations suivantes:
1) la Commission se serait fondée, pour étayer le grief de concertation sur les prix, figurant au point 28 de la décision, sur des renseignements fournis, dans le cadre d'une simple demande de renseignements, par M. Iffli, sans tenir compte du fait que celui-ci était habituellement opposé à tout système de distribution sélective;
2) la Commission aurait négligé, dans le cas Ratio-Markt, le fait que les gérants de Ratio eux-mêmes auraient reconnu que leur magasin de Kassel ne remplissait pas les conditions du commerce spécialisé;
3) le commerçant Verbinnen n'aurait jamais déclaré avoir subi des pressions de la part d'ATBG;
4) des demandes de renseignements sur une utilisation abusive du système de la part d'ATBG, adressées à des commerçants belges, auraient reçu des réponses négatives. Ni les demandes, ni les réponses n'auraient toutefois été mentionnées dans la décision;
5) la Commission n'aurait pris en considération qu'un seul des nombreux documents produits par AEG, qu'elle aurait d'ailleurs utilisé de façon arbitraire, mais aucune des preuves qu'AEG avait présentées ou offertes au cours de la procédure.
13. A cet égard il y a lieu de souligner que les cas pour lesquels aucun grief n'a été formulé ne constituent pas nécessairement une preuve de l'application correcte du système, en ce que l'application abusive du système n'aurait exigé d'AEG que des interventions dans des cas assez rares, où elle constatait un risque d'importations parallèles ou de concurrence très poussée sur les prix. Dans ces conditions, la Commission n'était donc pas tenue de prendre en considération les cas où aucune infraction n'était en discussion.
14. Les allégations d'AEG doivent en revanche être examinées en détail pour ce qui est des cas Iffli, Ratio et Verbinnen, étant donné que dans ces cas, elles reviennent à dire que la Commission a établi l'existence d'une violation après avoir arbitrairement écarté des éléments qui l'auraient nécessairement amenée à une conclusion différente.
15. Si on les entend dans ce sens, ces allégations reviennent en substance à dire que, lorsqu'il a été question d'établir si certains cas constituaient une application abusive du système de distribution sélective, la Commission a mal apprécié les éléments de preuve relatifs à ces cas. Il s'agit donc en réalité de l'appréciation du bien-fondé des cas particuliers - qui sera Traité séparément à l'occasion des questions de fond - et non d'une question portant sur la régularité de la procédure suivie par la Commission.
C) La méconnaissance des données effectives du marché
16. AEG soutient que la Commission n'a pas tenu compte de la situation du marché de l'électronique de divertissement en tant que tel et a méconnu des éléments, telle que par exemple la concurrence acharnée existant dans le secteur, qui auraient rendu déraisonnable une politique de distribution visant à limiter le nombre des revendeurs agréés ainsi qu'à maintenir des prix de vente élevés.
17. En ce qui concerne ce moyen, il importe d'observer au préalable que la constatation de l'existence d'une situation qui aurait dû déconseiller à une entreprise de tenir un certain comportement ne saurait, à elle seule, exclure l'existence de ce comportement, puisqu'on peut bien imaginer que l'entreprise en question se soit fondée sur une appréciation erronée de la situation effective du marché ou que, tout en étant bien au courant de la situation, elle ait escompté que les avantages découlant d'une politique de maintien des prix étaient supérieurs aux désavantages découlant de la perte de positions concurrentielles.
18. Ainsi, comme la Commission l'a observé à juste titre, on peut estimer qu'AEG ne prenait pas, même dans une situation de concurrence très poussée, des risques excessifs par l'adoption d'une politique de prix élevés, étant donné que les distributeurs souhaitaient en tout cas compléter leur assortiment par des produits de la marque Telefunken et étaient généralement d'accord pour bénéficier d'une marge commerciale élevée.
D) La non-mention des résultats de précédentes enquêtes
19. AEG affirme que la Commission, saisie, après l'introduction du système de distribution sélective en 1973, de nombreuses plaintes mettant en cause le comportement d'AEG et de ses filiales, avait entamé des procédures qu'elle avait ensuite abandonnées. Cela montrerait que la Commission n'avait pas constaté, au cours de ses enquêtes, une application abusive du système de distribution sélective. La non-mention de ces précédents, incompatibles avec la décision litigieuse, prouverait le parti pris de la Commission dans la présente affaire.
20. La Commission conteste à juste titre que le fait d'avoir classé les plaintes en question puisse être interprété comme un jugement favorable sur l'application du système de distribution sélective de la part d'AEG. Il y a lieu en effet de remarquer que, même si la Commission estime qu'un cas isolé ne correspond pas à une application correcte du système de distribution sélective, elle n'est pas tenue de poursuivre une enquête de grande envergure, telle que celle prévue par l'article 9 du règlement n° 17, lorsqu'il n'y a pas d'éléments permettant de soupçonner que ce cas répond à une politique de l'entreprise. Il est donc normal que la Commission ait décidé de poursuivre une enquête au sens du règlement n° 17 seulement après que de nombreuses plaintes et informations l'avaient convaincue d'être effectivement en présence d'une application abusive du système de distribution sélective.
E) La violation des droits de la défense
21. AEG soutient que son droit à la défense a été violé par la Commission en ce que celle-ci
a) ne lui a pas fait parvenir le texte intégral d'une lettre de M. Iffli du 12 août 1980 faisant état d'un prétendu comportement abusif de la requérante l'empêchant ainsi de prendre position à ce sujet;
b) a utilisé dans la décision attaquée des pièces qui n'avaient pas été mentionnées dans la communication des griefs du 2 juin 1980 bien qu'elles fussent déjà, à cette époque-là, en possession de la Commission;
c) a rendu une décision qui se fonde, entre autres, sur des cas particuliers non mentionnés dans la communication des griefs (Mammouth, Verbinnen).
22. Pour ce qui est de la lettre de M. Iffli, AEG soutient que le fait qu'elle a pu consulter cette lettre dans son texte intégral seulement après la décision, démontre à l'évidence que le document n'a pas pu être utilisé par la requérante pour répondre à la communication des griefs.
23. La Commission excipe que la lettre de M. Iffli n'a pas pu, en un premier temps, être communiquée dans sa totalité à la requérante pour des raisons de confidentialité et de protection du secret commercial.
24. A cet égard il y a lieu d'observer que de telles exigences auraient dû amener la Commission à renoncer à l'utilisation de ce document en tant que moyen de preuve. AEG est en effet justifiée d'estimer qu'elle ne pouvait se voir opposer un document, dont une partie ne lui avait pas été communiquée, et qu'il n'appartenait pas à la partie défenderesse d'apprécier si un document ou une partie d'un document était ou non utile pour la défense de l'entreprise intéressée.
25. Il s'ensuit que la lettre de M. Iffli du 12 août 1980 ne peut pas être considérée comme un moyen de preuve valable dans le cadre de la présente affaire.
26. En ce qui concerne les pièces mentionnées uniquement dans la décision (lettre du bureau de vente TFR de Münster du 29 juin 1976; note ATF du 7 juillet 1977; note ATF du 20 octobre 1978), la Commission fait valoir qu'il s'agit de documents dont la requérante était déjà au courant, étant donné qu'ils émanaient de ses bureaux, et que ces documents n'ont servi qu'à confirmer des griefs déjà formulés.
27. Il y a lieu d'observer à cet égard que ce qui importe ce ne sont pas les documents en tant que tels, mais les conclusions qu'en a tirées la Commission. Si ces documents n'ont pas été mentionnés dans la communication des griefs, AEG pouvait à juste titre estimer qu'ils n'avaient pas d'importance aux fins de l'affaire. En n'informant pas la requérante que ces documents seraient utilisées dans la décision, la Commission a empêché AEG de manifester en temps utile son opinion sur la valeur probante de ces documents. Il s'ensuit que ces documents ne peuvent donc être considérés comme des moyens de preuve valables dans le cadre de la présente affaire.
28. Pour les mêmes raisons, le cas Mammouth ne doit pas être pris en considération, en tant que ce cas n'était pas mentionné dans la communication des griefs.
29. En ce qui concerne le cas Verbinnen, en revanche, il faut observer que, tout en n'étant pas mentionné dans la communication des griefs, ce cas a été communiqué à AEG en temps utile pour que celle-ci puisse formuler ses observations avant l'adoption de la décision litigieuse.
30. En conclusion, il y lieu de constater que les moyens soulevés par AEG afin de contester la régularité de la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée, se sont avérés dépourvus de fondement, sauf le moyen ayant trait à la violation des droits de la défense. Ce dernier moyen n'a toutefois pas de portée générale, en ce qu'il se limite à critiquer des violations concernant quelques cas particuliers, et ne saurait donc impliquer l'irrégularité de la procédure dans son ensemble. Il s'ensuit, dès lors, que l'exclusion de certains documents utilisés par la Commission en violation des droits de la défense n'aurait d'importance que dans la mesure où les griefs formulés par la Commission ne pourraient être prouvés que par référence à ces documents.
II - Sur les moyens qui contestent l'existence des conditions prévues pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE
A) Le caractère unilatéral des agissements reprochés à AEG et à ses filiales
31. AEG soutient que les comportements dont on lui fait grief dans la décision litigieuse, à savoir la non- admission de certains négociants et les initiatives visant à influencer les prix, sont des actions unilatérales et ne tombent donc pas, en tant que telles, sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, qui vise seulement les accords, les décisions d'associations d'entreprises et les pratiques concertées.
32. Afin d'apprécier cet argument, il y a lieu d'examiner la portée juridique des systèmes de distribution sélective.
33. Il est constant que les accords qui constituent un système de distribution sélective influencent nécessairement la concurrence dans le Marché commun. La jurisprudence de la Cour a toutefois reconnu qu'il existe des exigences légitimes, tel le maintien d'un commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute qualité et technicité, qui justifient une réduction de la concurrence par les prix au bénéfice d'une concurrence portant sur d'autres éléments que les prix. Les systèmes de distribution sélective constituent donc du fait qu'ils visent à atteindre un résultat légitime, qui est de nature à améliorer la concurrence, là où celle-ci ne s'exerce pas seulement sur les prix, un élément de concurrence conforme à l'article 85, paragraphe 1.
34. Les limitations inhérentes à un système de distribution sélective ne sont toutefois admises qu'à la condition qu'elles visent effectivement à réaliser une amélioration de la concurrence dans le sens précité. S'il en était autrement, elles seraient dépourvues de toute justification, en ce que leur seul effet serait celui de réduire la concurrence par les prix.
35. Afin de garantir que les systèmes de distribution sélective s'inspirent uniquement de cette finalité et ne puissent pas être créés et utilisés en vue d'atteindre des objectifs non conformes au droit communautaire, la Cour a précisé dans son arrêt du 25 octobre 1977 (Metro c. Commission, Rec. p. 1875) que ces systèmes sont admissibles "à condition que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, et que ces conditions soient fixées d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire ".
36. Il s'ensuit que la mise en œuvre d'un système de distribution sélective fondé sur des critères autres que ceux précités constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1. Il en est de même pour le cas où un système en principe conforme au droit communautaire est appliqué dans la pratique d'une manière incompatible avec celui- ci.
37. En effet, une telle pratique doit être considérée comme illicite, lorsque le fabricant, en vue de maintenir un niveau de prix élevé ou d'exclure certaines voies de commercialisation modernes, refuse d'agréer des distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs du système.
38. Une pareille attitude de la part du fabricant ne constitue pas un comportement unilatéral de l'entreprise qui, comme le soutient AEG, échapperait à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du Traité. Elle s'insère, par contre, dans les relations contractuelles que l'entreprise entretient avec les revendeurs. En effet, dans le cas d'admission d'un distributeur, l'agrément se fonde sur l'acceptation, expresse ou tacite, de la part des contractants, de la politique poursuivie par AEG exigeant, entre autres, l'exclusion du réseau de distributeurs ayant les qualités pour y être admis, mais n'étant pas disposés à adhérer à cette politique.
39. Il y a donc lieu d'estimer que même les refus d'agrément sont des actes qui relèvent des relations contractuelles avec les distributeurs agrées, en tant qu'ils visent à garantir le respect des ententes limitatives du jeu de la concurrence qui sont à la base des contrats entre les fabricants et les distributeurs agrées. Les refus d'agréer des distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs ci-dessus mentionnés fournissent donc la preuve de l'existence d'une application illicite de ce système, lorsque leur nombre suffit pour exclure qu'il s'agisse de cas isolés ne relevant pas d'un comportement systématique.
B) Le caractère licite des actions visant à garantir le maintien d'une marge bénéficiaire minimum dans le cadre d'un système de distribution sélective
40. AEG soutient que les comportements dont on lui fait grief visent à maintenir le niveau de prix qui est indispensable pour la survie d'un commerce spécialisé et que, si les systèmes de distribution sélective sont justifiés par la nécessité de garantir l'existence de ce commerce, dont les coûts sont beaucoup plus élevés que ceux du commerce non spécialisé, ces systèmes ne sauraient être considérés comme contraires au droit communautaire dans la mesure où ils sont structurés ou appliqués de manière à garantir aux commerçants agréés le bénéfice d'une marge minimum. Elle mentionne à cet égard, l'attendu 21, cinquième alinéa, de l'arrêt Metro précité, d'après lequel "la préoccupation, s'agissant de grossistes et de détaillants spécialisés, de maintenir un certain niveau de prix correspondant à celle du maintien, dans l'intérêt du consommateur, de la possibilité pour ce canal de distribution de subsister à côté de formes de distribution nouvelles axées sur une politique concurrentielle de nature différente, rentre dans le cadre des objectifs qui peuvent être poursuivis sans tomber nécessairement sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, et, si tel était en tout ou en partie le cas, dans le cadre de l'article 85, paragraphe 3 ".
41. Il y a toutefois lieu de souligner que, dans l'affaire Metro, il n'était pas question de comportements visant à ne pas admettre dans le réseau de distribution les commerçants qui n'étaient pas prêts à tenir certains prix. La requérante Metro ne critiquait pas les critères de sélection choisis pour l'admission des négociants au système de distribution sélective de la société SABA, à laquelle la Commission avait délivré une attestation négative au sens de l'article 2 du règlement n° 17-62, mais faisait uniquement valoir que ce système aboutissait à scléroser la structure des prix au niveau du commerce de détail et à éliminer ainsi la concurrence sur les prix.
42. Une limitation de la concurrence sur les prix doit cependant être considérée comme inhérente à tout système de distribution sélective, étant donné que les prix pratiqués par des commerçants spécialisés restent nécessairement à l'intérieur d'une fourchette beaucoup moins large que celle que l'on pourrait envisager dans le cas d'une concurrence entre commerçants spécialisés et commerçants non spécialisés. Cette limitation est contrebalancée par une concurrence sur la qualité des prestations fournies aux clients, qui ne serait normalement pas possible en l'absence d'une marge bénéficiaire adéquate permettant de supporter les frais plus élevés connexes à ces prestations. Le maintien d'un certain niveau de prix est donc licite mais seulement dans la mesure où il est strictement justifié par les exigences du système à l'intérieur duquel la concurrence doit continuer à exercer la fonction qui lui confère le Traité. En effet, l'objectif d'un tel système est uniquement "l'amélioration de la concurrence en tant qu'elle porte sur des éléments autres que les prix" et non la garantie d'une marge bénéficiaire élevée pour les revendeurs agréés.
43.AEG n'était donc pas fondée à estimer que l'acceptation d'un engagement à pratiquer des prix permettant une marge bénéficiaire assez élevée constituait une condition licite pour l'admission à un système de distribution sélective. Du fait même qu'elle était autorisée à ne pas admettre et à ne pas garder dans son réseau de distribution les commerçants qui n'étaient pas ou n'étaient plus en mesure de fournir les prestations typiques du commerce spécialisé, elle disposait de tous les instruments nécessaires pour s'assurer d'une application efficace du système. Dans ces circonstances, l'exigence d'un engagement en matière de prix constitue donc une condition manifestement étrangère aux besoins d'un système de distribution sélective et affectant ainsi également le libre jeu de la concurrence.
C) Le caractère non systématique des comportements faisant l'objet des griefs
44. Par ce moyen, AEG nie avoir normalement et intentionnellement utilisé de manière abusive son système de distribution sélective. Si l'on tient compte des milliers de distributeurs qui demandent à être admis dans ce système ou qui y opèrent déjà, on comprendrait facilement, selon AEG, que des bavures sont inévitables. Même à supposer qu'elles soient intentionnelles, quelques rares cas de violation ne sauraient en tout état de cause mettre en doute une application correcte du système.
45. Avant d'examiner ces arguments, il faut d'abord constater, ainsi que la Commission l'a remarqué à juste titre, que le nombre peu élevé des violations contestées à AEG par rapport à l'ensemble des cas d'application du système n'est pas, à lui seul, une preuve du caractère non systématique de ces violations. En effet, la grande majorité des distributeurs est déjà opposée par habitude à une politique de prix bas et accepte normalement de bon gré toute initiative visant au maintien d'une marge bénéficiaire élevée, de sorte qu'un producteur souhaitant appliquer le système de manière abusive ne serait obligé de refuser l'admission ou de menacer de sanctions que dans les cas de commerçants pratiquant une politique de prix très agressive.
46. Il s'ensuit que le caractère non systématique des violations ne découle pas nécessairement de leur nombre relativement limité et qu'une utilisation systématique des conditions d'admission dans un sens incompatible avec le droit communautaire ne saurait être exclue qu'après qu'on ait établi l'inexistence de toute politique générale d'AEG ou de ses filiales visant à écarter les revendeurs trop agressifs et à influencer les prix.
D) La non-imputabilité à AEG des comportements faisant l'objet des griefs
47. AEG affirme qu'il n'est pas possible de lui imputer l'une ou l'autre infraction éventuellement constatée, étant donné qu'elle n'a jamais pris une part autonome à l'application du système de distribution sélective, telle que celle-ci a été effectuée par TFR, ATF ou ATBG. On ne saurait en effet attribuer à AEG une "politique générale de distribution ", à partir de pièces de dossier, uniquement rédigées par ses filiales, et dans lesquelles elle n'aurait eu aucune part. A fortiori, elle ne saurait être tenue pour responsable des violations individuelles qui, selon la Commission, auraient été commises par ses filiales.
48. La Commission répond que le système introduit par AEG a été mis en œuvre dans les différents Etats membres concernés par ses filiales TFR, ATF et ATBG, qui sont soumises au contrôle de la requérante, sont chargées par celle-ci de l'application du système et sont tenues d'appliquer, à cet égard, les instructions d'AEG. Elle remarque que TFR, ATF et ATBG font partie du groupe AEG-Telefunken et que TFR est, par exemple, une filiale à 100 % d'AEG-Telefunken.
49. Ainsi que la Cour l'a déjà souligné, notamment dans son arrêt du 14 juillet 1972 (International Chemical Industries, 48-69, Rec. p. 619), "la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société-mère ", notamment "lorsque la filiale, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société-mère ".
50. AEG n'ayant pas contesté qu'elle pouvait influencer de manière déterminante la politique de distribution et de prix de ses filiales, il reste à examiner si elle a effectivement fait usage de ce pouvoir. Une telle vérification apparaît cependant superflue dans le cas de TFR qui, étant une filiale à 100 % d'AEG, suit nécessairement une politique tracée par les mêmes organes statutaires qui fixent la politique d'AEG.
51. L'influence d'AEG sur ATF ressort indirectement d'une note interne ATF du 30 juin 1978, où il est dit qu'un distributeur avec lequel ATF négocie en vue de son adhésion est au courant "de la politique commerciale de Telefunken, grâce à laquelle les prix de vente restent stables et les revendeurs sont assurés d'une marge bénéficiaire adéquate ". Le mot "Telefunken" montre en effet qu'ATF faisait référence à une politique commerciale qui, dans sa perception, était le fruit d'une initiative d'AEG, qui seule pouvait tracer une politique unitaire à suivre par ses différentes filiales chargées de la distribution des produits Telefunken.
52. En ce qui concerne ATBG, il ressort des documents relatifs au cas du grossiste belge Diederichs, qu'ATBG a constamment informé TFR de ses négociations avec Diederichs (vr. lettres d'ATBG du 19 octobre 1977 et du 24 octobre 1977). Il ressort en outre de ces documents que TFR a pris directement contact avec Diederichs pour examiner la possibilité de discuter la normalisation des activités de celui-ci qui n'affectaient pourtant pas le marché allemand (vr. note TFR du 29 septembre 1977), qu'elle a abordé à l'intérieur de son organisation des problèmes posés par la demande d'admission de Diederichs (vr. telex TFR du 11 octobre 1977) et qu'elle a constaté enfin qu"il n'y a en ce moment aucune raison de poursuivre les discussions entamées avec M. Diederichs" (vr. note TFR du 28 octobre 1977). Ces éléments montrent clairement qu'il n'était pas question d'une autonomie de décision d'ATBG vis-à-vis de AEG et de TFR.
53. Il y a donc lieu de conclure que les comportements anticoncurrentiels des filiales TFR, ATF et ATBG sont imputables à AEG.
E) L'absence d'entraves aux échanges intracommunautaires
54. AEG fait valoir, par ce moyen, que l'application de son système de distribution sélective n'est pas en soi susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres, ni donc de tomber sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du Traité. Cette constatation demeurerait valable même dans le cas où il serait établi que le système a été appliqué de manière abusive.
55. La Commission reconnaît que le système de distribution sélective instauré par AEG ne contient pas en soi des dispositions faisant obstacle à des échanges de produits entre les distributeurs agréés établis dans les différents Etats membres et ne peut donc, en tant que tel, affecter le commerce intracommunautaire. Elle soutient cependant que c'est justement l'application abusive du système dont elle fait grief à AEG, qui a permis d'écarter du réseau de distribution, de manière discriminatoire, des commerçants importants et qui a ainsi empêché des échanges considérables de marchandises que ces négociants auraient pu effectuer entre les Etats membres.
56. Selon AEG, l'absence d'entraves sensibles, actuelles ou potentielles, au commerce entre les Etats membres résulte en premier lieu, des parts très modestes de marché détenues respectivement par TFR, ATF et ATBG, en deuxième lieu, du fait que les commerçants concernés n'auraient effectué des opérations commerciales entre les Etats membres ou n'auraient pas été en mesure de les effectuer, en troisième lieu, du fait qu'en ce qui concerne les téléviseurs en couleurs, tout commerce intracommunautaire se heurterait dans une large mesure à de graves difficultés techniques.
57. A cet égard, il faut observer qu'alors que les deux premiers arguments portent sur tous les produits faisant l'objet du programme "5 étoiles" qui comprend des produits tels que les téléviseurs, les radios, les magnétophones, les phonographes et le matériel audio-visuel, le troisième ne se réfère qu'aux téléviseurs en couleurs.
58. L'argument d'AEG relatif à la modicité des parts de marché détenues respectivement par TFR, ATF et ATBG ne saurait être retenu, et cela en considération du fait que chacune de ces sociétés a occupé, dans son propre pays, au cours des années 1973-1980, au moins 5 % du marché de l'électronique de divertissement. Or, comme la Cour l'a déjà affirmé dans son arrêt du 1er février 1978 (Miller, 19-77, Rec. p. 131) une entreprise couvrant environ 5 % du marché concerné est "une entreprise d'une taille suffisamment importante pour que son comportement soit en principe susceptible d'affecter le commerce ".
59. En ce qui concerne le deuxième argument avancé par AEG, il y a lieu d'observer que le risque d'entraves aux échanges potentiels ne peut pas être exclu sur la base de la seule allégation que les commerçants concernés n'auraient pas effectué ou n'auraient pas été en mesure d'effectuer des opérations commerciales entre les Etats membres. Il importe, à cet égard, de souligner que plusieurs des entreprises mentionnées dans la décision (par exemple, Diederichs en Belgique, les magasins Auchan, Darty, FNAC et Conforama en France) se sont effectivement livrées, ou étaient disposées à se livrer, à des importations parallèles. La chaîne de magasins Ratio en République fédérale d'Allemagne a effectué, à plusieurs reprises, des réimportations de produits Telefunken à partir de l'Autriche et en aurait sans doute fait autant à partir des Etats membres de la CEE, si la réimportation à partir de ces Etats lui avait apporté les mêmes avantages.
60. En tout cas, il y a lieu de rappeler que, d'après l'arrêt Miller précité, le seul fait qu'à un moment donné les commerçants qui demandent à être admis dans un réseau de distribution ou qui y ont déjà été admis n'effectuent pas d'échanges intracommunautaires ne saurait suffire pour exclure que des limitations à la liberté d'action des négociants puissent entraver le commerce intracommunautaire, la situation pouvant changer d'année en année en fonction de modifications dans les conditions ou la composition du marché tant dans le Marché commun dans son ensemble que dans les différents marchés nationaux.
61. Pour ce qui est des téléviseurs en couleurs, AEG a fait valoir qu'en tout état de cause l'application de son système de distribution n'aurait pu affecter des importations parallèles vers la France, qui n'étaient pas réalisables en raison de la différence entre les standards utilisés en Allemagne (PAL) et en France (SECAM) ainsi que du coût considérable de la transformation des appareils.
62. La Commission a soutenu que, si les différences d'ordre technique étaient de nature à rendre plus malaisés les échanges entre les Etats membres, elles n'avaient pourtant nullement l'effet de rendre ces échanges impossibles entre la République fédérale d'Allemagne et la France.
63. En répondant à une question posée par la Cour, AEG a précisé, dans une lettre du 28 janvier 1983, que jusqu'au mois de septembre 1981 les normes en matière de télévision pour le système SECAM étaient obligatoires en France et qu'"il n'existait donc aucune possibilité praticable de surmonter les entraves aux échanges qui résultaient de standards différents en France et en République fédérale". Des difficultés insurmontables auraient également existé par rapport aux importations de la République fédérale en Belgique, parce que les appareils destinés à la Belgique devaient être équipés pour le système de télévision par câble qui y est largement répandu et qui n'existe pas, en revanche, en République fédérale d'Allemagne.
64. A l'audience, la Commission a rappelé que le fait que le commerçant Verbinnen a vendu en Belgique des appareils téléviseurs en couleurs achetés en Allemagne montre bien qu'il n'y a pas de problèmes techniques insurmontables pour écouler ces appareils en Belgique. Il ressort d'ailleurs du dossier qu'également le commerçant Diederichs a importé en Belgique des téléviseurs en couleurs provenant de la République fédérale d'Allemagne.
65. Pour ce qui est des importations de téléviseurs en couleurs en France, même si on peut admettre qu'elles étaient limitées à cause de la différence des systèmes de transmission (SECAM en France et PAL en Allemagne), il convient toutefois d'observer que, comme la Commission l'a précisé à l'audience sans être contredite par la requérante, TFR a aussi fabriqué, pendant la période considérée, des appareils pouvant fonctionner avec les deux systèmes, qui sont particulièrement demandés dans les régions frontalières de l'Allemagne et de la France. Cette circonstance suffit pour conclure que la politique d'AEG a pu influencer également l'exportation de téléviseurs en couleurs de la République fédérale d'Allemagne vers la France.
66. Il résulte des considérations qui précèdent que les arguments visant à démontrer que les échanges entre Etats membres ne pouvaient être affectés par les agissements litigieux doivent être écartés.
III - Sur les moyens contestant le bien-fondé des griefs formulés par la Commission à l'encontre d'AEG
67. La Commission reproche à AEG d'avoir, par une application abusive de son système de distribution sélective concernant les produits de marque Telefunken, refusé d'admettre dans son réseau de distribution certains distributeurs, qui auraient cependant rempli les conditions d'admission, et d'avoir fixé directement ou indirectement les prix de vente à appliquer par les distributeurs agréés, en violant ainsi l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE.
68. D'après la Commission, cette discrimination et cette fixation des prix de vente n'étaient pas des fautes isolées commises par des collaborateurs trop zélés du service extérieur, mais des infractions perpétrées de propos délibéré et de manière systématique. L'existence d'une politique visant à appliquer le système de distribution sélective de manière à atteindre des buts non conformes au droit communautaire ressortirait clairement des documents des directions de vente de TFR, ATF et ATBG.
69. AEG conteste tant l'existence d'une politique générale visant à une application abusive du système que l'existence d'infractions dans les cas particuliers mentionnés par la Commission.
70. Bien que la décision litigieuse porte exclusivement sur l'application pratique du système, il convient d'examiner, en premier lieu, la nature et les caractéristiques de la politique générale de distribution suivie par AEG.
71. Le grief de la Commission concernant la politique de distribution s'appuie sur de nombreux documents que les inspecteurs de la Commission ont saisis à l'occasion des vérifications effectuées auprès de TFR, ATF et ATBG. Il ressort de manière suffisamment claire de l'ensemble de ces documents qu'AEG estimait que le maintien d'une marge bénéficiaire élevée en faveur des distributeurs était absolument nécessaire pour la survie du commerce spécialisé et que les entreprises qui renonçaient à une marge élevée devaient être considérées "a priori" comme incapables d'assurer les prestations très coûteuses propres au commerce spécialisé.
72. Cette position ne peut pas être considérée conforme à une application correcte du système de distribution sélective, étant donné que le maintien d'une marge bénéficiaire minimum pour les commerçants ne saurait en aucun cas relever en tant que tel des objectifs poursuivis au moyen d'un tel système.
73. L'arrêt Metro précité, auquel AEG fait référence pour justifier son attitude, établit en réalité un lien de cause à effet entre le maintien d'un certain niveau de prix et les possibilités de survie du commerce spécialisé ainsi que d'amélioration de la concurrence et n'admet une limitation de la concurrence sur les prix que dans la mesure où une telle limitation apparaît comme nécessaire pour assurer la concurrence au niveau des prestations du commerce spécialisé. Or, si de telles prestations étaient également fournies par des rayons spécialisés des hypermarchés ou d'autres nouvelles formes de distribution, qui, grâce à leur type d'organisation, seraient en mesure de les fournir à un prix moins élevé, le maintien d'une marge bénéficiaire minimale viendrait à être privé de toute justification, en ce que cette marge ne servirait plus à garantir une concurrence sur des éléments autres que le prix.
74. L'attitude résultant des documents mentionnés dans la décision n'est pas non plus admissible dans la mesure où, abstraction faite du problème du maintien d'un niveau de prix élevé, elle présuppose que les nouvelles formes de distribution ne sont pas, de par leur nature et de par leur type d'organisation, aptes à remplir les conditions du commerce spécialisé.
75. Une telle appréciation généralisée ne saurait en effet être défendue, compte tenu de ce que rien n'empêche qu'un hypermarché aménage son rayon de l'électronique de divertissement de manière à satisfaire aux conditions qualitatives du commerce spécialisé. Un fabricant ayant introduit un système de distribution sélective ne saurait donc se dispenser sur la base d'une évaluation a priori des caractéristiques des diverses formes de commerce de vérifier dans chaque cas si un candidat à l'admission remplit les conditions du commerce spécialisé. D'ailleurs, il ressort du dossier qu'AEG a été obligée de reconnaître qu'il y avait une tendance à la création de rayons spécialisés même dans les hypermarchés, voire à admettre que, dans certains cas, les conditions de la distribution sélective étaient remplies.
76. Il faut donc conclure que les documents mentionnés par la Commission montrent effectivement l'existence d'une politique de distribution qui s'inspire à la fois du souci de garantir aux revendeurs agréés une marge bénéficiaire élevée et de faire obstacle, dans toute la mesure du possible, à l'admission des nouvelles formes de commerce, qui sont censées "a priori" ne pas pouvoir remplir les conditions du commerce spécialisé. Cette politique présente donc des caractéristiques qui ne sont pas conciliables avec une application correcte du système de distribution sélective.
77. L'application abusive du système de la part d'AEG est en outre confirmée par un certain nombre de cas particuliers mentionnés par la Commission.
78. Les cas particuliers dans lesquels AEG aurait appliqué arbitrairement son système de distribution sélective ont été subdivisés par la Commission en trois catégories selon le type de comportement qui aurait donné lieu à la violation:
AEG aurait soumis l'admission à un engagement sur les prix, en excluant a priori tous ceux qui n'étaient pas prêts à prendre cet engagement;
AEG aurait appliqué le système sur la base d'un critère territorial et non sur la base de la vérification des conditions requises;
AEG aurait essayé d'imposer à ses distributeurs, de manière directe ou indirecte, le maintien de certains prix.
A) Les cas de non-admission abusive
1. En République fédérale d'Allemagne
a) Ratio Markt
79. La Commission a indiqué au point 16 de la décision du 6 janvier 1982, que "le refus d'agréer Ratio n'était pas motivé par la prétendue absence d'un rayon spécialisé, mais reposait sur le fait que Ratio est un grand magasin ". AEG fait valoir que la non-admission de Ratio est due uniquement au fait que cette entreprise, notamment son magasin de Kassel, n'a rempli à aucun moment les conditions du commerce spécialisé.
80. Il ressort de la correspondance échangée entre TFR et Ratio que le refus de livrer à cette dernière des produits de marque Telefunken relevant du programme " 5 étoiles" n'a jamais été motivé par référence à la non observation de conditions précises de la distribution sélective. La lettre de refus du 29 juin 1976 ne contient en effet qu'une référence très vague au fait que TFR aurait pris sa décision "après examen des questions qui se posent" dans le contexte de l'article 85, paragraphe 1. Cette motivation ne précise d'aucune manière en quoi Ratio n'aurait pas rempli les conditions du commerce spécialisé.
81. Une lettre de Ratio du 22 décembre 1976, dans laquelle étaient contestées certaines remarques effectuées verbalement par des employés de TFR à l'occasion d'une visite au magasin Ratio-Markt de Kassel ayant eu lieu le 20 mai 1976, n'a pas reçu de réponse de la part de TFR, qui n'a d'ailleurs jamais précisé si et dans quelle mesure ces remarques verbales avaient été prises en considération comme fondement de la décision de refus.
82. Il y a donc lieu de constater que non seulement TFR n'a jamais motivé son refus de livraison, sauf à considérer comme une motivation la référence tout à fait générale et indéterminée aux règles de concurrence du Traité, mais n'a pas non plus engagé de discussion sur les remarques rappelées et contestées par Ratio, qui auraient pu éventuellement être considérées par TFR comme des raisons justifiant un refus de livraison.
83. Dans ces conditions, on ne saurait soutenir que le cas Ratio ne constitue pas un exemple d'application abusive du système de distribution sélective. Le fait que Ratio s'est abstenue d'agir en justice afin d'obtenir une livraison de produits Telefunken ne peut pas être interprété en ce sens que Ratio aurait reconnu le bien-fondé du refus qui lui avait été opposé par TFR. En réalité, une action en justice pouvait ne pas répondre à un intérêt de Ratio tant en raison des frais assez élevés qui en découleraient qu'en raison du fait que, d'après le droit allemand, un droit à livraison ne saurait être constaté que dans le cas où l'entreprise intéressée prouverait qu'elle n'est pas en mesure de s'approvisionner du produit en question auprès d'autres fabricants.
b) Harder
84. Au point 17 de la décision, la Commission affirme que le grossiste Harder, qui avait été exclu du réseau de distribution, s'est vu poser pour y être réadmis les conditions de s'engager à ne pas livrer des produits AEG à des hypermarchés ou à des entreprises comparables et de ne pas effectuer d'exportations vers d'autres pays membres de la CEE.
85. AEG a fait valoir que de telles conditions ressortent tout au plus de la lettre du bureau de vente de Fribourg du 15 décembre 1976, qui ne reflèterait qu'une initiative prise par le responsable de ce bureau et qui met d'ailleurs en évidence qu'une décision sur la réadmission de Harder appartenait au siège central de TFR. Or, il ressortirait de deux lettres des avocats de TFR, respectivement du 29 août et du 7 septembre 1977, que la suspension des livraisons, décidée par TFR à l'égard de Harder, en raison de nombreuses violations du système dont ce dernier s'était rendu coupable, ne pouvait être abandonnée que si Harder avait contribué à la clarification des violations, ainsi que le prévoit l'accord-type de distribution sélective. Les livraisons n'auraient pas été reprises au motif que Harder n'a jamais rempli ces conditions. Dans ce contexte, il n'y aurait donc aucune raison de prendre en considération la proposition du bureau de vente de Fribourg, à laquelle TFR n'aurait donné aucune suite.
86. Il faut admettre qu'à la lumière des documents figurant au dossier, la non-réadmission de Harder apparaît comme étant due uniquement au non-respect, de la part de celui-ci, des obligations prévues par l'accord-type en vue d'éliminer les conséquences d'une violation de cet accord et qu'en l'absence de toute prise de position de la part des organes compétents de TFR, aucun élément ne permet de supposer que, si Harder avait satisfait aux conditions susmentionnées, on aurait encore exigé de lui des engagements supplémentaires par rapport aux engagements découlant du système de distribution sélective. Le cas Harder ne peut donc être considéré comme suffisamment prouvé.
2. En France
a) Auchan
87. Selon la Commission (point 23 de la décision), ATF, filiale d'AEG pour la France, n'était pas du tout disposée à admettre Auchan dans son réseau de distribution. L'admission d'Auchan n'aurait eu lieu qu'après que cette entreprise s'est engagée à respecter les prix recommandés par ATF et à mettre fin à toute publicité par annonce pour les produits Telefunken.
88. AEG soutient qu'elle n'a pas pu admettre Auchan avant que celui-ci se soit engagé à ne pas violer les règles de la concurrence.
89. L'affirmation d'AEG ne trouve aucun appui dans les documents figurant au dossier de l'affaire, qui montrent seulement, telle la note ATF du 21 mars 1978, qu'Auchan était un des magasins-discount les plus agressifs, pratiquant des prix extrêmement bas, mais n'apportent aucun élément permettant d'affirmer que ces prix étaient contraires à la législation nationale en matière de concurrence.
90. En revanche, il apparaît d'une note ATF du 20 octobre 1978 qu'un accord entre ATF et Auchan était possible aux conditions suivantes: "(Auchan) accepterait qu'en échange de nos livraisons, qui seraient, d'après lui, urgentes, ne voulant plus travailler avec Gründig, il retirerait toute parution presse sur nos téléviseurs, suivrait les prix conseillés que nous lui demanderions d'appliquer, à condition que dans la ville où ces produits seraient vendus, aucun magasin de quelque sorte que ce soit ne pratique des prix inférieurs, auquel cas, il serait amené à s'aligner ". Auchan a été admis dans le système de distribution AEG le 3 novembre 1978.
91. Il ressort de ce qui précède que, pour obtenir des livraisons de produits contractuels Telefunken, Auchan était prêt à autolimiter sa liberté de concurrence par les prix, en s'abstenant de pratiquer des prix inférieurs au moins élevé parmi les prix des autres commerçants établis dans la ville où les produits seraient vendus. Or, un tel engagement est manifestement non conforme aux conditions de l'accord-type.
b) Iffli
92. Dans une note ATF du 30 juin 1978, mentionnée au point 26 de la décision, il est dit textuellement que "M. Iffli s'engage à respecter nos prix et nous donne l'assurance que s'il choisit Telefunken ce n'est pas pour casser la marque ".
93. Les explications d'AEG, selon laquelle l'expression "nos prix" aurait trait aux prix de vente d'ATF à Iffli et l'engagement de "ne pas casser la marque", reviendrait à un engagement de ne pas vendre à des prix contraires aux règles de concurrence, ne sont pas convaincantes. En effet, l'expression "nos prix", utilisée par ATF, ne serait pas de compréhension immédiate si elle se référait à autre chose que les prix de vente au détail et l'expression "casser la marque" n'implique généralement pas autre chose qu'une vente à des prix qu'un fabricant peut estimer comme nuisibles à la réputation bien établie de ses produits. Ce point de vue, soutenu par la Commission, trouve d'ailleurs un appui de poids dans cette même note du 30 juin, dans laquelle on précise qu'Iffli a demandé à ATF ses conditions d'achat et qu'ATF lui a expliqué sa politique de tarifs, notamment les critères à suivre pour calculer "le prix de vente détail TTC avec une marge de 25 %".
94. Le souci d'ATF d'éviter une concurrence sur les prix ressort, en outre, d'un autre passage de la même note où il est dit "qu'il vaut mieux trouver un arrangement de politique de prix maintenus sur la ville de Metz entre le Roi de la Télé, Iffli et Darty, plutôt que de laisser les Ets Iffli de côté. Ceux-ci, en effet, réussiraient de toute façon à obtenir du matériel Telefunken et nous n'aurions plus alors la possibilité de faire respecter notre politique de prix".
3. En Belgique
a) Diederichs
95. AEG soutient que les refus d'admettre le grossiste Diederichs (points 36 à 39 de la décision attaquée) s'appuyait sur des considérations relatives à l'incapacité de Diederichs à remplir les conditions du commerce spécialisé.
96. Cet argument ne saurait être retenu. En réalité, il n'est possible de trouver dans la correspondance entre ATBG et Diederichs ni dans les documents internes de TFR et d'ATBF aucune mention des conditions que Diederichs n'aurait pas remplies, sauf une référence au fait que Diederichs aurait agi de manière contraire aux règles de la concurrence en important des produits contractuels Telefunken à partir de l'Allemagne et que, pour être admis en tant que distributeur agréé, il devrait s'engager à s'abstenir à l'avenir de ce comportement. Les importations parallèles ne peuvent cependant pas être considérées comme une violation des règles de concurrence, tandis qu'au contraire un engagement de ne plus effectuer de telles importations est, lui, manifestement, une violation du droit communautaire, du fait qu'il permettrait à un fabricant de cloisonner les marchés nationaux et d'éluder ainsi le principe de la libre circulation des marchandises.
97. Il y a donc lieu de conclure que les seules raisons du refus d'admettre Diederichs sont des raisons concernant le maintien d'une certaine structure de la distribution sur les différents marchés nationaux, ainsi qu'il résulte d'ailleurs très clairement de l'affirmation, figurant dans une note TFR du 28 octobre 1977, qu'AEG Bruxelles aimerait "renoncer à l'admission de Diederichs pour des raisons de politique de distribution".
B) Les cas de protection territoriale
98. Le point 29 de la décision affirme qu'ATF attribuait aux distributeurs qu'elle avait sélectionnés un territoire de vente déterminé où elle leur promettait une absence totale de concurrents dans la distribution des produits Telefunken. ATF aurait rejeté toutes les demandes d'admission émanant d'autres distributeurs installés dans ce territoire.
99. AEG soutient qu'une application correcte du système de distribution sélective n'exigeait de la part d'ATF qu'une obligation négative consistant à ne pas refuser l'admission dans le système des candidats qui rempliraient les conditions du commerce spécialisé, mais non une obligation positive consistant à contacter tous les distributeurs remplissant ces conditions pour les convaincre d'adhérer au système de distribution sélective AEG-Telefunken. Ceci étant, on ne saurait parler d'une application abusive du système que s'il était prouvé que des candidats, remplissant les conditions d'admission, ont été refoulés pour des raisons de protection territoriale.
100. L'existence d'une protection territoriale doit être examinée tant sous l'aspect de la garantie contre les initiatives des revendeurs agréés d'autres zones que sous l'aspect de la garantie contre l'admission de nouveaux distributeurs dans une zone déterminée.
1. Le cas "Le Roi de la Télé "
101. Il ressort d'une lettre ATF du 9 novembre 1972 que celle-ci n'estimait pas pouvoir donner suite à une demande de livraison de M. Iffli en raison des engagements de distribution qu'elle avait sur la place de Metz avec les établissements "Roi de la Télévision". Dans une note interne ATF du 30 juin 1978, relative à la candidature de M. Iffli, il est dit, entre autres, ce qui suit: "Nous connaissons le problème que cette candidature pose sur la ville de Metz, compte tenu de l'exclusivité dont a bénéficié, jusqu'à présent, le "Roi de la Télé". Mais il y a une décision à prendre". Cela montre qu'une protection territoriale a été accordée au "Roi de la Télé" dès avant l'introduction du système de distribution sélective jusqu'à 1978 et n'a été abandonnée que lorsque, face à une nouvelle demande d'Iffli, ATF a estimé que des considérations tant économiques que juridiques plaidaient très fortement contre le rejet de cette demande.
2. Lama
102. La décision mentionne, au point 34, une lettre du 23 octobre 1978 dans laquelle ATF écrit au grossiste Lama à Paris que "lorsqu'il s'agit de grossistes, il est normal, quoique cela devienne illégal dans le cadre de la circulaire Scrivener, que nous nous accordions une exclusivité de fait sur un territoire donné".
103. AEG fait valoir que cette lettre ne prouve pas un comportement concret d'ATF visant à ne pas admettre un commerçant dans son réseau de distribution afin d'accorder une protection territoriale à un revendeur agréé et que la phrase mentionnée par la Commission aurait uniquement servi pour souligner, avec quelques exagérations courantes dans les rapports commerciaux, la disponibilité d'ATF à l'égard d'un partner commercial.
104. Il y a lieu toutefois de remarquer qu'une exclusivité de fait ne peut être réalisée qu'en écartant les autres distributeurs qui opèrent dans la même zone que le revendeur agréé. En reconnaissant que la concession d'une exclusivité de fait répondait à sa pratique normale et en confirmant son engagement à maintenir cette pratique à l'égard de Lama, ATF a donc attesté elle-même l'existence d'un comportement abusif.
3. Radio du Centre
105. Dans une lettre du 2 mars 1978, ATF communique à Radio du Centre que ses objectifs commerciaux, en téléviseurs couleur et en radio-électro-acoustiques pour l'année 1978, l'obligent "à reconsidérer nos accords de 1977 en ce qui concerne l'attribution de notre zone d'activité pour notre marque". Si, afin d'admettre une exploitation conjointe de Radio du Centre et de la société SNER dans le département du Puy-de-Dôme, ATF était obligée de modifier les accords passés avec Radio du Centre, on ne peut se soustraire à la conclusion que ces accords garantissaient audit revendeur une protection territoriale empêchant à ATF d'accepter dans la même zone les demandes d'admission d'autres commerçants.
4. Schadroff
106. Les commerçants Schadroff à Bourg St. Andeol s'étant plaint de ce qu'un grossiste de Marseille avait fait des offres dans sa zone d'activité, ATF communique à cette entreprise, par lettre du 13 avril 1979, qu'un de ses responsables est "intervenu auprès du grossiste de Marseille pour qu'il ne continue pas sur votre secteur à faire de telles propositions" et rappelle que Schadroff bénéficie "d'une exclusivité de fait que nous avons toujours défendue et nous vous en avons très souvent donné la preuve". Il ressort de cette lettre qu'ATF est intervenue activement pour empêcher d'autres commerçants agréés d'envahir la zone d'exclusivité accordée à Schadroff.
C) Les cas d'influence sur les prix
1. Influence directe
a) En République fédérale d'Allemagne
i. SUMA
107. La note du bureau de vente AEG de Münich du 20 avril 1977, où il est dit textuellement que SUMA a promis "de ne pas jouer un rôle de chef de file dans le domaine des prix, mais de s'aligner dans le cas le plus favorable sur le prix le plus bas du marché, et de se maintenir autant que possible entre les prix moyens des magasins et les prix les plus bas", ne laisse pas de doute sur le fait que SUMA a été amenée à limiter sa liberté concurrentielle en matière de prix de vente.
ii. Holder
108. Il ressort d'une note TFR du 30 novembre 1976, mentionnée au point 41 de la décision, que TFR avait "expliqué en détail à la firme Holder la politique de distribution et la fixation des prix".
109. AEG a fait valoir, à cet égard, qu'il s'agissait dans ce cas d'une conversation relative au lancement d'un tout nouvel appareil TFR, le TRX 2000, qui était cependant très cher. L'exigence d'un lancement très soigneux aurait imposé qu'on explique en détail aux revendeurs le mode de distribution de cet appareil et les prix qui pouvaient le mieux en assurer le succès commercial.
110. Même à supposer que TFR ne se soit pas limitée, comme il est probable, à donner à Holder des renseignements sur le prix, qui, compte tenu de la situation du marché, serait le plus adapté pour le lancement du nouvel appareil, mais ait effectivement entendu fixer un prix de vente pour cet appareil, il n'en reste pas moins qu'à la différence d'un cas tel que le cas SUMA où l'engagement sur les prix couvre toute la gamme des produits contractuels Telefunken, la violation des règles de concurrence ne concernerait ici qu'un seul modèle, dans le cadre d'une seule catégorie de produits contractuels et à l'égard d'un petit détaillant, ce qui enlèverait à la transgression la plus grande partie de son importance.
b) En France
i. Darty
111. Une lettre ATF du 26 mai 1978, mentionnée au point 42 de la décision, fait état d'un "engagement pris par la société Darty de remonter ses prix de vente".
112. Le fait que l'engagement pris par Darty consistait à terminer une action promotionnelle dans la région parisienne et à revenir à ses prix originaires n'enlève rien au caractère d'influence illicite sur les prix qu'il faut attribuer à l'intervention d'ATF visant à obtenir ce résultat. L'affirmation d'AEG selon laquelle on aurait parlé par erreur d'engagement, alors qu'il se serait agi d'une décision unilatérale de Darty, manque de vraisemblance, d'autant plus qu'une visite d'un dirigeant d'ATF à Darty, a concerné, ainsi qu'il résulte expressément d'une note du 5 juin 1978, les "prix des téléviseurs couleur pratiqués sur Paris".
ii. Les distributeurs à Paris
113. La note précitée fait également état, en ce qui concerne la région parisienne, de ce qu'à la date du 2 juin 1978, "tout le monde" semblait d'accord pour remonter les prix et seule la FNAC ne l'aurait pas encore fait, raison pour laquelle M. Hondré d'ATF devrait la contacter.
114. AEG conteste que l'expression "tout le monde" puisse se référer "aux détaillants approvisionnés par ATF à Paris" ainsi qu'il est dit au point 43 de la décision, mais l'intitulé du n° 3 de la note (prix pratiqués sur Paris) ainsi que les expressions "tout le monde", contredisent l'opinion selon laquelle cette note concernerait uniquement Darty et FNAC.
115. Dans ces conditions, on peut considérer comme prouvée l'existence d'un accord sur les prix entre AEG et les détaillants de la région parisienne.
iii. Camif
116. Le point 44 de la décision fonde le cas Camif sur le passage suivant d'une note ATF du 5 juin 1978: "Compte tenu que certains revendeurs dont Darty considèrent Camif comme un client normal et donc comme un concurrent et qu'en conséquence tiennent à s'aligner sur les prix catalogues Camif, nous sommes intervenus en date du 2 courant auprès de M. Dechambre pour lui demander de relever les prix détails des matériels sur le catalogue Hiver 1978". Face à cette citation textuelle, la simple affirmation d'AEG selon laquelle ATF aurait invité Camif à majorer ses prix afin de tenir compte d'une augmentation des prix de vente d'AEG qui devait intervenir au mois de septembre 1978 paraît très peu convaincante.
iv. Cart
117. Dans une lettre du 4 novembre 1977, mentionnée au point 46 de la décision, ATF rappelle à Cart ce qui avait été convenu entre les deux entreprises en matière de prix et souligne que le non-respect de ces engagements de la part de Cart ne peut qu'" assombrir nos relations commerciales". Elle ajoute que "la réaction de certains de nos représentants n'a pas manqué à se présenter, puisqu'ils considèrent que la Cart, au lieu d'inciter à conserver les prix, brade". ATF demande enfin à Cart s'il serait possible d'arrêter la distribution du catalogue Cart contenant les prix critiqués ou, éventuellement, de le récupérer.
118. L'invitation à maintenir les prix, qui fait l'objet de cette lettre datée du 4 novembre 1977, ne peut d'aucune manière être justifiée par référence à la nécessité de tenir compte d'une augmentation des prix de vente au commerce de gros qui ne s'est produite qu'en septembre 1978. D'ailleurs la lettre du 21 juillet 1978, qui communique à Cart cette augmentation, ne se limite pas simplement à signaler les prix de vente au détail qui pourraient être pratiqués pour en tenir compte, mais ajoute ce qui suit: "Comme nous en étions convenus, nous vous demandons de tenir compte pour l'édition de votre catalogue des prix de vente détail énoncés ci-dessus, en les considérant comme des prix minimum".
v. FNAC, Darty et Grands Magasins
119. Une note ATF du 13 octobre 1978 (point 45 de la décision), intitulée "Prix détail prévus à compter du 18.09.78", contient le passage suivant: "Nous nous mettons d'accord avec les clients Siège, c'est-à-dire Darty, FNAC et Grands Magasins, pour que l'ensemble de ces prix soient appliqués au 2 novembre 1978". Même s'il s'agit uniquement, comme AEG l'affirme, de la question de la répercussion de l'augmentation des prix de gros sur les prix de vente au détail, il n'en reste pas moins qu'ATF a fait pression sur certains de ses distributeurs afin qu'ils procèdent le plus tôt possible à cette répercussion et a même conclu avec eux un accord à cet effet.
vi. Capoferm
120. Il résulte d'une note interne ATF du 3 avril 1979, que les chaînes de magasins de détail Capoferm/Darty s'étaient engagées vis-à-vis d'ATF à ne pas utiliser pour réduire le prix au détail une prime spéciale qui leur avait été accordée pour financer la reprise de vieux téléviseurs en tant que moyen pour promouvoir la vente de nouveaux appareils.
121. Etant donné que cette prime était déjà déduite du prix facturé par ATF, le distributeur s'engageait pratiquement à garder la même marge bénéficiaire tant dans le cas de reprise d'un vieil appareil et donc de paiement de la prime au client que dans le cas où le téléviseur serait vendu sans reprise. Cet engagement à garder un prix minimum, même dans le cas où, en l'absence d'une reprise, la prime se traduirait par un simple avantage accordé au distributeur, constitue un accord sur les prix incompatible avec le droit communautaire de la concurrence.
c) En Belgique
i. Verbinnen
122. Le point 39 de la décision attaquée fait état de ce que, selon les indications fournies par le distributeur belge Verbinnen, ATBG lui a demandé en janvier/ février 1980 de majorer de 3000 francs belges le prix d'un téléviseur Telefunken, afin de s'adapter au niveau régional belge des prix de détail.
123. Il ne ressort pas des renseignements fournis par Verbinnen à la Commission au moyen de deux lettres des 3 et 27 novembre 1980 qu'ATBG ait exercé des pressions pour imposer à cette entreprise le maintien de certains prix de vente au détail. Il ne ressort pas non plus de la lettre du 27 novembre précitée qu'ATBG ait essayé d'imposer à Verbinnen de pratiquer les prix fixés par Telefunken. Verbinnen, lui-même, utilise dans sa lettre le mot néerlandais "voorstellen" qui signifie "propositions" et il serait sans doute excessif d'estimer que le fait d'avoir mentionné, au cours d'une conversation informelle, un prix qu'ATBG estimait comme praticable pour un certain type d'appareil constitue sans plus une influence illicite sur les prix.
2. Influence indirecte
a) SUMA
124. Le point 49 de la décision affirme, en s'appuyant sur une note TFR du 20 avril 1977, qu'un bonus de bonne conduite égal à 2 % de son chiffre d'affaire a été promis à SUMA en rémunération de la retenue dont elle ferait preuve dans le domaine de la concurrence par les prix.
125. AEG a fourni, en ce qui concerne la nature de ce bonus des explications différentes: tandis qu'à l'audition du 19 août 1980 elle avait affirmé qu'il s'agissait d'une rémunération pour la mise à disposition d'espaces publicitaires dans les vitrines et dans les magasins, par la suite elle a soutenu qu'il ne s'agissait en réalité que d'un rabais supplémentaire octroyé en raison de l'importance de SUMA en tant que client.
126. Le gérant de SUMA, M. Waltenberger, a de son côté déclaré à un fonctionnaire de la Commission, le 2 septembre 1980, ce qui suit: "Le bonus de bonne conduite, d'un montant de 2 %, qui a été offert par AEG lors des conversations qui ont eu lieu avec SUMA le 20 avril 1977 (cf. note d'AEG du même jour), devait être octroyé au motif que la société AEG serait en principe informée de l'article faisant l'objet de l'opération publicitaire avant la parution des annonces publiées dans la presse. En outre, la société AEG-Telefunken a obtenu que les prix particulièrement agressifs de la concurrence seraient communiqués à Telefunken et qu'ils ne seraient pas repris immédiatement par SUMA, sauf s'il est clair qu'il s'agit d'actions menées par la concurrence pour une durée non limitée".
127. Une lettre adressée à la Commission par les avocats d'AEG le 15 octobre 1980 et qui fournit une illustration des faits que M. Waltenberger, par télex du 29 octobre 1980, a déclarée pleinement conforme à la réalité, nie toute influence sur les prix, mais admet expressément que le "bonus" a été officiellement présenté comme la rémunération des informations que SUMA fournirait à Telefunken sur l'évolution du marché.
128. Même si l'on estimait, en interprétant de la manière la plus favorable à AEG toutes les déclarations ci-dessus mentionnées, que le bonus de 2% avait trait uniquement à un engagement de SUMA de renseigner TFR sur les prix pratiqués par SUMA elle-même ainsi que par les autres distributeurs, il ne fait pas de doute qu'un tel engagement était de nature à permettre le contrôle de TFR sur les prix pratiqués par SUMA, qui avait expressément accepté, ainsi qu'il ressort de la note du bureau de vente AEG de Münich du 20 avril 1977, d'assumer une attitude modérée en ce qui concernait la concurrence, et à faciliter l'intervention de TFR dans les cas où d'autres distributeurs agréés mèneraient une politique de prix trop agressive.L'obligation liée au bonus ayant donc pour effet de faciliter un contrôle sur le prix de la part de TFR, il y a lieu de conclure que ce bonus constitue effectivement un moyen d'influence indirecte sur les prix.
3. Autres cas particuliers d'interventions concernant les prix
a) Wilhelm
129. Dans une lettre du 22 juillet 1976 adressée au bureau de vente de Sarrebrück, TFR demande des renseignements sur les "prix très perturbateurs" de la firme Wilhelm et sur les raisons de "cette nouvelle offensive" en matière de prix. Une invitation tacite à intervenir contre une entreprise pratiquant des prix réduits ne saurait, contrairement à l'opinion de la Commission, être déduite de cette lettre qui peut très bien être interprétée en ce sens qu'elle demande au destinataire de vérifier si le comportement de Wilhelm était correct. En effet, la lettre a été comprise dans ce sens par le bureau de vente de Sarrebrück, qui a répondu, le 22 juillet 1976, que les offres de Wilhelm relevaient d'une concurrence normale sur les prix.
b) Schlembach
130. Dans une note du 9 septembre 1977, mentionnée au point 50 de la décision, le responsable du bureau TFR de Cologne rappelle qu'il a eu le 8 septembre 1977, une conversation "franche et de temps en temps animée" avec le détaillant Schlembach, à propos des annonces de celui-ci concernant des produits Telefunken et qu'il a précisé à Schlembach qu"une répétition des annonces conduirait à une grave perturbation de la coopération". AEG n'ayant réussi à apporter aucun élément de preuve à l'appui de son allégation que les annonces en question constituaient une violation du droit allemand de la concurrence, il y a lieu de constater que les menaces d'une suspension des rapports commerciaux étaient complètement injustifiées et ne visaient qu'à influencer de manière abusive les prix du commerçant en question.
c) Gruoner, Südschall et Massa
131. Les cas Gruoner, Südschall et Massa ont été mentionnés à tort dans la décision puisque, comme il ressort d'un rapport du bureau de vente de Mannheim du 31 octobre 1978, ces entreprises avaient commercialisé, à des prix très bas que TFR qualifiait de perturbateurs, des téléviseurs du modèle Impérial qui n'étaient pas soumis au système de distribution sélective Telefunken. Il ne saurait donc être question, dans de tels cas, d'une application abusive de ce système.
d) Kaufhof (Kassel) et Hertie (Francfort)
132. Dans le rapport précité du 31 octobre 1978, il est dit que les offres à des prix bas effectuées, parmi d'autres, par Kaufhof (Kassel) et par Hertie (Francfort) ont perturbé le marché et que "ce n'est qu'après des efforts intenses que le calme a pu être rétabli".
133. AEG affirme que cette expression se réfère aux efforts qu'elle a du accomplir pour convaincre les autres distributeurs, alarmés par les prix très bas de ces deux détaillants, de ce que les offres spéciales de Kaufhof et de Hertie ne s'appuyaient pas sur des conditions de livraison particulièrement avantageuses qui leur auraient été faites par TFR.
134. La Commission n'ayant pas essayé d'éclaircir ce point, la phrase assez vague figurant au document susmentionné ne saurait être considérée comme une preuve suffisante en vue d'établir l'existence d'une infraction.
D) Conclusions concernant les cas particuliers
135. L'examen des cas particuliers mentionnés par la Commission permet de parvenir aux résultats suivants:
a) une application abusive du système de distribution sélective doit être considérée comme prouvée à suffisance de droit dans les cas: Ratio, Auchan, Iffli, Diederichs (admission subordonnée à des conditions abusives); Le Roi de la Télé, Lama, Radio du Centre, Schadroff (protection territoriale); Suma, Darty, Camif, Cart, FNAC (influence directe sur les prix); Darty, FNAC, Distributeurs à Paris et Grands Magasins (accord sur les prix); Suma (influence indirecte sur les prix); Schlembach (tentative d'influencer les prix).
b) les éléments de preuve fournis par la Commission ne suffisent pas en revanche pour démontrer une violation des règles d concurrence dans les cas Harder, Holder, Wilhelm, Gruoner, Südschall, Massa, Kaufhof (Kassel) et Hertie (Francfort), Verbinnen, tandis que le cas Mammouth ne peut pas être pris en considération du fait qu'il n'était pas mentionné dans la communication des griefs et n'a pas été communiqué à AEG avant l'adoption de la décision.
136. Il ressort des considérations qui précèdent que la preuve du comportement systématique d'AEG dans l'application abusive du système de distribution sélective doit être considérée comme établie à suffisance de droit. Le fait qu'un certain nombre de cas particuliers n'ont pas été prouvés par la Commission ne remet pas en cause le caractère systématique du comportement abusif d'AEG et n'affecte pas la portée de l'infraction telle qu'elle a été constatée par la Commission dans sa décision du 6 janvier 1982.
137. La Cour entend souligner la gravité d'une telle infraction qui consiste, après qu'un système de distribution sélective a été admis par la Commission, à appliquer ce système de manière contraire aux engagements qui ont été pris par l'intéressé et qui conditionnent la compatibilité de la distribution sélective avec l'article 85 du Traité.
138. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de fixer l'amende à un montant autre que celui retenu par la Commission. Le recours formé par AEG contre la décision de la Commission du 6 janvier 1982 doit donc être rejeté dans son ensemble.
IV - Sur les intérêts
139. Il reste à examiner la question de savoir si AEG est tenue de verser les intérêts au montant de l'amende jusqu'au paiement effectif.
140. AEG a fait valoir, au cours de la procédure, qu'une obligation de payer des intérêts de retard n'a aucune base légale en droit communautaire.
141. Il est constant que, notamment dans une situation caractérisée par l'existence de taux d'intérêt très élevés, une entreprise peut avoir un avantage considérable à retarder le plus possible le paiement d'une amende. Si l'on devait estimer que des mesures visant à compenser cet avantage ne sont pas admissibles au sens du droit communautaire, on faciliterait l'introduction de recours manifestement non fondés, dont le seul but serait celui de retarder le paiement de l'amende. Or, on ne saurait penser qu'un tel résultat ait été voulu par les dispositions du Traité concernant les voies de recours contre les actes des institutions.
142. Le même principe trouve d'ailleurs son expression dans le paragraphe 2 de l'article 86 du règlement de procédure de la Cour, d'après lequel, si la Cour prend une ordonnance en matière de sursis à exécution ou d'autres mesures provisoires "l'exécution de l'ordonnance peut être subordonnée à la constitution par le demandeur d'une caution dont le montant et les modalités sont fixés compte tenu des circonstances".
143. Des considérations qui précèdent, il ressort que les intérêts de retard sur le montant de l'amende doivent être payés par AEG à la Commission. En ce qui concerne le montant de la somme à payer à ce titre, AEG n'ayant contesté ni le taux des intérêts dû à la Commission, ni la date à partir de laquelle ces intérêts sont dus, il n'y a pas lieu de statuer à cet égard.
Sur les dépens
144. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé dans ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1. Le recours est rejeté.
2. AEG-Telefunken AG est tenue de payer à la Commission des Communautés européennes les intérêts de retard sur l'amende infligée.
3. La requérante est condamnée à payer à la Commission des Communautés européennes les frais exposés par celle-ci.